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18/01/2021 | BELGIQUE | N°S.20.0031.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 18 janvier 2021, S.20.0031.F


N° S.20.0031.F
PROCUREUR GÉNÉRAL PRÈS LA COUR D'APPEL DE LIÈGE, dont l'office est établi à Liège, place Saint-Lambert, 30,
demandeur en cassation,
contre
1. AGENCE FÉDÉRALE POUR L'ACCUEIL DES DEMANDEURS D'ASILE, dont le siège est établi à Bruxelles, rue des Chartreux, 21, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0860.737.913,
2. M. S., et
3. V. B., en nom personnel et en qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs.
défendeurs en cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contr

e l'arrêt rendu le 24 février 2020 par la cour du travail de Liège.
Le président de section Mir...

N° S.20.0031.F
PROCUREUR GÉNÉRAL PRÈS LA COUR D'APPEL DE LIÈGE, dont l'office est établi à Liège, place Saint-Lambert, 30,
demandeur en cassation,
contre
1. AGENCE FÉDÉRALE POUR L'ACCUEIL DES DEMANDEURS D'ASILE, dont le siège est établi à Bruxelles, rue des Chartreux, 21, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0860.737.913,
2. M. S., et
3. V. B., en nom personnel et en qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs.
défendeurs en cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 24 février 2020 par la cour du travail de Liège.
Le président de section Mireille Delange a fait rapport.
L'avocat général Henri Vanderlinden a conclu.
II. Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
Articles 9, 556 et 580, 8°, d) et f), du Code judiciaire
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt déclare l'appel fondé, dit la cour du travail sans compétence matérielle pour connaître de l'action et renvoie la cause devant la cour d'appel de Liège, particulièrement pour les motifs suivants :
« Quel est l'objet réel du litige ?
Le cœur de l'argumentation [des deuxième et troisième défendeurs] est résumé [dans leurs] conclusions [en ces termes] : ‘En ne désignant pas de lieu d'hébergement adapté aux besoins de la famille, la décision de [la première défenderesse] du 1er août 2018 viole l'autorité de la chose jugée du jugement du tribunal du travail de Liège [...] du 17 juillet 2018'. Le grief nourri à l'égard de [cette défenderesse] est de ne pas avoir procédé à la désignation d'un centre rencontrant les spécifications imposées par ledit jugement.
Ce que [les deuxième et troisième défendeurs demandent] réellement, ce n'est pas de trancher une nouvelle fois, pour une période postérieure, en fonction de circonstances nouvelles, la portée des droits qu'[ils tirent] des livres II et III de la loi du 12 janvier 2007 [relative à l'accueil des demandeurs d'asile et de certaines autres catégories d'étrangers, mais] de constater que la mise en œuvre par [la première défenderesse] d'une décision judiciaire définitive et coulée en force de chose jugée, soit le jugement du 17 juillet 2018, n'est pas conforme à ladite décision.
[Leur] demande n'invite pas à porter une nouvelle appréciation sur les droits tels qu'ils ont été fixés par le jugement du 17 juillet 2018, pour une période différente bien entendu, mais au contraire à [...] faire appliquer [ce jugement] par [la première défenderesse] selon l'interprétation qu' [ils] en [donnent].
[Les deuxième et troisième défendeurs ne postulent] pas de rebattre les cartes et de statuer à nouveau sur [leurs] droits. [Ils veulent], à l'opposé, consolider [leurs] acquis et capitaliser sur le jugement qui [leur] garantit un hébergement tenant compte de l'état de santé du plus jeune fils. C'est d'ailleurs cet état de santé qui sera postérieurement invoqué pour contester les désignations qui ont successivement été faites par [la première défenderesse].
Loin de demander qu'on tranche une contestation sur [leurs] droits, l'exercice demandé par [les deuxième et troisième défendeurs] est l'exégèse d'une décision judiciaire passée pour en contrôler l'exécution adéquate. [Ils entendent] faire vérifier si les décisions administratives qui allèguent décliner en fait le contenu normatif du jugement en respectent le prescrit.
De toute évidence, le litige se meut dans la sphère de l'exécution [du jugement] du 17 juillet 2018 et ne relève pas des compétences des juridictions du travail. C'est à tort que le premier juge a connu du litige au lieu de décliner sa compétence ».
Griefs
L'arrêt procède à une application erronée des règles de compétence des articles 9, 556, et 580, 8°, d) et f), du Code judiciaire. En effet, selon la Cour, « la compétence d'attribution déterminée en raison de l'objet de la demande s'apprécie en fonction de la demande telle qu'elle est formulée par le demandeur » (Cass., 5 novembre 2012, C.12.0187.F ; voir également Cass., 22 février 2013, C.12.0239.N) et non en fonction de l'objet réel du litige.
La demande formulée par les [deuxième et troisième défendeurs], parties demanderesses originaires, concernait la légalité de la décision de [la première défenderesse] du 1er août 2018, adoptée dans le cadre de leur demande d'aide matérielle : la requête introductive d'instance, que, à tort, l'arrêt ne prend pas en compte dans l'appréciation de la compétence, visait l'annulation de cette décision, nonobstant une erreur de date dans le dispositif, en vue d'obtenir la désignation d'un lieu d'hébergement adéquat tenant compte de l'état de santé fragile d'un des enfants ; une telle prise en compte constitue une obligation pour [cette défenderesse] en vertu des articles 2, 6°, 36 et suivants de la loi du 12 janvier 2007 relative à l'accueil des demandeurs d'asile et de certaines autres catégories d'étrangers. En conclusions, [les deuxième et troisième défendeurs] précisaient que « la demande [...] porte sur plusieurs points : la condamnation de [la première défenderesse] à désigner un nouveau lieu d'hébergement lequel doit répondre aux besoins de la famille ; la condamnation de [cette défenderesse] à une aide matérielle équivalente au revenu d'intégration au taux chef de famille, du 11 décembre 2018 jusqu'à la désignation d'un nouvel hébergement adapté ; [sa] condamnation [...] à payer des dommages et intérêts ».
À cet égard, les [deuxième et troisième défendeurs] relevaient l'existence d'un jugement prononcé le 17 juillet 2018 uniquement au regard de l'autorité de chose jugée ; leur recours ne visait pas à obtenir l'exécution de ce jugement et [ils] n'ont d'ailleurs pas sollicité l'application de l'astreinte de 50 euros par jour de retard prononcée par ce jugement. Le dispositif de leur requête introductive d'instance ne vise à aucun moment ce jugement.
La demande telle qu'elle est formulée par [ces défendeurs] avait trait, au travers de la contestation de la décision de [la première défenderesse] du 1er août 2018, à l'obtention d'une aide matérielle adéquate de la part de [cette défenderesse] et relève de la compétence d'attribution exclusive et d'ordre public des juridictions du travail telle qu'elle est prévue :
- à l'article 580, 8°, d), du Code judiciaire : l'aide revendiquée par les [deuxième et troisième défendeurs] est prévue à l'article 57, § 2, alinéa 2, de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'action sociale, qui dispose que, dans le cas visé sous 2°, l'aide sociale est limitée à l'aide matérielle indispensable pour le développement de l'enfant et est exclusivement octroyée dans un centre fédéral d'accueil conformément aux conditions et modalités fixées par le Roi ; la présence dans le centre d'accueil des parents ou personnes qui exercent effectivement l'autorité parentale est garantie ;
- à l'article 580, 8°, f), du même code : l'aide revendiquée par [ces défendeurs] est également prévue à l'article 60 de la loi du 12 janvier 2007 ; les livres II et III de cette loi sont totalement ou partiellement d'application à cette aide.
C'est donc à tort que l'arrêt détermine sa compétence en fonction de son analyse de l'objet réel du litige plutôt que de la demande telle qu'elle est formulée par les [deuxième et troisième défendeurs] et, en tout état de cause, son appréciation de l'objet réel du litige était incompatible avec le dispositif des actes de procédure [de ces défendeurs], qui visait la décision de [la première défenderesse] du 1er août 2018 et non le jugement prononcé le 17 juillet 2018.
En conséquence, en déclarant recevable et fondé l'appel formé par [la première défenderesse] et en déclinant sa compétence au profit de la cour d'appel de Liège par les considérations reprises au moyen, l'arrêt viole l'ensemble des dispositions légales visées au moyen.
Par ailleurs, l'ordre public exige l'introduction [du] pourvoi [du ministère public] conformément à l'article 138bis, § 1er, du Code judiciaire, dès lors que « sont unanimement classées parmi les compétences exclusives : [...] la compétence du tribunal du travail en matière de sécurité sociale (articles 580 à 583 du Code judiciaire) » et que « la compétence, exercée par le tribunal du travail, est exclusive au sens fort. Elle tient, par conséquent, en échec d'office la compétence ordinaire du tribunal de première instance, ainsi que les mécanismes de prorogation de compétence et de jonction des demandes » (G. Closset-Marchal, La compétence en droit judiciaire privé, Bruxelles, Larcier, 2016, pp. 23 et 253) ; « les compétences matérielles des juridictions d'appel sont toutes d'ordre public » (ibid., p. 373) ; le règlement d'un tel conflit de compétence, exclusive, entre la cour d'appel et la cour du travail est nécessaire à peine de porter gravement atteinte, dans ce litige et ceux à venir, à l'organisation judiciaire et à la sécurité juridique.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
La compétence d'attribution déterminée en raison de l'objet de la demande s'apprécie en fonction de la demande telle qu'elle est formulée par le demandeur dans l'acte introductif d'instance.
Il ressort des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard :
- qu'un jugement du tribunal du travail de Liège du 17 juillet 2018, rendu dans une autre cause entre les mêmes parties, statue sur l'aide matérielle demandée par les deuxième et troisième défendeurs le 19 février 2018, décide que ces derniers sont « dans les conditions prévues par l'article 60 de la loi du 12 janvier 2007 sur l'accueil des demandeurs d'asile et de certaines autres catégories d'étrangers [...] pour bénéficier d'une aide matérielle à charge de [la première défenderesse] » et condamne cette dernière « à [leur] accorder [...] un hébergement où [ils bénéficieront] de l'aide matérielle prévue par l'article 2, 6°, de la loi [précitée] en tenant compte [des] besoins spécifiques [de la famille] et particulièrement de l'état de santé de [l'enfant] L. » ;
- que, par une décision du 1er août 2018, la première défenderesse énonce que, « suite au jugement du tribunal du travail de Liège » précité, elle a invité les deuxième et troisième défendeurs « à [se] présenter [...] pour [leur] proposer une place d'accueil [en prenant] en compte les besoins spécifiques de [la] famille et notamment ceux liés à l'état de santé de [l']enfant L. », que, le 26 juillet 2018, ces défendeurs ont « clairement exprimé [leur] refus d'intégrer un centre d'accueil, justifiant [ce] refus par le fait [qu'ils avaient] une adresse à Pepinster », qu'elle a « valablement exécuté le jugement » précité et que « la période litigieuse prend fin le 26 juillet 2018, date [du] refus explicite [des deuxième et troisième défendeurs] d'intégrer un centre d'accueil » ;
- que, dans l'acte introductif de l'instance devant le tribunal du travail, les deuxième et troisième défendeurs ont demandé l'annulation de cette décision du « 7 mars 2018 [lire : 1er août 2018] ».
Dès lors que la première défenderesse a décidé le 1er août 2018 qu'elle ne devait pas fournir d'aide matérielle aux deuxième et troisième défendeurs à partir du 26 juillet 2018 et que, dans l'acte introductif de l'instance, ces défendeurs contestaient cette décision, il est né entre la première défenderesse et les deuxième et troisième défendeurs une contestation sur le droit à cette aide, soit l'aide matérielle aux enfants étrangers de moins de dix-huit ans séjournant avec leurs parents illégalement sur le territoire et se trouvant en état de besoin suite au fait que leurs parents ne sont pas en mesure d'assumer leur devoir d'entretien, prévue par les articles 57, § 2, alinéa 2, de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'action sociale et 2, 6°, 14 à 54, composant le livre III, et 60 de la loi du 12 janvier 2007.
Pareille demande ressortit au tribunal du travail en vertu de l'article 580, 8°, d) et f), du Code judiciaire.
L'arrêt recherche « l'objet réel du litige », constate que « l'argumentation » des deuxième et troisième défendeurs consiste à soutenir que « la décision [...] du 1er août 2018 viole l'autorité de la chose jugée du jugement [...] du 17 juillet 2018 » et que leur « grief [...] à l'égard de [la première défenderesse] est de ne pas avoir procédé à la désignation d'un centre [d'accueil] rencontrant les spécifications imposées par ledit jugement », en déduit que, « ce que [ces défendeurs demandent] réellement, ce n'est pas de trancher une nouvelle fois, pour une période postérieure, en fonction de circonstances nouvelles, la portée des droits qu'[ils tirent] des livres II et III de la loi du 12 janvier 2007, [mais] de constater que la mise en œuvre, par la [première défenderesse], [du] jugement du 17 juillet 2018 [...] n'est pas conforme [audit jugement] » et conclut que « le litige se meut dans la sphère de l'exécution » de ce jugement.
En décidant, par ces énonciations, que la cour du travail est « sans compétence matérielle pour connaître de l'action » et que la cause est renvoyée « devant la cour d'appel », l'arrêt viole les articles 9 et 580, 8°, d) et f), du Code judiciaire.
Le moyen est fondé.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arrêt attaqué, sauf en tant qu'il reçoit l'appel ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé ;
Laisse les dépens à la charge de l'État ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour du travail de Mons.
Les dépens taxés à la somme de cent soixante-neuf euros septante-sept centimes envers la partie demanderesse et à la somme de vingt euros au profit du fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Mireille Delange, les conseillers Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte, Ariane Jacquemin et Maxime Marchandise, et prononcé en audience publique du dix-huit janvier deux mille vingt et un par le président de section Mireille Delange, en présence de l'avocat général Henri Vanderlinden, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.


Synthèse
Formation : Chambre 3f - troisième chambre
Numéro d'arrêt : S.20.0031.F
Date de la décision : 18/01/2021
Type d'affaire : Autres

Analyses

La compétence d'attribution déterminée en raison de l'objet de la demande s'apprécie en fonction de la demande telle qu'elle est formulée par le demandeur dans l'acte introductif d'instance.

COMPETENCE ET RESSORT - MATIERE CIVILE - Compétence - Compétence d'attribution - Critère - Demande en justice - TRIBUNAUX - MATIERE CIVILE - Généralités - Compétence - Compétence d'attribution - Critère - Demande en justice [notice1]


Références :

[notice1]

Code Judiciaire - 10-10-1967 - Art. 9 - 01 / No pub 1967101052


Composition du Tribunal
Président : DELANGE MIREILLE
Greffier : BODY LUTGARDE
Ministère public : VANDERLINDEN HENRI
Assesseurs : ERNOTTE MARIE-CLAIRE, JACQUEMIN ARIANE, MARCHANDISE MAXIME, LEMAL MICHEL

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2021-01-18;s.20.0031.f ?

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