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04/12/2020 | BELGIQUE | N°F.19.0126.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 04 décembre 2020, F.19.0126.N


N° F.19.0126.N
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances,
contre
OTIS, s.a.,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 3 avril 2019 par la cour d’appel de Bruxelles.
Le 27 octobre 2020, l’avocat général Johan Van der Fraenen a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Bart Wylleman a fait rapport et l’avocat général
Johan Van der Fraenen a été entendu en ses conclusions.
II. Les moyens de cassation
Dans la requête

en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente quatre moyens.
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N° F.19.0126.N
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances,
contre
OTIS, s.a.,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 3 avril 2019 par la cour d’appel de Bruxelles.
Le 27 octobre 2020, l’avocat général Johan Van der Fraenen a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Bart Wylleman a fait rapport et l’avocat général
Johan Van der Fraenen a été entendu en ses conclusions.
II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente quatre moyens.
III. La décision de la Cour
Sur le deuxième moyen :
Sur la recevabilité du moyen :
1. La défenderesse oppose au moyen quatre fins de non-recevoir déduites de ce que :
- le moyen ne satisfait pas aux conditions prévues à l’article 1080 du Code judiciaire dès lors qu’il omet de mentionner la loi par laquelle les dispositions conventionnelles de l’Union européenne, dont la violation est alléguée, ont été approuvées dans l’ordre juridique belge ;
- le moyen est imprécis dès lors qu’il n’identifie pas la disposition conventionnelle européenne prétendument violée qui serait applicable, à savoir l’actuel article 4, alinéa 3, du Traité sur l’Union européenne ou l’ancien article 10 du Traité instituant la Communauté européenne ;
- le moyen est imprécis dès lors qu’il n’indique pas en quoi l’arrêt attaqué violerait les dispositions conventionnelles européennes relatives au principe de coopération loyale, dont il invoque la violation ;
- le moyen est imprécis et incomplet dès lors qu’il ne précise pas dans son exposé la jurisprudence européenne selon laquelle la déductibilité fiscale des amendes de cartel serait interdite.
2. L’article 1080 du Code judiciaire requiert que la requête en cassation mentionne les dispositions légales dont la violation est invoquée.
Les griefs élevés par le demandeur résultent de la violation alléguée de la disposition conventionnelle du droit de l’Union européenne relative au principe de coopération loyale, applicable au litige, à savoir l’article 10 du Traité instituant la Communauté européenne, qui suffit à entraîner la cassation si le moyen est fondé. Les griefs formulés par le demandeur ne résultent pas d’une violation de la loi belge qui a approuvé ce traité, de sorte que le moyen ne doit pas en faire mention.
La première fin de non-recevoir ne peut être accueillie.
3. Le moyen est pris, en premier lieu, de la violation de l’article 10 du Traité instituant la Communauté européenne, dont il précise qu’il s’applique au litige, et ne se réfère que par souci d’exhaustivité à l’article 4, alinéa 3, du Traité sur l’Union européenne.
La deuxième fin de non-recevoir ne peut être accueillie.
4. Le moyen soutient clairement que l’arrêt attaqué viole les dispositions conventionnelles relatives au principe de coopération loyale en considérant que les dispositions du droit de l’Union, à savoir les articles 81 à 83 du Traité instituant la Communauté européenne, tels qu’ils sont interprétés par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, ne peuvent servir à interpréter l’article 53, 6°, du Code des impôts sur les revenus 1992.
La troisième fin de non-recevoir ne peut être accueillie.
5. S’ils peuvent dissiper une équivoque du moyen en faisant apparaître plus clairement un élément qui se trouve déjà dans l’exposé de celui-ci, les développements ne peuvent en revanche suppléer une lacune de cet exposé.
Le moyen soutient clairement dans l’exposé même que l’arrêt attaqué viole les dispositions conventionnelles relatives au principe de coopération loyale en refusant, dans son interprétation de l’article 53, 6°, du Code des impôts sur les revenus 1992, d’appliquer la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne concernant les articles 81 à 83 du Traité instituant la Communauté européenne et ne fait, dans ses développements, que mettre davantage en exergue la jurisprudence concernée.
La quatrième fin de non-recevoir ne peut être accueillie.
Sur le fondement du moyen :
6. Suivant l’article 10, alinéa 1er, du Traité instituant la Communauté européenne, applicable au litige, qui consacre le principe de coopération loyale, les États membres prennent toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution des obligations découlant du présent traité ou résultant des actes des institutions de la Communauté. Ils facilitent à celle-ci l’accomplissement de sa mission.
Aux termes du second alinéa de la disposition précitée, ils s’abstiennent de toutes mesures susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts de ce traité.
7. Selon une jurisprudence constante, la Cour de justice de l’Union européenne considère que l’article 10 précité du Traité instituant la Communauté européenne, qui s’applique à toutes les autorités des États membres y compris, dans le cadre de leurs compétences, les autorités juridictionnelles, oblige le juge national à donner, dans toute la mesure du possible, aux dispositions nationales qu’il doit appliquer une interprétation conforme aux exigences de l’Union européenne (C.J.C.E, arrêt Marleasing, 13 novembre 1990, C-106/89, point 8 ; C.J.C.E., arrêt Engelbrecht, 26 septembre 2000, C-262/9, points 38 à 40 ; C.J.C.E., arrêt Land Oberösterreich contre CEZ as, 27 octobre 2009, C-115/08, point 138). Si une telle application conforme n’est pas possible, le juge national a l’obligation d’assurer le plein effet du droit de l’Union en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale (C.J.C.E., arrêt Murphy, 4 février 1988, C-157/86, point 11 ; C.J.C.E, arrêt Melki, 22 juin 2010, affaires jointes C-188/10 et C-189/10, point 43).
8. En vertu de l’article 53, 6°, du Code des impôts sur les revenus 1992, dans sa version applicable au litige, ne constituent pas des frais professionnels, les amendes, y compris les amendes transactionnelles, les confiscations et les pénalités de toute nature, même si ces amendes ou pénalités sont encourues par une personne qui perçoit du contribuable des rémunérations visées à l’article 30.
9. La Cour de justice considère, selon une jurisprudence constante, qu’une amende imposée par la Commission européenne en vertu de l’article 23, alinéa 2, sous a), du règlement n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (ci-après « règlement n° 1/2003 ») vise, d’une part, à réprimer les comportements illicites des entreprises en cause, d’autre part, à dissuader tant ces entreprises que d’autres opérateurs économiques de violer, à l’avenir, les règles du droit communautaire de la concurrence, de sorte que pareille amende a un effet à la fois répressif et dissuasif (C.J.C.E., arrêt ACF Chemiefarma S.A., 15 juillet 1970, 41/69, point 173 ; C.J.C.E. arrêt Showa Denko, 29 juin 2006, C-289/04 P, point 16 et arrêt SGL Carbon,C-308/04 P, point 37).
10. Dans son arrêt Inspecteur van de Belastingdienst / X BV du 11 juin 2009 (C-429/07 considérant 39), la Cour de justice a considéré que la déductibilité fiscale d’une amende infligée par la Commission européenne est susceptible de porter atteinte à l’effectivité de la sanction imposée par l’autorité communautaire de concurrence et ainsi à l’application cohérente des interdictions en matière de droit de la concurrence, énoncées aux articles 81 et 82 du traité précité. Si une société était autorisée à déduire en tout ou en partie le montant de cette amende du montant de ses bénéfices imposables, cela aurait pour effet de compenser partiellement la charge de ladite amende par une réduction de la charge fiscale.
11. Il suit ainsi manifestement de la jurisprudence précitée que le principe de coopération loyale consacré à l’article 10 du Traité instituant la Communauté européenne requiert que le juge national interprète l’article 53, 6°, du Code des impôts sur les revenus 1992 en ce sens que l’interdiction de déduction s’applique également aux amendes infligées par la Commission européenne en vertu de l’article 23, alinéa 2, a), du règlement n° 1/2003 pour violation de l’article 81 ou 82 du traité précité, afin de ne pas compromettre la réalisation des objectifs des interdictions et sanctions en matière de droit de la concurrence de l’Union européenne.
12. Il ne ressort ni de l’article 53, 6°, précité, ni des travaux préparatoires que le législateur a entendu limiter, en tout cas, l’application de l’interdiction de déduction aux amendes pénales, en sorte que les amendes infligées par la Commission européenne en vertu de l’article 23, alinéa 2, sous a), du règlement n° 1/2003 pour violation de l’article 81 ou 82 du traité, lesquelles, suivant l’article 23, alinéa 5, du règlement précité, ne revêtent pas un caractère pénal, seraient dues.
13. Les juges d’appel ont considéré que :
- aucune disposition du droit de l’Union ne peut servir à interpréter l’article 53, 6°, du Code des impôts sur les revenus 1992 dès lors que la Belgique, s’agissant du droit fiscal national, n’a pas transféré sa compétence normative à l’Union européenne ;
- le principe de coopération loyale ne permet pas de supposer que, à défaut de disposition légale expresse, la compétence de légiférer en matière de déductibilité fiscale d’amendes de cartel aurait été transférée à l’Union européenne ;
- si le législateur belge peut être invité à agir en vertu du principe de coopération loyale, il n’appartient à aucun autre pouvoir que le législatif d’interpréter des dispositions fiscales belges de manière plus large que celle visée par le législateur fiscal belge ;
- l’interprétation selon laquelle le caractère répressif d’une amende de cartel devrait être « aggravé » sur la base de la coopération loyale alléguée ne trouve de fondement ni dans les dispositions légales belges ni dans les dispositions du droit de l’Union ;
- une limitation générale de la déductibilité des amendes de cartel dans les États membres, en vue d’une « aggravation de la sanction » créerait des discriminations entre des entreprises établies dans différents États membres, compte tenu du taux différent de l’impôt des sociétés dans chacun de ces États et l’effet différent d’une telle limitation de déductibilité fiscale imposée par le droit européen ;
- l’examen des travaux préparatoires ne permet pas de conclure que l’article 53, 6°, du Code des impôts sur les revenus 1992 vise avec certitude d’autres amendes que celles de nature répressive, et il n’est pas démontré de manière positive que le législateur a eu expressément l’intention d’étendre la limitation de déductibilité prévue dans la disposition précitée aux amendes administratives, parmi lesquelles les amendes de cartel infligées par la Commission européenne.
14. En omettant de tenir compte du principe de coopération loyale dans l’interprétation de l’article 53, 6°, du Code des impôts sur les revenus 1992 et en considérant, sur ce fondement, que l’application de l’interdiction de déduction prévue par la disposition précitée ne s’étend pas aux amendes infligées par la Commission européenne en vertu de l’article 23, alinéa 2, sous a), du règlement n° 1/2003, pour violation de l’article 81 ou 82 du Traité instituant la Communauté européenne, les juges d’appel ont violé l’article 10 du traité précité, qui consacre ce principe.
Le moyen est fondé.
Sur les autres griefs :
15. Les autres griefs ne sauraient entraîner une cassation plus étendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l’arrêt attaqué, sauf en tant qu’il reçoit l’appel ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt partiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu’il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d’appel d’Anvers.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Eric Dirix, président, les conseillers Bart Wylleman, Koenraad Moens, François Stévenart Meeûs et Sven Mosselmans, et prononcé en audience publique du quatre décembre deux mille vingt par le président de section Eric Dirix, en présence de l’avocat général Johan Van der Fraenen, avec l’assistance du greffier Vanity Vanden Hende.


Synthèse
Formation : Chambre 1n - eerste kamer
Numéro d'arrêt : F.19.0126.N
Date de la décision : 04/12/2020
Type d'affaire : Autres - Droit fiscal - Droit européen

Analyses

L'article 1080 du Code judiciaire ne requiert pas que la requête en cassation mentionne, outre les dispositions conventionnelles internationales à effet direct dont la violation est invoquée, la loi belge d'assentiment à cette convention (1). (1) Voir les concl. du MP publiées à leur date dans AC.

MOYEN DE CASSATION - MATIERE CIVILE - Indications requises - Dispositions légales - Dispositions conventionnelles internationales à effet direct - Loi d'assentiment belge - Mention nécessaire [notice1]

Le principe de coopération loyale consacré à l'article 10 du traité instituant la Communauté européenne requiert que le juge national interprète l'article 53, 6°, du Code des impôts sur les revenus 1992 en ce sens que l'interdiction de déduction s'applique également aux amendes infligées par la Commission européenne en vertu de l'article 23, alinéa 2, sous a), du règlement n° 1/2003 pour violation de l'article 81 ou 82 du traité précité, afin de ne pas compromettre la réalisation des objectifs des interdictions et sanctions en matière de droit de la concurrence de l'Union européenne (1). (1) Voir les concl. du MP publiées à leur date dans AC.

IMPOTS SUR LES REVENUS - IMPOT DES SOCIETES - Détermination du revenu global net imposable - Frais professionnels - Amende infligée par la Commission européenne pour violation de l'article 81 ou 82 du traité institutant la communauté européenne - Amendes de cartel - Déductibilité - UNION EUROPEENNE - DROIT MATERIEL - Généralités - Principe de coopération loyale - Juge national - Interprétation de dispositions nationales conformément au droit de l'Union - Condition [notice2]


Références :

[notice1]

Code Judiciaire - 10-10-1967 - Art. 1080 - 01 / No pub 1967101052

[notice2]

Côde des impôts sur les revenus 1992 - 12-06-1992 - Art. 53, 6° - 30 / No pub 1992003455


Composition du Tribunal
Président : DIRIX ERIC
Greffier : VANDEN HENDE VANITY
Ministère public : VAN DER FRAENEN JOHAN
Assesseurs : WYLLEMAN BART, MOENS KOENRAAD, STEVENART MEEUS FRANCOIS, MOSSELMANS SVEN

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2020-12-04;f.19.0126.n ?

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