La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/10/2020 | BELGIQUE | N°F.19.0124.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 15 octobre 2020, F.19.0124.F


N° F.19.0124.F
TERALIS, association sans but lucratif anciennement dénommée International Hainaut Tourisme, dont le siège est établi à Charleroi (Monceau-sur-Sambre), place Albert Ier, 34, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0408.172.139,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile,
contre
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, dont le cabinet est établi à Bruxelles, r

ue de la Loi, 12,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Geoffroy de Foestra...

N° F.19.0124.F
TERALIS, association sans but lucratif anciennement dénommée International Hainaut Tourisme, dont le siège est établi à Charleroi (Monceau-sur-Sambre), place Albert Ier, 34, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0408.172.139,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile,
contre
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Loi, 12,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 17 décembre 2018 par la cour d'appel de Liège, statuant comme juridiction de renvoi ensuite de l'arrêt de la Cour du 26 février 2016.
Le 25 septembre 2020, le procureur général André Henkes a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Christian Storck a fait rapport et le procureur général André Henkes a été entendu en ses conclusions.
II. Les moyens de cassation
La demanderesse présente deux moyens, dont le premier est libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
- article 149 de la Constitution ;
- articles 775, alinéa 1er, 822, 824, 1042, 1054, 1056, 4°, 1068, alinéa 1er, 1082, alinéa 1er, 1095 et 1110, alinéas 1er et 2, du Code judiciaire, lesdits articles 1054 et 1110, alinéas 1er et 2, avant leur modification respective par les lois des 25 mai 2018 et 6 juillet 2017 ;
- article 351 du Code des impôts sur les revenus 1992, avant sa modification par la loi du 19 mai 2010 ;
- principe général du droit suivant lequel la renonciation à un droit est de stricte interprétation et ne peut se déduire que de faits ou d'actes non susceptibles d'une autre interprétation.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt attaqué statue en prosécution de l'arrêt du 17 janvier 2018, qui avait constaté que
« La contestation concerne les cotisations à l'impôt des sociétés des exercices d'imposition 2001, 2002 et 2003 établies à charge de [la demanderesse] respectivement sous les articles [...] des rôles de la [ville] de Charleroi [...] ;
[La demanderesse] a introduit le 4 mars 2004 [...] contre ces trois cotisations trois réclamations [...] qui seront rejetées par décision directoriale du 3 septembre 2004 [...] ;
[La demanderesse] porta la contestation devant le tribunal de première instance de Mons [...] ;
Par jugement du 30 juin 2005, le premier juge a dit l'action [...] recevable et fondée, a annulé les trois cotisations litigieuses, a condamné [le défendeur] à restituer à [la demanderesse] toutes sommes perçues du chef des cotisations annulées, à majorer des intérêts légaux [...], et a condamné [le défendeur] aux dépens non liquidés ;
Par arrêt du 9 septembre 2009, la cour d'appel de Mons a dit les appels principal et incident recevables mais non fondés, a condamné [le défendeur] aux dépens de la procédure de première instance liquidés à [...] et a compensé les frais et dépens d'appel ;
Par arrêt du 2 décembre 2010, la Cour de cassation a cassé l'arrêt de la cour d'appel de Mons et a renvoyé la cause devant la cour d'appel de Bruxelles ;
Par arrêt du 9 septembre 2014, la cour d'appel de Bruxelles a dit l'appel recevable mais non fondé et a condamné [le défendeur] aux dépens d'appel liquidés à [...] et aux frais de [...] ;
Par arrêt du 26 février 2016, la Cour de cassation a cassé l'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles et a renvoyé la cause devant la cour d'appel de Liège ;
[...] [Le défendeur] conclut à la confirmation des cotisations établies et à la condamnation de [la demanderesse] aux dépens [...] ;
À titre principal, [la demanderesse] conclut à la confirmation du jugement déféré et demande l'annulation des trois cotisations litigieuses et leur dégrèvement ainsi que la condamnation [du défendeur] à lui restituer toutes sommes perçues du chef des cotisations annulées ou dégrevées, majorées des intérêts [...], ainsi qu'aux dépens des deux instances liquidés à [...] ;
À titre subsidiaire, [la demanderesse] demande à la cour [d'appel] de dire pour droit qu'elle disposait d'un établissement stable en France [...], en tous les cas de réduire à 103 p.c. la cotisation spéciale fondée sur l'article 219 du Code des impôts sur les revenus 1992 et de taxer les dépens de première instance à [...] ».
Ledit arrêt du 17 janvier 2018 avait ordonné la réouverture des débats afin que les parties s'expliquent sur la problématique soulevée par la cour [d'appel] « quant à la régularité de la procédure de taxation d'office », savoir :
« [La demanderesse] demande l'annulation des trois cotisations litigieuses, dont [le défendeur] sollicite la confirmation ;
En vertu de l'article 351 du Code des impôts sur les revenus 1992, l'administration peut procéder à la taxation d'office en raison du montant des revenus imposables qu'elle peut présumer eu égard aux éléments dont elle dispose, dans les cas où le contribuable s'est abstenu [...] de remettre une déclaration dans les délais prévus par les articles 307 à 311 ou par les dispositions prises en exécution de l'article 312, et l'article 346 du même code dispose notamment que, lorsque l'administration estime devoir rectifier les revenus et les autres éléments que le contribuable a soit mentionné dans une déclaration répondant aux conditions de forme et de délai prévues aux articles 307 à 311 ou aux dispositions prises en exécution de l'article 312, soit admis par écrit, elle fait connaître à celui-ci les revenus ou autres éléments qu'elle se propose de substituer à ceux qui ont été déclarés ou admis par écrit ;
Pour les trois exercices en cause, la taxation d'office est motivée par le fait que ‘vous n'avez pas souscrit, dans les délais prévus par la loi, de déclaration à l'impôt des sociétés' ;
Le juge est tenu de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il doit examiner la nature juridique des faits et actes invoqués par les parties et peut, quelle que soit la qualification juridique que celles-ci leur ont donnée, suppléer d'office aux motifs invoqués par elles dès lors qu'il n'élève aucune contestation dont les parties ont exclu l'existence dans leurs conclusions, qu'il se fonde uniquement sur des éléments régulièrement soumis à son appréciation, qu'il ne modifie pas l'objet de la demande et que, ce faisant, il ne viole pas le droit de défense des parties. Il est tenu de relever d'office les moyens de droit dont l'application est commandée par les faits spécialement invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions [...] ;
Dans ce cadre, la cour [d'appel] relève que, pour les trois exercices d'imposition en cause, [la demanderesse] a rentré une déclaration à l'impôt des personnes morales [...] et que l'on pourrait considérer que, du seul fait qu'étant assujetti à l'un des impôts sur les revenus visés à l'article 305, le contribuable a renvoyé à tort à l'administration une déclaration destinée aux assujettis à l'un des autres impôts visés par celui-ci, il ne peut se déduire que cette déclaration ne respecte pas les conditions de forme et de délai [...], ce qui pourrait, le cas échéant, entraîner l'annulation des cotisations en cause pour violation de l'article 351 du Code des impôts sur les revenus 1992 ou de l'article 346 de ce code ».
L'arrêt attaqué constate qu'après la réouverture des débats, « [la demanderesse] conclut à la nullité des cotisations pour violation de la procédure de taxation et [le défendeur] considère qu'il s'agit d'un appel incident du jugement entrepris par [la demanderesse] qui est irrecevable ».
L'arrêt attaqué décide que l'appel incident de la demanderesse est irrecevable par les motifs suivants :
« Quant à la régularité de la procédure de taxation d'office
L'arrêt de la cour d'appel de Mons du 9 septembre 2009 a notamment considéré que ‘l'administration fiscale a valablement recouru à la procédure de taxation d'office pour les exercices d'imposition litigieux' et en a conclu que ‘l'appel incident de [la demanderesse] est non fondé sur ce point' ;
Le moyen de cassation [du défendeur] reprochait à cet arrêt de n'avoir ‘pas légalement justifié le rejet [de son] appel' et d'avoir omis ‘de statuer sur [...] l'ensemble de la demande' [...]. L'arrêt de la Cour de cassation du 2 décembre 2010 a fait droit au moyen et cassé l'arrêt de la cour d'appel de Mons.
Le pourvoi n'était pas dirigé contre l'arrêt de la cour d'appel de Mons en ce qu'il a statué sur l'appel incident.
Si, en règle, la cassation est limitée à la portée du moyen qui en est le fondement, le juge de renvoi a le pouvoir de statuer sur une contestation, élevée devant lui, qui a été tranchée par un dispositif de la décision annulée autre que celui qu'attaquait le pourvoi lorsque, du point de vue de l'étendue de la cassation, ce dispositif n'est pas distinct du dispositif attaqué. En matière civile, n'est pas, du point de vue de l'étendue de la cassation, un dispositif distinct du dispositif attaqué celui qui ne peut être l'objet d'un pourvoi recevable d'aucune des parties à l'instance en cassation et tel est le cas d'un dispositif qui, n'infligeant pas grief à la partie demanderesse en cassation, n'infligerait grief à la partie défenderesse en cette instance que si le dispositif attaqué était cassé. En pareil cas, en effet, ni la partie demanderesse ni la partie défenderesse n'ont intérêt à attaquer ce dispositif, contre lequel leur pourvoi serait, dès lors, déclaré irrecevable [...]. Si [la demanderesse], dépourvue d'intérêt à agir en cassation, pouvait soumettre à la cour d'appel de renvoi la question de la régularité de la procédure de taxation tranchée par le premier juge, [le défendeur] relève à juste titre qu'[elle] n'a pas réitéré son appel incident devant la cour d'appel de Bruxelles, pas plus que devant la cour de céans préalablement à l'arrêt de réouverture des débats.
Il s'ensuit que la cour de céans a invité les parties à s'expliquer sur une problématique étrangère à sa saisine, à défaut pour [la demanderesse] d'avoir remis en cause le jugement déféré en ce qu'il statue sur la régularité de la procédure d'imposition, ce que [le défendeur] pouvait relever dans le cadre de la réouverture des débats ;
[La demanderesse] ne peut du reste étendre cette saisine par l'introduction d'un appel incident dans le cadre de la réouverture des débats dont l'objet était limité à l'application éventuelle de la jurisprudence de la Cour de cassation [...] pouvant, le cas échéant, entraîner l'annulation des cotisations en cause pour violation de l'article 351 du Code des impôts sur les revenus 1992 ou de l'article 346 de ce code ;
Aussi l'appel incident de [la demanderesse] tendant à l'annulation des cotisations en cause en raison de la violation de l'article 351 du Code des impôts sur les revenus 1992 qui découle de ses conclusions sur réouverture des débats n'est-il pas recevable ».
Griefs
Première branche
1. Aux termes de l'article 1054, alinéa 1er, du Code judiciaire, dans sa version antérieure à sa modification par la loi du 25 mai 2018, la partie intimée peut former incidemment appel à tout moment contre les parties en cause devant le juge d'appel. L'article 1056, 4°, de ce code dispose que l'appel est formé par conclusions à l'égard de toute partie présente ou représentée à la cause. L'article 1068, alinéa 1er, du même code dispose que tout appel d'un jugement définitif ou d'avant dire droit saisit du fond du litige le juge d'appel.
Aux termes de l'articles 822 du Code judiciaire, par le désistement d'un acte de procédure, la partie renonce aux effets qui en résultent pour elle. L'article 824 du même code dispose en son alinéa 1er que le désistement peut être exprès ou tacite et en son alinéa 3 que le désistement tacite ne peut être déduit que d'actes ou de faits précis et concordants qui révèlent l'intention certaine de la partie d'abandonner l'instance ou l'action. La renonciation à un droit est en effet de stricte interprétation et ne peut se déduire que de faits ou d'actes qui ne sont pas susceptibles d'une autre interprétation.
En vertu des articles 1082, alinéa 1er, et 1095 du Code judiciaire, la cassation est limitée à la portée du moyen qui en est le fondement. La saisine du juge de renvoi est régie par l'article 1110 du même code. Antérieurement à sa modification par la loi du 6 juillet 2017, ledit article 1110 était rédigé comme suit : « lorsque la cassation est prononcée avec renvoi, celle-ci a lieu devant une juridiction souveraine du même rang que celle qui a rendu la décision attaquée » (alinéa 1er) ; « celle-ci est saisie comme en matière ordinaire » (alinéa 2). En vertu des dispositions précitées, lorsque la cassation est prononcée, et dans la mesure où elle l'est, les parties sont remises dans la situation où elles se trouvaient devant le juge dont la décision a été cassée. Tout ce que ce dernier juge pouvait faire, le juge de renvoi pourra le faire aussi. La cassation d'une décision ne s'étend à aucun des actes de procédure antérieurs au prononcé de la décision annulée, laissant ainsi subsister les conclusions prises par les parties au cours des débats préalables.
Il résulte de la combinaison des principes qui précèdent qu'une fois que le juge d'appel a été saisi d'un appel incident formé par conclusions, celui-ci ne doit pas être réitéré dans le cas où la décision du juge devant lequel il a été formé viendrait à être cassée et que le juge auquel la cause est renvoyée est saisi de l'appel incident du seul fait du renvoi de la cause devant lui. Celui qui a formé un appel incident devant le juge dont la décision a été cassée ne renonce donc pas à cet appel s'il ne le réitère pas devant le juge auquel la cause est renvoyée.
2. De plus, les articles 1082, alinéa 1er, 1095 et 1110, alinéas 1er et 2, du Code judiciaire impliquent que, tant en matière civile qu'en matière répressive, la cassation est édictée sans réserve et que le demandeur qui obtient la cassation ne peut conserver le bénéfice à son profit de l'arrêt attaqué, alors qu'il a obtenu par la cassation tout l'effet que ce recours pouvait produire.
3. Enfin, en vertu des mêmes articles du Code judiciaire, en matière civile, n'est pas, du point de vue de l'étendue de la cassation, un dispositif distinct du dispositif attaqué par le pourvoi, celui qui ne peut être l'objet d'un pourvoi recevable d'aucune des parties à l'instance en cassation.
Premier rameau
4. Par une requête déposée le 24 avril 2006 au greffe de la cour d'appel de Mons, le défendeur a interjeté appel du jugement rendu le 30 juin 2005 par le tribunal de première instance de Mons qui avait annulé les impositions litigieuses, avait condamné le défendeur à restituer à la demanderesse toutes sommes perçues du chef des cotisations annulées et l'avait condamné aux dépens. Par des conclusions déposées le 2 mai 2007 devant cette cour d'appel, la demanderesse a formé un appel incident tendant à entendre « prononcer la nullité des cotisations litigieuses en raison de la violation des règles relatives à la procédure de taxation d'office ».
5. En vertu de la règle inscrite à l'article 1068, alinéa 1er, du Code judiciaire, l'appel incident ainsi formé par la demanderesse a saisi le juge d'appel de la nullité des cotisations litigieuses pour violation des règles relatives à la procédure de taxation d'office. Le juge d'appel devant lequel les conclusions contenant l'appel incident de la demanderesse ont été déposées, savoir la cour d'appel de Mons, restait saisi de cet appel incident tant que la demanderesse ne s'en était pas désistée ou n'y avait pas renoncé. Il en est de même du juge d'appel devant lequel la cause a été renvoyée, savoir la cour d'appel de Bruxelles, après cassation de l'arrêt de la cour d'appel de Mons, et du juge d'appel devant lequel la cause a encore été renvoyée, savoir la cour d'appel de Liège, après cassation de l'arrêt prononcé par la cour d'appel de Bruxelles. Les arrêts de cassation laissaient subsister l'appel incident de la demanderesse, lequel constitue un acte antérieur à la prononciation des décisions annulées.
Dès lors, il n'était pas nécessaire que la demanderesse réitérât son appel incident devant la cour d'appel de Bruxelles ou devant la cour d'appel de Liège pour que celles-ci en fussent saisies.
En décidant que l'appel incident de la demanderesse est irrecevable au motif que celle-ci n'a pas réitéré cet appel devant les cours d'appel de Bruxelles et de Liège, l'arrêt attaqué méconnaît l'effet dévolutif de l'appel incident formé par conclusions devant la cour d'appel de Mons (violation des articles 1054, 1056, 4°, et 1068, alinéa 1er, du Code judiciaire), ainsi que la règle suivant laquelle, lorsque la cassation est prononcée, et dans la mesure où elle l'est, les parties sont remises devant le juge de renvoi dans la situation où elles se trouvaient devant le juge dont a décision a été cassée, que consacrent les articles 1082, alinéa 1er, 1095 et 1110, alinéas 1er et 2, du Code judiciaire (violation de ces dispositions légales relatives à l'effet et à l'étendue de la cassation).
Deuxième rameau
6. Le fait que, avant la prononciation de l'arrêt de la cour d'appel de Liège du 17 janvier 2018 ordonnant la réouverture des débats, la demanderesse n'a pas réitéré l'appel incident qu'elle avait formé devant la cour d'appel de Mons et qui tendait à entendre « prononcer la nullité des cotisations litigieuses en raison de la violation des règles relatives à la procédure de taxation d'office » ne permettait pas au défendeur, qui avait obtenu la cassation sans réserve de l'arrêt de la cour d'appel de Mons, de prétendre conserver à son profit le bénéfice de cet arrêt en tant qu'il avait dit l'appel incident non fondé.
Le défendeur a, sur son pourvoi, obtenu la cassation de l'arrêt de la cour d'appel de Mons au motif que cet arrêt n'avait pas répondu à ses conclusions qui faisaient valoir que la demanderesse était assujettie à l'impôt des sociétés et non à l'impôt des personnes morales. Cette cassation ne laissait subsister aucun motif de cet arrêt au bénéfice du défendeur, et donc pas le motif par lequel cet arrêt a dit l'appel incident de la demanderesse non fondé, savoir le motif que « l'administration fiscale a valablement recouru à la procédure de la taxation d'office pour les exercices d'imposition litigieux ».
De plus, comme l'admet l'arrêt attaqué, la décision de la cour d'appel de Mons de déclarer non fondé l'appel incident de la demanderesse ne constituait pas, du point de vue de l'étendue de la cassation, un dispositif distinct du dispositif attaqué par le pourvoi du défendeur, en sorte que la demanderesse, « dépourvue d'intérêt à agir en cassation, pouvait soumettre à la cour d'appel de renvoi la question de la régularité de la procédure de taxation tranchée par le premier juge ». Il résultait de l'étendue de la cassation de l'arrêt de la cour d'appel de Mons ainsi précisée que la question précitée de la régularité de la procédure de taxation faisait partie de la saisine de la cour d'appel de renvoi, sans qu'il fût nécessaire que l'appel incident fût réitéré devant celle-ci.
7. Si l'arrêt attaqué doit être compris comme signifiant que le motif précité de l'arrêt de la cour d'appel de Mons (« l'administration fiscale a valablement recouru à la procédure de taxation d'office pour les exercices d'imposition litigieux ») subsiste et peut être opposé à la demanderesse à défaut pour celle-ci d'avoir réitéré l'appel incident qu'elle avait formé devant la cour d'appel de Mons, il viole les articles 1082, alinéa 1er, 1095 et 1110, alinéas 1er et 2, du Code judiciaire, relatifs à l'effet et à l'étendue de la cassation.
Troisième rameau
8. L'arrêt attaqué ne constate pas que la demanderesse se serait expressément désistée de l'appel incident qu'elle avait formé par conclusions déposées devant la cour d'appel de Mons. La constatation de l'arrêt attaqué que la demanderesse n'a pas « réitéré » son appel incident dans ses conclusions prises devant les cours d'appel de renvoi successives n'emporte pas la constatation d'un fait révélant l'intention de la demanderesse de se désister de son appel, lequel tendait à entendre « prononcer la nullité des cotisations litigieuses en raison de la violation des règles relatives à la procédure de taxation d'office ».
La non-réitération de l'appel incident dans les conclusions prises devant les cours d'appel de renvoi successives pouvait se justifier tant par les règles relatives à l'effet et à l'étendue de la cassation, comme cela a été expliqué au premier rameau, que par la considération suivante : l'appel principal formé par le défendeur contre la décision du premier juge d'annuler les cotisations litigieuses saisissait le juge d'appel du fond de tout le litige, en vertu de l'article 1068, alinéa 1er, du Code judiciaire ; sans même devoir former d'appel incident, la demanderesse pouvait donc faire valoir tous ses moyens (soit ceux qui avaient déjà été présentés devant le premier juge, soit des moyens différents) à l'appui de sa demande tendant à l'annulation des cotisations litigieuses ou à leur dégrèvement.
9. S'il faut comprendre les motifs de l'arrêt attaqué comme signifiant que, en ne réitérant pas son appel incident précédemment formé, la demanderesse a renoncé aux effets de celui-ci, il viole le principe général du droit suivant lequel la renonciation à un droit est de stricte interprétation et ne peut se déduire que de faits ou d'actes non susceptibles d'une autre interprétation, ainsi que les articles 822, 824, alinéas 1er et 3, relatifs au désistement d'un acte de procédure, et 1068, alinéa 1er, du Code judiciaire, relatif à l'effet dévolutif de l'appel.
Deuxième branche
10. Aux termes de l'article 775, alinéa 1er, du Code judiciaire - applicable en degré d'appel en vertu de l'article 1042 du même code -, si la réouverture des débats est ordonnée, le juge invite les parties à s'échanger et à lui remettre, dans les délais qu'il fixe et sous peine d'être écartées d'office des débats, leurs conclusions sur le moyen ou la défense justifiant celle-ci. Le cas échéant, il fixe le jour et l'heure où les parties seront entendues sur l'objet qu'il détermine.
Suivant l'article 1054, alinéa 1er, du Code judiciaire, dans sa version antérieure à sa modification par la loi du 25 mai 2018, entrée en vigueur le 9 juin 2018, la partie intimée peut former incidemment appel à tout moment contre les parties en cause devant le juge d'appel. Dans sa version modifiée, les mots « à tout moment » ont été supprimés et il a été ajouté un alinéa selon lequel « l'appel incident ne peut être admis que s'il est formé dans les premières conclusions prises par l'intimé après l'appel principal ou incident formé contre lui ». Selon les travaux préparatoires de ladite loi du 25 mai 2018, il faut entendre par « premières conclusions » les « conclusions déposées immédiatement après l'apparition du motif d'appel ».
En vertu des dispositions légales précitées, il n'est pas interdit à une partie de former, après une réouverture des débats, une demande incidente qui n'est pas étrangère à l'objet de celle-ci et de le faire, le cas échéant, au moyen de conclusions contenant un appel incident. Si ces conclusions sont déposées avant le 9 juin 2018, date de l'entrée en vigueur de la loi du 25 mai 2018, il n'est pas nécessaire qu'elles l'aient été immédiatement après l'apparition du motif d'appel.
11. Comme la réouverture des débats ordonnée par l'arrêt du 17 janvier 2018 portait sur la question de la validité de la procédure de taxation d'office, la demanderesse pouvait faire valoir tous ses moyens sur cette question dans des conclusions prises après réouverture des débats, si nécessaire en formant un appel incident pour critiquer la décision du premier juge à cet égard, sans aucune condition si ces conclusions étaient déposées avant le 9 juin 2018.
Dans ses conclusions prises après la réouverture des débats, portant la date du 19 avril 2018, la demanderesse a fait valoir que la procédure de taxation d'office ne pouvait être appliquée car elle avait envoyé sa déclaration remplie sur un formulaire relatif à un autre impôt, ce qui ne pouvait être considéré comme une absence de déclaration, et qu'elle était encore recevable à formuler ce moyen, le cas échéant en formant appel des décisions du premier juge qu'elle n'aurait jusqu'alors pas critiquées. Dans ses conclusions de synthèse après réouverture des débats, le défendeur a demandé à la cour d'appel de déclarer cet appel incident irrecevable.
En faisant droit à cette prétention du défendeur au motif que « [la demanderesse] ne peut [...] étendre [la saisine de la cour d'appel de Liège] par l'introduction d'un appel incident dans le cadre de la réouverture des débats dont l'objet était limité à l'application éventuelle de la jurisprudence de la Cour de cassation [...] pouvant, le cas échéant, entraîner l'annulation des cotisations en cause pour violation de l'article 351 du Code des impôts sur les revenus 1992 ou de l'article 346 de ce code », l'arrêt attaqué méconnaît le droit pour la demanderesse de former, au cours de la réouverture des débats, un appel incident qui n'est pas étranger à l'objet de celle-ci. Partant, l'arrêt attaqué viole les articles 775, alinéa 1er, 1042 et 1054, alinéa 1er, du Code judiciaire.
Troisième branche
12. Il n'était pas nécessaire qu'un appel incident ait été formé, ni a fortiori réitéré, contre la décision du premier juge de ne pas déclarer nulles les cotisations litigieuses pour méconnaissance des règles autorisant le recours à la procédure de taxation d'office figurant à l'article 351 du Code des impôts sur les revenus 1992 pour que le juge d'appel fût saisi de cette question. En effet, l'appel du défendeur contre la décision du premier juge d'annuler les cotisations pour un autre motif, savoir que la demanderesse était soumise à l'impôt des personnes morales et non à l'impôt des sociétés, saisissait le juge d'appel du fond de tout le litige (Code judiciaire, article 1068, alinéa 1er).
S'agissant en plus d'un litige en matière fiscale dans lequel un contribuable demandait au juge d'annuler des impôts, ce qui concerne l'ordre public, le juge d'appel était saisi d'office de la question si les cotisations enrôlées n'étaient pas illégales. Même si, par hypothèse, la demanderesse n'avait plus présenté de moyen à cet égard, l'arrêt attaqué, qui considère que la question de la validité de la procédure de taxation d'office échappait à sa saisine à défaut d'appel incident réitéré de la demanderesse, viole l'article 1068, alinéa 1er, du Code judiciaire et méconnaît en outre le caractère d'ordre public de l'article 351 du Code des impôts sur les revenus 1992, qui énumère les cas où il peut être recouru à cette procédure (violation de cette disposition légale).
III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
Quant à la première branche :
Quant au premier rameau :
Sur la fin de non-recevoir opposée par le défendeur au moyen, en ce rameau, et déduite de ce qu'il ne précise pas en quoi l'arrêt attaqué violerait l'article 1110, alinéa 1er, du Code judiciaire dans la version qu'il invoque :
Le moyen, en ce rameau, soutient qu'en déclarant irrecevable l'appel incident de la demanderesse, qui porte sur la régularité de la procédure de taxation d'office, au motif qu'il n'a été réitéré ni devant la cour d'appel de Bruxelles ni devant la cour d'appel de Liège, statuant l'une et l'autre comme juridiction de renvoi, l'arrêt attaqué méconnaît les limites de la saisine de ces cours d'appel.
Il précise ainsi en quoi serait violé l'article 1110, alinéa 1er, du Code judiciaire, qui est relatif au pouvoir de juridiction du juge auquel une cause est renvoyée après cassation.
La fin de non-recevoir ne peut être accueillie.
Sur le fondement du moyen, en ce rameau :
Lorsqu'elle est prononcée, et dans la mesure où elle l'est, la cassation a pour effet de remettre les parties devant le juge de renvoi dans la situation où elles se trouvaient devant le juge dont la décision a été cassée.
La cassation, qui, en matière civile, ne s'étend pas à des décisions ou des actes antérieurs à la décision cassée, laisse subsister les actes de procédure accomplis par les parties avant cette décision.
L'arrêt attaqué constate que « l'arrêt de la cour d'appel de Mons du 9 septembre 2009 a [...] considéré que ‘l'administration fiscale a valablement recouru à la procédure de taxation d'office pour les exercices d'imposition litigieux' et en a conclu que ‘l'appel incident de [la demanderesse était] non fondé sur ce point' ».
Après avoir rappelé que, par l'arrêt du 2 décembre 2010, la Cour a, sur le pourvoi du défendeur, cassé cet arrêt en accueillant un moyen dirigé contre sa décision de dire non fondé l'appel principal de celui-ci, l'arrêt attaqué observe que, « si, en règle, la cassation est limitée à la portée du moyen qui en est le fondement, le juge de renvoi a le pouvoir de statuer sur une contestation, élevée devant lui, qui a été tranchée par un dispositif de la décision annulée autre que celui qu'attaquait le pourvoi lorsque, du point de vue de l'étendue de la cassation, ce dispositif n'est pas distinct du dispositif attaqué » et déduit de cette règle que la demanderesse « pouvait soumettre à la cour d'appel de renvoi la question de la régularité de la procédure de taxation tranchée par le premier juge ».
En considérant que la demanderesse « n'a pas réitéré son appel incident devant la cour d'appel de Bruxelles, pas plus que devant la cour d'appel de Liège préalablement à l'arrêt de réouverture des débats » rendu par cette dernière le 17 janvier 2018 pour inviter les parties à débattre de la régularité de la procédure de taxation d'office, alors que subsistait l'appel incident dont cette partie avait, suivant ses énonciations, saisi la cour d'appel de Mons, l'arrêt attaqué ne justifie pas légalement sa décision que cette question excède la saisine du juge de renvoi et que l'appel incident de la demanderesse est irrecevable.
Le moyen, en ce rameau, est fondé.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arrêt attaqué ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt cassé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause devant la cour d'appel de Bruxelles, autrement composée que lorsqu'elle a rendu entre les parties l'arrêt du 9 septembre 2014.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Marie-Claire Ernotte, Sabine Geubel, Ariane Jacquemin et Maxime Marchandise, et prononcé en audience publique du quinze octobre deux mille vingt par le président de section Christian Storck, en présence du procureur général André Henkes, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Formation : Chambre 1f - première chambre
Numéro d'arrêt : F.19.0124.F
Date de la décision : 15/10/2020
Type d'affaire : Autres

Analyses

Le juge de renvoi est saisi de l'appel incident après que la décision sur l'appel principal ait été cassée, dès lors que lorsqu'elle est prononcée, et dans la mesure où elle l'est, la cassation a pour effet de remettre les parties devant le juge de renvoi dans la situation où elles se trouvaient devant le juge dont la décision a été cassée et que, en matière civile, elle ne s'étend pas à des décisions ou des actes antérieurs à la décision cassée, mais laisse subsister les actes de procédure accomplis par les parties avant cette décision (1). (1) Voir les concl. du MP.

RENVOI APRES CASSATION - MATIERE CIVILE - Décision sur l'appel principal - Cassation - Juge de renvoi - Saisine - Etendue - Appel incident - Suite


Composition du Tribunal
Président : STORCK CHRISTIAN
Greffier : DE WADRIPONT PATRICIA
Ministère public : HENKES ANDRE
Assesseurs : ERNOTTE MARIE-CLAIRE, GEUBEL SABINE, JACQUEMIN ARIANE, MARCHANDISE MAXIME

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2020-10-15;f.19.0124.f ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award