La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/09/2020 | BELGIQUE | N°C.17.0561.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 25 septembre 2020, C.17.0561.N


N° C.17.0561.N
JACQUO NEW, s.r.l.,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,
contre
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances,
Me Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 9 mai 2017 par la cour d’appel d’Anvers.
Le 18 juin 2020, l’avocat général Johan Van der Fraenen a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Bart Wylleman a fait rapport et l’avocat général Johan Van der Fraenen a été entendu en ses conclu

sions.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie cer...

N° C.17.0561.N
JACQUO NEW, s.r.l.,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,
contre
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances,
Me Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 9 mai 2017 par la cour d’appel d’Anvers.
Le 18 juin 2020, l’avocat général Johan Van der Fraenen a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Bart Wylleman a fait rapport et l’avocat général Johan Van der Fraenen a été entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
1. Dans une procédure fiscale qui donne lieu ou est susceptible de donner lieu à une amende administrative ou à une majoration d’impôt ayant un caractère pénal au sens de l’article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, les garanties qui y sont consacrées doivent être respectées dès l’instant où le contribuable fait l’objet d’une poursuite au sens de cette disposition.
2. Le principe de l’égalité des armes, que renferment tant le droit à un procès équitable, garanti à l’article 6 de la Convention, que le principe général du droit relatif au respect des droits de la défense, requiert que, dans le cadre d’une telle procédure, le contribuable ait, en règle, accès à tous les éléments figurant au dossier fiscal de l’administration, y compris les pièces que l’administration a obtenues en consultant un dossier répressif après autorisation de l’autorité judiciaire compétente.
3. Toutefois, l’administration peut refuser l’accès à ces pièces ou parties de ces pièces si elles sont étrangères aux poursuites fiscales dirigées contre le contribuable. En effet, le droit à un procès équitable et les droits de défense du contribuable ne requièrent pas, en pareil cas, qu’il y ait accès.
4. Si le contribuable estime néanmoins que l’accès à ces pièces est nécessaire à l’exercice de ses droits et rend cette allégation quelque peu plausible, il appartient au juge saisi de la procédure fiscale de statuer à cet égard et, le cas échéant, de sanctionner la violation des droits du contribuable.
5. Par ailleurs, il ne résulte pas du principe précité de l’égalité des armes que la seule circonstance que l’administration ait obtenu des pièces en consultant un dossier répressif après autorisation de l’autorité judiciaire compétente fait naître automatiquement, en faveur du contribuable, un droit d’accès à l’ensemble de ce dossier répressif. Il revient à ce contribuable de démontrer que cet accès est nécessaire à l’exercice de ses droits et de rendre cette allégation quelque peu plausible.
6. Il appartient ensuite au juge saisi de la procédure fiscale de se prononcer sur ce point. Cette appréciation ne requiert pas que le juge prenne connaissance de l’ensemble du dossier répressif. L’accès à un dossier répressif est en effet réglé par des dispositions de procédure pénale et, sauf règles contraires, il revient à l’autorité judiciaire compétente de décider de l’accès à ce dossier. Si le juge saisi de la procédure fiscale estime que le fait de refuser l’accès, en tout ou en partie, au dossier répressif viole les droits du contribuable, il lui appartient d’y donner la suite appropriée dans la procédure fiscale.
7. Les juges d’appel ont constaté que :
- un contrôle limité en matière de taxe sur la valeur ajoutée a été réalisé auprès de la demanderesse ;
- le 23 octobre 2012, le procureur général d’Anvers a autorisé la direction ISI régionale d’Anvers à consulter le dossier répressif portant le numéro de notice AN.45.F1.8362/2009 constitué à charge de la demanderesse et à en prendre copie ;
- à la suite de la consultation de ce dossier, un contrôle a été réalisé en matière de taxe sur la valeur ajoutée pour la période comprise entre le 1er janvier 2006 et le 31 décembre 2011 ;
- selon l’administration, la consultation du dossier répressif a révélé que la facturation de vente de platine effectuée à deux sociétés établies en Espagne et à une société établie à Chypre n’était pas matérialisée par des livraisons aux adresses de facturation ;
- dans un procès-verbal établi le 7 juin 2013, il a été constaté que cette facturation visait à obtenir une exonération de la taxe sur la valeur ajoutée pour des livraisons intracommunautaires sans la moindre preuve de telles livraisons ;
- les livraisons intracommunautaires non prouvées ont été reprises dans le procès-verbal, avec renvoi à différentes constatations figurant au dossier répressif ;
- dans la contrainte, il était réclamé à la demanderesse un montant de 27.495.489,00 euros de taxe sur la valeur ajoutée, ainsi qu’une amende égale à 200 pour cent de ce montant, soit 54.990.970,00 euros.
- après lui avoir, dans un premier temps, refusé la consultation de la partie du dossier fiscal issue du dossier judiciaire (lire : le dossier répressif), le défendeur a reconsidéré sa position et remis au conseil de la demanderesse une copie de toutes les pièces pertinentes contenues dans les procès-verbaux de l’instruction, étant entendu que les parties des procès-verbaux qui concernaient d’autres contribuables et qui, à l’estime de l’administration, étaient sans pertinence pour la situation fiscale de la demanderesse, avaient été expurgées ;
- dans son courrier du 30 août 2013 adressé au conseil de la demanderesse, l’administration a expressément indiqué que les pièces expurgées des procès-verbaux de l’instruction concernaient des personnes et des sociétés qui ne figuraient pas à son procès-verbal, que ces pièces n’étaient donc pas pertinentes pour la taxation à charge de la demanderesse, qu’elle violerait le secret professionnel et son devoir de discrétion en révélant ces pièces et pourrait également causer préjudice à des enquêtes en cours et à la protection de la recherche et de la poursuite de faits punissables.
Les juges d’appel ont considéré que :
- le procès-verbal fait apparaître clairement les pièces sur lesquelles s’appuient les constatations et l’action en recouvrement de la taxe sur la valeur ajoutée ;
- la demanderesse ne peut affirmer ne pas connaître tous les éléments de la taxation ;
- la demanderesse ne rend nullement plausible le fait que les pièces expurgées la concerneraient et ne conteste pas en soi et contredit encore moins les éléments puisés dans le dossier répressif ;
- dès lors que les pièces expurgées ne présentent aucune pertinence pour le dossier fiscal à charge de la demanderesse, la façon d’agir du défendeur n’a pas empêché la demanderesse d’obtenir communication et copie de tous les extraits pertinents des pièces du dossier répressif auxquelles renvoie le procès-verbal du 7 juin 2013 ;
- la légalité de la taxation n’est, en outre, appréciée que sur la base des pièces présentées à la cour d’appel et soumises à la contradiction.
8. En décidant sur ces fondements que les droits de la demanderesse ont été respectés, les juges d’appel ont légalement justifié leur décision.
Le moyen ne peut être accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Eric Dirix, président, et les conseillers Filip Van Volsem, Bart Wylleman, Koenraad Moens et Sven Mosselmans, et prononcé en audience publique du vingt-cinq septembre deux mille vingt par le président de section Eric Dirix, en présence de l’avocat général Johan Van der Fraenen, avec l’assistance du greffier Vanity Vanden Hende.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Marie-Claire Ernotte et transcrite avec l’assistance du greffier Lutgarde Body.


Synthèse
Formation : Chambre 1n - eerste kamer
Numéro d'arrêt : C.17.0561.N
Date de la décision : 25/09/2020
Type d'affaire : Droit fiscal - Droit international public

Analyses

Le principe de l’égalité des armes, que renferment tant le droit à un procès équitable, garanti à l’article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, que le principe général du droit relatif au respect des droits de la défense, requiert que, dans le cadre d’une procédure fiscale donnant lieu ou susceptible de donner lieu à une sanction administrative ayant un caractère pénal, le contribuable ait, en règle, accès à tous les éléments figurant au dossier fiscal de l’administration, y compris les pièces que l’administration a obtenues en consultant un dossier répressif après autorisation de l’autorité judiciaire compétente; l’administration peut toutefois refuser l’accès à ces pièces ou parties de ces pièces si elles sont étrangères aux poursuites fiscales dirigées contre le contribuable (1). (1) Voir les concl. du MP.

DROITS DE LA DEFENSE - MATIERE FISCALE - Dossier fiscal - Pièces obtenues par la consultation d'un dossier répressif - Consultation par le contribuable - Refus - Conditions [notice1]

Si le contribuable estime que l’accès aux pièces ou parties des pièces du dossier fiscal qui sont étrangères aux poursuites fiscales dirigées contre lui est nécessaire à l’exercice de ses droits et rend cette allégation quelque peu plausible, il appartient au juge saisi de la procédure fiscale de statuer à cet égard et, le cas échéant, de sanctionner la violation des droits du contribuable (1). (1) Voir les concl. du MP.

DROITS DE LA DEFENSE - MATIERE FISCALE - Dossier fiscal - Pièces obtenues par la consultation d'un dossier répressif - Consultation par le contribuable - Nécessité - Juge fiscal - Pouvoir d'appréciation [notice2]

Il ne résulte pas du principe de l’égalité des armes que la seule circonstance que l’administration ait obtenu des pièces en consultant un dossier répressif après autorisation de l’autorité judiciaire compétente fait naître automatiquement, en faveur du contribuable, un droit d’accès à l’ensemble de ce dossier répressif; il revient à ce contribuable de démontrer que cet accès est nécessaire à l’exercice de ses droits et de rendre cette allégation quelque peu plausible (1). (1) Voir les concl. du MP.

DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 6 - Article 6, § 1er - Matière fiscale - Dossier fiscal - Pièces obtenues par la consultation d'un dossier répressif - Accès du contribuable à l'ensemble du dossier répressif - Conditions [notice3]

Il appartient au juge saisi de la procédure fiscale de statuer sur l’allégation du contribuable selon laquelle l’accès à l’ensemble du dossier répressif est nécessaire à l’exercice de ses droits; si le juge saisi de la procédure fiscale estime que le fait de refuser l’accès, en tout ou en partie, au dossier répressif viole les droits du contribuable, il lui appartient d’y donner la suite appropriée dans la procédure fiscale (1). (1) Voir les concl. du MP.

DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 6 - Article 6, § 1er - Matière fiscale - Dossier fiscal - Pièces obtenues par la consultation d'un dossier répressif - Accès du contribuable à l'ensemble du dossier répressif - Nécessité - Juge fiscal - Pouvoir d'appréciation [notice4]


Références :

[notice1]

Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 - 04-11-1950 - Art. 6, § 1er - 30 / Lien DB Justel 19501104-30

[notice2]

Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 - 04-11-1950 - Art. 6, § 1er - 30 / Lien DB Justel 19501104-30

[notice3]

Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 - 04-11-1950 - Art. 6, § 1er - 30 / Lien DB Justel 19501104-30

[notice4]

Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 - 04-11-1950 - Art. 6, § 1er - 30 / Lien DB Justel 19501104-30


Composition du Tribunal
Président : DIRIX ERIC
Greffier : VANDEN HENDE VANITY
Ministère public : VAN DER FRAENEN JOHAN
Assesseurs : VAN VOLSEM FILIP, WYLLEMAN BART, MOENS KOENRAAD, MOSSELMANS SVEN

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2020-09-25;c.17.0561.n ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award