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18/09/2020 | BELGIQUE | N°C.20.0104.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 18 septembre 2020, C.20.0104.N


N° C.20.0104.N
1. Joëlle LENIE, avocat,
2. Pieter DEBUCQUOY, avocat,
agissant tous deux en qualité de curateurs à la faillite de la s.c. Bouw & Sloop,
Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,
contre
M. D. C.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 26 novembre 2018 par la cour d’appel de Gand.
Le conseiller Koenraad Moens a fait rapport.
L’avocat général Els Herregodts a conclu.
II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie

certifiée conforme, les demandeurs présentent deux moyens.
III. La décision de la Cour
Sur le premie...

N° C.20.0104.N
1. Joëlle LENIE, avocat,
2. Pieter DEBUCQUOY, avocat,
agissant tous deux en qualité de curateurs à la faillite de la s.c. Bouw & Sloop,
Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,
contre
M. D. C.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 26 novembre 2018 par la cour d’appel de Gand.
Le conseiller Koenraad Moens a fait rapport.
L’avocat général Els Herregodts a conclu.
II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, les demandeurs présentent deux moyens.
III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
Quant à la première branche :
Quant au premier rameau :
1. La mission générale du curateur consiste à réaliser l’actif du failli et à partager le produit obtenu.
Lorsque le curateur agit en justice au nom de la masse, il exerce les droits communs des créanciers.
2. En vertu de l’article 408, alinéa 2, du Code des sociétés, les administrateurs sont solidairement responsables, soit envers la société, soit envers les tiers, de tous dommages et intérêts résultant d’infractions aux dispositions de ce code ou des statuts sociaux.
3. L’article 92, § 1er, alinéa 1er, de ce code prévoit que les gérants ou les administrateurs sont tenus d’établir chaque année des comptes annuels dont la forme et le contenu sont déterminés par le Roi.
Conformément à l’article 92, § 1er, alinéa 2, du même code, les comptes annuels doivent être soumis à l’approbation de l’assemblée générale dans les six mois de la clôture de l’exercice.
L’article 92, § 1er, alinéa 3, précise que, si les comptes annuels n’ont pas été soumis à l’assemblée générale dans ce délai, le dommage subi par les tiers est, sauf preuve contraire, présumé résulter de cette omission.
4. Suivant l’article 98, alinéa 1er, les comptes annuels sont déposés par les administrateurs ou gérants à la Banque nationale de Belgique.
L’article 98, alinéa 2, spécifie que ce dépôt a lieu dans les trente jours de leur approbation et au plus tard sept mois après la date de clôture de l’exercice.
Conformément à l’article 98, alinéa 3, si les comptes annuels n’ont pas été déposés conformément au deuxième alinéa, le dommage subi par les tiers est, sauf preuve contraire, présumé résulter de cette omission.
5. Sur la base des articles 92, § 1er, alinéa 3, et 98, alinéa 3, le dommage subi par les tiers est, sauf preuve contraire, présumé résulter de cette omission. L’administrateur ou le gérant peut renverser cette présomption en rapportant la preuve de l’absence de lien de causalité entre le dommage subi par les tiers et cette omission. Le tiers est ainsi libéré de la charge de la preuve de l’existence de ce lien de causalité.
6. Il ressort de l’arrêt que :
- le défendeur a été administrateur de la s.c. Bouw & Sloop entre le 28 décembre 2007 et le 27 décembre 2010, date de la faillite ;
- le rapport de Me Crivits, mandataire de justice, du 19 octobre 2010 ainsi que le rapport final de l’expert judiciaire établissent que le défendeur a méconnu, à tout le moins respecté tardivement, les articles 92, § 1er, 98, alinéas
1 et 2, et 408, du Code des sociétés ;
- sur la base de l’article 408, alinéa 2, du Code des sociétés, les demandeurs, en qualité de curateur de la s.c. Bouw & Sloop, ont demandé réparation, au nom de la masse, à charge du défendeur pour violation des obligations découlant des articles 92, § 1er, et 98, du Code des sociétés.
7. En considérant que « la violation avérée du Code des sociétés par [le défendeur] ne [suffit] pas, cependant, à conclure à sa responsabilité au sens de l’article 408 du Code des sociétés » du fait que « les curateurs (…) échouent dans la charge de la preuve qui leur incombe de démontrer le lien de causalité entre la faute et le dommage », le juge d’appel n’a pas légalement justifié sa décision.
Le moyen, en ce rameau de cette branche, est fondé.
Quant au second rameau :
8. Le juge d’appel a considéré que « indépendamment de la question de savoir si la réparation de tous les dommages ou des seuls dommages directs et prévisibles peut être réclamée », les demandeurs ne démontrent pas que la violation, par le défendeur, des dispositions du Code des sociétés présente un lien de causalité avec « l’intégralité du passif, qui se chiffre à 162.058,46 euros ».
Ainsi le juge d’appel n’a-t-il pas exclu que le dommage puisse consister dans le passif de la société faillie.
Dans la mesure où il soutient le contraire, le moyen, en ce rameau, repose sur une lecture inexacte de l’arrêt, partant, manque en fait.
9. Lorsque le juge admet l’existence d’une faute et d’un dommage, il ne peut rejeter la demande du préjudicié, au seul motif que ce dernier ne prouve pas l’étendue du dommage. Dans ce cas, il lui appartient d’apprécier la valeur vénale du dommage et de fixer un montant qui lui correspond.
10. Les demandeurs réclamaient au défendeur des dommages-intérêts équivalents au passif de la faillite, soit 162.058,46 euros.
11. En considérant que le dommage n’équivaut pas à l’intégralité du passif, en rejetant, dans son ensemble, la demande des demandeurs et en omettant ainsi de réduire cette demande à la partie du passif correspondant effectivement au dommage, le juge d’appel n’a pas légalement justifié sa décision.
Dans cette mesure, le moyen, en ce rameau, est fondé.
Quant à la seconde branche :
12. En vertu de l’article 409, § 2, du Code des sociétés, l’Office national de sécurité sociale et le curateur peuvent tenir les administrateurs, anciens administrateurs, ainsi que toute personne qui a effectivement détenu le pouvoir de gérer la société comme étant personnellement et solidairement responsables pour la totalité ou une partie des cotisations sociales, majorations, intérêts de retard et de l’indemnité forfaitaire visée à l’article 54ter de l’arrêté royal du 28 novembre 1969 pris en exécution de la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, dus au moment du prononcé de la faillite, s’il est établi qu’une faute grave qu’ils ont commise était à la base de la faillite ou si, au cours de la période de cinq ans qui précède le prononcé de la faillite, les administrateurs, anciens administrateurs, ainsi que toute personne qui a effectivement détenu le pouvoir de gérer la société se sont trouvés dans la situation décrite à l’article 38, § 3octies, 8°, de la loi du 29 juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs salariés.
Sur la base de cette disposition légale, toutes les cotisations sociales dues au moment du prononcé de la faillite peuvent être recouvrées auprès des administrateurs visés.
13. En rejetant la demande des demandeurs fondée sur l’article 409, § 2, du Code des sociétés, au seul motif que « l’importance des cotisations de sécurité sociale prétendument éludées » n’a pas été démontrée et parce que la part de responsabilité du défendeur dans ces cotisations de sécurité sociale éludées a été qualifiée de « très minime », le juge d’appel n’a pas légalement justifié sa décision.
Le moyen, en cette branche, est fondé.
Sur le second moyen :
14. En vertu de l’article 1315 du Code civil, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver et, réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.
L’article 870 du Code judiciaire dispose que chacune des parties a la charge de prouver les faits qu’elle allègue.
Celui qui est tenu à la libération du capital d’une société doit rapporter la preuve qu’il a respecté cette obligation.
L’incertitude ou le doute subsistant après l’administration de la preuve sont en défaveur de celui qui supporte la charge de la preuve.
15. Les demandeurs demandaient la condamnation du défendeur au paiement d’un montant de 5.866,66 euros, majoré de l’intérêt légal, à titre de la libération du capital.
Le juge d’appel a constaté que :
- il ressort des extraits de compte bancaire disponibles que, le 27 février 2008, V. C. a libéré en espèces la somme de 5.400 euros et que M. R. a libéré la même somme le 21 avril 2008 ;
- dès lors que l’expert judiciaire ne disposait pas des extraits de compte bancaire antérieurs au 1er janvier 2008, il n’a pas exclu que le solde de 1.600 euros ait été libéré durant la période comprise entre le 1er octobre 2007 et le 3 janvier 2008, et qu’il a également évoqué la possibilité d’une compensation en compte courant ;
- la manière dont le solde a été libéré demeure incertaine.
En considérant néanmoins que « cette incertitude [joue] en faveur du [défendeur] » et que « les curateurs (…) [supportent] la charge de la preuve », de sorte que « le premier juge a [considéré] à juste titre qu’ils n’ont pas démontré à suffisance que le capital n’a en réalité pas été libéré », le juge d’appel n’a pas légalement justifié sa décision.
Le moyen est fondé.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l’arrêt attaqué ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt cassé ;
Réserve les dépens pour qu’il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause devant la cour d’appel de Bruxelles.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Eric Dirix, président, le président de section Geert Jocqué, les conseillers Bart Wylleman, Koenraad Moens et Sven Mosselmans, et prononcé en audience publique du dix-huit septembre deux mille vingt par le président de section Eric Dirix, en présence de l’avocat général Els Herregodts, avec l’assistance du greffier Vanity Vanden Hende.


Synthèse
Formation : Chambre 1n - eerste kamer
Numéro d'arrêt : C.20.0104.N
Date de la décision : 18/09/2020
Type d'affaire : Droit commercial - Droit civil - Droit de l'insolvabilité

Analyses

En cas de soumission tardive des comptes annuels à l’assemblée générale ou de dépôt tardif des comptes annuels auprès de la Banque nationale de Belgique, le dommage subi par les tiers est, sauf preuve contraire, présumé résulter de cette omission, l’administrateur ou le gérant pouvant renverser cette présomption en rapportant la preuve de l’absence de lien de causalité entre le dommage subi par des tiers et cette omission et le tiers est ainsi libéré de la charge de la preuve de ce lien de causalité.

SOCIETES - SOCIETES COMMERCIALES - Divers - Soumission ou dépôt tardif des comptes annuels - Omission - Dommage subi par des tiers - Lien de causalité - Charge de la preuve [notice1]

Lorsque le juge admet l’existence d’une faute et d’un dommage, il ne peut rejeter la demande du préjudicié, au seul motif que ce dernier ne prouve pas l’étendue du dommage, mais il lui appartient d’apprécier la valeur vénale du dommage et de fixer un montant qui lui correspond.

RESPONSABILITE HORS CONTRAT - DOMMAGE - Généralités - Demande en réparation d'un dommage - Insuffisance de preuves de l'étendue du dommage - Mission du juge [notice2]

Celui qui est tenu à la libération du capital d’une société doit rapporter la preuve qu’il a respecté cette obligation, l’incertitude ou le doute subsistant après l’administration de la preuve sont en défaveur de celui qui supporte la charge de la preuve (1). (1) Cass. 20 mars 2006, RG C.04.0441.N, Pas. 2006, n° 159.

SOCIETES - DIVERS - Libération de capital - Charge de la preuve - Incertitude ou doute persistant - Conséquence [notice3]

La mission générale du curateur consiste à réaliser l’actif du failli et à partager le produit obtenu. Lorsque le curateur agit en justice au nom de la masse, il exerce les droits communs des créanciers (1). (1) Cass. 5 septembre 2013, RG C.12.0445.N, Pas. 2013, n° 424 ; Cass. 24 octobre 2002, RG C.00.0476.N-C.00.0477.N, Pas. 2002, n° 564, avec concl. de M. Dubrulle, avocat général, publiées à leur date dans AC.

FAILLITE ET CONCORDATS - GENERALITES - Curateur - Mission - Droits communs des créanciers

Sur la base de l’article 409, § 2, du Code des sociétés, toutes les cotisations sociales dues au moment du prononcé de la faillite peuvent être recouvrées auprès des administrateurs, anciens administrateurs, ainsi qu’auprès de toute personne qui a effectivement détenu le pouvoir de gérer la société.

FAILLITE ET CONCORDATS - CREANCIERS PRIVILEGIES ET HYPOTHECAIRES - Cotisations sociales - Administrateurs - Répétibilité


Références :

[notice1]

Code des sociétés - 07-05-1999 - Art. 92, § 1er, al. 1er, 2 et 3, 98, al. 1er, 2 et 3, et 408, al. 2 - 69 / No pub 1999A09646

[notice2]

ancien Code Civil - 21-03-1804 - Art. 1382 et 1383 - 30 / No pub 1804032150

[notice3]

ancien Code Civil - 21-03-1804 - Art. 1315 - 30 / No pub 1804032150 ;

Code Judiciaire - 10-10-1967 - Art. 807 - 01 / No pub 1967101052


Composition du Tribunal
Président : DIRIX ERIC
Greffier : VANDEN HENDE VANITY
Ministère public : HERREGODTS ELS
Assesseurs : JOCQUE GEERT, WYLLEMAN BART, MOENS KOENRAAD, MOSSELMANS SVEN

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2020-09-18;c.20.0104.n ?

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