N° C.19.0271.N
1. T. K.,
2. C. K.,
3. P. K.,
4. S. K.,
5. R. P.,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,
contre
G. S.,
Me Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation,
et en présence de
M. P.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 14 mars 2019 par la cour d’appel de Liège.
Le président de section Eric Dirix a fait rapport.
L’avocat général Els Herregodts a conclu.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, les demandeurs présentent un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
1. En vertu de l’article 793, alinéa 1er, du Code des sociétés, tel qu’il s’applique au litige, les associés gérants d’une société agricole assument une responsabilité illimitée pour tous les engagements de la société.
2. Suivant l’article 57, alinéa 4, de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises, tel qu’il s’applique au litige, l’exécution complète du plan [de réorganisation] libère totalement et définitivement le débiteur pour toutes les créances y figurant, à moins que le plan n’en dispose autrement de manière expresse.
L’article 57, alinéa 5, de cette loi prévoit que, sans préjudice des articles 2043bis à 2043octies du Code civil, le plan ne profite ni au codébiteur ni aux personnes ayant constitué des sûretés personnelles.
3. Il suit de l’ensemble de ces dispositions légales que le plan ne profite pas à l’associé gérant d’une société agricole. Cet associé assume en effet une responsabilité illimitée pour les engagements de cette société et, par conséquent, est son codébiteur au sens de l’article 57, alinéa 5, de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises.
4. Contrairement à l’agriculteur qui exerce son activité dans le cadre d’une société, le patrimoine se rapportant à l’activité professionnelle de l’agriculteur-personne physique n’est pas séparé de son patrimoine personnel, ce qui constitue un critère de distinction objectif.
5. Le juge d’appel a considéré que :
- la remise des dettes de la société agricole, accordée sur la base d’un plan de réorganisation homologué, ne se répercute pas simultanément sur le patrimoine de ses associés gérants ;
- cela s’explique par la distinction objective opérée entre le patrimoine de la société, d’une part, et le patrimoine personnel de ses associés gérants tenus pour codébiteurs, d’autre part ;
- pareille situation ne peut être considérée comme discriminatoire, dès lors que, afin de se conformer à l’arrêt n° 24/2013 rendu le 28 février 2013 par la Cour constitutionnelle, le législateur a, par la loi du 27 mai 2013, modifié l’article 3 de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises en ce sens que les agriculteurs-personnes physiques peuvent désormais invoquer dans les mêmes conditions le bénéfice de la loi sur la continuité des entreprises.
En statuant de la sorte, le juge d’appel a légalement justifié sa décision.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
6. En vertu de l’article 26, § 2, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, la juridiction dont la décision est susceptible, selon le cas, d’appel, d’opposition, de pourvoi en cassation ou de recours en annulation au Conseil d’État, n’est pas tenue de poser une question préjudicielle lorsque la loi, le décret ou la règle visée à l’article 134 de la Constitution ne viole manifestement pas une règle ou un article de la Constitution visés au premier paragraphe ou lorsque la juridiction estime que la réponse à la question préjudicielle n’est pas indispensable pour rendre sa décision.
7. Par les motifs contenus dans l’arrêt, le juge d’appel a donné à connaître que les articles 793, alinéa 1er, du Code des sociétés et 57, alinéas 4 et 5, de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises ne violent manifestement pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
8. Eu égard au caractère distinct du patrimoine personnel de l’agriculteur-associé gérant, la continuité de la société agricole n’est pas mise en péril lorsque l’agriculteur-associé gérant est actionné en tant que codébiteur des dettes résiduelles. En conséquence, l’agriculteur qui est associé gérant d’une société agricole et l’agriculteur qui exerce ses activités en tant que personne physique ne se trouvent pas dans une situation de fait comparable.
9. La question préjudicielle proposée concerne des personnes qui ne se trouvent pas dans une situation de fait comparable.
Il n’y a pas lieu de la poser.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi et la demande en déclaration d’arrêt commun ;
Condamne les demandeurs aux dépens.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Eric Dirix, président, les présidents de section Koen Mestdagh et Geert Jocqué, et les conseillers Bart Wylleman et Sven Mosselmans, et prononcé en audience publique du dix-huit juin deux mille vingt par le président de section Eric Dirix, en présence de l’avocat général Els Herregodts, avec l’assistance du greffier Vanity Vanden Hende.