N° S.18.0094.N
1. I.P.,
2. INSTITUT POUR L’ÉGALITÉ DES HOMMES ET DES FEMMES,
Me Johan Verbist et Me Beatrix Vanlerberghe, avocats à la Cour de cassation,
contre
DKV BELGIUM, s.a.,
Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 16 mars 2018 par la cour du travail de Bruxelles.
Le 31 mars 2020, l'avocat général Henri Vanderlinden a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Koen Mestdagh a fait rapport et l’avocat général Henri Vanderlinden a été entendu en ses conclusions.
II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, les demandeurs présentent trois moyens.
III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
Quant à la première branche :
1. En vertu de l’article 774, alinéa 2, du Code judiciaire, le juge doit ordonner la réouverture des débats avant de rejeter la demande en tout ou en partie sur une exception que les parties n'avaient pas invoquée devant lui.
La faculté offerte aux parties par les articles 766, § 1er, alinéa 4, et 767, § 2, du Code judiciaire de déposer des conclusions après que le juge a déclaré la clôture des débats et que le ministère public a donné son avis, porte exclusivement sur le contenu de cet avis et n'emporte aucune dérogation à l'application, par le juge, de l'article 774, alinéa 2, précité.
2. Les juges d'appel se sont ralliés à l'avis du ministère public en ce qu'il considère comme irrecevable l'action en cessation originaire du demandeur à l’égard de personnes non précisées et déclare irrecevable cette action en cessation originaire du demandeur à l'égard de personnes non précisées au motif que le demandeur contourne l'article 34 de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes « en présentant des cas dont [il] a connaissance comme ‘non identifiés’».
3. Il ne ressort pas des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard que l'une des parties ait invoqué pareille exception.
Le moyen, en cette branche, est fondé.
Sur le troisième moyen :
4. En vertu de l’article 23, § 1er, de la loi précitée du 10 mai 2007, en cas de discrimination, la victime peut réclamer une indemnisation de son préjudice en application du droit de la responsabilité contractuelle ou extra-contractuelle. La personne qui a contrevenu à l'interdiction de la discrimination doit verser à la victime une indemnité correspondant, selon le choix de la victime, soit à une somme forfaitaire fixée conformément au paragraphe 2, soit au dommage réellement subi par la victime.
En vertu du paragraphe 2 de l'article 23 précité, les dommages et intérêts forfaitaires visés au paragraphe 1er sont fixés comme suit :
1° hors l'hypothèse visée ci-après, l'indemnisation forfaitaire du préjudice moral subi du fait d'une discrimination est fixée à un montant de 650 euros ; ce montant est porté à 1300 euros dans le cas où le contrevenant ne peut démontrer que le traitement litigieux défavorable ou désavantageux aurait également été adopté en l'absence de discrimination, ou en raison d'autres circonstances, telle la gravité particulière du préjudice moral subi ;
2° si la victime réclame l'indemnisation du préjudice moral et matériel qu'elle a subi du fait d'une discrimination dans le cadre des relations de travail, l'indemnisation forfaitaire pour le dommage matériel et moral équivaut à six mois de rémunération brute, à moins que l'employeur ne démontre que le traitement litigieux défavorable ou désavantageux aurait également été adopté en l'absence de discrimination ; dans cette dernière hypothèse, l'indemnisation forfaitaire pour le préjudice matériel et moral est limitée à trois mois de rémunération brute ; si le préjudice matériel résultant d'une discrimination dans le cadre des relations de travail ou des régimes complémentaires de sécurité sociale peut néanmoins être réparé par le biais de l'application de la sanction de nullité prévue à l'article 20, les dommages et intérêts forfaitaires sont fixés selon les dispositions du point 1°.
Aux termes de l’article 25, § 2, de ladite loi du 10 mai 2007, à la demande de la victime, le président du tribunal peut octroyer à celle-ci l'indemnisation forfaitaire visée à l'article 23, § 2.
Il résulte de ces dispositions que l'indemnisation forfaitaire prévue à l'article 23, § 2, 2°, ne s'applique qu'en cas d’actions intentées contre l'employeur. Dans tous les autres cas, l'indemnisation forfaitaire prévue à l'article 23, § 2, 1°, de la loi du 10 mai 2007 est d'application.
5. L’arrêt constate que la demanderesse est employée par Pentax Ricoh Imaging France depuis juin 2013 et que son employeur a proposé à la demanderesse une assurance hospitalisation auprès de la défenderesse comme composante du paquet salarial.
6. Partant, l’action de la demanderesse n'est pas dirigée contre son employeur. En tant qu’il est déduit de la violation par les juges d’appel de l'article 23, § 2, 2°, de la loi du 10 mai 2007, le moyen ne peut être accueilli.
7. Pour le surplus, l’arrêt répond, par le motif que le président, statuant comme en référé, ne pouvait prononcer l’annulation de la clause contraire, au moyen de défense visé au moyen, qui manque ainsi en fait.
Sur l'étendue de la cassation :
8. L'annulation de la décision relative à l'intervention du demandeur pour des personnes non identifiées entraîne l'annulation de la décision relative à la demande d'affichage et de publication de l'arrêt, en raison du lien que l'arrêt établit entre ces décisions.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l’arrêt attaqué en tant qu’il déclare irrecevable l'intervention du demandeur pour des personnes non identifiées, qu’il statue sur l’action en affichage et publication de l'arrêt et se prononce sur les dépens ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt partiellement cassé ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Réserve les dépens pour qu’il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour du travail de Gand.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, les présidents de section Koen Mestdagh et Mireille Delange, les conseillers Antoine Lievens et Eric de Formanoir, et prononcé en audience publique du onze mai deux mille vingt par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Henri Vanderlinden, avec l’assistance du greffier Mike Van Beneden.
Traduction établie sous le contrôle du président de section Mireille Delange et transcrite avec l’assistance du greffier Lutgarde Body.