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12/03/2020 | BELGIQUE | N°C.18.0383.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 12 mars 2020, C.18.0383.N


N° C.18.0383.N
ÉTAT BELGE, représenté par le vice-premier ministre et ministre de la Sécurité et de l’Intérieur,
Me Martin Lebbe, avocat à la Cour de cassation,
contre
VILLE DE GAND, représentée par le collège des bourgmestre et échevins,
Me Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 13 décembre 2017 par la cour d’appel de Bruxelles.
Le 17 décembre 2019, le premier avocat général Ria Mortier a déposé des conclusions au greffe.
Le conse

iller Geert Jocqué a fait rapport et le premier avocat général Ria Mortier a été entendu en ses conclu...

N° C.18.0383.N
ÉTAT BELGE, représenté par le vice-premier ministre et ministre de la Sécurité et de l’Intérieur,
Me Martin Lebbe, avocat à la Cour de cassation,
contre
VILLE DE GAND, représentée par le collège des bourgmestre et échevins,
Me Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 13 décembre 2017 par la cour d’appel de Bruxelles.
Le 17 décembre 2019, le premier avocat général Ria Mortier a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Geert Jocqué a fait rapport et le premier avocat général Ria Mortier a été entendu en ses conclusions.
II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente deux moyens.
III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
Quant à la septième branche :
1. Aucune disposition constitutionnelle ou légale ni aucun principe général du droit ne dispensent le pouvoir exécutif, lors de l’exercice de ses compétences, de l’obligation, qui découle des articles 1382 et 1383 du Code civil, de réparer le dommage causé à autrui par sa faute.
Ce principe est également applicable lorsqu’il est reproché au pouvoir exécutif un défaut de diligence, notamment pour avoir négligé d’agir dans un délai raisonnable.
2. Il s’ensuit que le pouvoir judiciaire est compétent pour condamner le pouvoir exécutif à réparer le dommage subi par un tiers ensuite de son défaut de diligence, sans toutefois l’entraver dans ses choix politiques et sans se substituer à lui.
Le pouvoir judiciaire doit ainsi respecter la liberté d’appréciation du pouvoir exécutif qui doit pouvoir décider lui-même de la manière dont il exerce sa compétence et de la solution qui lui paraît la plus appropriée dans les limites fixées par la loi.
3. En vertu de l’article 67 de la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile, le personnel communal en service dans les zones de secours est financé, entre autres, par les dotations des communes de la zone et les dotations fédérales. Aussi longtemps que le ratio entre les moyens des autorités communales et fédérale prévus en application de cette loi n’est pas égal à un, les communes d’une zone ne devront pas, ensemble, contribuer davantage en termes réels que leur apport actuel. Le Roi détermine, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, après avoir entendu les représentants des villes et communes, ce ratio au 31 décembre 2007 ainsi que les postes des revenus et des dépenses qui entrent en ligne de compte pour calculer ce ratio.
Conformément à l’article 69 de cette loi, le Roi détermine, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, les modalités pour la fixation et le versement de la dotation fédérale, qui est payée au moins par douzième.
Selon l’article 71 de la même loi, l’arrêté royal visé à l’article 67 est confirmé par une loi au plus tard dans les six mois de son entrée en vigueur. À défaut de confirmation dans ce délai, il cesse de produire ses effets.
4. En vertu de l’article 206 de la loi précitée du 15 mai 2007, dans sa version d’origine, le personnel communal en service dans les centres du système d’appel unifié devient, à la date d’entrée en service des zones, telle que fixée à l’article 220, du personnel fédéral au sein de l’administration compétente et est soumis, sans préjudice de l’article 207, au statut, arrêté par le Roi, par arrêté délibéré en Conseil des ministres.
En vertu de l’article 224, alinéa 2, de cette loi, l’article 206 précité devait entrer en vigueur dix jours après la publication au Moniteur belge de l’arrêté royal qui constate que les conditions de l’entrée en vigueur des zones de secours visées à l’article 220 sont remplies.
5. L’article 220 de la même loi prévoit que les services d’incendie sont intégrés au sein des postes d’incendie et de secours, lorsque le Roi constate qu’il a été satisfait aux conditions suivantes : 1°) la circonscription territoriale de la zone a été fixée ; 2°) l’effectif et le matériel minimum de la zone ont été déterminés ; 3°) la dotation fédérale de la zone a été fixée ; 4°) les dotations des diverses communes de la zone ont été inscrites dans les budgets communaux.
6. L’article 224, alinéa 2, de ladite loi a été modifié par l’article 156 de la loi du 24 juillet 2008 portant des dispositions diverses (I) en sorte que l’article 206 précité n’entrerait plus en vigueur dix jours après la publication au Moniteur belge de l’arrêté royal créant les zones de secours, mais à une date à fixer par le Roi.
7. L’article 206, dans sa version d’origine, a été remplacé dans son intégralité par l’article 61 de la loi du 28 avril 2010 portant des dispositions diverses, qui prévoit, pour le personnel communal statutaire et contractuel en service dans les centres du système d’appel unifié, respectivement un détachement auprès du Service public fédéral Intérieur ou une mise à la disposition de ce Service public fédéral pendant un an, à partir d’une date à fixer par le Roi. À l’issue de cette période, ces membres du personnel étaient nommés en tant que membres du personnel statutaire du Service public fédéral Intérieur ou se voyaient offrir un contrat de travail avec ce Service public fédéral.
8. Le nouvel article 206 a reçu exécution par un arrêté royal du 12 octobre 2011 portant le transfert, par détachement ou par mise à disposition, des membres du personnel en service dans les centres du système d’appel unifié vers le Service public fédéral Intérieur.
Le détachement des membres du personnel concernés est intervenu le 1er novembre 2011.
9. Ni les dispositions légales précitées ni aucune autre disposition légale ou réglementaire ne prévoient un délai dans lequel le pouvoir exécutif doit exécuter les missions qui lui sont déférées par les articles précités. Le pouvoir exécutif dispose ainsi d’une liberté d’appréciation étendue.
Il s’ensuit que le défaut d’exécution ou l’exécution tardive des dispositions légales précitées ne constituent une faute du pouvoir exécutif que lorsqu’il apparaît, à la lumière de toutes les circonstances de l’espèce, qu’il n’a manifestement pas agi dans un délai raisonnable.
Si le juge apprécie souverainement en fait si le délai raisonnable a manifestement été dépassé, il revient toutefois à la Cour de vérifier s’il n’apparait pas des constatations et énonciations de la décision attaquée que celle-ci aurait méconnu le principe général du droit de la séparation des pouvoirs.
10. Le juge d’appel a considéré que les arrêtés royaux pris en exécution des articles 67, 69 et 220, lus conjointement avec l’article 206 de la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile, dans sa version d’origine, ne l’ont pas été dans un délai raisonnable et que l’exécution, par l’arrêté royal du 12 octobre 2011, du nouvel article 206 est également tardive.
Dans son appréciation du délai raisonnable, le juge d’appel a omis de tenir compte de divers éléments invoqués par le demandeur, à savoir (1) la complexité de l’exécution de la loi du 15 mai 2007, qui devait se dérouler en plusieurs phases ; (2) la longue période d’affaires courantes après les élections du 10 juin 2007 ; et (3) l’inquiétude apparue parmi le personnel communal en service dans les centres du système d’appel unifié du fait de la version d’origine de l’article 206, qui a conduit le législateur à modifier cet article par la loi du 28 avril 2010. Le juge d’appel a considéré que ces éléments expliquent le retard mais ne le justifient pas.
En statuant de la sorte, le juge d’appel a limité la liberté du pouvoir exécutif dans la conduite de sa politique et a méconnu le principe général du droit de la séparation des pouvoirs.
Le moyen, en cette branche, est fondé.
[…]
Sur les autres griefs :
14. Les autres griefs ne sauraient entraîner une cassation plus étendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l’arrêt attaqué, sauf en tant qu’il reçoit l’appel ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt partiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu’il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d’appel de Gand.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Eric Dirix, président, les conseillers Geert Jocqué,
Bart Wylleman, Koenraad Moens et Ilse Couwenberg, et prononcé en audience publique du douze mars deux mille vingt par le président de section Eric Dirix, en présence du premier avocat général Ria Mortier, avec l’assistance du greffier Vanity Vanden Hende.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Sabine Geubel et transcrite avec l’assistance du greffier Lutgarde Body.


Synthèse
Formation : Chambre 1n - eerste kamer
Numéro d'arrêt : C.18.0383.N
Date de la décision : 12/03/2020
Type d'affaire : Droit constitutionnel - Droit civil - Autres

Analyses

Aucune disposition constitutionnelle ou légale ni aucun principe général du droit ne dispensent le pouvoir exécutif, lors de l'exercice de ses compétences, de l'obligation de réparer le dommage causé à autrui par son défaut de diligence, notamment pour avoir négligé d'agir dans un délai raisonnable (1). (1) Voir les concl. « dit en substance » du MP.

POUVOIRS - POUVOIR EXECUTIF - Exercice de ses compétences - Faute - Défaut de diligence - Conséquence - RESPONSABILITE HORS CONTRAT - FAIT - Faute - Pouvoir exécutif - Exercice de ses compétences - Faute - Défaut de diligence - Conséquence [notice1]

Le pouvoir judiciaire, qui est compétent pour condamner le pouvoir exécutif à réparer le dommage résultant de son défaut de diligence, doit respecter la liberté d’appréciation du pouvoir exécutif qui doit pouvoir décider de la manière dont il exerce des compétences et la solution qui lui paraît la plus appropriée dans les limites fixées par la loi (1). (1) Voir les concl. « dite en substance » du MP.

POUVOIRS - POUVOIR JUDICIAIRE - Défaut de diligence du pouvoir exécutif - Condamnation à des dommages et intérêts - Appréciation - Limites [notice3]

Lorsqu'aucune disposition légale ou réglementaire ne prévoit de délai dans lequel le pouvoir exécutif doit donner exécution aux missions qui lui sont imposées, celui-ci dispose d'une liberté d'appréciation étendue et le défaut d'exécution ou l'exécution tardive de ces dispositions légales ne constituent une faute que lorsqu'il apparaît, à la lumière de toutes les circonstances, que le pouvoir exécutif n'a manifestement pas agi dans un délai raisonnable (1). (1) Voir les concl. « dit en substance » du MP.

POUVOIRS - POUVOIR EXECUTIF - Exercice de ses compétences - Missions imposées - Absence de délai légal ou réglementaire - Défaut d'exécution ou exécution tardive - Conséquence [notice4]

Le juge apprécie souverainement en fait si le délai raisonnable a manifestement été dépassé, à la suite de quoi la Cour vérifie s'il n’apparaît pas de ces constatations et énonciations que le juge aurait méconnu le principe général du droit de la séparation des pouvoirs (1). (1) Voir les concl. « dit en substance » du MP.

CASSATION - DE LA COMPETENCE DE LA COUR DE CASSATION - Généralités - Délai raisonnable - Dépassement manifeste - Appréciation par le juge du fond - Mission de la Cour [notice5]


Références :

[notice1]

ancien Code Civil - 21-03-1804 - Art. 1382 et 1383 - 30 / No pub 1804032150

[notice3]

ancien Code Civil - 21-03-1804 - Art. 1382 et 1383 - 30 / No pub 1804032150

[notice4]

ancien Code Civil - 21-03-1804 - Art. 1382 et 1383 - 30 / No pub 1804032150

[notice5]

Principe général du droit de la séparation des pouvoirs


Composition du Tribunal
Président : DIRIX ERIC
Greffier : VANDEN HENDE VANITY
Ministère public : MORTIER RIA
Assesseurs : WYLLEMAN BART, MOENS KOENRAAD, JOCQUE GEERT

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2020-03-12;c.18.0383.n ?

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