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20/02/2020 | BELGIQUE | N°C.18.0572.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 20 février 2020, C.18.0572.N


N° C.18.0572.N
VILLE DE GENK,
Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,
contre
ÉTAT BELGE,
Me Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 13 juin 2017 par la cour d'appel de Bruxelles dans les causes jointes inscrites au rôle général de cette juridiction sous les numéros 2014/AR/1515 et 2014/AR/1626.
Le 19 novembre 2019, le premier avocat général Ria Mortier a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Koenraad Moens a fait rapport et le premier a

vocat général Ria Mortier a été entendu en ses conclusions.
II. Les moyens de cassation
D...

N° C.18.0572.N
VILLE DE GENK,
Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,
contre
ÉTAT BELGE,
Me Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 13 juin 2017 par la cour d'appel de Bruxelles dans les causes jointes inscrites au rôle général de cette juridiction sous les numéros 2014/AR/1515 et 2014/AR/1626.
Le 19 novembre 2019, le premier avocat général Ria Mortier a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Koenraad Moens a fait rapport et le premier avocat général Ria Mortier a été entendu en ses conclusions.
II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente deux moyens.
III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
Quant à la seconde branche :
1. Selon une jurisprudence constante de la Cour européenne de justice de l'Union européenne, « en l'absence d'une réglementation communautaire en la matière, il appartient à l'ordre juridique interne de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l'effet direct du droit communautaire ». Le principe d'effectivité, prévu à l'article 4, alinéa 3, du traité sur l'Union européenne, requiert cependant que ces modalités « ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union » (voir C.J.U.E., arrêt Iaia et crts., 19 mai 2011, C-452/09, point 16 ; C.J.U.E., arrêt Q-Beef S.A. c. État belge et Frans Bosschaert c. État belge, 8 septembre 2011, affaires jointes C-89/10 et C-96/10, point 32).
2. Dans son arrêt Q-Beef S.A. c. État belge et F. B. c. État belge du 8 septembre 2011, affaires jointes C-89/10 et C-96/10, la Cour de justice de l'Union européenne a considéré que « le droit de l'Union ne s'oppose pas à une réglementation nationale qui, dans des circonstances telles que celles au principal, octroie à un particulier un délai plus long pour obtenir la récupération de taxes auprès d'un autre particulier intervenu en qualité d'intermédiaire, auquel il les a indûment versées et qui les a acquittées pour le compte du premier au bénéfice de l'État, alors que, s'il avait versé ces taxes directement à l'État, l'action de ce particulier aurait été enfermée dans un délai de répétition plus court, dérogatoire au régime de droit commun de l'action en répétition de l'indu, dès lors que les particuliers agissant en tant qu'intermédiaires peuvent effectivement réclamer à l'État les montants éventuellement acquittés au bénéfice d'autres particuliers » (point 45).
La Cour de justice de l'Union européenne a jugé que « En revanche, le principe d'effectivité serait méconnu dans l'hypothèse dans laquelle [les particuliers agissant en tant qu'intermédiaires] n'auraient eu ni le droit d'obtenir le remboursement de la taxe concernée pendant le délai de répétition plus court ni, à la suite d'une action en répétition de l'indu engagée postérieurement à l'expiration dudit délai par [un particulier] contre [ces intermédiaires], la possibilité de se retourner contre l'État, de sorte que les conséquences des paiements indus des taxes imputables à l'État seraient uniquement supportées par ces sociétés intermédiaires » (point 43).
La Cour de justice de l'Union européenne a indiqué que « selon la juridiction de renvoi, si [les particuliers agissant en tant qu'intermédiaires] étaient condamnés à rembourser [au particulier] les cotisations qu'ils ont indûment perçues, ils pourraient récupérer ces sommes auprès de l'État, en engageant non pas une action en remboursement à l'encontre de ce dernier, une telle action étant déjà prescrite en vertu du délai spécifique de forclusion de cinq ans, mais une action en garantie portant sur une obligation personnelle [en application de l'article 2257, alinéa 3, du Code civil] » (point 44).
3. Il suit ainsi manifestement de la jurisprudence de la Cour de justice que le principe d'effectivité requiert qu'un intermédiaire qui a acquitté, pour le compte d'un particulier, une taxe prélevée en violation du droit de l'Union au bénéfice de l'État, doit encore pouvoir se retourner contre l'État lorsqu'il est poursuivi en justice par le particulier en vue du remboursement de sommes perçues indûment et que le délai spécifique de forclusion dans lequel il peut engager une action personnelle en répétition contre l'État a expiré. L'État est en effet tenu de supporter lui-même les conséquences du paiement indu qui lui sont imputables.
4. Le juge d'appel a tout d'abord constaté que le marchand de bétail a demandé à la demanderesse le remboursement de ce qu'il lui avait indûment payé et que la demanderesse a formé une action en garantie contre l'État, le défendeur.
Il a ensuite constaté et considéré que :
- l'article 2257, alinéa 3, du Code civil concerne en premier lieu l'action de l'acquéreur contre le vendeur par laquelle le vendeur est obligé de garantir l'acquéreur de l'éviction ;
- cette règle peut être étendue à d'autres actions en garantie d'un contractant contre son cocontractant ;
- l'on ne se trouve dans aucun de ces cas, étant donné que l'action de la demanderesse contre le défendeur n'est pas une action fondée sur une obligation de garantie contre les dommages, à laquelle le défendeur s'est obligé envers la demanderesse, mais une action en répétition de ce que la demanderesse a indûment payé au défendeur ;
- l'action en répétition de l'indu de la demanderesse contre le défendeur n'est pas née au moment des revendications du marchand de bétail à l'encontre de la demanderesse, mais au moment où le paiement a été effectué ;
- le fait que la demanderesse n'ait introduit l'action qu'après avoir été actionnée par le marchand de bétail et que sa demande tende à la garantie par le défendeur au sens général du mot est sans incidence à cet égard ;
- l'action de la demanderesse contre le défendeur se prescrit par cinq ans, en application de l'article 100, alinéa 1er, 1°, des lois coordonnées sur la comptabilité de l'État ;
- le point de départ de ce délai particulier de prescription est le premier janvier de l'année budgétaire du paiement effectué par la demanderesse au défendeur, à savoir 1998 ;
- l'action en répétition de l'indu, relative à un paiement effectué par la demanderesse en 1998, était prescrite le 31 décembre 2002 ;
- la demanderesse a introduit une action en garantie contre le défendeur, par conclusions déposées en première instance le 3 mars 2014 ;
- la demanderesse fait encore mention de conclusions du 16 mars 2009 par lesquelles elle aurait introduit l'action en garantie, mais ces conclusions aussi auraient, bien évidemment, été prises après l'expiration du délai de prescription ;
- l'action de la demanderesse contre le défendeur est prescrite.
5. Par ces constatations et considérations, le juge d'appel a décidé que la demanderesse, un intermédiaire ayant acquitté, pour le compte d'un particulier, le marchand de bétail, une taxe prélevée en violation du droit de l'Union au bénéfice de l'État, ne peut plus se retourner contre l'État lorsque la demanderesse est poursuivie en justice par le marchand de bétail en vue du remboursement de la taxe indûment perçue et que le délai spécifique de forclusion dans lequel la demanderesse peut engager une action personnelle en répétition contre l'État a expiré. Ainsi, les conséquences, imputables au défendeur, des paiements indus des taxes sont supportées uniquement par la demanderesse.
Ce faisant, le juge d'appel a violé le principe d'effectivité en vigueur dans le droit de l'Union européenne, tel qu'il est consacré par l'article 4, paragraphe 3, du Traité sur l'Union européenne.
Le moyen, en cette branche, est fondé.
Sur les autres griefs :
6. Les autres griefs ne sauraient entraîner une cassation plus étendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur l'action en garantie formée par la demanderesse contre le défendeur et sur les dépens y afférents ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel d'Anvers.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Eric Dirix, président, le président de section Koen Mestdagh, les conseillers Geert Jocqué, Bart Wylleman et Koenraad Moens, et prononcé en audience publique du vingt février deux mille vingt par le président de section Eric Dirix, en présence du premier avocat général Ria Mortier, avec l'assistance du greffier Vanity Vanden Hende.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Michel Lemal et transcrite avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.


Synthèse
Formation : Chambre 1n - eerste kamer
Numéro d'arrêt : C.18.0572.N
Date de la décision : 20/02/2020
Type d'affaire : Droit européen - Droit civil - Autres

Analyses

Le principe d'effectivité requiert qu'un intermédiaire qui a acquitté, pour le compte d'un particulier, une taxe prélevée en violation du droit de l'Union au bénéfice de l'État, doit encore pouvoir se retourner contre l'État lorsqu'il est poursuivi en justice par le particulier en vue du remboursement des cotisations perçues indûment et que le délai spécifique de forclusion dans lequel il peut engager une action personnelle en répétition contre l'État a expiré, dès lors que l'État doit supporter lui-même les conséquences, qui lui sont imputables, du paiement indu (1). (1) Voir les concl. du MP publiées à leur date dans AC.

UNION EUROPEENNE - DROIT MATERIEL - Principes - Principe d'effectivité - Taxe payée par un intermédiaire en qualité de particulier - Taxe contraire au droit de l'Union - Action en répétition contre l'Etat belge - Conditions - PRESCRIPTION - MATIERE CIVILE - Délais (Nature. Durée. Point de départ. Fin) - Taxe payée par un intermédiaire en qualité de particulier - Taxe contraire au droit de l'Union - Action en répétition contre l'Etat belge - Expiration du délai spécifique de forclusion - Conséquence - DEMANDE EN JUSTICE [notice1]


Références :

[notice1]

Traité ou Convention internationale - 13-12-2007 - Art. 4, al. 3 - 56 / Lien DB Justel 20071213-56


Composition du Tribunal
Président : DIRIX ERIC
Greffier : VANDEN HENDE VANITY
Ministère public : MORTIER RIA
Assesseurs : MESTDAGH KOEN, WYLLEMAN BART, MOENS KOENRAAD, JOCQUE GEERT

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2020-02-20;c.18.0572.n ?

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