Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° F.18.0054.F
VILLE DE LIÈGE, représentée par son collège communal, dont les bureaux sont établis à Liège, en l'hôtel de ville, place du Marché, 2,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile,
contre
HÔTELLERIE L., société privée à responsabilité limitée,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Daniel Garabedian, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Bonté, 5, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 5 décembre 2017 par la cour d'appel de Liège.
Le 13 janvier 2020, le procureur général André Henkes a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Sabine Geubel a fait rapport et l'avocat général Jean Marie Genicot a été entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
Dans la mesure où il est pris de la violation de l'article 149 de la Constitution, le moyen ne précise pas en quoi consiste l'irrégularité de la motivation qu'il reproche à l'arrêt.
Pour le surplus, la règle de l'égalité des Belges devant la loi contenue dans l'article 10 de la Constitution, celle de la non-discrimination dans la jouissance des droits et libertés reconnus aux Belges inscrite dans l'article 11 de la Constitution ainsi que celle de l'égalité devant l'impôt exprimée dans l'article 172 de la Constitution impliquent que tous ceux qui se trouvent dans la même situation soient traités de la même manière mais n'excluent pas qu'une distinction soit faite entre différentes catégories de personnes pour autant que le critère de distinction soit susceptible de justification objective et raisonnable ; l'existence d'une telle justification doit s'apprécier par rapport au but et aux effets de la mesure prise ou de l'impôt instauré ; le principe d'égalité est également violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
Si, par essence, les exonérations prévues par un règlement-taxe poursuivent un objectif distinct du but financier propre à toute taxe, en sorte que la justification de leur caractère non discriminatoire doit s'apprécier en fonction de cet objectif, et si celui-ci est révélé par la nature et les caractéristiques communes des faits ou actes exonérés, c'est à la condition que ces exonérations ne soient pas à ce point indissociables des autres dispositions du règlement que leur annulation commanderait celle du règlement en son intégralité.
L'arrêt constate, par référence à l'exposé des faits du premier juge, qu'au sens de l'article 2, 3°, du règlement-taxe litigieux, l'hôtel dont l'exploitation est frappée par la taxe est un établissement : a) soit ayant la qualité d'« hôtelier » visé au décret du 18 décembre 2003 relatif aux établissements d'hébergement touristique, classé par le commissariat général au tourisme lorsque ce dernier octroie l'autorisation d'utiliser une dénomination comme hôtel, appart-hôtel, hostellerie, motel, auberge, pension, relais, etc. ; b) soit fournissant un hébergement payant, dans des chambres ou appartements, destinés à cet effet, de manière permanente ou occasionnelle et de service de type hôtelier ; c) soit proposant la location de chambres par fraction de journée à des personnes qui n'y logent pas.
Il ajoute, par des motifs propres, qu'en vertu de l'article 3 de ce règlement, ne tombent pas sous l'application de la taxe : 1° le pensionnat ou l'internat dépendant directement d'un établissement d'instruction publique ou subventionné par les pouvoirs publics ; 2° l'auberge de jeunesse ou autre établissement similaire reconnu ; 3° la maison visée au décret du 12 février 2004 relatif à l'accueil, l'hébergement et l'accompagnement des personnes en difficultés sociales ; 4° l'association sans but lucratif relevant exclusivement du secteur non-marchand pour autant qu'elle ne soit pas soumise à l'impôt des sociétés ; 5° l'hôpital et la clinique ; 6° la maison de repos et la maison de repos et de soins.
Il précise qu'« en son préambule, le règlement-taxe est exclusivement motivé par référence à la situation financière de la [demanderesse] » et que le « document intitulé ‘Précis pour le collège, la commission et le conseil' qui a précédé l'adoption du règlement-taxe [...] confirme que la taxe revêt un caractère budgétaire, tendant à permettre à la [demanderesse] d'obtenir davantage de recettes pour financer ses dépenses d'intérêt général » et « renforce [...] la motivation exclusivement financière de la taxe litigieuse ».
À propos des auberges de jeunesse visées à l'article 3, 2°, précité, l'arrêt considère qu'« il n'est pas contesté que ce type d'établissement, fût-il agréé par la Communauté française, réclame un prix aux occupants des chambres habilités à y séjourner [et] propose des services analogues à ceux de l'hôtellerie contre rémunération, ce qui le place en concurrence directe avec les hôtels des plus basses catégories qui, eux, sont soumis à la taxe ».
Dès lors qu'il ressort de ces énonciations non critiquées que le champ d'application du règlement-taxe vise toute activité hôtelière et que, partant, en ce qu'il a trait aux auberges de jeunesse, l'article 3 de ce règlement est indissociable de ses autres dispositions, l'arrêt justifie légalement sa décision que le caractère objectif et raisonnable de la justification de l'exemption prévue en faveur des auberges de jeunesse doit s'apprécier au regard du but assigné à la taxe et que, partant, eu égard au « seul motif financier » du règlement-taxe, la différence de traitement dénoncée est contraire aux articles 10, 11 et 172 de la Constitution, « [le] critère de distinction fondé sur l'absence de but de
lucre des établissements exonérés n'[étant] pas pertinent [pour] les auberges de jeunesse ».
La violation prétendue de l'article 159 de la Constitution est, pour le surplus, tout entière déduite de celle, vainement alléguée, des dispositions précitées.
Le moyen ne peut être accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de cinq cent trente euros vingt-neuf centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt euros au profit du Fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Michel Lemal, Sabine Geubel, Maxime Marchandise et Marielle Moris, et prononcé en audience publique du trente et un janvier deux mille vingt par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Jean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.