N° C.01.0232.F
M. J.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Philippe Gérard, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 523, où il est fait élection de domicile,
contre
M. M.-J.,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue Brederode, 13, où il est fait élection de domicile.
La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 10 janvier 2001 par le tribunal de première instance de Huy, statuant en degré d'appel.
La procédure devant la Cour
Le conseiller Christian Storck a fait rapport.
L'avocat général André Henkes a conclu.
Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
Articles 1er, 3 à 6, 9 et 11 de la loi du 29 août 1988 relative au régime successoral des exploitations agricoles en vue d'en promouvoir la continuité.
Décisions et motifs critiqués
Le jugement attaqué dit l'appel de la défenderesse recevable et fondé et, partant, déclare non fondée la demande originaire du demandeur tendant à l'exercice du droit de reprise, prévu par l'article 1er de la loi du 29 août 1988 relative au régime successoral des exploitations agricoles en vue d'en promouvoir la continuité, sur les terres agricoles et le bâtiment de ferme se trouvant dans la succession de la mère des parties, aux motifs que " la loi du 29 août 1988 prévoit, en son article 1er, que, sous réserve des droits du conjoint survivant, chacun des héritiers en ligne directe a la faculté, lorsqu'une succession comprend pour la totalité ou pour une quotité une exploitation agricole, de reprendre les biens meubles et immeubles qui constituent l'exploitation agricole ; que la loi définit l'exploitation agricole comme étant l'ensemble des meubles et immeubles affectés à toute activité, liée ou non au sol, qui a trait aux grandes cultures, à l'élevage du bétail (...) ; qu'il n'est pas contesté que (le demandeur) dispose d'une exploitation agricole mais que le problème est de savoir si la succession comprend au moins une quotité d'exploitation agricole ; que la succession du père étant ouverte avant l'entrée en vigueur de la loi, il ne peut s'agir ici que de la succession de la mère ; que, pour (la défenderesse), les parents ont cédé leur exploitation en 1964 et celle-ci ne se retrouve plus dans leur succession : il n'y a plus qu'une indivision sur des terres de culture affectées d'un bail en faveur (du demandeur) ; que, pour celui-ci, il n'est pas question d'une exploitation limitée à celle qui existe au moment du décès du de cujus mais d'un ensemble de meubles et d'immeubles affectés à une entreprise agricole, la loi distinguant d'ailleurs l'héritier qui collabore de celui qui exploite, ce qui indiquerait que l'auteur ne serait plus obligé d'exploiter si l'héritier exploite seul les biens ; qu'il convient de se référer aux termes de la loi ; que celle-ci précise que la succession doit contenir au moins une part d'exploitation agricole ; que, dès lors, il ne suffit pas d'invoquer l'existence, dans la succession, d'éléments d'une ferme, en l'occurrence
de terres ; que l'exploitation s'entend clairement de celle qui existe dans le chef de l'auteur qui serait resté propriétaire de l'exploitation jusqu'à son décès, même s'il n'exploite plus réellement lui-même, mais par son fils, par exemple, tout en y restant intéressé ; que l'objection (du demandeur) selon laquelle dans l'ordre de préférence prévu par la loi pour l'exercice de la reprise est visé l'héritier qui exploite seul la totalité de l'exploitation est inexacte et ajoute une condition au texte qui n'évoque pas une exploitation exclusive dans le chef du seul héritier mais une activité sur l'ensemble de l'exploitation, par opposition à une activité sur une partie des terres, par exemple, ou encore à une collaboration qui s'entend de ceux qui fourniraient une aide régulière mais non à temps plein en raison de l'exercice d'autres activités ou de l'exploitation d'autres entreprises; qu'en l'espèce, avant l'entrée en vigueur de la loi, les parties et leurs auteurs ont choisi une autre voie, celle de la cession de l'exploitation des parents au seul (demandeur), qui trouvait dès lors sa sécurité dans l'application de la législation existant à l'époque, la loi sur le bail à ferme, qui ne vise que des biens spécifiques et non la transmission de l'ensemble du patrimoine de l'exploitation ; que, 'même s'il ne l'exprime pas formellement, le projet ne vise que le cas précédent où c'est l'exploitant lui-même qui décède et non pas le propriétaire-bailleur' (Rapport des commissions réunies de la Justice et de l'Agriculture et des Classes moyennes du Sénat, annexe au document 432/1986-1987, n° 2, p. 20) ",
et, partant, " qu'on ne peut estimer que, par le fait que la succession est composée de terres agricoles, elle comprendrait une exploitation agricole, alors que ne se retrouvent pas dans la succession cet ensemble tant de meubles que d'immeubles qui permettent cette activité ; qu'il n'y a pas lieu d'interpréter la loi de façon extensive alors qu'elle se comprend par elle-même et qu'étant dérogatoire au droit commun, elle est de stricte interprétation ; qu'il n'y a donc pas dans la succession de la mère ou même des parents des parties d''ensemble de meubles et immeubles affectés à toute activité' agricole ".
Griefs
1. Première branche
L'article 1er de la loi du 29 août 1988 relative au régime successoral des exploitations agricoles en vue d'en promouvoir la continuité dispose que, " sous réserve des dispositions du Code civil visant les droits du conjoint survivant, chacun des héritiers en ligne directe descendante a la faculté, lorsqu'une succession comprend pour la totalité ou pour une quotité une exploitation agricole, de reprendre, sur estimation, les biens meubles et immeubles qui constituent l'exploitation agricole ". La même disposition précise que, par " exploitation agricole ", il faut entendre, pour l'application de ladite loi, " l'ensemble des meubles et immeubles affectés à toute activité, liée ou non au sol, qui a trait aux grandes cultures, à l'élevage du bétail, à l'aviculture, aux cultures maraîchères, aux cultures fruitières, à la pisciculture, à l'apiculture, à la viticulture, à la floriculture, à la culture de plantes ornementales, à la culture de semences et de plants, aux pépinières ainsi qu'à la production de sapins de Noël ". Contrairement à ce que décide le jugement attaqué, cette disposition légale n'exige pas, pour que le droit de reprise qu'elle prévoit puisse s'exercer, que l'auteur des héritiers soit encore, au jour de son décès, l'exploitant de l'entreprise agricole mais uniquement que se retrouvent dans sa succession des biens meubles ou immeubles constituant une exploitation agricole au sens de la loi du 29 août 1988. Est à cet égard totalement indifférente la circonstance que la jouissance - et non la propriété - de ces biens ait été précédemment cédée à l'un des héritiers. En l'espèce, il ressort des constatations du jugement attaqué que le demandeur entendait exercer son droit de reprise sur des terres pour lesquelles il disposait d'un bail à ferme ainsi que sur un bâtiment de ferme pour lequel il avait " la jouissance et un droit d'habitation " et que ces biens faisaient partie de la succession de la mère des parties ; le jugement attaqué relève expressément que ladite succession comprend des " terres de culture " ou encore des " terres agricoles ", soit des immeubles constituant une exploitation agricole au sens de l'article 1er de la loi du 29 août 1988.
Il s'ensuit que, en décidant que le demandeur ne peut exercer son droit de reprise sur le bâtiment de ferme et les terres agricoles faisant partie de la succession litigieuse au motif que les auteurs des parties n'étaient plus, au moment de leur décès, les exploitants de l'entreprise agricole, dont ils avaient cédé en 1964 la jouissance au demandeur, mais étaient uniquement les propriétaires des terres et bâtiment affectés à l'exploitation agricole du demandeur, le jugement attaqué viole les articles 1er, 3 à 6, 9 et 11 de la loi du 29 août 1988 visés au moyen.
2. Seconde branche
Ni l'article 1er de la loi du 29 août 1988 ni aucune autre disposition légale ne subordonnent l'exercice du droit de reprise prévu par ladite loi à la condition que les biens meubles et immeubles, constituant l'exploitation agricole, ne fassent pas l'objet d'un bail à ferme en faveur de l'héritier. Il faut mais il suffit, pour que ce droit de reprise puisse être exercé, que ces meubles et immeubles fassent partie de la succession de l'auteur de l'héritier qui entend bénéficier de ce droit. Il ressort des constatations du jugement attaqué que le demandeur sollicitait, en l'espèce, la possibilité d'exercer son droit de reprise non seulement sur les terres agricoles pour lesquelles il disposait d'un bail à ferme mais également sur le bâtiment de ferme pour lequel il n'avait que " la jouissance des bâtiments agricoles et du droit d'habitation ".
Il s'ensuit qu'en déclarant la demande de reprise du demandeur non fondée au motif que ce dernier " trouvait (...) sa sécurité (...) dans la loi sur le bail à ferme ", le jugement attaqué ne justifie pas légalement sa décision 1° d'exclure le demandeur de la possibilité de reprendre les terres agricoles qui faisaient l'objet d'un bail à ferme en sa faveur et 2° de refuser au demandeur la possibilité d'exercer le droit de reprise prévu par l'article 1er de la loi du 29 août 1998 sur le bâtiment de ferme pour lequel il ne disposait que de " la jouissance des bâtiments agricoles et du droit d'habitation " et non d'un bail à ferme et, partant, viole l'ensemble des dispositions légales visées par le moyen.
La décision de la Cour
Quant aux deux branches réunies :
Sur la fin de non-recevoir opposée par la défenderesse au moyen, en ses deux branches, et déduite du défaut d'intérêt :
Attendu que le jugement attaqué considère que " la loi (...) précise que la succession doit contenir au moins une part d'exploitation agricole " ; que, " dès lors, il ne suffit pas d'invoquer l'existence, dans la succession, d'éléments d'une ferme " ; que " l'exploitation s'entend clairement de celle qui existe dans le chef de l'auteur qui serait resté propriétaire de l'exploitation jusqu'à son décès, même s'il n'exploite plus réellement lui-même, mais par son fils, par exemple, tout en y restant intéressé " ; qu' " on ne peut estimer que, par le fait que la succession est composée de terres agricoles, elle comprendrait une exploitation agricole alors que ne (s'y) retrouve (...) pas (...) cet ensemble tant de meubles que d'immeubles qui permettent cette activité " ;
Que ces considérations, dont il résulte qu'aux yeux des juges d'appel la succession ne comprend pas, fût-ce pour une quotité, une exploitation agricole, suffisent à fonder leur décision que la loi du 29 août 1988 relative au régime successoral des exploitations agricoles en vue d'en promouvoir la continuité est inapplicable ;
Que le moyen qui, en aucune de ses branches, ne critique ces motifs, ne saurait, dès lors, entraîner la cassation de cette décision et est, partant, dénué d'intérêt ;
Que la fin de non-recevoir est fondée ;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de six cent quatre-vingt-sept euros vingt et un centimes envers la partie demanderesse et à la somme de cent cinquante-sept euros trente-six centimes envers la partie défenderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Claude Parmentier, les conseillers Christian Storck, Didier Batselé, Daniel Plas et Christine Matray, et prononcé en audience publique du six février deux mille quatre par le président de section Claude Parmentier, en présence de l'avocat général André Henkes, avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.