COUR (CHAMBRE)
AFFAIRE LEANDER c. SUEDE
(Requête no 9248/81)
ARRÊT
STRASBOURG
26 mars 1987
En l’affaire Leander*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit:
MM. R. Ryssdal, président,
G. Lagergren,
F. Gölcüklü,
L.-E. Pettiti,
Sir Vincent Evans,
MM. C. Russo,
R. Bernhardt,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 30 mai, 31 mai et 28 août 1986, puis le 25 février 1987,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1. L’affaire a été portée devant la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme ("la Commission") le 11 juillet 1985, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (no 9248/81) dirigée contre le Royaume de Suède et dont un ressortissant de cet État, M. Torsten Leander, avait saisi la Commission le 2 novembre 1980 en vertu de l’article 25 (art. 25).
2. La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration suédoise de reconnaissance de la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’État défendeur aux obligations qui découlent des articles 8, 10 et 13 (art. 8, art. 10, art. 13) de la Convention.
3. En réponse à l’invitation prescrite à l’article 33 par. 3 d) du règlement, le requérant a exprimé le désir de participer à l’instance pendante devant la Cour et a désigné son conseil (article 30 du règlement).
4. La chambre de sept juges à constituer comprenait de plein droit M. G. Lagergren, juge élu de nationalité suédoise (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 2 octobre 1985, celui-ci en a désigné par tirage au sort les cinq autres membres, à savoir M. J. Cremona, M. G. Wiarda, M. L.-E. Pettiti, Sir Vincent Evans et M. R. Bernhardt, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43). M. J. Gersing, juge suppléant, a remplacé par la suite M. Wiarda, dont le mandat de juge avait expiré avant les audiences; ultérieurement, MM. F. Gölcüklü et C. Russo, juges suppléants, ont remplacé MM. Gersing et Cremona, empêchés (articles 2 par. 3, 22 par. 1 et 24 par. 1 du règlement).
5. Ayant assumé la présidence de la Chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté par l’intermédiaire du greffier l’agent du gouvernement suédois ("le Gouvernement"), le délégué de la Commission et le conseil du requérant au sujet de la nécessité d’une procédure écrite (article 37 par. 1). Le 12 décembre 1985, il a décidé que le conseil et, s’il le désirait, l’agent auraient jusqu’au 4 février 1986 pour déposer des mémoires auxquels le délégué pourrait répondre par écrit dans les deux mois du jour où le greffier lui aurait communiqué le dernier arrivé d’entre eux.
Le greffier a reçu le mémoire du requérant le 3 février. Par une lettre du même jour, l’agent du Gouvernement a indiqué que celui-ci n’avait pas l’intention d’en présenter un. Le 21 mars, le secrétaire de la Commission a informé le greffier que le délégué formulerait ses observations de vive voix.
6. Le 3 avril 1986, le président a fixé au 26 mai 1986 la date d’ouverture de la procédure orale après avoir consulté agent du Gouvernement, délégué de la Commission et conseil du requérant par l’intermédiaire du greffier (article 38 du règlement).
Le 28 avril, la Commission a communiqué au greffier un certain nombre de documents qu’il avait demandés sur les instructions du président de la Cour. Le 12 mai sont parvenues au greffe d’autres pièces fournies par le requérant.
7. Les débats se sont déroulés en public le jour dit, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu immédiatement auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
MM. H. Corell, ambassadeur,
sous-secrétaire aux Affaires juridiques et consulaires,
ministère des Affaires étrangères, agent,
K. Bergenstrand, sous-secrétaire adjoint,
ministère de la Justice,
S. Höglund, chef de division,
Conseil national de la police, conseillers;
- pour la Commission
M. H. Schermers, délégué;
- pour le requérant
MM. D. Töllborg, conseil,
J. Laestadius, conseiller.
8. La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu’en leurs réponses à ses questions et à celles de plusieurs juges, M. Corell pour le Gouvernement, M. Schermers pour la Commission et M. Töllborg pour le requérant.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
9. M. Torsten Leander, citoyen suédois né en 1951, exerce le métier de charpentier.
10. Le 20 août 1979, il commença de travailler comme remplaçant à un poste de technicien (vikarierande museitekniker) au musée naval de Karlskrona, dans le sud de la Suède. Le musée jouxte la base navale de Karlskrona, zone militaire interdite.
Le requérant a soutenu devant la Cour qu’il devait occuper cet emploi dix mois, pendant que le titulaire se trouvait en congé, mais dès le 3 septembre on l’aurait invité à le quitter en attendant le résultat d’une enquête à mener à son sujet en vertu de l’ordonnance de 1969 sur le contrôle du personnel (personalkontrollkungörelsen 1969:446, l’"ordonnance", paragraphes 18-34 ci-dessous). Selon lui, elle avait été demandée le 9 août 1979.
D’après le Gouvernement, M. Leander ne travailla que du 20 au 31 août 1979, comme l’indique une note signée le 27 août 1979 par le directeur du musée. Son engagement aurait découlé de deux erreurs de celui-ci. Premièrement, il n’était pas conforme à la procédure prescrite dans l’ordonnance et son règlement d’application d’embaucher quelqu’un avant une enquête le concernant. Deuxièmement, la vacance du poste n’avait pas été correctement notifiée.
11. Cette lacune fut réparée le 30 août 1979. Le délai de dépôt des candidatures expirait le 28 septembre 1979; le requérant ne présenta pas la sienne.
12. Il appert que le directeur l’avisa, le 25 septembre, que l’enquête avait abouti à une conclusion défavorable empêchant de l’employer au musée.
13. Sur le conseil du chef de la sécurité de la base navale, M. Leander écrivit au commandant en chef de la marine (chefen för marinen) afin de connaître les raisons de cette impossibilité.
Dans la réponse du commandant en chef, datée du 3 octobre 1979, on lisait notamment ceci:
"Le musée possède plusieurs entrepôts et objets historiques dans le secteur dont le chef de la base navale (örlogsbaschefen) garantit la sécurité. Selon les renseignements communiqués au commandant en chef de la marine, le titulaire du poste en question doit pouvoir circuler librement dans les zones soumises à des restrictions spéciales d’accès. Les règles d’accès à ces zones doivent donc s’appliquer aussi au personnel du musée.
Voilà pourquoi le chef de la base navale a demandé une enquête à votre sujet.
Elle a fourni sur vous au commandant en chef des éléments d’appréciation tels, du point de vue de la sécurité, qu’il a été décidé de ne pas vous accepter.
Toutefois, si vos fonctions au musée naval n’exigent pas l’accès aux installations navales de la base, le commandant en chef n’aperçoit pas de raison de s’opposer à votre engagement. Il faut noter que la décision de vous embaucher ou non relève d’une procédure distincte de la présente."
14. Le 22 octobre 1979, l’intéressé se plaignit au gouvernement, l’invitant à annuler l’appréciation du commandant en chef de la marine et à le déclarer apte à occuper l’emploi temporaire au musée naval, quelle que fût la possibilité de l’y réintégrer. Il affirmait en particulier avoir quitté un poste permanent à Dalarna, dans le nord de la Suède, lorsqu’il avait appris son engagement au musée naval; le résultat négatif de l’enquête risquait de le plonger dans la gêne, d’autant qu’il devait entretenir sa femme et son enfant. Dans sa plainte initiale puis dans une lettre du 4 décembre 1979, il réclama en outre des précisions sur les motifs ayant conduit à l’écarter.
Le gouvernement sollicita l’avis du commandant suprême des forces armées (överbefälhavaren), qui à son tour consulta le commandant en chef de la marine.
Dans une lettre du 7 novembre 1979, ce dernier expliqua que le premier lui avait communiqué, le 17 septembre 1979, les conclusions de l’enquête accompagnées de la proposition suivante:
"Accepté en accord avec l’appréciation du [commandant en chef de la marine], à condition que L. n’ait pas connaissance d’activités secrètes par son accès aux locaux du musée ou par son travail."
Selon ses renseignements, ajoutait-il, le directeur du musée voulait que la personne employée à ce poste jouît de la liberté de pénétrer et circuler dans la base navale; partant, il avait décidé le 21 septembre 1979 de ne pas embaucher le requérant.
Dans sa réponse au gouvernement, le commandant suprême des forces armées indiquait notamment:
"Toutefois, l’emploi de M. Leander pendant cette période (15 août - 1er septembre 1979) n’impliquait aucun accès à la base navale et le commandant en chef de la marine a dit ne pas s’opposer à un tel emploi. Le directeur du musée naval a, au contraire, affirmé que M. Leander devait avoir accès à la base navale.
Étant donné ce qui précède et que, si M. Leander avait accès à la base navale, il aurait accès à des installations ou informations secrètes, le commandant en chef de la marine a décidé de ne pas l’engager.
En examinant l’affaire, il a pleinement observé les règlements existants sur l’appréciation des qualifications d’une personne du point de vue de la sécurité.
Comme le commandant en chef de la marine, le commandant suprême des forces armées estime que le musée naval peut employer M. Leander si le titulaire du poste n’a pas besoin d’accéder à la base navale."
A l’avis du commandant suprême des forces armées se trouvait jointe une annexe secrète contenant les renseignements que le Conseil national de la police (rikspolisstyrelsen) avait fournis sur M. Leander. Ce dernier n’en a jamais reçu communication et elle ne figure point parmi les documents produits devant la Cour.
15. Par une lettre du 5 février 1980, le requérant saisit le gouvernement de nouveaux griefs. Ils portaient sur la décision du Conseil de ne pas lui communiquer, en vertu de l’article 13 de l’ordonnance, les informations le concernant (paragraphe 31 ci-dessous). L’intéressé priait le gouvernement de lui accorder, avant de se prononcer sur sa demande du 22 octobre 1979, le droit de prendre connaissance de ces informations et de les commenter.
Consulté sur ce point par le gouvernement, le Conseil national de la police répondit le 22 février 1980. Il concluait au rejet des griefs et ajoutait:
"L’inscription d’un renseignement au registre de la Sûreté se fonde pour l’essentiel sur un décret royal, secret, de 1973. Elle donne lieu, à plusieurs niveaux, à un examen préalable de la part de fonctionnaires chargés de contrôler la régularité de l’inscription de chaque renseignement. En cas de doute, la question de l’enregistrement est tranchée par le chef de la Sûreté.
Les informations portées sur le registre sont communiquées, conformément à l’article 9 de l’ordonnance (...), après décision prise par le Conseil (...) en séance plénière. Sur les six membres du Conseil choisis parmi les parlementaires, trois au moins doivent se trouver présents au moment de la décision sur des questions de contrôle du personnel. Dans le cas du requérant, ils étaient présents tous les six.
Selon l’article 13 de l’ordonnance (...), l’intéressé doit se voir offrir l’occasion de présenter ses observations si des raisons spéciales en créent le besoin. Cependant, le Conseil (..) n’a pas jugé nécessaire d’appliquer cette disposition au requérant, faute de raisons spéciales et, de plus, parce que la divulgation des renseignements aurait révélé en partie le contenu du décret royal secret, leur enregistrement ayant eu lieu en conformité avec ce texte."
M. Leander répliqua par une lettre du 11 mars 1980 au gouvernement. Il faisait valoir, notamment, que le Conseil aurait dû lui communiquer de vive voix et à titre confidentiel, pour le moins, les renseignements consignés à son sujet.
16. Le 14 mai 1980, le gouvernement repoussa en entier la plainte du requérant. Le dispositif de sa décision se lisait ainsi:
"Le gouvernement ne peut étudier l’aptitude d’une personne à un certain emploi qu’une fois saisi d’un recours relatif à une nomination. Or Leander n’a pas introduit pareil recours. Sa demande invitant le gouvernement à le déclarer digne de cet emploi provisoire ne saurait donc être examinée.
Il n’existe en l’espèce aucune circonstance particulière, au sens de l’article 13 de l’ordonnance (...), qui donnerait à Leander le droit de connaître les informations que le Conseil (...) a communiquées sur son compte au commandant suprême des forces armées.
Dans le surplus de son recours, Leander sollicite un extrait d’un fichier de police ou des indications sur le contenu de celui-ci.
Le gouvernement rejette cette demande (...).
Il n’examine pas la demande de Leander tendant à une nouvelle appréciation de sa personnalité, ni ne prend aucune mesure sur toute autre partie du recours."
17. Le requérant affirme devant la Cour qu’il continue d’ignorer la nature des renseignements secrets consignés sur lui.
A propos de ses antécédents personnels, il a fourni à la Commission et à la Cour les précisions suivantes. A l’époque considérée, il n’appartenait plus à aucun parti politique depuis 1976. Auparavant il avait été membre du Parti communiste suédois, ainsi que d’une association éditrice d’un journal contestataire, Fib/Kulturfront. Pendant son service dans l’armée, en 1971-1972, il avait milité au sein du syndicat des soldats et participé, comme délégué, au congrès de 1972 que, selon lui, la Sûreté avait noyauté. Sa seule condamnation date de ce temps-là: une amende de dix couronnes suédoises pour arrivée tardive à un défilé. Il avait aussi oeuvré dans le syndicat suédois des travailleurs du bâtiment et voyagé parfois en Europe de l’Est.
Il a toutefois indiqué que d’après les déclarations unanimes de fonctionnaires compétents, aucun des faits susmentionnés n’aurait dû provoquer l’issue défavorable du contrôle de personnel.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES APPLICABLES
A. L’interdiction de l’enregistrement d’opinions
18. Selon le chapitre II, article 3, de l’"instrument de gouvernement" (regeringsformen, élément principal de la Constitution suédoise et ci-après appelé "la Constitution"), "la mention d’un citoyen dans un registre public ne pourra se fonder exclusivement sur ses opinions politiques", "à moins qu’il n’y ait consenti".
B. Le registre secret de la police
19. L’ordonnance sur le contrôle du personnel, édictée par le gouvernement en vertu de ses pouvoirs réglementaires et publiée à l’origine au Journal officiel suédois (svensk författningssamling, 1969:446), constitue la base légale du registre tenu par la direction de la Sûreté du Conseil national de la police ("le registre secret"). Telle que l’a modifiée l’ordonnance no 505 de 1972, elle précise en son article 2:
"A l’intention du service spécial de police chargé de prévenir et dépister les infractions contre la sécurité nationale, etc., la direction de la Sûreté du Conseil national de la police tient un registre de police. Le Conseil (...) peut y consigner les renseignements nécessaires au service spécial de la police.
Aucune mention ne peut figurer dans le registre de police visé au paragraphe premier pour la simple raison que l’intéressé a exprimé une opinion politique par son appartenance à une organisation ou d’une autre manière. Le gouvernement prendra des dispositions complémentaires concernant l’application de cette règle."
20. En conséquence, le gouvernement a donné au Conseil et publié, le 22 septembre 1972, les instructions ci-après:
"Il existe dans notre pays des organisations et des groupes qui se livrent à des activités politiques comportant le recours effectif ou éventuel à la violence ou à des menaces de coercition comme moyens d’atteindre leurs objectifs politiques.
Certaines organisations ont adopté un programme disant qu’elles s’efforceront de changer la société par la violence. On peut cependant présumer que beaucoup de leurs membres ne participeront jamais à la réalisation des buts inscrits au programme. La simple appartenance à une telle organisation ne justifie donc pas une mention au registre de la Sûreté. Il peut en revanche y avoir inscription si un membre ou partisan de pareille organisation agit d’une manière autorisant à le soupçonner d’être prêt à participer à des activités dangereuses pour la sécurité nationale, destinées ou pouvant contribuer à renverser le système démocratique par la force ou à compromettre l’indépendance de l’État suédois.
Il existe aussi des organisations et des groupes pouvant ou ayant pu se livrer à des tentatives de subversion politique en Suède ou dans d’autres États en recourant à la violence, à des menaces ou à la contrainte comme moyen de pratiquer cette subversion. Les informations sur leurs membres ou partisans doivent figurer au registre de la Sûreté.
Le gouvernement émettra, sur proposition du Conseil national de la police, des instructions complémentaires concernant l’application de l’article 2 de l’ordonnance sur le contrôle du personnel. Si, dans les services spéciaux de police, surviennent des circonstances pouvant appeler des amendements aux instructions émises par le gouvernement, le Conseil national de la police présentera des propositions d’amendement."
21. Le gouvernement a donné des instructions complémentaires, secrètes cette fois, le 27 avril 1973 puis le 3 décembre 1981.
22. En plus des hypothèses prévues dans l’ordonnance (paragraphe 24 ci-dessous), le Conseil semble communiquer les renseignements consignés au registre dans certains cas de poursuites pénales et dans des affaires relatives à des demandes de naturalisation.
C. Contrôle du personnel
23. Outre les clauses susmentionnées sur le registre secret, l’ordonnance en renferme qui traitent, notamment, des emplois à classer dans la catégorie des postes de sécurité, de la procédure de communication des renseignements et de l’usage de ceux-ci. Les principales se trouvent résumées ci-dessous.
24. D’après l’article 1, le contrôle du personnel s’entend de la collecte d’informations tirées de registres de police et concernant les titulaires de postes importants pour la sécurité ou les candidats à de tels postes.
25. L’article 3, tel que l’a modifié l’ordonnance no 110 de 1976, énumère les autorités, dont le commandant suprême des forces armées, habilitées à requérir un contrôle du personnel.
26. Aux termes de l’article 4, le contrôle ne peut s’exercer qu’à l’égard de certains emplois importants pour la sécurité nationale, répartis en deux catégories (skyddsklasser) selon qu’ils présentent ou non un intérêt vital pour celle-ci. Le classement d’un poste dans la première catégorie relève du gouvernement, tandis que le droit d’en ranger un dans la seconde est en général délégué à l’organisme concerné.
27. Selon l’article 6, les demandes de renseignements aux fins d’un contrôle du personnel doivent être adressées au Conseil national de la police et viser uniquement la personne que l’on a l’intention de nommer.
28. Les articles 8 et 9 précisent quels renseignements peuvent être fournis à l’autorité de nomination.
Si le poste relève de la première catégorie, le Conseil peut, d’après l’article 8, communiquer sur l’intéressé toutes les informations consignées dans le registre secret ou tout autre fichier de la police. Dans le cas d’un emploi de la seconde catégorie, l’article 9 (tel qu’amendé par l’ordonnance no 505 de 1972) ne l’autorise à livrer que certains renseignements spécifiques consistant à préciser si la personne en question
"1. a été convaincue ou est soupçonnée d’infractions visées au paragraphe 1 de la loi du 21 mars 1952 (no 98) portant des dispositions spéciales sur les mesures d’enquête dans certaines affaires pénales (lag med särskilda bestämmelser om tvångsmedel i vissa brottmål) ou au chapitre 13, paragraphes 7 ou 8, du code pénal" - principalement les infractions contre l’ordre public, la sécurité nationale ou le gouvernement - "ou a été convaincue ou est soupçonnée de tentative, d’entente délictueuse ou d’incitation quant à de telles infractions;
2. a été convaincue ou est soupçonnée d’autres actes constitutifs d’infractions contre la sécurité de l’État, ou destinés ou propres à renverser par la force le régime démocratique, ou à compromettre l’indépendance de l’État, ou a été convaincue ou est soupçonnée de tentative ou d’entente délictueuse quant à de telles infractions;
3. est soupçonnée, du chef de ses activités ou pour d’autres raisons, de se tenir prête à participer à des actes du genre visé aux paragraphes 1 et 2."
29. Aux termes de l’article 11, pour décider de la communication de renseignements consignés au registre le Conseil national de la police comprend le directeur de la police nationale (rikspolischefen), le chef de la Sûreté et les membres désignés par le gouvernement; ces derniers sont au nombre de six - habituellement des parlementaires ou anciens parlementaires de partis politiques différents, même de l’opposition - et trois d’entre eux au moins doivent se trouver présents au moment de la décision.
La décision de fournir des informations exige l’unanimité. Si un ou plusieurs des membres non policiers du Conseil se prononcent contre la communication de certains renseignements, le directeur national de la police peut, s’il est d’avis contraire, saisir le gouvernement, qui tranche. Il doit en aller de même si l’un des membres non policiers le requiert.
30. Lorsque le Conseil national de la police reçoit une demande de contrôle du personnel, la pratique est la suivante. La Sûreté établit un mémorandum sur les informations inscrites dans les registres pertinents et le présente oralement au Conseil qui, après en avoir délibéré, décide de leur communication totale ou partielle. Parmi les critères figurent la nature du poste en jeu, le degré de fiabilité des renseignements et leur ancienneté. Le fait qu’un dossier renferme quelques indications seulement peut militer contre leur divulgation, laquelle n’obéit à aucune règle écrite hormis celles de l’ordonnance et des instructions du gouvernement.
31. A l’époque considérée, l’article 13 prévoyait qu’avant de communiquer des informations dans les affaires relatives à la nomination à un poste de la première catégorie de sécurité, le Conseil national de la police devait donner à l’intéressé, sauf raisons particulières, l’occasion de présenter ses observations par écrit ou verbalement. Pour les postes de la seconde catégorie, cette procédure ne devait jouer que dans des circonstances spéciales. Or le Conseil semble n’en avoir jamais aperçu; pareille notification n’avait donc lieu dans aucun cas, bien que diverses autorités importantes invitées à commenter le projet législatif d’où devait sortir l’ordonnance, dont le Chancelier de la Justice et le médiateur parlementaire, eussent recommandé pour le moins une notification sous une forme ou une autre.
Cet article a été amendé par l’ordonnance no 764 de 1983 à compter du 1er octobre 1983. Aujourd’hui, dans quelque catégorie que se range le poste à pourvoir la personne concernée doit avoir la possibilité de formuler ses observation, par écrit ou oralement, avant toute communication de renseignements. La règle ne vaut cependant pas dans l’hypothèse où elle permettrait à l’intéressé de prendre connaissance d’informations déclarées secrètes en vertu de l’une quelconque des dispositions de la loi de 1980 sur le secret, à l’exception de l’article 17 du chapitre 7 (paragraphe 41 ci-dessous), ou si, dans une affaire ne concernant pas une nomination à un emploi public, le gouvernement a dispensé l’autorité demanderesse de l’obligation d’aviser l’intéressé de l’enquête menée à son sujet (paragraphe 33 ci-dessous).
32. Du temps de la procédure touchant M. Leander, l’article 14 interdisait au Conseil national de la police d’ajouter des commentaires aux renseignements fournis à l’autorité requérante.
33. D’après l’article 19, avant de demander un contrôle une autorité devait en avertir l’intéressé, sauf dans un cas étranger au présent litige.
34. Selon l’article 20, il incombait à l’autorité demanderesse d’apprécier l’importance des renseignements tirés du (des) fichier(s) de police, en fonction de la nature des activités liées au poste en cause, de ce qu’elle savait elle-même de l’intéressé et d’autres éléments.
D. Garanties
1. Le ministre de la Justice
35. Au fil des ans, le ministre de la Justice a exercé une surveillance active sur la Sûreté et les opérations de contrôle du personnel. Il a effectué un certain nombre d’investigations plus ou moins approfondies. Elles ne débouchent sur aucun rapport, mais selon le Gouvernement les discussions entre le ministre et le Conseil ont entraîné des amendements aux instructions, publiques ou secrètes.
2. Le Chancelier de la Justice
36. Héritier d’une longue tradition, l’office de Chancelier de la Justice se fonde désormais sur le chapitre XI, article 6, de la Constitution. Les fonctions et pouvoirs correspondants se trouvent définis dans la loi de 1975 sur le contrôle assuré par le Chancelier de la Justice (lag 1975:1339 om justitiekanslerns tillsyn) et dans l’instruction du gouvernement à ce dernier (förordning 1975:1345 med instruktion för justitiekanslern).
Entre autres attributions que lui a confiées le Parlement (riksdag), le Chancelier contrôle les autorités publiques et leurs agents afin qu’ils respectent les lois et règlements dans l’accomplissement de leurs tâches. A ce titre, il reçoit et examine souvent des plaintes de particuliers. Il agit aussi au nom du gouvernement pour sauvegarder les droits de l’État et l’assiste par ses conseils et ses recherches juridiques.
Il est nommé par le gouvernement et inamovible. D’après le chapitre XI, article 6, de la Constitution il relève du gouvernement. L’article 7 du même chapitre précise pourtant: "Aucune autorité publique" - y compris le gouvernement - "non plus que le riksdag ni une collectivité publique territoriale ne pourra décider de la manière dont un service public administratif" - y compris le Chancelier de la Justice - "doit décider en particulier dans une affaire touchant l’exercice d’une autorité à l’égard d’une personne privée ou d’une collectivité publique territoriale ou concernant l’application de la loi."
Le Chancelier a le droit d’assister à toutes les délibérations des tribunaux et des autorités administratives, mais sans exprimer d’opinion. Il a en outre accès à tous les dossiers et autres documents officiels.
Toutes les autorités publiques et leurs agents doivent lui fournir les informations et rapports qu’il peut leur demander (voir aussi le paragraphe 41 ci-dessous).
Dans le cadre de sa fonction de contrôle, il peut engager des poursuites pénales ou requérir des mesures disciplinaires contre des fonctionnaires.
Il peut déférer au médiateur parlementaire (ombudsman), en accord avec lui, des affaires relatives aux griefs de particuliers, et vice versa; en pratique, un seul d’entre eux examine donc des plaintes identiques.
37. Le Conseil national de la police, organisme public, et ses activités, y compris le contrôle du personnel, se trouvent placés sous le contrôle du Chancelier.
Celui-ci visite le Conseil et son département de la Sûreté régulièrement, d’ordinaire une fois l’an, plus souvent si des circonstances particulières le justifient, par exemple la plainte d’un individu. Ses visites donnent toujours lieu à un procès-verbal rédigé de manière à pouvoir être rendu public à l’exception des passages, s’il y en a, consignant des données secrètes. Le Gouvernement a produit une copie du compte rendu d’une visite effectuée le 6 décembre 1983. Il en ressort que le Chancelier, accompagné de deux fonctionnaires de son service, a inspecté les locaux de la Sûreté et discuté, entre autres, des questions touchant au contrôle du personnel; aucun élément appelant une mention spéciale ne s’est dégagé de la visite.
Le Chancelier n’a pas le pouvoir de modifier une décision du Conseil ou de la Sûreté; plus généralement, il ne peut s’immiscer dans leurs décisions, encore qu’il lui soit loisible de formuler des observations sur des mesures qu’il jugerait contraires à la loi ou inopportunes.
Les avis qu’il exprime à l’issue d’un examen de la procédure de contrôle du personnel ne revêtant pas un caractère obligatoire, on pourrait se demander s’ils relèvent de la sphère d’indépendance que lui garantit le chapitre XI, article 7, de la Constitution (paragraphe 36 ci-dessus). Vu la tradition juridique suédoise, toutefois, il ne se conçoit pas que le gouvernement tente d’user de ses pouvoirs au titre de l’article 6 du même chapitre pour donner au Chancelier des instructions, par exemple sur l’opinion à émettre dans une affaire relative à l’application de l’ordonnance, ou d’une manière générale pour lui interdire de surveiller les activités du Conseil; de telles instructions n’existent pas et il n’y en a jamais eu.
3. Le médiateur parlementaire (ombudsman)
38. Les fonctions et pouvoirs du médiateur parlementaire, institution qui remonte à 1809, se trouvent définis notamment au chapitre XII, article 6, de la Constitution et dans la loi portant instructions aux médiateurs parlementaires (lag 1975:1057 med instruktion för justitieombudsmännen).
Élus par le Parlement, les quatre médiateurs ont pour tâche principale de s’assurer de l’application des lois et règlements au sein de l’administration publique.
Il leur incombe en particulier de veiller au respect, par les tribunaux et les autorités administratives, des clauses de la Constitution touchant à l’objectivité et à l’impartialité, ainsi qu’à l’absence d’empiétement de l’administration sur les droits et libertés fondamentaux des citoyens.
Si, dans l’exercice de leurs fonctions de contrôle, ils découvrent des motifs de préconiser des changements législatifs ou toute autre action de l’État, ils peuvent présenter au Parlement ou au gouvernement une déclaration en ce sens.
Un médiateur exerce sa surveillance soit à la suite de plaintes de particuliers, soit en menant les inspections ou autres enquêtes qu’il estime nécessaires.
L’examen d’une affaire débouche sur un rapport dans lequel le médiateur indique si la mesure lui semble illégale ou inopportune à quelque autre égard. Le médiateur peut aussi énoncer des propositions tendant à une application correcte et uniforme de la loi.
Les rapports du médiateur expriment son avis personnel. L’efficacité de ses déclarations dépend de son aptitude à convaincre l’organe de décision ou l’autorité en cause. Ces derniers s’inclinent souvent mais pas toujours, tant s’en faut (Gustaf Petrén et Hans Ragnemalm, Sveriges Grundlagar, Stockholm, 1980, p. 327).
Un médiateur peut engager des poursuites pénales ou disciplinaires contre un fonctionnaire qui aurait commis une infraction en manquant aux devoirs de sa charge.
Il peut assister aux délibérations des tribunaux ou des autorités administratives et il a accès à leurs procès-verbaux et autres documents. Les tribunaux, les autorités administratives et les fonctionnaires de l’État ou des pouvoirs locaux lui fournissent les renseignements et rapports qu’il peut leur demander. Dans l’accomplissement de sa tâche, il peut requérir le concours d’un procureur.
39. Il résulte de ce qui précède que le Conseil national de la police et ses activités relèvent du contrôle des médiateurs parlementaires.
Selon les renseignements communiqués par le greffier des médiateurs, en cas de plainte individuelle se déroule la procédure suivante. Une fois saisi, le médiateur compétent prend contact avec le Conseil ou l’autorité requérante (paragraphe 25 ci-dessus). Il reçoit alors des renseignements oraux sur les circonstances de l’affaire et a le loisir de compulser les documents et dossiers pertinents. Ces éléments ne sont pas enregistrés dans les services du médiateur, car en préserver le secret poserait des problèmes. Le médiateur se prononce à la lumière de l’enquête susmentionnée et des autres recherches auxquelles il a pu se livrer. Son rapport, toujours écrit, est rendu accessible au public. Il ne contient donc aucune donnée secrète.
Depuis 1969, le système de contrôle du personnel a donné lieu à huit plaintes individuelles au moins dont quatre, de caractère général, émanaient de chicaneurs notoires. Après avoir étudié les faits, le médiateur a classé les quatre autres mais non sans avoir, pour deux d’entre elles, formulé sur certains points des critiques précises (rapports du 20 février 1984, affaire 684-1983, et du 15 février 1985, affaire 2316-1984). La critique exprimée par lui dans son rapport du 20 février 1984 a conduit le commandant suprême des forces armées, d’après un arrêt récent de la Cour du travail (no 28 du 12 mars 1986), à modifier une pratique relative à l’application de l’article 19 de l’ordonnance.
4. La Commission parlementaire de la Justice (riksdagens justitieutskott)
40. La Commission parlementaire permanente de la Justice comprend quinze députés désignés à la proportionnelle. Depuis 1971, elle examine les crédits destinés à la division "Sûreté" de la police, dont presque chaque année, elle passe au crible les dépenses, l’organisation et les activités. Selon le Gouvernement, elle s’intéresse beaucoup aux questions touchant à l’ordonnance sur le contrôle du personnel et à son application, ainsi qu’à l’appréciation de l’influence des membres non policiers du Conseil national de la police sur lesdites activités. Elle s’informe d’ordinaire en entendant des porte-parole du Conseil et de son département de la Sûreté, ainsi que par des visites régulières. Elle en a effectué au printemps 1977, à l’automne 1979 et au printemps 1983. Au printemps 1980, elle a tenu des délibérations ad hoc avec les parlementaires membres du Conseil. Au printemps 1981, elle a demandé et reçu un rapport spécial. Au printemps 1982, elle a organisé une audition avec le commissaire national de la police et le chef du département de la Sûreté.
D’après le Gouvernement, le premier secrétaire de la Commission a confirmé que les membres de celle-ci, au cours de leurs visites, ont pleinement accès aux fichiers et ont notamment consulté le registre du département de la Sûreté. Ils ont aussi discuté de divers aspects de sa gestion avec les fonctionnaires chargés des inscriptions et de la communication de données au Conseil lors d’un contrôle du personnel.
5. Le principe du libre accès aux documents administratifs
41. Aux termes du chapitre II, article 2, de la loi sur la liberté de la presse (tryckfrihetsförordningen), qui fait partie de la Constitution, chacun a le droit de prendre connaissance des documents officiels, sous réserve des limitations prévues par la loi en certaines matières.
A l’époque considérée, les principales dispositions régissant ces limitations figuraient dans la loi de 1937 sur les restrictions au droit d’accès aux documents officiels (lag om inskränkningar i rätten att utbekomma allmänna handlingar 1937:249, "la loi de 1937"), qui resta en vigueur jusqu’au 1er janvier 1981.
Selon l’article 11 (amendé), "le détail des données consignées dans les registres mentionnés par la loi sur le fichier pénal général (lag om allmänt kriminalregister 1963:197) ou par la loi sur le fichier de la police (lag om polisregister m.m. 1965:94) ne peut être communiqué que dans les cas ou de la manière précisés par ces lois". L’article 3 de la seconde (modifiée par la loi no 1032 de 1977, en vigueur jusqu’au 1er mars 1985) se lisait ainsi:
"Des extraits des fichiers de la police ou des renseignements sur leur contenu sont fournis sur demande émanant
1. du Chancelier de la Justice, d’un médiateur parlementaire, du Conseil national de la police, du Service central de l’immigration, d’un conseil administratif de comté, d’un tribunal administratif de comté, d’un commissaire de police ou d’un procureur;
2. d’une autre autorité, si et dans la mesure où le gouvernement a, pour certains types d’affaires ou pour une affaire déterminée, donné l’autorisation nécessaire;
3. d’un particulier, s’il a besoin de l’extrait pour se prévaloir de ses droits dans un pays étranger, pour entrer dans un tel pays ou y installer sa résidence ou son domicile ou y travailler, ou pour faire statuer sur des questions d’emploi ou de contrats liées à des activités en matière de santé ou qui soulèvent des problèmes importants du point de vue de la sécurité nationale, et si le gouvernement a, par une mesure spéciale, consenti à la communication d’extraits ou de renseignements à pareilles fins, ou, dans d’autres cas, si le particulier peut prouver qu’il lui faut des renseignements du registre pour établir ses droits, et si le gouvernement permet que de tels renseignements lui soient fournis."
Depuis le 1er janvier 1981, des clauses analogues figurent au chapitre VII, article 17, de la loi de 1980 sur le secret (sekretesslagen 1980:100), qui a remplacé la loi de 1937.
La Cour ne connaît aucune ordonnance spéciale qui ait autorisé des particuliers dans la situation du requérant à obtenir des extraits des registres de police.
42. Sauf si elle émane du Parlement ou du gouvernement, une décision refusant l’accès à un document est susceptible d’un recours devant les tribunaux (chapitre II, article 15, de la loi sur la liberté de la presse).
Dans plusieurs affaires récentes jugées par la Cour administrative suprême, des personnes se sont vu refuser l’accès à des informations consignées dans le registre secret de la police, pour n’avoir pas obtenu ou sollicité du gouvernement l’autorisation préalable exigée par l’article 3, précité, de la loi sur le registre de la police (Annuaire de la Cour administrative suprême, 1981, Ab 100 et Ab 282, et 1982, Ab 85).
Les faits de la cause cadrent avec ce qui précède: le gouvernement a accepté d’examiner la demande de M. Leander qui souhaitait savoir quels renseignements le Conseil avait fournis à son sujet (paragraphe 16 ci-dessus).
Toutefois, si le Conseil décide de communiquer une information à une autorité requérante, l’intéressé semble ne disposer d’aucun recours devant le gouvernement ou les juridictions administratives: on ne le considère pas comme partie à la procédure suivie en la matière devant le Conseil (arrêt de la Cour administrative suprême, du 20 juin 1984, dans l’affaire 1509-1984).
43. Même si un document est secret, le gouvernement jouit toujours d’une certaine latitude pour le diffuser et une personne partie à une procédure judiciaire ou administrative pour laquelle il entre en ligne de compte peut se voir permettre d’y avoir accès. Jusqu’au 30 décembre 1980, l’article 38 de la loi de 1937 (modifié par celle de 1974:567) constituait le texte fondamental:
"Lorsqu’il l’estime nécessaire à la sauvegarde de droits publics ou individuels, le gouvernement peut, nonobstant les restrictions prévues par la présente loi, autoriser la communication de documents.
Si un document ne pouvant être communiqué à chacun paraît constituer un élément de preuve important pour un procès ou une enquête de police en matière pénale, le tribunal saisi de l’affaire, ou compétent pour trancher les questions relatives aux enquêtes de police, peut en ordonner la communication à lui-même ou à l’officier chargé de l’enquête. Ce qui précède ne vaut cependant pas pour les documents visés aux articles 1-4, 31 et 33. Si la teneur d’un document est telle que le rédacteur ne peut, aux termes du chapitre 36, article 5, alinéas 2, 3 ou 4 du code de procédure judiciaire, être entendu comme témoin à son sujet, il ne peut pas non plus être produit au cours du procès ou de l’enquête de police; il ne le peut pas non plus, sauf si des circonstances spéciales le demandent, au cas où un secret professionnel s’en trouverait divulgué."
Depuis le 1er janvier 1981, des dispositions correspondantes figurent au chapitre 14, articles 5 et 8, de la loi de 1980 sur le secret.
6. Indemnisation
44. La responsabilité civile de l’État est régie par le chapitre 3 de la loi no 207 de 1972 sur la responsabilité civile (skadeståndslagen).
Selon l’article 2, les actes de la puissance publique peuvent donner lieu à indemnisation en cas de faute ou de négligence.
L’article 7 précise toutefois que nulle action en indemnité n’est ouverte contre les décisions du Parlement, du gouvernement, de la Cour suprême, de la Cour administrative suprême ou de la Cour nationale de la sécurité sociale. D’après l’article 4, il en va de même de celles des autorités inférieures, tel le Conseil national de la police, dans la mesure où l’intéressé aurait pu éviter des dommages en épuisant les voies de recours existantes.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
45. Dans sa requête du 2 novembre 1980 à la Commission (no 9248/81), M. Leander invoquait les articles 6, 8, 10 et 13 (art. 6, art. 8, art. 10, art. 13) de la Convention. Il se plaignait de n’avoir pu occuper un poste permanent et d’avoir été renvoyé d’un emploi provisoire à cause d’informations secrètes qui l’auraient présenté comme dangereux pour la sécurité; d’après lui, cela constituait une atteinte à sa réputation et il aurait dû avoir l’occasion de se défendre devant un tribunal.
46. Le 10 octobre 1983, la Commission a déclaré irrecevable le grief tiré de l’article 6 (art. 6) mais retenu les allégations relatives aux articles 8, 10 et 13 (art. 8, art. 10, art. 13).
Dans son rapport du 17 mai 1985 (article 31) (art. 31), elle arrive à la conclusion qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 (art. 8) (unanimité), qu’il ne se pose, sous l’angle de l’article 10 (art. 10), aucune question distincte concernant la liberté d’exprimer des opinions ou de recevoir des informations (unanimité) et que l’affaire ne révèle aucune infraction à l’article 13 (art. 13) (sept voix contre cinq).
Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 8 (art. 8)
47. Le requérant prétend que la procédure de contrôle du personnel appliquée à son sujet a méconnu l’article 8 (art. 8), ainsi libellé:
"1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui."
Selon lui, ses antécédents personnels ou politiques (paragraphe 17 ci-dessus) ne fournissaient aucune raison qui commandât, dans une société démocratique, de l’inscrire dans le registre de la Sûreté, de le cataloguer comme "dangereux pour la sécurité" et, en conséquence, de l’exclure de l’emploi dont il s’agit. En outre, l’ordonnance de contrôle du personnel ne saurait passer pour une "loi" aux fins du paragraphe 2 de l’article 8 (art. 8-2).
En revanche, il ne met pas en doute la nécessité d’un système de contrôle du personnel. Il ne conteste pas non plus au gouvernement le pouvoir, dans les limites fixées par les articles 8 et 10 (art. 8, art. 10) de la Convention, d’écarter de postes sensibles pour la sécurité les sympathisants de certaines idéologies politiques extrémistes et de consigner des renseignements sur eux dans le registre que tient le département de la Sûreté du Conseil national de la police.
A. Sur l’existence d’une ingérence dans l’exercice d’un droit garanti par l’article 8 (art. 8)
48. Le registre secret de la police renfermait sans contredit des données relatives à la vie privée de M. Leander.
Tant leur mémorisation que leur communication, assorties du refus d’accorder à M. Leander la faculté de les réfuter, portaient atteinte à son droit au respect de sa vie privée, garanti par l’article 8 par. 1 (art. 8-1).
B. Sur l’existence d’une justification de l’ingérence
1. But légitime
49. Le système suédois de contrôle du personnel poursuit à l’évidence un but légitime au regard de l’article 8 (art. 8): la protection de la sécurité nationale.
Les principaux points litigieux consistent à savoir si l’ingérence était "prévue par la loi" et "nécessaire dans une société démocratique".
2. "Prévue par la loi"
a) Principes généraux
50. L’expression "prévue par la loi", au sens du paragraphe 2 de l’article 8 (art. 8-2), veut d’abord que l’ingérence ait une base en droit interne, mais l’observation de celui-ci ne suffit pas: la loi en cause doit être accessible à l’intéressé, qui en outre doit pouvoir en prévoir les conséquences pour lui (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Malone du 2 août 1984, série A no 82, pp. 31-32, par. 66).
51. Dans le contexte particulier de contrôles secrets du personnel affecté à des secteurs touchant à la sécurité nationale, l’exigence de prévisibilité ne saurait cependant être la même qu’en maints autres domaines. Ainsi, elle ne saurait signifier qu’un individu doit se trouver en mesure d’escompter avec précision les vérifications auxquelles la police spéciale suédoise procédera à son sujet en s’efforçant de protéger la sécurité nationale. Néanmoins, dans un système applicable à tous les citoyens, tel celui de l’ordonnance sur le contrôle du personnel, la loi doit user de termes assez clairs pour leur indiquer de manière adéquate en quelles circonstances et sous quelles conditions elle habilite la puissance publique à se livrer à pareille ingérence secrète, et virtuellement dangereuse, dans leur vie privée (ibidem, p. 32, par. 67).
Pour s’assurer du respect du critère de la prévisibilité, il faut tenir compte aussi des instructions ou des pratiques administratives n’ayant pas force de loi, pour autant que les intéressés les connaissent suffisamment (arrêt Silver et autres du 25 mars 1983, série A no 61, pp. 33-34, paras. 88-89).
En outre, lorsque sa mise en oeuvre s’opère au moyen de mesures secrètes, échappant au contrôle des personnes concernées comme du public, la loi elle-même, par opposition à la pratique administrative dont elle s’accompagne, doit définir l’étendue du pouvoir d’appréciation attribué à l’autorité compétente avec assez de netteté - compte tenu du but légitime poursuivi - pour fournir à l’individu une protection adéquate contre l’arbitraire (arrêt Malone précité, série A no 82, pp. 32-33, par. 68).
b) Application de ces principes au cas d’espèce
52. Si l’ingérence trouvait une base valide en droit interne, l’ordonnance de contrôle du personnel, le requérant affirme que les textes applicables au registre secret de la police, au premier chef l’article 2 de l’ordonnance, n’avaient pas l’accessibilité et la prévisibilité voulues.
Gouvernement et Commission contestent cette thèse.
53. L’ordonnance elle-même, publiée au Journal officiel suédois, répondait sans nul doute à l’exigence d’accessibilité. Il s’agit donc essentiellement de rechercher si le droit interne fixait avec une précision suffisante les conditions dans lesquelles le Conseil national de la police pouvait stocker et communiquer des informations en vertu du système de contrôle du personnel.
54. En son premier paragraphe, l’article 2 de l’ordonnance accorde au Conseil une grande latitude quant aux renseignements à consigner dans le registre (paragraphe 19 ci-dessus). Le second paragraphe la limite pourtant sur un point important: il prohibe toute mention fondée sur "la simple raison que l’intéressé a exprimé une opinion politique par son appartenance à une organisation ou d’une autre manière", ce qui correspond à l’interdiction figurant déjà dans la Constitution (paragraphe 18 ci-dessus). Le pouvoir du Conseil en la matière se trouve en outre circonscrit par les instructions du gouvernement (paragraphes 20-21 ci-dessus), mais une seule d’entre elles - celle du 22 septembre 1972 - est publique, donc assez accessible pour entrer en ligne de compte (paragraphe 20 ci-dessus).
Il faut, de surcroît, que les informations à insérer dans le registre secret soient nécessaires à la police spéciale et aient pour but de servir à prévenir et dépister "les infractions contre la sécurité nationale, etc." (article 2 de l’ordonnance, premier alinéa, paragraphe 19 ci-dessus).
55. L’ordonnance renferme aussi des dispositions explicites et détaillées sur la nature des renseignements pouvant être communiqués, les autorités destinataires, les circonstances de pareille communication et la procédure que le Conseil national de la police doit suivre avant de s’y décider (paragraphes 25-29 ci-dessus).
56. Dès lors, la Cour constate que le droit suédois donne au citoyen des indications appropriées sur l’étendue et les modalités d’exercice du pouvoir, conféré aux autorités compétentes, de recueillir, enregistrer et fournir des informations dans le cadre du système de contrôle du personnel.
57. L’ingérence litigieuse dans la vie privée de M. Leander était donc "prévue par la loi" au sens de l’article 8 (art. 8).
3. "Nécessaire, dans une société démocratique, à la sécurité nationale"
58. La notion de nécessité implique une ingérence fondée sur un besoin social impérieux, et notamment proportionnée au but légitime recherché (voir, entre autres, l’arrêt Gillow du 24 novembre 1986, série A no 109, p. 22, par. 55).
59. La Cour reconnaît toutefois que les autorités nationales jouissent d’une marge d’appréciation dont l’ampleur dépend non seulement de la finalité, mais encore du caractère propre de l’ingérence. En l’occurrence, il échet de mettre en balance l’intérêt de l’État défendeur à protéger sa sécurité nationale avec la gravité de l’atteinte au droit du requérant au respect de sa vie privée.
Pour préserver la sécurité nationale, les États contractants ont indéniablement besoin de lois qui habilitent les autorités internes compétentes à recueillir et à mémoriser dans des fichiers secrets des renseignements sur des personnes, puis à les utiliser quand il s’agit d’évaluer l’aptitude de candidats à des postes importants du point de vue de ladite sécurité.
Quant à l’ingérence incriminée, sans doute a-t-elle lésé les intérêts légitimes de M. Leander par ses répercussions sur les perspectives d’embauche qui s’ouvraient à lui pour certains emplois sensibles de la fonction publique. D’un autre côté, la Convention ne garantit pas en tant que tel le droit d’accès à la fonction publique (voir, entre autres, l’arrêt Kosiek du 28 août 1986, série A no 105, p. 20, paras. 34-35) et pour le surplus l’ingérence n’a pas empêché le requérant de mener sa vie privée à sa guise.
Dans ces conditions, la Cour l’admet, la marge dont l’État défendeur disposait pour apprécier en l’espèce le besoin social impérieux, et notamment pour choisir les moyens de sauvegarder la sécurité nationale, revêtait une grande ampleur.
60. Néanmoins, la Cour doit se convaincre de l’existence de garanties adéquates et suffisantes contre les abus car un système de surveillance secrète destiné à protéger la sécurité nationale crée un risque de saper, voire de détruire, la démocratie au motif de la défendre (arrêt Klass et autres du 6 septembre 1978, série A no 28, pp. 23-24, paras. 49-50).
61. Le requérant affirme que le système suédois de contrôle du personnel ne lui a pas fourni de telles garanties; il souligne notamment qu’on lui a refusé toute occasion de contester l’exactitude des renseignements consignés à son sujet.
62. Le Gouvernement invoque douze garanties qui, selon lui, offrent une protection appropriée si on les combine:
i. l’ordonnance sur le contrôle du personnel révèle la possibilité même de pareil contrôle;
ii. les postes sensibles se rangent en plusieurs catégories de sécurité (paragraphe 26 ci-dessus);
iii. seules peuvent être recueillies et communiquées des informations pertinentes (paragraphes 18-20, 28 et 30 ci-dessus);
iv. une demande de renseignements doit concerner uniquement la personne que l’on envisage de nommer (paragraphe 27 ci-dessus);
v. des parlementaires siègent au Conseil national de la police (paragraphe 29 ci-dessus);
vi. les informations peuvent être portées à la connaissance de l’intéressé; le Gouvernement concède toutefois que cela n’est jamais arrivé, du moins sous l’empire des textes en vigueur avant le 1er octobre 1983 (paragraphe 31 ci-dessus);
vii. la décision de nommer ou non la personne concernée appartient à l’autorité requérante et non au Conseil (paragraphe 34 ci-dessus);
viii. elle peut donner lieu à un recours devant le gouvernement (paragraphe 16 ci-dessus);
ix. le ministre de la Justice exerce un contrôle (paragraphe 35 ci-dessus);
x. il en va de même du Chancelier de la Justice (paragraphes 36-37 ci-dessus),
xi. du médiateur parlementaire (paragraphes 38-39 ci-dessus) et
xii. de la Commission parlementaire de la Justice (paragraphe 40 ci-dessus).
63. La Cour relève d’abord que certaines de ces garanties n’entrent pas en ligne de compte en l’espèce; par exemple, il n’y a jamais eu de décision relative à une nomination et susceptible de recours (paragraphes 11 et 16 ci-dessus).
64. L’ordonnance comprend plusieurs dispositions destinées à réduire au strict minimum les effets de la procédure de contrôle du personnel (voir notamment les paragraphes 54-55 et les points ii-iv du paragraphe 62 ci-dessus). En outre, l’usage des renseignements inscrits au registre secret de la police dans d’autres domaines que le contrôle du personnel se limite, en pratique, à certains cas de poursuites pénales et à des affaires de naturalisation (paragraphe 22 ci-dessus).
En dehors des contrôles opérés par le gouvernement lui-même, c’est au Parlement et à des institutions indépendantes qu’il incombe de veiller à la bonne marche du système (paragraphes 35-40 ci-dessus).
65. La Cour attache un grand prix à la présence de députés au Conseil national de la police et au droit de regard dont jouissent tant le Chancelier de la Justice que le médiateur parlementaire et la Commission parlementaire de la Justice (paragraphe 62 ci-dessus, points v, x, xi et xii).
Les députés siégeant au Conseil, dont des membres de l’opposition (paragraphe 29 ci-dessus), participent à toute décision sur le point de savoir s’il faut ou non livrer des renseignements à l’autorité requérante. Spécialement, chacun d’eux possède un droit de veto dont le jeu empêche automatiquement le Conseil de procéder à pareille communication. Seul le gouvernement peut alors ordonner celle-ci, mais uniquement s’il est saisi par le directeur de la police nationale ou à la demande de l’un des députés (paragraphe 29 ci-dessus). Ce contrôle direct et régulier sur l’aspect le plus important du registre - la communication d’informations - offre une garantie appréciable contre les abus.
De plus, la Commission parlementaire de la Justice assure une surveillance (paragraphe 40 ci-dessus).
Celle qu’exerce le médiateur parlementaire fournit une protection supplémentaire, en particulier lorsque des individus s’estiment atteints dans leurs droits et libertés (paragraphes 38-39 ci-dessus).
Quant au Chancelier de la Justice, sans doute est-il, dans certains domaines, le plus haut conseiller juridique du gouvernement, mais c’est du Parlement suédois qu’il tient le mandat de superviser, entre autres, le fonctionnement du système de contrôle du personnel. En la matière, il agit à peu près de la même manière que le médiateur et, au moins en pratique, est indépendant du gouvernement (paragraphes 36-37 ci-dessus).
66. Le fait de n’avoir pas porté à la connaissance de M. Leander les renseignements communiqués à l’autorité militaire ne saurait, en soi, prouver que l’ingérence n’était pas "nécessaire", "dans une société démocratique", "à la sécurité nationale": c’est précisément de la sorte, au moins en partie, que la procédure de contrôle du personnel peut opérer avec efficacité (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Klass et autres précité, série A no 28, p. 27, par. 58).
La Cour note cependant que diverses autorités consultées avant l’adoption de l’ordonnance de 1969, dont le Chancelier de la Justice et le médiateur parlementaire, jugeaient souhaitable une application réelle de la règle figurant à l’article 13 (art. 13) quant à la notification aux intéressés, pour autant qu’elle ne compromettrait pas l’objectif du contrôle (paragraphe 31 ci-dessus).
67. La Cour conclut ainsi, avec la Commission, que les garanties dont s’entoure le système suédois de contrôle du personnel remplissent les exigences du paragraphe 2 de l’article 8 (art. 8-2). Vu sa grande marge d’appréciation, le gouvernement défendeur était en droit de considérer que les intérêts de la sécurité nationale prévalaient en l’occurrence sur les intérêts individuels du requérant (paragraphe 59 ci-dessus). L’ingérence que M. Leander a subie ne saurait donc passer pour disproportionnée au but légitime poursuivi.
4. Conclusion
68. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 8 (art. 8).
II. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 10 (art. 10)
69. Selon le requérant, les faits constitutifs de l’infraction alléguée à l’article 8 (art. 8) ont aussi contrevenu à l’article 10 (art. 10), aux termes duquel:
"1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire."
70. La Commission estime qu’il ne se pose, sous l’angle de l’article 10 (art. 10), aucune question distincte concernant la liberté d’exprimer des opinions ou celle de recevoir des informations. Le Gouvernement souscrit à cette thèse.
A. Liberté d’exprimer des opinions
71. La Convention ne reconnaît pas en tant que tel le droit d’accès à la fonction publique, mais il n’en résulte pas qu’à d’autres égards les fonctionnaires, même à l’essai, sortent de son champ d’application et notamment ne jouissent pas de la protection de l’article 10 (art. 10) (arrêts Glasenapp et Kosiek du 28 août 1986, série A no 104, p. 26, paras. 49-50, et no 105, p. 20, paras. 35-36).
72. Il faut d’abord rechercher si la procédure de contrôle du personnel appliquée au requérant constituait une ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression - telle qu’une "formalité, condition, restriction ou sanction" - ou si elle se situait dans le domaine du droit d’accès à la fonction publique. Pour répondre, il y a lieu de préciser la portée des mesures litigieuses en les replaçant dans le contexte des faits de la cause et de la législation pertinente (ibidem).
Comme il ressort clairement de ses clauses, l’ordonnance vise à ce que les titulaires de postes importants pour la sécurité nationale aient les qualifications personnelles nécessaires (paragraphe 24 ci-dessus). Dès lors, l’accès à la fonction publique se trouve au centre du problème soumis à la Cour: en déclarant que des raisons de sécurité nationale s’opposaient au recrutement de M. Leander, les commandants en chef des forces armées et de la marine ont pris en compte les renseignements concernant ce dernier à seule fin de vérifier s’il remplissait l’une des conditions personnelles exigées pour occuper l’emploi en question.
73. Partant, il n’a subi aucune atteinte à sa liberté d’exprimer des opinions, telle que la garantit l’article 10 (art. 10).
B. Liberté de recevoir des informations
74. Quant à la liberté de recevoir des informations, elle interdit essentiellement à un gouvernement d’empêcher quelqu’un de recevoir des informations que d’autres aspirent ou peuvent consentir à lui fournir. Dans des circonstances du genre de celles de la présente affaire, l’article 10 (art. 10) n’accorde pas à l’individu le droit d’accéder à un registre où figurent des renseignements sur sa propre situation, ni n’oblige le gouvernement à les lui communiquer.
75. M. Leander n’a donc subi aucune atteinte à sa liberté de recevoir des informations, telle que la protège l’article 10 (art. 10).
III. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 13 (art. 13)
76. Le requérant invoque enfin l’article 13 (art. 13), ainsi libellé:
"Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles."
Il se plaint d’abord de ce que ni lui ni son avocat n’ont eu le droit de recevoir et commenter tous les documents sur la base desquels s’est prononcée l’autorité de nomination (paragraphe 62, point vi, ci-dessus). Il fait valoir aussi qu’il n’a pu en appeler à une autorité indépendante habilitée à rendre une décision contraignante sur l’exactitude et la communication des données conservées à son sujet (paragraphe 42 ci-dessus).
Gouvernement et Commission marquent leur désaccord avec lui.
77. Pour l’interprétation de l’article 13 (art. 13), les principes généraux suivants sont à considérer:
a) un individu qui, de manière plausible, se prétend victime d’une violation des droits reconnus dans la Convention doit disposer d’un recours devant une "instance" nationale afin de voir statuer sur son grief et, s’il y a lieu, d’obtenir réparation (voir notamment l’arrêt Silver et autres précité, série A no 61, p. 42, par. 113);
b) l’"instance" dont parle l’article 13 (art. 13) n’a pas besoin d’être une institution judiciaire, mais alors ses pouvoirs et les garanties qu’elle présente entrent en ligne de compte pour apprécier l’efficacité du recours s’exerçant devant elle (ibidem);
c) l’ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les conditions de l’article 13 (art. 13) même si aucun d’entre eux n’y répond en entier à lui seul (ibidem);
d) l’article 13 (art. 13) n’exige pas un recours par lequel on puisse dénoncer, devant une autorité nationale, les lois d’un État contractant comme contraires en tant que telles à la Convention ou à des normes juridiques nationales équivalentes (arrêt James et autres du 21 février 1986, série A no 98, p. 47, par. 85).
78. En l’espèce, l’article 8 (art. 8) ne commandait pas de communiquer à M. Leander les informations que le Conseil national de la police avait données sur lui (paragraphe 66 ci-dessus). Or l’article 13 (art. 13), la Commission le rappelle dans son rapport, doit s’interpréter en harmonie avec l’économie de la Convention car il faut lire cette dernière comme un tout. La Cour estime donc, en conformité avec sa conclusion au titre de l’article 8 (art. 8), que la non-communication incriminée n’a pas entraîné, en soi et dans les circonstances de la cause, une infraction à l’article 13 (art. 13) (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Klass et autres précité, série A no 28, pp. 30-31, par. 68).
Aux fins du présent litige, un "recours effectif" selon l’article 13 (art. 13) doit s’entendre d’un recours aussi effectif que possible, eu égard aux limitations inhérentes à tout système de contrôle secret des candidats à des postes importants du point de vue de la sécurité nationale. Il reste à rechercher si les divers recours ouverts en Suède au requérant étaient "effectifs" dans ce sens étroit (ibidem, p. 31, par. 69).
79. A n’en pas douter, M. Leander a formulé sur le terrain de la Convention des griefs plausibles, au moins quant à l’article 8 (art. 8); il devait par conséquent disposer d’un recours effectif lui permettant de se prévaloir de ses droits au titre de cet article, tels que les protégeait la législation de son pays (arrêt James et autres précité, série A no 98, p. 47, par. 84; voir aussi l’arrêt Lithgow et autres du 8 juillet 1986, série A no 102, p. 74, par. 205).
La Cour a jugé compatible en lui-même avec l’article 8 (art. 8) le système suédois de contrôle du personnel. Dans une pareille situation, l’article 13 (art. 13) se trouve respecté si l’on peut, sous réserve des limitations découlant du contexte, obtenir au moyen d’une procédure interne l’observation des lois applicables (arrêt James et autres précité, série A no 98, p. 48, par. 86).
80. Selon le Gouvernement, le droit suédois offrait des recours suffisants aux fins de l’article 13 (art. 13), à savoir
i. un acte officiel de candidature au poste et, en cas d’échec, un recours au gouvernement;
ii. une demande d’accès au registre, adressée au Conseil national de la police en vertu de la loi sur la liberté de la presse et, dans l’hypothèse d’un rejet, un appel devant les juridictions administratives;
iii. une plainte au Chancelier de la Justice;
iv. une plainte au médiateur parlementaire.
D’après la majorité de la Commission, la combinaison de ces quatre recours remplissait les exigences de l’article 13 (art. 13) bien qu’aucun d’entre eux n’y répondît à lui seul.
81. La Cour note d’abord que Chancelier de la Justice et médiateur parlementaire sont compétents pour connaître de plaintes individuelles et ont le devoir de les instruire pour s’assurer que le Conseil national de la police a bien appliqué les lois en vigueur (paragraphes 36 et 38 ci-dessus). Dans l’exercice de ces tâches, ils ont l’un et l’autre accès aux informations conservées dans le registre spécial (paragraphe 41 ci-dessus). Plusieurs décisions du médiateur parlementaire attestent que ces pouvoirs s’exercent aussi pour les griefs relatifs au jeu du système de contrôle du personnel (paragraphe 39 ci-dessus). En outre, médiateur et Chancelier doivent être réputés en la matière indépendants du gouvernement. Cela tombe sous le sens pour le premier. De même, on peut considérer le second comme indépendant du gouvernement, du moins en pratique, lorsqu’il s’acquitte de ses fonctions de surveillance quant à la marche du système de contrôle du personnel (paragraphe 37 ci-dessus).
82. Principale faiblesse de la garantie assurée par le médiateur et le Chancelier de la Justice, aucun d’eux n’a le pouvoir de rendre une décision juridiquement contraignante, mise à part leur compétence pour engager des poursuites pénales ou disciplinaires (paragraphes 36-38 ci-dessus). Sur ce point, la Cour rappelle cependant les limites inévitables de l’efficacité que l’on peut attendre d’un recours ouvert à l’individu concerné par un système de contrôle secret de sécurité. Par tradition, la société suédoise éprouve un grand respect pour les avis du médiateur parlementaire et du Chancelier de la Justice; ils sont en général suivis (paragraphe 37-38 ci-dessus). Il importe aussi de relever - bien qu’il ne s’agisse pas là d’un recours dont l’individu puisse se servir de son propre mouvement - que le système litigieux se caractérise par le contrôle parlementaire approfondi auquel il donne lieu, en particulier par l’intermédiaire des parlementaires siégeant au Conseil national de la police et qui examinent chaque demande de communication de renseignements (paragraphe 29 ci-dessus).
83. A ces recours, que M. Leander n’a jamais utilisés, s’ajoute celui dont il s’est prévalu par sa lettre du 5 février 1980 au gouvernement. Il y reprochait au Conseil national de la police d’avoir enfreint l’article 13 (art. 13) de l’ordonnance en négligeant de l’inviter à présenter, par écrit ou oralement, ses observations sur les informations figurant dans le registre (paragraphe 15 ci-dessus). Le gouvernement a recueilli l’avis du Conseil et fourni au requérant l’occasion d’y répondre, ce qu’il a fait par une lettre du 11 mars 1980. Par une décision du 14 mai 1980 le gouvernement, c’est-à-dire l’ensemble du conseil des ministres, a rejeté les divers griefs de l’intéressé, y compris ceux des 22 octobre et 4 décembre 1979 (paragraphes 14 et 16 ci-dessus).
La Cour rappelle que l’ "instance" visée à l’article 13 (art. 13) n’a pas besoin d’être une institution judiciaire stricto sensu, mais que ses pouvoirs et les garanties de procédure dont elle s’entoure entrent en ligne de compte pour apprécier l’efficacité du recours (paragraphe 77 ci-dessus). Or le gouvernement a sans conteste le pouvoir de prendre une décision liant le Conseil national de la police.
84. Il faut se souvenir en outre qu’aux fins du présent litige, un recours effectif selon l’article 13 (art. 13) doit s’entendre d’un recours aussi effectif que possible, eu égard aux limitations inhérentes à tout système de surveillance secrète destiné à protéger la sécurité nationale (paragraphes 78-79 ci-dessus).
Même si, envisagée isolément, la plainte au gouvernement n’était pas jugée suffisante pour assurer le respect de l’article 13 (art. 13), la Cour considère que l’ensemble des recours susmentionnés (paragraphes 81-83) en remplit les exigences dans les circonstances particulières de la cause (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Klass et autres précité, série A no 28, p. 32, par. 72).
Dès lors, elle conclut à l’absence de violation de ce texte.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a eu violation ni de l’article 8 ni de l’article 10 (art. 8, art. 10);
2. Dit, par quatre voix contre trois, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 (art. 13).
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg, le 26 mars 1987.
Rolv RYSSDAL
Président
Marc-André EISSEN
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 par. 2 (art. 51-2) de la Convention et 52 par. 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes:
- opinion partiellement dissidente de M. Ryssdal;
- opinion partiellement dissidente de MM. Pettiti et Russo.
R. R.
M.-A. E.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. LE JUGE RYSSDAL
(Traduction)
1. Je souscris au constat de non-violation des articles 8 et 10 (art. 8, art. 10).
2. Comme la Cour estime que l’article 8 (art. 8) n’exigeait pas dans les circonstances de l’espèce la communication au requérant des renseignements le concernant fournis à l’autorité militaire, j’admets aussi que cette absence de communication ne saurait emporter violation de l’article 13 (art. 13). A cet égard, l’article 13 (art. 13) doit s’interpréter et s’appliquer de manière à ne pas réduire à néant la conclusion déjà arrêtée sous l’angle de l’article 8 (art. 8).
3. Toutefois, en vertu de l’article 13 (art. 13) le requérant eût dû disposer d’un "recours effectif devant une instance nationale" et, contrairement à la majorité de la Cour, je ne pense pas "que l’ensemble des recours" indiqués aux paragraphes 81 à 83 de l’arrêt remplisse "les exigences (de l’article 13) (art. 13) dans les circonstances particulières de la cause".
4. Il échet d’abord de préciser la violation alléguée de la Convention qui donnait à M. Leander droit à un recours effectif en vertu de l’article 13 (art. 13). Selon l’arrêt (paragraphe 47), son grief essentiel au regard de l’article 8 (art. 8) était que "ses antécédents personnels ou politiques (...) ne fournissaient aucune raison qui commandât, dans une société démocratique, de l’inscrire dans le registre de la Sûreté, de le cataloguer comme ‘dangereux pour la sécurité’ et, en conséquence, de l’exclure de l’emploi dont il s’agit".
5. Je m’associe avec la Cour pour dire "qu’aux fins du présent litige, un recours effectif selon l’article 13 (art. 13) doit s’entendre d’un recours aussi effectif que possible, eu égard aux limitations inhérentes à tout système de surveillance secrète destiné à protéger la sécurité nationale" (paragraphe 84 de l’arrêt).
En revanche, précisément parce que le caractère secret inhérent au système de contrôle rend particulièrement vulnérable le droit du citoyen au respect de sa vie privée, il importe que toute allégation d’une violation de ce droit soit examinée par une "instance nationale" tout à fait indépendante de l’exécutif et investie de pouvoirs effectifs d’enquête. L’"instance nationale" doit donc avoir en droit la compétence et en pratique la capacité d’examiner de près le fonctionnement du système de contrôle du personnel, notamment de vérifier qu’aucune erreur n’a été commise quant à l’étendue et aux modalités d’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré à la police et au Conseil national de la police de recueillir, classer et communiquer des informations. Pareil pouvoir indépendant d’enquête s’impose d’autant plus que certaines instructions gouvernementales relatives au classement d’informations dans le registre de la police sont elles-mêmes secrètes, ce qui est à mon sens fort préoccupant en soi.
Si l’"instance nationale" constate une erreur, le citoyen concerné doit aussi, d’après l’article 13 (art. 13), avoir la possibilité - au besoin en engageant une procédure séparée devant les tribunaux - soit de contester la validité du résultat du contrôle secret du personnel, c’est-à-dire la décision de ne pas l’employer, soit d’obtenir un dédommagement ou une autre forme de redressement.
6. La majorité de la Cour (au paragraphe 83 de l’arrêt) inclut dans l’ensemble des recours pertinents la lettre de M. Leander au gouvernement, dans laquelle il reprochait au Conseil national de la police d’avoir enfreint les dispositions de l’ordonnance en négligeant de l’inviter à présenter ses observations sur les informations figurant dans le registre. Le gouvernement a rejeté ce grief par une décision du 14 mai 1980. A mes yeux, cette voie de recours ne saurait être déterminante aux fins de l’article 13 (art. 13), considérée isolément ou combinée avec les autres recours invoqués par la majorité de la Cour, à savoir la plainte au médiateur parlementaire et au Chancelier de la Justice. En effet, la question de l’indépendance mise à part, elle n’a pas permis d’aborder le grief fondamental du requérant sur le terrain de la Convention. Même si l’exigence du secret empêchait M. Leander de formuler lui-même des observations sur les données défavorables consignées à son sujet dans le registre, l’article 13 (art. 13) lui garantissait un droit d’accès à une "instance nationale" compétence pour examiner le bien-fondé de son grief tiré de la Convention.
En conséquence, sur l’ensemble des recours pertinents, il reste à examiner l’alternative de s’adresser au médiateur parlementaire ou au Chancelier de la Justice.
7. Médiateur parlementaire et Chancelier de la Justice exercent un contrôle général sur les activités de l’exécutif; ils ne sont pas spécifiquement chargés d’enquêter sur le fonctionnement du système de contrôle du personnel. Par tradition, la société suédoise éprouve un grand respect pour leurs avis, je le reconnais. Cependant, ils n’ont ni l’un ni l’autre le pouvoir de prononcer des décisions juridiquement contraignantes; et il n’est pas clairement établi que si le premier ou le second estime qu’il y a eu erreur, l’individu concerné disposera de moyens effectifs de contester la validité de la décision sur l’emploi ou d’obtenir une autre forme de réparation.
8. Je conclus donc à la violation de l’article 13 (art. 13).
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE MM. LES JUGES PETTITI ET RUSSO
Nous avons voté avec la majorité pour la non-violation en ce qui concerne les articles 8 et 10 (art. 8, art. 10), mais nous avons voté pour la violation au titre de l’article 13 (art. 13).
Nous considérons que le recours auprès du Chancelier de la Justice n’aboutissait qu’à un avis et n’était pas effectif; de même pour le recours au médiateur (Ombudsman). L’ensemble de ces deux recours ne remplit donc pas les exigences de l’article 13 (art. 13).
Le particulier n’est pas considéré comme partie à la procédure devant le Conseil national de la police en matière de communication de renseignements (Cour administrative suprême, arrêt du 20 juin 1984). Aucun recours n’est ouvert auprès du gouvernement ou des juridictions administratives contre la décision en tant que telle du Conseil de fournir des informations à l’autorité requérante. M. Leander ne se trouvait pas non plus dans les conditions d’un procès pénal pour lequel il aurait pu exiger la communication du document.
S’agissant spécialement de registres secrets, ce qui ne permet pas au citoyen d’utiliser les lois et règlements l’autorisant à avoir accès aux documents administratifs, il est d’autant plus nécessaire qu’il existe un recours effectif devant une autorité indépendante, même si ce n’est pas devant une "instance" judiciaire.
En effet, la théorie de l’acte de gouvernement peut être invoquée à tort par celui-ci. Il peut même y avoir une "voie de fait" des autorités de police.
Il faut noter aussi que la décision de l’Ombudsman suédois ne peut avoir d’effet que par rapport aux fonctionnaires et non au regard de l’intéressé.
Au surplus, des recours inefficaces, même additionnés, ne peuvent constituer un recours effectif lorsque, comme en l’espèce, leurs lacunes respectives ne se compensent pas mais s’ajoutent les unes aux autres.
Les six membres de la Commission qui dans leur opinion dissidente retenaient la violation de l’article 13 (art. 13), ont justement observé l’absence de recours effectif. Pour nous, il ne serait pas nécessaire d’exiger que l’autorité chargée de statuer sur le recours puisse allouer des dommages-intérêts, mais il est en tout cas indispensable qu’une autorité indépendante puisse constater le bien ou mal-fondé de l’inscription sur le registre ou même la simple erreur matérielle ou d’identité - rendant sans objet l’invocation de la sécurité publique.
Il y a lieu aussi de tenir compte des dangers d’interconnexion informatique des registres de police avec des registres d’autres États ou avec le registre d’Interpol. L’individu doit pouvoir disposer d’un recours contre une inscription qui résulterait d’une erreur fondamentale, même si un secret est gardé sur l’origine des informations et n’est connu que de l’autorité indépendante, compétente pour statuer sur le recours de l’intéressé.
Un système de contrôle, tel celui des Conseils d’État (Belgique, France, Italie), devrait assurer un recours effectif, ce qui n’est pas le cas selon nous.
L’État ne peut être totalement juge et partie en ce domaine sensible pour le respect des droits de la personne.
En conséquence, nous considérons qu’il y a eu violation de l’article 13 (art. 13).
* Note du greffier: L'affaire porte le n° 10/1985/96/144. Les deux premiers chiffres désignent son rang dans l'année d'introduction, les deux derniers sa place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
MALONE v. THE UNITED KINGDOM JUGDMENT
ARRÊT LEANDER c. SUEDE
ARRÊT LEANDER c. SUEDE
ARRÊT LEANDER c. SUEDE
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. LE JUGE RYSSDAL
ARRÊT LEANDER c. SUEDE
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. LE JUGE RYSSDAL
ARRÊT LEANDER c. SUEDE
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE MM. LES JUGES PETTITI ET RUSSO
ARRÊT LEANDER c. SUEDE
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE MM. LES JUGES PETTITI ET RUSSO