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28/11/2012 | FRANCE | N°338682

France | France, Conseil d'État, 9ème et 10ème sous-sections réunies, 28 novembre 2012, 338682


Vu 1°), sous le n° 338682, le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 15 avril et 7 juillet 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la Société BNP Paribas, dont le siège est 16, boulevard des Italiens à Paris (75009), représentée par son président-directeur général ; la Société BNP Paribas demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 08PA03825 du 29 janvier 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement n° 0304612/1-2 du 20 mai 2008 du tri

bunal administratif de Paris rejetant sa demande tendant à la décharge des coti...

Vu 1°), sous le n° 338682, le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 15 avril et 7 juillet 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la Société BNP Paribas, dont le siège est 16, boulevard des Italiens à Paris (75009), représentée par son président-directeur général ; la Société BNP Paribas demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 08PA03825 du 29 janvier 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement n° 0304612/1-2 du 20 mai 2008 du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles sur cet impôt mises à sa charge au titre des années 1995 et 1996, ainsi que des pénalités correspondantes ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu 2°), sous le n° 341128, le pourvoi, enregistré le 2 juillet 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat ; le ministre demande au Conseil d'Etat :

d'annuler l'arrêt n° 09VE02136 du 4 mai 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a, sur l'appel de la société BNP Paribas, annulé le jugement n° 0606555 du 4 mai 2009 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la demande de cette société tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles sur cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 1998, ainsi que des pénalités correspondantes ;

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 15 novembre 2012, présentée pour la société BNP Paribas ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Gariazzo, Maître des Requêtes en service extraordinaire,

- les observations de la SCP Tiffreau, Corlay, Marlange, avocat de la Société BNP Paribas,

- les conclusions de M. Frédéric Aladjidi, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Tiffreau, Corlay, Marlange, avocat de la Société BNP Paribas ;

1. Considérant que les pourvois nos 338682 et 341128 présentent à juger les mêmes questions ; qu'il y a lieu des les joindre pour statuer par une seule décision ;

2. Considérant qu'il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond qu'à l'issue d'une vérification de comptabilité, la SA BNP Paribas, venant aux droits de la SA Paribas, a été assujettie, au titre des exercices clos au cours des années 1995, 1996 et 1998, à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles sur cet impôt ainsi qu'aux pénalités correspondantes, à raison de l'inclusion dans son bénéfice taxable d'une fraction des bénéfices de sa filiale Kanghwa Investment Ltd, créée et gérée par sa succursale hongkongaise et implantée à Hong Kong ; qu'après avoir vainement réclamé auprès de l'administration contre les impositions supplémentaires mises à sa charge au titre des exercices clos en 1995 et 1996, elle a saisi le tribunal administratif de Paris qui, par un jugement du 28 mai 2008, a rejeté sa demande ; que la cour administrative d'appel de Paris a, par un arrêt du 29 janvier 2010, contre lequel elle se pourvoit en cassation sous le n° 338682, rejeté son appel contre ce jugement ; qu'après avoir vainement réclamé auprès de l'administration contre les impositions supplémentaires mises à sa charge au titre de l'exercice clos en 1998, la société a saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise qui, par un jugement du 4 mai 2009, a rejeté sa demande ; que, sur l'appel de la SA BNP Paribas, la cour administrative d'appel de Versailles a, par un arrêt du 4 mai 2010, annulé ce jugement et prononcé la décharge des impositions en litige ; que le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat se pourvoit en cassation, sous le n° 341128, contre cet arrêt ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article 209 B du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige : " I. Lorsqu'une entreprise passible de l'impôt sur les sociétés détient directement ou indirectement 25 % au moins des actions ou parts d'une société établie dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France dont le régime fiscal est privilégié au sens mentionné à l'article 238 A, cette entreprise est soumise à l'impôt sur les sociétés sur les résultats bénéficiaires de la société étrangère dans la proportion des droits sociaux qu'elle y détient. / Ces bénéfices font l'objet d'une imposition séparée. (...) / II. Les dispositions du I ne s'appliquent pas si l'entreprise établit que les opérations de la société étrangère n'ont pas principalement pour effet de permettre la localisation de bénéfices dans un Etat ou territoire où elle est soumise à un régime fiscal privilégié. Cette condition est réputée remplie notamment : / - lorsque la société étrangère a principalement une activité industrielle ou commerciale effective ; / et qu'elle réalise ses opérations de façon prépondérante sur le marché local " ; qu'aux termes de l'article 238 A du même code alors applicable : " (...) les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l'État ou le territoire considéré si elles n'y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus notablement moins élevés qu'en France " ;

4. Considérant qu'il résulte de ces dispositions, éclairées par leurs travaux préparatoires, que le législateur a entendu dissuader les entreprises passibles en France de l'impôt sur les sociétés de localiser, pour des raisons principalement fiscales, une partie de leurs bénéfices, au travers de filiales, créées par elles ou par une de leurs filiales dans des pays ou territoires à régime fiscal privilégié au sens de l'article 238 A du même code ; qu'à cette fin, le premier alinéa du I de l'article 209B du code général des impôts prévoit, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige, que dans le cas où une entreprise passible en France de l'impôt sur les sociétés détient, directement ou indirectement, au moins 25 % des actions ou parts d'une société implantée dans un Etat ou territoire à régime fiscal privilégié, elle est normalement soumise à l'impôt sur les sociétés sur les bénéfices de cette société, à proportion des droits qu'elle y détient ; qu'il n'en va autrement, de manière dérogatoire, que si l'entreprise démontre, ainsi que le prévoit le premier alinéa du II de l'article 209 B, que l'implantation de la filiale, détenue directement ou indirectement, dans un pays à régime fiscal privilégié n'a pas, pour la société mère, principalement pour objet d'échapper à l'impôt français ; que si une telle situation peut être présumée, c'est à la double condition qu'il soit démontré, d'une part, que la société étrangère exerce une activité industrielle ou commerciale effective, et, d'autre part, que les opérations qu'elle réalise dans le cadre de cette activité sont effectuées de manière prépondérante sur le marché local, cette dernière notion devant, en tant qu'elle autorise une dérogation à la règle de droit commun, être interprétée strictement ;

Sur le pourvoi de la société BNP Paribas :

5. Considérant qu'en se bornant à juger, d'une part, que la société requérante ne démontrait pas que l'activité de sa filiale Kanghwa Investment Ltd était de nature commerciale et était réalisée de manière prépondérante sur le marché local, sans expliquer en quoi une telle preuve n'était pas apportée, et, d'autre part, que la société n'établissait pas que les opérations de sa filiale hongkongaise n'avaient pas principalement pour objet de permettre la localisation de bénéfices dans un État où elle était soumise à un régime fiscal privilégié, en se fondant sur un seul des arguments de la société requérante, la cour a entaché son arrêt d'insuffisance de motivation ;

6. Considérant qu'il suit de là que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, la société BNP Paribas est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque ;

Sur le pourvoi du ministre :

7. Considérant que la cour administrative d'appel de Versailles a relevé, par une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation, que la société Kanghwa Investment Ltd exerçait une activité de gestion de trésorerie consistant à placer dans des titres obligataires coréens des devises locales détenues par d'autres entités du groupe Paribas implantées en Asie du sud-est et à conserver une partie des bénéfices en résultant ; qu'elle a pu en déduire, sans entacher son arrêt d'erreur de qualification juridique des faits, que cette activité avait une nature commerciale ; qu'en revanche, en jugeant que la société BNP Paribas établissait que les opérations de gestion de trésorerie de sa filiale étaient réalisées de façon prépondérante sur un marché local, la cour s'est méprise, eu égard à la nature de l'activité en cause et aux clients concernés, sur la portée de la condition prévue au troisième alinéa du II de l'article 209 B ; qu'ainsi, en jugeant que la société BNP Paribas était fondée à se prévaloir de ce qu'en vertu des dispositions du II de l'article 209 B du code général des impôts, les opérations de la société Kanghwa Investment Ltd devaient être présumées ne pas avoir principalement pour objet de permettre la localisation de bénéfices dans un État à régime fiscal privilégié, la cour a commis une erreur de droit ;

8. Considérant, par suite, que le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque ;

9. Considérant qu'il y a lieu, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, de renvoyer l'affaire à la cour administrative d'appel de Versailles ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant que, sous le n° 338682, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la société BNP Paribas au titre de cet article ;

11. Considérant que, sous le n° 341128, les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans cette instance, la partie perdante ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 29 janvier 2010 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.

Article 2 : L'arrêt du 4 mai 2010 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé.

Article 3 : Les affaires sont renvoyées à la cour administrative d'appel de Versailles.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la société BNP Paribas est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société BNP Paribas et au ministre de l'économie et des finances.


Synthèse
Formation : 9ème et 10ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 338682
Date de la décision : 28/11/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-01-04-01 CONTRIBUTIONS ET TAXES. IMPÔTS SUR LES REVENUS ET BÉNÉFICES. RÈGLES GÉNÉRALES. IMPÔT SUR LES BÉNÉFICES DES SOCIÉTÉS ET AUTRES PERSONNES MORALES. PERSONNES MORALES ET BÉNÉFICES IMPOSABLES. - BÉNÉFICES PROVENANT DE SOCIÉTÉS ÉTABLIES DANS UN ETAT À FISCALITÉ PRIVILÉGIÉE (ART. 209 B DU CGI, DANS SA RÉDACTION ANTÉRIEURE À LA LOI N° 2004-1484 DU 30 DÉCEMBRE 2004) - DÉROGATION PRÉVUE AU II DE L'ARTICLE 209 B - CHAMP D'APPLICATION - ENTREPRISE DÉMONTRANT QUE L'IMPLANTATION DE LA FILIALE DANS UN PAYS À RÉGIME FISCAL PRIVILÉGIÉ N'A PAS, POUR LA SOCIÉTÉ MÈRE, PRINCIPALEMENT POUR OBJET D'ÉCHAPPER À L'IMPÔT FRANÇAIS [RJ1] - CONDITIONS.

19-04-01-04-01 Il résulte des dispositions du I de l'article 209 B du code général des impôts (CGI) dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2006 que, dans le cas où une entreprise passible en France de l'impôt sur les sociétés détient, directement ou indirectement, au moins 25 % des actions ou parts d'une société implantée dans un Etat ou territoire à régime fiscal privilégié au sens de l'article 238 A du même code, elle est normalement soumise à l'impôt sur les sociétés sur les bénéfices de cette société, à proportion des droits qu'elle y détient. Il n'en va autrement, de manière dérogatoire, que si l'entreprise démontre, ainsi que le prévoit le premier alinéa du II de l'article 209 B, que l'implantation de la filiale, détenue directement ou indirectement, dans un pays à régime fiscal privilégié n'a pas, pour la société mère, principalement pour objet d'échapper à l'impôt français. Si une telle situation peut être présumée, c'est à la double condition qu'il soit démontré, d'une part, que la société étrangère exerce une activité industrielle ou commerciale effective et, d'autre part, que les opérations qu'elle réalise dans le cadre de cette activité sont effectuées de manière prépondérante sur le marché local, cette dernière notion devant, en tant qu'elle autorise une dérogation à la règle de droit commun, être interprétée strictement.


Références :

[RJ1]

Cf. CE, 2 février 2012, Société Sonepar, n° 351600, inédite au Recueil.


Publications
Proposition de citation : CE, 28 nov. 2012, n° 338682
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Olivier Gariazzo
Rapporteur public ?: M. Frédéric Aladjidi
Avocat(s) : SCP TIFFREAU, CORLAY, MARLANGE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2012:338682.20121128
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