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22/10/1985 | CJUE | N°266/84

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 22 octobre 1985., Denkavit France SARL contre Fonds d'orientation et de régularisation des marchés agricoles (FORMA)., 22/10/1985, 266/84


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. CARL OTTO LENZ

présentées le 22 octobre 1985 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

A —

La procédure sur laquelle nous prenons position aujourd'hui a pour objet des dispositions que les opérateurs du marché doivent respecter en vertu du règlement no 1380/75 de la Commission, du 29 mai 1975 ( 1 ), s'ils veulent bénéficier de montants compensatoires monétaires dans les échanges intracommunautaires de produits agricoles.

1.

La demanderesse au principal, l

a société Denkavit France, a exporté de France vers le Royaume-Uni, le 19 janvier 1977, un produit dénommé « Fin...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. CARL OTTO LENZ

présentées le 22 octobre 1985 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

A —

La procédure sur laquelle nous prenons position aujourd'hui a pour objet des dispositions que les opérateurs du marché doivent respecter en vertu du règlement no 1380/75 de la Commission, du 29 mai 1975 ( 1 ), s'ils veulent bénéficier de montants compensatoires monétaires dans les échanges intracommunautaires de produits agricoles.

1.

La demanderesse au principal, la société Denkavit France, a exporté de France vers le Royaume-Uni, le 19 janvier 1977, un produit dénommé « Finisher C2 », destiné à l'alimentation du bétail. Le montant facturé s'élevait à 48000 FF, plus le fret de 200 UKL.

Étant donné que l'on avait fait usage dans ies échanges de produits agricoles entre la France et le Royaume-Uni de la possibilité prévue à l'article 2 bis du règlement no 974/71 ( 2 ), à savoir le paiement par l'État membre exportateur des montants compensatoires monétaires (MCM) dus par l'État membre importateur, l'octroi des montants compensatoires monétaires est subordonné, en vertu de l'article 11, paragraphe 2, du règlement no 1380/75 de la Commission, du 25 mai 1975, à la production de la
preuve de l'accomplissement des formalités douanières d'importation dans l'État membre importateur. Cette preuve est apportée, en premier lieu, par la production de l'exemplaire de contrôle au sens de l'article 1er du règlement no 2315/69 du 19 novembre 1969 ( 3 ), qu'il est convenu d'appeler l'exemplaire de contrôle T5.

Un tel exemplaire de contrôle T5 a été établi lors de l'exportation de l'aliment pour bétail mentionné, mais l'original n'a jamais été renvoyé au bureau de départ comme le prescrit l'article 5, paragraphe 4, du règlement no 2315/69.

Le 25 avril 1977, la société Denkavit a informé la partie défenderesse au principal, le Fonds d'orientation et de régularisation des marchés agricoles (FORMA), par une lettre qui concernait au demeurant d'autres opérations d'exportation, du fait que l'original de l'exemplaire de contrôle n'avait pas été renvoyé. Par une autre lettre, du 4 novembre 1977, la société Denkavit a fourni au FORMA les copies de l'exemplaire de contrôle T5, une attestation d'importation C 10, ainsi que la facture du 17
janvier 1977. Denkavit indiquait que l'original de l'exemplaire de contrôle T5 avait été égaré par les douanes britanniques et soulevait, en même temps, la question de savoir si le paiement des MCM pouvait être demandé de cette manière.

Par une lettre du 7 juin 1978, le FORMA a attiré l'attention de la société Denkavit sur le fait qu'il lui appartenait de prouver qu'il y avait eu cas de force majeure et qu'elle avait elle-même apporté toutes les diligences requises pour produire soit l'exemplaire de contrôle T5, soit des pièces équivalentes et déposé avant l'expiration du délai de six mois un dossier complet satisfaisant aux dispositions communautaires. Au reste, il était rappelé qu'un collaborateur du FORMA avait déclaré à la
société Denkavit, le 10 novembre 1977, qu'il ne pouvait pas être donné suite à sa demande du 4 novembre 1977 parce que le délai de six mois prévu à l'article 15 du règlement no 1380/75 n'avait pas été respecté; au cours du même entretien, il aurait été indiqué également que les pièces produites le 4 novembre 1977 ne satisfaisaient pas aux exigences de l'article 11 du règlement no 1380/75 tel que modifié par le règlement no 1498/76 ( 4 ).

Le 29 août 1978, la société Denkavit a introduit auprès du FORMA une demande de paiement des MCM accompagnée de pièces équivalentes. Par lettre du 1er septembre 1978, le FORMA a indiqué à la société Denkavit que l'examen des documents fournis à l'appui de la demande de paiement des MCM ne permettait pas de considérer que toutes les diligences nécessaires avaient été apportées afin d'obtenir les pièces équivalant à l'exemplaire de contrôle T5 égaré par les douanes britanniques. Se référant à sa
lettre antérieure du 7 juin 1978, le FORMA précisait qu'il procéderait à un nouvel examen du dossier en vue de déterminer si la forclusion pouvait être levée dès que des documents apporteraient la preuve de ces diligences dans le délai prescrit de six mois suivant l'importation du produit.

Par requête du 6 novembre 1978, la société Denkavit a demandé au tribunal administratif de Paris l'annulation de la décision du FORMA du 1er septembre 1978 et la condamnation du FORMA au paiement de 19553,40 FF au titre des MCM, assortis des intérêts moratoires. Par jugement du 9 novembre 1984, le tribunal administratif de Rouen, qui avait été déclaré territorialement compétent par ordonnance du président de la section du contentieux du Conseil d'État, a alors déféré à la Cour des questions
préjudicielles qui sont formulées de la manière suivante dans les motifs du jugement:

« Considérant ... que la solution du litige dépend du point de savoir si la forclusion prévue par l'article 15 du règlement (CEE) no 1380/75 ne méconnaît pas les principes généraux du droit communautaire en ce qu'elle ne respecterait pas la règle de la proportionnalité à la sanction et serait contraire à l'esprit du système communautaire de versement des montants compensatoires; et si une réponse négative était donnée à cette question de savoir si le défaut de retour du formulaire de contrôle ECT5
constitue un cas de force majeure au sens de l'article susvisé et sous quelles conditions ».

2.

Il nous paraît utile de rappeler ici les termes des dispositions réglementaires pertinentes en l'espèce.

L'article 11, paragraphe 2, du règlement no 1380/75 de la Commission du 29 mai 1975 est libellé comme suit:

« Le paiement du montant compensatoire monétaire par l'État membre exportateur, qui devrait être octroyé par l'État membre importateur, est subordonné à la production de la preuve de l'accomplissement des formalités douanières d'importation et de la perception des droits et taxes d'effet équivalent exigibles dans l'État membre importateur.

Cette preuve est apportée par la production de l'exemplaire de contrôle visé à l'article 1er du règlement (CEE) no 2315/69... »

L'article 5, paragraphe 4, du règlement no 2315/69 précité dispose:

« Sans préjudice de l'application des dispositions de l'article 26 du règlement (CEE) no 542/69, l'exemplaire de contrôle est renvoyé sans délai au bureau de départ après avoir été dûment annoté par le bureau de douane compétent de l'État membre de destination... »

Le règlement no 1498/76 de la Commission du 25 juin 1976 a ajouté à l'article 11 du règlement no 1380/75 un paragraphe 5 dont l'alinéa 1 est libellé comme suit:

« Lorsque l'exemplaire de contrôle visé au paragraphe 2 n'est pas revenu au bureau de départ ou à l'organisme centralisateur dans un délai de trois mois à compter de sa délivrance par suite de circonstances non imputables à l'intéressé, celui-ci peut introduire auprès de l'organisme compétent une demande motivée d'équivalence assortie de pièces justificatives. Les pièces justificatives à présenter lors de la demande d'équivalence doivent comprendre, outre le document de transport, le document
douanier de mise à la consommation dans l'État membre de destination ou sa copie ou photocopie certifiée conforme par les services compétents. »

L'article 15 du règlement no 1380/75 dispose enfin:

« Le dossier du paiement du montant compensatoire monétaire doit être déposé, sauf cas de force majeure, dans les six mois suivant le jour d'accomplissement des formalités douanières, sous peine de forclusion. »

3.

La demanderesse au principal, la société Denkavit, s'est prononcée de la manière suivante sur les questions préjudicielles:

a) Sur la validité de l'article 15 du règlement no 1380/75

De l'avis de la demanderesse, la sanction de la forclusion, en cas de non-respect du délai de dépôt du dossier, dépasse les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché, de sorte que l'article litigieux devrait être considéré comme non valide. La demanderesse fonde ce point de vue sur l'arrêt rendu par la Cour le20 février 1979 dans l'affaire 122/78 ( 5 ). Il serait disproportionné qu'une omission de caractère purement formel soit frappée de la même sanction que
le non-accomplissement de l'importation ou de l'exportation.

La demanderesse fait valoir, par ailleurs, que le délai de six mois aurait été trop court; c'est pourquoi l'article 17, paragraphe 2, du règlement no 1371/81 de la Commission ( 6 ), qui a partiellement abrogé et remplacé le règlement no 1380/75, l'aurait porté à douze mois.

b) Sur la notion de force majeure

De l'avis de la demanderesse au principal, la perte d'un document par un service douanier constitue toujours un cas de force majeure. Elle se fonde, à cet égard, sur l'arrêt rendu par la Cour le 6 octobre 1982 ( 7 ), dans lequel la Cour a constaté que des vices de procédure qui ne sont pas imputables à la personne qui devrait normalement bénéficier de montants compensatoires ne doivent pas produire des effets défavorables pour celle-ci.

La réglementation de l'article 11, paragraphe 5, du règlement no 1380/75 qui permettrait à l'opérateur d'obtenir à l'expiration d'un délai de trois mois des pièces équivalant à l'exemplaire de contrôle T5, ne constituerait qu'une option facultative et non pas une obligation à laquelle l'opérateur devrait satisfaire. L'opérateur ne serait en tout cas pas tenu d'effectuer dans le délai de forclusion de l'article 15 du règlement no 1380/75 des démarches au sens de l'article 11, paragraphe 5, de ce
même règlement.

c) Dans le mémoire du 25 février 1980 qu'elle avait présenté au tribunal administratif de Rouen et que la demanderesse au principal a joint en annexe aux observations qu'elle a présentées à la Cour, elle prend, enfin, encore position sur un problème que la juridiction de renvoi n'a pas soumis à la Cour: la date à partir de laquelle le délai de forclusion de l'article 15 du règlement no 1380/75 commence à courir.

Selon l'article 15 de ce règlement, le dossier nécessaire devrait être déposé dans les six mois suivant le jour d'accomplissement des formalités douanières, sous peine de forclusion. Lorsque les MCM dus par l'État membre importateur sont payés par l'État membre exportateur et lorsque ce paiement est subordonné à la preuve de l'accomplissement des formalités douanières dans l'État membre importateur, les formalités douanières ne seraient définitivement accomplies que lorsque l'exemplaire de
contrôle T5 est revenu au bureau de départ. Or, comme le formulaire de contrôle en question aurait été égaré et n'aurait donc jamais été renvoyé au bureau de départ, le délai de forclusion de l'article 15 du règlement no 1380/75 n'aurait jamais commencé à courir.

d) En conséquence, la demanderesse au principal propose de répondre de la manière suivante aux questions déférées par le tribunal administratif de Rouen:

«— L'article 15 du règlement (CEE) no 1380/75, qui frappe le non-respect du délai pour le dépôt du dossier du paiement du montant compensatoire par la perte totale et automatique des montants compensatoires auxquels l'opérateur avait droit, est non valide.

— En cas d'usage de la faculté prévue à l'article 2 bis du règlement (CEE) no 974/71, est constitutive d'un cas de force majeure au sens de l'article 15 du règlement (CEE) no 1380/75 la perte de l'exemplaire de contrôle T5 visé à l'article 11 du même règlement par la négligence de l'administration des douanes de l'État membre de destination. Dans ces circonstances, ne perd pas le droit à l'octroi des montants compensatoires l'opérateur qui, d'une part, a avisé le service compétent, dans le délai
prévu à l'article 15 du règlement (CEE) no 1380/75, du non-retour dudit exemplaire de contrôle T5 et, d'autre part, n'a introduit la demande motivée d'équivalence au sens de l'article 11, paragraphe 5, du même règlement qu'après réception de la confirmation écrite, de la part de l'administration des douanes de l'État membre de destination, de la perte de l'exemplaire de contrôle T5 en question,

ou

— a respecté le délai de forclusion prévu à l'article 15 du règlement (CEE) no 1380/75 l'opérateur qui, en cas de perte par la négligence de l'administration des douanes de l'État membre de destination, de l'exemplaire de contrôle T5 visé à l'article 11 du même règlement, a cumulativement:

— avisé le service compétent, avant l'expiration d'un délai de six mois après le dédouanement, du non-respect dudit exemplaire de contrôle;

— introduit la demande motivée d'équivalence prévue à l'article 11, paragraphe 5, du même règlement, après réception de la confirmation écrite de la perte dudit exemplaire de contrôle de la part de l'administration des douanes de l'État membre de destination;

— déposé le dossier du paiement du montant compensatoire au sens des articles 14 et 15 du même règlement auprès du service compétent, immédiatement après réception des documents d'équivalence au sens de l'article 11, paragraphe 5, du même règlement. »

4.

La partie défenderesse au principal, le FORMA, propose d'apporter une réponse négative aux questions préjudicielles.

a) Sur la validité de l'article 15

Le règlement no 1380/75 imposerait à l'exportateur l'obligation d'effectuer dans un certain délai une série de démarches pour percevoir les MCM. L'article 15 ne serait contraire ni au principe de proportionnalité, ni à l'esprit du système communautaire de versement des montants compensatoires, ni aux principes généraux du droit communautaire.

b) Sur la notion de force majeure

La partie défenderesse au principal appréhende la notion de force majeure comme un événement anormal qui n'est pas imputable à un comportement de l'opérateur et qui a, à l'égard de ce dernier, des conséquences inévitables. Le simple défaut de retour de l'exemplaire de contrôle T5 ne saurait constituer un cas de force majeure puisque le règlement permet à l'opérateur d'éviter par sa diligence les conséquences de cet événement anormal. La demanderesse au principal n'aurait pas prouvé qu'elle avait
apporté toutes les diligences nécessaires pour éviter les conséquences du non-retour de l'exemplaire de contrôle.

c) Partant, la partie défenderesse au principal propose de répondre aux questions préjudicielles de la manière suivante:

«L'article 15 du règlement (CEE) no 1380/75 ne méconnaît pas les principes généraux du droit communautaire, respecte la règle de la proportionnalité et n'est pas contraire à l'esprit du système communautaire de versement des montants compensatoires, et est valide.

Le défaut de retour du formulaire de contrôle T5 ne constitue pas un cas de force majeure au sens de l'article 15 susvisé du règlement (CEE) no 1380/75. »

5

a) En ce qui concerne la question de la validité de l'article 15 du règlement no 1380/75, la Commission estime qu'il y a lieu de distinguer entre, d'une part, les cas dans lesquels le non-respect de délais aurait eu pour conséquence des pénalités venant s'ajouter à la perte de l'avantage financier principal et, d'autre part, l'espèce présente où il s'agit de l'octroi de l'avantage luimême. Le versement d'un tel montant devrait incontestablement être subordonné à la fourniture par l'opérateur de la
preuve que l'opération donnant droit à la perception du montant compensatoire a été effectuée et qu'elle s'est déroulée à une date déterminée. Si ces conditions n'étaient pas remplies, la finalité du mécanisme d'octroi et de perception de MCM ne pourrait pas être réalisée; cela aboutirait à ce que des opérateurs puissent bénéficier d'avantages indus allant au-delà de la compensation de l'incidence des mesures monétaires sur les prix agricoles, qui seule justifierait l'instauration d'un tel
système. La fixation d'un délai impératif pour le paiement effectif des montants à percevoir par les opérateurs s'inscrirait ainsi dans l'objectif général du système des montants compensatoires. La fixation d'un délai de paiement uniforme correspondrait, selon le quatorzième considérant du règlement no 1380/75, à la nécessité « d'éviter des distorsions de concurrence entre les opérateurs des États membres », et s'inscrirait ainsi dans l'objectif d'égalité de traitement. C'est pourquoi la fixation
d'un délai impératif, dont le non-respect est sanctionné par la forclusion du demandeur, pour le dépôt de la demande de paiement d'un montant compensatoire, s'accorderait avec l'objectif d'égalité de traitement des opérateurs lors de l'octroi des MCM; elle constituerait le moyen nécessaire et approprié pour atteindre cet objectif, cela à condition, toutefois, que le délai soit raisonnable et que puissent être suffisamment prises en considération des situations exceptionnelles entraînant un
allongement des délais non imputable à l'opérateur.

Au regard des pratiques des autorités douanières nationales, un délai de six mois paraîtrait effectivement suffisant et, partant, raisonnable. L'éventualité de circonstances exceptionnelles non imputables à l'opérateur serait prise en considération dans la réglementation communautaire à suffisance de droit dans la mesure où il serait expressément prévu que la forclusion ne s'applique pas en cas de force majeure.

b) Quant à la question relative à la force majeure, la Commission estime que, en règle générale, les agissements de l'administration dans ses rapports avec les opérateurs économiques constituent des circonstances imprévisibles et anormales lorsqu'ils sont constitutifs d'une faute de service, c'est-à-dire lorsque le service public n'a pas fonctionné, a mal fonctionné ou a fonctionné tardivement. La perte de l'exemplaire de contrôle T5 par les autorités douanières compétentes ne saurait être imputable
à l'opérateur.

Toutefois, la question qui se trouverait au centre du débat devant la juridiction au principal reviendrait à déterminer si la deuxième condition nécessaire à la reconnaissance d'un cas de force majeure — à savoir si l'opérateur a fait preuve des diligences normales — est également remplie.

En l'espèce, le seul fait que la demanderesse au principal n'ait pas eu recours à la possibilité de l'article 11, paragraphe 5, du règlement à l'intérieur du délai de six mois, ne permettrait pas de conclure que l'opérateur n'a pas fait preuve des diligences normales. Étant donné que des vices de procédure qui ne sont pas imputables à l'opérateur ne doivent pas produire d'effets défavorables à son égard, l'opérateur qui a lui-même suivi une procédure conforme aux prescriptions en la matière ne
serait pas tenu de répéter les démarches visant à obtenir des pièces équivalentes à l'intérieur du délai normal de dépôt de la demande de paiement des MCM. En revanche, ces considérations n'excluraient cependant pas que l'opérateur ait dû faire preuve, à l'intérieur du délai de six mois, des diligences normales. Celles-ci auraient pu consister aussi bien en démarches pour obtenir le retour de l'exemplaire T5 qu'en une demande de pièces équivalentes.

Lorsque l'exemplaire de contrôle T5 n'est pas retourné après l'expiration du délai de six mois, l'opérateur devrait, a fortiori, persister dans ses efforts pour obtenir l'exemplaire de contrôle T5 ou des pièces équivalentes.

c) En conséquence, la Commission propose de répondre de la manière suivante aux questions préjudicielles déférées à la Cour par le tribunal administratif de Rouen:

« L'examen de la question posée n'a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de l'article 15 du règlement (CEE) no 1380/75.

La perte du document de contrôle T5 par les autorités nationales constitue un cas de force majeure au sens de l'article 15 du règlement (CEE) no 1380/75 pour autant que l'opérateur ait fait preuve d'une diligence normale pour obtenir ce document ou fait une demande d'équivalence au sens de l'article 11, paragraphe 5, dudit règlement dans le délai de six mois prévu à l'article 15, et de la plus grande diligence pour obtenir une équivalence après l'expiration du délai ou dès qu'il a été informé de
la perte du document T5. »

B —

Dans notre prise de position sur cette demande préjudicielle, nous nous pencherons d'abord sur la question de savoir si — et le cas échéant, sous quelles conditions — le défaut de retour de l'exemplaire de contrôle T5 constitue un cas de force majeure au sens de l'article 15 du règlement no 1380/75. Ce n'est, en effet, que lorsqu'il sera clarifié à quels cas le délai de forclusion de cette disposition n'est pas applicable et lorsque nous saurons, vice versa, à quels cas le délai de forclusion
s'applique qu'il sera possible d'examiner la question de savoir si cette disposition est conforme aux principes généraux de droit de rang supérieur.

1.

Comme nous l'avons déjà exposé dans les conclusions que nous avons présentées le 6 octobre 1985 dans l'affaire 165/84 ( 8 ), la notion de force majeure a déjà fait l'objet d'une jurisprudence abondante de la Cour. Dès son arrêt rendu le 11 juillet 1968 dans l'affaire 4/68 ( 9 ), la Cour a affirmé que cette notion n'ayant pas un contenu identique dans les différentes branches du droit et les divers domaines d'application, sa signification doit être déterminée en fonction du cadre légal dans lequel
elle est destinée à sortir ses effets. Pour le domaine agricole, la Cour a constaté dans cette décision que, en principe, l'importateur qui a exercé toutes les diligences utiles est libéré de l'obligation d'importer lorsque des circonstances étrangères lui rendent impossible la réalisation de l'importation dans les délais. Tel serait le cas si l'événement qui rend impossible l'exécution dans les délais du contrat, qui aurait normalement dû mettre l'importateur en mesure de respecter son obligation
d'importer, revêt un caractère anormal, en ce sens qu'il aurait dû être considéré comme improbable par un commerçant prudent et diligent. La notion de force majeure ne devrait pas être appréhendée dans le sens d'une impossibilité absolue, mais dans le sens de difficultés anormales et indépendantes de la volonté de l'importateur survenues en cours d'exécution des contrats. La reconnaissance d'un cas de force majeure supposerait, en outre, que les conséquences de cet événement n'étaient pas évitables.

Dans les conclusions qu'il a présentées le 5 décembre 1979 ( 10 ), l'avocat général Capotorti a résumé la jurisprudence de la Cour relative à l'application de la notion de force majeure dans le domaine agricole en ce sens qu'elle serait caractérisée par deux éléments: 1) l'élément objectif, c'est-à-dire l'existence d'un événement extraordinaire étranger à l'influence du titulaire de l'obligation, et 2) l'élément subjectif, consistant en ce que le titulaire de l'obligation a agi avec précaution,
prudence et vigilance et fait tout son possible pour éviter que ne se réalise cet événement.

Dans ses conclusions du 17 novembre 1983 ( 11 ), l'avocat général Reischl a souligné qu'il importait de savoir si on a fait preuve de toute la diligence nécessaire, si on a été confronté à des circonstances échappant à l'influence du débiteur et si un événement a revêtu un caractère tellement anormal que son intervention pouvait être considérée comme improbable par un commerçant prudent et diligent.

Dans sa décision publiée la plus récente émise au sujet de la problématique de la force majeure, la Cour a dit pour droit, dans son arrêt rendu le 9 février 1984 ( 12 ):

« Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour que la notion de force majeure vise essentiellement, abstraction faite des particularités des domaines spécifiques où elle est utilisée, des circonstances étrangères rendant impossible la réalisation du fait en cause. Même si elle ne présuppose pas une impossibilité absolue, elle exige toutefois qu'il s'agisse de difficultés anormales, indépendantes de la volonté de la personne et apparaissant inévitables même si toutes les diligences utiles sont
mises en oeuvre. »

L'application de cette jurisprudence au cas concret de l'espèce présente, à savoir la circonstance qu'un exemplaire de contrôle est égaré par les autorités de l'État membre importateur et ne peut donc plus être renvoyé au bureau de douane de départ, aboutit au résultat suivant.

Lorsqu'un document officiel est perdu par les autorités, il s'agit certainement d'une circonstance étrangère à l'opérateur. Après le dédouanement de la marchandise par le bureau de douane de départ, l'opérateur n'a plus de pouvoir effectif de disposition sur l'exemplaire de contrôle. Celui-ci se trouve, au contraire, entre les mains des autorités de l'État membre importateur et par la suite, si tout se déroule correctement, de l'État membre exportateur.

On peut cependant se demander si la perte d'un document officiel circulant entre les autorités doit être considérée comme un événement anormal en ce sens qu'il devrait être considéré comme improbable. A notre avis, cette question appelle une réponse négative.

Assurément, des documents ne devraient pas être égarés dans un service administratif correctement géré. Toutefois, il convient de tenir compte également du fait que les opérations d'exportation ne constituent pas des cas particuliers, mais des opérations intervenant en grand nombre. Les exemplaires de contrôle précités doivent, en outre, être envoyés par les services douaniers d'un État membre aux services douaniers d'un autre État membre, puis être renvoyés. S'il arrive parfois, dans ces
conditions, que des documents soient égarés, cela peut paraître regrettable sur le plan d'une bonne gestion administrative, mais ne saurait être considéré comme anormal ou imprévisible au point qu'un tel événement doive apparaître comme improbable. Au contraire, l'adoption du règlement no 1498/76 prouve précisément que le législateur communautaire a envisagé de tels cas. Il est indiqué dans les considérants de ce règlement qu'il est possible que, par suite de circonstances non imputables à
l'opérateur, l'exemplaire de contrôle ne puisse pas être produit bien que la marchandise ait été mise à la consommation dans l'État membre de destination prévu. C'est pourquoi la Commission a prévu une réglementation en vertu de laquelle l'intéressé peut introduire une demande d'équivalence lorsque l'exemplaire de contrôle T5 n'est pas revenu au bureau de départ dans un délai de trois mois à compter de sa délivrance.

En conséquence, il y a donc lieu de retenir que la circonstance qu'un exemplaire de contrôle soit égaré par une autorité et qu'il ne puisse pas être renvoyé pour cette raison au bureau de douane de départ ne doit pas être considérée comme un cas de force majeure au sens de l'article 15 du règlement no 1380/75.

Il n'est donc pas nécessaire d'examiner davantage l'élément subjectif de la notion de force majeure, c'est-à-dire la question de savoir si l'intéressé a fait tout son possible pour éviter les conséquences de l'intervention de la force majeure.

Ce résultat, à savoir que la notion de force majeure appelle une interprétation restrictive et ne couvre donc pas toutes les circonstances qui ne sont pas imputables à l'opérateur intéressé, est étayé également par l'économie du règlement no 1380/75. L'article 15 du règlement prévoit comme unique exception au délai de forclusion qu'il prescrit le cas de force majeure. L'article 11, paragraphe 5, permet, en revanche, à l'opérateur de solliciter d'autres documents équivalents dans toutes les
circonstances qui ne lui sont pas imputables. La notion de force majeure doit donc être interprétée autrement et dans un sens plus strict que celui de circonstances qui ne sont pas imputables à l'intéressé. En effet, si la notion de force majeure devait couvrir toutes les circonstances qui ne sont pas imputables à l'intéressé, on ne comprendrait pas pourquoi la même chose serait désignée par des termes différents dans un seul et même règlement.

En conséquence, l'économie du règlement n'admet pas une interprétation large de la notion de force majeure au sens de toutes les circonstances qui ne sont pas imputables à l'intéressé.

2.

Avant que nous n'examinions à présent la question de savoir si l'article 15 du règlement no 1380/75 est compatible avec les principes généraux de droit communautaire et, en particulier, avec le principe de proportionnalité, deux remarques préliminaires nous paraissent utiles.

Il est constant que la demanderesse au principal a procédé à l'exportation de marchandises d'une valeur de 48000 FF, ce qui lui ouvre le droit de percevoir des MCM. La demanderesse a chiffré à 19543,40 FF le montant des MCM qui lui dont dus; ce montant n'a pas été contesté par la partie défenderesse au principal.

Les États membres ont été habilités à octroyer des MCM par le règlement no 974/71 du Conseil, du 12 mai 1971, relatif à certaines mesures de politique de conjoncture à prendre dans le secteur agricole à la suite de l'élargissement temporaire des marges de fluctuation des monnaies de certains États membres. Nous n'entrerons pas dans le détail des modalités d'application des MCM. Nous avons exposé en détail devant la quatrième chambre de la Cour notre point de vue sur l'application des MCM dans les
conclusions que nous avons présentées le 14 mai 1985 dans les affaires jointes 71 et 72/84 ( 13 ). En résumé, nous rappellerons ici que l'application de MCM était d'abord prévue pour le cas dans lequel l'évolution des parités monétaires entraînerait une perturbation dans les échanges de produits agricoles. Dès le règlement (CEE) no 1112/73 ( 14 ), les éléments de référence pour le calcul des MCM ont cependant été nouvellement définis: c'est désormais l'écart entre le taux de conversion utilisé dans
le cadre de la politique agricole commune et le taux de conversion résultant de ce qu'il est convenu d'appeler le taux central qui devenait déterminant. En conséquence, la signification des MCM s'est modifiée depuis leur introduction: conçus, d'abord, comme un instrument permettant de neutraliser les fluctuations monétaires à court terme, ils ont été utilisés ensuite, pour compenser les différents niveaux de prix de produits agricoles dans la Communauté, qui découlaient de l'application de
différents taux de conversion représentatifs aux prix agricoles uniformément exprimés tout d'abord en unités de compte, puis en Écus. Après avoir été un instrument provisoire de lutte contre les perturbations monétaires dans les échanges de produits agricoles, les MCM se sont donc transformés en un élément de l'organisation commune des marchés. Leur application a été décidée pour permettre la poursuite des échanges intracommunautaires de produits agricoles eu égard aux différents niveaux de prix
nationaux — en dépit de prix uniformes en Écus — des produits agricoles. Cela apparaît très clairement dans l'espèce présente où environ 19000 FF de MCM ont été calculés pour une marchandise d'une valeur de 48000 FF, soit un chiffre dépassant légèrement 40 % de la valeur de la marchandise.

D'après la jurisprudence de la Cour, afin d'établir si une disposition de droit communautaire est conforme au principe de proportionnalité, il importe de vérifier, en premier lieu, si les moyens qu'elle met en œuvre pour réaliser l'objectif qu'elle vise s'accordent avec l'importance de celui-ci et, en second lieu, s'ils sont nécessaires pour l'atteindre ( 15 ).

Les considérants du règlement no 1380/75 comportent, à propos, de la motivation des divers régimes de délais du règlement, le paragraphe suivant:

« Considérant que, pour des raisons de bonne gestion administrative, il convient d'exiger que la demande de paiement du montant compensatoire soit déposée dans un délai raisonnable; que, afin d'éviter des distorsions de concurrence entre les opérateurs des États membres, il y a lieu de fixer un délai pour le paiement des montants compensatoires octroyés; qu'il convient, toutefois, de prendre en considération le fait que, dans des cas exceptionnels, ce délai ne peut être respecté » ( 16 )

Dans les observations qu'elle a présentées à la Cour, la Commission a invoqué, en substance, la deuxième phrase du considérant précité et exposé que les opérateurs pourraient bénéficier d'avantages indus s'il n'existait pas de régime de délais uniforme.

Il y a d'abord lieu d'observer, à cet égard, que le considérant, qui évoque les distorsions de concurrence entre les opérateurs des États membres, se réfère au délai qui est imparti aux autorités nationales pour le paiement des MCM. On pourrait effectivement aboutir à des distorsions de concurrence au détriment des opérateurs si les MCM étaient payés avec retard puisque les opérateurs se verraient ainsi imposer à tout le moins des conditions différentes sur le plan du capital et des intérêts. En
l'espèce, les MCM ont été payés par l'État exportateur, c'est-à-dire la France, sur la base d'une convention entre les États membres intéressés. On ne comprendrait guère et, partant, il n'est pas concevable qu'un État membre dont les exportations doivent être favorisées par l'octroi de MCM gêne ses propres exportations par le paiement tardif des MCM.

Il nous paraît, en tout cas, très douteux que ce raisonnement puisse aboutir obligatoirement à exclure le droit matériel revendiqué en l'espèce lorsque l'opérateur introduit seulement tardivement sa demande de paiement. En vertu de l'article 8, paragraphe 1, du règlement no 1380/75, le taux du montant compensatoire monétaire à octroyer ou à percevoir est celui applicable soit le jour de l'exportation, soit le jour de l'importation. Par conséquent, si le taux des MCM est déterminé par le jour de
l'importation ou de l'exportation, nous ne voyons pas comment l'opérateur intéressé pourrait manipuler par une demande introduite tardivement le taux des MCM qui lui reviennent. La seule conséquence que peut avoir une demande introduite tardivement réside dans le paiement tardif des MCM et, partant, dans une perte pour l'opérateur. Mais comme l'opérateur a lui-même un intérêt à obtenir aussi rapidement que possible les sommes qui lui reviennent, on ne voit pas pour quelle raison il y aurait lieu de
l'inciter au moyen d'un délai de forclusion à agir d'une manière diligente pour éviter des distorsions de concurrence.

Seule demeure donc comme justification du délai de forclusion prévu à l'article 15 du règlement no 1380/75, la première phrase du paragraphe précité où l'on fait appel à des raisons de bonne gestion administrative.

Dans ce contexte, il y a certainement lieu de concéder à la Commission que tant elle-même que les autorités nationales ont un intérêt légitime à pouvoir clore dans un délai raisonnable leurs dossiers concernant certains mécanismes administratifs. Elle doit donc être habilitée à fixer pour les demandes d'octroi de MCM des délais raisonnables dont l'inobservation peut aboutir à des sanctions déterminées. A cet égard, il faut encore tenir compte du fait que le règlement no 2746/72 du Conseil, du 19
décembre 1972 ( 17 ), a prévu la prise en charge par la Communauté du financement des MCM. Il en résulte que l'octroi de MCM donne lieu non seulement à une procédure administrative nationale, mais par la suite également, dans le rapport entre l'État membre qui octroie les MCM et la Commission, à une procédure de régularisation dans le cadre de l'apurement des comptes du Fonds européen d'orientation et de garantie agricole.

Pour ces raisons, il est assurément nécessaire de fixer certains délais pour le dépôt de la demande de paiement de MCM et de frapper leur inobservation de sanctions. Toutefois, tant les délais que les sanctions doivent être proportionnés à l'objectif poursuivi, à savoir la bonne gestion administrative.

Certains doutes sur le caractère raisonnable du délai de six mois prévu par l'article 15 du règlement no 1380/75 peuvent être tirés des considérants du règlement no 1371/81 de la Commission, du 19 mai 1981 ( 18 ), qui a partiellement remplacé le règlement no 1380/75. Les considérants du règlement comportent le paragraphe suivant:

« Considérant que l'expérience a montré qu'il convient d'augmenter le délai de présentation des documents requis pour l'octroi des montants compensatoires monétaires. »

Aussi, l'article 17, paragraphe 2, du règlement no 1371/81 contient-il la réglementation suivante:

« Sauf cas de force majeure, les documents relatifs à l'octroi des montants compensatoires monétaires doivent être déposés, sous peine de forclusion, dans les douze mois suivant le jour où les autorités douanières ont accepté la déclaration d'importation ou la déclaration d'exportation. »

Mais des doutes existent également sur le point de savoir si la sanction, c'est-à-dire la déchéance complète du droit aux MCM, est proportionnée. Dans son arrêt rendu le 20 février 1979 dans l'affaire 122/78 ( 19 ), la Cour a dit pour droit en ce qui concerne la constitution de la caution aux fins de la délivrance de certificats d'importation et d'exportation qu'une perte de la caution est proportionnée lorsque l'opération d'importation ou d'exportation en cause que l'opérateur s'était
volontairement engagé à effectuer n'a pas été exécutée. En ce qui concerne la perte de la caution en cas de production tardive des preuves, la Cour s'est, cependant, prononcée de la manière suivante:

« [Attendu] que, d'autre part, les dispositions de l'article 3 du règlement no 499/76, inspirées des considérations d'une ‘bonne gestion administrative’, prévoient non seulement un délai pour la production de ces preuves, mais également la perte totale de la caution pour le non-respect de ce délai;

que, dès lors, cette sanction forfaitaire, qui frappe une violation nettement moins grave que celle, pénalisée par une sanction à caractère essentiellement proportionnel, du non-accomplissement de l'obligation que la caution elle-même est destinée à garantir, doit être qualifiée de trop rigoureuse par rapport au but d'une bonne gestion administrative dans le cadre du système de certificats d'importation et d'exportation ».

Si l'on applique ce raisonnement à l'espèce présente, c'est-à-dire à la déchéance du droit aux MCM en cas de dépôt tardif de la demande, cela appelle les observations suivantes: l'octroi de MCM ne comporte certes pas de relation entre une obligation principale et une obligation accessoire dont l'inexécution est frappée d'une même sanction. La situation dans les deux cas est cependant comparable en ce que l'inexécution d'une opération d'exportation y est sanctionnée par la même conséquence juridique
que celle qui frappe le dépôt tardif de la demande, à savoir la déchéance du droit aux MCM.

Une autre particularité s'ajoute en l'espèce: sauf cas de force majeure — lequel, comme nous l'avons montré ci-dessus, n'existe pas ici —, le délai de forclusion s'applique d'une manière générale, c'est-à-dire indépendamment de la question de savoir si la tardiveté de la demande est due à des circonstances qui sont ou non imputables à l'opérateur intéressé. Mais, pour ce dernier cas, la conséquence juridique prévue à l'article 15 du règlement no 1380/75 — la déchéance du droit aux MCM — doit être
considérée comme tout à fait disproportionnée.

Ce résultat n'est pas modifié non plus par la possibilité, que prévoit pour l'opérateur l'article 11, paragraphe 5, du règlement no 1380/75, de se procurer, à l'expiration d'un délai de trois mois, d'autres documents équivalents. Cette réglementation constitue, pour l'opérateur, une option qui lui permet, s'il l'utilise, d'accélérer le dépôt de sa demande de MCM. A notre avis, on ne saurait déduire de cette option prévue au profit de l'opérateur l'existence d'une obligation de se procurer d'autres
documents lorsque les autorités administratives agissent d'une manière fautive. Au demeurant, l'article 11, paragraphe 5, du règlement no 1380/75 ne constitue pas seulement un bienfait pour l'opérateur, mais met également l'administration à l'abri de demandes motivées d'équivalence des opérateurs dans les trois premiers mois suivant l'accomplissement des formalités douanières. Il faut, en outre, encore observer que le délai de trois mois qui subsiste dans ce cas est sans doute trop bref si
l'opérateur doit s'employer, durant cette période, à ce que les autorités d'un autre Etat membre lui délivrent des documents équivalents et s'il doit obtenir leur reconnaissance par ses autorités nationales.

Enfin, il convient encore de relever une autre imprécision dans la formulation de l'article 15 du règlement no 1380/75. Bien que nous n'entendions pas nous heurter à la formulation générale de cette disposition, il nous paraît néanmoins étrange qu'en 1975, soit sept ans après l'instauration de l'union douanière, il soit encore question de formalités douanières dans un texte réglementaire de la Communauté relatif aux échanges intracommunautaires. Or, c'est précisément cette notion de formalités
douanières qui a abouti en l'espèce à un manque de clarté supplémentaire. En effet, il n'est pas précisé quelles sont les formalités douanières qui sont visées ici: s'agit-il des formalités douanières d'exportation ou des formalités douanières d'importation? Au demeurant, le règlement laisse ouverte la question de savoir à quel moment les formalités douanières d'importation sont closes. En ce qui concerne les formalités douanières d'exportation, l'article 8 contient une réglementation alors qu'elle
fait défaut pour les formalités d'importation, dont l'accomplissement doit précisément être prouvé par l'exemplaire de contrôle T5. Bien que la juridiction de renvoi ait elle-même répondu à cette question et qu'elle n'ait donc pas été soumise à la Cour dans le cadre de cette procédure, il y a lieu, néanmoins, d'observer que, de l'avis de la demanderesse au principal, les formalités douanières ne sont accomplies qu'avec le retour de l'exemplaire de contrôle T5 au bureau de douane de départ. De ce
point de vue, dont il n'y a pas lieu de vérifier ici le bien-fondé, la question de l'interprétation de l'article 15 ne se serait donc même pas posée puisque, dans ce cas, le délai de forclusion n'aurait pas pu courir faute de retour de l'exemplaire de contrôle.

Bien que le législateur communautaire soit habilité à fixer des délais de forclusion raisonnables, il doit clairement apparaître à partir de quel moment ces délais commencent à courir. La Commission a d'ailleurs reconnu entre-temps l'imprécision que comportait l'article 15 du règlement no 1380/75. Selon l'article 17, paragraphe 2, du règlement qui lui a succédé (no 1371/81), le délai de forclusion est en effet lié désormais au jour où les autorités douanières ont accepté la déclaration d'importation
ou la déclaration d'exportation.

En résumé, nous sommes donc amenés à conclure que la réglementation de l'article 15 du règlement no 1380/75 est invalide dans la mesure où elle prévoit un délai de forclusion pour le dépôt de la demande de MCM également pour des cas qui ne peuvent certes pas être considérés comme des cas de force majeure, mais dans lesquels l'intéressé ne peut néanmoins produire que tardivement les documents qui doivent accompagner sa demande en raison de circonstances qui ne lui sont pas imputables.

Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de répondre explicitement à la question subsidiaire sur l'interprétation de la notion de force majeure.

C —

En conséquence, nous proposons de répondre comme suit à la demande préjudicielle du tribunal administratif de Rouen:

L'article 15 du règlement (CEE) no 1380/75 de la Commission, du 29 mai 1975, portant modalités d'application des montants compensatoires monétaires, est invalide dans la mesure où il prévoit, abstraction faite des cas de force majeure, un délai de forclusion pour le dépôt de documents en vue du paiement du montant compensatoire monétaire même lorsque le retard est dû à des circonstances qui ne sont pas imputables à l'opérateur intéressé.

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( *1 ) Traduit de l'allemand.

( 1 ) Règlement no 1380/75 de la Commission, portant modalités d'application des montants compensatoires monétaires (JO L 139, p. 37).

( 2 ) Règlement no 974/71 du Conseil, du 12 mai 1971, relatif à certaines mesures de politique de conjoncture à prendre dans le secteur agricole à la suite de l'élargissement temporaire des marges de fluctuation des monnaies de certains États membres (JO L 106, p. 1), tel que modifié par le règlement no 1112/73 du Conseil, du 30 avril 1973 (JO L 114, p. 4).

( 3 ) Règlement no 2315/69 de la Commission, du 19 novembre 1969, relatif à l'emploi des documents de transit communautaires entraînant le contrôle de l'utilisation et/ou de la destination des marchandises (JO L 295, p. 14).

( 4 ) Règlement no 1498/76 de la Commission, du 25 juin 1976, modifiant le règlement (CEE) no 1380/75, portant modalités d'application des montants compensatoires monétaires (JO L 167, p. 28).

( 5 ) Arret rendu le 20 février 1979 dans l'affaire 122/78, SA Buitoni/Fonds d'orientation et de régularisation des marchés agricoles, Rec. 1979, p. 677.

( 6 ) Règlement no 1371/81 de la Commission, du 19 mai 1981, portant modalités d'applications administratives des montants compensatoires monétaires (JO L 138, p. 1).

( 7 ) Arrêt rendu le 6 octobre 1982 dans l'affaire 302/83, Alfred Eggers & Co./Hauptzollamt Kassel, Rec. 1982, p. 3443.

( 8 ) Conclusions présentées le 10 octobre 1985 dans l'affaire 165/84, Firma John Friedrich Krohn/Bundesanstalt für landwirtschaftliche Marktordnung, Rec. 1985, p. 3997.

( 9 ) Arrêt rendu le 11 juillet 1968 dans l'affaire 4/68, Schwarzwaldmilch GmbH/Einfuhr- und Vorratsstelle für Fette, Rec. 1968, p. 549, 562 et suiv.

( 10 ) Conclusions présentées le 5 décembre 1979 dans les affaires jointes 154, 205, 206, 226 et 228, 263 et 264/78, 39, 31, 83 et 85/79, SpA Ferriera Valsabbia et autres/Commission, Rec. 1980, p. 1035, 1067 et suiv.

( 11 ) Conclusions présentées le 17 novembre 1983 dans l'affaire 284/82, Acciaierie et Ferriere Busseni SpA/Commission, Rec. 1984, p. 568, 571.

( 12 ) Arrêt rendu le 9 février 1984 dans l'affaire 284/82, Acciaierie et Ferriere Busseni SpA/Commission, Rec. 1984, p. 557, 566.

( 13 ) Conclusions présentées le 14 mai 1985 dans les affaires jointes 71 et 72/84, Surcouf et Vidou/Communauté économique européenne, Rec. 1985, p. 2926.

( 14 ) JO 1973, L 144, p. 4.

( 15 ) Arrêt rendu le 23 février 1983 dans l'affaire 66/82, Fromançais SA/Fonds d'orientation et de régularisation des marchés agricoles (FORMA), Rec. 1983, p. 395, 404.

( 16 ) Souligné par l'auteur.

( 17 ) JO 1972, L 291, p. 148.

( 18 ) JO 1981, L 138, p. 1.

( 19 ) Arrêt rendu le 20 février 1979 dans l'affaire 122/78, SA Buitoni/Fonds d'orientation et de régularisation des marchés agricoles, Rec. 1979, p. 677, 685.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 266/84
Date de la décision : 22/10/1985
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunal administratif de Rouen - France.

Montants compensatoires monétaires - Forclusion - Force majeure.

Agriculture et Pêche

Aliments des animaux

Mesures monétaires en agriculture


Parties
Demandeurs : Denkavit France SARL
Défendeurs : Fonds d'orientation et de régularisation des marchés agricoles (FORMA).

Composition du Tribunal
Avocat général : Lenz
Rapporteur ?: Kakouris

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1985:425

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