OBSERVATIONS DU GOUVERNEMENT EN REPONSE A LA SAISINE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL EN DATE DU 22 DECEMBRE 1994 PAR SOIXANTE DEPUTES LOI DE FINANCES POUR 1995
L'argumentation liminaire exposée dans la saisine, étrangère au débat de constitutionnalité, n'appelle pas d'observations du Gouvernement. Celui-ci se bornera à répondre aux griefs dirigés contre la loi déférée elle-même.
1 Sur l'" insincérité de la présentation des recettes et de l'équilibre général "
Manque en fait, en tout état de cause, le grief tiré du " bouleversement " qui serait intervenu entre 1994 et 1995 concernant la part respective des recettes de privatisation affectées au compte d'affectation spéciale n° 902-24 Affectation des produits de cessions de titres du secteur public et celle des recettes revenant au budget général. Cette affirmation repose en effet sur une erreur de chiffres. Les recettes de privatisation affectées au CAS n° 902-24 en 1994 ne s'élevaient pas à 40 milliards de francs en 1994, comme indiqué par les requérants, mais à 5 milliards de francs (à comparer à 8 milliards de francs en 1995).
Il est tout aussi inexact de parler d'" extrême instabilité " de l'utilisation des recettes de privatisation. Cette affirmation, d'ailleurs sans portée juridique, ne peut provenir que de l'erreur de chiffres rappelée ci-dessus, puisque la part des recettes de privatisation affectée au compte d'affectation spéciale s'élève à 14,6 p 100 du total en 1995, contre 10 p 100 en 1994.
Par ailleurs, la prévision critiquée n'a rien de déraisonnable. Il convient de rappeler à cet égard que la loi n° 93-923 du 19 juillet 1993 de privatisation prévoit la cession au secteur privé de vingt et une sociétés publiques. A ce stade, avec la privatisation de la BNP, de Rhône-Poulenc, d'Elf Aquitaine, de l'UAP et l'ouverture du capital de Renault, seules cinq opérations ont été réalisées, dont l'une partiellement, sur la liste des vingt et une sociétés publiques précitées. Le montant de recettes de privatisation est très inférieur à la valeur des entreprises figurant sur cette liste et qui restent à privatiser. Elle est même inférieure à la capitalisation boursière de celles de ces entreprises qui sont cotées en bourse.
On observera en outre que les prévisions de recettes de privatisation inscrites dans la loi de finances pour 1994, d'un montant de 55 milliards de francs également, seront dépassées de plusieurs milliards, dans un contexte boursier qui a été peu favorable à de telles opérations.
Enfin, le financement de charges définitives par les comptes d'affectation spéciale n'est en rien contraire à l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances.
Sur la question de l'affectation des recettes de privatisation, comme sur les autres questions soulevées dans la saisine, le Parlement a disposé d'informations très complètes (cf notamment pages 123 et 126 du rapport du rapporteur général du Sénat, tome II, fascicule 1) qui lui ont permis d'exercer l'ensemble de ses prérogatives constitutionnelles.
2 Sur la " dissimulation de charges publiques " A : Sur la " débudgétisation "
a) Affectation de la TVA au budget annexe des prestations sociales agricoles (BAPSA) réalisée par l'article 33 de la loi :
Il s'agit, par cet article, de rétablir au profit du BAPSA la part des recettes fiscales qui existait en 1991 au sein de ses ressources, avant l'effondrement des recettes de la contribution sociale de solidarité des sociétés. Des mouvements de ce type ont été réalisés à plusieurs reprises au sein des ressources du BAPSA.
Le Parlement a été parfaitement informé des motifs et des conséquences de cette affectation (cf notamment pages 212 à 219 du tome II du rapport général de M Auberger à l'Assemblée nationale).
b) Versement par le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) des sommes correspondant aux majorations de pension du régime des pensions civiles et militaires (PCM) et du BAPSA :
Ce versement est réalisé pour étendre au régime des PCM et au BAPSA l'application des principes de la loi du 22 juillet 1993 créant le Fonds de solidarité vieillesse. Cette opération marque une étape supplémentaire de l'application des principes de partage entre assurance et solidarité posés par cette loi. Elle a été présentée en toute clarté au Parlement, comme en témoignent les rapports parlementaires et les débats (cf notamment pages 220 à 228 du tome II du rapport général de M Auberger à l'Assemblée nationale).
c) Crédits du chapitre 46-40 du budget du ministère du logement :
Le volume des crédits du chapitre 46-40 a été fixé en tenant compte de l'ensemble des charges qui devraient être supportées en 1995 par l'Etat à ce titre. Il tient notamment compte d'un financement de 1 milliard de francs qui sera directement apporté par les organismes collecteurs du 1 p 100 logement au Fonds national d'aide au logement. Ce mode de détermination du volume global des crédits a été clairement annoncé au Parlement (cf notamment pages 25 et 26 du rapport spécial de M Lamontagne à l'Assemblée nationale, page 64 du rapport spécial de M Collard au Sénat, etc).
B : Sur la " sous-évaluation de certaines charges "
a) Concernant le prélèvement européen :
Le grief manque en fait.
L'entrée de trois nouveaux membres augmente certes le budget de l'Union (d'un montant de 27 milliards de francs environ en crédits de paiement et non de 55 milliards de francs comme avancé par les requérants), mais les dépenses correspondantes sont entièrement financées par des recettes supplémentaires en provenance de ces trois pays. Leur caractère de contributeur net au budget communautaire les amène à apporter au budget communautaire plus de recettes qu'ils ne créent de dépenses.
b)Concernant l'Unedic :
La loi de finances pour 1995 autorise 5 milliards de francs de dépenses. En effet, compte tenu de l'amélioration des comptes de l'Unedic, un avenant à la convention du 13 octobre 1993 a été conclu le 21 septembre 1994 entre l'Etat et l'Unedic. Les parties sont convenues d'un échéancier de paiement qui met à la charge de l'Etat 5 milliards de francs à imputer sur l'exercice budgétaire 1995.
c)Concernant les crédits d'équipement ouverts au ministère de la défense :
Le Parlement a été entièrement informé du mode de détermination des crédits militaires, comme en témoignent les rapports parlementaires, ainsi que les débats parlementaires (cf notamment l'intervention de M Paecht, rapporteur spécial de la commission des finances pour l'équipement le 2 novembre 1994 à l'Assemblée nationale et l'intervention de M Blin au Sénat). Il n'est pas besoin d'indiquer par ailleurs que le report de crédits de paiement est prévu par l'ordonnance organique du 2 janvier 1959.
d)Concernant le financement de l'Association pour la gestion de la structure financière prévu par l'accord du 29 décembre 1993 passé avec l'AGIRC et l'ARRCO :
L'obligation financière de l'Etat trouve sa traduction, dans le budget 1995, au chapitre 46-71 du ministère du travail et de l'emploi, sur lequel est ouvert un crédit de 1 617,45 MF affecté à ce financement.
e)Concernant les emplois budgétaires du ministère de l'éducation nationale :
Le grief manque en droit comme en fait.
Il manque d'abord en droit, car la loi de finances n'est pas liée par les dispositions des lois ordinaires dans ce qui relève de son domaine exclusif, qui concerne notamment les créations d'emplois. A fortiori n'est-elle pas liée par des dispositions législatives en cours d'examen devant le Parlement.
Il n'en manque pas moins en fait, car la comparaison faite par les requérants entre la loi de finances et la loi de programmation pour l'école est infondée. La loi de finances fait en effet référence aux créations d'emplois, alors que la loi de programmation mentionne des " postes ", lesquels peuvent être pourvus soit par création, soit par redéploiement d'emplois budgétaires.
La loi de finances retrace, comme chaque année, les mesures nouvelles qui viennent s'ajouter au budget de l'année précédente.
S'agissant des emplois, il est prévu une augmentation nette de 751 du nombre d'emplois budgétaires de l'éducation nationale, correspondant à 1 339 créations requises par les évolutions démographiques ou les objectifs du nouveau contrat pour l'école, 174 suppressions permises par des gains de productivité ou la réduction de certaines fonctions et un solde négatif de : 414 emplois lié aux mesures de transfert (vers l'enseignement supérieur principalement) ou de transformations d'emplois accompagnées de requalifications fonctionnelles.
Sur les 1 339 nouveaux emplois créés par les mesures nouvelles, 1 221 sont liés directement à la mise en uvre du nouveau contrat pour l'école.
Le projet de loi de programmation du nouveau contrat pour l'école précise les objectifs que l'Etat fixe au système éducatif et programme les moyens nécessaires à la mise en uvre de ces nouvelles priorités. S'agissant des besoins en personnels, le nouveau contrat pour l'école ne conduit pas nécessairement à des créations d'emplois budgétaires, mais identifie les postes qui devront être pourvus en priorité, soit par des créations d'emplois nouveaux, soit par le redéploiement d'emplois existants.
Ainsi, pour 1995, le projet de loi de programmation du nouveau contrat pour l'école repose sur la mobilisation en année pleine de 976 emplois redéployés à partir de la rentrée 1994, auxquels s'ajouteront 730 redéploiements à la rentrée 1995, renforcés par 1 221 créations d'emplois à la rentrée 1995 inscrites au présent projet de loi de finances.
C : Sur le " recours systématique à la technique des emplois en surnombre "
La notion de " surnombre " n'est aucunement prévue par l'ordonnance organique relative aux lois de finances. Elle n'existe pas dans les loi de finances. Aussi la loi de finances pour 1995 prévoit-elle l'intégralité des crédits correspondant aux emplois autorisés par le Parlement.
Il arrive certes que certains ministres décident de recourir, à titre exceptionnel, temporaire et dérogatoire, aux services d'agents dont les postes ne sont pas créés par la loi de finances, en prélevant sur des crédits de rémunération disponibles ouverts par la loi de finances. Cette situation qui, lorsqu'elle survient, n'est que transitoire et exceptionnelle, n'a aucunement vocation à être un moyen de gestion normal. La loi de finances ne saurait l'autoriser.
Il est en tout état de cause inexact d'affirmer que l'écart entre les chiffres de la loi de programmation du nouveau contrat pour l'école et les mesures du bleu budgétaire relatives au " nouveau contrat pour l'école " révèle des " surnombres ". Les moyens prévus par la loi de programmation pour l'exercice 1995 sont dans tous les cas inférieurs au total des mesures nouvelles autorisées par la loi de finances pour 1995.
La situation de 15 magistrats est évoquée par les saisissants pour dénoncer une entorse au principe constitutionnel d'inamovibilité des magistrats du siège. Sans entrer dans ce débat, on notera que ces magistrats seront recrutés sur des emplois budgétaires existants, mais actuellement vacants. L'ouverture de crédits inscrite dans la loi de finances pour 1995 (4 MF ouverts sur les chapitres 31-51, 31-52, 33-90 et 33-91 du budget du ministère de la justice, cf page 121 du fascicule bleu du PLF 1995 de ce ministère) a pour seul objet d'ajuster les crédits de rémunération dont le niveau actuel ne suffisait qu'en raison d'un taux élevé de vacance d'emplois.
3 Sur la " non-prise en compte de charges certaines "
Si l'article 1er de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances dispose qu'aucun projet de loi ne peut être voté tant que ses charges n'ont pas été prévues, évaluées et autorisées dans les conditions qu'elle fixe, il ne signifie pas, réciproquement, que la loi de finances serait dans l'obligation d'autoriser toutes les dépenses résultant de lois antérieures.
Le Gouvernement ne serait, en tout état de cause, pas en mesure de prévoir, dans le projet de loi de finances, l'ouverture de crédits résultant de projets ou de propositions de loi non déposés au moment du dépôt du projet de loi de finances, ce qui était le cas du projet de loi portant diverses dispositions d'ordre social, la disposition de cette loi évoquée par les requérants ayant de surcroît été introduite par amendement au cours de la discussion du projet.
Quant à la " confusion " qui serait créée par des dispositions de la loi de finances rectificative pour 1994, les dispositions en cause correspondent à des propositions présentées au Parlement en toute clarté et sans la moindre dissimulation.
4 Sur la violation de l'article 6 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959
On notera, à titre préliminaire, que les pensions de l'Etat n'ont jamais figuré au titre Ier du budget. Elles sont prévues, à l'instar des rémunérations d'activité et des cotisations sociales, au titre III du budget de l'Etat. Elles n'ont donc pu être " extraites " du titre Ier comme l'affirment les requérants.
L'article 34 prévoit le versement à l'Etat par le FSV des sommes correspondant aux majorations de pensions pour enfants à charge servies aux fonctionnaires retraités. Il n'est nullement contraire à l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 dans la mesure où :
: ces majorations de pensions demeurent une dépense de l'Etat imputée sur le budget général ;
: l'article contesté se borne à faire application des principes généraux posés par la loi du 22 juillet 1993 au cas particulier des fonctionnaires retraités.
a) Les majorations de pensions pour enfants à charge servies aux fonctionnaires de l'Etat retraités ne sont aucunement " débudgétisées " puisqu'elles demeureront imputées sur le budget général, payées à partir de ce dernier et intégralement retracées par la loi de règlement. L'Etat reste le débiteur des bénéficiaires de majorations pour enfants à charge et assurerait leur paiement même s'il advenait que le Fonds de solidarité vieillesse ne puisse plus assurer ses obligations. La dépense en cause est évaluative et l'Etat en garantit le paiement.
b) Par l'article 34 de la loi déférée, le législateur applique à l'Etat le principe général du partage assurance-solidarité contenu dans la loi du 22 juillet 1993 relative à la sauvegarde et à la protection sociale. Cette loi a en effet prévu la prise en charge financière (mais aucunement un financement direct, qui reste dans tous les cas assuré par les régimes de base) des prestations dites de " solidarité " par le Fonds de solidarité vieillesse.
L'opération contestée par les requérants consiste en l'application pour l'Etat de principes clairement définis et cantonnés par la loi du 22 juillet 1993 précitée. Ceci conduit, pour des charges limitées et précisément identifiées, à inscrire en dépenses du FSV le règlement à l'Etat des sommes répondant aux principes inscrits dans la loi du 22 juillet 1993. Cette opération est possible dès lors que les principes sur lesquels elle repose correspondent à une logique explicitement définie par le législateur et entrant dans un schéma global et cohérent visant à clarifier les charges de chacun au sein des régimes de retraites.
Par analogie avec la logique précise qui vient d'être évoquée et qui correspond à la spécialité du Fonds de solidarité vieillesse, on citera l'exemple du régime de la compensation et de la surcompensation démographique (art L 134-1 du code de la sécurité sociale).
Il s'agit d'un mécanisme de solidarité entre régimes obligatoires de sécurité sociale dans lequel le régime des pensions civiles et militaires de l'Etat (PCM) est partie prenante. Aux termes de l'article L 135-1 du code de la sécurité sociale, la compensation " tend à remédier aux inégalités provenant des déséquilibres démographiques et des disparités de capacités contributives entre les différents régimes ".
Si aujourd'hui le régime des PCM est contributeur net, pour environ 15 milliards de francs par an, à ce mécanisme de solidarité, en raison de son rapport démographique plus favorable que les autres régimes, l'Etat deviendrait bénéficiaire net de ce mécanisme si son rapport démographique venait à se dégrader. Le budget de l'Etat serait alors, pour les pensions des fonctionnaires, dans une situation identique à celle qui est prévue concernant les majorations pour enfants : il bénéficierait d'une participation tierce qui allégerait ses propres charges de pensions dont il resterait cependant toujours le seul débiteur et payeur, sur son propre budget.
Dès lors que ces mécanismes de solidarité que sont le Fonds de solidarité vieillesse ou le système de la compensation démographique correspondent à des logiques précises et cantonnées qui font entrer le régime des pensions civiles et militaires dans le droit commun des systèmes spécifiques voulus par le législateur pour harmoniser l'économie et les charges des régimes de retraite, le Gouvernement estime qu'il n'existe aucun principe de valeur constitutionnelle qui en écarterait l'Etat, dans la mesure où celui-ci applique toutes les règles posées par ces mécanismes et garde l'entière et totale responsabilité du paiement de l'intégralité des pensions dues aux ressortissants du régime des PCM.
Le rapport de la commission des finances du Sénat indique d'ailleurs (tome II, fascicule 1, page 136) : " Les mesures d'extension proposées par le présent article peuvent être considérées comme une juste application de la mission confiée en termes généraux au FSV par l'article L 135-1 du code de la sécurité sociale. Sur la forme, elles respectent la compétence du législateur. Sur le fond, il s'agit bien sans conteste d'avantages d'assurance vieillesse à caractère non contributif relevant de la solidarité nationale ".
Par ces motifs, le Gouvernement demande au Conseil constitutionnel de rejeter le recours.
SAISINE DEPUTES : Les députés soussignés à Monsieur le président et Madame et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, 2, rue Montpensier, 75001 Paris
Monsieur le Président,
Madame et Messieurs les conseillers,
Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la loi de finances pour 1995 telle qu'elle a été adoptée par le Parlement.
I : Face à une dérive particulièrement inquiétante de la présentation des lois de finances, qui atteint cette année un niveau assez exceptionnel pour que l'on puisse juger dépassée une véritable cote d'alerte, les saisissants entendent soulever une question de principe que le juge constitutionnel peut seul trancher : celle de la nécessaire sincérité budgétaire, entendue avant tout comme garantie fondamentale du respect des attributions du Parlement prévues par l'article 47 de la Constitution et par l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances (notamment par l'article 32 de celle-ci) et obligeant dès lors le Gouvernement à fournir aux assemblées une " information en temps utile pour leur permettre de se prononcer sur le projet de loi de finances ", voire des " éléments d'information approfondis " (Conseil constitutionnel n° 90-285 DC du 28 décembre 1990, rec. page 95).
L'utilisation systématique et généralisée de procédés dont certains sont par eux-mêmes inconstitutionnels et dont d'autres n'échapperaient à l'inconstitutionnalité que s'il y était recouru dans des proportions marginales et dans les limites de besoins d'ajustements strictement délimités aboutit en effet à priver les assemblées parlementaires de tout pouvoir effectif de contrôle en les mettant hors d'état de connaître la réalité des comptes retraçant les prévisions budgétaires pour l'exercice en cause.
II. : Les saisissants n'ignorent évidemment pas que la prévision budgétaire ne peut être considérée comme une science totalement exacte et que dès lors la présentation des recettes dans la loi de finances initiale est essentiellement évaluative.
Toutefois, sauf à réduire à une mascarade la discussion parlementaire du budget, le décalage entre la prévision initiale et l'exécution finalement enregistrée doit rester d'une ampleur raisonnablement limitée, sauf bouleversements imputables à une conjoncture exceptionnelle qui appelleraient alors le vote d'une loi de finances rectificative (Conseil constitutionnel n° 91-298 DC du 24 juillet 1991, rec. page 82). C'est dire que, si le Gouvernement n'est pas soumis, en matière de prévision, à une obligation de résultats, il l'est à une obligation de moyens (Conseil constitutionnel n° 90-285 DC précitée) qui lui interdit d'organiser la confusion et la désinformation du Parlement par la présentation de données sciemment et considérablement déformées.
De ce point de vue, l'exécution de la loi de finances pour 1994 fournit d'ores et déjà un exemple édifiant. L'annonce gouvernementale, lors de la discussion parlementaire de cette loi, d'une croissance des dépenses limitée à 1,1 p 100 : obtenue au prix d'un artifice grossier qui consistait à comparer le seul projet de loi de finances pour 1994 avec l'addition de la loi de finances pour 1994 et de la loi de finances rectificative votée au printemps 1994 : a pu un temps abuser sinon l'opinion, du moins la majorité parlementaire, mais le bilan de l'exécution de l'exercice 1994 fait apparaître une croissance réelle d'environ 5 p 100. L'ampleur de l'écart, compte tenu de l'ampleur de la masse des crédits dont l'augmentation est ainsi mesurée, suffit à établir que l'information fournie au Parlement à l'automne 1994 était inexacte dans une proportion qui exclut l'hypothèse de l'erreur technique d'appréciation, sans que, par ailleurs, un bouleversement conjoncturel puisse être sérieusement invoqué pour en rendre véritablement compte.
Et même si par impossible on admettait que le Gouvernement ait pu, il y a un an, faire preuve d'une imprévoyance aussi abyssale, l'adage errare humanum qui pourrait inciter à une relative indulgence ne pourrait indéfiniment lui servir d'excuse : la loi déférée n'en témoigne comme on le verra que trop, perseverare diabolicum.
S'agissant des dépenses, les saisissants ne contestent naturellement pas davantage le principe du pouvoir gouvernemental d'élaboration du projet de loi de finances, notamment en matière de choix de l'affectation des masses budgétaires, mais il va de soi que ce pouvoir ne peut être régulièrement exercé que si deux conditions sont effectivement réunies : le respect de la totalité des normes constitutionnelles et organiques ; l'information claire et sincère qui est, là aussi, due aux élus du suffrage universel.
Ces conditions, aujourd'hui, ne sont plus remplies. Il sera ci-après démontré que la loi déférée en porte maintes marques et, qui plus est, qu'à plusieurs reprises et sur des points majeurs, certains membres du Gouvernement ne s'en sont même pas cachés.
Que même en matière de charges relevant du régime des crédits limitatifs une marge d'incertitude soit difficilement évitable, on peut l'admettre. Mais lorsque l'incertain cède la place au fictif, lorsque le Gouvernement tient un langage différent sur la même prévision budgétaire selon qu'il s'adresse aux représentants du peuple ou à d'autres instances de contrôle, ou encore selon les projets de loi qu'il défend devant la représentation nationale, c'est véritablement une négation tranquillement assumée du pouvoir parlementaire d'autorisation budgétaire qui doit être caractérisée et qui appelle la censure.
III. : Sur l'insincérité de la présentation des recettes et de l'équilibre général du budget (art 14 et 19 de la loi déférée) :
L'article 14 de la loi déférée reconduit pour l'exercice 1995 le mécanisme d'affectation au budget général de l'Etat d'une partie du produit des " cessions d'actifs publics ", le reste de ce produit continuant à être versé au compte d'affectation spéciale destiné à alimenter la recapitalisation des entreprises publiques. Mais la distribution de ces deux masses est littéralement bouleversée puisque contrairement aux engagements précédemment pris par le Gouvernement, 8 milliards de francs seulement (contre 40 milliards de francs en 1994) iront en 1995 au compte d'affectation spéciale tandis que 47 milliards de francs abonderont les dépenses courantes du budget général.
La sincérité de la loi déférée est ici strictement en cause.
D'une part, le montant total des recettes attendues des privatisations (55 milliards de francs) est considéré par l'unanimité des observateurs indépendants du Gouvernement comme totalement irréaliste : c'est-à-dire comme très fortement surévalué : dès lors que l'on attache foi à la dernière expression en date de la pensée gouvernementale s'agissant de l'avenir de Renault, laquelle devrait finalement rester en 1995 au sein du secteur public. Le Gouvernement n'a à vrai dire jamais déféré aux demandes parlementaires répétées d'information précise sur le programme de privatisation qu'il envisageait de mettre réellement en uvre, arguant d'une nécessaire confidentialité en la matière. Ce souci peut se comprendre, mais il ne saurait alors proposer que le montant de recettes dont l'évaluation n'a pas été sérieusement justifiée contribue au financement de crédits limitatifs : le précédent de novembre 1987 et l'état du marché boursier peuvent le conduire à devoir engager des privatisations économiquement impossibles ou du moins désastreuses pour respecter l'engagement budgétaire qu'il croit pouvoir prendre aujourd'hui. En tout état de cause, l'ampleur de l'aléa qui pèse, du fait de la considérable augmentation de la part du produit des privatisations qui sera affectée au budget général, sur l'exécution de ce dernier retire toute crédibilité et toute sincérité à la prévision budgétaire en ce domaine et met le Parlement hors d'état d'exercer un pouvoir de contrôle effectif.
D'autre part, l'extrême instabilité de l'utilisation du produit des privatisations, aisément constatable par comparaison entre les exercices 1994 et 1995, contribue à une sorte d'anomie budgétaire qui retire toute lisibilité à la politique gouvernementale. Sauf à ce que la règle de non-affectation perde tout sens, la loi de finances se doit de définir avec une précision acceptable et une logique compréhensible d'une part les charges permanentes de l'Etat, d'autre part les recettes des comptes spéciaux du Trésor. Tel n'est à l'évidence pas le cas en l'espèce, la distribution entre les compartiments de la loi de finances étant aussi aléatoires, voire arbitraire, qu'instable.
Enfin et surtout, non seulement le financement massif de charges permanentes par des recettes incertaines et temporaires contrevient à l'évidence aux principes les plus élémentaires d'une gestion budgétaire saine : et la dérogation manifeste à ces principes n'est ici ni motivée, ni cohérente avec les présentations antérieures de la politique budgétaire du Gouvernement : mais encore l'incohérence s'est-elle accompagnée d'une sorte de double langage achevant d'installer la confusion. Le 17 octobre 1994, le ministre de l'économie a reconnu devant l'Assemblée nationale (compte rendu analytique de la 24e séance de la première session ordinaire de 1994-1995, page 9) qu'" il est exact qu'une partie des recettes de privatisation : celle qui sert à financer les dépenses courantes de l'Etat : doit être intégrée dans le déficit lorqu'on fait des comparaisons internationales [] c'est ce que nous avons fait dans le projet de budget soumis à la commission ". En d'autres termes, le Gouvernement reconnaît de lui-même que la présentation de l'équilibre budgétaire qu'il soumet à la représentation nationale est à ce point contraire à la réalité qu'il est contraint d'en adopter une autre devant les instances communautaires chargées de surveiller le respect des obligations contractées par la France aux termes du traité dit de Maastricht. Tirant les conséquences de cet aveu, les saisissants avaient déposé un amendement rectifiant la présentation de l'équilibre des ressources et des charges exposées à l'article 19 du projet de loi de finances afin d'en rétablir la sincérité en excluant des recettes du budget général la part du produit escompté des privatisations que le Gouvernement avait cru pouvoir y intégrer, mais le rejet de cet amendement a laissé subsister une version de l'article 19 entachée d'insincérité manifeste.
Les articles 14 et 19 de la loi déférée ne reflètent dès lors en rien la réalité budgétaire et comptable et le projet de loi de finances a ici fourni au Parlement une information si gravement erronée que celui-ci n'a pas été en mesure d'exercer réellement ses compétences constitutionnelles.
IV. : Sur la dissimulation de charges publiques : A : Sur la pratique systématique de la budgétisation (art 16 et 17 de la loi déférée et chapitre 46-40 du budget du ministère du logement)
L'article 16 de la loi déférée porte de 0,4 p 100 à 0,7 p 100 (soit une augmentation de 10 milliards de francs) la part des recettes de TVA affectées au budget annexe des prestations sociales agricoles (BAPSA) afin de diminuer d'autant la subvention du budget général à ce budget annexe. Cette opérations de débudgétisation, si discutable qu'elle puisse être en opportunité, ne serait pas par elle-même irrégulière si elle ne constituait pas un simple élément d'un ensemble de manipulations de la présentation budgétaire visant à dissimuler au contrôle parlementaire l'essentiel des dépenses du budget général.
En effet, l'article 17 de la loi déférée met quant à lui à la charge du Fonds de solidarité vieillesse, qui connaît pourtant déjà d'incontestables difficultés, le financement des majorations de pensions pour enfants à charge, d'une part, des exploitants agricoles, d'autre part, des fonctionnaires de l'Etat, ce qui représente un nouveau transfert de charges faisant disparaître 9 milliards de francs de dépenses dans la présentation du budget général. On notera qu'au surplus la loi de finances rectificative pour 1994 soumise au Parlement en même temps que la loi déférée a anticipé sur l'application de cette mesure prévue pour 1995 en débudgétisant d'ores et déjà une somme de 1,8 milliard de francs.
Enfin, le chapitre 46-40 du budget du ministère du logement fait apparaître une baisse d'un milliard de francs de la subvention du budget général au Fonds national d'aide au logement, qui correspond à la prise en charge par les organismes gestionnaires du " 1 p 100 patronal " d'un financement supplémentaire à hauteur de cette même somme.
Ces trois exemples, qui ne sont pas exhaustifs, représentent cependant un montant total de 20 milliards de francs de débudgétisation, c'est-à-dire de dépenses qui n'apparaissent plus dans le budget général mais ne disparaissent évidemment pas pour autant de la réalité des besoins de financement public relevant de l'appréciation et du contrôle parlementaires. Encore une fois si, prise isolément, chaque opération ne contrevient pas par elle-même aux règles constitutionnelles et organiques, le recours massif et systématique à ce procédé permet au Gouvernement de prétendre que la croissance des dépenses budgétaires apparentes est limitée à 2 p 100 pour 1995 alors que la réalité, masquée à la représentation nationale par l'émiettement des affectations et des transferts, est au moins de l'ordre de 4 p 100.
Le pouvoir d'appréciation et de contrôle du Parlement est privé d'effectivité.
B : Sur la pratique systématique de la sous-évaluation
Là encore, les saisissants ne donneront que cinq illustrations d'une politique générale de déformation de la réalité budgétaire.
En premier lieu, l'article 18 de la loi déférée, qui évalue le prélèvement opéré sur les recettes de l'Etat au titre de la participation de la France au budget de l'Union européenne à 88 milliards de francs en 1995, a été calculé comme si l'union devait continuer à ne comporter que douze Etats membres, alors que le Parlement européen a d'ores et déjà adopté un projet de budget calculé en tenant compte de l'élargissement de l'union à quinze Etats membres, d'où une augmentation de 55 milliards de francs du montant total de ce budget. Il en résulte que la contribution réelle de la France se montera en 1995 à environ 98 milliards de francs. En d'autres termes, 10 nouveaux milliards de francs de charges certaines ont été dissimulés à la représentation nationale par la présentation incomplète du projet de loi de finances.
En deuxième lieu, le budget des charges communes fait apparaître qu'est prévu un versement de 5 milliards de francs à l'Unedic en 1995. Or le ministre du budget a lui-même reconnu devant l'Assemblée nationale que l'engagement pris auprès des " partenaires sociaux " gestionnaires de l'Unedic portait pour l'année 1995 sur 10 milliards de francs. La loi de finances ne rend donc compte que de la moitié des charges réelles de l'exercice en la matière.
En troisième lieu, le montant des crédits d'équipement ouverts au ministre de la défense a été artificiellement minoré de 6,5 milliards de francs qui seront cependant effectivement dépensés grâce à un report massif de crédits, à même hauteur, de l'exercice 1994. Le projet de loi de finances n'a là encore renseigné que très incomplètement les Assemblées sur la réalité des dépenses de l'Etat.
En quatrième lieu, un accord passé avec l'AGIRC et l'Arrco le 29 décembre 1993 en vue du financement de l'" Association pour la gestion de la structure financière ", c'est-à-dire afin d'assurer le financement des régimes de retraites complémentaires, oblige l'Etat à verser à cette structure une contribution de 1,5 milliard de francs.
C'est en vain que l'on chercherait dans la loi déférée la moindre trace de crédits permettant à l'Etat de faire face à cet engagement pourtant certain.
En cinquième lieu, le " bleu " budgétaire relatif à l'éducation nationale prévoit au titre de l'exécution en 1995 de la loi de programmation en cours de discussion parlementaire un montant de crédits de 426 millions de francs (232 millions au titre III, 164 millions au titre IV et 30 millions au titre V), ainsi que la création de 1 466 emplois budgétaires. Mais ledit projet de loi de programmation a prévu quant à lui, pour le même exercice 1995, 685,7 millions de francs de crédits et 2 927 nouveaux emplois budgétaires Le Conseil économique et social, dans un avis en date des 22 et 23 novembre 1994, a clairement mis en évidence cette considérable distorsion et a souligné qu'elle était due à la présentation comme création d'emplois de redéploiements et de reconductions de postes dit " en surnombre " Le rapport présenté sur le projet de loi de programmation au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale (document n° 1822, page 57) souligne que la lecture du " bleu " budgétaire ne permet pas à la représentation nationale d'obtenir les éclaircissements souhaitables et demande que le Gouvernement améliore l'information des parlementaires pour parvenir à une réelle " lisibilité des documents budgétaires ". L'insincérité est une fois encore manifeste.
Les cinq cas de sous-évaluation qui viennent d'être évoqués faussent à eux seuls de plus de 25 milliards de francs la présentation de la loi de finances.
C : Sur le recours systématique à la technique des " emplois en surnombre "
On vient d'en rencontrer une illustration : le recours aux emplois " en surnombre ", c'est-à-dire financés sur des disponibilités figurant dans des chapitres budgétaires intitulés Rémunérations, a pris dans la loi déférée une ampleur véritablement sans précédent.
C'est par cet artifice que s'explique l'essentiel de la " disparition " de 1 461 des 2 927 créations d'emplois prévues par le projet de loi de programmation présenté par le ministre de l'éducation nationale et masquées par la loi déférée. De même, vont être recrutés en 1995 quinze magistrats " titulaires temporaires " sur de tels emplois " en surnombre " : afin de dissimuler à la représentation nationale la réalité de l'évolution des emplois budgétaires, le Gouvernement en est venu ici à faire introduire dans notre droit une catégorie de magistrats aussi surréelle que, sans aucun doute, contraire au principe constitutionnel d'inamovibilité Au total, on peut estimer à environ 4 500 le nombre d'emplois ainsi créés " en surnombre ", c'est-à-dire sans autorisation parlementaire et donc en violation de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959.
On pourrait à la limite admettre que ce procédé puisse, comme ce fut le cas par le passé, constituer une sorte de soupape de sûreté permettant de faire face à des imprévus marginaux (le nombre de ces emplois étant traditionnellement de l'ordre de 300), mais sa transformation en un procédé systématique de gestion courante des effectifs de l'Etat, qui se traduit par une radicale insincérité de la majorité des tableaux d'effectifs insérés dans les " bleus " budgétaires, dénature à une échelle inacceptable la présentation de la loi de finances et, partant, la fiabilité de l'information communiquée au Parlement.
De même que l'abus du recours aux débudgétisations appelle à l'évidence un encadrement jurisprudentiel proscrivant l'excès des dérives actuelles, seul le juge de la constitutionnalité budgétaire peut ici donner un coup d'arrêt à l'insincérité extraordinairement accrue des informations fournies à la représentation nationale.
V : Sur la non-prise en compte de charge certaines :
L'article 1er (alinéa 4) de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 prévoit que " lorsque des dispositions d'ordre législatif [] doivent entraîner des charges nouvelles, aucun projet de loi ne peut être définitivement voté [] tant que ces charges n'ont pas été prévues, évaluées et autorisées dans les conditions fixées par la présente ordonnance ".
L'esprit de cette disposition interdit incontestablement au Gouvernement de ne pas faire figurer dans le projet de loi de finances les charges qui découlent nécessairement et expressément des dispositions de projets de loi déposés par lui, en cours de discussion parlementaire et destinés à entrer en vigueur dès le début de l'exercice budgétaire en cause (voir dans la même logique Conseil constitutionnel n° 91-298-DC du 24 juillet 1991, 9e considérant, rec.
page 82).
Or le projet de loi portant diverses dispositions d'ordre social en cours d'adoption met à la charge de l'Etat la compensation, par subventions aux organismes de sécurité sociale, des exonérations qu'il prévoit dans le cadre des mesures d'insertion bénéficiant aux titulaires du revenu minimum d'insertion. De cette charge certaine de l'exercice 1995, on ne trouve nulle trace dans la loi déférée.
Sur un autre plan, la non-prise en compte de charges certaines résulte aussi de la confusion entretenue entre les exercices 1994 et 1995. Ainsi, on l'a déjà noté, la loi de finances rectificative pour 1994 " anticipe-t-elle " l'application du mécanisme, prévu par la loi déférée, de transfert du budget général au Fonds de solidarité vieillesse du financement des majorations de pensions pour enfants à charge versées aux exploitants agricoles retraités. Est-ce à dire que ce financement n'aurait pas encore été assuré pour 1994, et donc les avantages en question pas encore versés aux intéressés ? A l'évidence, tel ne peut être le cas : ce sont bien les charges de l'exercice 1995 qui seront ainsi couvertes par le " collectif " de 1994, en violation incontestable du principe d'annualité.
De même, s'agissant du programme Acropol d'équipement en matériels de transmission des services de police, le ministre de l'intérieur, répondant le 7 novembre 1994 à une question d'un député qui s'inquiétait de l'extrême faiblesse des crédits inscrits à ce titre à la loi de finances pour 1995 (qui ne s'élèvent qu'à 30 millions de francs), répondait sans détour : " Il est bien évident que ce n'est pas avec cela que nous ferons grand-chose, mais vous allez trouver un peu plus de 300 millions de francs dans le collectif qui existe et qui vous sera prochainement soumis " (JO, Assemblée nationale, première séance du 7 novembre 1994, page 6555). La confusion entre les exercices et la méconnaissance de l'annualité budgétaire, qui ont pour résultat l'absence radicale de signification de la présentation de la loi de finances initiale, sont manifestement voulues et tranquillement assumées par le Gouvernement.
A nouveau, l'insincérité est patente et appelle la censure.
VI. : Sur la violation directe de l'article 6 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 (art 17 de la loi déférée) :
Aux termes de l'article 6 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, les " charges de la dette publique ainsi que de la dette viagère " doivent être inscrites au premier titre de la loi de finances initiale en tant que " charges permanentes de l'Etat ".
Or on a constaté que l'article 17 de la loi déférée transférait du budget général au Fonds de solidarité vieillesse le financement des majorations de pensions servies aux fonctionnaires de l'Etat retraités pour enfants à charge.
On ne saurait sérieusement contester que ces majorations, comme les pensions de retraite dont elles constituent l'accessoire, représentent des " charges permanentes de l'Etat ", et plus précisément des composantes de la " dette viagère ". Elles ne pouvaient dès lors être régulièrement extraites du premier titre du budget général.
On a, à la vérité, peine à croire qu'une irrégularité aussi manifeste, qui a mis dans un évident embarras la commission des finances du Sénat (rapport général, tome III, fascicule 1, document n° 79, pages 137-139), ait pu échapper à la sagacité de la direction générale de la fonction publique.
En tout état de cause, elle ne saurait échapper à l'annulation.
C'est pour l'ensemble de ces raisons que les députés soussignés ont l'honneur de vous demander, en application du deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, de déclarer non conforme à celle-ci l'ensemble de la loi qui vous est déférée, et notamment ceux de ses articles et chapitres qui ont fait l'objet des développements qui précèdent.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le président, Madame et Messieurs les conseillers, l'expression de notre haute considération.