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04/06/1991 | FRANCE | N°91-81809

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 04 juin 1991, 91-81809


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice, à PARIS, le quatre juin mil neuf cent quatre vingt onze, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller MILLEVILLE, les observations de Me B... et de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général RABUT ;

Statuant sur les pourvois formés par :

X... Driss,

Z... Saïd,

Y... Mohamed,

A... Abdelkader,

contre l'arrêt de la

chambre d'accusation de la cour d'appel d'AMIENS, en date du 5 février 1991, qui, dans l'information sui...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice, à PARIS, le quatre juin mil neuf cent quatre vingt onze, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller MILLEVILLE, les observations de Me B... et de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général RABUT ;

Statuant sur les pourvois formés par :

X... Driss,

Z... Saïd,

Y... Mohamed,

A... Abdelkader,

contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel d'AMIENS, en date du 5 février 1991, qui, dans l'information suivie contre eux du chef d'infractions à la législation sur les stupéfiants, a dit n'y avoir lieu à annulation d'actes de la procédure ;

Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 11 avril 1991, portant jonction des pourvois en raison de la connexité et prescrivant leur examen immédiat ;

Vu les mémoires produits ;

Sur le moyen unique de cassation invoqué au nom d'Amyay et pris de la violation des articles 4, 7, 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 34 de la Constitution, 6, 8 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 368 du Code pénal, 102, 171, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale, ensemble violation des droits de la défense ;

"en ce que l'arrêt attaqué a refusé d'annuler la commission rogatoire du 25 avril 1989 ordonnant l'écoute téléphonique de la ligne d'Amyay (D 321), les mesures prises pour l'exécution de cette commission (D 322 à D 331), les actes faisant directement (D 609, D 612 à 618, D 627) ou indirectement référence auxdits actes et la procédure subséquente ;

"aux motifs qu'il ressort du dossier que par diverses commissions rogatoires délivrées successivement en fonction des développements de l'information et en complément d'une commission rogatoire générale confiée au SRPJ de Creil, le juge d'instruction a en outre expressément chargé ce service qui n'y a pas procédé de sa propre initiative d'exécuter des écoutes téléphoniques sur des postes déterminés chaque fois par le magistrat lui-même et attribués à des personnes impliquées dans les faits instruits ; que ces mises sur écoutes se justifiaient par les considérations que ces actes étaient indispensables pour suivre l'activité du réseau et en déterminer l'organisation et l'étendue et que l'instruction, confirmant les soupçons initiaux, faisait apparaître qu'il s'agissait d'un trafic ramifié et considérable, confirmé par l'importance des saisies effectuées (...) ; que ces commissions rogatoires ont certes pour point commun de donner mission aux enquêteurs de ne retranscrire en procès-verbaux que les passages de conversations se rapportant aux faits de trafic de stupéfiant, étant toutefois prévu que les cassettes d'enregistrement seraient placées sous scellés ; mais attendu qu'il n'est nullement établi, ni même à suspecter, que la

sélection des propos retranscrits n'ait pas été fidèle ni judicieuse ni que le juge d'instruction se soit désintéressé de d l'exécution de ces écoutes qui étaient essentielles à la progression de son dossier ; que d'autre part, la mise sous scellés des cassettes d'enregistrement pourra permettre, si nécessaire, mais non par obligation de principe a priori, de procéder à d'éventuels contrôles sur les retranscriptions ; enfin que, par leur dépendance des aléas chronologiques pesant sur l'activité des trafiquants, les écoutes ordonnées n'étaient pas celles qui pouvaient se voir assigner une durée prédéterminée, à peine de laisser perdre des renseignements essentiels ; qu'il est de fait en tous cas que les écoutes n'ont été opérées que pendant la durée où elles étaient nécessaires et qu'elles n'ont fait l'objet d'aucune prolongation abusive (arrêt p. 7 et 8) ;

"1°/ alors que, d'une part, suivant les dispositions de l'article 8 de la Convention précitée, l'ingérence des autorités publiques dans la vie privée familiale, le domicile et la correspondance d'une personne ne constitue une mesure nécessaire à la répression des infractions pénales que si une loi définit clairement et avec précision l'étendue et les modalités d'exercice d'un tel pouvoir ; que tel n'est pas le cas des articles 81 et 151 du Code de procédure pénale qui n'apportent pas de dérogation suffisamment précise à la prohibition résultant des dispositions de l'article 368 du Code pénal, lequel n'a réservé ni la permission de la loi ni le commandement de l'autorité légitime ;

"2°/ alors que, d'autre part, à défaut de dérogation législative précise, toute ingérence de fait d'une autorité quelconque dans le domaine d'un droit fondamental de valeur constitutionnelle et/ou garanti par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde, nécessite l'ouverture d'un contrôle juridictionnel a priori ; que le procédé de la commission rogatoire d'initiative du juge d'instruction exclut tout contrôle préalable sur la régularité de la décision de mettre sur écoute la ligne téléphonique d'un particulier ; qu'en effet, le magistrat instructeur n'est pas juge de la légalité de ses propres actes ; qu'en l'absence de toute possibilité de contrôle juridictionnel effectif et préalable, le procédé de la commission rogatoire est prohibé ;

"3°/ alors que, de troisième part, est nulle la commission rogatoire querellée en ce que le juge d'instruction s'est borné à ordonner la mise sur écoute de la ligne téléphonique d'Amyay dont l'implication d supposée dans les faits instruits n'était ni précisée ni d'ailleurs établie et qui alors n'était pas inculpé ;

"4°/ alors que, de quatrième part, est nulle la commission rogatoire ordonnant sans condition de délai préfixé par le juge lui-même la mise sur écoute téléphonique d'un particulier ;

"5°/ alors que, de cinquième part, le juge d'instruction ne saurait en tout état de cause déléguer à la police judiciaire le soin de nommer elle-même l'interprète chargé d'ouïr et de transcrire les bandes enregistrées" ;

Et sur le moyen unique de cassation invoqué au nom des trois autres demandeurs et pris de la violation des articles 368 du Code pénal, 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 427 et 593 du Code de procédure pénale, ensemble violation des droits de la défense ;

"en ce que l'arrêt attaqué a refusé de prononcer la nullité des procès-verbaux de retranscription des écoutes téléphoniques ordonnées par le juge d'instruction ;

"aux motifs que c'est sur l'initiative du juge d'instruction chargé de l'information que le SRPJ de Creil a été chargé de procéder à des écoutes téléphoniques qui se justifiaient par les considérations que ces actes étaient indispensables pour suivre l'activité du réseau et en déterminer l'étendue ; que ces commissions rogatoires avaient pour objet de ne retranscrire en procès-verbaux que les passages de conversations se rapportant aux faits de trafic de stupéfiants mais qu'il n'est nullement établi, ni même à suspecter que la sélection des propos retranscrits n'ait pas été fidèle ni judicieuse ni que le juge d'instruction se soit désintéressé de l'exécution de ces écoutes qui étaient essentielles à la progression de son dossier ; que d'autre part la mise sous scellés des cassettes d'enregistrement pourra permettre, si nécessaire, mais non par obligation de principe a priori, de procéder à d'éventuels contrôles sur les retranscriptions ; que par leur dépendance des aléas chronologiques pesant sur l'activité des trafiquants les écoutes ordonnées n'étaient pas celles qui pouvaient se voir assigner une durée prédéterminée à peine de laisser perdre des renseignements essentiels ; qu'il est de fait en tous cas que les écoutes n'ont été opérées que pendant la durée où elles étaient nécessaires et d qu'elles n'ont fait l'objet d'aucune prolongation abusive ;

"alors d'une part, que toute ingérence des autorités publiques dans la vie privée et familiale, le domicile ou la correspondance d'une personne ne peut, aux termes des dispositions de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de de l'homme, constituer une mesure nécessaire à la répression des infractions pénales que si elle est définie par une loi fixant clairement et avec précision l'étendue et les modalités d'exercice d'un tel pouvoir ; qu'aucune loi française n'autorisant expressément le juge d'instruction à mettre sous écoute téléphonique une ligne privée et ne définissant pas avec une précision suffisante et avec suffisamment de garanties les conditions d'exercice de ce mode d'investigation particulier du magistrat instructeur, la nullité des écoutes et de toute la procédure subséquente devait être prononcée par la chambre d'accusation ;

"alors d'autre part, qu'en toute hypothèse le juge d'instruction doit effectuer un contrôle réel sur la mise en oeuvre et l'exécution des écoutes téléphoniques qui sont restées entièrement dans la main et à la discrétion des officiers de police judiciaire ; que l'arrêt ne pouvait donc pas affirmer que la mise sous scellés peut permettre de procéder à un "éventuel" contrôle sur les retranscriptions si nécessaire mais qu'il ne s'agit pas d'une obligation de principe a priori ; qu'en l'espèce, il ne résulte ni des commissions rogatoires ni du dossier que le juge d'instruction ait effectué un contrôle réel sur la retranscription desdites écoutes, de sorte la chambre d'accusation aurait dû les annuler ainsi que la procédure subséquente ;

"alors que, de surcroît, les commissions rogatoires ordonnant la mise sous écoute téléphonique doivent être limitées dans le temps ; qu'en refusant de soumettre les écoutes effectuées à l'occasion de poursuites relatives à un trafic de stupéfiants à cette exigence de

durée, la chambre d'accusation n'a pas légalement justifié sa décision" ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'au cours de l'information suivie pour infractions à la législation sur les stupéfiants, le juge d'instruction a, par diverses d commissions rogatoires, prescrit la mise sous écoutes de lignes téléphoniques déterminées, pouvant être utilisées par des individus impliqués dans le trafic de stupéfiants ; qu'il a été mis fin à ces mesures, sur ordre du juge d'instruction, dès qu'il s'est avéré qu'elles n'étaient plus nécessaires ; que les enregistrements opérés ont été transcrits, dans la mesure où ils concernaient les faits de la poursuite ; que les procès-verbaux de cette transcription ont été régulièrement versés au dossier de la procédure ; qu'enfin, les bandes d'enregistrement ont été saisies et placées sous scellés ;

Attendu qu'en cet état l'arrêt attaqué n'encourt pas les griefs des moyens ;

Qu'en effet, les écoutes et enregistrements téléphoniques trouvent leur base légale dans les articles 81 et 151 du Code de procédure pénale ; qu'ils peuvent être effectués à l'insu des personnes intéressées, qui ne sont pas seulement celles sur qui pèsent des indices de culpabilité, s'ils sont opérés pendant une durée n'excédant pas le temps nécessaire à la manifestation de la vérité, sur l'ordre d'un juge et sous son contrôle, en vue d'établir la preuve d'un crime ou de toute autre infraction portant gravement atteinte à l'ordre public, et d'en identifier les auteurs ; qu'il faut, en outre, que l'écoute soit obtenue sans artifice ni stratagème et que sa transcription puisse être contradictoirement discutée par les parties concernées, le tout dans le respect des droits de la défense ;

Que ces prescriptions, auxquelles il n'est pas établi qu'il ait été dérogé en l'espèce, répondent aux exigences de l'article 8, alinéa 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dont la méconnaissance serait de nature à entraîner l'annulation des actes critiqués ;

D'où il suit que les moyens doivent être écartés ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

Condamne les demandeurs aux dépens ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Où étaient présents : M. Zambeaux conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Milleville conseiller rapporteur, MM. Dardel, Dumont, Fontaine, Alphand, Guerder conseillers de la chambre, Mme Guirimand conseiller référendaire, M. Rabut avocat général, Mme Mazard greffier de chambre ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 91-81809
Date de la décision : 04/06/1991
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Chambre d'accusation de la cour d'appel d'Amiens, 05 février 1991


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 04 jui. 1991, pourvoi n°91-81809


Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1991:91.81809
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