La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/05/1990 | FRANCE | N°90-274

France | France, Conseil constitutionnel, 29 mai 1990, 90-274


Le Conseil constitutionnel a été saisi le 4 mai 1990 par MM Michel Alloncle, Jean Amelin, Hubert d'Andigné, Honoré Bailet, Jacques Bérard, Roger Besse, Amédée Bouquerel, Yvon Bourges, Jacques Braconnier, Mme Paulette Brisepierre, MM Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Jean-Pierre Camoin, Auguste Cazalet, Jean Chamant, Michel Chauty, Jean Chérioux, Henri Collette, Maurice Couve de Murville, Charles de Cuttoli, Jacques Delong, Charles Descours, Michel Doublet, Franz Duboscq, Alain Dufaut, Marcel Fortier, Philippe François, Philippe de Gaulle, Alain Gérard, François Gerbaud, Charles G

inesy, Georges Gruillot, Yves Guéna, Hubert Haenel, Emmanue...

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 4 mai 1990 par MM Michel Alloncle, Jean Amelin, Hubert d'Andigné, Honoré Bailet, Jacques Bérard, Roger Besse, Amédée Bouquerel, Yvon Bourges, Jacques Braconnier, Mme Paulette Brisepierre, MM Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Jean-Pierre Camoin, Auguste Cazalet, Jean Chamant, Michel Chauty, Jean Chérioux, Henri Collette, Maurice Couve de Murville, Charles de Cuttoli, Jacques Delong, Charles Descours, Michel Doublet, Franz Duboscq, Alain Dufaut, Marcel Fortier, Philippe François, Philippe de Gaulle, Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginesy, Georges Gruillot, Yves Guéna, Hubert Haenel, Emmanuel Hamel, Bernard Hugo, Roger Husson, André Jarrot, André Jourdain, Gérard Larcher, René-Georges Laurin, Marc Lauriol, Jean-François Le Grand, Maurice Lombard, Paul Masson, Michel Maurice-Bokanowski, Jacques de Menou, Geoffroy de Montalembert, Jean Natali, Lucien Neuwirth, Paul d'Ornano, Jacques Oudin, Charles Pasqua, Alain Pluchet, Christian Poncelet, Roger Rigaudière, Jean-Jacques Robert, Mme Nelly Rodi, MM Josselin de Rohan, Roger Romani, Jean Simonin, Jacques Sourdille, Louis Souvet, Martial Taugourdeau, Dick Ukeiwé, Jacques Valade, Serge Vinçon, Raymond Bourgine, Désiré Debavelaere, Lucien Lanier, Michel Rufin, Claude Prouvoyeur, André-Georges Voisin, sénateurs, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi visant à la mise en uvre du droit au logement ;

Le Conseil constitutionnel,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que les auteurs de la saisine défèrent au Conseil constitutionnel la loi visant à la mise en oeuvre du droit au logement en raison de la procédure suivie pour l'adoption de ses articles 14 et 15 ; qu'ils critiquent en outre le contenu des articles 3, 7 et 14 au regard du principe de libre administration des collectivités territoriales ;

- SUR LA PROCEDURE D'ADOPTION DES ARTICLES 14 ET 15 :

2. Considérant que les auteurs de la saisine font observer que les articles 14 et 15 de la loi sont issus d'amendements déposés par le Gouvernement en nouvelle lecture ; que ces articles réintroduisent des dispositions qui figuraient respectivement aux articles 14 et 11 du projet de loi initial alors que ces derniers ont été, en première lecture, supprimés par l'Assemblée nationale et ont fait l'objet au Sénat d'une suppression conforme ; qu'il est soutenu que le rétablissement par voie d'amendement de dispositions qui avaient été supprimées par les deux assemblées est contraire aux prescriptions tant du règlement de chaque assemblée que de l'article 45 de la Constitution ;

. En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance du règlement des assemblées :

3. Considérant que les auteurs de la saisine font valoir qu'en vertu de l'article 108, paragraphe 2, du règlement de l'Assemblée nationale et de l'article 42, paragraphe 10, du règlement du Sénat, la discussion des articles est limitée à partir de la deuxième lecture à ceux pour lesquels les deux assemblées n'ont pas adopté un texte identique ;

4. Considérant que les règlements des assemblées parlementaires n'ayant pas en eux-mêmes valeur constitutionnelle, la seule méconnaissance des dispositions réglementaires invoquées ne saurait avoir pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution ;

. En ce qui concerne le moyen tiré de la violation de l'article 45 de la Constitution :

5. Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles 39, 44 et 45 de la Constitution que le droit d'amendement, qui est le corollaire de l'initiative législative, peut, sous réserve des limitations posées aux troisième et quatrième alinéas de l'article 45, s'exercer à chaque stade de la procédure législative ; que, par suite, des amendements peuvent tendre au rétablissement de dispositions qui avaient été écartées en première lecture par les deux assemblées ; que, toutefois, les adjonctions ou modifications apportées au texte en cours de discussion ne sauraient, sans méconnaître les articles 39, alinéa 1, et 44, alinéa 1, de la Constitution ni être sans lien avec ce dernier ni dépasser par leur objet et leur portée les limites inhérentes à l'exercice du droit d'amendement qui relève d'une procédure spécifique ;

6. Considérant que l'amendement qui est à l'origine de l'article 14 a pour objet de faire échapper au droit de préemption urbain ainsi qu'au droit de préemption à l'intérieur des zones d'aménagement différé certains immeubles dans les communes où l'ensemble des logements locatifs sociaux représente moins de 20 p. 100 des résidences principales ; que l'amendement dont est issu l'article 15 modifie l'article L. 441-2 du code de la construction et de l'habitation relatif à l'attribution des logements appartenant aux organismes d'habitations à loyer modéré ou gérés par eux ;

7. Considérant que ces diverses dispositions ne sont pas sans lien avec le texte en discussion ; que, tant par leur objet, qui est étroitement spécifié, que par leur portée, elles n'ont pas dépassé les limites de valeur constitutionnelle relatives à l'exercice du droit d'amendement ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les conditions d'adoption des articles 14 et 15 ne sont pas contraires à la Constitution ;

- SUR LE FOND :

9. Considérant que les auteurs de la saisine font grief aux articles 3, 7 et 14 de la loi de mettre en cause le principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales ;

. En ce qui concerne l'article 3 :

10. Considérant que l'article 3 de la loi énonce, dans son premier alinéa, que le plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées "est élaboré et mis en oeuvre par l'État et le département" et que sont associés tant à l'élaboration qu'à la mise en oeuvre de ce plan, les autres collectivités territoriales et leurs groupements ainsi que les autres personnes morales concernées ; que, selon le deuxième alinéa de l'article 3, lorsque le représentant de l'État et le président du conseil général ne sont pas parvenus à un accord dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la loi, "le plan départemental est arrêté par décision conjointe des ministres chargés des collectivités territoriales, du logement et des affaires sociales" ; qu'il est précisé au troisième alinéa de l'article 3 que, dans la région Ile-de-France, les plans départementaux "sont coordonnés par un plan régional établi dans les mêmes conditions par le représentant de l'État dans la région, le président du Conseil régional et les présidents des conseils généraux." ;

11. Considérant que ces dispositions font l'objet d'une triple critique au regard du principe de libre administration des collectivités locales ; que l'État et le département pourront imposer aux communes des priorités différentes des leurs en matière de logement social ; que le Gouvernement pourra dans l'hypothèse visée au deuxième alinéa imposer aux collectivités locales des choix contraires aux objectifs qu'elles se sont fixés ; qu'en cas de désaccord entre le préfet et le président du conseil général, le texte n'exige pas l'intervention d'un décret en Conseil d'État, ce qui prive les collectivités locales d'une garantie ;

12. Considérant que si, en vertu de l'article 72 de la Constitution, les collectivités territoriales "s'administrent librement par des conseils élus", chacune d'elles le fait "dans les conditions prévues par la loi" ; qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution "la loi détermine les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources" ;

13. Considérant que sur le fondement de ces dispositions il revient au législateur de définir les compétences respectives de l'État et des collectivités territoriales en ce qui concerne les actions à mener pour promouvoir le logement des personnes défavorisées qui répond à une exigence d'intérêt national ; qu'à cet effet, il lui est loisible de prévoir l'établissement, pour chaque département, d'un plan départemental et, en outre, pour la région Ile-de-France, d'un plan régional, dont l'élaboration et la mise en oeuvre incombent, dans le premier cas, à l'État et au département, et, dans le second cas, au représentant de l'État dans la région, au président du Conseil régional et aux présidents des conseils généraux ; qu'aucun principe non plus qu'aucune règle de valeur constitutionnelle ne fait obstacle, ni à ce que les communes soient simplement associées à l'élaboration et à la mise en oeuvre du plan ni à ce que la loi donne compétence aux ministres intéressés pour arrêter le plan départemental ou régional à défaut d'accord entre le représentant de l'État dans le département ou la région et les collectivités territoriales concernées ; qu'eu égard tant à l'objet qu'aux effets d'un plan d'action pour le logement des personnes défavorisées, le législateur, en n'exigeant pas qu'en cas de désaccord à l'échelon local le plan soit arrêté à l'échelon central par décret en Conseil d'État, n'a pas méconnu l'étendue de la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution ;

. En ce qui concerne l'article 7 :

14. Considérant que l'article 7 de la loi définit les modalités de financement du fonds de solidarité pour le logement dont l'institution, les missions et les modes d'intervention font l'objet de l'article 6 ; qu'il ressort du premier alinéa de l'article 7 que le financement de ce fonds "est assuré par l'État et le département" ; qu'aux termes du deuxième alinéa du même article "la participation du département est au moins égale à celle de l'État" ; que le troisième alinéa prévoit que "la région, les communes et les caisses d'allocations familiales ainsi que les autres partenaires visés à l'article 3 peuvent également participer volontairement au financement de ce fonds" ;

15. Considérant que ces dispositions sont critiquées en ce que le département va devoir inscrire à son budget une dépense nouvelle sans pouvoir en maîtriser le montant, ce qui peut le contraindre à renoncer à ses propres priorités budgétaires ; qu'ainsi, le mode de financement du fonds risque de vider de toute substance l'autonomie financière du département et par là même son autonomie de décision ;

16. Considérant que sur le fondement des dispositions précitées des articles 34 et 72 de la Constitution, le législateur peut définir des catégories de dépenses qui revêtent pour une collectivité territoriale un caractère obligatoire ; que toutefois, les obligations ainsi mises à la charge d'une collectivité territoriale doivent être définies avec précision quant à leur objet et à leur portée et ne sauraient méconnaître la compétence propre des collectivités territoriales ni entraver leur libre administration ;

17. Considérant que la portée des obligations financières incombant au département en vertu du deuxième alinéa de l'article 7 de la loi doit être appréciée en fonction tant du contenu propre de cet article que des autres dispositions de la loi ;

18. Considérant qu'aux termes de l'article 5 de la loi "des conventions passées entre les partenaires mentionnés à l'article 3 précisent les modalités de mise en oeuvre du plan départemental et définissent annuellement les conditions de financement des dispositifs qu'il prévoit" ;

19. Considérant qu'en vertu du premier alinéa de l'article 6, le fonds de solidarité pour le logement a pour mission d'accorder des aides financières telles que cautions, prêts, garanties et subventions à des personnes ou familles défavorisées qui entrent dans un logement locatif ou qui, étant locataires, se trouvent dans l'impossibilité d'assumer leurs obligations relatives au paiement du loyer et des charges ; que selon le deuxième alinéa de l'article 6, le fonds de solidarité prend en charge les mesures d'accompagnement social nécessaires à l'installation ou au maintien dans un logement des personnes bénéficiant du plan départemental ; qu'il peut, suivant le même alinéa, accorder une garantie financière aux associations qui mettent un logement à la disposition des personnes ou familles défavorisées ou qui leur accordent une garantie ; qu'il est spécifié au quatrième et dernier alinéa de l'article 6 que le plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées définit les modalités de gestion ainsi que les conditions d'intervention du fonds de solidarité pour le logement "dont le fonctionnement et le financement font l'objet de conventions telles qu'elles sont prévues à l'article 5." ;

20. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces dispositions et notamment du rôle qui incombe dans la mise en oeuvre du plan départemental à des conventions auxquelles le département sera partie, qu'en prévoyant que la contribution du département au financement du fonds de solidarité pour le logement sera au moins égale à celle de l'État, le législateur n'a pas porté atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales ;

. En ce qui concerne l'article 14 :

21. Considérant que l'article 14 de la loi a pour objet de compléter l'énumération, donnée par le cinquième alinéa de l'article L. 213-1 du code de l'urbanisme, des immeubles qui échappent aussi bien au droit de préemption urbain qu'au droit de préemption à l'intérieur des zones d'aménagement différé ; que le cas nouveau d'exclusion du champ d'application du droit de préemption concerne : "Dans les communes où l'ensemble des logements locatifs sociaux au sens du 3° de l'article L. 234-10 du code des communes représente moins de 20 p. 100 des résidences principales, les immeubles dont l'aliénation est agréée par le représentant de l'État dans le département en vue d'accroître l'offre de logements sociaux." ;

22. Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent qu'en édictant ces dispositions le législateur a en fait délégué à un règlement le pouvoir de désigner indirectement les communes dans lesquelles les autorités locales seront dessaisies de leur droit de préemption ; qu'en effet, l'article L. 234-10 du code des communes auquel se réfère l'article 14 de la loi renvoie lui-même à un décret en Conseil d'État le soin de définir les logements locatifs sociaux et leurs modalités de prise en compte pour le calcul de la dotation de compensation de la dotation globale de fonctionnement des communes ;

23. Considérant que l'article 34 de la Constitution réserve à la loi la détermination des principes fondamentaux de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources ainsi que la détermination des principes fondamentaux du régime de la propriété ;

24. Considérant que sur le fondement de ces dispositions il appartient au législateur de déterminer les cas dans lesquels le droit de préemption est susceptible ou non d'être exercé ainsi que les catégories de personnes et notamment les collectivités territoriales qui peuvent être titulaires de l'exercice de ce droit ; qu'en revanche, la fixation des modalités de mise en oeuvre des principes posés par la loi relève de la compétence du pouvoir réglementaire ; qu'il suit de là que l'article 14 de la loi déférée ne méconnaît pas les dispositions de l'article 34 de la Constitution ;

25. Considérant qu'en l'espèce il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen ;

Décide :

Article premier :

La loi visant à la mise en œuvre du droit au logement n'est pas contraire à la Constitution.

Article 2 :

La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.


Synthèse
Numéro de décision : 90-274
Date de la décision : 29/05/1990
Loi visant à la mise en oeuvre du droit au logement
Sens de l'arrêt : Conformité
Type d'affaire : Contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires, lois organiques, des traités, des règlements des Assemblées

Saisine

SAISINE SENATEURS

Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, les sénateurs soussignés défèrent au Conseil constitutionnel le projet de loi visant à la mise en uvre du droit au logement et lui demandent de déclarer ses articles 2, 6, 13 bis et 13 ter non conformes à la Constitution.

I : Atteinte au principe de libre administration des collectivités locales

Les articles 2, 6 et 13 bis du projet de loi mettent en cause le principe de libre administration des collectivités locales que protègent les articles 34 et 72 de la Constitution et que le Conseil constitutionnel, depuis sa décision n° 83-168 DC du 20 janvier 1984, range parmi les principes de valeur constitutionnelle : Article 2

Cet article qui définit la procédure d'adoption du plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées pose le principe de son élaboration commune et de sa mise en uvre par l'Etat et le département. Les autres collectivités territoriales - en particulier les communes urbaines où se posent avec le plus d'acuité les problèmes de logements et qui auront à exécuter les mesures prévues par le plan : ne participent pas directement à la décision et sont simplement associées à son élaboration au même titre que les associations, les caisses d'allocations familiales, les bailleurs publics et privés et autres personnes morales concernées.

De plus, si dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la loi un accord n'a pu intervenir entre le représentant de l'Etat et le président du conseil général, le plan est arrêté par " décision conjointe " des ministres chargés des collectivités territoriales, du logement et des affaires sociales.

Certes par sa décision n° 82-149 DC du 28 décembre 1982, le Conseil constitutionnel a admis que la loi pouvait prévoir l'intervention du représentant de l'Etat pour surmonter les difficultés résultant de l'absence de décision des autorités décentralisées normalement compétentes, lorsque leur carence risque de compromettre le fonctionnement des services publics et l'application des lois. Mais dans le présent projet de loi on observera que les différents niveaux d'administration locale ne sont pas mis à même d'exercer les responsabilités qui leur ont été dévolues par le législateur. Nonobstant les compétences que les communes et les départements tiennent de l'article 73 de la loi n° 83-7 du 7 janvier 1983 pour définir leurs priorités respectives en matière d'habitat, il résulte du présent article que d'une part l'Etat et le département pourront imposer aux communes des priorités différentes des leurs, d'autre part le Gouvernement pourra : et cela en certaines hypothèses, du seul fait de la carence du préfet -, imposer aux collectivités locales des choix contraires aux objectifs qu'elles se sont fixés dans le cadre de leurs compétences. De plus le projet de loi ne précise pas, en cas de désaccord entre le préfet et le président du conseil général, sous quelle forme la décision ministérielle devra intervenir, ce qui prive les collectivités locales de la garantie que leur aurait apportée l'obligation de recourir à un décret en Conseil d'Etat.

C'est donc à un double niveau que l'article 2 porte atteinte au principe de libre administration des collectivités locales.

Article 6

Cette disposition qui définit les modalités de financement du fonds de solidarité pour le logement crée pour le département une nouvelle charge financière qui, à défaut de son accord, peut lui être imposée, la participation du département devant en tout état de cause être au moins égale à celle de l'Etat. Aucune limitation n'est fixée à la participation de l'Etat. Celui-ci décidera donc souverainement du montant de cette participation et par conséquent du montant minimum des crédits que devra ouvrir le département.

S'il revient bien au législateur d'intervenir en cette matière, il lui appartient également de s'assurer que la collectivité territoriale à la charge de laquelle est mise une dépense nouvelle est bien en mesure d'en assurer la couverture par ses ressources. Or aucune ressource nouvelle n'est instituée par l'article 6, contrairement au principe posé par les lois de décentralisation de compensation par l'Etat des compétences transférées aux collectivités territoriales, par des ressources d'un montant équivalent à l'effort que consacrait l'Etat à l'exercice de la compétence en cause, au moment du transfert.

Le département va désormais devoir inscrire à son budget une dépense nouvelle sans pouvoir en maîtriser le montant et quel que soit par ailleurs l'emploi de ses recettes, en fonction d'un montant de crédits fixé unilatéralement par l'Etat. Le département peut ainsi être contraint à renoncer à ses propres priorités budgétaires, ce qui risque de vider de toute substance réelle son autonomie financière et met en cause son autonomie de décision dans les domaines de compétences dont la loi a confié la responsabilité.

Article 13 bis

Cet article reprend l'article 14 du projet de loi initial, supprimé par l'Assemblée nationale et par le Sénat en première lecture. Il tend, dans les communes où les logements locatifs sociaux représentent moins de 20 p 100 des résidences principales, à retirer aux autorités locales le pouvoir d'exercer le droit de préemption, qu'elles tiennent de l'article L 213-1 du code de l'urbanisme, sur les immeubles dont le représentant de l'Etat dans le département a agréé l'aliénation en vue d'accroître l'offre de logements sociaux.

D'après les statistiques disponibles, environ 90 p 100 des communes sont actuellement en dessous de la moyenne nationale de 20 p 100 de logements sociaux, ce qui implique que 10 p 100 au plus des communes pourront continuer à exercer le droit de préemption urbain qui leur est reconnu par la loi. Mais une grande incertitude pèse en fait sur la détermination exacte des communes dans lesquelles le droit de préemption sera retiré aux communes au profit du préfet, puisque l'article 134 bis renvoie pour la définition des logements sociaux à l'article L 234-10 du code des communes. Ce n'est donc qu'en se reportant à cet article qu'il sera possible de connaître les communes dans lesquelles la proportion de logements sociaux par rapport à l'ensemble du parc des résidences principales conduit au dessaisissement des autorités locales.

Or l'article L 234-10 du code des communes renvoie lui-même à un décret en Conseil d'Etat le soin de définir les logements sociaux et leurs modalités de prise en compte pour le calcul de la dotation globale de fonctionnement. Le décret d'application de cette disposition a été pris le 31 décembre 1985 et modifié par décret du 28 avril 1987. Rien n'empêchera dans l'avenir l'autorité réglementaire de modifier la définition des logements sociaux, ce qui affectera indirectement le calcul de la proportion de 20 p 100 visée à l'article 13 bis et l'application de ses dispositions sera ainsi subordonnée à une décision réglementaire dont la finalité première sera, de plus, ailleurs.

Dans sa décision n° 83-168 DC du 20 janvier 1984, le Conseil constitutionnel a considéré que le législateur était resté en deçà de sa compétence en adoptant des dispositions qui confèrent à l'autorité réglementaire le soin de déterminer les catégories de communes dont l'importance ouvre au maire le pouvoir de recruter des collaborateurs directs, alors que ce pouvoir relève du principe fondamental de la libre administration des collectivités locales.

De même, avec le dispositif de l'article 13 bis, le législateur délègue à l'autorité réglementaire le pouvoir de désigner indirectement les communes dans lesquelles les autorités locales seront dessaisies de leur droit de préemption, sur les immeubles dont le représentant de l'Etat agréera l'aliénation en vue d'étendre le parc des logements sociaux, sans égard pour la politique définie en la matière dans le cadre de ses compétences, par la collectivité territoriale concernée.

C'est pourquoi cet article porte atteinte au principe de libre administration des collectivités locales.

II. : Le cadre d'exercice du droit d'amendement

Les articles 13 bis et 13 ter du projet de loi résultent d'amendements déposés par le Gouvernement en nouvelle lecture et tendent à réintroduire les dispositions qui figuraient respectivement aux articles 14 et 11 du projet de loi initial. En première lecture, ces deux articles ont été supprimés par l'Assemblée nationale et ont fait l'objet d'une suppression conforme au Sénat.

Malgré cet accord intervenu dès la première lecture entre les deux assemblées, le Gouvernement a néanmoins réintroduit en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale ces dispositions.

Cette procédure est contraire à l'article 45 de la Constitution qui veut qu'au cours de la " navette " parlementaire la discussion des articles soit limitée à ceux pour lesquels l'Assemblée nationale et le Sénat n'ont pu parvenir à un texte identique. Plus généralement, elle remet en cause un principe républicain de droit parlementaire qui veut que l'on respecte les votes acquis, cette règle ne souffrant d'exceptions que pour assurer la coordination des dispositions adoptées ou procéder à une rectification matérielle.

C'est d'ailleurs ce principe que traduisent les règlements des assemblées parlementaires dont la conformité à la Constitution a été reconnue par le Conseil constitutionnel à l'occasion du contrôle exercé en application de l'article 61, premier alinéa, de la Constitution.

En vertu de l'article 42-10 du règlement du Sénat et dans l'article 108-2 du règlement de l'Assemblée nationale, la discussion des articles est limitée à partir de la deuxième lecture à ceux pour lesquels les deux chambres n'ont pas adopté un texte identique.

Une question essentielle est ainsi posée. Le vote identique exprime la volonté souveraine des deux assemblées et met un terme à la procédure et, donc, au droit d'amendement.

La tradition républicaine rejoint ici le bon sens.

En supprimant par une décision commune les articles 11 et 14 du projet de loi initial, l'Assemblée nationale et le Sénat ont mis un terme à la discussion parlementaire de ces articles.

Il n'échappera à personne au surplus que le procédé adopté par le Gouvernement tend à anéantir la volonté du Parlement et met ainsi en jeu l'existence même de ce dernier.

L'amendement du Gouvernement doit donc être considéré comme irrecevable et contraire à l'article 45 de la Constitution.


Références :

DC du 29 mai 1990 sur le site internet du Conseil constitutionnel
DC du 29 mai 1990 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : Loi visant à la mise en oeuvre du droit au logement (Nature : Loi ordinaire, Loi organique, Traité ou Réglement des Assemblées)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°90-274 DC du 29 mai 1990
Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:1990:90.274.DC
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award