Le Conseil constitutionnel a été saisi le 4 mai 1990 par MM Michel Alloncle, Jean Amelin, Hubert d'Andigné, Honoré Bailet, Jacques Bérard, Roger Besse, Amédée Bouquerel, Yvon Bourges, Jacques Braconnier, Mme Paulette Brisepierre, MM Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Jean-Pierre Camoin, Auguste Cazalet, Jean Chamant, Michel Chauty, Jean Chérioux, Henri Collette, Maurice Couve de Murville, Charles de Cuttoli, Jacques Delong, Charles Descours, Michel Doublet, Franz Duboscq, Alain Dufaut, Marcel Fortier, Philippe François, Philippe de Gaulle, Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginesy, Georges Gruillot, Yves Guéna, Hubert Haenel, Emmanuel Hamel, Bernard Hugo, Roger Husson, André Jarrot, André Jourdain, Gérard Larcher, René-Georges Laurin, Marc Lauriol, Jean-François Le Grand, Maurice Lombard, Paul Masson, Michel Maurice-Bokanowski, Jacques de Menou, Geoffroy de Montalembert, Jean Natali, Lucien Neuwirth, Paul d'Ornano, Jacques Oudin, Charles Pasqua, Alain Pluchet, Christian Poncelet, Roger Rigaudière, Jean-Jacques Robert, Mme Nelly Rodi, MM Josselin de Rohan, Roger Romani, Jean Simonin, Jacques Sourdille, Louis Souvet, Martial Taugourdeau, Dick Ukeiwé, Jacques Valade, Serge Vinçon, Raymond Bourgine, Désiré Debavelaere, Lucien Lanier, Michel Rufin, Claude Prouvoyeur, André-Georges Voisin, sénateurs, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi visant à la mise en uvre du droit au logement ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les auteurs de la saisine défèrent au Conseil constitutionnel la loi visant à la mise en oeuvre du droit au logement en raison de la procédure suivie pour l'adoption de ses articles 14 et 15 ; qu'ils critiquent en outre le contenu des articles 3, 7 et 14 au regard du principe de libre administration des collectivités territoriales ;
- SUR LA PROCEDURE D'ADOPTION DES ARTICLES 14 ET 15 :
2. Considérant que les auteurs de la saisine font observer que les articles 14 et 15 de la loi sont issus d'amendements déposés par le Gouvernement en nouvelle lecture ; que ces articles réintroduisent des dispositions qui figuraient respectivement aux articles 14 et 11 du projet de loi initial alors que ces derniers ont été, en première lecture, supprimés par l'Assemblée nationale et ont fait l'objet au Sénat d'une suppression conforme ; qu'il est soutenu que le rétablissement par voie d'amendement de dispositions qui avaient été supprimées par les deux assemblées est contraire aux prescriptions tant du règlement de chaque assemblée que de l'article 45 de la Constitution ;
. En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance du règlement des assemblées :
3. Considérant que les auteurs de la saisine font valoir qu'en vertu de l'article 108, paragraphe 2, du règlement de l'Assemblée nationale et de l'article 42, paragraphe 10, du règlement du Sénat, la discussion des articles est limitée à partir de la deuxième lecture à ceux pour lesquels les deux assemblées n'ont pas adopté un texte identique ;
4. Considérant que les règlements des assemblées parlementaires n'ayant pas en eux-mêmes valeur constitutionnelle, la seule méconnaissance des dispositions réglementaires invoquées ne saurait avoir pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution ;
. En ce qui concerne le moyen tiré de la violation de l'article 45 de la Constitution :
5. Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles 39, 44 et 45 de la Constitution que le droit d'amendement, qui est le corollaire de l'initiative législative, peut, sous réserve des limitations posées aux troisième et quatrième alinéas de l'article 45, s'exercer à chaque stade de la procédure législative ; que, par suite, des amendements peuvent tendre au rétablissement de dispositions qui avaient été écartées en première lecture par les deux assemblées ; que, toutefois, les adjonctions ou modifications apportées au texte en cours de discussion ne sauraient, sans méconnaître les articles 39, alinéa 1, et 44, alinéa 1, de la Constitution ni être sans lien avec ce dernier ni dépasser par leur objet et leur portée les limites inhérentes à l'exercice du droit d'amendement qui relève d'une procédure spécifique ;
6. Considérant que l'amendement qui est à l'origine de l'article 14 a pour objet de faire échapper au droit de préemption urbain ainsi qu'au droit de préemption à l'intérieur des zones d'aménagement différé certains immeubles dans les communes où l'ensemble des logements locatifs sociaux représente moins de 20 p. 100 des résidences principales ; que l'amendement dont est issu l'article 15 modifie l'article L. 441-2 du code de la construction et de l'habitation relatif à l'attribution des logements appartenant aux organismes d'habitations à loyer modéré ou gérés par eux ;
7. Considérant que ces diverses dispositions ne sont pas sans lien avec le texte en discussion ; que, tant par leur objet, qui est étroitement spécifié, que par leur portée, elles n'ont pas dépassé les limites de valeur constitutionnelle relatives à l'exercice du droit d'amendement ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les conditions d'adoption des articles 14 et 15 ne sont pas contraires à la Constitution ;
- SUR LE FOND :
9. Considérant que les auteurs de la saisine font grief aux articles 3, 7 et 14 de la loi de mettre en cause le principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales ;
. En ce qui concerne l'article 3 :
10. Considérant que l'article 3 de la loi énonce, dans son premier alinéa, que le plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées "est élaboré et mis en oeuvre par l'État et le département" et que sont associés tant à l'élaboration qu'à la mise en oeuvre de ce plan, les autres collectivités territoriales et leurs groupements ainsi que les autres personnes morales concernées ; que, selon le deuxième alinéa de l'article 3, lorsque le représentant de l'État et le président du conseil général ne sont pas parvenus à un accord dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la loi, "le plan départemental est arrêté par décision conjointe des ministres chargés des collectivités territoriales, du logement et des affaires sociales" ; qu'il est précisé au troisième alinéa de l'article 3 que, dans la région Ile-de-France, les plans départementaux "sont coordonnés par un plan régional établi dans les mêmes conditions par le représentant de l'État dans la région, le président du Conseil régional et les présidents des conseils généraux." ;
11. Considérant que ces dispositions font l'objet d'une triple critique au regard du principe de libre administration des collectivités locales ; que l'État et le département pourront imposer aux communes des priorités différentes des leurs en matière de logement social ; que le Gouvernement pourra dans l'hypothèse visée au deuxième alinéa imposer aux collectivités locales des choix contraires aux objectifs qu'elles se sont fixés ; qu'en cas de désaccord entre le préfet et le président du conseil général, le texte n'exige pas l'intervention d'un décret en Conseil d'État, ce qui prive les collectivités locales d'une garantie ;
12. Considérant que si, en vertu de l'article 72 de la Constitution, les collectivités territoriales "s'administrent librement par des conseils élus", chacune d'elles le fait "dans les conditions prévues par la loi" ; qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution "la loi détermine les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources" ;
13. Considérant que sur le fondement de ces dispositions il revient au législateur de définir les compétences respectives de l'État et des collectivités territoriales en ce qui concerne les actions à mener pour promouvoir le logement des personnes défavorisées qui répond à une exigence d'intérêt national ; qu'à cet effet, il lui est loisible de prévoir l'établissement, pour chaque département, d'un plan départemental et, en outre, pour la région Ile-de-France, d'un plan régional, dont l'élaboration et la mise en oeuvre incombent, dans le premier cas, à l'État et au département, et, dans le second cas, au représentant de l'État dans la région, au président du Conseil régional et aux présidents des conseils généraux ; qu'aucun principe non plus qu'aucune règle de valeur constitutionnelle ne fait obstacle, ni à ce que les communes soient simplement associées à l'élaboration et à la mise en oeuvre du plan ni à ce que la loi donne compétence aux ministres intéressés pour arrêter le plan départemental ou régional à défaut d'accord entre le représentant de l'État dans le département ou la région et les collectivités territoriales concernées ; qu'eu égard tant à l'objet qu'aux effets d'un plan d'action pour le logement des personnes défavorisées, le législateur, en n'exigeant pas qu'en cas de désaccord à l'échelon local le plan soit arrêté à l'échelon central par décret en Conseil d'État, n'a pas méconnu l'étendue de la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution ;
. En ce qui concerne l'article 7 :
14. Considérant que l'article 7 de la loi définit les modalités de financement du fonds de solidarité pour le logement dont l'institution, les missions et les modes d'intervention font l'objet de l'article 6 ; qu'il ressort du premier alinéa de l'article 7 que le financement de ce fonds "est assuré par l'État et le département" ; qu'aux termes du deuxième alinéa du même article "la participation du département est au moins égale à celle de l'État" ; que le troisième alinéa prévoit que "la région, les communes et les caisses d'allocations familiales ainsi que les autres partenaires visés à l'article 3 peuvent également participer volontairement au financement de ce fonds" ;
15. Considérant que ces dispositions sont critiquées en ce que le département va devoir inscrire à son budget une dépense nouvelle sans pouvoir en maîtriser le montant, ce qui peut le contraindre à renoncer à ses propres priorités budgétaires ; qu'ainsi, le mode de financement du fonds risque de vider de toute substance l'autonomie financière du département et par là même son autonomie de décision ;
16. Considérant que sur le fondement des dispositions précitées des articles 34 et 72 de la Constitution, le législateur peut définir des catégories de dépenses qui revêtent pour une collectivité territoriale un caractère obligatoire ; que toutefois, les obligations ainsi mises à la charge d'une collectivité territoriale doivent être définies avec précision quant à leur objet et à leur portée et ne sauraient méconnaître la compétence propre des collectivités territoriales ni entraver leur libre administration ;
17. Considérant que la portée des obligations financières incombant au département en vertu du deuxième alinéa de l'article 7 de la loi doit être appréciée en fonction tant du contenu propre de cet article que des autres dispositions de la loi ;
18. Considérant qu'aux termes de l'article 5 de la loi "des conventions passées entre les partenaires mentionnés à l'article 3 précisent les modalités de mise en oeuvre du plan départemental et définissent annuellement les conditions de financement des dispositifs qu'il prévoit" ;
19. Considérant qu'en vertu du premier alinéa de l'article 6, le fonds de solidarité pour le logement a pour mission d'accorder des aides financières telles que cautions, prêts, garanties et subventions à des personnes ou familles défavorisées qui entrent dans un logement locatif ou qui, étant locataires, se trouvent dans l'impossibilité d'assumer leurs obligations relatives au paiement du loyer et des charges ; que selon le deuxième alinéa de l'article 6, le fonds de solidarité prend en charge les mesures d'accompagnement social nécessaires à l'installation ou au maintien dans un logement des personnes bénéficiant du plan départemental ; qu'il peut, suivant le même alinéa, accorder une garantie financière aux associations qui mettent un logement à la disposition des personnes ou familles défavorisées ou qui leur accordent une garantie ; qu'il est spécifié au quatrième et dernier alinéa de l'article 6 que le plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées définit les modalités de gestion ainsi que les conditions d'intervention du fonds de solidarité pour le logement "dont le fonctionnement et le financement font l'objet de conventions telles qu'elles sont prévues à l'article 5." ;
20. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces dispositions et notamment du rôle qui incombe dans la mise en oeuvre du plan départemental à des conventions auxquelles le département sera partie, qu'en prévoyant que la contribution du département au financement du fonds de solidarité pour le logement sera au moins égale à celle de l'État, le législateur n'a pas porté atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales ;
. En ce qui concerne l'article 14 :
21. Considérant que l'article 14 de la loi a pour objet de compléter l'énumération, donnée par le cinquième alinéa de l'article L. 213-1 du code de l'urbanisme, des immeubles qui échappent aussi bien au droit de préemption urbain qu'au droit de préemption à l'intérieur des zones d'aménagement différé ; que le cas nouveau d'exclusion du champ d'application du droit de préemption concerne : "Dans les communes où l'ensemble des logements locatifs sociaux au sens du 3° de l'article L. 234-10 du code des communes représente moins de 20 p. 100 des résidences principales, les immeubles dont l'aliénation est agréée par le représentant de l'État dans le département en vue d'accroître l'offre de logements sociaux." ;
22. Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent qu'en édictant ces dispositions le législateur a en fait délégué à un règlement le pouvoir de désigner indirectement les communes dans lesquelles les autorités locales seront dessaisies de leur droit de préemption ; qu'en effet, l'article L. 234-10 du code des communes auquel se réfère l'article 14 de la loi renvoie lui-même à un décret en Conseil d'État le soin de définir les logements locatifs sociaux et leurs modalités de prise en compte pour le calcul de la dotation de compensation de la dotation globale de fonctionnement des communes ;
23. Considérant que l'article 34 de la Constitution réserve à la loi la détermination des principes fondamentaux de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources ainsi que la détermination des principes fondamentaux du régime de la propriété ;
24. Considérant que sur le fondement de ces dispositions il appartient au législateur de déterminer les cas dans lesquels le droit de préemption est susceptible ou non d'être exercé ainsi que les catégories de personnes et notamment les collectivités territoriales qui peuvent être titulaires de l'exercice de ce droit ; qu'en revanche, la fixation des modalités de mise en oeuvre des principes posés par la loi relève de la compétence du pouvoir réglementaire ; qu'il suit de là que l'article 14 de la loi déférée ne méconnaît pas les dispositions de l'article 34 de la Constitution ;
25. Considérant qu'en l'espèce il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen ;
Décide :
Article premier :
La loi visant à la mise en œuvre du droit au logement n'est pas contraire à la Constitution.
Article 2 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.