Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 23 décembre 1983, par MM Claude Labbé, Jacques Chirac, Bernard Pons, Marc Lauriol, Mme Nicole de Hauteclocque, MM Gabriel Kaspereit, Pierre Messmer, Jacques Godfrain, Robert-André Vivien, Roger Corrèze, Jean-Paul Charié, Jacques Toubon, Jean Foyer, Maurice Couve de Murville, Michel Debré, Emmanuel Aubert, Alain Peyrefitte, Régis Perbet, Bruno Bourg-Broc, Jacques Baumel, François Fillon, Henri de Gastines, Xavier Deniau, Pierre Weisenhorn, Jean Falala, Michel Barnier, Jean Tiberi, Jean de Préaumont, Jacques Chaban-Delmas, Pierre Mauger, Georges Tranchant, Pierre Bachelet, Etienne Pinte, Hyacinthe Santoni, René André, Pierre Bas, Pierre-Bernard Cousté, Robert Galley, René La Combe, Daniel Goulet, Yves Lancien, Didier Julia, Pierre-Charles Krieg, Claude-Gérard Marcus, Pierre de Benouville, Marcel Dassault, Jean de Lipkowski, Edouard Frédéric-Dupont, Olivier Guichard, Roland Nungesser, Michel Péricard. Robert Wagner, Georges Gorse, Jacques Marette, Mme Hélène Missoffe, MM Jean-Claude Gaudin, Adrien Zeller, Gilbert Gantier, Aimé Kergueris, François d'Aubert, Alain Madelin, Jacques Barrot, Edmond Alphandéry, Jean-Marie Daillet, André Rossinot, Jean Proriol, Pierre Méhaignerie, Alain Mayoud, Henri Baudouin, Marcel Esdras, Charles Millon, Jean-Paul Fuchs, députés, et le 27 décembre 1983, par M Alain Poher, président du Sénat, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale.
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment les articles figurant au chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que, par sa saisine, le président du Sénat demande au Conseil constitutionnel d'examiner la conformité à la Constitution de la loi portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ; que la saisine des députés vise les articles 3, 13, 14, 23, 45 et 97 de la même loi et toutes autres dispositions de celle-ci que le Conseil pourrait estimer contraires à l'article 72 (2e alinéa) de la Constitution ;
2. Considérant que la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel institue un statut de la fonction publique territoriale applicable aux agents nommés à un emploi permanent et titularisés dans un grade de la hiérarchie administrative des communes, départements, régions ou de leurs établissements publics ; que, pour permettre la mise en oeuvre de ce statut, l'article 3 de la loi dispose que les collectivités qu'il définit ne peuvent, sauf exceptions limitativement précisées, recruter des agents non titulaires pour occuper des emplois permanents ; que les articles 13 et suivants rendent obligatoire, dans les conditions qu'ils précisent, l'affiliation des collectivités concernées à des centres de gestion composés d'élus de celles-ci ; que l'article 23 charge ces centres de procéder au recrutement des agents à proposer à l'autorité territoriale et d'assurer leur gestion ; que les articles 45 et 97 prévoient qu'au cas où la proposition de nomination ne serait pas agréée, la collectivité concernée serait appelée à contribuer au traitement de l'agent non pourvu d'emploi ;
Sur les articles 3, 13 et suivants :
3. Considérant que, pour contester la conformité de la loi à la Constitution, les députés auteurs de la saisine soutiennent que l'article 72 (2e alinéa) de la Constitution confère à chaque conseil élu la mission exclusive d'administrer la circonscription dont il a la charge et qu'il ne suffit pas que les centres de gestion soient composés d'élus des collectivités pour leur reconnaître compétence pour recruter et gérer les personnels de chacune d'elles ; que l'article 3 limite strictement les pouvoirs des collectivités locales ; que les articles 13 et suivants les privent en grande partie du contrôle du recrutement et de la gestion de leurs personnels ;
4. Considérant que si, en vertu de l'article 72 de la Constitution, les collectivités territoriales "s'administrent librement par des conseils élus", chacune d'elles le fait "dans les conditions prévues par la loi" ; qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution "la loi détermine les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources" ;
5. Considérant que, sous réserve de déterminer ces principes, la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel pouvait donc, en vue d'instituer des garanties statutaires communes à l'ensemble des agents des collectivités territoriales, attribuer compétence à des centres de gestion composés d'élus de ces collectivités pour effectuer des tâches de recrutement et de gestion de leurs personnels ; qu'elle pouvait rendre obligatoire, sous certaines conditions, l'affiliation de collectivités à ces centres, dès lors que l'autorité territoriale se prononce librement sur les créations et suppressions d'emplois, procède à la nomination aux grades et emplois de la fonction publique territoriale, décide des positions statutaires, de la notation, de l'avancement d'échelon et des propositions d'avancement de grade, dispose dans les conditions du droit commun de la fonction publique du pouvoir disciplinaire et, après observation de la procédure légale, de la possibilité de licenciement pour insuffisance professionnelle ; que l'autorité territoriale n'est privée en outre d'aucun droit de recours contre les actes des centres de gestion ; qu'elle recrute directement les personnels de direction en vertu de l'article 47 et le ou les collaborateurs dont chacune dispose aux termes du premier alinéa de l'article 110 ; qu'en conséquence les limitations de recrutement d'agents non titulaires prévues par l'article 3 et l'obligation d'affiliation à des centres de gestion prévue par les articles 13 et suivants de la loi ne sont pas contraires à la Constitution ;
6. Considérant cependant qu'aux termes de son troisième alinéa, l'article 13 de la loi s'en remet à un décret en Conseil d'Etat pour fixer la composition et les modalités d'élection des membres du conseil d'administration des centres de gestion ;
7. Considérant que l'article 34 de la Constitution dispose : "La loi fixe les règles concernant la création de catégories d'établissements publics" ;
8. Considérant que les centres de gestion constituent une catégorie nouvelle d'établissements publics sans équivalent avec les catégories d'établissements publics existantes ; dès lors, il appartenait au législateur de fixer les règles relatives à la composition du conseil d'administration de ces centres ; qu'en conséquence, les dispositions du troisième alinéa de l'article 13 ne sont pas conformes à la Constitution ;
Sur l'article 23 (2e alinéa) :
9. Considérant qu'aux termes de l'article 23 (2e alinéa) de la loi : "Les vacances d'emplois doivent, à peine de nullité des nominations, être communiquées aux centres de gestion compétents. Cette règle s'applique également aux collectivités et établissements qui ne sont pas affiliés aux centres de gestion" ;
10. Considérant que, si la communication de ces renseignements aux centres de gestion peut être requise de toutes les collectivités, même non obligatoirement affiliées à ceux-ci, la sanction infligée à ces dernières porte atteinte à la libre administration garantie par la Constitution, puisqu'elle frappe de nullité les nominations effectuées par une autorité territoriale libre, dans le respect de l'article 42, 1er alinéa, du recrutement de ses agents ; que la deuxième phrase du deuxième alinéa de l'article 23 n'est donc pas conforme à la Constitution ;
Sur les articles 45 et 97 :
11. Considérant qu'aux termes de l'article 45 de la loi le nombre d'emplois mis au concours est égal au nombre d'emplois déclarés vacants par les collectivités ou établissements ; que si, à la suite de ce concours, l'autorité territoriale ne prononce pas dans un délai d'un mois la nomination du candidat proposé par le centre de gestion, ce candidat, s'il n'est pas affecté à une autre collectivité dans un délai de six mois, est pris en charge par le centre de gestion, ce qui vaut son intégration dans la fonction publique territoriale ; que la collectivité ou l'établissement qui n'a pas procédé à la nomination proposée participe à cette prise en charge dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article 97 ;
12. Considérant que, selon cette dernière disposition, lorsque, au cas de suppression d'emploi, la prise en charge du traitement est assurée par un centre de gestion, la participation de la collectivité concernée fait l'objet d'une majoration qui ne peut être inférieure à la moitié du traitement du fonctionnaire intéressé et qui cesse lors d'une nouvelle affectation de celui-ci ou à l'expiration d'un délai d'un an ;
13. Considérant que les députés auteurs de la saisine font grief à ces dispositions de limiter le choix des autorités territoriales par la mise au concours d'un nombre d'emplois égal à celui des emplois vacants, de prévoir l'intégration dans la fonction publique dès la prise en charge par le centre de gestion et d'imposer aux collectivités concernées soit d'avoir à entériner systématiquement les nominations proposées, soit, en les refusant, d'avoir à supporter de lourdes conséquences financières ;
14. Considérant que, l'institution des centres de gestion visant essentiellement à permettre le recrutement des personnels territoriaux par voie de concours, le nombre d'emplois mis au concours peut, sans violation d'aucune règle ni d'aucun principe de valeur constitutionnelle, correspondre à celui des emplois vacants, comme il en est dans la fonction publique de l'Etat ; que, dès lors, la loi pouvait garantir au candidat reçu son intégration dans la fonction publique territoriale et prévoir les bases de répartition de la prise en charge de son traitement entre le centre de gestion et la ou les collectivités territoriales auxquelles l'agent aurait été proposé en vain ;
15. Considérant que si, au cas de suppression d'emploi, l'article 97, 3e alinéa, de la loi peut, sans violer aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle, mettre à la charge de la collectivité qui a décidé cette suppression, une part importante du traitement de l'agent ainsi privé d'emploi, il en va autrement dans l'hypothèse prévue à l'article 45 ; que, par le renvoi de cet article à l'article 97, la loi assimile à cette situation l'absence de nomination par l'autorité territoriale de celui, parmi les candidats reçus au concours, que le centre de gestion a décidé de lui soumettre ; qu'imposer en ce cas, à une collectivité à laquelle le candidat a été proposé, une charge supérieure à la moitié du traitement de ce candidat, sans distinguer selon la nature ou la valeur des raisons qui ont motivé son refus, constituerait une sanction incompatible avec l'article 72 ; que doit donc être déclarée non conforme à cette disposition la dernière phrase du troisième alinéa de l'article 45 de la loi ;
Sur l'article 110 :
16. Considérant qu'il y a lieu d'examiner la conformité à la Constitution de l'article 110 de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel ;
17. Considérant qu'aux termes de l'alinéa 1er de cet article : "L'autorité territoriale peut, pour former son cabinet, librement recruter un ou plusieurs collaborateurs et mettre librement fin à leurs fonctions" ; que les alinéas 2 et 3 de cet article disposent : "un décret en Conseil d'Etat détermine les catégories de communes et les caractéristiques des établissements publics dont l'importance justifie le recrutement de tels collaborateurs. L'effectif maximal des cabinets ainsi que les modalités de rémunérations de leurs membres sont fixés par ce décret" ;
18. Considérant que l'alinéa 1er dudit article a justement consacré un principe conforme aux exigences de l'article 72 de la Constitution ;
19. Considérant que, s'il était loisible au législateur de prévoir une réglementation ouvrant aux communes, notamment selon leur importance, la possibilité de recourir au recrutement d'un nombre plus ou moins grand des collaborateurs visés à l'alinéa 1er, il ne pouvait, sans méconnaître l'article 72 de la Constitution, permettre à l'autorité réglementaire de subordonner le recrutement d'un collaborateur, même unique, à l'appartenance de la commune à une catégorie pour laquelle l'autorité réglementaire estimerait un tel recrutement justifié ; qu'ainsi, l'alinéa 2 de l'article 110 n'est pas conforme à la Constitution ;
20. Considérant que, si l'alinéa 3 précité de l'article 110 n'est pas en lui-même contraire à l'article 72 de la Constitution, sa rédaction le rend inséparable de l'alinéa 2 qui vient d'être déclaré non conforme à la Constitution ;
Sur l'ensemble de la loi :
21. Considérant que les dispositions du troisième alinéa de l'article 13, de la deuxième phrase du deuxième alinéa de l'article 23, de la dernière phrase du troisième alinéa de l'article 45 et des deuxième et troisième alinéas de l'article 110, qui sont déclarées non conformes à la Constitution, sont séparables des autres dispositions de la loi,
Décide :
Article premier :
Sont déclarés non conformes à la Constitution : Le troisième alinéa de l'article 13 ; La deuxième phrase du deuxième alinéa de l'article 23, ainsi conçue : "Cette règle s'applique également aux collectivités et établissements qui ne sont pas affiliés aux centres de gestion" ; La dernière phrase du troisième alinéa de l'article 45, ainsi conçue : "La collectivité ou l'établissement qui n'a pas procédé à la nomination proposée par le centre de gestion participe à la prise en charge dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article 97" et Les deuxième et troisième alinéas de l'article 110 de la loi portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale.
Article 2 :
Les autres dispositions de la loi portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale sont déclarées conformes à la Constitution.
Article 3 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.