Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 23 décembre 1988, d'une part, par MM Bernard Pons, Robert-André Vivien, Pierre Pasquini, Edouard Balladur, Gérard Chasseguet, Robert Pandraud, Arthur Dehaine, Gabriel Kaspereit, René Couveinhes, Martial Taugourdeau, Jean-Louis Masson, Michel Giraud, Jacques Chaban-Delmas, Dominique Perben, Nicolas Sarkozy, Alain Jonemann, Michel Péricard, Jean-Pierre Delalande, Mme Michèle Barzach, M Jean-Yves Chamard, Mme Michèle Alliot-Marie, MM Jean Valleix, Jean de Gaulle, Alain Peyrefitte, Michel Noir, Eric Raoult, Mme Elisabeth Hubert, MM Claude-Gérard Marcus, Claude Dhinnin, Mme Roselyne Bachelot, MM Jean-Claude Thomas, Jean Ueberschlag, Gérard Leonard, Philippe Legras, Jean-François Mancel, Arnault Lepercq, Philippe Auberger, Patrick Balkany, André Berthol, Etienne Pinte, Mme Suzanne Sauvaigo, MM Roland Nungesser, Bernard Debré, Jacques Limouzy, Xavier Deniau, Guy Drut, Robert Poujade, Antoine Rufenacht, Pierre Mazeaud, Louis de Broissia, Olivier Dassault, Alain Juppé, Jean-Marie Demange, Franck Borotra, Daniel Goulet, Michel Cointat, Didier Julia, Emmanuel Aubert, Jacques Baumel, Mme Nicole Catala, MM Alain Cousin, Richard Cazenave, députés, et, d'autre part, par MM Michel Alloncle, Jean Amelin, Hubert d'Andigné, Jean Barras, Henri Belcour, Jacques Bérard, Amédée Bouquerel, Raymond Bourgine, Robert Calmejane, Pierre Carous, Auguste Cazalet, Jean Chamant, Jacques Chaumont, Michel Chauty, Jean Chérioux, Henri Collette, Maurice Couve de Murville, Luc Dejoie, Jacques Delong, Charles Descours, Franz Dubosc, Alain Dufaut, Pierre Dumas, Marcel Fortier, Philippe François, Philippe de Gaulle, Alain Gérard, Adrien Gouteyron, Paul Graziani, Hubert H nel, Emmanuel Hamel, Mme Nicole de Hauteclocque, MM Charles Hugo, Roger Husson, André Jarrot, Paul Kauss, Christian de La Malène, Gérard Larcher, René-Georges Laurin, Marc Lauriol, Jean-François Le Grand, Maurice Lombard, Paul Malassagne, Christian Masson, Paul Masson, Michel Maurice-Bokanowski, Mme Hélène Missoffe, MM Geoffroy de Montalembert, Jean Natali, Lucien Neuwirth, Paul d'Ornano, Jacques Oudin, Charles Pasqua, Alain Pluchet, Christian Poncelet, Henri Portier, Claude Prouvoyeur, Jean-Jacques Robert, Mme Nelly Rodi, MM Josselin de Rohan, Roger Romani, Maurice Schumann, Jean Simonin, Louis Souvet, René Trégouët, André-Georges Voisin, Charles Ginesy, Jean-Eric Bousch, Georges Gruillot, sénateurs, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi de finances rectificative pour 1988 ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les saisines visent à faire déclarer contraires à la Constitution les articles 21, 30, 31 et 47 de la loi de finances rectificative pour 1988 soumise à l'examen du Conseil constitutionnel ;
Sur l'article 21 relatif à l'aménagement des procédures de délégation pour l'homologation des rôles et pour la signature des actes de recouvrement :
2. Considérant que le paragraphe I de l'article 21 autorise le représentant de l'Etat dans le département à déléguer le pouvoir de rendre exécutoires les rôles des impôts directs et des taxes y assimilées, tant au directeur des services fiscaux, ainsi que cela résultait de la législation antérieure, qu'aux collaborateurs de celui-ci ayant au moins le grade de directeur divisionnaire ; que le même paragraphe définit le mode de publicité des arrêtés de délégation ; que le paragraphe II de l'article 21 rend applicable le régime de délégation prévu au paragraphe précédent à la fixation de la date de mise en recouvrement des impôts et taxes recouvrés en vertu de rôles ; qu'aux termes du paragraphe III du même article " les rôles homologués avant la publication de la présente loi et jusqu'au 1er mars 1989 par un fonctionnaire de la direction générale des impôts ayant au moins le grade de directeur divisionnaire sont réputés régulièrement homologués " ;
3. Considérant que le paragraphe IV de l'article 21, qui ajoute un article L 257 A au livre des procédures fiscales, a pour objet d'autoriser les contrôleurs des impôts placés sous l'autorité du comptable chargé du recouvrement, d'une part, à signer et à rendre exécutoires les avis de mise en recouvrement et, d'autre part, à signer les mises en demeure ; qu'en vertu du paragraphe V, " sont réputés réguliers " les avis de mise en recouvrement signés et rendus exécutoires ainsi que les mises en demeure signées par les personnes mentionnées au paragraphe précédent, antérieurement à la publication de la loi ;
4. Considérant que, selon les députés auteurs de la saisine, la validation des rôles opérée par le paragraphe III de l'article 21, de même que la validation des avis de mise en recouvrement et des mises en demeure résultant du paragraphe V, portent atteinte à des principes de valeur constitutionnelle ; qu'il est soutenu à cet égard que la validation, par sa portée générale, méconnaît des décisions de justice passées en force de chose jugée ; qu'elle fait revivre des prescriptions en violation de " la sécurité juridique des citoyens " affirmée par la déclaration des droits de 1789 ; qu'elle permet de régulariser non seulement l'établissement de droits au principal, mais aussi des pénalités et des intérêts de retard ;
5. Considérant que, par exception aux dispositions de valeur législative de l'article 2 du code civil, le législateur peut, pour des raisons d'intérêt général, modifier rétroactivement les règles régissant l'activité de l'administration fiscale ou que celle-ci a, sous le contrôle du juge de l'impôt, pour mission d'appliquer ; que, toutefois, cette application rétroactive se heurte à une double limite ; que, d'une part, conformément au principe de non-rétroactivité des lois répressives posé par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, elle ne saurait permettre d'infliger des sanctions à des contribuables à raison d'agissements antérieurs à la publication des nouvelles dispositions qui ne tombaient pas également sous le coup de la loi ancienne ; que, d'autre part, l'application rétroactive de la loi fiscale ne saurait préjudicier aux contribuables dont les droits ont été reconnus par une décision de justice passée en force de chose jugée ;
6. Considérant, au cas présent, que le législateur, en précisant avec effet rétroactif les compétences respectives du représentant de l'Etat dans le département et des fonctionnaires de l'administration fiscale en matière d'établissement des rôles, d'avis de mise en recouvrement et de mises en demeure, a entendu éviter que ne se développent, pour un motif touchant exclusivement à la répartition des attributions entre agents publics, des contestations dont l'aboutissement aurait pu entraîner pour l'Etat comme pour les autres collectivités publiques, des conséquences dommageables ; que rien dans le texte de la loi ne porte atteinte aux droits nés au profit de contribuables en vertu de décisions de justice passées en force de chose jugée ; que la loi ne déroge pas davantage au principe de non-rétroactivité des textes à caractère répressif ni à son corollaire qui interdit de faire renaître en cette matière une prescription légalement acquise ; qu'ainsi les dispositions critiquées, qui n'ont pas la portée que leur confèrent les députés auteurs de la saisine, ne sont contraires à aucune règle non plus qu'à aucun principe de valeur constitutionnelle ;
Sur l'article 30 relatif à l'extension de la procédure de l'opposition administrative :
7. Considérant que cet article est ainsi conçu : " A compter de la promulgation de la présente loi, et pour les créances nées postérieurement à cette date, les comptables publics peuvent, après avis conforme de l'ordonnateur, recourir à la procédure de l'opposition administrative prévue par la loi n° 72-650 du 11 juillet 1972 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, modifiée par la loi n° 85-1407 du 30 décembre 1985 portant diverses dispositions de procédure pénale et de droit pénal, pour le recouvrement des produits des communes, des départements, des régions et des établissements publics locaux qui ne sont pas assis et liquidés par les services fiscaux de l'Etat en exécution des lois et règlements en vigueur " ;
8. Considérant que ces dispositions sont destinées, à titre principal, à rendre applicable au recouvrement de créances non fiscales des communes, des régions et des établissements publics locaux une procédure simplifiée de recouvrement d'amendes ou de condamnations pécuniaires prononcées en matière de contravention qui s'inspire elle-même de dispositions applicables au recouvrement de créances de nature fiscale ou douanière ;
9. Considérant que les sénateurs auteurs de l'autre saisine soutiennent, tout d'abord, que l'article 30 n'est pas au nombre des dispositions susceptibles de figurer dans un texte ayant le caractère de loi de finances ; qu'ils font valoir également que cet article porte atteinte à la compétence de l'autorité judiciaire en matière de sauvegarde de la liberté individuelle ; qu'enfin, il n'est pas accompagné de garanties suffisantes en ce qui touche aussi bien la libre administration des collectivités territoriales que la liberté individuelle ;
10. Considérant que l'article 30 de la loi ne concerne pas directement la détermination des ressources et des charges de l'Etat ; qu'il n'a pas pour but d'organiser l'information et le contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques ou d'imposer aux agents des services publics des responsabilités pécuniaires ; qu'il n'a pas davantage le caractère de disposition d'ordre fiscal au sens de l'article 1er, alinéa 3, de l'ordonnance organique n° 59-2 du 2 janvier 1959, dans la mesure où, tout en concernant le recouvrement de certaines créances fiscales, il s'applique dans une large part à celui de créances non fiscales ; qu'ainsi son objet n'est pas de ceux qui peuvent relever d'une loi de finances en vertu des dispositions de l'article 1er de l'ordonnance précitée ; qu'il suit de là, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens invoqués, que l'article 30 doit être déclaré non conforme à la Constitution ;
Sur l'article 31 relatif à l'extension du domaine d'intervention du droit de communication :
11. Considérant que l'article 31 étend le droit de communication dont disposent les comptables publics, sur le fondement de l'article L 81 du livre des procédures fiscales, au recouvrement des produits, des départements, des régions et des établissements publics locaux qui ne sont pas assis et liquidés par les services fiscaux de l'Etat en exécution des lois et règlements en vigueur ;
12. Considérant que les sénateurs auteurs de l'autre saisine critiquent ces dispositions au motif qu'elles porteraient atteinte à la liberté individuelle ;
13. Considérant que l'article 31 tend, pour une large part, à faciliter le recouvrement de produits non fiscaux des communes, des départements, des régions et des établissements publics locaux ; qu'une telle disposition, qui n'a pas de caractère financier au sens de l'article 1er de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959, n'est pas au nombre de celles qui peuvent figurer dans un texte ayant le caractère de loi de finances ; que sans même qu'il soit besoin d'examiner le moyen invoqué à son encontre, elle doit, pour ce motif, être déclarée contraire à la Constitution ;
Sur l'article 47 relatif à la validation de la perception du versement destiné au financement des transports en commun :
14. Considérant que le texte de l'article 47 de la loi fait suite à l'intervention d'une décision du Conseil d'Etat en date du 13 novembre 1987 qui, statuant sur un recours en appréciation de validité, a déclaré qu'était entachée d'illégalité la délibération du " syndicat intercommunal à vocation unique transports urbains " (SIVUTU) de l'agglomération de Bourges instituant, à compter du 1er mars 1983, le versement destiné au financement des transports en commun prévu par la loi n° 73-640 du 11 juillet 1973, elle-même codifiée sous les articles L 233-58 et suivants du code des communes ; que la décision du Conseil d'Etat relève qu'à la date de la délibération du syndicat intercommunal, la population légale des huit communes faisant partie de ce syndicat, telle qu'elle résultait du dernier recensement général authentifié par décret, n'atteignait pas le seuil de 100 000 habitants requis par les textes alors entrés en vigueur pour permettre l'institution du versement destiné au financement des transports en commun ; que si la population a atteint 100 252 habitants selon les résultats du recensement général de 1982, ces résultats n'ont pu donner un fondement légal à la délibération du 17 novembre 1982 dès lors qu'ils n'ont été authentifiés que par un décret du 31 décembre 1982 publié au Journal officiel du 6 janvier 1983 ;
15. Considérant que l'article 47 de la loi dispose que : " Est validée la perception du versement-transport au profit du syndicat intercommunal à vocation unique de transports urbains de l'agglomération de Bourges, réalisée du 1er mars 1983 au 8 décembre 1987 " ;
16. Considérant que les députés auteurs de la saisine estiment que ces dispositions, qui ne procèdent pas par voie d'une modification de portée générale des règles que le juge a pour mission d'appliquer, mais visent une situation particulière, sont contraires au principe constitutionnel d'égalité ;
17. Considérant que l'article 47 de la loi ne valide pas la délibération du syndicat intercommunal déclarée illégale par le Conseil d'Etat statuant au contentieux ; qu'il résulte des travaux préparatoires que le législateur, en validant la perception au profit du syndicat intercommunal à vocation unique de transports urbains de l'agglomération de Bourges du versement destiné au financement des transports en commun, a eu pour but de permettre à cet établissement public de faire face aux dépenses correspondant à l'exécution de sa mission de service public ; qu'il ressort des débats devant le Parlement que la validation opérée par la loi n'a d'autre portée que de rendre inopérant le moyen tiré de ce que, lors de l'institution du versement, les communes composant le syndicat intercommunal n'atteignaient pas, en droit, le seuil de 100 000 habitants légalement requis ; que la loi ne saurait être interprétée comme permettant de porter atteinte soit aux droits nés de décisions de justice passées en force de chose jugée, soit au principe de non-rétroactivité des textes à caractère répressif ;
18. Considérant dans ces conditions, et eu égard à la situation propre au syndicat intercommunal, telle qu'elle a été mise en évidence par la décision du Conseil d'Etat du 13 novembre 1987, que l'article 47 de la loi ne méconnaît ni le principe d'égalité, ni aucun autre principe non plus qu'aucune règle de valeur constitutionnelle ;
19. Considérant qu'en l'espèce il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen,
Décide :
Article premier :
Les articles 30 et 31 de la loi de finances rectificative pour 1988 sont déclarés contraires à la Constitution.
Article 2 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.