Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 22 décembre 1986, par MM. Pierre Joxe, Lionel Jospin, Alain Calmat, André Bellon, Mme Yvette Roudy, MM. Jean Oehler, Alain Barrau, Michel Sapin, Dominique Saint-Pierre, Joseph Menga, Philippe Marchand, Roger-Gérard Schwartzenberg, Jean-Hugues Colonna, Jean-Jack Queyranne, Jean Auroux, Jean-Pierre Michel, Guy Bêche, Nicolas Alfonsi, Roland Carraz, Roland Dumas, Jack Lang, Louis Mexandeau, François Patriat, Jean Proveux, Maurice Pourchon, Henri Nallet, André Borel, Martin Malvy, Jacques Fleury, Gérard Fuchs, Joseph Gourmelon, Louis Mermaz, Mme Odile Sicard, MM. Louis Besson, Jean-Paul Durieux, Pierre Garmendia, Jean-Pierre Pénicaut, Christian Goux, Jean Anciant, Noël Ravassard, Maurice Janetti, Louis Moulinet, Pierre Bérégovoy, Guy Vadepied, Mme Gisèle Stiévenard, MM. Gérard Welzer, François Loncle, Pierre Ortet, Charles Pistre, Robert Le Foll, Edmond Hervé, André Billardon, Augustin Bonrepaux, Mme Jacqueline Osselin, M Georges Le Baill, Mme Marie-France Lecuir, MM. Jean-Claude Portheault, Jean-Michel Boucheron (Charente), Louis Darinot, Jean-Michel Boucheron (Ille-et-Vilaine), Claude Bartolone, Philippe Puaud, Charles Metzinger, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi de finances rectificative pour 1986 ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les auteurs de la saisine contestent la conformité à la Constitution, d'une part, des dispositions du deuxième alinéa du paragraphe II de l'article 19, du paragraphe V de l'article 20, du deuxième alinéa de l'article 29 et du deuxième alinéa de l'article 30, qui ont en commun de valider rétroactivement des impositions irrégulières, et, d'autre part, du premier alinéa de l'article 30 ;
SUR LA CONFORMITE A LA CONSTITUTION DES DISPOSITIONS VALIDANT DES IMPOSITIONS :
2. Considérant que, selon les auteurs de la saisine, le fait pour la loi déférée de valider rétroactivement des impositions irrégulières sous la seule réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée a pour effet de rompre l'égalité devant la loi ou devant les charges publiques entre les contribuables dont les recours ont déjà été examinés et ceux pour lesquels ils sont toujours en instance ; que, de plus, il n'entre pas dans la compétence du législateur de porter atteinte à des droits acquis au profit de particuliers lorsque de tels droits n'ont pas été créés en méconnaissance de principes de valeur constitutionnelle ;
3. Considérant que la portée de cette argumentation doit être appréciée au regard de l'objet des diverses dispositions dont la conformité à la Constitution est contestée ;
4. Considérant que par les dispositions du premier alinéa du paragraphe II de l'article 19 et par celles des paragraphes I à IV de l'article 20, du premier alinéa de l'article 29 et du premier alinéa de l'article 30, le législateur définit, sur des points qui ont donné lieu à des difficultés d'interprétation ou d'application, la portée de la législation fiscale ; qu'après avoir posé ces règles, le législateur a précisé, respectivement au deuxième alinéa du paragraphe II de l'article 19, au paragraphe V de l'article 20, au deuxième alinéa de l'article 29 et au deuxième alinéa de l'article 30, que les impositions dues antérieurement sont, "en conséquence" des dispositions qui précèdent, réputées régulières, sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée ; que, ainsi qu'il ressort des travaux préparatoires, par l'emploi des mots "en conséquence", le législateur a entendu, non pas valider en tous leurs éléments les impositions antérieurement établies, mais uniquement décider, avec effet rétroactif, que seront applicables pour l'établissement des impositions visées par les articles précités, les règles d'évaluation ou d'exonération nouvellement définies, sous réserve du respect de la chose jugée ; que, de plus, il n'est pas fait échec aux règles de la prescription ;
5. Considérant que, par exception aux dispositions de valeur législative de l'article 2 du code civil, le législateur peut, pour des raisons d'intérêt général, modifier rétroactivement les règles que l'administration fiscale et le juge de l'impôt ont pour mission d'appliquer ; que, toutefois, l'application rétroactive de la législation fiscale se heurte à une double limite ; que, d'une part, conformément au principe de non-rétroactivité des lois répressives posé par l'article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, elle ne saurait permettre aux autorités compétentes d'infliger des sanctions à des contribuables à raison d'agissements antérieurs à la publication des nouvelles dispositions qui ne tombaient pas également sous le coup de la loi ancienne ; que, d'autre part, l'application rétroactive de la loi fiscale ne saurait préjudicier aux contribuables dont les droits ont été reconnus par une décision de justice passée en force de chose jugée ; qu'en prenant en compte une telle situation, à l'exclusion de celle d'autres contribuables, y compris ceux d'entre eux qui ont engagé une action en justice sur laquelle il n'a pas été définitivement statué, le législateur s'est conformé au principe constitutionnel de l'indépendance des juridictions et n'a pas méconnu le principe d'égalité ;
6. Considérant que le pouvoir du législateur de modifier rétroactivement la législation fiscale ne saurait à l'inverse être restreint du seul fait de l'existence de droits nés sous l'empire de la loi ancienne ;
7. Considérant, au cas présent, que le législateur, en précisant avec effet rétroactif la portée de certaines dispositions de la loi fiscale, a entendu éviter que ne se développent des contestations dont l'aboutissement aurait pu entraîner, soit pour l'État, soit pour les collectivités territoriales, des conséquences dommageables ; que sont expressément sauvegardés les droits nés de décisions de justice passées en force de chose jugée ; que rien dans le texte de la loi ne permet d'inférer que le législateur a dérogé au principe de non-rétroactivité des textes à caractère répressif ; que, dans ces conditions, les dispositions critiquées ne sont contraires à aucune règle, non plus qu'à aucun principe de valeur constitutionnelle ;
SUR LE PREMIER ALINEA DE L'ARTICLE 30 :
8. Considérant que le premier alinéa de l'article 30 de la loi complète l'article L. 233-3 du code des communes relatif à la taxe communale et intercommunale d'électricité, par un troisième alinéa ainsi rédigé : "Les communes ou groupements de communes qui, avant le 30 décembre 1984, bénéficiaient de la possibilité de dépasser le taux de 8 % peuvent majorer ce taux pour obtenir des ressources équivalentes à celles que leur procuraient, avant le 27 décembre 1969, la taxe sur l'électricité et les surtaxes ou majorations de tarifs." ;
9. Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent que ces dispositions sont contraires, d'une part, au principe d'égalité car la ville de Paris est seule concernée par la possibilité de majoration qu'elles rétablissent, et, d'autre part, à l'article 34 de la Constitution, en ce que la notion de "ressources équivalentes" laisse à la ville de Paris une liberté à peu près totale quant à la fixation du taux maximum de la taxe sur l'électricité ;
. En ce qui concerne le moyen tiré de la violation du principe d'égalité :
10. Considérant que les dispositions du premier alinéa de l'article 30 visent à rétablir, au profit des communes ou groupements de communes, la possibilité qu'ils avaient, jusqu'à l'intervention de l'article 23 de la loi n° 84-1209 du 29 décembre 1984, de majorer, sur le fondement de l'article 8 de la loi de finances rectificative n° 69-1160 du 24 décembre 1969, le taux limite de 8 p. 100 de la taxe sur l'électricité fixé par cette loi, pour leur permettre d'obtenir des "ressources équivalentes" à celles que leur procuraient, avant le 27 décembre 1969, la taxe sur l'électricité et les surtaxes ou majorations de tarifs ; que, contrairement à ce que soutiennent les auteurs de la saisine, ces dispositions ne visent pas spécialement la ville de Paris qui a maintenu un taux d'imposition majoré après l'intervention de l'article 23 de la loi n° 84-1209 du 29 décembre 1984, mais toute commune qui, avant la date du 30 décembre 1984, bénéficiait du régime de la garantie de ressources résultant de l'article 8 de la loi de finances rectificative n° 69-1160 du 24 décembre 1969 ; qu'il y a lieu, dès lors, d'écarter le moyen tiré de la violation du principe d'égalité ;
. En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 34 de la Constitution :
11. Considérant que, si l'article 34 de la Constitution prévoit que la loi fixe les règles concernant le taux des impositions de toute nature, il n'interdit pas au législateur de fixer ce taux par référence à des élements qu'il détermine ; que le premier alinéa de l'article 30 de la loi se référe aux ressources équivalentes à celles que procuraient aux communes ou groupements de communes, avant le 27 décembre 1969, la taxe sur l'électricité visée à l'article L. 233-3 du code des communes et les surtaxes ou les majorations de tarifs établies conformément à l'article L. 233-6 de ce code ; que, par là-même, le législateur a fixé la limite de la majoration du taux de l'imposition qu'il autorise ; que, par suite, le moyen invoqué manque en fait ;
SUR L'ARTICLE 41 :
12. Considérant que l'article 41 de la loi comporte deux alinéas ainsi rédigés : "L'article 1649 ter E du code général des impôts est abrogé.- Un décret fixe la date d'entrée en vigueur de cette disposition." ;
13. Considérant que cet article a pour objet d'abroger des dispositions qui, sous réserve d'exceptions, soumettent le transport de fruits et légumes à l'obligation d'établissement d'un "bon de remis" extrait d'un carnet à souches et soumis au contrôle de l'administration fiscale ; que, cependant, la date d'effet de cette abrogation est laissée à la décision du Gouvernement ;
14. Considérant que, dans les domaines de sa compétence, il est du pouvoir du législateur de fixer les conditions de mise en vigueur des règles qu'il édicte ; que s'il lui est loisible de laisser au Gouvernement la faculté de fixer la date à laquelle produira effet l'abrogation d'une loi fixant des obligations imposées aux contribuables, il ne peut, sans par là même méconnaître la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution, lui conférer sur ce point un pouvoir qui n'est assorti d'aucune limite ; que, pour ce motif, les dispositions du deuxième alinéa de l'article 41 de la loi déférée sont contraires à la Constitution ; qu'il ressort des débats qui ont conduit à l'adoption de cet article que les dispositions de son deuxième alinéa sont inséparables de celles de son premier alinéa ;
SUR LES AUTRES DISPOSITIONS DE LA LOI :
15. Considérant qu'en l'espèce il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune autre question de conformité à la Constitution de la loi soumise à son examen ;
Décide :
Article premier :
Sont déclarées non conformes à la Constitution les dispositions du deuxième alinéa de l'article 41 de la loi de finances rectificative pour 1986.
Article 2 :
Les dispositions du deuxième alinéa de l'article 41 de la loi sont inséparables de celles du premier alinéa du même article.
Article 3. -
Les autres dispositions de la loi de finances rectificative pour 1986 sont déclarées non contraires à la Constitution.
Article 4. -
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.