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10/03/2023 | FRANCE | N°21/17524

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-7, 10 mars 2023, 21/17524


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-7



ARRÊT AU FOND

DU 10 MARS 2023



N° 2023/ 80













Rôle N° RG 21/17524 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BIRAY







[D] [X]





C/



S.N.C. GALDERMA RESEARCH & DEVELOPMENT





















Copie exécutoire délivrée

le : 10 mars 2023

à :

SELARL BRIHI KOSKAS & ASSOCIES

SELARL NEVEU- CHARLES & ASSOCIES
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Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRASSE en date du 24 Novembre 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 19/00498.





APPELANTE



Madame [D] [X], demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Emilie LACOSTE ...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-7

ARRÊT AU FOND

DU 10 MARS 2023

N° 2023/ 80

Rôle N° RG 21/17524 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BIRAY

[D] [X]

C/

S.N.C. GALDERMA RESEARCH & DEVELOPMENT

Copie exécutoire délivrée

le : 10 mars 2023

à :

SELARL BRIHI KOSKAS & ASSOCIES

SELARL NEVEU- CHARLES & ASSOCIES

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRASSE en date du 24 Novembre 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 19/00498.

APPELANTE

Madame [D] [X], demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Emilie LACOSTE de la SELARL BRIHI KOSKAS & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, plaidant par Me Roger KOSKAS et Me Zoran ILIC de la SELARL Brihi-Koskas & Associés, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

S.N.C. GALDERMA RESEARCH & DEVELOPMENT, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 1]

représentée par Me Benoît BROGINI de la SELARL NEVEU- CHARLES & ASSOCIES, avocat au barreau de NICE, plaidant par Me Guillaume BREDON de la SAS BREDON AVOCAT, avocat au barreau de PARIS

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 18 Novembre 2022 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Françoise BEL, Président de chambre, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Françoise BEL, Président de chambre

Mme Marina ALBERTI, Conseiller

Madame Frédérique BEAUSSART, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Agnès BAYLE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 10 Mars 2023.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 10 Mars 2023,

Signé par Madame Françoise BEL, Président de chambre et Mme Agnès BAYLE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Faits, procédure, prétentions et moyens des restructurations:

La société Galderma R&D ( ci-après la société GRD) est une filiale du groupe Nestlé Skin Health ( NSH) regroupant 68 sociétés dans 36 pays et exerçant son activité sur trois segments, la dermatologie des médicaments de prescription ( Rx), la dermatologie esthétique et correctrice ( A&C), les produits grand public pour la santé de la peau ( Consumer). Le groupe Galderma, devenu Nestlé Skin Health ( NSH), intégralement détenu par le groupe Nestlé SA à compter de 2014, a été cédé en 2019.

La société GRD exerce une activité de recherche et développement sur le site de Sophia Antipolis ( Alpes maritimes), employant 543 salariés au 31 août 2017.

Le salarié ( équivalent terminologique : la salariée) a été embauché en contrat à durée indéterminée par la société GRD. La convention collective applicable à la relation de travail est la Convention Collective Nationale de l'Industrie Pharmaceutique.

Le groupe NSH envisageant une restructuration de ses activités a présenté le 2 octobre 2017 au comité d'entreprise de la société GRD un document d'information sur le projet de Reconversion /Fermeture du site de Sophia Antipolis.

A la suite d'un procès-verbal de constat de désaccord du 15/03/2018 sur le projet présenté , l'entreprise a soumis à la Direccte Paca le 23 mars 2018 un document unilatéral portant sur le projet de licenciement collectif, homologué par décision en date du 11 avril 2018.

Le salarié a signé une convention de rupture amiable pour motif économique.

Invoquant l'absence de cause réelle et sérieuse de la rupture amiable de son contrat de travail pour motif économique, le non-respect des engagements pris par la société dans le cadre du plan de sauvegarde de l'emploi à l'origine de la rupture de son contrat de travail, la violation des obligations de formation et les circonstances particulièrement vexatoires et brutales de la rupture, le salarié, a saisi le conseil de prud'hommes de Grasse, section encadrement, le 8 juillet 2019 d'une demande tendant à voir l'indemniser des divers préjudices en résultant.

Devant le conseil la société a soulevé l'incompétence de la juridiction du travail.

Par jugement du 24 novembre 2021 le conseil s'est déclaré compétent et a débouté le salarié de ses demandes.

Le salarié a relevé appel du jugement.

Par conclusions notifiées et déposées le 14 octobre 2022 le salarié, au visa des articles 12 et 83 et suivants du code de procédure civile et des articles suivants du code du travail :

-L.1411-1, L.1456-1 et suivants sur la compétence prud'homale sur la cause économique des ruptures du contrat de travail des salariés du droit privé,

-L.1235-7 et suivants qui réserve à la juridiction prud'homale la résolution des litiges en matière

de licenciement pour motif économique,

-L.1233-1 et suivants sur l'exigence de la cause réelle et sérieuse économique et du respect de l'obligation individuelle de reclassement,

-L.1235-1 et suivants,

-L. 1233-61, L. 6321-1,

Vu le principe d'égalité de traitement,

demande à la cour:

Confirmer le jugement rendu le 24 novembre 2021 par le conseil de prud'hommes de Grasse en ce qu'il s'est déclaré compétent et a jugé valide le protocole de rupture pour motif économique;

Infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Grasse le 24 novembre 2021 en ce qu'il :

Dit et juge la rupture du contrat de travail fondée sur un motif réel et sérieux;

Dit et juge que la Société Galderma R&D n'a pas commis de détournement dans la procédure de licenciement économique et a respecté ses obligations légales;

Dit et juge que les circonstances de la rupture ne sont pas vexatoires et brutales;

Déboute le demandeur de l'ensemble de ses demandes;

Le condamne à verser à la Société Galderma R&D la somme de 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, aux dépens de l'instance;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes, fins ou prétentions;

Et statuant à nouveau:

Déclarer la salariée recevable et bien fondé en son appel formé à l'encontre du jugement rendu le 24 novembre 2021 par le conseil de prud'hommes de Grasse, en ses demandes, fins et conclusions;

En conséquence:

À titre principal, condamner la société à lui payer des sommes en indemnisation du préjudice subi du chef de l'absence de cause réelle et sérieuse à la rupture du contrat de travail,

À titre subsidiaire, condamner la société à lui payer des sommes en indemnisation du chef du détournement de la notion de motif économique et de l'usage abusif de la notion de volontariat par la société,

En tout état de cause,

Condamner la société à lui payer des sommes en indemnisation du préjudice subi du fait de la violation par la société de ses engagements pris au sein du Plan de Sauvegarde de l'Emploi ;

Condamner la société à lui payer des sommes en indemnisation du subi de la violation par la société de son obligation de formation, d'adaptation en application de l'article L. 6321-1 du code du travail;

Condamner la société à lui payer des sommes en indemnisation du subi des circonstances particulièrement vexatoires et brutales entourant la rupture de son contrat de travail;

Débouter la société Galderma R&D de l'ensemble de ses demandes;

Condamner la société Galderma R&D à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel;

Ordonner la capitalisation des intérêts au taux légal à compter du jour de la saisine du conseil de prud'hommes de Grasse, sur le fondement de l'article 1343-2 du code civil.

Par conclusions notifiées et déposées le 17 novembre 2022, la société Galderma R&D demande à la cour, de:

In limine litis,

Infirmer le jugement rendu le 24 novembre 2021 par le conseil de prud'hommes de Grasse en ce qu'il s'est déclaré compétent pour se prononcer sur le prétendu non-respect par la société de ses obligations en matière de repreneurs, de reclassement et de formation;

En conséquence,

Juger que la juridiction saisie est incompétente pour se prononcer sur le prétendu non-respect par la société de ses obligations en matière de repreneurs, de reclassement et de formation, au profit du tribunal administratif de Nice;

Débouter la salariée de l'intégralité de ses demandes afférentes ;

À titre principal,

' prendre acte de l'absence d'appel par la salariée du jugement rendu le 24 novembre 2021 par le conseil de prud'hommes de Grasse en ce qu'il a dit et jugé valide le protocole de rupture pour motif économique;

' confirmer le jugement rendu le 24 novembre 2021 par le conseil de prud'hommes de Grasse

pour le surplus, en ce qu'il a :

Dit et juge valide le protocole de rupture pour motif économique;

Dit et juge la rupture fondée sur un motif réel et sérieux;

Dit et juge que la société n'a pas commis de détournement dans la procédure de licenciement économique et a respecté ses obligations légales;

Dit et juge que les circonstances de la rupture ne sont pas vexatoires et brutales;

Déboute la salariée de l'ensemble de ses demandes;

En conséquence,

Débouter la salariée de l'ensemble de ses demandes ;

À titre subsidiaire :

Si la Cour décidait, par extraordinaire que la rupture du contrat de travail de la salariée était sans cause réelle et sérieuse, il lui serait demandé de :

Juger que le montant des dommages et intérêts ne saurait excéder le montant minimum du barème de l'article L. 1235-3 du code du travail, à savoir 3 mois de salaire;

En tout état de cause :

Condamner la salariée à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été révoquée d'accord entre les parties avant l'ouverture des débats, et une nouvelle clôture a été fixée par mention au dossier, avis étant donné verbalement aux conseils des parties.

Pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties la cour renvoie à leurs écritures précitées.

Motifs

Sur la compétence:

Selon l'article L.1235-7-1 du code du travail, l'accord collectif mentionné à l'article L. 1233-24-1, le document élaboré par l'employeur mentionné à l'article L. 1233-24-4, le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi, les décisions prises par l'administration au titre de l'article L. 1233-57-5 et la régularité de la procédure de licenciement collectif ne peuvent faire l'objet d'un litige distinct de celui relatif à la décision de validation ou d'homologation mentionnée à l'article L. 1233-57-4.

Ces litiges relèvent de la compétence, en premier ressort, du tribunal administratif, à l'exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux.

Il résulte de ces dispositions que le juge judiciaire reste compétent pour statuer sur les litiges individuels relatifs à l'existence du motif économique, le respect de l'obligation préalable de formation, d'adaptation et de reclassement préalable au licenciement prévues par l'article L. 1233-4 du code du travail, excluant le contrôle du contenu du plan de sauvegarde de l'emploi, le salarié contestant le bien fondé de la rupture de son contrat de travail.

Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment: (...)

3o A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité;

Aux termes du protocole de rupture signé entre les parties, la mise en oeuvre de la restructuration du site de Sophia implique la suppression à terme de l'ensemble des postes de la société dont celui du salarié. La rupture du contrat de travail intervient pour le motif économique exposé en préambule de l'acte, selon lequel :

'Le Secteur de la dermatologie n'échappe pas aux évolutions structurelles de l'industrie Pharmaceutique qui se caractérisent par:

-Des prises de marché de plus en plus importantes des produits génériques, ayant pour effet mécanique une érosion sensible des prix et des marges des Laboratoires commercialisant des médicaments princeps ;

- Des conditions d'accès au marché de plus en plus difficiles du fait des exigences croissantes des autorités, des payeurs, des prescripteurs et des patients ;

- L'apparition de nouveaux types de médicaments biologiques concurrents aux indications variées et à l'efficacité reconnue par les autorités.

Ces évolutions récentes ont fortement bouleversé l'organisation de la R&D des principaux acteurs et concurrents de Galderma R&D qui ont pris le tournant de nouveaux modèles d'innovation ' en réseau' fondés sur de larges partenariats.

S'agissant du Groupe NSH, ces évolutions se sont traduites par des performances du secteur de la prescription en fort recul et ont conduit à l'élaboration d'une nouvelle stratégie tenant compte du constat:

- de l'inadaptation de la stratégie mise en oeuvre ces dernières années pour faire face aux nouveaux enjeux ;

- de l'inadaptation du choix d'une R&D centralisée d'innovation, commune aux trois Business unit et avec un fort tropisme RX, pour répondre efficacement aux besoins d'innovation en prescription et pour Nestlé, Skin Heath :

- de l'impérieuse nécessité de stopper la dégradation de la compétitivité qui ne permet plus de répondre aux besoins importants de financement de l'innovation.

Cette nouvelle stratégie se déploie par conséquent sur trois axes :

- la rationalisation nécessaire du portefeuille de produits commercialisés et des implantations géographiques à l'international ;

- la mise en place d'un nouveau modèle d'innovation ;

- la création d'une nouvelle plate-forme SIG dans la région de [Localité 4] dédiée à la prescription, intégrant le sourcing de l'innovation et la R&D,

Sa mise en 'uvre conduit à la décision de réduire de façon importante le portefeuille de projets de recherche initialement conduits sur le site de recherche R&D de Garderma Sophia Antipolis et de reconvertir ce dernier afin d'éviter que la suppression de l'ensemble des postes se traduise par autant de licenciements contraints.

C'est dans ce contexte qu'un plan de fermeture/reconversion du site visant au maintien d'un maximum d'activités scientifiques sur le site a été présenté aux représentants du personnel à compter du 2 octobre 2017.

La mise en 'uvre de cette réorganisation s'articule autour de 4 axes ;

- une recherche active de repreneurs intéressés par les projets de recherche les infrastructures de dont Galderma R&D souhaite se désengager;

- un plan de mobilité interne au groupe permettant de proposer à certains salariés de Galderma R&D un nombre conséquent de postes au sein du nouveau centre de recherches situé à proximité de [Localité 4];

-un plan de départs volontaires et d'aménagements de fins de carrière permettant aux salariés désireux de poursuivre un nouveau projet professionnel sérieux et validé, de pouvoir le faire;

- un ensemble de mesures destinées à accompagner les salariés qui n'auraient pu ou voulu bénéficier des opportunités; de maintien de leur emploi au sein du groupe; au sein des repreneurs; ou de poursuite volontaire d'un projet professionnel à l'extérieur du Groupe et dont le départ contraint serait dès lors envisagé;

(...)

Préalablement à la signature des présentes, le salarié s'est vu rappeler l'ensemble des postes de reclassement interne au Groupe en France auxquels il pourrait prétendre à titre de reclassement. Le Salarié a confirmé ne pas être intéressé par ces derniers. (...)'

L'emploi occupé par le salarié a été supprimé.

Le motif économique invoqué par l'entreprise à la date de la rupture du contrat de travail est contesté par le salarié devant le conseil de prud'hommes, le salarié faisant grief à l'employeur de ce que la fermeture du site de Sophia Antipolis n'est aucunement justifiée par la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise dans le secteur d'activité de la dermatologie, soutenant au contraire que le groupe NSH a des perspectives économiques de croissance et des ventes ainsi qu'un profit opérationnel similaire à celui de Roche et Novartis et bien meilleur que de Pfizer ou de Sanofi, et que la société ne démontre pas l'existence d'une menace réelle et sérieuse pesant sur sa compétitivité.

Le salarié critique le motif économique invoqué sous couvert d'une réorganisation de la société.

Il incombe au juge judiciaire de s'assurer que la réorganisation décidée par l'employeur est nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise, et que l'employeur s'est acquitté de la bonne exécution de son obligation de formation et d'adaptation, de reclassement, à l'égard du salarié concerné, de sorte que le conseil de prud'hommes était compétent pour statuer.

Le jugement est confirmé du chef de la compétence.

Sur la recevabilité de la contestation du motif économique et de la violation de l' obligation de reclassement:

La société soutient que la signature par le salarié d'une convention de rupture amiable de son contrat de travail, en toute connaissance de cause, et préservant totalement ses droits, prive le salarié de toute contestation efficace de la cause de la rupture.

Le protocole de rupture du contrat de travail du salarié s'inscrit dans un projet de licenciement collectif pour motif économique ( Livre I) assorti d'un plan de sauvegarde de l'emploi, mis en oeuvre dans le cadre d'une procédure de restructuration du site de Sophia Antipolis avec recherche de repreneurs, plan de mobilité interne vers la Suisse, plan de départ volontaires et licenciements contraints ( Livre II), notifié le 4 octobre 2017 à la Direccte Paca.

Aux termes de la décision du 11 avril 2018 de la Direccte Paca, la demande finale de la société porte sur l'homologation du document unilatéral relatif à un projet de réorganisation basée sur la fermeture du site précité pouvant conduire à un maximum de 543 licenciements pour motif économique au cas d'échec de l'ensemble des démarches engagées.

Selon l'article L.1233-3 du code du travail dans sa rédaction applicable en la cause, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives, notamment à (...) 3°une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité;( ...).

En application de l'article L.1233-61dans sa rédaction applicable en la cause, dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, l'employeur établit et met en 'uvre un plan de sauvegarde de l'emploi pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre.

Il résulte des éléments précités que la convention de rupture amiable n'a fait l'objet d'aucun accord collectif, que les départs volontaires prévus dans le plan de sauvegarde de l'emploi concernaient des salariés dont le licenciement était envisagé en raison de la fermeture du site, sans engagement de l'employeur de ne pas licencier si l'objectif n'était pas atteint au moyen de ruptures amiables des contrats de travail des intéressés.

Il est au contraire expressément prévu le recours aux licenciement dans le cas d'échec des mesures prévues au plan de sauvegarde de l'emploi.

Les dispositions en matière de licenciement pour motif économique sont d'ordre public.

La convention de rupture amiable entrant dans le dispositif applicable aux licenciements pour motif économique, l'employeur doit établir l'existence d'un motif économique licite et le respect par ses soins de l'obligation individuelle de reclassement, le salarié signataire est recevable à la contester devant le conseil de prud'hommes.

La convention en cause ne contient pas de clause de renonciation à recours y compris à la suite du versement des indemnités diverses versées en contrepartie de la rupture, la reconnaissance du bien fondé du motif économique invoqué par l'employeur, conduisant à priver le salarié de la garantie que la rupture du contrat de travail procède d'un motif licite, l'acquiescement au motif de la rupture, des dispositions transactionnelles.

Le salarié est dès lors recevable à contester les motifs du licenciement et l'inobservation par l'employeur de l'obligation préalable de reclassement sur les emplois internes au groupe en France.

Le moyen d'irrecevabilité est rejeté.

Sur la validité du protocole de rupture pour motif économique:

Chacune des parties sollicitant pour sa part la confirmation sur ce point du jugement entrepris, le jugement est en conséquence confirmé de ce chef.

Sur le motif économique invoqué par la société:

Les termes du protocole ont été rappelés ci-avant, en particulier le préambule contenant le motif économique visé par la société fondant la rupture du contrat de travail.

La réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité s'apprécie au niveau de cette entreprise si elle n'appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d'activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient.

Le secteur d'activité permettant d'apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché.

Cette définition, applicable aux procédures de licenciement engagées depuis le 24 septembre 2017, date d'entrée en vigueur de l'ordonnance no 2017-1387 du 22 septembre 2017, reçoit en l'espèce application, dans la mesure où la procédure de licenciement collectif comportant la mise en oeuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi, a été initiée à compter du 6 octobre 2017, date d'ouverture de l'information et de la consultation des représentants du personnel.

La réorganisation, si elle n'est pas justifiée par des difficultés économiques ou par des mutations technologiques, doit être indispensable à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient.

Il incombe à l'employeur de démontrer, dans le périmètre pertinent, la réalité et le sérieux du motif invoqué.

Pour justifier le motif économique à l'origine de la rupture des contrats de travail, plus précisément la fermeture du site de Sophia Antipolis, la société excipe d'une menace pesant sur la compétitivité du secteur d'activité des médicaments de prescription sur lequel intervient le Groupe NSH au travers de la BU Prescription ( Rx), à laquelle elle appartient, considérant que la dermatologie esthétique et correctrice (« Aesthetic & Corrective, A&C ») et les produits grand public pour la santé de la peau dont l'automédication (« Consumer »), constituent deux autres secteurs d'activité distincts de celui des médicaments de prescription.

- la détermination du secteur d'activité:

Le périmètre pertinent du secteur d'activité s'apprécie au niveau des entreprises du groupe NSH ( Nestlé Skin Health).

Si les critères économiques de marché, clientèle, réglementation, environnement concurrentiel, sont des éléments permettant de caractériser le secteur d'activité, le juge reste toutefois investi d'un pouvoir souverain d'appréciation des éléments qui lui sont soumis pour le déterminer.

Selon le Projet de réorganisation de la SNC Galderma, remis au Comité d'entreprise le 2 octobre 2017, en 2014 le groupe Nestlé, en acquérant les 50% du capital du groupe Galderma détenus par l'Oréal, en devient l'unique actionnaire. Son objectif est de capitaliser sur les opportunités du marché de la dermatologie - soin de la peau, des ongles et traitements capillaires principalement. Galderma constitue alors la base d'une nouvelle organisation : Nestlé Skin Health.

Le groupe est décrit comme un acteur important de la dermatologie, spécialisé dans les pathologies et le soin de la peau. Il développe des solutions innovantes dans les trois grands domaines d'activité précités, au travers de trois unités d'affaires (GBU) complémentaires. En 2016, chaque unité d'affaire contribue au chiffre d'affaires global pour environ un tiers, avec une prédominance pour le Consumer (41,9%), suivi de l'A&C ( 30,1%) puis de la Prescription ( 28%), représentant au 31 décembre 2016 un chiffre d'affaires global de 2 436 Mn CHF.

Le groupe est organisé en Divisions, la Division scientifique ( R&D), la Division Opérations ( fabrication des produits), la Division Amérique ( commercialisation), la Division Galderma Pharma, en charge de la commercialisation des produits du Groupe dans le reste du monde ainsi que des Global Business Units ( ci-après GBU) définissant la stratégie Produit pour chacun des trois segments d'activité, la Division Fonctions support, en soutien des autres Divisions et de la gestion du Groupe , Finance, Ressources Humaines, Développement et stratégie, Affaires Juridiques.

La société GRD relève de la division scientifique, pilotée depuis [Localité 4], laquelle regroupe toutes les phases de recherche, d'études précliniques et cliniques des projets de R&D en Prescription, en Esthétique et en Consumer. Elle est définie comme un 'centre de coûts aux bornes du Groupe'. Son chiffre d'affaires, correspondant à la refacturation interne de services réalisés par GRD pour le compte de NSH, s'élève en 2018 à 80 622 Keuros et son résultat d'exploitation est de 4 601 Keuros.

Selon une note d'information interne du 4 juin 2019, la société Laboratoires Galderma, basée à [Localité 3] (France ) est un site industriel spécialisé dans la production des produits dermatologiques ( Prescription et Consumer) pour l'ensemble des pays du monde hors Etats Unis. Le site fournit 78 pays. La société a fournit 750 références en 2017 et 700 en 2018. Les marchés sont répartis, en millions d'unités, en 16 pour le Consumer et 44 pour la Prescription.

Il s'en déduit que les produits fabriqués sont issus de façon indifférenciée du même site industriel, pour les segments Prescription et Consumer, et adressés à divers pays de commercialisation, sans qu'il ne soit distingué lors de ces étapes de la production, de marchés correspondant à des secteurs d'activité.

Le groupe NSH, postérieurement à sa cession par le groupe Nestlé, continue à se présenter publiquement comme un acteur compétent en dermatologie depuis des décennies à la pointe de l'innovation, en Aesthetics, Consumer et Prescription, opérant dans le monde entier, en localisant stratégiquement les centres de recherche et les sites de fabrication. Il en résulte que le groupe NSH a poursuivi un modèle de recherche et de fabrication des produits, étranger à toute notion de secteurs d'activité pouvant représenter des marchés différenciés.

La société GRD réalise des recherches en Prescription, en Esthétique et en Consumer aux termes des productions mêmes de l'intimée, opérées par la division scientifique. Elle comprend également une GBU support Consumer et une GBU support RX.

A supposer que cette société soit spécialisée dans le groupe en médecine de Prescription, ce qui n'est pas démontré par l'intimée, les secteurs d'activité A&C et Consumer sont également communs à la société GRD et aux entreprises du groupe auquel elle appartient.

La spécialisation invoquée ne suffirait pas à exclure son rattachement à un secteur d'activité plus étendu, les soins de la peau recouvrant les trois domaines d'activité.

Il s'évince des éléments précités que les entreprises du groupe NSH auquel appartient la société GRD, conçoivent, produisent ou commercialisent indistinctement dans le monde entier l'ensemble des produits issus des trois segments d'activité.

Les éléments précités sont suffisants à établir que le périmètre pertinent du secteur d'activité en cause est celui du domaine médical et para-médical et/ou cosmétique des soins de la peau regroupant les trois segments d'activité.

- la réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité du secteur d'activité:

Dans son argumentaire, l'intimée fait valoir que la restructuration du site de Sophia Antipolis résultant de la réorganisation du secteur de la dermatologie des médicaments de prescription (RX) est justifiée par plusieurs facteurs, le développement des médicaments biologiques qui concurrencent très fortement les produits topiques développés et vendus par Galderma, le développement des médicaments génériques qui réduisent les parts de marché des produits RX de Galderma et des conditions d'accès au marché de plus en plus difficiles du fait des exigences croissantes des autorités, payeurs, des prescripteurs et des patients.

L'intimée ne démontrant pas que cette réorganisation a été rendue nécessaire sur le périmètre pertinent du secteur d'activité que constituent, ensemble, les trois segments d'activité de la dermatologie, la menace pesant sur la compétitivité du secteur d'activité n'est pas établie.

Il s'évince du défaut de preuve de la menace pesant sur la compétitivité du secteur d'activité que la rupture du contrat de travail produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les demandes indemnitaires:

- la violation du motif économique:

La salariée, née le 07/02/1972 embauchée le 7 février 1998, exerçait en dernier lieu des fonctions de Chercheur Chef d'équipe à la date de la rupture de son contrat de travail le 5 septembre 2018. Elle a adhéré au congé reclassement.

Le salaire moyen peut être fixé à 3 793,06 euros brut. La salariée a perçu l' indemnité de licenciement, l'indemnité compensatrice de préavis, l'indemnité supplémentaire et conventionnelle de licenciement, soit un montant total de 141399 euros brut ainsi que de la prise en charge de sa formation de reconversion à hauteur de 20.829 euros et de ses frais de création d'entreprise à hauteur de 3.666 euros. Elle a bénéficié de l'indemnité de reclassement rapide de 15.280 euros.

En application de l'article 1235-3 du code du travail, et en considération des éléments produits sur la situation personnelle du salarié, il lui sera alloué la somme de 22 758,36 euros représentant six mois de salaire brut.

- la violation par la société de ses engagements pris au sein du Plan de Sauvegarde de l'Emploi:

Le salarié ne soutenant aucun moyen propre au manquement allégué, autre que la violation de l'obligation de formation et de l'obligation de reclassement relevant du licenciement pour motif économique dont il demande également réparation, la demande est rejetée.

- la violation de l'obligation de formation et d'adaptation:

L'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail.

Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution

des emplois, des technologies et des organisations.

Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré(...)

Le salarié se borne à alléguer de manière générale qu'il n'a pu bénéficier d'une mobilité interne sur les postes offerts à défaut d'une formation adaptée, sans soutenir de faits propres à sa situation professionnelle compte tenu du poste occupé et de la catégorie des postes proposés, ni démontrer qu'il a fait acte de candidature sur des emplois susceptibles de correspondre à ses compétences professionnelles, et qu'il n'a pu en bénéficier à raison d'un défaut de formation imputable à l'employeur.

Il s'ensuit que la demande indemnitaire est rejetée.

- les circonstances vexatoires et brutales de la rupture:

Il est amplement démontré que la société GRD, après avoir exposé aux représentants du personnel le 15 décembre 2016 les orientations stratégiques de l'entreprise et du groupe NSH pour 2017 consistant en un développement de l'activité, des projets et investissements, a informé les salariés par courriel du 31 août 2017 de l'existence d'un projet dénommé 'Rise' mis en 'uvre au sein du groupe NSH afin d'en accroître la rentabilité et simplifier son organisation, puis les a informés le 19 septembre 2017 que le projet se traduirait par l'arrêt des activités sur le site de Sophia Antipolis.

Ce n'est toutefois qu'à la demande expresse de l'administration le 5 février 2018 après transmission du procès verbal de réunion du comité d'entreprise du 6 octobre 2017, qu'elle a modifié le projet de PSE et mentionné la fermeture du site, entraînant l'application des dispositions de l'article L.1233-57-9 du code du travail, préférant auparavant laisser la mention de reconversion du site et maintien du maximum d'emplois possible, l'administration ayant attiré l'attention de la direction sur le fait que l'absence de modification du plan en ce sens risquait d'en affecter la validité.

Les modalités d'information des salariés du projet Rise, l'émoi engendré par le caractère soudain et imprévu de l'annonce de fermeture du site, une souffrance voire du stress chez les salariés, ont entraîné le déclenchement de la procédure d'alerte par le Chsct. Dans le procès verbal de réunion du 23 février 2018, cette instance a souligné les risques psycho-sociaux liés à la mise en oeuvre du projet de restructuration et émis un certain nombre de recommandations destinées à les prévenir.

Les manquements de l'employeur étant suffisamment établis à l'égard du salarié, la cour peut évaluer le préjudice qui en est résulté pour celui-ci à la somme de 3000 euros, réparant intégralement ce préjudice.

Sur la demande de nullité du protocole de rupture:

La contestation de la cause réelle et sérieuse du motif économique d'un protocole de rupture n'a pas pour effet de rendre nulle la convention de rupture amiable, la violation par l'employeur de ses obligations tirées du licenciement pour motif économique ayant pour conséquence de produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La société ne soutenant aucun moyen propre à la demande de la nullité de la convention, la demande est rejetée.

Par ces motifs

La cour,

Confirme le jugement du chef de la compétence et de la validité du protocole de rupture;

L'infirme du chef du débouté des demandes indemnitaires et de la condamnation du salarié au payement des frais irrépétibles,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et ajoutant,

Déclare l'appelant recevable à contester les motifs du licenciement;

Déclare l'appelant recevable à contester l'inobservation par l'employeur de l'obligation préalable de reclassement;

Condamne la société Galderma R&D à payer à Mme [D] [X] la somme de 22 758,36 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

Condamne la société Galderma R&D à lui payer la somme de 3000 euros de dommages et intérêts au titre des circonstances vexatoires et brutales de la rupture;

Ordonne la capitalisation des intérêts au taux légal à compter du jour de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes de Grasse;

Déboute les parties de plus amples conclusions;

Condamne la société Galderma R&D aux entiers dépens et à payer à Mme [D] [X] la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-7
Numéro d'arrêt : 21/17524
Date de la décision : 10/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-10;21.17524 ?
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