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24/11/2022 | CANADA | N°2022CSC45

Canada | Canada, Cour suprême, 24 novembre 2022, R. c. Jaffer, 2022 CSC 45


COUR SUPRÊME DU CANADA


 
Référence : R. c. Jaffer, 2022 CSC 45

 

 
Appel entendu : 17 mai 2022
Jugement rendu : 24 novembre 2022
Dossier : 39676


 
Entre :
 
Muhammad Abbas Jaffer
Appelant
 
et
 
Sa Majesté le Roi
Intimé
 
- et -
 
Directrice des poursuites pénales, Criminal Lawyers’ Association of Ontario, British Columbia Civil Liberties Association et Association canadienne des libertés civiles
Intervenantes
 
Traduction française officielle
 
Coram : Le juge en ch

ef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal
 


Motifs de jugement :
(par. 1 à 11)

La juge Karakatsanis (avec l’accord du ...

COUR SUPRÊME DU CANADA

 
Référence : R. c. Jaffer, 2022 CSC 45

 

 
Appel entendu : 17 mai 2022
Jugement rendu : 24 novembre 2022
Dossier : 39676

 
Entre :
 
Muhammad Abbas Jaffer
Appelant
 
et
 
Sa Majesté le Roi
Intimé
 
- et -
 
Directrice des poursuites pénales, Criminal Lawyers’ Association of Ontario, British Columbia Civil Liberties Association et Association canadienne des libertés civiles
Intervenantes
 
Traduction française officielle
 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal
 

Motifs de jugement :
(par. 1 à 11)

La juge Karakatsanis (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Moldaver, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal)

 
 
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
 

 

 

 

 
Muhammad Abbas Jaffer                                                                              Appelant
c.
Sa Majesté le Roi                                                                                                Intimé
et
Directrice des poursuites pénales,
Criminal Lawyers’ Association of Ontario,
British Columbia Civil Liberties Association et
Association canadienne des libertés civiles                                            Intervenantes
Répertorié : R. c. Jaffer
2022 CSC 45
No du greffe : 39676.
2022 : 17 mai; 2022 : 24 novembre.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin, Kasirer et Jamal.
en appel de la cour d’appel de l’ontario
                    Droit criminel — Abus de procédure — Provocation policière — Véritable enquête — Espace virtuel — Internet — Accusé répondant à une annonce publiée par la police dans le sous‑répertoire escortes d’un site Web d’annonces classées — Agent d’infiltration se faisant passer pour une escorte et révélant à l’accusé dans un message texte subséquent qu’elle est mineure — Accusé arrêté à son arrivée à une chambre d’hôtel en vue de rencontrer l’agent d’infiltration et inculpé d’infractions relatives au leurre d’enfants — Accusé déclaré coupable mais demandant un arrêt des procédures pour cause de provocation policière — L’accusé a‑t‑il fait l’objet de provocation policière?
                    J est l’une des 104 personnes qui ont été arrêtées dans le cadre du « Projet Raphael », une enquête de la Police régionale de York qui ciblait les acheteurs sur le marché du travail du sexe juvénile. En 2014, alors qu’il naviguait dans le sous‑répertoire escortes de Backpage.com, J a envoyé un message à un agent d’infiltration se faisant passer pour « Kathy ». Communiquant par messages textes avec J, « Kathy » a révélé, au bout d’un certain temps, qu’« elle » était âgée de 15 ans. À son arrivée à une chambre d’hôtel désignée pour rencontrer Kathy, J a été arrêté et accusé des infractions visées à l’al. 172.1(1)a) et au par. 286.1(2) du Code criminel. Un jury a déclaré J coupable des deux chefs d’accusation, mais celui‑ci a présenté une demande d’arrêt des procédures pour cause de provocation policière. La juge saisie de la demande l’a rejetée, concluant que le Projet Raphael constituait une véritable enquête et que la police possédait des soupçons raisonnables que J était engagé dans une activité criminelle lorsqu’elle lui a donné l’occasion de commettre les infractions. La Cour d’appel a rejeté l’appel formé par J, dans le cadre duquel il a présenté des arguments invoquant la provocation policière fondée sur l’occasion et la provocation policière fondée sur l’incitation.
                    Arrêt : L’appel est rejeté.
                    J n’a pas fait l’objet de provocation policière. Les arguments de J en ce qui concerne la provocation policière fondée sur l’occasion ne sont pas acceptés, pour les motifs exposés dans l’arrêt R. c. Ramelson, 2022 CSC 44, dans lequel il a été conclu que le Projet Raphael constituait une véritable enquête. Il est préférable de reporter à une autre occasion l’examen de la question de savoir si le cadre d’analyse au titre du volet relatif à l’incitation de la doctrine de la provocation policière devrait être révisé.
Jurisprudence
                    Arrêts mentionnés : R. c. Ramelson, 2022 CSC 44; R. c. Haniffa, 2022 CSC 46; R. c. Dare, 2022 CSC 47; Kienapple c. La Reine, 1974 CanLII 14 (CSC), [1975] 1 R.C.S. 729; R. c. Ramelson, 2021 ONCA 328, 155 O.R. (3d) 481; R. c. Mack, 1988 CanLII 24 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 903.
Lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 172.1(1)a), 212(4) [abr. 2014, c. 25, s. 13], 286.1(2).
                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Juriansz, Tulloch et Paciocco), 2021 ONCA 325, 155 O.R. (3d) 535, [2021] O.J. No. 2620 (QL), 2021 CarswellOnt 6943 (WL), qui a confirmé la déclaration de culpabilité prononcée contre l’accusé et le rejet de la demande d’arrêt des procédures. Pourvoi rejeté.
                    Breana Vandebeek et Hussein Aly, pour l’appelant.
                    Lisa Fineberg et Katie Doherty, pour l’intimé.
                    David Quayat et Chris Greenwood, pour l’intervenante la Directrice des poursuites pénales.
                    Michael Lacy et Bryan Badali, pour l’intervenante Criminal Lawyers’ Association of Ontario.
                    Gerald Chan et Spencer Bass, pour l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association.
                    Danielle Glatt et Catherine Fan, pour l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles.
                  Version française du jugement de la Cour rendu par
 
                  La juge Karakatsanis —
[1]                              L’appelant, Muhammad Abbas Jaffer, est l’une des 104 personnes qui ont été arrêtées dans le cadre du « Projet Raphael », une enquête de la Police régionale de York qui ciblait les acheteurs sur le marché du travail du sexe juvénile. Son pourvoi devant notre Cour a été entendu avec trois autres, qui portaient tous sur la doctrine de la provocation policière dans le contexte d’une enquête policière en ligne. Les pourvois connexes, dont les motifs sont déposés en même temps que ceux‑ci, sont R. c. Ramelson, 2022 CSC 44, R. c. Haniffa, 2022 CSC 46, et R. c. Dare, 2022 CSC 47. À l’instar de deux des trois autres appelants, M. Jaffer fait appel d’une ordonnance de la Cour d’appel de l’Ontario qui a rejeté l’appel de sa déclaration de culpabilité ainsi que son appel du rejet par le premier juge de sa demande fondée sur la provocation policière. Son appel soulève deux questions : (1) La police possédait‑elle des soupçons raisonnables à son égard personnellement, ou agissait‑elle dans le cadre d’une véritable enquête lorsqu’elle lui a donné l’occasion de commettre les infractions (satisfaisant ainsi au volet fondé sur l’occasion de la doctrine de la provocation policière)? (2) A‑t‑il été incité à agir comme il l’a fait?
[2]                              Le 24 octobre 2014, alors qu’il naviguait dans le sous‑répertoire escortes de Backpage.com, M. Jaffer a envoyé un message à « Kathy », âgée de 18 ans, qui était décrite comme une [traduction] « Toute nouvelle jeune fille mince » qui est « jeune et sexy avec un corps ferme » (d.a., vol. II, p. 13 et 23). L’annonce incluait un numéro de téléphone et une adresse courriel intitulée « kathyblunt16@gmail.com » (p. 13 et 23). Communiquant par messages textes avec M. Jaffer, l’agent d’infiltration (AI) a révélé, au bout d’un certain temps, qu’« elle » était âgée de 15 ans :
      [traduction]
      [20:56 – AI] : . . . t’as quel âge
      [20:57 – Jaffer] : 22
      . . .
      [21:00 – AI] : . . . ben, moi j’ai pas encore tout à fait 18, té ok avec ça?
      . . .
      [21:00 – Jaffer] : Ouais, je suis ok . . . mais té combien plus jeune? 17?
      [21:01 – AI] : je vais avoir 16 dimanche, mais j’ai l’air de 18
      [21:02 – Jaffer] : Um . . . ok mais comment je sais que t’es pas une police?
      [21:02 – Jaffer] : J’veux vraiment pas d’ennuis, tsé
      [21:03 – AI] : et moi j’veux certainement pas en avoir
      [21:03 – Jaffer] : Ok j’peux te demander pourquoi t’es escorte, si ça te dérange pas? Habituellement, le monde de ton âge, y connaissent pas cette industrie
      [21:04 – Jaffer] : Juste curieux
      [21:04 – AI] : mon amie m’a fait connaître ça . . . j’ai juste besoin de l’argent je fais pas ça tout le temps c’est ma deuxième fois honnêtement j’ai besoin de l’argent :)
      [21:05 – Jaffer] : Je vois . . . j’aime ça que tu sois honnête. J’peux te faire confiance alors :). J’vais donc y aller mais s’il te plaît s’il te plaît gardons ça entre nous
      (d.a., vol. II, p. 28)
[3]                              À son arrivée à la chambre d’hôtel désignée, M. Jaffer a été arrêté. Il a été accusé puis jugé à l’égard de 2 infractions : avoir communiqué par un moyen de télécommunication avec une personne qu’il croyait être âgée de moins de 18 ans, en contravention de l’al. 172.1(1)a) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46 (leurre d’enfant de moins de 18 ans), et avoir communiqué pour obtenir, moyennant rétribution, les services sexuels d’une personne âgée de moins de 18 ans, en contravention du par. 212(4) (maintenant le par. 286.1(2)) (communiquer pour obtenir les services sexuels d’une personne mineure).
[4]                              Un jury l’a déclaré coupable des deux chefs d’accusation, mais le juge de la peine a suspendu la déclaration de culpabilité fondée sur le par. 212(4) par application de l’arrêt Kienapple c. La Reine, 1974 CanLII 14 (CSC), [1975] 1 R.C.S. 729. Monsieur Jaffer a alors présenté une demande d’arrêt des procédures, plaidant qu’il avait fait l’objet de provocation policière.
[5]                              La juge saisie de la demande l’a rejetée. Elle a conclu que le Projet Raphael constituait une véritable enquête : l’inspecteur Truong — l’agent qui avait conçu le Projet Raphael — avait une bonne expérience des infractions liées au travail du sexe et a témoigné que Backpage était [traduction] « continuellement associé » au travail du sexe juvénile, que les infractions « posaient des défis sur le plan des enquêtes » et que l’activité de Backpage « pouvait aisément être rattachée à des secteurs géographiques précis » (d.a., vol. I, p. 27‑28). Qui plus est, la police possédait des soupçons raisonnables que M. Jaffer était engagé dans une activité criminelle lorsqu’elle a fait l’offre.
[6]                              La Cour d’appel a rejeté les arguments de M. Jaffer relatifs à la provocation policière fondée sur l’occasion, pour les motifs qu’elle a exposés dans R. c. Ramelson, 2021 ONCA 328, 155 O.R. (3d) 481 (voir 2021 ONCA 325, 155 O.R. (3d) 535, par. 15‑16). Et elle a rejeté son argument additionnel voulant qu’il ait été incité à commettre les infractions, citant la conclusion de la juge de la demande selon laquelle M. Jaffer [traduction] « était déterminé à acheter des services sexuels et avait porté une attention particulière à l’information concernant l’âge de celle qui fournissait les services avant de donner suite à ses choix » (par. 22).
[7]                              Monsieur Jaffer fait siens les arguments soulevés dans les pourvois connexes en ce qui concerne la provocation policière fondée sur l’occasion, ajoutant que la police ne possédait pas de soupçons raisonnables à son égard personnellement. J’ai traité de ces points dans mes motifs dans l’affaire Ramelson, où j’ai conclu que le Projet Raphael constituait une véritable enquête. Pour les raisons mentionnées dans cet arrêt, je ne saurais retenir ces moyens d’appel.
[8]                              Le deuxième argument de M. Jaffer est que les juridictions inférieures ont fait erreur en ne tenant pas compte de sa situation personnelle dans l’examen de la question de savoir s’il avait été incité à agir comme il l’a fait. Monsieur Jaffer reconnaît que la police ne pouvait pas savoir qu’il vivait avec le syndrome d’Asperger non diagnostiqué, mais il soutient que de telles circonstances personnelles sont pertinentes et devraient être prises en considération dans l’analyse de la provocation policière fondée sur l’incitation. Monsieur Jaffer explique que les symptômes typiques de ce trouble — en particulier la difficulté de socialiser et une conformité rigide aux règles — accroissaient son risque d’être incité à agir. Qui plus est, ce trouble, ainsi qu’une interaction qu’il avait eue avec la police antérieurement, alors qu’il avait accepté de fournir des renseignements au sujet d’une travailleuse du sexe en particulier et de son proxénète, ajoutaient créance à son explication selon laquelle il avait projeté de rencontrer « Kathy » uniquement pour recueillir de l’information et alerter les autorités.
[9]                              Le volet de la doctrine de la provocation policière relatif à l’incitation prévoit que, même si la police possède des soupçons raisonnables à l’égard d’un individu ou agit dans le cadre d’une véritable enquête, elle ne peut pas « employ[er] des moyens qui semblent dépasser l’offre simple d’une occasion » de commettre un crime (R. c. Mack, 1988 CanLII 24 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 903, p. 966). Cette analyse peut comporter l’examen de la question de savoir « si l’individu moyen, avec ses points forts et ses faiblesses, dans la situation de l’inculpé, aurait été incité à commettre un crime » ou de celle de savoir si la police « paraît avoir exploité une vulnérabilité particulière d’une personne, comme un handicap mental ou l’accoutumance à une substance particulière », parmi d’autres facteurs (p. 966). Toutefois, il s’agit d’une analyse objective et axée sur la conduite de la police, et non sur l’effet de cette conduite « sur l’état d’esprit de l’inculpé » (p. 965).
[10]                          À mon avis, il est préférable de reporter à une autre occasion l’examen de la question de savoir si ce cadre d’analyse doit être révisé. Quel que soit le bien‑fondé des arguments juridiques de M. Jaffer — un point sur lequel je ne me prononce pas en l’espèce — le jury a, en pleine connaissance de la situation de M. Jaffer, rejeté le témoignage de ce dernier selon lequel il s’est rendu à la chambre d’hôtel uniquement dans l’intention de recueillir de l’information. Lorsqu’il a déclaré M. Jaffer coupable, le jury n’avait aucun doute raisonnable quant au but dans lequel celui‑ci avait convenu de la rencontre. Faisant écho à cette conclusion, la juge de la demande a estimé que M. Jaffer avait eu l’intention de convenir d’une transaction visant des services sexuels, même après avoir appris l’âge de la travailleuse du sexe. Aucune erreur n’a été démontrée en ce qui concerne ces conclusions. Monsieur Jaffer n’a pas non plus fourni quelque indication que ce soit que la police « a[vait] employé des moyens qui semblent dépasser l’offre simple d’une occasion » de commettre les infractions (Mack, p. 966). Même si la situation subjective de M. Jaffer était prise en compte dans le cadre d’analyse juridique applicable à l’incitation, elle ne pourrait pas influencer le résultat. Je ne saurais retenir ce moyen d’appel.
[11]                          Pour ces motifs, M. Jaffer n’a pas fait l’objet de provocation policière. Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.
                    Pourvoi rejeté.
                    Procureurs de l’appelant : Gorham Vandebeek, Toronto; Aly Amjad Law Group, Toronto.
                    Procureur de l’intimé : Procureur général de l’Ontario, Bureau des avocats de la Couronne — Droit criminel, Toronto.
                    Procureur de l’intervenante la Directrice des poursuites pénales : Service des poursuites pénales du Canada, Toronto.
                    Procureurs de l’intervenante Criminal Lawyers’ Association of Ontario : Brauti Thorning, Toronto.
                    Procureurs de l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association : Stockwoods, Toronto.
                    Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles : Paliare Roland Rosenberg Rothstein, Toronto.


Synthèse
Référence neutre : 2022CSC45 ?
Date de la décision : 24/11/2022

Analyses

provocation policière ; arrêt des procédures ; Projet Raphael ; Monsieur Jaffer ; soupçons raisonnables ; travailleuse du sexe ; services sexuels ; appelants ; police ; activité criminelle ; déclaré coupable ; enquêtes ; accusation ; incitation ; infractions ; rejeté


Parties
Demandeurs : R.
Défendeurs : Jaffer
Proposition de citation de la décision: Canada, Cour suprême, 24 novembre 2022, R. c. Jaffer, 2022 CSC 45


Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: CAIJ
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2022-11-24;2022csc45 ?

Source

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