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16/04/2015 | CANADA | N°2015_CSC_17

Canada | Carey c. Laiken


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Carey c. Laiken, 2015 CSC 17
Date : 20150416
Dossier : 35597

Entre :
Peter W. G. Carey
Appelant
et
Judith Laiken
Intimée


Traduction française officielle : Motifs du juge Cromwell

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner

Motifs de jugement :
(par. 1 à 68)
Le juge Cromwell (avec l'accord de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Rothstein, Moldaver, Karakatsanis et Wagner)

Note : Ce

document fera l'objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de l...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Carey c. Laiken, 2015 CSC 17
Date : 20150416
Dossier : 35597

Entre :
Peter W. G. Carey
Appelant
et
Judith Laiken
Intimée


Traduction française officielle : Motifs du juge Cromwell

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner

Motifs de jugement :
(par. 1 à 68)
Le juge Cromwell (avec l'accord de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Rothstein, Moldaver, Karakatsanis et Wagner)

Note : Ce document fera l'objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada .



carey c. laiken
Peter W. G. Carey Appelant
c.
Judith Laiken Intimée
Répertorié : Carey c. Laiken
2015 CSC 17
N o du greffe : 35597.
2014 : 10 décembre; 2015 : 16 avril.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner.
en appel de la cour d'appel de l'ontario
Procédure civile — Outrage au tribunal — Intention requise — Prononcé d'une injonction Mareva interdisant à toute personne qui en connaît l'existence de se départir des actifs d'un client de l'avocat ou de les utiliser à d'autres fins — Avocat ayant connaissance de l'existence de l'injonction retourne malgré tout à son client des fonds détenus dans son compte en fiducie — Avocat déclaré non coupable d'outrage au motif que les prescriptions de l'ordonnance n'étaient pas claires et que l'interprétation de celle-ci par l'avocat n'était pas le fruit d'un aveuglement volontaire — L'intention d'entraver l'administration de la justice est-elle requise pour prouver l'outrage civil? — L'avocat s'est-il rendu coupable d'outrage?
Tribunaux — Juges — Compétence — Outrage au tribunal — Pouvoir discrétionnaire du juge des motions de réexaminer une conclusion d'outrage — Avocat ayant contrevenu aux prescriptions d'une injonction trouvé coupable d'outrage — Demande de l'avocat pour rouvrir l'audience relative à l'outrage — Annulation par la juge des motions de sa décision initiale d'outrage — La juge des motions a-t-elle commis une erreur en annulant sa décision initiale d'outrage? — Règles de procédure civile, R.R.O. 1990, Règl. 194, art. 60.11.
L a engagé une procédure pour outrage contre C, alléguant qu'il avait violé les prescriptions d'une injonction Mareva en remettant à S, son client, plus de 400 000 $ qu'il détenait pour lui en fiducie. L'injonction a été délivrée dans le contexte d'un litige entre L, d'une part, et S ainsi que des personnes liées, d'autre part. Elle interdisait à toute personne au courant de l'existence de l'ordonnance de se départir des biens de différentes parties, y compris S, ou de les utiliser à d'autres fins. La juge des motions a initialement déclaré C coupable d'outrage. Elle était convaincue que l'injonction était clairement formulée et que C l'avait sciemment et délibérément violée en transférant les fonds. Lorsque les parties ont comparu de nouveau devant la juge des motions pour la détermination de la peine, C a demandé la réouverture de l'audience relative à l'outrage. Il a déposé de nouveaux éléments de preuve à l'appui de son affirmation selon laquelle il avait agi conformément à la pratique habituelle des avocats et il a aussi témoigné sur ce qu'il considérait comme ses obligations professionnelles et ses motivations lorsqu'il s'occupait des fonds en fiducie. Compte tenu de la nouvelle preuve, la juge des motions a annulé sa conclusion d'outrage. La Cour d'appel a accueilli l'appel et rétabli la conclusion initiale d'outrage.
Arrêt : L'appel est rejeté.
Le droit n'exige pas qu'une personne viole une injonction avec l'intention de désobéir ou avec celle d'entraver l'administration de la justice pour qu'il soit satisfait aux éléments constitutifs de l'outrage civil. Pour établir l'outrage civil, il suffit de prouver hors de tout doute raisonnable que son auteur présumé a intentionnellement commis un acte — ou omis d'agir — en violation d'une ordonnance claire dont il avait connaissance. L'intention de désobéir ou l'absence d'une telle intention se rapporte plutôt à la peine à infliger par suite d'une conclusion d'outrage plutôt qu'à la responsabilité. En outre, il n'existe aucune raison logique de déroger aux éléments constitutifs de l'outrage civil reconnus dans des cas où il est devenu impossible de se conformer à l'ordonnance rendue par le tribunal soit parce que l'acte qui le constituait ne peut pas être annulé ou parce qu'une obligation légale contradictoire l'en empêche. Lorsque les agissements contraires aux modalités d'une ordonnance judiciaire de la personne elle-même font en sorte qu'il est impossible de respecter l'ordonnance à l'avenir, il n'est ni logique ni juste d'exiger une preuve d'un degré plus élevé de faute pour établir qu'il y a eu outrage. Il va aussi à l'encontre d'un des objectifs d'une conclusion d'outrage — soit de décourager la violation des ordonnances judiciaires — de faire preuve d'une indulgence particulière envers les personnes ayant commis des actes qui sont contraires à une ordonnance et qui en empêchent le respect pour l'avenir. Le fait que l'outrage civil soit de nature quasi criminelle ne justifie par ailleurs pas la création d'un élément moral distinct pour certains cas d'outrage civil. Le fait de se fier à des conseils juridiques ne protège pas non plus une partie contre une conclusion d'outrage. Le droit ne devrait pas permettre aux avocats d'éviter d'être déclarés coupables d'outrage parce qu'ils se sont, dans les faits, fondés sur leurs propres conseils juridiques. En outre, lorsqu'un avocat représente un client dans une procédure en lien avec une ordonnance à laquelle ce dernier est partie, il devrait être tenu à la même norme de respect de l'ordonnance que son client.
En l'espèce, C s'est rendu coupable d'outrage. L'injonction Mareva interdisait clairement que l'argent détenu en fiducie fasse l'objet de quelque opération que ce soit, et les autres agissements de C indiquaient qu'il le comprenait. Même en tenant pour acquis que l'existence des fonds était protégée par le secret professionnel au moment du transfert, l'obligation qu'a assumée C relativement au secret professionnel n'était pas incompatible avec son obligation de respecter l'ordonnance. Pour s'acquitter des deux obligations, il n'avait qu'à laisser les fonds dans son compte en fiducie après qu'ils y eurent été déposés. De plus, il n'aurait pas été contraire aux autres obligations professionnelles de C qu'il laisse les fonds dans son compte en fiducie. C ne peut en outre pas prétendre qu'il a violé l'ordonnance pour éviter un futur dilemme éthique advenant le prononcé d'un jugement en faveur de L contre son client et qu'il pourrait devoir décider comment réussir à s'acquitter des obligations qui lui incombent en matière de secret professionnel et à respecter l'ordonnance Mareva tout en se conformant à son obligation d'éviter d'aider son client à se soustraire à l'exécution du jugement. Quoi qu'il en soit, même si l'on admet que C croyait qu'il y avait un véritable conflit, d'autres solutions appropriées s'offraient à lui, mis à part celle de décider unilatéralement de violer l'ordonnance.
Les Règles de procédures civiles ne précisent pas la forme que doivent prendre les procédures pour outrage. Cependant, en général, elles sont scindées en deux étapes distinctes : l'étape relative à la responsabilité — durant laquelle la question de la responsabilité est soulevée et un moyen de défense est invoqué — puis, si la responsabilité est établie, l'étape de la détermination de la peine. Une fois qu'une conclusion d'outrage a été tirée à la première étape, cette conclusion est habituellement définitive et ne peut faire l'objet d'un réexamen que dans certaines circonstances, par exemple lorsque l'auteur de l'outrage se conforme ultérieurement à l'ordonnance ou qu'il fait amende honorable ou encore, dans des circonstances exceptionnelles, quand de nouveaux faits ou éléments de preuve sont révélés après que la conclusion d'outrage eut été tirée. En l'espèce, la juge des motions a commis une erreur dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en permettant à C de remettre en cause la conclusion initiale d'outrage. La contestation de la conclusion antérieure de la juge des motions était fondée sur des éléments de preuve qu'il aurait dû fournir lors de la première audience. De plus, comme l'a souligné la Cour d'appel, la partie qui fait l'objet d'une motion pour outrage n'a pas le droit de présenter une défense partielle à l'étape de la responsabilité et ensuite, si le plan initial échoue, d'avoir une deuxième chance à l'étape de la détermination de la peine. Cela irait à l'encontre de l'objet de la première audience.
Jurisprudence
Arrêts mentionnés : College of Optometrists (Ont.) c. SHS Optical Ltd. , 2008 ONCA 685, 241 O.A.C. 225; United Nurses of Alberta c. Alberta (Procureur général) , [1992] 1 R.C.S. 901; Pro Swing Inc. c. Elta Golf Inc. , 2006 CSC 52, [2006] 2 R.C.S. 612; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Torroni , 2009 ONCA 85, 94 O.R. (3d) 614; Poje c. Attorney General for British Columbia , [1953] 1 R.C.S. 516; Chiang (Trustee of) c. Chiang , 2009 ONCA 3, 305 D.L.R. (4th) 655; Prescott‑Russell Services for Children and Adults c. G. (N.) (2007), 82 O.R. (3d) 686; Bhatnager c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) , [1990] 2 R.C.S. 217; Jackson c. Honey , 2009 BCCA 112, 267 B.C.A.C. 210; TG Industries Ltd. c. Williams , 2001 NSCA 105, 196 N.S.R. (2d) 35; Godin c. Godin , 2012 NSCA 54, 317 N.S.R. (2d) 204; Soper c. Gaudet , 2011 NSCA 11, 298 N.S.R. (2d) 303; Jaskhs Enterprises Inc. c. Indus Corp. , 2004 CanLII 32262; Culligan Canada Ltd. c. Fettes , 2010 SKCA 151, 326 D.L.R. (4th) 463; Sheppard c. Sheppard (1976), 12 O.R. (2d) 4; Hefkey c. Hefkey , 2013 ONCA 44, 30 R.F.L. (7th) 65; Centre commercial Les Rivières ltée c. Jean Bleu inc. , 2012 QCCA 1663; Vidéotron Ltée c. Industries Microlec Produits Électroniques Inc. , [1992] 2 R.C.S. 1065; Daigle c. St‑Gabriel‑de‑Brandon (Paroisse) , [1991] R.D.J. 249; St. Elizabeth Home Society c. Hamilton (City) , 2008 ONCA 182, 89 O.R. (3d) 81; Morrow, Power c. Newfoundland Telephone Co. (1994), 121 Nfld. & P.E.I.R. 334; Sussex Group Ltd. c. Fangeat , 42 C.P.C. (5th) 274; Re Tyre Manufacturers' Agreement , [1966] 2 All E.R. 849; Canada Metal Co. c. C.B.C. (No. 2) (1974), 48 D.L.R. (3d) 641, conf. par (1975), 65 D.L.R. (3d) 231; Customs and Excise Commissioners c. Barclays Bank plc , [2006] UKHL 28, [2007] 1 A.C. 181; Attorney General c. Punch Ltd. , [2002] UKHL 50, [2003] 1 A.C. 1046; Z. Ltd. c. A‑Z , [1982] 2 W.L.R. 288; Baker c. Paul , [2013] NSWCA 426 (AustLII); Wilson c. La Reine , [1983] 2 R.C.S. 594; Ontario (Attorney General) c. Paul Magder Furs Ltd. (1991), 6 O.R. (3d) 188.
Lois et règlements cités
Règles de procédure civile , R.R.O. 1990, Règl. 194, r. 60.11.
Doctrine et autres documents cités
Sharpe, Robert J. Injunctions and Specific Performance , 2nd ed., Aurora (Ont.), Canada Law Book, 1992 (loose‑leaf updated 2014, release 23).
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (les juges Rosenberg, Sharpe et Gillese), 2013 ONCA 530, 310 O.A.C. 209, 116 O.R. (3d) 641, 367 D.L.R. (4th) 415, 52 C.P.C. (7th) 144, [2013] O.J. No. 3891 (QL), 2013 CarswellOnt 11824 (WL Can.), qui a infirmé une décision de la juge Roberts, 2012 ONSC 7252, [2012] O.J. No. 6596 (QL), 2012 CarswellOnt 17537 (WL Can.), puis rétabli son ordonnance initiale pour outrage au tribunal. Pourvoi rejeté.
Patricia D. S. Jackson et Rachael Saab , pour l'appelant.
Kevin Toyne et John Philpott , pour l'intimée.


Version française du jugement de la Cour rendu par

Le juge Cromwell —
I. Introduction
[1] Il est rare que des procédures pour outrage au tribunal soient intentées contre des avocats. Les cas où les juges infirment leurs propres conclusions sont également rares. Or, le présent pourvoi, qui donne à la Cour l'occasion de clarifier certains aspects des règles de common law en matière d'outrage civil au tribunal, comporte ces deux éléments particuliers.
[2] L'appelant, Peter Carey, est un avocat qui a fait l'objet d'une procédure pour outrage du fait qu'il aurait violé les prescriptions d'une injonction. Il a initialement été reconnu coupable d'outrage au tribunal par une juge de la Cour supérieure de justice de l'Ontario, mais cette dernière a réexaminé sa décision et l'a infirmée quand elle a de nouveau été saisie de l'affaire dans le but de déterminer la peine appropriée. La Cour d'appel a annulé la seconde décision de la juge et a reconnu M e Carey coupable d'outrage. Ce dernier se pourvoit maintenant devant la Cour et soulève trois questions :
1. Pour commettre un outrage, M e Carey devait‑il avoir l'intention d'entraver l'administration de la justice?
2. Maître Carey s'est‑il rendu coupable d'outrage?
3. La juge pouvait‑elle annuler sa conclusion initiale d'outrage?
[3] J'estime que la Cour d'appel de l'Ontario a eu raison de répondre par la négative aux première et troisième questions et par l'affirmative à la deuxième : pour être coupable d'outrage, M e Carey n'avait pas à avoir l'intention d'entraver l'administration de la justice; il s'est rendu coupable d'outrage et les obligations dont il devait s'acquitter envers son client ne pouvaient pas justifier ou excuser sa violation de l'injonction; et la juge ne pouvait pas annuler sa conclusion initiale d'outrage. Je suis donc d'avis de rejeter le pourvoi avec dépens.
[4] Le contexte factuel et procédural dans lequel ces questions sont soulevées est compliqué et je vais l'examiner avant de passer à l'analyse juridique qui m'a emmené à tirer ces conclusions.
II. Contexte
A. Aperçu
[5] Le pourvoi découle de la présumée violation par M e Carey d'une injonction dite Mareva qui interdisait à toute personne au courant de l'existence de l'ordonnance de [ traduction ] « se départir » des biens de différentes parties, y compris Peter Sabourin que représentait M e Carey, ou « de les utiliser à d'autres fins ». L'injonction a été délivrée dans le contexte d'un litige entre l'intimée, Judith Laiken, d'une part, et M. Sabourin ainsi que des personnes liées, d'autre part. En fin de compte, M me Laiken a obtenu un jugement contre M. Sabourin et ses compagnies pour la somme d'environ un million de dollars, plus les dépens.
[6] Après la conclusion de ce litige, M me Laiken a engagé une procédure pour outrage contre M e Carey qui, incontestablement, était au courant de l'existence de l'injonction. Elle a allégué qu'il avait violé les prescriptions de cette dernière en remettant à M. Sabourin plus de 400 000 $ qu'il détenait pour lui en fiducie. Cette procédure pour outrage a donné lieu au présent pourvoi.
B. Le litige ayant mené à l'injonction
[7] Madame Laiken a retenu les services de M. Sabourin et de son groupe d'entreprises pour qu'il effectue, en son nom, des opérations à l'étranger sur des valeurs mobilières. À cette fin, elle a transféré environ 885 000 $ dans divers comptes bancaires détenus par M. Sabourin et ses entreprises. Au final, ces fonds ont été perdus et, fait peu surprenant, la relation d'affaires entre M me Laiken et M. Sabourin s'est détériorée. En 2000, ce dernier a poursuivi sa cliente pour 364 000 $ parce que son compte sur marge était déficitaire. Madame Laiken a présenté une demande reconventionnelle pour plus de 800 000 $ au motif que M. Sabourin l'avait escroquée. Maître Carey représentait ce dernier et ses entreprises dans le cadre de ces procédures.
[8] Madame Laiken a obtenu de la Cour supérieure de justice de l'Ontario une injonction Mareva ex parte qui a gelé les biens des défendeurs reconventionnels, y compris ceux de M. Sabourin. L'injonction était formulée en termes généraux. Elle interdisait notamment à M. Sabourin et à toute autre personne au courant de l'existence de l'ordonnance de [ traduction ] « se départir » des biens de M. Sabourin, ou « de les utiliser à d'autres fins » : ordonnance du 4 mai 2006, juge Campbell (voir d.a., vol. I, p. 2). L'injonction ordonnait aussi à toute personne au courant de son existence de [ traduction ] « prendre immédiatement des mesures pour éviter le [. . .] transfert » des biens, y compris ceux détenus dans les « comptes en fiducie » en sa possession, sous son autorité ou sous son contrôle. La Cour supérieure de justice a maintenu l'injonction à plusieurs reprises après avoir convenu que les parties devaient s'entendre sur les modifications à y apporter pour permettre le paiement des honoraires juridiques et des frais de subsistance. L'injonction n'a toutefois jamais été formellement modifiée.
[9] Quelques mois après le prononcé de la première ordonnance, M. Sabourin a envoyé à M e Carey un chèque de 500 000 $. Aucune directive n'accompagnait le chèque et M e Carey a été incapable de rejoindre son client pour obtenir des instructions. Conformément aux exigences de la réglementation du Barreau du Haut‑Canada, M e Carey a déposé le chèque dans son compte en fiducie, et ce, tout en appliquant une partie de l'argent aux honoraires impayés de M. Sabourin, puisque les parties avaient convenu que l'injonction n'interdisait pas le paiement d'honoraires juridiques raisonnables.
[10] Monsieur Sabourin a appelé M e Carey ultérieurement pour lui dire d'utiliser le reste des fonds afin de régler les réclamations des créanciers représentés par Bill Brown et qui avaient investi dans ses entreprises. Maître Carey a informé M. Sabourin qu'il ne pouvait pas obtempérer à sa demande parce que le versement d'un paiement à un tiers créancier constituerait une violation de l'injonction. Monsieur Sabourin a alors demandé à M e Carey d'essayer de négocier un règlement avec M me Laiken.
[11] Quelques jours plus tard, durant une téléconférence avec M. Brown et M e Carey, M. Sabourin a mentionné que ce dernier détenait environ 500 000 $ en fiducie. L'argent, a‑t‑il dit, était destiné à M. Brown, mais l'injonction empêchait M e Carey de le lui verser.
[12] Maître Carey n'est pas parvenu à un règlement avec les avocats de M me Laiken. En aucun temps il ne leur a révélé l'existence de l'argent détenu en fiducie. Après l'échec des négociations en vue d'un règlement, M. Sabourin a demandé à M e Carey de lui remettre le reste des fonds, ce que M e Carey a fait après avoir déduit un certain montant pour couvrir ses honoraires futurs. Maître Carey a remis à M. Sabourin en octobre et en novembre 2006 un montant total de 440 000 $.
[13] Au début de l'année 2007, M. Sabourin a appelé M e Carey, a mis fin à son mandat de représentation et lui a demandé de ne rien faire jusqu'à ce qu'il ait retenu les services d'un nouvel avocat. Peu de temps après cet appel, M. Sabourin a cessé ses activités et a disparu. Maître Carey n'a jamais reçu d'avis de changement d'avocat et il est resté l'avocat inscrit au dossier dans l'affaire Laiken‑Sabourin.
[14] Plus tard la même année, M. Brown a obtenu un jugement contre M. Sabourin ainsi qu'une ordonnance de mise sous séquestre de ses biens et de ceux de ses entreprises. Comme il a été informé de l'existence des fonds en fiducie que M e Carey avait détenus pour M. Sabourin, le séquestre a demandé à M e Carey de lui fournir une reddition de compte complète de ces fonds. Maître Carey a répondu qu'il avait reçu 500 000 $ de M. Sabourin, qu'il lui avait remis 440 000 $ et qu'il restait à peine plus de 6 000 $ dans le compte. Maître Carey a indiqué qu'il estimait pouvoir fournir ces renseignements sans violer le secret professionnel, mais il a refusé de fournir d'autres renseignements ou documents qui, selon lui, étaient protégés par le secret professionnel. Une ordonnance judiciaire subséquente enjoignait à M e Carey de donner une [ traduction ] « reddition complète de tous les fonds » de M. Sabourin, ce qu'il a fait.
[15] En novembre 2007, M me Laiken a obtenu un jugement sommaire rejetant la demande que M. Sabourin avait présentée contre elle et lui accordant plus d'un million de dollars en dommages‑intérêts et dépens dans le cadre de sa demande reconventionnelle pour fraude.
C. La procédure pour outrage
[16] Madame Laiken a demandé que M e Carey soit reconnu coupable d'outrage. Selon elle, il avait violé l'injonction Mareva en retournant à M. Sabourin les 440 000 $ détenus dans son compte en fiducie. Les décisions successives se rapportant à cette demande ont finalement donné lieu au présent pourvoi.
[17] En Ontario, les procédures pour outrage civil sont régies par l'article 60.11 des Règles de procédure civile , R.R.O. 1990, Règl. 194. Aux termes de cet article, une partie peut présenter une motion dans le but d'obtenir une ordonnance pour outrage : par. 60.11(1). Dans sa décision sur la motion, un juge peut « rendre une ordonnance juste » et, s'il « conclut » que la personne est coupable d'outrage, il peut ordonner qu'elle soit incarcérée, paie une amende, fasse ou s'abstienne de faire quelque chose, paie des dépens justes et se conforme à l'autre ordonnance que le juge estime nécessaire : par. 60.11(5). « Un juge peut, sur motion, modifier ou annuler une ordonnance rendue en application du paragraphe (5) [. . .], donner des directives qui s'y rapportent ou en donner mainlevée. Il peut accorder une autre mesure de redressement et rendre l'ordonnance qu'il estime juste » : par. 60.11(8).
[18] Les Règles ne précisent pas la forme que doivent prendre les procédures pour outrage. Cependant, en général, elles sont scindées en deux étapes distinctes : l'étape relative à la responsabilité — durant laquelle la question de la responsabilité est soulevée et un moyen de défense est invoqué — puis, si la responsabilité est établie, l'étape de la détermination de la peine. Dans les procédures pour outrage, la responsabilité et la peine sont deux questions distinctes : College of Optometrists (Ont.) c. SHS Optical Ltd. , 2008 ONCA 685, 241 O.A.C. 225, par. 72‑75.
[19] C'est dans ce cadre procédural que les tribunaux de l'Ontario ont examiné la motion de M me Laiken par laquelle elle demandait à la cour de déclarer que M e Carey s'était rendu coupable d'outrage pour violation d'une injonction Mareva .
(1) La première décision relative à la question de l'outrage : Cour supérieure de justice de l'Ontario (la juge Roberts, 2011 ONSC 5892)
[20] La juge des motions a déclaré M e Carey coupable d'outrage et a prononcé une ordonnance à cet effet. Elle était convaincue hors de tout doute raisonnable que l'ordonnance Mareva était clairement formulée et que M e Carey l'avait [ traduction ] « sciemment et délibérément violée » en transférant les fonds détenus dans son compte en fiducie à M. Sabourin (par. 42 (CanLII)). Elle a en outre ordonné aux parties de comparaître devant elle à une date ultérieure pour une autre audience et indiqué qu'elle prendrait en considération tout autre élément de preuve et témoignages présentés par les parties avant de rendre une ordonnance en vertu des par. 60.11(5) et 60.11(8).
(2) La décision relative à la demande de sursis : Cour d'appel de l'Ontario (le juge Sharpe, 2011 ONCA 757, 286 O.A.C. 273)
[21] Un juge de la Cour d'appel a rejeté la motion présentée par M e Carey en vue d'obtenir un sursis d'exécution de l'ordonnance de la juge des motions et de toute autre procédure jusqu'à la décision sur l'appel de cette ordonnance. La Cour d'appel a conclu que la procédure d'outrage n'était pas encore terminée et que, jusqu'à ce qu'elle le soit, elle ne connaîtrait pas certains renseignements pertinents, notamment la réponse à la question de savoir si la juge estimait que l'outrage était négligeable ou grave.
(3) La deuxième décision relative à la question de l'outrage : Cour supérieure de justice de l'Ontario (la juge Roberts, 2012 ONSC 7252, [2012] O.J. No. 6596 (QL))
[22] Lors de la reprise des procédures devant la juge des motions, M e Carey a demandé la réouverture de l'audience relative à l'outrage. Il a déposé de nouveaux éléments de preuve, y compris un affidavit signé par M e Alan Lenczner c.r., qui précisait que, en remettant la somme excédant le montant nécessaire pour couvrir ses honoraires, M e Carey avait agi conformément à la pratique habituelle des avocats. Maître Carey a aussi témoigné sur ce qu'il considérait comme ses obligations professionnelles et ses motivations lorsqu'il s'occupait des fonds en fiducie.
[23] La juge des motions a annulé sa conclusion d'outrage. Vu la nouvelle preuve, elle n'était plus convaincue que l'ordonnance était claire et que M e Carey avait fait preuve d'aveuglement volontaire au moment de l'interpréter.
(4) La décision en appel : Cour d'appel de l'Ontario (le juge Sharpe (avec l'accord des juges Rosenberg et Gillese), 2013 ONCA 530, 367 D.L.R. (4th) 415)
[24] La Cour d'appel a accueilli l'appel à l'unanimité et a rétabli la conclusion initiale d'outrage. Selon elle, la juge des motions avait commis une erreur en l'annulant. Maître Carey avait utilisé la deuxième étape de la procédure pour outrage de façon inappropriée dans le but de contester les conclusions rendues antérieurement par la juge des motions et il a fondé cette contestation sur des éléments de preuve qu'il aurait dû fournir lors de la première audience. Certes, la cour aurait pu trancher l'appel en se fondant sur ces motifs touchant à la procédure, mais elle a conclu en outre que la juge des motions avait commis une erreur en déclarant que M e Carey n'était pas coupable d'outrage.
[25] La Cour d'appel a convenu que M e Carey ne voulait pas et n'avait pas sciemment choisi de désobéir à l'ordonnance, mais elle a conclu qu'il n'était pas nécessaire de faire la preuve de son intention pour qu'il soit déclaré coupable d'outrage civil. Maître Carey connaissait l'existence d'une ordonnance judiciaire dont le libellé était limpide et il a commis un acte en violation de cette ordonnance. Cela suffisait pour qu'il s'agisse d'un outrage civil.
III. Analyse
A. Première question : pour commettre un outrage, M e Carey devait‑il avoir l'intention d'entraver l'administration de la justice?
(1) Aperçu
[26] Durant la première audience relative à l'outrage, la juge Roberts a indiqué, à bon droit selon moi, que [ traduction ] « l'outrage civil consiste en l'accomplissement intentionnel d'un acte interdit par l'ordonnance » : 2011 ONSC 5892, par. 24 (CanLII). Cependant, elle a ultérieurement annulé sa première conclusion et conclu ce qui suit :
[ traduction ] Compte tenu du témoignage de M e Carey, de la longue histoire entre les clients de M e Carey et la demanderesse, de l'avis de M e Carey sur le bien‑fondé de la demande, de la forme inhabituelle de l'ordonnance Mareva datée du 4 mai 2006 et des modifications, adoptées après consultation et entente entre avocats, lesquelles n'ont pas été énoncées dans un document au moyen d'une modification à l'ordonnance, j'ai un doute raisonnable quant à savoir si les prescriptions de l'ordonnance Mareva datée du 4 mai 2006 étaient totalement claires pour M e Carey , et je ne suis pas convaincue hors de tout doute raisonnable que M e Carey a fait preuve d'aveuglement volontaire quand il a interprété cette ordonnance . [Je souligne; 2012 ONSC 7252, par. 36.]
[27] La Cour d'appel a toutefois conclu qu'il était erroné en droit de conclure à l'impossibilité de déclarer M e Carey coupable d'outrage parce qu'il n'avait pas délibérément violé l'ordonnance. Madame Laiken n'avait pas à prouver que M e Carey avait « délibérément » violé l'ordonnance ou, comme l'a indiqué la Cour d'appel ailleurs dans ses motifs, à établir une « intention de désobéir » : 2013 ONCA 530, par. 65 et 62. Aux termes de l'ordonnance, il était clairement interdit d'utiliser les fonds détenus en fiducie appartenant à M. Sabourin. Or, Maître Carey connaissait l'existence de l'ordonnance et il a intentionnellement transféré les fonds, un acte contraire à l'ordonnance. Cela suffit pour établir les éléments constitutifs de l'outrage civil.
[28] Devant la Cour, les parties ont consacré une portion importante de leurs observations écrites à l'élément moral de l'outrage civil. Selon M e Carey, dans diverses circonstances — à savoir, lorsque l'auteur présumé de l'outrage ne peut pas faire amende honorable pour ce dernier, ou quand elle est un avocat ou une tierce partie à l'ordonnance —, il faut prouver l'intention d'entraver l'administration de la justice. Autrement dit, dans ces circonstances, la désobéissance ou l'intention de violer l'ordonnance est un élément constitutif de l'infraction. Madame Laiken formule la question un peu différemment. Plutôt que de considérer la question comme touchant les éléments constitutifs de l'outrage civil, elle soutient que l'absence d'intention de désobéir ne peut servir de moyen de défense dans le cadre d'une procédure pour outrage civil, peu importe la situation de l'auteur présumé de l'outrage en question.
[29] En fait, quelle que soit sa formulation, la question se résume à celle de l'intention nécessaire pour pouvoir conclure à un outrage civil. La jurisprudence canadienne énonce clairement les exigences, dont voici un aperçu, permettant d'établir un tel outrage. La désobéissance — soit l'intention d'entraver l'administration de la justice — n'est pas un élément constitutif de l'outrage civil et, par conséquent, l'absence d'intention de désobéir ne peut être invoquée comme moyen de défense. Je ne souscris pas à l'opinion de M e Carey selon laquelle une règle différente devrait s'appliquer à ceux qui ne peuvent pas faire amende honorable pour l'outrage, aux avocats et aux tiers.
(2) L'outrage civil en common law canadienne
[30] L'outrage au tribunal « repos[e] sur le pouvoir de la cour de maintenir sa dignité et sa procédure. [. . .] La primauté du droit est directement tributaire de la capacité des tribunaux de faire observer leur procédure et de maintenir leur dignité et le respect qui leur est dû » : United Nurses of Alberta c. Alberta (Procureur général) , [1992] 1 R.C.S. 901, p. 931. Il est bien établi qu'une ordonnance pour outrage au tribunal est « avant tout une déclaration qu'une partie a transgressé une ordonnance judiciaire » : Pro Swing Inc. c. Elta Golf Inc. , 2006 CSC 52, [2006] 2 R.C.S. 612, par. 35, cité dans Bell ExpressVu Limited Partnership c. Torroni , 2009 ONCA 85, 94 O.R. (3d) 614, par. 20.
[31] La common law a évolué et reconnaît maintenant deux formes d'outrage au tribunal : l'outrage criminel et l'outrage civil. La distinction, qu'acceptent les parties au présent pourvoi, repose sur l'élément de transgression publique qui accompagne l'outrage criminel : voir, p. ex, United Nurses , p. 931; Poje c. Attorney General for British Columbia , [1953] 1 R.C.S. 516, p. 522. L'outrage civil, qui ne suppose aucune transgression publique, a, de façon générale, une dimension avant tout coercitive plutôt que punitive : R. J. Sharpe, Injunctions and Specific Performance , (2 e éd. (feuilles mobiles)), ¶ 6.100. Cependant, la condamnation à des sanctions dans les cas d'outrage civil a notamment pour objectif de punir la violation d'une ordonnance judiciaire : Chiang (Trustee of) c. Chiang , 2009 ONCA 3, 305 D.L.R. (4th) 655, par. 117. Les tribunaux infligent parfois de lourdes amendes dans le but d'établir une correspondance avec la gravité de l'outrage, de mettre un terme à la conduite de l'auteur de l'outrage et de dissuader autrui d'adopter une conduite semblable : Sharpe, ¶ 6.100.
[32] L'outrage civil comporte trois éléments, qui doivent être établis hors de tout doute raisonnable : Prescott‑Russell Services for Children and Adults c. G. (N.) (2007), 82 O.R. (3d) 686 (C.A.), par. 27; College of Optometrists , par. 71; Bhatnager c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) , [1990] 2 R.C.S. 217, p. 224‑225; Jackson c. Honey , 2009 BCCA 112, 267 B.C.A.C. 210, par. 12‑13; TG Industries Ltd. c. Williams , 2001 NSCA 105, 196 N.S.R. (2d) 35, par. 17 et 32; Godin c. Godin , 2012 NSCA 54, 317 N.S.R. (2d) 204, par. 47; Soper c. Gaudet , 2011 NSCA 11, 298 N.S.R. (2d) 303, par. 23. Ces trois éléments, conjugués à une norme de preuve plus rigoureuse, aident à assurer que les conséquences pénales qu'entraîne une conclusion d'outrage soient imposées seulement dans les cas appropriés : Bell ExpressVu , par. 22; Chiang , par. 10‑11.
[33] Le premier élément veut que l'ordonnance dont on allègue la violation [ traduction ] « formule[. . .] de manière claire et non équivoque ce qui doit et ne doit pas être fait » : Prescott‑Russell , par. 27; Bell ExpressVu , par. 28, citant avec approbation Jaskhs Enterprises Inc. c. Indus Corp. , 2004 CanLII 32262 (C.S.J. Ont.), p. 40. Cette exigence de clarté garantit qu'une personne ne sera pas reconnue coupable d'outrage lorsqu'une ordonnance n'est pas claire : Pro Swing , par. 24; Bell ExpressVu , par. 22. Il peut être établi qu'une ordonnance n'est pas claire si, par exemple, il manque un détail essentiel sur l'endroit, le moment ou l'individu visé par l'ordonnance, si elle est formulée en des termes trop larges ou si des circonstances extérieures ont obscurci son sens : Culligan Canada Ltd. c. Fettes , 2010 SKCA 151, 326 D.L.R. (4th) 463, par. 21.
[34] Le deuxième élément veut que la partie à qui on reproche d'avoir violé l'ordonnance doive avoir été réellement au courant de son existence : Bhatnager , p. 226; College of Optometrists , par. 71. Il est possible de conclure à la connaissance de l'ordonnance dans les circonstances ou d'imputer la responsabilité à la personne à qui on reproche l'outrage en se fondant sur le principe de l'aveuglement volontaire : ( ibid. ).
[35] Enfin, la personne qui aurait commis la violation doit avoir intentionnellement commis un acte interdit par l'ordonnance ou intentionnellement omis de commettre un acte comme elle l'exige : Sheppard c. Sheppard (1976), 12 O.R. (2d) 4 (C.A.), p. 8. La signification de cet élément est une des principales questions soulevées dans le présent pourvoi et je vais l'examiner plus en détail ci‑après.
[36] Le pouvoir en matière d'outrage est discrétionnaire et les tribunaux ont toujours refusé de l'exercer de façon routinière pour faire respecter des ordonnances judiciaires : voir p. ex., Hefkey c. Hefkey , 2013 ONCA 44, 30 R.F.L. (7 th ) 65, par. 3. S'il est trop facile de conclure à un outrage au tribunal, il [ traduction ] « pourrait être perçu comme autant de fanfaronnades qui seraient susceptibles ultimement de déconsidérer le rôle et l'autorité du pouvoir judiciaire qu'il vise précisément à protéger » : Centre commercial Les Rivières ltée c. Jean Bleu inc. , 2012 QCCA 1663, par. 7. Comme la Cour l'a confirmé, « l'outrage au tribunal ne peut être réduit à un simple moyen d'exécution des jugements » : Vidéotron Ltée c. Industries Microlec Produits Électroniques Inc. , [1992] 2 R.C.S. 1065, p. 1078, citant Daigle c. St‑Gabriel‑de‑Brandon (Paroisse) , [1991] R.D.J. 249 (C.A. Qué.). Le pouvoir en cette matière devrait plutôt être exercé [ traduction ] « avec prudence et avec une grande réserve » : TG Industries , par. 32. Il s'agit en outre d'un pouvoir qui ne doit être exercé qu'en dernier recours : Hefkey , par. 3; St. Elizabeth Home Society c. Hamilton (City) , 2008 ONCA 182, 89 O.R. (3d) 81, par. 41‑43; Centre commercial Les Rivières ltée , par. 64.
[37] Par exemple, lorsque l'auteur présumé de l'outrage a agi de bonne foi et pris des mesures raisonnables pour se conformer à l'ordonnance, le juge saisi de la motion conserve généralement un certain pouvoir discrétionnaire pour refuser de tirer une conclusion d'outrage : voir p. ex . , Morrow, Power c. Newfoundland Telephone Co. et al. (1994), 121 Nfld. & P.E.I.R. 334 (C.A. T.‑N.), par. 20; TG Industries , par. 31. Même si je préfère ne pas circonscrire toute la portée de ce pouvoir discrétionnaire — puisque la question n'a pas été débattue devant la Cour —, je ne veux pas écarter la possibilité qu'un juge puisse exercer correctement son pouvoir discrétionnaire et refuser de conclure à l'outrage lorsqu'une telle conclusion entraînerait une injustice dans les circonstances de l'affaire.
(3) L'« intention » requise
[38] Il est bien établi en common law canadienne que, pour établir l'outrage civil, il suffit de prouver hors de tout doute raisonnable que son auteur présumé a intentionnellement commis un acte — ou omis d'agir — en violation d'une ordonnance claire dont il avait connaissance : Prescott‑Russell , par. 27; College of Optometrists , par. 71; Sheppard , p. 8; TG Industries , par. 17 et 32; Bhatnager , p. 224‑225; Sharpe, ¶ 6.190. La Cour d'appel a suivi cette approche. Comme elle l'a fait remarquer, exiger que l'auteur de l'outrage ait eu l'intention de désobéir à l'ordonnance rendrait la norme [ traduction ] « trop élevée » et ferait en sorte que les « erreurs de droit [deviendraient] un moyen de défense qu'il serait possible d'invoquer contre une accusation d'outrage civil, mais pas contre une accusation de meurtre » (2013 ONCA 530, par. 59). L'intention de désobéir ou l'absence d'une telle intention se rapporte plutôt à la peine à infliger par suite d'une conclusion d'outrage : par. 62; voir aussi Sheppard et Sharpe, ¶ 6.200.
[39] L'appelant soutient toutefois que, lorsque l'auteur présumé de l'outrage ne peut pas « faire amende honorable » pour ce dernier ou qu'il est un avocat ou un tiers à l'ordonnance, il faut prouver qu'il avait l'intention d'entraver l'administration de la justice. Selon ce que j'en comprends, cela veut dire que [ traduction ] « l'intention de désobéir, c'est‑à‑dire le fait de vouloir désobéir à l'ordonnance ou de choisir sciemment de le faire », doit être établie : TG Industries , par. 17.
[40] L'appelant soutient que l'élément moral de l'outrage civil doit rendre compte d'au moins un des deux objectifs de l'outrage civil : assurer le respect des ordonnances judiciaires ou protéger l'intégrité de l'administration de la justice. Déclarer une personne coupable d'outrage au tribunal alors qu'elle ne peut pas faire amende honorable pour l'outrage en question (soit parce que l'acte qui le constituait ne peut pas être annulé ou parce qu'une obligation légale contradictoire l'en empêche) ne contribue à la réalisation d'aucun de ces objectifs en l'absence d'un plus grand élément moral requis pour conclure qu'il y a eu outrage. Ce n'est que s'il est établi que la personne avait l'intention d'entraver l'administration de la justice qu'un de ces objectifs — soit celui de protéger l'intégrité de l'administration de la justice — serait atteint.
[41] Je ne peux pas souscrire à cette position. Il n'existe aucune raison logique de déroger aux éléments constitutifs de l'outrage civil reconnus dans des cas où il est devenu impossible de se conformer à l'ordonnance pour l'une ou l'autre des raisons invoquées par l'appelant. Lorsque, comme en l'espèce, les agissements contraires aux modalités d'une ordonnance judiciaire de la personne elle-même font en sorte qu'il est impossible pour elle de respecter l'ordonnance à l'avenir, je ne crois pas qu'il soit logique ou juste d'exiger une preuve d'un degré plus élevé de faute pour établir qu'il y a eu outrage. L'appelant ne tient pas compte non plus du fait que l'un des objectifs du pouvoir en matière d'outrage consiste à décourager toute violation des ordonnances judiciaires, favorisant ainsi le respect de l'administration de la justice. Il va à l'encontre de cet objectif de faire preuve d'une indulgence particulière envers les personnes ayant commis des actes qui sont contraires à une ordonnance et qui en empêchent le respect pour l'avenir. Il me semble que le pouvoir discrétionnaire actuel de ne pas tirer une conclusion d'outrage ainsi que le moyen de défense fondé sur l'impossibilité de se conformer conviennent davantage qu'un degré plus élevé de faute ne le ferait quand une personne n'est pas en mesure de faire amende honorable pour outrage pour les raisons énoncées par l'appelant : Jackson , par. 14; Sussex Group Ltd. c. Fangeat , 42 C.P.C. (5th) 274, par. 56 (C.S.J. Ont.).
[42] L'appelant souligne avec raison que l'outrage civil est de nature quasi criminelle. Selon lui, cela justifie d'exiger un degré de faute plus élevé quand la personne ne peut pas faire amende honorable pour l'outrage. L'outrage civil est cependant toujours de nature quasi criminelle. Cela ne justifie donc pas la création d'un élément moral distinct pour certains cas d'outrage civil. Comme je l'ai déjà mentionné, exiger qu'il y ait eu une intention de désobéir permettrait de considérer les erreurs de droit comme un moyen de défense à l'encontre d'une allégation d'outrage civil. Cela permettrait également à l'auteur présumé de l'outrage de se fonder sur une mauvaise interprétation d'une ordonnance claire pour éviter une conclusion d'outrage. Or, cela minerait sérieusement l'autorité des ordonnances judiciaires.
[43] De plus, adopter la thèse de l'appelant aurait pour effet de rendre l'élément moral requis tributaire de la nature de l'ordonnance dont on allègue la violation. En effet, ceux qui violent une ordonnance d'interdiction tireraient un avantage disproportionné de cet élément moral plus rigoureux — en raison de l'impossibilité subséquente de s'y conformer — comparativement à ceux qui violent une ordonnance d'exécution — à laquelle l'auteur présumé de l'outrage pourra ensuite se conformer en l'absence d'une obligation légale contradictoire. Je ne vois aucune raison logique de créer cette distinction.
[44] L'appelant affirme également que les avocats devraient bénéficier d'une exigence plus rigoureuse en matière de faute. Je ne suis pas d'accord. Comme l'a reconnu la Cour d'appel, le fait de se fier à des conseils juridiques ne protège pas une personne contre une conclusion d'outrage : par. 61, citant Re Tyre Manufacturers' Agreement , [1966] 2 All E.R. 849 (R.P.C.), p. 862; Canada Metal Co. c. C.B.C. (No. 2) (1974), 48 D.L.R. (3d) 641, p. 661, conf. (1975) 65 D.L.R. (3d) 231 (C.A. Ont.). Encore moins faudrait‑il permettre aux avocats d'éviter d'être déclarés coupables d'outrage parce qu'ils se sont, dans les faits, fondés sur leurs propres conseils juridiques.
[45] S'agissant des tiers, l'appelant invoque certaines décisions rendues au Royaume‑Uni et en Australie selon lesquelles l'intention d'entraver l'administration de la justice est nécessaire pour déclarer un tiers coupable d'outrage : p. ex., Customs and Excise Commissioners c. Barclays Bank plc , [2006] UKHL 28, [2007] 1 A.C. 181, par. 29; Attorney General c. Punch Ltd. , [2002] UKHL 50, [2003] 1 A.C. 1046, par. 87; Z. Ltd. c. A.‑Z. , [1982] 2 W.L.R. 288, p. 305 (C.A.); Baker c. Paul , [2013] NSWCA 426 (AustLII), par. 19. Il a aussi été souligné qu'il [ traduction ] « semblerait qu'un degré d'intention plus élevé soit nécessaire pour déclarer un tiers coupable d'outrage » : Sharpe, ¶ 6.210.
[46] La réponse courte à cet argument est que, même en reconnaissant cette jurisprudence, M e Carey n'entre pas dans la même catégorie que les tiers dont il est question dans ces précédents. Soit dit en tout respect, je souscris au passage suivant tiré des motifs du juge Sharpe de la Cour d'appel :
[ traduction ] Étant donné le lien qui existe entre un avocat et son client, M e Carey et M. Sabourin ont des intérêts communs, qu'il est manifestement possible de distinguer de ceux que pourrait avoir un tiers au litige qui est informé de l'existence de l'ordonnance judiciaire. En sa qualité d'officier de justice, l'avocat inscrit au dossier est tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir le respect des ordonnances judiciaires. [. . .] [À] titre d'avocat inscrit au dossier en l'espèce, M e Carey doit être assujetti à la même norme de conformité que son client qui était une partie au litige. [par. 64]
(4) Conclusion
[47] Je conclus que l'intention de désobéir n'était pas nécessaire en l'espèce et que, dans la mesure où la juge de première instance a tiré une conclusion différente en infirmant sa conclusion initiale d'outrage, elle a commis une erreur de droit.
B. Deuxième question : maître Carey s'est‑il rendu coupable d'outrage?
[48] Maître Carey prétend ne pas avoir commis d'outrage et fait valoir deux arguments principaux à l'appui de sa prétention. Il soutient d'abord que le versement à M. Sabourin des fonds détenus en fiducie n'était pas un « transfert » au sens de l'ordonnance, soit parce qu'il n'y a eu aucun changement quant à la propriété effective des fonds, soit parce qu'il s'agissait du remboursement d'un versement excédentaire d'honoraires que permettaient les modifications informellement apportées à l'ordonnance. Il affirme ensuite que sa conduite était conforme à ses obligations découlant du secret professionnel et que, par conséquent, les gestes qu'il a posés ne peuvent être jugés contraires à l'injonction Mareva . L'existence des fonds de M. Sabourin qui étaient détenus dans son compte en fiducie était protégée par le secret professionnel; il avait donc l'obligation de ne pas divulguer qu'ils se trouvaient dans son compte. Cela dit, M e Carey soutient aussi que les fonds auraient été soustraits à l'exécution du jugement s'il les avait laissés dans le compte et avait maintenu le secret professionnel. Selon lui, sa seule option conforme aux obligations professionnelles auxquelles il était tenu envers son client et envers la cour était de retourner les fonds à M. Sabourin comme il l'a fait, et le caractère privilégié des fonds l'empêchait de demander conseil à la cour sur la bonne façon de procéder.
[49] Soit dit en tout respect, ni l'un ni l'autre de ces arguments ne résiste à un examen minutieux.
(1) Le « transfert »
[50] Maître Carey prétend qu'il n'y a pas eu transfert de fonds au sens de l'ordonnance puisqu'il n'y a eu aucun changement quant à leur propriété effective lorsqu'il les a remis à M. Sabourin. Comme l'a souligné la Cour d'appel, l'ordonnance visait à empêcher toute utilisation de l'actif de M. Sabourin qui entraverait le processus judiciaire (par. 50). La thèse de M e Carey, si elle était retenue, signifierait que, dans les faits, l'ordonnance autorisait les fiduciaires des actifs détenus au bénéfice de M. Sabourin à les transférer librement d'un compte à un autre et même d'un lieu à un autre, et à ainsi les mettre hors de portée du tribunal advenant une procédure d'exécution, et ce, tant et aussi longtemps que M. Sabourin en conservait la propriété effective. Il serait illogique d'interpréter ainsi l'ordonnance puisqu'une telle interprétation contrecarrerait manifestement son objectif et serait contraire à son libellé limpide qui interdit spécifiquement à ceux qui en connaissent l'existence d' « utiliser » les actifs de M. Sabourin. Pour ces motifs, je ne peux accepter la position de M e Carey.
[51] Maître Carey soutient également que la remise des fonds à M. Sabourin ne constituait pas un « transfert » au sens de l'injonction parce qu'il s'agissait simplement du remboursement d'un versement excédentaire d'honoraires raisonnables dont le paiement était autorisé par les modifications informelles acceptées par les avocats apportées à l'ordonnance. Maître Carey prétend également que le remboursement du versement excédentaire correspondait à la norme de pratique de l'époque. En outre, si le fait de remettre les fonds détenus en fiducie à M. Sabourin constituait effectivement un « transfert », ce transfert aurait eu pour effet de corriger la violation de l'ordonnance qui aurait eu lieu quand M. Sabourin a initialement transféré les fonds à M e Carey afin qu'il les dépose dans son compte en fiducie.
[52] Maître Carey a qualifié le montant de 500 000 $ détenu dans son compte en fiducie de « versement excédentaire d'honoraires raisonnables » ce qui, en l'espèce, est extrêmement artificiel. De plus, même si j'acceptais cette qualification (ce qui n'est pas le cas), les termes clairs de l'ordonnance interdisaient tout de même tout transfert de fonds [ traduction ] « excédentaires ». Par ailleurs, même si nous ne sommes pas saisis de la question de savoir si le transfert initial des fonds, de M. Sabourin à M e Carey, violait l'ordonnance, je rejette l'argument de M e Carey voulant que, si cela avait constitué une violation de l'ordonnance, il fût justifié de commettre une autre violation en retournant l'argent à M. Sabourin.
[53] À mon avis, les observations de M e Carey sur cette question reposent sur une prétendue incertitude alors qu'il n'en existe aucune. L'ordonnance interdisait clairement, comme l'a souligné la Cour d'appel au par. 49 de ses motifs, que l'argent détenu en fiducie fasse l'objet de quelque opération que ce soit. Les autres agissements de M e Carey indiquaient qu'il comprenait que, même en tenant compte des modifications acceptées officieusement par les avocats dans le but de permettre le paiement des honoraires et des frais de subsistance ordinaires, l'ordonnance était en vigueur et qu'il était lié par elle. Il a tenté sans succès de la faire modifier afin de permettre que des paiements soient effectués à des tiers créanciers et, parce qu'il y était assujetti, il a refusé, à bon droit, de suivre les directives de M. Sabourin et d'utiliser l'argent détenu en fiducie pour régler les réclamations présentées par M e Brown.
(2) Secret professionnel
[54] Les arguments que M e Carey a présentés devant la Cour ne m'ont pas convaincu qu'il y avait un véritable conflit entre l'ordonnance et ses obligations professionnelles, de sorte qu'il n'avait d'autre choix que de remettre les fonds détenus en fiducie à M. Sabourin.
[55] Je tiendrai pour acquis, sans toutefois me prononcer sur la question, que l'existence des fonds était protégée par le secret professionnel au moment du transfert. Il y a certainement des arguments à prendre en considération selon lesquels le secret professionnel ne s'est jamais appliqué ou M. Sabourin y avait renoncé en divulguant l'existence des fonds à un tiers ayant des intérêts opposés, ce qui était le cas selon M me Laiken. En outre, la prétention de M e Carey en l'espèce, selon laquelle l'existence des fonds était protégée par le secret professionnel, est affaiblie par le fait qu'il a divulgué cette existence lorsqu'il a répondu à une demande de reddition complète des fonds détenus en fiducie envoyée par le séquestre dans une affaire sans rapport avec le présent litige. Il a indiqué qu'il croyait pouvoir divulguer ces renseignements sans même risquer de violer le secret professionnel. Voici en effet ce que M e Carey a écrit :
[ traduction ] [. . .] J'estime pouvoir vous donner les renseignements suivants sans risquer de violer le secret professionnel : le 21 septembre 2006, notre cabinet a reçu un chèque de 500 000 $ de Peter Sabourin. Ensuite, le 25 octobre 2006, à la demande de M. Sabourin, nous lui avons remis 400 000 $, au moyen de quatre (4) traites bancaires payables à M. Sabourin. Le 30 novembre 2006, nous avons remis à ce dernier un montant additionnel de 40 000 $. Le solde a été conservé dans le compte en fiducie et utilisé pour payer les honoraires, ce qui explique le solde qui se trouve présentement dans notre compte. [Je souligne; lettre de M e Carey au séquestre, 1 er novembre 2007; d.a., vol. IV, p. 145.]
[56] Quoi qu'il en soit, l'obligation qu'a assumée M e Carey relativement au secret professionnel n'était pas incompatible avec son obligation de respecter l'ordonnance. Pour s'acquitter des deux obligations, il n'avait qu'à laisser les fonds dans son compte en fiducie après qu'ils y eurent été déposés. Ainsi, il aurait préservé la confidentialité en ce qui a trait aux fonds, conformément à son obligation de respect du secret professionnel, et il aurait respecté les prescriptions de l'ordonnance Mareva de ne pas transférer des fonds détenus en fiducie pour M. Sabourin.
[57] À mon avis, il n'aurait pas été contraire aux autres obligations professionnelles de M e Carey qu'il laisse les fonds dans son compte en fiducie. Il a dit craindre que, s'il avait agi ainsi, il aurait contribué à les soustraire à l'exécution du jugement dans le cas où M me Laiken aurait gain de cause dans son action intentée contre M. Sabourin. Cette position n'est pas seulement illogique, mais aussi ironique étant donné que le transfert des fonds a certainement eu cet effet. Certes, si M e Carey avait conservé les fonds, il aurait pu y avoir un conflit au moment du prononcé d'un jugement contre M. Sabourin en faveur de M me Laiken. Maître Carey aurait alors pu être aux prises avec un dilemme éthique : comment aurait‑il réussi à s'acquitter des obligations qui lui incombent en matière de secret professionnel (en tenant pour acquis que l'existence des fonds détenus en fiducie était protégée par le secret professionnel), à respecter l'ordonnance Mareva et à se conformer à son obligation d'éviter d'aider son client à se soustraire à l'exécution du jugement? M e Carey ne peut toutefois pas répondre à cela qu'il a violé l'ordonnance pour éviter un futur dilemme éthique.
[58] Si l'on admet que M e Carey croyait — bien qu'erronément — qu'il y avait un véritable conflit, d'autres solutions appropriées s'offraient à lui, mis à part celle de décider unilatéralement de violer l'ordonnance. L'approche unilatérale qu'il a adoptée n'a accordé aucune valeur au principe fondamental selon lequel « une ordonnance rendue par une cour compétente est valide, concluante et a force exécutoire, à moins d'être infirmée en appel ou légalement annulée » : Wilson c. La Reine. , [1983] 2 R.C.S. 594, p. 599. Voir aussi Ontario (Attorney General) c. Paul Magder Furs Ltd. (1991), 6 O.R. (3d) 188 (C.A.), p. 192 : [ traduction ] « Il va de soit que tant et aussi longtemps qu'une [. . .] ordonnance demeure en vigueur, elle doit être respectée. »
[59] Tout d'abord, M e Carey aurait pu tenter d'obtenir une décision précisant si l'existence des fonds en fiducie était protégée par le secret professionnel. Il y aurait eu un véritable conflit seulement dans ce cas. À un moment donné, il a lui‑même pensé qu'il pouvait divulguer des renseignements sur l'existence des fonds sans risquer de violer le secret professionnel. Il aurait également pu demander à son client de renoncer au privilège à l'égard de l'existence des fonds. Si M. Sabourin avait accepté, il n'y aurait eu aucune possibilité de conflit futur. Maître Carey aurait aussi pu demander une modification de l'ordonnance ou chercher à obtenir des directives du tribunal à huis clos et en l'absence de l'autre partie. Or, rien n'indique que M e Carey a pris l'une ou l'autre de ces mesures ou qu'il a envisagé de le faire.
[60] Quoi qu'il en soit, nous n'avons pas à statuer de manière définitive sur ce que M e Carey aurait dû faire plutôt que de décider unilatéralement de remettre l'argent. Cependant, une chose est sûre : M e Carey n'était tenu à aucune obligation légale ou éthique qui l'obligeait à violer l'injonction en remettant les fonds en fiducie à M. Sabourin ou qui était incompatible avec le respect de l'ordonnance. Je reconnais que M e Carey n'a pas violé l'ordonnance de façon malveillante ou avec l'intention d'entraver l'administration de la justice, mais le droit n'exige pas que ce soit le cas pour qu'il soit satisfait aux éléments constitutifs de l'outrage civil.
C. Troisième question : la juge des motions pouvait‑elle annuler sa conclusion initiale d'outrage?
[61] Selon la Cour d'appel, la juge des motions a commis une erreur en annulant sa conclusion initiale d'outrage. Ni les Règles ni la jurisprudence ne prévoient le recours à la procédure suivie par la juge des motions. Les intérêts de la justice sont mieux servis quand le principe du caractère définitif des jugements est respecté. Or, M e Carey a utilisé la deuxième étape de la procédure pour contester les conclusions et la déclaration d'outrage de la juge des motions. Cela était inapproprié (par. 30‑32).
[62] La cour a relevé deux restrictions à la règle générale selon laquelle une conclusion d'outrage rendue à la première audience est définitive. Premièrement, selon l'art. 60.11, un juge peut annuler une conclusion d'outrage si l'auteur de ce dernier a fait amende honorable, puisque la procédure pour outrage aura alors permis de garantir le respect de l'ordonnance judiciaire. Deuxièmement, la procédure pour outrage est assujettie aux principes de base qui permettent de revoir les conclusions d'une décision dans des circonstances exceptionnelles afin que soient examinés de nouveaux éléments de preuve ou de nouveaux faits dont le tribunal ne disposait pas lors de la première audience.
[63] L'appelant soutient que la Cour d'appel a eu tort pour deux raisons principales. Il fait valoir d'abord que le par. 60.11(8) confère au tribunal le pouvoir discrétionnaire d'annuler une conclusion d'outrage et ensuite que la nature quasi criminelle d'une procédure pour outrage civil exige que les juges conservent le pouvoir discrétionnaire d'annuler une conclusion au motif qu'il y a de nouveaux éléments de preuve substantiels. L'appelant affirme que la juge des motions a correctement exercé son pouvoir discrétionnaire pour annuler la conclusion d'outrage en l'espèce.
[64] Je ne souscris pas à ces arguments et je suis d'accord avec la Cour d'appel pour essentiellement les mêmes raisons qu'elle a exposées.
[65] Tout d'abord, dans le cadre de procédures pour outrage civil, une fois qu'une conclusion d'outrage a été tirée à la première étape d'une procédure scindée, cette conclusion est habituellement définitive. Comme l'a souligné la Cour d'appel [ traduction ] « [l]a partie qui fait l'objet d'une motion pour outrage n'a pas le droit de présenter une défense partielle [à l'étape de la responsabilité] et ensuite, si le plan initial échoue, d'avoir une deuxième chance » à l'étape de la détermination de la peine (par. 32). Cela irait à l'encontre de l'objet de la première audience. C'est ce que la juge de première instance a permis, à tort, à M e Carey de faire.
[66] Sans énoncer de manière exhaustive les circonstances dans lesquelles un juge peut, à bon droit, revenir sur une conclusion d'outrage qu'il avait initialement tirée, je conviens avec la Cour d'appel qu'un juge peut le faire quand l'auteur de l'outrage se conforme ultérieurement à l'ordonnance ou qu'il fait amende honorable ou, dans des circonstances exceptionnelles, quand de nouveaux faits ou éléments de preuve sont révélés après que la conclusion d'outrage eut été tirée.
[67] La juge des motions craignait que le fait de refuser d'examiner les nouveaux éléments de preuve entraîne une erreur judiciaire, mais j'estime que ni l'art. 60.11 ni la jurisprudence ne lui permettaient de revenir sur sa première conclusion dans les circonstances de l'espèce. Le par. 60.11(8) permet à un juge, sur motion, de « modifier ou [d']annuler une ordonnance rendue en application du paragraphe (5) ou (6), [de] donner des directives qui s'y rapportent ou [d'] en donner mainlevée. Il peut accorder une autre mesure de redressement et rendre l'ordonnance qu'il estime juste ». S'appuyant sur les remarques de la Cour d'appel dans sa décision relative au sursis, la juge des motions croyait qu'il n'était pas nécessaire de « rouvrir » la motion pour outrage présentée par M me Laiken, puisqu'elle n'était pas encore terminée : 2012 ONCS 7252, par. 8. Je conviens avec la Cour d'appel que la juge des motions a mal interprété cet aspect de la décision relative au sursis. La Cour d'appel a eu raison de conclure que, dans ces circonstances, la juge des motions a commis une erreur dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en permettant à M e Carey de remettre en cause la conclusion initiale et en annulant cette conclusion.
IV.
V. Dispositif
[68] Je suis d'avis de rejeter le pourvoi avec dépens.



Pourvoi rejeté avec dépens.
Procureurs de l'appelant : Torys, Toronto.
Procureurs de l'intimée : Brauti Thorning Zibarras, Toronto.


Synthèse
Référence neutre : 2015 CSC 17 ?
Date de la décision : 16/04/2015
Proposition de citation de la décision: Carey c. Laiken


Origine de la décision
Date de l'import : 25/10/2015
Fonds documentaire ?: Lexum
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2015-04-16;2015.csc.17 ?

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