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29/01/2009 | CANADA | N°2009_CSC_7

Canada | Ravndahl c. Saskatchewan, 2009 CSC 7 (29 janvier 2009)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Ravndahl c. Saskatchewan, 2009 CSC 7, [2009] 1 R.C.S. 181

Date : 20090129

Dossier : 32225

Entre :

Laura Ravndahl

Appelante

et

Sa Majesté la Reine du chef de la

Province de Saskatchewan représentée

par le gouvernement de la Saskatchewan et

Commission des accidents du travail

Intimées

‑ et ‑

Procureur général du Canada, Procureur général de l’Ontario,

Procureur général du Québec, Procureur général du Nouveau‑Brunswick,

Procureu

r général du Manitoba, Procureur général de la Colombie‑Britannique

Procureur général de l’Alberta et Procureur général de

Terre-Neuve-et-Labrador

Intervenants

Tra...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Ravndahl c. Saskatchewan, 2009 CSC 7, [2009] 1 R.C.S. 181

Date : 20090129

Dossier : 32225

Entre :

Laura Ravndahl

Appelante

et

Sa Majesté la Reine du chef de la

Province de Saskatchewan représentée

par le gouvernement de la Saskatchewan et

Commission des accidents du travail

Intimées

‑ et ‑

Procureur général du Canada, Procureur général de l’Ontario,

Procureur général du Québec, Procureur général du Nouveau‑Brunswick,

Procureur général du Manitoba, Procureur général de la Colombie‑Britannique

Procureur général de l’Alberta et Procureur général de

Terre-Neuve-et-Labrador

Intervenants

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Abella, Charron et Rothstein

Motifs de jugement :

(par. 1 à 29)

La juge en chef McLachlin (avec l’accord des juges Binnie, LeBel, Deschamps, Abella, Charron et Rothstein)

______________________________

Ravndahl c. Saskatchewan, 2009 CSC 7, [2009] 1 R.C.S. 181

Laura Ravndahl Appelante

c.

Sa Majesté la Reine du chef de la

province de Saskatchewan, représentée

par le gouvernement de la Saskatchewan, et

Workers’ Compensation Board Intimées

et

Procureur général du Canada,

procureur général de l’Ontario,

procureur général du Québec,

procureur général du Nouveau‑Brunswick,

procureur général du Manitoba,

procureur général de la Colombie‑Britannique,

procureur général de l’Alberta et

procureur général de Terre‑Neuve‑et‑Labrador Intervenants

Répertorié : Ravndahl c. Saskatchewan

Référence neutre : 2009 CSC 7.

No du greffe : 32225.

2008 : 17 décembre; 2009 : 29 janvier.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Abella, Charron et Rothstein.

en appel de la cour d’appel de la saskatchewan

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Saskatchewan (les juges Gerwing, Lane et Smith), 2007 SKCA 66, 299 Sask. R. 162, [2007] 10 W.W.R. 606, 43 C.P.C. (6th) 201, [2007] S.J. No. 282 (QL), 2007 CarswellSask 297, qui a accueilli en partie l’appel d’une décision de la juge Pritchard, 2004 SKQB 260, 251 Sask. R. 156, 50 C.P.C. (5th) 161, 119 C.R.R. (2d) 372, [2004] S.J. No. 374 (QL), 2004 CarswellSask 398. Pourvoi rejeté.

Robert E. Houston, c.r., pour l’appelante.

Alan F. Jacobson, pour l’intimée la province de la Saskatchewan.

Leonard D. Andrychuk, c.r., et Christy J. Stockdale, pour l’intimée Workers’ Compensation Board.

Michael H. Morris et Sean Gaudet, pour l’intervenant le procureur général du Canada.

Robert E. Charney et Rochelle S. Fox, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

Isabelle Harnois, pour l’intervenant le procureur général du Québec.

Gaétan Migneault, pour l’intervenant le procureur général du Nouveau‑Brunswick.

Michael Conner, pour l’intervenant le procureur général du Manitoba.

Jonathan G. Penner, pour l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.

Roderick S. Wiltshire, pour l’intervenant le procureur général de l’Alberta.

Argumentation écrite seulement par Barbara Barrowman, pour l’intervenant le procureur général de Terre‑Neuve‑et‑Labrador.

Version française du jugement de la Cour rendu par

[1] La Juge en chef — Dans le présent pourvoi, la Cour est appelée à déterminer si un délai de prescription prévu par la loi s’applique aux demandes personnelles de réparation constitutionnelle et, dans l’affirmative, quelles sont les incidences de ce délai de prescription sur de telles demandes.

[2] Notre Cour a énoncé la question constitutionnelle suivante :

L’article 3 de la Limitation of Actions Act, R.S.S. 1978, ch. L‑15, est‑il constitutionnellement inapplicable aux réclamations de l’appelante pour une réparation individuelle, y compris des dommages‑intérêts, la réintégration et les autres réparations pécuniaires, dans une action où elle allègue que le par. 98.1(5) de la Workers’ Compensation Act, 1979, S.S. 1979, ch. W‑17.1, et les dispositions législatives connexes sont inopérants dans la mesure où ils violent les droits que lui garantit la Charte canadienne des droits et libertés?

[3] L’appelante fait partie d’un groupe parfois désigné comme les « personnes devenues veuves avant l’entrée en vigueur de la Charte ». Avant l’entrée en vigueur, le 17 avril 1985, de la disposition de la Charte canadienne des droits et libertés relative aux droits à l’égalité, la législation en matière d’indemnisation des accidentés du travail prévoyait que les pensions versées aux conjoints survivants cesseraient à la suite d’un remariage. L’appelante, qui touchait une pension de veuve, a perdu sa prestation à la suite de son remariage le 20 octobre 1984, d’où la présente action.

[4] L’action n’a pas encore été instruite. La Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan a conclu que la cause d’action de l’appelante était assujettie à l’art. 3 de la Limitation of Actions Act, R.S.S. 1978, ch. L‑15, et qu’elle était prescrite. Les juges majoritaires de la Cour d’appel de la Saskatchewan ont accueilli l’appel et ordonné le rétablissement des demandes de réparations visant le prononcé d’un jugement déclaratoire fondé sur l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, mais ont confirmé que les demandes de réparations personnelles étaient prescrites. La juge Smith, dissidente, aurait accueilli l’appel dans sa totalité.

I. Faits et cadre législatif

[5] Le 17 novembre 1975, l’ancien mari de l’appelante est décédé des suites d’un accident du travail. Subséquemment, l’appelante a commencé à recevoir une pension mensuelle à titre de conjointe survivante à charge en vertu de la Workers’ Compensation Act, 1974, S.S. 1973‑74, ch. 127. À compter du 26 février 1979, les prestations ont été versées à l’appelante en vertu de la loi intitulée The Workers’ Compensation Act, R.S.S. 1978, ch. W‑17 (« Loi de 1978 »).

[6] Le 20 octobre 1984, l’appelante s’est remariée. Jusque‑là, les prestations qu’elle recevait à titre de conjointe survivante à charge lui étaient versées conformément à la Loi de 1978, malgré l’édiction de la loi intitulée The Workers’ Compensation Act, 1979, S.S. 1979, ch. W‑17.1, le 1er janvier 1980 (« Loi de 1979 »). Au moment de son remariage, ces prestations ont cessé de lui être versées, en application de l’art. 68 de la Loi de 1978, qui prévoyait ce qui suit :

[traduction]

68. — (1) Le conjoint survivant à charge qui se marie cesse de recevoir les versements mensuels qui lui sont faits, mais a droit, en lieu et place, à une somme globale équivalant à deux années de versements mensuels.

[7] La Workers’ Compensation Amendment Act, 1985, S.S. 1984‑85‑86, ch. 89, a modifié la Loi de 1979 par adjonction de l’art. 98.1, qui précisait qu’à compter de la date de son entrée en vigueur, soit le 1er septembre 1985, le remariage n’entraînerait plus la cessation des prestations. L’appelante ne pouvait se prévaloir de l’art. 98.1 puisqu’il ne s’appliquait qu’aux conjoints survivants à charge qui s’étaient remariés le 1er septembre 1985 ou après cette date.

[8] Le 11 mars 1999, une modification à la Workers’ Compensation General Regulations, 1985, R.S.S., ch. W-17.1, règl. 1, a rétabli les pensions de conjoint pour les personnes qui s’étaient remariées entre le 17 avril 1985 — c’est‑à‑dire le jour où la disposition de la Charte relative aux droits à l’égalité est entrée en vigueur — et le 31 août 1985 (S. Reg. 15/1999, art. 2). Le rétablissement ne prenait effet qu’à partir de la date d’entrée en vigueur de la disposition en question. Cette modification ne s’appliquait pas non plus à l’appelante, car elle s’était remariée avant le 17 avril 1985.

[9] Le 6 mai 1999, la Special Payment (Dependent Spouses) Act, S.S. 1999, ch. S‑56.01, a été promulguée. Elle prévoyait le paiement de 80 000 $ aux personnes qui ne touchaient plus de pension de conjoint parce qu’elles s’étaient remariées avant le 17 avril 1985, et obligeait le conjoint survivant à signer une quittance. L’appelante ne s’est pas prévalue de cette loi.

[10] Le 31 mars 2000, l’appelante a intenté la présente action en vue d’obtenir les réparations suivantes énoncées comme suit au par. 30 de sa déclaration modifiée :

[traduction]

a) Un jugement déclarant, en vertu de l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, que le par. 98.1(5) de la Workers’ Compensation Amendment Act, 1985 est inconstitutionnel et inopérant;

b) un jugement déclarant que le par. 98.1(5) de la Workers’ Compensation Act, 1979, ch. W‑17.1 est inconstitutionnel et inopérant;

c) un jugement déclarant que la Special Payment (Dependent Spouses) Act est inconstitutionnelle et inopérante;

d) une ordonnance rétablissant la pension de conjoint de la demanderesse;

e) des dommages‑intérêts;

f) des intérêts conformément à la Pre‑Judgment Interest Act;

g) les dépens;

h) toute autre réparation que la demanderesse peut proposer et que la cour peut accorder.

[11] La disposition applicable en matière de prescription en vigueur à la date pertinente était l’al. 3(1)j) de la Limitation of Actions Act qui prévoyait ce qui suit :

[traduction]

3. — (1) Les actions suivantes se prescrivent par les délais respectifs indiqués ci‑après :

. . .

j) toute autre action qui n’est pas expressément prévue dans la présente Loi ou dans toute autre Loi se prescrit par six ans à compter de la naissance de la cause d’action.

II. Historique des procédures judiciaires

A. Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan, 2004 SKQB 260, 251 Sask. R. 156

[12] Les intimés ont demandé à la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan de trancher la question de droit suivante en application de la règle 188 des Règles de procédure de la Cour du Banc de la Reine :

[traduction] La cause d’action de la demanderesse est‑elle [. . .] assujettie à l’article 3 de la Limitation of Actions Act et ainsi prescrite par application de cette disposition . . .?

[13] La juge Pritchard a rejeté l’action dans sa totalité. Elle a jugé que la demande était fondée sur l’art. 24 de la Charte, et conclu qu’elle était assujettie à l’art. 3 de la Limitation of Actions Act qui prévoit un délai de prescription d’application générale. En outre, comme les parties [traduction] « s’entendaient pour dire » que l’action avait été intentée après le délai de six ans, la juge Pritchard a conclu que les demandes étaient prescrites.

B. Cour d’appel de la Saskatchewan, 2007 SKCA 66, 299 Sask. R. 162

[14] La juge Gerwing, au nom de la majorité, a conclu que rien dans le dossier ne justifiait la radiation immédiate des demandes, énoncées aux al. 30a) à c), visant le prononcé de déclarations d’invalidité, puisque ce genre de demandes n’est habituellement pas assujetti aux lois qui établissent des délais de prescription. Toutefois, elle a conclu que les autres demandes, énoncées aux al. 30d) à h), visaient des réparations de nature personnelle et — qu’elles aient été sollicitées en application de l’art. 24 de la Charte ou qu’elles aient découlé d’une déclaration d’invalidité prononcée en vertu de l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 — étaient assujetties aux lois établissant des délais de prescription. La juge Gerwing a donc estimé que ces demandes avaient été radiées à juste titre puisqu’elles étaient prescrites. Elle a dissocié les demandes par lesquelles l’appelante cherchait à obtenir des déclarations d’inconstitutionnalité de celles visant des réparations personnelles.

[15] La juge Smith a convenu que l’art. 3 de la Limitation of Actions Act pouvait s’appliquer pour limiter la portée des réparations pouvant être accordées à l’appelante par suite de l’application de l’art. 52. Cependant, elle n’a pas souscrit à la conclusion de la juge Gerwing portant que les demandes de l’appelante étaient prescrites. Selon elle, si l’appelante pouvait persuader le tribunal de première instance qu’elle faisait l’objet de discrimination continue fondée sur son état continu et que cette discrimination était répétée chaque mois qu’elle ne recevait pas de prestation mensuelle, les demandes ne seraient pas jugées hors délai. La juge Smith aurait rétabli toutes les demandes de l’appelante.

III. Analyse

A. L’article 3 de la Limitation of Actions Act s’applique‑t‑il aux demandes de réparations personnelles de l’appelante?

[16] On a fait valoir devant les juridictions inférieures que les délais de prescription prévus par la loi ne s’appliquent pas aux demandes personnelles de réparation constitutionnelle. Il s’agit de demandes introduites par un individu, en tant qu’individu, en vue d’obtenir une réparation personnelle. Comme il en sera question plus loin, il y a lieu d’établir une distinction entre les demandes de réparations personnelles de ce type et celles sollicitant la déclaration d’inconstitutionnalité d’une loi qui peuvent profiter aux personnes touchées en général.

[17] Devant notre Cour, l’appelante a abandonné l’argument selon lequel la Limitation of Actions Act ne s’applique pas aux demandes de réparations personnelles, son avocat ayant reconnu que cette Loi s’applique à ce genre de demandes. Cette position est conforme à l’arrêt Kingstreet Investments Ltd. c. Nouveau‑Brunswick (Finances), 2007 CSC 1, [2007] 1 R.C.S. 3, dans lequel notre Cour a statué que les délais de prescription s’appliquent aux demandes de réparations personnelles qui découlent de l’annulation d’une loi inconstitutionnelle.

B. Les demandes de réparations personnelles de l’appelante sont‑elles prescrites?

[18] Afin de déterminer si les demandes de réparations personnelles de l’appelante sont prescrites, il est nécessaire d’arrêter le moment où sa cause d’action a pris naissance. Selon moi, sa cause d’action a pris naissance le 17 avril 1985, lorsque l’art. 15 de la Charte est entré en vigueur. S’il est vrai que les prestations lui ont été refusées en application du par. 68(1) de la Loi de 1978, l’appelante ne disposait d’aucun droit reconnu pour étayer sa demande avant que l’art. 15 de la Charte n’entre en vigueur. Le 17 avril 1985, elle est devenue habilitée à réclamer en justice les prestations qu’elle ne touchait pas par suite de l’application du par. 68(1) de la Loi de 1978 en alléguant une discrimination à son égard fondée sur son état matrimonial. Bien que l’appelante ne conteste pas directement la constitutionnalité de la Loi de 1978, c’est l’application de cette dernière qui forme ultimement la base de sa réclamation fondée sur la discrimination. (Dans les présents motifs, il est tenu pour acquis, sans toutefois trancher la question, que la Charte pourrait être invoquée pour contester un refus de prestations survenu avant l’entrée en vigueur de celle‑ci.)

[19] L’appelante a fait valoir devant notre Cour qu’une nouvelle cause d’action a pris naissance lorsque le gouvernement a adopté, d’abord, une loi et un règlement de nature réparatrice rétablissant les pensions des personnes qui se sont remariées le 17 avril 1985 ou après cette date et, ensuite, la Special Payment (Dependent Spouses) Act. Cette cause d’action serait fondée sur la portée trop restrictive de ces lois réparatrices. L’appelante n’a pas tiré profit de la réglementation réparatrice puisqu’elle s’était remariée avant le 17 avril 1985. Au lieu de réclamer la somme globale de 80 000 $ en vertu de la Special Payment (Dependent Spouses) Act, l’appelante a plutôt choisi d’intenter la présente action le 31 mars 2000.

[20] Cet argument ne peut être retenu. La cause d’action de l’appelante doit être fondée, comme il a été expliqué précédemment, sur l’inconstitutionnalité de la Loi de 1978. Le fait que le législateur a tenté subséquemment d’atténuer les effets discriminatoires de la législation ne crée pas de nouvelle cause d’action pour l’appelante. Les dispositions réparatrices n’ont eu aucune incidence sur sa situation.

[21] Dans son mémoire, l’appelante, invoquant Kingstreet, a fait valoir que ses demandes de réparations personnelles ne sont pas prescrites puisque le délai de prescription est renouvelable automatiquement de par sa nature, ayant recommencé à courir chaque fois qu’elle n’a pas reçu un versement de la pension. Toutefois, il est évident qu’un tel résultat suppose qu’une nouvelle cause d’action prenne naissance à chaque non‑versement.

[22] Dans Kingstreet, on a affirmé qu’une nouvelle cause d’action prenait naissance chaque fois qu’un paiement de taxes était versé en application d’une loi inconstitutionnelle. Il y a lieu d’établir une distinction entre cette affaire et la présente cause. Comme l’a affirmé notre Cour dans Canada (Procureur général) c. Hislop, 2007 CSC 10, [2007] 1 R.C.S. 429 :

Le gouvernement qui a perçu une taxe en contrevenant à la Constitution n’a d’autre choix que de la restituer au contribuable. À l’opposé, lorsqu’un régime de prestations viole le droit au même bénéfice de la loi garanti à l’art. 15, on ignore habituellement quelle mesure le législateur aurait choisie . . . [par. 108]

L’argument selon lequel la cause d’action est renouvelée ne peut être retenu, puisqu’il suppose que les prestations qui ont cessé auraient autrement été payées.

[23] En l’espèce, il n’existe qu’une seule cause d’action : celle qui a pris naissance le 17 avril 1985, lorsque l’art. 15 de la Charte est entré en vigueur.

[24] Puisque la cause d’action de l’appelante a pris naissance le 17 avril 1985 et que le délai de prescription de six ans prévu à l’art. 3 de la Limitation of Actions Act s’applique, les demandes de réparations personnelles de l’appelante — introduites presque une décennie après le délai imparti — sont prescrites.

C. La demande visant le prononcé d’une déclaration d’inconstitutionnalité

[25] La Cour d’appel a confirmé à l’unanimité le droit de l’appelante de maintenir ses demandes présentées en vertu de l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 et visant le prononcé d’une déclaration d’inconstitutionnalité des dispositions législatives contestées dans la mesure où elles s’appliquaient selon des critères discriminatoires.

[26] Il appartiendra à la juge de première instance de décider de l’opportunité de prononcer une déclaration d’invalidité et, dans l’affirmative, de se prononcer sur les réparations qui devraient être accordées, le cas échéant. Comme les demandes de réparations personnelles sont prescrites, les réparations découlant de l’application de l’art. 52 ne seraient pas personnelles. Il s’agirait plutôt de réparations dont pourrait bénéficier l’appelante, à titre de personne touchée.

[27] Il est important d’établir une distinction entre les réparations personnelles — ou in personam — sollicitées par l’appelante en tant qu’individu, et les réparations in rem qui découlent de l’application de l’art. 52 et qui permettent d’accorder une prestation à l’appelante et à toutes les personnes touchées au même titre qu’elle. Comme il est énoncé dans le mémoire de l’intervenant le procureur général de l’Ontario :

[traduction] Lorsqu’une loi est jugée trop limitative sur le plan constitutionnel, le tribunal peut choisir comme mesure corrective pour l’avenir d’accorder la prestation en question par dissociation ou par interprétation large, ou de suspendre l’application de la déclaration d’invalidité pour permettre au gouvernement de déterminer s’il convient d’annuler, de modifier ou d’accorder la prestation en question. Si la prestation trop limitative inconstitutionnelle est accordée au groupe demandeur [de l’appelante], que ce soit au moyen de la déclaration du tribunal prononcée en vertu du par. 52(1) ou de la réponse du gouvernement à ladite déclaration, [l’appelante], comme toute autre personne admissible [du groupe demandeur], bénéficie de la déclaration prononcée en vertu du par. 52(1) même si elle n’obtient pas de réparations personnelles de la part du tribunal. [par. 45]

IV. Conclusion

[28] La seule question en litige dans le présent pourvoi est celle de savoir si les demandes de réparations personnelles de l’appelante sont prescrites. Pour les motifs qui précèdent, j’estime qu’elles le sont.

[29] Le présent pourvoi est rejeté et l’ordonnance de la Cour d’appel de la Saskatchewan est confirmée. Je suis d’avis de répondre à la question constitutionnelle par la négative.

Pourvoi rejeté.

Procureurs de l’appelante— : Stamatinos Leland & Campbell, Kamsack, Saskatchewan.

Procureur de l’intimée la province de la Saskatchewan —: Procureur général de la Saskatchewan, Regina.

Procureurs de l’intimée Workers’ Compensation Board : MacPherson Leslie & Tyerman, Regina.

Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada —: Procureur général du Canada, Toronto.

Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario— : Procureur général de l’Ontario, Toronto.

Procureur de l’intervenant le procureur général du Québec— : Procureur général du Québec, Ste‑Foy.

Procureur de l’intervenant le procureur général du Nouveau‑Brunswick —: Procureur général du Nouveau‑Brunswick, Fredericton.

Procureur de l’intervenant le procureur général du Manitoba— : Procureur général du Manitoba, Winnipeg.

Procureur de l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique —: Procureur général de la Colombie‑Britannique, Victoria.

Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Alberta : Procureur général de l’Alberta, Edmonton.

Procureur de l’intervenant le procureur général de Terre‑Neuve‑et‑Labrador— : Procureur général de Terre‑Neuve‑et‑Labrador, St. John’s.


Synthèse
Référence neutre : 2009 CSC 7 ?
Date de la décision : 29/01/2009
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Prescription - Applicabilité des délais de prescription - Contestation constitutionnelle - Refus de prestations survenu avant l’entrée en vigueur de la Charte - Droits à l’égalité - Demandes visant des réparations personnelles et des déclarations d’inconstitutionnalité - Les délais de prescription prévus par la loi s’appliquent‑ils aux demandes de réparations personnelles? - Limitation of Actions Act, R.S.S. 1978, ch. L‑15, art. 3(1)j).

À la suite de son remariage le 20 octobre 1984, l’appelante a cessé de recevoir sa pension de veuve, en application de l’art. 68 de la Workers’ Compensation Act de 1978 de la Saskatchewan. Après ce remariage, des modifications législative et réglementaire ont prévu, en définitive, qu’une compensation continue à être versée à un conjoint survivant à charge si son remariage est survenu le 17 avril 1985 — le jour où l’art. 15 de la Charte canadienne des droits et libertés relative aux droits à l’égalité est entré en vigueur — ou après cette date. Ces modifications ne s’appliquaient pas à l’appelante étant donné la date de son remariage. En 1999, une loi spéciale prévoyait le paiement d’une somme globale aux personnes qui ne touchaient plus de pension de conjoint parce qu’elles s’étaient remariées avant le 17 avril 1985. L’appelante ne s’est pas prévalue de cette loi. Elle a plutôt intenté, en 2000, un recours fondé sur l’art. 15 de la Charte en vue d’obtenir une ordonnance (1) rétablissant sa pension de conjointe et lui octroyant des dommages‑intérêts et (2) déclarant les modifications législatives et la loi de 1999 inopérantes. Appelée à trancher une question de droit, la Cour du Banc de la Reine a rejeté l’action la déclarant prescrite en application de l’al. 3(1)j) de la Limitation of Actions Act. La Cour d’appel a ordonné le rétablissement des demandes de réparations visant le prononcé d’un jugement déclaratoire fondé sur l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, mais a confirmé que les demandes de réparations personnelles étaient prescrites.

Arrêt : Le pourvoi est rejeté.

Les demandes personnelles de réparation constitutionnelle sont des demandes introduites par un individu, en tant qu’individu, en vue d’obtenir une réparation personnelle et il y a lieu d’établir une distinction entre ces demandes et celles sollicitant la déclaration d’inconstitutionnalité d’une loi qui peuvent profiter aux personnes touchées en général. [16]

La Limitation of Actions Act s’applique aux demandes de réparations personnelles. En l’espèce, la cause d’action a pris naissance le 17 avril 1985, lorsque l’art. 15 de la Charte est entré en vigueur. Avant cette date, l’appelante ne disposait d’aucun droit reconnu pour étayer sa demande. Les tentatives subséquentes d’atténuer les effets discriminatoires de la loi de 1978 n’ont pas créé de nouvelle cause d’action pour elle. En outre, la cause d’action n’est pas renouvelée en l’espèce chaque fois qu’elle n’a pas reçu un versement de la pension puisqu’il ne peut être supposé que les prestations qui ont cessé auraient autrement été payées. Puisque la cause d’action de l’appelante a pris naissance le 17 avril 1985 et que le délai de prescription de six ans s’applique, les demandes de réparations personnelles étaient prescrites. [17‑18] [20-22] [24]

Il appartiendra à la juge de première instance de décider de l’opportunité de prononcer une déclaration d’invalidité et, dans l’affirmative, de se prononcer sur les réparations qui devraient être accordées. Les réparations découlant de l’application de l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 ne seraient pas personnelles. Il s’agirait plutôt de réparations dont pourrait bénéficier l’appelante, à titre de personne touchée. [26]


Parties
Demandeurs : Ravndahl
Défendeurs : Saskatchewan

Références :

Jurisprudence
Arrêt appliqué : Kingstreet Investments Ltd. c. Nouveau‑Brunswick (Finances), 2007 CSC 1, [2007] 1 R.C.S. 3
arrêt mentionné : Canada (Procureur général) c. Hislop, 2007 CSC 10, [2007] 1 R.C.S. 429.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 15, 24.
Limitation of Actions Act, R.S.S. 1978, ch. L‑15, art. 3.
Loi constitutionnelle de 1982, art. 52.
Règles de procédure de la Cour du Banc de la Reine (Saskatchewan), règle 188.
Special Payment (Dependent Spouses) Act, S.S. 1999, ch. S‑56.01.
Workers’ Compensation Act, R.S.S. 1978, ch. W‑17, art. 68.
Workers’ Compensation Act, 1974, S.S. 1973‑74, ch. 127.
Workers’ Compensation Act, 1979, S.S. 1979, ch. W‑17.1, art. 98.1 [aj. 1984‑85‑86, ch. 89, art. 25].
Workers’ Compensation General Regulations, 1985, R.R.S., ch. W‑17.1, règl. 1 [mod. S. Reg. 15/1999, art. 2].

Proposition de citation de la décision: Ravndahl c. Saskatchewan, 2009 CSC 7 (29 janvier 2009)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2009-01-29;2009.csc.7 ?
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