COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : R. c. Dudley, 2009 CSC 58, [2009] 3 R.C.S. 570
Date : 20091217
Dossier : 32603
Entre :
Kristy Leanne Dudley
Appelante
et
Sa Majesté la Reine
Intimée
‑ et ‑
Directeur des poursuites pénales du Canada
Intervenant
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell
Motifs de jugement :
(par. 1 à 56)
Motifs concordants :
(par. 57 à 90)
Le juge Fish (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, LeBel, Abella et Cromwell)
La juge Charron (avec l’accord des juges Deschamps et Rothstein)
______________________________
R. c. Dudley, 2009 CSC 58, [2009] 3 R.C.S. 570
Kristy Leanne Dudley Appelante
c.
Sa Majesté la Reine Intimée
et
Directeur des poursuites pénales du Canada Intervenant
Répertorié : R. c. Dudley
Référence neutre : 2009 CSC 58.
No du greffe : 32603.
2009 : 18 mars; 2009 : 17 décembre.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell.
en appel de la cour d’appel de l’alberta
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (les juges Ritter et Slatter et Bielby (ad hoc)), 2008 ABCA 73, 425 A.R. 280, 418 W.A.C. 280, 89 Alta. L.R. (4th) 71, 231 C.C.C. (3d) 80, [2008] 7 W.W.R. 645, [2008] A.J. No. 209 (QL), 2008 CarswellAlta 261, qui a annulé une décision du juge Wenden, 2006 CarswellAlta 2115. Pourvoi rejeté.
Akram Attia et Daryl J. Royer, pour l’appelante.
James A. Bowron, pour l’intimée.
François Lacasse et Gilles Villeneuve, pour l’intervenant.
Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, LeBel, Fish, Abella et Cromwell rendu par
Le juge Fish —
I
[1] Les infractions « mixtes » sont des crimes qui peuvent être poursuivis soit par voie de mise en accusation, soit par procédure sommaire. Au Canada, le choix est laissé au ministère public, bien qu’il n’en ait pas toujours été ainsi et que ce ne soit pas le cas ailleurs.
[2] Si le ministère public opte pour la procédure sommaire, l’infraction mixte est considérée à tous égards comme une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Les poursuites doivent alors être intentées dans les six mois à moins d’une entente à l’effet contraire entre les parties — une règle qui revêt une importance particulière en l’espèce.
[3] Si le procès a été engagé devant un tribunal des poursuites sommaires sans qu’il y ait eu un choix exprès par le ministère public, on présumera que ce dernier a choisi la procédure sommaire. Si l’on constate, avant la décision sur le fond, que la procédure a été lancée plus de six mois après le moment où l’infraction reprochée aurait été commise, le procès devrait être annulé à moins que les parties s’entendent pour renoncer au délai de prescription.
[4] Après le prononcé du verdict, la voie de recours appropriée consiste à interjeter appel, sur la base d’un motif autorisé, devant la juridiction d’appel compétente en matière d’infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.
[5] Si un appel interjeté par l’accusé[1] est accueilli au seul motif que la poursuite était prescrite et qu’elle a été engagée sans son consentement, la déclaration de culpabilité prononcée à l’issue du procès devrait être annulée. Dans les deux cas, le ministère public peut tout recommencer par voie de mise en accusation, sauf si le tribunal y voit un abus de procédure. Il en est ainsi parce que ni l’annulation du procès ni l’annulation d’une déclaration de culpabilité en appel ne peuvent donner naissance à un plaidoyer d’autrefois acquit.
[6] Le ministère public ne pourra former un appel à l’encontre d’un acquittement prononcé en raison de la prescription de la poursuite parce qu’il lui appartenait de veiller à ce qu’elle soit intentée dans le délai voulu. Ayant choisi d’emprunter la voie de la procédure sommaire devant la juridiction compétente, le ministère public ne devrait pas être autorisé à se plaindre, après une décision sur le fond défavorable, d’avoir négligé d’obtenir le consentement de l’accusé avant l’acquittement de celui‑ci!
[7] Tels sont à mon avis les principes applicables lorsqu’une infraction mixte est poursuivie par procédure sommaire au‑delà du délai de prescription de six mois.
[8] Il me reste à exposer le contexte du présent pourvoi, à expliquer les principes que je viens d’énoncer et à les commenter.
II
[9] L’appelante, Kristy Leanne Dudley, a été inculpée d’un chef de fraude de moins de cinq mille dollars en vertu de l’al. 380(1)b) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, et d’un chef d’emploi d’un document contrefait en vertu de l’al. 368(1)b) du Code. La fraude aurait été commise entre le 23 juin 2002 et le 31 mai 2004; l’emploi d’un document contrefait aurait eu lieu le 12 novembre 2002. Dans les deux cas, il s’agit d’une infraction mixte et le ministère public a choisi la procédure sommaire.
[10] Lorsque l’affaire a été soumise au juge Wenden de la Cour provinciale de l’Alberta en vue du plaidoyer de culpabilité prévu, l’avocat de Mme Dudley a constaté que la dénonciation sous serment remontait au 30 janvier 2006 — plus de six mois après les faits reprochés — et que la poursuite par procédure sommaire était par conséquent prescrite.
[11] L’avocat de Mme Dudley a demandé le rejet des accusations pour cause de « nullité ». L’avocat du ministère public a immédiatement demandé l’autorisation de faire un nouveau choix et de procéder par voie de la mise en accusation ou, sinon, de retirer les accusations. Le juge Wenden a rejeté les requêtes du ministère public et statué sur l’affaire en concluant que [traduction] « l’inculpation est entachée de nullité parce que [. . .] la dénonciation sous serment n’a pas été faite dans le délai prescrit » (2006 CarswellAlta 2115, par. 3).
[12] La Cour d’appel de l’Alberta a accueilli l’appel interjeté par le ministère public, concluant que la dénonciation initiale sur la base de laquelle Mme Dudley avait été inculpée de fraude et d’emploi d’un document contrefait demeurait valide (2008 ABCA 73, 231 C.C.C. (3d) 80). Elle a en outre estimé que le choix de la procédure sommaire par le ministère public, quoique frappé de prescription, ne donnait pas à Mme Dudley un moyen de défense contre les accusations portées contre elle. Selon la cour, le ministère public pouvait faire un nouveau choix et opter pour une mise en accusation fondée sur la dénonciation initiale puisque son choix initial et la procédure engagée ensuite devant le tribunal des poursuites sommaires étaient entachés de nullité.
III
[13] La présente affaire nous amène à considérer la nature particulière des infractions mixtes, qui n’existent nulle part — mais qu’on trouve partout — dans le paysage de la procédure criminelle canadienne.
[14] Elles n’existent nulle part en ce sens que, suivant le Code criminel, les infractions sont soit des actes criminels, punissables par mise en accusation, soit des infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, et que nulle part n’est reconnue une troisième catégorie distincte d’infractions mixtes. Pourtant, on trouve des infractions mixtes partout dans le Code criminel — et il en existe des douzaines, voire des centaines, dans d’autres lois fédérales.
[15] Les infractions mixtes, quoique rares au début, ne sont pas une invention récente : il en existait quelques‑unes dans le tout premier Code criminel adopté par le législateur en 1892. Et au cours des dernières décennies, le législateur a transformé de nombreux crimes qui, auparavant, pouvaient donner lieu soit à une poursuite par mise en accusation, soit à une poursuite par procédure sommaire, en infractions qui peuvent maintenant être poursuivies d’une façon ou de l’autre.
[16] En outre, les infractions mixtes ne constituent absolument pas un phénomène propre au Canada. Mais ailleurs, la décision d’emprunter la voie de la procédure sommaire ou celle de la mise en accusation ne relève généralement pas du pouvoir discrétionnaire du poursuivant. En Angleterre et au pays de Galles, par exemple, c’est le magistrat chargé de l’instruction qui prend la décision : Magistrates’ Courts Act 1980 (R.‑U.), 1980, ch. 43, art. 19. Et dans certains États australiens, dont la Nouvelle‑Galles du Sud, l’accusé peut demander d’être jugé selon la procédure sommaire, avec le consentement du ministère public : Crimes Act 1900 (N.S.W.), art. 475A et 475B.
[17] Même au Canada, il était expressément prévu à une époque que certaines infractions étaient punissables par mise en accusation ou sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, au gré de l’accusé : voir, par exemple, l’art. 501 du Code criminel, S.R.C. 1927, ch. 36; R. c. Richards, [1934] 2 W.W.R. 390 (C.A.C.‑B.). Toutes ces dispositions sont abrogées depuis longtemps et, comme je l’ai indiqué, le choix appartient maintenant au ministère public : Smythe c. La Reine, [1971] R.C.S. 680, p. 685‑687 (le juge en chef Fauteux).
[18] Suivant l’al. 34(1)a) de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I‑21, une infraction est réputée un acte criminel « si le texte prévoit que le contrevenant peut être poursuivi par mise en accusation ». Les infractions mixtes sont par conséquent considérées comme des infractions punissables par mise en accusation — à moins que le ministère public choisisse, ou soit réputé avoir choisi, de les poursuivre par procédure sommaire :
[traduction] Dans ces affaires, c’est la poursuite qui décide en premier la façon de procéder. Si elle choisit de poursuivre par voie de mise en accusation, l’infraction est considérée à tous égards comme un acte criminel, et l’accusé exerce les choix qui lui sont normalement offerts; si elle choisit autrement, les procédures sont considérées à tous égards comme étant relatives à une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.
(Manning, Mewett & Sankoff : Criminal Law (4e éd. 2009), p. 44)
[19] Pour éviter l’incertitude et les malentendus qui engendrent bien des litiges inutiles, il me semble souhaitable que le ministère public déclare expressément si, à l’égard d’une infraction mixte, il choisit la voie de la procédure sommaire ou celle de la mise en accusation, et ce avant qu’on demande à l’accusé s’il plaide coupable ou non coupable. Et si le ministère public opte pour la procédure sommaire après l’expiration du délai de prescription de six mois, le poursuivant et l’accusé devraient tous deux être tenus de déclarer expressément — là encore, avant que l’accusé indique s’il plaide coupable ou non coupable — qu’ils acceptent de recourir à la procédure sommaire.
[20] En l’absence d’un choix explicite, on présumera de toute manière que le ministère public a choisi la voie de la procédure sommaire si une infraction mixte [traduction] « est instruite pendant le procès, jusqu’au verdict, devant un tribunal compétent en matière de poursuites par procédure sommaire » : R. c. Mitchell (1997), 121 C.C.C. (3d) 139 (C.A. Ont.), par. 4. De même, le ministère public sera réputé avoir choisi la voie de la mise en accusation lorsqu’il a été demandé au prévenu de faire le choix exigé — par l’art. 536 du Code criminel, par exemple — quant au type de procès, pourvu que la procédure soit engagée devant un tribunal compétent à l’égard de l’infraction reprochée.
IV
[21] Comme je l’ai mentionné précédemment, les infractions mixtes sont réputées être des actes criminels à moins que le ministère public choisisse le recours à la procédure sommaire, et jusqu’à ce qu’il fasse ce choix. Ainsi, le juge Cromwell (maintenant juge de notre Cour), s’exprimant au nom de la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse dans R. c. Paul‑Marr, 2005 NSCA 73, 199 C.C.C. (3d) 424, au par. 20, a expliqué que [traduction] « lorsqu’une infraction peut être poursuivie par acte d’accusation ou par procédure sommaire au choix du ministère public, l’infraction est réputée être un acte criminel jusqu’à ce que le ministère public choisisse le recours à la procédure sommaire ». De même, dans R. c. C. (D.J.) (1985), 21 C.C.C. (3d) 246, à la p. 252, le juge MacDonald a affirmé, au nom de la division d’appel de la Cour suprême de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, que [traduction] « dans le cas d’une infraction mixte, une fois que le ministère public choisit le recours par procédure sommaire, l’infraction n’est plus considérée être un acte criminel ». Et dans Canada (Attorney General) c. Trueman, P.C.J. (1996), 83 B.C.A.C. 227, au par. 13, une fois de plus dans une décision unanime, le juge en chef McEachern a conclu que les infractions mixtes [traduction] « sont réputées, aux termes de l’art. 34 de la Loi d’interprétation [. . .], être des actes criminels [et] le restent à moins que le ministère public choisisse le recours à la procédure sommaire ». (Tous les soulignements sont de moi.)
[22] D’autres cours d’appel partout au pays sont arrivées à la même conclusion : Trinidad and Tobago c. Davis, 2008 ABCA 275, 233 C.C.C. (3d) 435, par. 14; R. c. Huff (1979), 50 C.C.C. (2d) 324 (C.A. Alb.), p. 328; Mitchell, par. 4; R. c. Gougeon (1980), 55 C.C.C. (2d) 218 (C.A. Ont.), p. 234; R. c. Tontarelli, 2009 NBCA 52, 348 R.N.-B. (2e) 41, par. 55; R. c. D. (S.) (1997), 119 C.C.C. (3d) 65 (C.A.T.‑N.), par. 34; R. c. O’Leary (1991), 64 C.C.C. (3d) 573 (C.A.T.‑N.), p. 575; R. c. Shiplack (1993), 109 Sask. R. 311 (C.A.), par. 9. Voir également Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 672, [2009] A.C.F. no 843 (QL), par. 40.
[23] La juge Charron cite l’arrêt R. c. Connors (1998), 121 C.C.C. (3d) 358 (C.A.C.-B.), à l’appui de la thèse selon laquelle « les infractions mixtes conservent leur qualification d’actes criminels dans le contexte de la Loi sur l’identification des criminels » (par. 73). Comme le signale ma collègue, la Loi sur l’identification des criminels n’est pas en cause dans le présent pourvoi. Pour notre propos, il suffit par conséquent de souligner que l’arrêt Connors est le seul à conclure en ce sens. Les autres cours sont parvenues à une conclusion contraire. Voir, par exemple, Re Abarca and The Queen (1980), 57 C.C.C. (2d) 410 (C.A. Ont.), p. 413.
V
[24] Le contexte ainsi posé, j’examine maintenant les par. 786(2) et 788(1) du Code criminel, tous deux figurant dans la Partie XXVII du Code intitulée « Déclarations de culpabilité par procédure sommaire » :
786. . . .
(2) À moins d’une entente à l’effet contraire entre le poursuivant et le défendeur, les procédures se prescrivent par six mois à compter du fait en cause.
788. (1) Les procédures prévues à la présente partie débutent par le dépôt d’une dénonciation rédigée selon la formule 2.
[25] Le délai de prescription applicable aux poursuites par procédure sommaire actuellement établi au par. 786(2) existe sous une forme ou une autre depuis au moins 1892 : Code criminel, 1892, S.C. 1892, ch. 29, art. 841. C’est seulement depuis 1997, toutefois, qu’il peut faire l’objet d’une renonciation — c’est‑à‑dire qu’il peut être prolongé avec le consentement des parties (L.C. 1997, ch. 18, art. 110). Auparavant, les infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire ne pouvaient donner lieu à aucune poursuite qui ne soit intentée dans le délai fixé : R. c. Karpinski, [1957] R.C.S. 343, p. 350 (le juge Fauteux).
[26] C’est ce qui a amené notre Cour, dans Karpinski, à conclure à l’unanimité que le ministère public ne pouvait pas poursuivre une infraction mixte en tant qu’infraction punissable par procédure sommaire après l’expiration du délai de prescription de six mois. Mais la Cour était divisée sur la validité de la procédure engagée devant le tribunal des poursuites sommaires avant la découverte du problème de prescription.
[27] Le juge Fauteux (avec l’appui du juge Abbott) était d’avis que la procédure était nulle ab initio parce que [traduction] « le ministère public n’avait pas le droit de choisir la procédure sommaire et le magistrat n’avait pas compétence pour accepter le choix et y donner suite en recevant un plaidoyer » (p. 351). Ce raisonnement, qui en est venu à être connu comme la thèse de « l’absence de compétence », a été adopté par la Cour d’appel de l’Ontario dans plusieurs affaires semblables à celle dont nous sommes saisis. Voir, par exemple, R. c. Kelly (1998), 128 C.C.C. (3d) 206.
[28] Toujours dans Karpinski, le juge Cartwright (dissident) a conclu que le tribunal des poursuites sommaires avait, au moins dans une certaine mesure, conservé sa compétence sur la procédure. À son avis, [traduction] « le retrait [par le ministère public] de l’accusation devant le savant magistrat équivalait à un acquittement » et donnait par le fait même naissance au plaidoyer spécial d’autrefois acquit dans le cas où le ministère public tenterait de poursuivre la même infraction par voie de mise en accusation (Karpinski, p. 350). Le raisonnement du juge Cartwright, connu comme la thèse du « moyen de défense » de Karpinski, a été suivi par la Cour d’appel de Terre‑Neuve, dans une opinion incidente, dans D. (S.).
[29] Cette opposition entre la thèse de « l’absence de compétence » et celle du « moyen de défense » à propos de la prescription acquise, si elle conserve son intérêt historique, a perdu l’importance qu’elle avait sur le plan de la procédure. Dans un cas comme dans l’autre, le tribunal des poursuites sommaires a compétence, avec le consentement des parties, à l’égard de poursuites par procédure sommaire qui sont prescrites. En l’absence de ce consentement, il est sans compétence.
[30] Sauf à un égard, je ne vois aucune raison de faire une distinction sous ce rapport entre les infractions mixtes et les infractions punissables seulement par procédure sommaire. Dans le cas des infractions mixtes, le ministère public peut opter pour la mise en accusation lorsque son offre d’utiliser la procédure sommaire est repoussée par l’accusé. Si l’infraction est une infraction punissable seulement par procédure sommaire — par opposition à une infraction mixte — l’accusé peut tout de même accepter que la poursuite soit engagée après l’expiration du délai de prescription, dans le but d’éviter une poursuite par voie de mise en accusation pour une infraction apparentée relative aux mêmes faits. Dans un cas comme dans l’autre, le tribunal des poursuites sommaires peut, si le poursuivant et le défendeur sont d’accord, exercer à l’égard d’une poursuite prescrite la compétence qu’il aurait eue autrement.
[31] La seule différence pertinente me semble être la suivante. En l’absence de consentement, l’expiration du délai de prescription interdit de façon absolue le dépôt d’une poursuite à l’égard d’une infraction qui ne peut être poursuivie que par procédure sommaire. Une infraction mixte qui ne peut plus être poursuivie par procédure sommaire sans le consentement du défendeur peut néanmoins, sauf s’il y a abus de procédure, être poursuivie par mise en accusation, que le ministère public ait ou non choisi à l’origine la procédure sommaire — à moins, naturellement, que l’accusé ait été acquitté par un tribunal des poursuites sommaires à la suite du choix initial fait par le ministère public.
[32] En l’espèce, la Cour d’appel de l’Alberta a conclu que le ministère public peut [traduction] « essayer d’amener l’accusée à consentir à la continuation de la procédure sommaire » en conformité avec le par. 786(2) lorsqu’il découvre [traduction] « qu’il a choisi par erreur de recourir à la procédure sommaire sur la base d’une dénonciation sous serment faite plus de six mois après la date de l’infraction mixte reprochée » (par. 42). Selon ce point de vue, que je partage, la procédure engagée devant le tribunal des poursuites sommaires ne peut être considérée comme nulle ab initio.
[33] Peu importe quelle était la situation avant la modification apportée au par. 786(2) en 1997, le tribunal des poursuites sommaires conserve maintenant sa compétence — sous réserve du consentement des parties — s’il s’avère que la procédure dont il est saisi était prescrite au moment de la dénonciation. Selon une interprétation téléologique de cette modification, le consentement curatif qui en fait l’objet peut être donné n’importe quand avant le verdict sans que les parties soient obligées de reprendre le procès depuis le début. Mais comme je l’ai indiqué, on peut aisément éviter l’incertitude et les malentendus en invitant les parties à s’entendre sur l’utilisation de la procédure sommaire et en consignant cet accord au dossier avant de demander au défendeur s’il plaide coupable ou non coupable.
[34] Il est vrai en principe que la compétence ne peut être donnée par consentement. Mais la portée de ce principe peut être atténuée par le législateur, et depuis 1997, ce dernier précise expressément au par. 786(2) que le poursuivant et le défendeur peuvent, par consentement mutuel, renoncer à la prescription de six mois établie en matière d’infractions punissables par procédure sommaire. Du point de vue du défendeur, il s’agit en fait de ce qu’on pourrait à juste titre appeler une renonciation au bénéfice de la prescription.
[35] Il n’est pas sans intérêt de signaler que la Cour, il y a près d’un siècle, a reconnu dans Giroux c. The King (1917), 56 R.C.S. 63, que [traduction] « [l]e consentement ne peut conférer la compétence, mais il est toujours possible de renoncer à un privilège qui écarte la compétence si le tribunal qui préside le procès a compétence en l’espèce » (p. 67). Dans le contexte de l’affaire dont nous sommes saisis, le bénéfice d’un délai de prescription écoulé peut être considéré, au moins depuis 1997, comme un privilège auquel l’accusé peut renoncer.
[36] Le consentement des parties, je le répète, peut être donné à tout moment de l’instance avant le verdict. Le consentement du poursuivant sera toujours réputé avoir été donné en raison du choix qu’il a fait de poursuivre l’infraction mixte par procédure sommaire. Quant au défendeur, son consentement doit être conforme aux motifs exposés par la Cour dans Korponay c. Procureur général du Canada, [1982] 1 R.C.S. 41. C’est‑à‑dire qu’il doit consentir à la continuation de la procédure d’une manière « éclairée, claire et non équivoque » (Korponay, p. 58).
VI
[37] La seule question qui reste à trancher dans le présent pourvoi concerne le sort de la procédure lorsque le défendeur refuse de consentir à sa continuation.
[38] Si l’infraction est punissable uniquement sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, le tribunal devrait simplement rejeter la dénonciation.
[39] Selon l’art. 34 de la Loi d’interprétation, les infractions mixtes sont réputées punissables sur déclaration de culpabilité par mise en accusation à moins que le ministère public ait choisi la procédure sommaire et jusqu’à ce qu’il fasse ce choix. Si le ministère public opte pour la procédure sommaire après l’expiration du délai de prescription sans le consentement du défendeur, ce choix invalide ne vient pas rétroactivement invalider la dénonciation.
[40] Le droit pour le ministère public de choisir la voie d’une mise en accusation fondée sur la dénonciation initiale alors qu’il avait à l’origine choisi la procédure sommaire a donné lieu à une jurisprudence abondante et divergente. Voir, par exemple, Re Abarca and The Queen; R. c. Jans (1990), 59 C.C.C. (3d) 398 (C.A. Alb.); R. c. Burke (1992), 78 C.C.C. (3d) 163 (C.A.T.‑N.); R. c. Kalkhorany (1994), 89 C.C.C. (3d) 184 (C.A. Ont.); R. c. Boutilier (1995), 104 C.C.C. (3d) 327 (C.A.N.‑É.).
[41] À mon avis, on n’a pas posé la bonne question dans ces affaires.
[42] Comme je l’ai indiqué, le refus de l’accusé de consentir à la poursuite par procédure sommaire d’une infraction mixte introduite après l’expiration du délai de prescription a pour effet d’invalider le choix fait par le ministère public et la procédure qui en découle.
[43] C’est précisément pour cette raison que le ministère public est libre d’engager une poursuite par mise en accusation fondée sur la dénonciation initiale, si elle est valide à première vue, lorsque l’accusé refuse de donner son consentement. Bien que la dénonciation demeure valide, le choix initial et toutes les procédures subséquentes sont nuls. Partant, ils ne peuvent avoir d’incidence sur la possibilité pour le ministère public d’emprunter la voie de la mise en accusation.
[44] Comme la Cour d’appel, j’estime qu’il n’est pas injuste envers l’accusé de permettre au ministère public de recourir à la mise en accusation, à moins que [traduction] « la preuve révèle un abus de procédure découlant du caractère illégitime des motifs du ministère public ou que soit causé à l’accusé un préjudice suffisant pour porter atteinte au sens du franc‑jeu et de la décence qu’a la société » (par. 1). Dans le dossier dont nous sommes saisis, on ne trouve rien de tel.
[45] Comme l’a souligné le juge Martin dans R. c. Belair (1988), 41 C.C.C. (3d) 329 (C.A. Ont.) :
[traduction] L’accusation relative à l’infraction [mixte] pouvait en tout temps donner lieu à un procès par voie de mise en accusation et, du reste, la dénonciation faisait état d’un acte criminel jusqu’à ce que le ministère public choisisse de considérer l’infraction comme une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire : voir Re Abarca and The Queen (1980), 57 C.C.C. (2d) 410, p. 413‑414 (C.A. Ont.). La partie intimée en l’espèce n’a subi aucun préjudice du fait de l’erreur commise par l’avocat du ministère public. Si ce dernier s’était aperçu, avant de choisir la procédure sommaire, que cette voie était interdite par le par. 721(2), il aurait certainement utilisé la mise en accusation, comme il l’a finalement fait. La partie intimée en l’espèce n’a subi aucun préjudice du fait que l’avocat du ministère public ne s’est pas rendu compte, avant de faire le choix, que le recours à la procédure sommaire était exclu par le par. 721(2). [p. 339]
[46] Dans R. c. Phelps (1993), 79 C.C.C. (3d) 550, la Cour d’appel de l’Ontario a fait judicieusement observer que, [traduction] « étant donné la longueur des procédures en l’absence de toute faute de l’appelant, [le ministère public devrait] se demander s’il serait conforme aux intérêts de la justice de continuer la poursuite relative à cette accusation, dont il estimait manifestement que la gravité était celle d’une infraction punissable par procédure sommaire » (p. 552). Il est préférable, j’en conviens, que cette décision relève du pouvoir discrétionnaire du poursuivant et non de celui du juge.
VII
[47] Enfin, quatre observations concernant les motifs de la juge Charron.
[48] La première concerne le fondement conceptuel du cadre analytique intégral de ma collègue. Selon la juge Charron, le choix du ministère public de poursuivre une infraction mixte par voie de procédure sommaire, « même s’il dicte la façon dont l’accusation sera traitée lorsqu’elle sera portée, ne change aucunement la nature sous‑jacente de l’infraction, qui reste un acte criminel » (par. 74).
[49] Avec égards, il m’est impossible de saisir dans quel sens la « nature sous‑jacente » d’une infraction mixte fait qu’elle reste un acte criminel une fois que le ministère public a choisi une poursuite par procédure sommaire. Le procès a lieu devant un tribunal différent et suit une procédure différente. Si le défendeur est reconnu coupable, il se verra infliger une peine différente. Un appel de la décision du juge du procès est porté devant une cour d’appel différente. Aux termes de diverses lois fédérales et provinciales, la déclaration de culpabilité d’une infraction mixte poursuivie par procédure sommaire entraîne, non seulement à l’égard de la peine mais à d’autres égards également, des conséquences différentes de celles qu’entraîne la déclaration de culpabilité par voie de mise en accusation. Voir, par exemple, la Loi sur le casier judiciaire, L.R.C. 1985, ch. C‑47, art. 4; la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C‑29, art. 22; et la Loi sur les jurys de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. J.3, art. 4. Enfin, le législateur a prévu expressément, à l’al. 34(1)c) de la Loi d’interprétation, que « la personne déclarée coupable de l’infraction [mixte] par procédure sommaire n’est pas censée avoir été condamnée pour un acte criminel ».
[50] Dans quel sens peut‑on dire, alors, qu’une infraction mixte conserve la « nature sous‑jacente » d’un acte criminel dès lors que le ministère public a choisi une poursuite par procédure sommaire? Je ne puis en discerner aucun. Au contraire, l’infraction mixte prend la « nature sous‑jacente » d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et elle est à tous égards régie par les dispositions de la partie XXVII du Code criminel. Je suis d’avis qu’aucune raison logique ne permet de faire du par. 786(2) une exception à cette règle.
[51] Deuxièmement, selon la juge Charron, « le par. 786(2) traite de l’introduction des procédures, non du choix du mode de poursuite par le ministère public » (par. 61). C’est bien le cas. Mais les poursuites par procédure sommaire relatives aux infractions mixtes sont introduites par le dépôt d’une dénonciation et non par le choix du mode de poursuite que fait le ministère public. Aux termes de l’art. 788, elle débutent par le dépôt de cette dénonciation, et aux termes du par. 786(2), elles ne peuvent débuter plus de six mois après que l’infraction aurait été commise. Par conséquent, c’est parce que le par. 786(2) « traite de l’introduction des procédures, non du choix du mode de poursuite par le ministère public » que ce dernier peut en tout temps opter pour une poursuite par procédure sommaire, pourvu que la dénonciation ait été faite dans les six mois suivant la date de l’infraction reprochée — et autrement, seulement avec le consentement de l’accusé.
[52] Troisièmement, la juge Charron affirme (au par. 60) que « [l]’arrêt de notre Cour [dans l’affaire] Karpinski [. . .] a donné lieu à une jurisprudence contradictoire au sujet de l’effet d’un choix “erroné” du ministère public de poursuivre par procédure sommaire dans le cas d’une infraction mixte fondée sur une dénonciation déposée plus de six mois après que l’infraction aurait été commise. » Il ne faudrait pas que l’affirmation de ma collègue soit mal comprise. Aucune décision canadienne portée à notre attention n’a statué que le délai de prescription des infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire ne s’applique pas à l’égard des infractions mixtes poursuivies par procédure sommaire. Sur ce point, il n’existe absolument aucun conflit jurisprudentiel.
[53] Ainsi, dans Karpinski, tous les membres de la Cour étaient d’accord pour dire que la prescription s’appliquait. Cette interprétation du droit prévaut au Canada depuis plus de cent ans : R. c. Edwards (1898), 2 C.C.C. 96 (H.C.J. Ont.). Et depuis l’arrêt Karpinski, cette Cour l’a confirmé à deux reprises, d’abord dans R. c. Machacek, [1961] R.C.S. 163, puis à nouveau dans Petersen c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 493. Tout « conflit » dans la jurisprudence a trait à des questions complètement différentes qui confirment l’applicabilité du délai de prescription aux infractions mixtes poursuivies par procédure sommaire, ces décisions différant seulement sur la question de savoir si une poursuite interdite par la loi touche une question de compétence ou une question de moyen de défense. J’ai examiné cet aspect précédemment aux par. 21 et suiv.
[54] Enfin, la juge Charron affirme, au par. 74, que « là où les dossiers font l’objet d’un filtrage avant que des accusations soient portées, les procédures relatives aux infractions mixtes sont encore introduites par voie de mise en accusation en vertu des art. 504 ou 505 ». Avec égards, j’estime que c’est tout le contraire. Au cours du filtrage des poursuites envisagées, les représentants du ministère public sont appelés à déterminer si des poursuites sont justifiées et, dans le cas des infractions mixtes, si ces poursuites devraient être intentées par procédure sommaire ou par voie de mise en accusation. Si le représentant du ministère public décide qu’il faudrait recourir à la procédure sommaire, il serait à tout le moins incongru de procéder comme s’il s’agissait d’une poursuite par voie de mise en accusation — et rien dans la preuve documentaire devant nous ne permet de croire que l’on procède ainsi. Il est plus plausible de supposer que si le ministère public autorise des poursuites par procédure sommaire, elles sont intentées en vertu de l’art. 788 du Code — conformément à la décision de recourir à la procédure sommaire.
[55] En bref, la thèse de ma collègue — qui n’a pas été soulevée par les parties ou l’intervenant — est incompatible avec le texte des dispositions pertinentes du Code; elle est incompatible avec les décisions judiciaires sur cette question rendues depuis plus d’un siècle (y compris l’arrêt Karpinski), et elle est contraire à la façon dont les avocats ainsi que les auteurs ont toujours et universellement interprété le droit. Elle est également contraire à la position que le directeur des poursuites pénales du Canada a prise devant cette Cour lorsqu’il a été invité à le faire[2], aux instructions adressées aux procureurs de l’État partout au pays[3] ainsi qu’aux propos qu’a tenus le ministère fédéral de la Justice devant le Parlement lorsque le par. 786(2) a été modifié[4].
VIII
[56] Par conséquent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi, d’annuler la décision du juge du procès et de laisser la justice suivre son cours en conformité avec les principes directeurs exposés dans les présents motifs.
Version française des motifs des juges Deschamps, Charron et Rothstein rendus par
La juge Charron —
1. Aperçu
[57] L’appelante, Kristy Leanne Dudley, a été inculpée d’un chef de fraude de moins de cinq mille dollars en vertu de l’al. 380(1)b) et d’un chef d’emploi d’un document contrefait en vertu de l’al. 368(1)b) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46. Il s’agit dans les deux cas d’infractions mixtes que le ministère public peut poursuivre par voie de mise en accusation ou par procédure sommaire. Le ministère public a choisi une poursuite par procédure sommaire. Lorsque l’affaire a été soumise au tribunal de première instance en vue du plaidoyer de culpabilité prévu, l’avocat de Mme Dudley a constaté que le dépôt de la dénonciation remontait à plus de six mois après la date à laquelle les infractions auraient été commises. L’avocat a donc invoqué le par. 786(2) du Code criminel et plaidé que la dénonciation était nulle parce que prescrite. Le ministère public a demandé l’autorisation de faire un nouveau choix et de procéder par voie de mise en accusation ou, sinon, de retirer la dénonciation. L’avocat de Mme Dudley s’est opposé à cette demande, affirmant qu’il conviendrait peut‑être d’ordonner l’arrêt des procédures, puisque sa cliente n’avait [traduction] « pas de solution autre qu’un plaidoyer de culpabilité » et qu’il y avait un risque plus grand de conséquences sérieuses dans une poursuite par voie de mise en accusation. Le juge du procès a rejeté les deux demandes du ministère public au motif que la dénonciation avait été faite [traduction] « hors délai » et était [traduction] « une nullité » (2006 CarswellAlta 2115, par. 3).
[58] À l’issue de l’appel interjeté par le ministère public, la Cour d’appel de l’Alberta a annulé la décision du tribunal de première instance. Elle a statué, d’une part, qu’une dénonciation n’est pas invalide du fait que le ministère public s’est trompé en optant pour une poursuite par procédure sommaire, et, d’autre part, que le ministère public n’est pas empêché de faire un nouveau choix et de poursuivre par voie de mise en accusation dès que l’erreur est constatée, [traduction] « à moins que la preuve révèle un abus de procédure découlant du caractère illégitime des motifs du ministère public ou que soit causé à l’accusé un préjudice suffisant pour porter atteinte au sens du franc‑jeu et de la décence qu’a la société » (2008 ABCA 73, 231 C.C.C. (3d) 80, par. 1). L’affaire a en conséquence été renvoyée au tribunal de première instance afin que le ministère public demande de faire un nouveau choix et d’opter pour des procédures par voie de mise en accusation fondées sur la dénonciation, ou encore qu’il retire la dénonciation et intente une poursuite par voie de mise en accusation fondée sur une nouvelle dénonciation.
[59] Dans son appel à notre Cour, Mme Dudley prétend que le premier juge a effectivement décidé implicitement qu’il convenait d’ordonner un arrêt des accusations, exerçant ainsi un pouvoir discrétionnaire dans lequel la cour d’appel n’aurait pas dû intervenir. Elle nous demande par conséquent de rétablir la décision du tribunal de première instance et de refuser que le ministère public fasse un nouveau choix ou poursuive l’affaire par voie de mise en accusation.
[60] L’arrêt de notre Cour R. c. Karpinski, [1957] R.C.S. 343, a donné lieu à une jurisprudence contradictoire au sujet de l’effet d’un choix « erroné » du ministère public de poursuivre par procédure sommaire dans le cas d’une infraction mixte fondée sur une dénonciation déposée plus de six mois après que l’infraction aurait été commise. Dans tous les cas, comme dans celui qui nous occupe, on a simplement supposé que le par. 786(2) du Code criminel empêchait le recours à la procédure sommaire à l’égard d’une infraction mixte, sans même se demander si la prescription de six mois s’applique à ces infractions. Dans le présent appel, cette question précise a été débattue à l’audience devant cette Cour, après quoi les parties et l’intervenant, le directeur des poursuites pénales, ont déposé des mémoires supplémentaires. Mme Dudley plaide que les infractions mixtes sont assujetties à la période de prescription générale que prévoit le par. 786(2). L’intervenant appuie sa position. Par contre, le ministère public prétend que la période de prescription générale prévue au par. 786(2) ne peut régir l’introduction de procédures relatives à des infractions mixtes, puisque ces dernières sont, en droit, réputées des actes criminels.
[61] J’ai examiné ces mémoires et je suis arrivée à la conclusion que le par. 786(2) a uniquement pour effet d’empêcher de façon générale que des poursuites soient intentées plus de six mois après l’infraction reprochée dans le cas des infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Par l’effet de l’art. 34 de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I‑21, les infractions mixtes sont réputées des actes criminels et, de ce fait, elles ne sont visées par aucune période de prescription générale prévue au Code criminel. Pour ce qui est des infractions mixtes, les procédures peuvent donc être intentées après la période de six mois. En outre, le par. 786(2) traite de l’introduction des procédures, non du choix du mode de poursuite par le ministère public. Par conséquent, cette disposition n’empêche nullement le ministère public de choisir, à l’égard de ces infractions, la procédure par mise en accusation ou la procédure sommaire.
[62] Je suis donc d’avis de confirmer le jugement de la Cour d’appel annulant la décision du tribunal de première instance, mais de renvoyer l’affaire au tribunal de première instance pour qu’elle soit instruite par procédure sommaire conformément au choix du ministère public.
2. Analyse
[63] En l’espèce, la première question est de savoir si le délai de prescription prévu au par. 786(2) s’applique aux infractions mixtes. Comme j’ai conclu précédemment que ce n’est pas le cas, il s’agit de la seule question appelant une réponse. Trancher cette question est affaire d’interprétation législative, ce qui requiert que l’on détermine l’intention du législateur. Avant d’interpréter la disposition en cause, je vais examiner brièvement la nature et la raison d’être des infractions mixtes.
2.1 Les infractions mixtes
[64] Le Code criminel crée deux catégories d’infractions : les infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et les infractions punissables sur déclaration de culpabilité par mise en accusation. Comme ces dernières sont plus graves, une poursuite par voie de mise en accusation enclenche l’application de garanties procédurales additionnelles et une condamnation entraîne des peines plus sévères. Certaines infractions peuvent, au choix du ministère public, être poursuivies soit par procédure sommaire, soit par voie de mise en accusation. Ces infractions sont communément appelées « infractions mixtes », mais cette expression est trompeuse si elle suppose l’existence d’une troisième catégorie d’infractions. Comme nous le verrons, ces infractions sont réputées, en droit, être des actes criminels; elles ne forment pas une troisième catégorie. Lorsque j’emploie l’expression « infractions mixtes », j’entends donc par là l’existence de deux modes de poursuite.
[65] Lorsqu’il crée des infractions mixtes, le législateur fédéral reconnaît que certains crimes peuvent être plus ou moins graves selon les circonstances. Il accorde donc au ministère public la faculté de choisir la procédure la plus appropriée, ainsi qu’une gamme de peines possibles. Par exemple, la fraude de moins de cinq mille dollars — une des infractions en cause en l’espèce — peut englober des activités criminelles allant du simple fait, pour un jeune contrevenant à sa première infraction, d’intervertir les étiquettes de prix sur des articles dans un magasin à rayon, au fait, pour un récidiviste, de s’approprier illégalement l’argent du compte d’épargne d’une personne vulnérable dont il a soin. Le représentant du ministère public choisit la procédure qui convient le mieux compte tenu de l’infraction et du délinquant en cause. Comme notre Cour l’a reconnu, le pouvoir discrétionnaire, notamment celui du poursuivant, est « une caractéristique essentielle de la justice criminelle » qu’il faut se garder de modifier à la légère : R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387, p. 410; Krieger c. Law Society of Alberta, 2002 CSC 65, [2002] 3 R.C.S. 372.
[66] À quelques exceptions près, au Canada, la décision d’engager la poursuite par procédure sommaire ou par voie de mise en accusation a toujours appartenu au représentant du ministère public. Notre Cour l’a énoncé expressément dans l’arrêt Smythe c. La Reine, [1971] R.C.S. 680, p. 686, lorsqu’elle a fait siens les propos suivants de la Cour d’appel du Québec dans R. c. Court of Sessions of the Peace, ex parte Lafleur, [1967] 3 C.C.C. 244, p. 248 : « Si une personne ayant autorité, telle que le Procureur général, peut avoir le droit de décider si une personne sera poursuivie ou non, elle peut à coup sûr, si la loi l’y autorise, avoir le droit de déterminer la forme que prendra la poursuite. » Au paragraphe 17, le juge Fish signale que, en 1927, l’art. 501 du Code criminel laissait exceptionnellement à l’accusé le choix de la forme de la poursuite. La partie essentielle de l’art. 501 est rédigée ainsi : « Est coupable d’une infraction punissable, au choix de l’accusé, par voie de mise en accusation ou après déclaration sommaire de culpabilité devant deux juges de paix, et passible, sur déclaration de culpabilité, d’une amende de cent dollars au plus ou d’un emprisonnement de trois mois avec ou sans travaux forcés . . . ». Comme la gamme possible des peines prévues en cas de déclaration de culpabilité pour cette infraction était la même pour les deux formes de procédure, l’art. 501 donnait effectivement à l’accusé le choix de la forme du procès, un choix qui est normalement laissé à sa discrétion. Quoi qu’il en soit, il semble que la formulation de l’art. 501 soit une anomalie, puisqu’on ne la retrouve dans aucune autre disposition de cette édition du Code criminel.
2.2 Le libellé de la loi
[67] J’aborde maintenant la question de l’interprétation législative. L’interprétation des lois commence par un examen du libellé de la disposition en cause. Celle‑ci se trouve au début de la partie XXVII du Code criminel intitulée « Déclarations de culpabilité par procédure sommaire ». L’article 785 contient un certain nombre de définitions, puis l’art. 786 prévoit ce qui suit :
786. (1) Sauf disposition contraire de la loi, la présente partie s’applique aux procédures définies dans cette partie.
(2) À moins d’une entente à l’effet contraire entre le poursuivant et le défendeur, les procédures se prescrivent par six mois à compter du fait en cause.
Le passage pertinent de la définition de « procédures » à l’art. 785 est rédigé ainsi :
« procédures »
a) Procédures à l’égard d’infractions qu’une loi fédérale, ou toute disposition établie sous son régime, déclare punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire . . .
[68] Madame Dudley prétend que, comme les infractions mixtes sont « punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire », le par. 786(2) s’applique à ces infractions. Elle souligne que l’al. a) de la définition de « procédures » à l’art. 785 n’indique nullement qu’une infraction doit être punissable exclusivement sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire pour être visée par la définition. C’est exact, mais cet argument ne mène pas vraiment plus loin. Même si la définition de « procédures » est suffisamment vaste pour englober les infractions mixtes, la partie XXVII s’applique uniquement « [s]auf disposition contraire de la loi ». Par exemple, il est évident que bon nombre des dispositions de la partie XXVII ne s’appliquent pas aux infractions mixtes lorsque le ministère public choisit la procédure par voie de mise en accusation. Ce sont plutôt d’autres dispositions du Code criminel qui s’appliquent. Par conséquent, la définition de « procédures » ne répond pas à la question de savoir si les infractions mixtes sont visées par le délai de prescription prévu au par. 786(2). Selon moi, le fait que la disposition traite de l’introduction des procédures se veut un terrain plus fertile pour en dégager le sens.
[69] Aux termes du par. 786(2), les procédures se « prescrivent » par six mois. Les procédures relatives aux infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire sont introduites en vertu du par. 788(1) du Code; celles relatives aux actes criminels sont introduites en vertu des art. 504 ou 505 du Code. Dans les deux cas, l’introduction des procédures exige le dépôt d’une dénonciation rédigée selon la formule 2. Ainsi, le Code criminel établit deux voies menant au même résultat. Il n’y a pas de troisième voie dans le cas des infractions mixtes — ce qui illustre le fait, comme je l’ai dit précédemment, qu’il n’existe pas une troisième catégorie d’infractions qui seraient « mixtes ».
[70] La question devient donc de savoir si, dans le cas des infractions mixtes, les procédures sont introduites en vertu du par. 788(1) ou en vertu des art. 504 ou 505. Le paragraphe 34(1) de la Loi d’interprétation indique clairement que ces procédures sont introduites en vertu de ces derniers articles car, aux termes de l’al. 34(1)a), les infractions mixtes sont réputées des actes criminels. Voici le texte de cette disposition :
34. (1) Les règles suivantes s’appliquent à l’interprétation d’un texte créant une infraction :
a) l’infraction est réputée un acte criminel si le texte prévoit que le contrevenant peut être poursuivi par mise en accusation;
b) en l’absence d’indication sur la nature de l’infraction, celle‑ci est réputée punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire;
c) s’il est prévu que l’infraction est punissable sur déclaration de culpabilité soit par mise en accusation soit par procédure sommaire, la personne déclarée coupable de l’infraction par procédure sommaire n’est pas censée avoir été condamnée pour un acte criminel.
[71] Il ressort du par. 34(1) de la Loi d’interprétation que les infractions mixtes sont réputées des actes criminels, de sorte que les procédures sont introduites en vertu des art. 504 ou 505 et non en vertu du par. 788(1). Par conséquent, les procédures ne sont jamais « introduites » en vertu de la partie XXVII suivant le par. 788(1), et le délai de prescription ne s’applique pas aux infractions mixtes. Tout choix subséquent de la procédure sommaire par le ministère public n’invalide pas rétroactivement l’introduction des procédures.
[72] De plus, comme l’indique le texte du par. 34(1) de la Loi d’interprétation, le fait est que les infractions mixtes demeurent qualifiées d’acte criminel. L’alinéa a) ne tend aucunement à indiquer que l’infraction mixte pourrait cesser d’être réputée un acte criminel. En outre, la protection énoncée à l’al. c) ne serait pas nécessaire si le choix de la procédure sommaire ou un plaidoyer écartait la présomption de l’al. a). Par conséquent, des événements subséquents — notamment le choix de la procédure sommaire par le ministère public ou la décision de l’accusé de plaider coupable à une infraction punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire conformément au par. 606(4) — ne modifient en rien la qualification initiale. Ils modifient la procédure à suivre, la peine qui peut être infligée et l’effet d’une déclaration de culpabilité. Comme le fait remarquer le juge Fish dans ses motifs, lorsque le ministère public opte pour la procédure sommaire, l’infraction mixte acquiert, à tous ces importants égards, les mêmes caractéristiques que l’infraction punissable seulement sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, et effectivement, comme il le signale, d’autres cours ont dit de l’infraction qu’elle avait cessé d’être un acte criminel à ce point. (Voir par. 21‑22.) Bien que cette façon de voir puisse refléter adéquatement les effets pratiques du choix du ministère public du point de vue procédural, les termes de l’art. 34 ne permettent aucunement de dire que l’infraction, du point de vue du fond, ne soit plus un acte criminel. S’il en était autrement, et que l’infraction cesse d’être qualifiée d’acte criminel dès que le ministère public choisit de recourir à la procédure sommaire, aucune règle de droit ne permettrait au ministère public de « faire un nouveau choix » et de continuer les procédures par voie de mise en accusation. À mon humble avis, le choix de la voie procédurale par le ministère public ne modifie aucunement la qualification initiale de l’infraction, qui demeure un acte criminel.
[73] La mesure dans laquelle la qualification initiale de l'infraction emporte la décision dans certains contextes particuliers a fait l’objet de débats dans d’autres contextes. Par exemple, dans l’arrêt R. c. Connors (1998), 121 C.C.C. (3d) 358, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique est arrivée à la conclusion que les infractions mixtes conservent leur qualification d’actes criminels dans le contexte de la Loi sur l’identification des criminels, L.R.C. 1985, ch. I‑1, qui permet la prise des empreintes digitales de toute personne légalement détenue parce qu’elle est inculpée d’acte criminel ou qu’elle a été reconnue coupable d’un tel acte :
[traduction] Pour l’application de la Loi sur l’identification des criminels à tout le moins, l’expression « acte criminel » englobe les infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, mais celles‑ci demeurent des actes criminels peu importe le choix fait par le ministère public. Au plan procédural, ce choix a une incidence sur la forme du procès et le tribunal compétent, ainsi que sur la peine maximale qui peut être infligée, mais il ne change en rien la nature de l’infraction. Celle‑ci demeure un acte criminel.
(Le juge Cumming au nom d’une cour unanime sur ce point, par. 69.)
[74] Nous ne sommes pas appelés à interpréter la Loi sur l’identification des criminels. Par conséquent, il suffit, pour notre propos, de conclure que la qualification sous‑jacente de l’infraction mixte en tant qu’acte criminel régit certainement l’introduction des procédures. Le choix du ministère public d’emprunter la voie de la procédure sommaire, même s’il dicte la façon dont l’accusation sera traitée lorsqu’elle sera portée, ne change aucunement la nature sous‑jacente de l’infraction, qui reste un acte criminel. Celle‑ci n’a donc aucune incidence lorsque le ministère public prend sa décision. Comme l’a fait remarquer l’intervenant, dans certains endroits, le choix du ministère public est parfois indiqué expressément sur la formule ou dans la formulation du chef d’accusation avant le dépôt de la dénonciation. Selon moi, cela ne suscite aucune difficulté. Peu importe à quel moment le ministère public fait son choix, aux termes de la Loi d’interprétation, l’infraction est toujours réputée un acte criminel. La question peut aussi être envisagée de la manière suivante. Le choix n’est pas exercé de façon abstraite. Il doit avoir trait à une instance. Logiquement, l’introduction des procédures doit donc précéder le choix. Par conséquent, là où les dossiers font l’objet d’un filtrage avant que des accusations soient portées, les procédures relatives aux infractions mixtes sont encore introduites par voie de mise en accusation en vertu des art. 504 ou 505, après quoi le choix prend immédiatement effet pour régir en conséquence le processus qui en résulte.
2.3 La raison d’être de la prescription
[75] Un examen de la raison d’être de la disposition relative à la prescription permet de conclure que le législateur n’entendait pas limiter le délai imparti pour engager les poursuites dans le cas des infractions mixtes.
[76] Comme un auteur l’a fait remarquer, c’est d’abord et avant tout dans l’intérêt du défendeur que le droit criminel prévoit des délais de prescription : P. G. Barton, « Why Limitation Periods in the Criminal Code? » (1998), 40 Crim. L.Q. 188. Ces délais ont principalement pour objet de permettre aux personnes qui ont commis des infractions mineures de dormir en paix après un certain temps : [traduction] « . . . si le degré de gravité de l’infraction correspond à celui d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, cette infraction n’est pas à ce point importante que, après un certain temps, une personne devrait continuer de craindre d’être poursuivie. Cette dernière devrait pouvoir vivre sans craindre la menace de poursuites criminelles. La gravité des actes criminels l’emporte sur cette considération » (p. 190).
[77] Dans le cas des infractions mixtes, comme je l’ai expliqué précédemment, le législateur a reconnu que certains crimes peuvent être plus ou moins graves selon les circonstances, et il a accordé au ministère public un vaste pouvoir discrétionnaire l’autorisant à choisir la procédure la plus appropriée. Par conséquent, le législateur considère que les infractions mixtes sont plus graves que les infractions punissables seulement sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.
[78] Le législateur fédéral peut bien sûr créer des délais de prescription pour toutes les infractions ou pour certaines d’entre elles, comme il peut ne pas en créer du tout. Si le législateur a imposé un délai de prescription à l’égard des infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, les crimes les moins graves, il ne l’a pas fait pour les actes criminels. Il a décidé que l’intérêt que la société attache à la poursuite des infractions plus graves l’emporte sur l’intérêt du défendeur à dormir en paix. Il a également décidé que les infractions mixtes sont réputées des actes criminels. À mon avis, imposer un délai de prescription à l’égard des infractions mixtes viendrait contrecarrer le but visé par le législateur. Si le législateur avait souhaité assujettir les infractions mixtes à un délai de prescription, il aurait pu mentionner expressément ces infractions au par. 786(2) ou choisir de ne pas indiquer dans la Loi d’interprétation qu’elles sont réputées être des actes criminels.
2.4 Conséquences de l’interprétation
[79] À mon avis, une interprétation qui inclurait au par. 786(2) les infractions mixtes entraînerait des conséquences indésirables : elle nuirait à l’administration équitable et efficace du système de justice pénale.
[80] Comme l’illustrent bon nombre d’affaires, y compris celle qui nous occupe, imposer une prescription à l’égard des infractions mixtes aurait pour conséquence d’obliger le ministère public à recourir à la procédure de mise en accusation dans un cas où il aurait plutôt intenté des poursuites sommaires (à moins que l’accusé consente à de telles poursuites). Cette interprétation restreindrait, pour le ministère public, la faculté d’exercer son pouvoir discrétionnaire, une faculté dont j’ai déjà signalé l’importance. Elle pourrait aussi être injuste pour l’accusé. Comme l’a soutenu Mme Dudley, des procédures par voie de mise en accusation peuvent s’avérer plus préjudiciables à l’accusé — elles font courir à ce dernier un risque plus grand de conséquences sérieuses, en plus d’entraîner des frais plus élevés et des délais plus longs, et de comporter une plus grande stigmatisation. Voir R. c. Boutilier (1995), 104 C.C.C. (3d) 327 (C.A.N.‑É.), p. 335‑336.
[81] Une interprétation excluant les infractions mixtes du champ d’application du par. 786(2) permet d’éviter ces conséquences défavorables. Dans les cas où des infractions mixtes sont reprochées, les représentants du ministère public pourraient continuer d’exercer pleinement leur pouvoir discrétionnaire, même après l’expiration du délai de six mois. Dans les cas où il est question d’infractions punissables seulement sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et où les procédures sont introduites après le délai de six mois, les défendeurs auraient encore la faculté, que leur offre le par. 786(2), de consentir à une poursuite par voie de procédure sommaire. Je ne peux souscrire à l’argument suivant lequel il serait absurde d’accorder un tel consentement si la prescription s’appliquait uniquement aux infractions punissables seulement sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, parce que l’unique raison susceptible d’amener un accusé à renoncer à la prescription serait d’éviter une poursuite par voie de mise en accusation relativement à une infraction mixte. Cette prémisse est incorrecte, car des défendeurs pourraient bien recourir à cette solution si leur conduite est visée par différentes infractions, dont certaines sont punissables par voie de mise en accusation. Le fait de consentir à des poursuites par procédure sommaire en contrepartie de la décision du ministère public de ne pas intenter de poursuites par voie de mise en accusation aurait pour effet d’atténuer le péril qui les guette.
[82] À mon avis, il est préférable en l’espèce de retenir une interprétation qui respecte le pouvoir discrétionnaire du poursuivant et protège l’accusé contre un traitement injuste.
[83] En outre, une interprétation qui exclue les infractions mixtes du champ d’application du par. 786(2) n’entraîne aucun conflit avec d’autres lois. Il n’en résulte aucune incohérence.
[84] Je tiens à écarter trois préoccupations qu’a soulevées l’intervenant au sujet de l’incohérence de l’interprétation proposée avec d’autres lois. Premièrement, l’intervenant a recensé un certain nombre de lois fédérales créant seulement des infractions mixtes pour lesquelles un délai de prescription a été précisé et s’applique lorsque les poursuites sont introduites par voie de procédure sommaire. L’intervenant soutient que ces délais de prescription doivent être maintenus. Je suis d’accord. En l’espèce, seul le délai de prescription prévu au par. 786(2) du Code est en cause; le législateur peut bien sûr établir tout autre délai de prescription qu’il désire.
[85] Deuxièmement, le directeur des poursuites pénales a recensé un certain nombre d’autres lois fédérales créant des infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire à l’égard desquelles aucun délai de prescription n’est précisé. Il dit s’inquiéter du fait que, si une interprétation excluant les infractions mixtes du champ d’application du par. 786(2) était retenue, les infractions mixtes prévues dans ces lois échapperaient à la prescription alors que celles décrites au paragraphe qui précède n’y échapperaient pas. Je ne crois pas que cette inquiétude soit fondée. Là encore, le législateur peut à sa guise imposer ou ne pas imposer de délais de prescription. Cela n’entraîne aucun conflit.
[86] Troisièmement, l’intervenant signale en particulier la Loi sur la généalogie des animaux, L.R.C. 1985, ch. 8 (4e suppl.). Cette loi crée une seule infraction, une infraction mixte, mais selon l’art. 67, « [l]es dispositions du Code criminel prévoyant un délai pour le dépôt d’une plainte ou d’une dénonciation relative aux infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire ne s’appliquent pas aux procédures concernant les infractions à la présente loi. » Selon l’intervenant, cette disposition indique que le législateur a considéré que le par. 786(2) s’applique aux infractions mixtes. Je ne suis pas d’accord. Le fait que les parties et l’intervenant n’aient pu trouver qu’un seul exemple de la sorte me conforte dans mon opinion. D’ailleurs, j’estime que cette disposition a été ajoutée par souci de précision. Il n’en résulte aucune incohérence; en fait, cette disposition est conforme à l’interprétation du par. 786(2) que je propose.
[87] Enfin, la jurisprudence ne fait aucunement obstacle à l’interprétation proposée, car aucun tribunal ne s’est prononcé sur cette question.
[88] Dans Karpinski, notre Cour n’a pas jugé que le ministère public ne pouvait pas poursuivre une infraction mixte par voie de procédure sommaire après l’expiration du délai de prescription; elle n’était pas saisie de cette question. Dans cette affaire, une dénonciation avait été faite sous serment, le ministère public avait choisi de poursuivre par voie de procédure sommaire et le défendeur avait plaidé non coupable. L’avocat de la défense avait ensuite demandé le rejet de l’accusation au motif que la dénonciation avait été faite hors délai. Le magistrat avait permis au représentant du ministère public de retirer la dénonciation et d’en déposer une nouvelle en vue de poursuivre par voie de mise en accusation. Notre Cour n’a examiné que la question restreinte de savoir si le retrait de la première dénonciation devait être considéré comme un acquittement autorisant l’accusé à plaider autrefois acquit. Elle n’a pas abordé la question du procès avorté ou celle de l’opportunité du retrait de la dénonciation.
[89] Même si d’autres tribunaux ont également considéré que le par. 786(2) s’applique aux infractions mixtes, aucun ne s’est prononcé sur cette question. Par conséquent, aucune décision judiciaire ne va à l’encontre de la conclusion selon laquelle le par. 786(2) ne s’applique pas aux infractions mixtes.
3. Dispositif
[90] J’arrive à la conclusion que, suivant la conclusion qu’il convient de lui donner, le par. 786(2) n’empêche pas l’introduction de procédures plus de six mois après l’infraction reprochée dans le cas des infractions mixtes. Je suis d’avis de rejeter le pourvoi, de confirmer l’ordonnance de la Cour d’appel annulant la décision du juge de première instance, et de modifier l’ordonnance en renvoyant l’affaire devant le tribunal de première instance pour qu’elle soit instruite par procédure sommaire conformément au choix du ministère public.
Pourvoi rejeté.
Procureurs de l’appelante : Attia Reeves Tensfeldt Snow, Edmonton.
Procureur de l’intimée : Ministère de la Justice, Edmonton.
Procureur de l’intervenant : Directeur des poursuites pénales du Canada, Ottawa.
[1]Je sais bien sûr que, dans le Code criminel, le législateur utilise le terme « accusé » dans le cas des infractions punissables par mise en accusation (actes criminels), et le terme « défendeur » dans le cas des infractions punissables par procédure sommaire. Par souci de simplifier les choses sans recourir à des nuances terminologiques inutiles, j’emploierai ici, lorsqu’il est question d’infractions mixtes, le terme « accusé » dans les deux cas et je réserverai le terme « défendeur » aux poursuites par procédure sommaire. Le terme « verdict » désignera quant à lui une décision sur le fond (« coupable » ou « non coupable ») en matières d’infractions punissables tant par voie de mise en accusation que par procédure sommaire, et le terme « acquittement » un verdict de non‑culpabilité dans les deux cas.
[2]Mémoire supplémentaire de l’intervenant, le directeur des poursuites pénales.
[3]Guide du Service fédéral des poursuites, section 19.2.1 (mise à jour en 2002).
[4]L’avocat-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal du ministère de la Justice, devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne, à 0930 (le 20 octobre 1998).