COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : R. c. Ouellette, 2009 CSC 24, [2009] 1 R.C.S. 818
Date : 20090529
Dossier : 32057
Entre :
Sa Majesté la Reine
Appelante
et
Yves Ouellette
Intimé
‑ et ‑
Procureur général de l’Ontario
Intervenant
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Rothstein
Motifs de jugement :
(par. 1 à 15)
Motifs concordants en partie :
(par. 16)
Motifs conjoints dissidents :
(par. 17-23)
Motifs dissidents :
(par. 24)
La juge Abella (avec l’accord des juges Binnie et Deschamps)
Le juge LeBel
La juge en chef McLachlin et le juge Rothstein
Le juge Fish
______________________________
R c. Ouellette, 2009 CSC 24, [2009] 1 R.C.S. 818
Sa Majesté la Reine Appelante
c.
Yves Ouellette Intimé
et
Procureur général de l’Ontario Intervenant
Répertorié : R. c. Ouellette
Référence neutre : 2009 CSC 24.
No du greffe : 32057.
2008 : 13 novembre; 2009 : 29 mai.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Rothstein.
en appel de la cour d’appel du québec
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Beauregard, Otis et Giroux), 2007 QCCA 518, [2007] R.J.Q. 787, 49 C.R. (6th) 286, 229 C.C.C. (3d) 563, [2007] J.Q. no 2812 (QL), 2007 CarswellQue 2694, qui a infirmé en partie une décision de la juge Dufour, [2004] R.J.Q. 2619, [2004] J.Q. no 6258 (QL), 2004 CarswellQue 1269. Pourvoi rejeté, la juge en chef McLachlin et les juges Fish et Rothstein sont dissidents.
François Lacasse, W. Paul Riley et Simon William, pour l’appelante.
Marc Nerenberg, pour l’intimé.
John Corelli et Deborah Calderwood, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
Version française des motifs des juges Binnie, Deschamps et Abella rendus par
[1] La juge Abella — Tout comme les pourvois connexes R. c. Craig, 2009 CSC 23, [2009] 1 R.C.S. 762, et R. c. Nguyen, 2009 CSC 25, [2009] 1 R.C.S. 826, le présent pourvoi concerne la relation entre une ordonnance de confiscation visant un bien immeuble infractionnel rendue en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19, et la période d’emprisonnement ou d’autres aspects de la sentence prononcée contre un délinquant.
[2] Comme je l’indique dans mes motifs de jugement dans l’arrêt Craig, il convient à mon avis d’aborder les ordonnances de confiscation d’une façon indépendante de l’examen plus large effectué pour la détermination de la peine.
[3] L’intimé, Yves Ouellette, a été inculpé et déclaré coupable de production de marihuana et de possession de cette substance en vue d’en faire le trafic, infractions prévues par les par. 5(2) et 7(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. La police a saisi 129 plants de marihuana cultivés dans sa maison de Laval, une balance ainsi que 14 kilos de feuilles de marihuana qui se trouvaient dans son congélateur.
[4] Monsieur Ouellette ne possédait aucun antécédent judiciaire relativement à des infractions de cette nature. Sa seule condamnation découlait d’une accusation de conduite avec facultés affaiblies, infraction sans lien avec celles visées par les présents pourvois ou avec quelque autre infraction prévue par le texte législatif en question. La preuve ne permettait de le relier à aucun groupe criminalisé.
[5] Il habitait la maison en question et, en 2004, après les infractions dont il a été déclaré coupable, son fils de 17 ans est venu vivre avec lui. Ils y vivent toujours.
[6] Le sous‑sol de la maison était utilisé pour la culture de la marihuana. Des systèmes d’éclairage et de ventilation spécialisés y avaient été installés. Divers objets se rapportant à la culture de la marihuana ont été trouvés dans d’autres parties de la maison, notamment une arme à feu à l’étage. L’immeuble était protégé par un système de surveillance rudimentaire. Sur la base de ces constatations, la juge Dufour de la Cour du Québec a conclu que seule une très petite partie de la résidence était utilisée à des fins non reliées à la culture de la marihuana.
[7] En Cour d’appel du Québec, cependant, le juge Giroux n’a pas souscrit à la conclusion de la juge Dufour selon laquelle la maison avait dans les faits été transformée en « bunker ». Il a plutôt conclu qu’elle était principalement utilisée comme résidence (2007 QCCA 518, [2007] R.J.Q. 787, par. 39). Il n’est pas nécessaire, pour statuer sur le présent pourvoi, de trancher cette divergence d’opinions au sujet de la mesure dans laquelle la résidence avait été transformée en lieu servant à la culture de marihuana.
[8] À l’étape de la détermination de la peine, la juge Dufour a ordonné la confiscation totale de la maison de M. Ouellette en tant que bien infractionnel ([2004] R.J.Q. 2619). Elle a estimé que ce bien était utilisé principalement pour la production de marihuana, parce que plusieurs instruments reliés à des récoltes antérieures s’y trouvaient. Après avoir étudié l’historique législatif du régime de confiscation et conclu qu’un plus grand pouvoir discrétionnaire était maintenant conféré pour refuser la confiscation, elle a considéré que la période d’emprisonnement et l’ordonnance de confiscation constituaient, ensemble, une seule et même punition globale.
[9] La juge Dufour a estimé que le fait que M. Ouellette était motivé par l’appât du gain, qu’il avait en sa possession une arme à feu et qu’il avait transformé sa maison en petite usine de production de marihuana étaient des facteurs aggravants. Ont été considérés comme des facteurs atténuants le fait qu’il n’avait qu’un antécédent judiciaire de conduite avec les facultés affaiblies, qu’il travaillait depuis neuf ans et qu’il n’était lié à aucun groupe criminalisé.
[10] Elle a en conséquence condamné l’accusé à une peine de 10 mois d’emprisonnement avec sursis, prenant en compte l’ordonnance de confiscation pour déterminer la peine appropriée. La sentence était également assortie d’une période de mise en probation d’un an. Monsieur Ouellette s’est aussi vu imposer l’obligation de faire un don de 2 000 $, qui serait réparti entre divers organismes de bienfaisance.
[11] Rédigeant l’arrêt unanime de la Cour d’appel, le juge Giroux a accueilli en partie l’appel interjeté par M. Ouellette et ordonné la confiscation de la moitié seulement de l’immeuble. Il a conclu que la juge Dufour n’avait pas envisagé la confiscation partielle de l’immeuble, alors qu’elle avait pourtant déclaré qu’il s’agissait là d’un élément du pouvoir discrétionnaire du juge chargé de déterminer la peine.
[12] Il a conclu que la confiscation totale de l’immeuble ordonnée par la juge Dufour constituait une sanction démesurée, car seul le sous‑sol de la maison avait servi à la production de marihuana. Selon lui, les faits de l’affaire indiquaient d’une manière générale que les circonstances étaient moins graves que celles constatées par la juge chargée de déterminer la peine dans ses conclusions. Il a ajouté que l’exploitation n’était pas très sophistiquée, que l’accusé n’avait aucun lien avec le crime organisé et qu’il n’y avait pas eu vol d’électricité.
[13] À la lumière de l’analyse exposée dans l’arrêt connexe Craig, je suis d’avis, soit dit en tout respect pour l’opinion contraire, que le juge Giroux de la Cour d’appel a eu raison de prendre en considération la possibilité d’ordonner la confiscation partielle de l’immeuble, et je ne vois aucune raison de modifier ses conclusions ou l’ordonnance de confiscation qu’il a conçue.
[14] Bien qu’il semble avoir implicitement considéré l’ordonnance de confiscation et la période d’emprisonnement comme deux ordonnances interdépendantes, cela ne s’est pas traduit par une ordonnance de confiscation manifestement inappropriée.
[15] Je rejetterais par conséquent le présent pourvoi.
Version française des motifs rendus par
[16] Le juge LeBel — Sous réserve des motifs que j’ai exposés dans l’arrêt R. c. Craig, 2009 CSC 23, [2009] 1 R.C.S. 762, je suis d’accord avec la juge Abella pour dire que la confiscation partielle est une sanction qui peut être infligée, comme a conclu le juge Giroux de la Cour d’appel du Québec dans son opinion (2007 QCCA 518, [2007] R.J.Q. 787), et je trancherais le présent pourvoi de la manière proposée par ma collègue.
Version française des motifs rendus par
[17] La Juge en chef et le juge Rothstein (dissidents) — En raison du fait que, à notre avis, la confiscation partielle n’est pas une mesure autorisée par la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19, nous divergeons d’opinions avec la juge Abella quant à l’issue du présent pourvoi. Selon nous, M. Ouellette n’a pas démontré que la confiscation de sa maison serait démesurée et, par conséquent, il convient d’ordonner la confiscation de la totalité de l’immeuble.
[18] La nature et la gravité de l’infraction sont semblables à celles des infractions reprochées dans les deux pourvois connexes, R. c. Craig, 2009 CSC 23, [2009] 1 R.C.S. 762, et R. c. Nguyen, 2009 CSC 25, [2009] 1 R.C.S. 826. Dans les trois cas, il s’agissait d’installations de culture de la marihuana commerciales de taille moyenne.
[19] En ce qui concerne les circonstances de la perpétration de l’infraction, certains facteurs aggravants relevés par la juge de première instance ont été mis en question à l’étape de l’appel. Même si M. Ouellette avait installé une caméra de surveillance et conservait une arme à feu sur les lieux, le juge Giroux est arrivé à la conclusion que la juge du procès avait exagéré en qualifiant la maison de genre de « bunker » (2007 QCCA 518, [2007] R.J.Q. 787, par. 39). À l’instar du juge Giroux, nous estimons que l’emploi de cette expression revenait à exagérer la mesure dans laquelle la propriété de M. Ouellette était consacrée à la culture de la marihuana. Selon le dossier, seul le sous‑sol était affecté à cette activité, la maison continuant d’être utilisée comme résidence principale par M. Ouellette. La présence d’une arme à feu et d’une caméra de surveillance ne suffit pas à faire de la résidence personnelle de M. Ouellette un bunker armé.
[20] Suivant le par. 19.1(3), cependant, il incombe à l’auteur de l’infraction de convaincre le tribunal que la confiscation serait démesurée au regard des critères pertinents. Même si l’arme à feu et la caméra de surveillance ne démontrent pas que la résidence de M. Ouellette était un genre de « bunker », ces circonstances de la perpétration de l’infraction invitent à conclure que la confiscation n’était pas démesurée en l’espèce.
[21] En ce qui concerne la condamnation antérieure de M. Ouellette pour conduite avec facultés affaiblies, nous sommes d’accord avec la juge Abella et la Cour d’appel pour dire qu’elle est sans aucun rapport avec l’infraction en cause et ne devrait pas intervenir dans l’analyse de la proportionnalité prescrite par le par. 19.1(3).
[22] En définitive, notre collègue la juge Abella souscrit à la conclusion de la Cour d’appel selon laquelle la confiscation de la moitié de la propriété de M. Ouellette est une sanction mesurée au regard des facteurs énumérés au par. 19.1(3). Toutefois, ni le juge Giroux ni la juge Abella n’expliquent dans leurs motifs pourquoi la confiscation d’une moitié de l’immeuble — plutôt qu’une autre proportion — est appropriée en l’espèce. La confiscation d’une moitié de l’immeuble devrait‑elle devenir le nouveau résultat standard pour les délinquants dont la situation est tout juste en deçà du seuil de disproportion, ou devrait‑on plutôt encourager une modulation accrue de la confiscation? La confiscation des neuf dixièmes de l’immeuble devrait‑elle être possible à l’égard d’un délinquant qui serait en mesure d’établir le moindre facteur atténuant? À notre avis, cette incertitude risque de saper les objectifs que poursuivait le législateur en adoptant ces dispositions.
[23] En ce qui concerne la confiscation, suivant le par. 19.1(3), du droit d’un délinquant sur un bien infractionnel, il n’existe selon nous qu’une solution : tout ou rien. Étant donné que M. Ouellette n’a pas démontré, comme il lui incombait de le faire, que la confiscation serait démesurée au sens du par. 19.1(3), nous sommes d’avis d’accueillir l’appel.
Version française des motifs rendus par
[24] Le juge Fish (dissident) — Sous réserve des motifs que j’ai exposés dans l’arrêt R. c. Craig, 2009 CSC 23, [2009] 1 R.C.S. 762, je souscris à l’opinion de la Juge en chef et du juge Rothstein et je trancherais le pourvoi de la manière qu’ils proposent.
Pourvoi rejeté, la juge en chef McLachlin et les juges Fish et Rothstein sont dissidents.
Procureur de l’appelante : Service des poursuites pénales du Canada, Ottawa.
Procureur de l’intimé : Marc Nerenberg, Montréal.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.