Les accusés, M et A, ont été déclarés coupables d’infractions commises contre leur fils en bas âge. M a été déclaré coupable de meurtre au deuxième degré, de voies de fait graves et de voies de fait causant des lésions corporelles; A, de négligence criminelle entraînant la mort et de manquement à l’obligation de fournir les choses nécessaires à l’existence. La Cour d’appel a confirmé leurs déclarations de culpabilité. Après l’appel, les témoignages de deux experts, P et une autre personne, sont devenus disponibles. Ces éléments de preuve nouvelle présentés devant notre Cour discréditent le témoignage de S, l’expert cité par le ministère public, et la déposition de C, témoin à charge, devient de ce fait non fiable.
Arrêt : Les pourvois sont accueillis.
Les déclarations de culpabilité des accusés sont annulées et un nouveau procès est ordonné à l’égard des infractions dont M et A ont été déclarés coupables. Le témoignage de S, qui est maintenant reconnu comme non fiable, a joué un rôle primordial dans la thèse du ministère public. Il aurait bien pu influer sur la conclusion du jury concernant les deux éléments de l’accusation de meurtre, à savoir le lien de causalité et l’intention. Il ne convient donc pas de remplacer la déclaration de culpabilité de M pour meurtre par une déclaration de culpabilité pour homicide involontaire coupable. Il ne convient pas non plus de prononcer l’acquittement relativement aux chefs d’accusation de meurtre et de négligence criminelle entraînant la mort, car on ne saurait dire qu’un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant raisonnablement ne pourrait pas, en se fondant sur les autres éléments de preuve, déclarer les accusés coupables des infractions relatives à l’homicide. Enfin, même si la preuve nouvelle porte principalement sur les déclarations de culpabilité pour meurtre et négligence criminelle entraînant la mort, elle influe également, quoique dans une moindre mesure, sur les autres chefs d’accusation, et il serait spéculatif et dangereux de conclure que le verdict concernant n’importe laquelle des accusations aurait été nécessairement le même sans le témoignage de S. Essayer à ce stade‑ci d’isoler l’effet du témoignage de S sur un chef d’accusation de l’effet qu’il pourrait avoir eu sur les autres chefs équivaudrait à se livrer de façon injustifiée à des conjectures en appel. [5‑7] [13‑14]
POURVOIS contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Doherty, Sharpe et Simmons) (2004), 191 O.A.C. 322, 190 C.C.C. (3d) 199, [2004] O.J. No. 4366 (QL), qui a confirmé les déclarations de culpabilité des accusés. Pourvois accueillis.
Michael Lomer, pour l’appelant Marco Trotta.
James Lockyer, pour l’appelante Anisa Trotta.
Lucy Cecchetto, pour l’intimée.
Version française du jugement de la Cour rendu par
Le juge Fish —
I
1 Marco Trotta et sa femme Anisa Trotta ont été condamnés pour homicide coupable et d’autres infractions, toutes concernant la courte vie et la mort tragique de leur fils en bas âge Paolo.
2 À la fin de leur procès conjoint devant juge et jury, Marco Trotta a été déclaré coupable de meurtre au deuxième degré, de voies de fait graves et de voies de fait causant des lésions corporelles; Anisa Trotta, de négligence criminelle entraînant la mort et de manquement à l’obligation de fournir les choses nécessaires à l’existence. La Cour d’appel de l’Ontario a confirmé leurs déclarations de culpabilité ((2004), 191 O.A.C. 322).
3 L’issue des présents pourvois dépend des éléments de preuve nouveaux qui n’étaient pas disponibles au procès ni lorsque la Cour d’appel a confirmé leurs déclarations de culpabilité. Nous avons conclu qu’un nouveau procès s’impose pour tous les chefs d’accusation. Il ne conviendrait donc pas que nous disions sur la preuve nouvelle ou la preuve disponible au procès plus que ce qui est nécessaire pour expliquer notre décision.
II
4 Essentiellement, les éléments de preuve nouveaux — principalement les témoignages de deux experts, le Dr Michael Pollanen et le Dr Simon Avis — discréditent la preuve présentée au procès par le Dr Charles Smith, l’expert cité par le ministère public. Et la déposition du second témoin à charge, le Dr David Chan, devient de ce fait non fiable.
5 Le ministère public a concédé que les éléments de preuve nouveaux devraient être admis et que la déclaration de culpabilité prononcée contre Marco Trotta relativement à l’accusation de meurtre ne saurait être maintenue. Pour ce qui est de ce chef d’accusation, toutefois, il nous demande avec insistance de substituer à cet égard une déclaration de culpabilité pour homicide involontaire coupable au lieu d’ordonner la tenue d’un nouveau procès. À son avis, le témoignage contesté du Dr Smith aurait pu influer sur la conclusion du jury concernant l’élément de faute, ou mens rea, qui distingue le meurtre de l’homicide involontaire coupable, mais non sa conclusion sur l’actus reus, ou élément de causalité commun aux deux infractions. Ce n’est pas, à notre avis, un argument convaincant. Nous croyons, au contraire, que le témoignage du Dr Smith aurait bien pu influer sur la conclusion du jury concernant les deux éléments essentiels de l’accusation de meurtre : M. Trotta a causé la mort de Paolo et il l’a fait intentionnellement.
6 Le ministère public estime aussi que la preuve nouvelle n’a aucune incidence sur les autres déclarations de culpabilité de l’un ou l’autre appelant. Il nous a donc exhortés à rejeter les pourvois formés contre ces déclarations de culpabilité. Comme nous allons maintenant le constater, cet argument ne saurait être retenu non plus. Certes, la preuve nouvelle produite devant la Cour porte principalement sur les déclarations de culpabilité des appelants pour meurtre et négligence criminelle entraînant la mort, mais elle influe également, quoique dans une moindre mesure, sur les autres chefs d’accusation.
7 Les deux appelants, par contre, demandent l’acquittement relativement aux chefs d’accusation de meurtre et de négligence criminelle entraînant la mort et nous exhortent à ordonner un nouveau procès uniquement à l’égard des autres chefs d’accusation. Nous estimons qu’il ne convient pas à ce stade‑ci de prononcer l’acquittement, car nous ne sommes pas prêts à dire qu’il ne reste aucune preuve permettant à un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant raisonnablement de déclarer les appelants coupables des infractions relatives à l’homicide pour lesquelles ils ont été condamnés au procès.
III
8 Selon la position du ministère public au procès, Marco Trotta a agressé Paolo à de nombreuses reprises peu après sa naissance en septembre 1992 jusqu’à sa mort à la fin de mai 1993, et la mort de Paolo résultait de la dernière agression commise peu de temps auparavant. Dans ses directives au jury, le juge du procès a ainsi résumé la position du ministère public :
[traduction] Seulement sur la foi de cette preuve produite au procès, que vous acceptez, le ministère public cherche à vous prouver hors de tout doute raisonnable que Marco Trotta se comportait constamment de façon violente, avait un comportement agressif envers son fils en bas âge pendant la durée de cette courte vie et que ses actions violentes non seulement mettaient en danger la vie de Paolo en raison du comportement agressif grave, le deuxième chef d’accusation, et en fait lui ont causé des lésions corporelles à cause des manifestations continues de violence, le troisième chef d’accusation, mais aussi qu’elles avaient pris de telles proportions après le 6 mai 1993 qu’elles se sont terminées par le meurtre de l’enfant le 29 mai 1993, le premier chef d’accusation.
9 De plus, dans l’examen du caractère raisonnable du verdict du jury concernant l’accusation de meurtre, la Cour d’appel a expressément noté le lien potentiel entre la preuve de sévices qui durent toute une vie et la mort de Paolo, et a conclu (par. 31) :
[traduction] Des éléments de preuve convaincants, voire accablants, ont établi que Paolo était un enfant battu et que son agresseur était Marco. La preuve a permis au jury de conclure que les sévices physiques se sont intensifiés au cours de la vie de Paolo et se sont poursuivis jusqu’à très peu de temps avant sa mort. Selon la preuve, la mort de Paolo ne résultait pas d’une maladie quelconque, de causes naturelles (p. ex. SMSN [syndrome de mort subite du nourrisson]) ou d’un trauma accidentel. Selon le témoignage du Dr Smith, sa mort est causée par un trauma à la tête et/ou par asphyxie, ce qui dans les deux cas pouvait résulter d’une agression. D’après l’ensemble de la preuve, un jury raisonnable pourrait conclure que le cycle de violence que Marco faisait subir à Paolo a abouti à la mort de celui‑ci entre les mains de Marco. Cette constatation était disponible, même si le jury ne pouvait pas déterminer la nature exacte de la dernière agression. [Je souligne.]
10 Encore une fois, pour reprendre les propos de la Cour d’appel :
[traduction] Le ministère public s’est fondé sur le témoignage [du Dr Smith] pour éliminer certaines possibilités (p. ex. maladie et SMSN) et pour souligner les possibilités les plus vraisemblables, trauma à la tête et/ou asphyxie. Selon lui, si le témoignage du Dr Smith est mis avec le reste de la preuve des perpétuels sévices, le tableau général qui en résultait montrait hors de tout doute que Paolo est mort entre les mains de son père. [Je souligne; par. 84.]
11 La Cour d’appel a relevé certaines erreurs que le juge du procès avait commises dans le déroulement du procès et dans ses directives au jury. Elle a conclu qu’il avait fait erreur en admettant certains éléments de preuve concernant le comportement de Marco Trotta. Elle a jugé que les directives du juge sur le lien de causalité étaient « diffuses » et qu’il avait fait un commentaire « déplacé » dans ses directives au jury (par. 58 et 81). Enfin, quant à son erreur de fait, la Cour d’appel a affirmé :
[traduction] Dans son examen du témoignage du Dr Smith, le juge du procès a commis une grave erreur de fait. L’erreur portait sur une partie importante de la déposition d’un témoin important. Le juge du procès a aussi commis la même erreur à une autre occasion dans ses directives. [par. 91]
La Cour d’appel était toutefois convaincue qu’aucune de ces erreurs n’aurait pu influer sur l’équité du procès ou son issue.
12 Toutefois, comme je l’ai mentionné au tout début, ni le juge du procès ni la Cour d’appel n’avaient pu bénéficier des éléments de preuve nouveaux dont dispose la Cour. Ceux‑ci jettent un nouvel éclairage sur les regrettables erreurs du juge du procès et la conclusion de la Cour d’appel quant à leur effet sur l’issue du procès.
IV
13 En décidant qu’un nouveau procès s’impose à l’égard de tous les chefs d’accusation, nous tenons particulièrement compte des éléments suivants :
(1) l’importance capitale du témoignage du Dr Smith pour la thèse du ministère public au procès;
(2) la position du ministère public tout au long du procès quant au lien entre les chefs d’accusation;
(3) l’erreur de fait que le juge du procès a commise dans son examen du témoignage du Dr Smith est considérée comme importante par la Cour d’appel et elle s’est reproduite plus tard;
(4) il est maintenant reconnu que le témoignage du Dr Smith n’est pas fiable;
(5) la Cour d’appel a relevé plusieurs erreurs commises au procès qui portaient non seulement sur les accusations d’homicide, mais aussi sur les autres accusations;
(6) le fait que le ministère public a choisi de réunir dans un même procès tous les chefs d’accusation contre les deux accusés — et a soutenu, de surcroît, que les cinq infractions se recoupaient dans le temps;
(7) le Dr Smith a témoigné non seulement au sujet de la cause de la mort de Paolo — fondement des accusations d’homicide — mais aussi à propos de ses blessures antérieures, fondement des autres accusations;
(8) il est impossible de déterminer l’effet que le témoignage du Dr Smith (et celui du Dr Chan) avaient sur l’évaluation de la crédibilité des Trotta par le jury quant aux explications qu’ils ont données hors cour au sujet de ces blessures;
(9) le fait que le ministère public a présenté ces explications comme faisant partie de sa preuve contre les appelants;
(10) le juge du procès n’a naturellement pas donné comme instruction au jury de limiter son examen des témoignages du Dr Smith et du Dr Chan aux accusations d’homicide.
14 Dans cette optique, nous ne jugeons ni prudent ni opportun de conclure que le verdict concernant n’importe laquelle des accusations aurait été nécessairement le même sans le témoignage contesté avec succès du Dr Smith. Essayer à ce stade‑ci d’isoler l’effet du témoignage du Dr Smith sur un chef d’accusation de l’effet qu’il pourrait avoir eu sur les autres chefs équivaudrait à se livrer de façon injustifiée à des conjectures en appel.
15 Par conséquent, si un nouveau procès s’impose, comme nous estimons que c’est le cas en l’espèce, il est clairement préférable d’ordonner, à l’égard de tous les chefs d’accusation, un nouveau procès qui ne soit pas susceptible d’être contaminé.
V
16 Pour tous ces motifs, nous sommes d’avis d’accueillir les deux pourvois, d’annuler les déclarations de culpabilité des appelants et d’ordonner la tenue d’un nouveau procès pour les infractions dont ils ont été déclarés coupables.
17 Ayant conclu ainsi, pour les motifs exposés ci‑dessus, nous ne jugeons pas nécessaire d’examiner la question de la communication de preuve postérieure à ladéclaration de culpabilité soulevée par les appelants. Cette question est maintenant devenue théorique et devrait donc être tranchée à une autre occasion.
Pourvois accueillis.
Procureurs de l’appelant Marco Trotta : Lomer, Frost, Toronto.
Procureurs de l’appelante Anisa Trotta : Lockyer Campbell Posner, Toronto.
Procureur de l’intimée : Procureur général de l’Ontario, Toronto.
Date de l'import : 06/04/2012 Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2007-11-08;2007.csc.49
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.