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19/10/2007 | CANADA | N°2007_CSC_46

Canada | Citadelle, Cie d'assurances générales c. Vytlingam, 2007 CSC 46 (19 octobre 2007)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Citadelle, Cie d’assurances générales c. Vytlingam, [2007] 3 R.C.S. 373, 2007 CSC 46

Date : 20071019

Dossier : 31083

Entre :

La Citadelle, Compagnie d’assurances générales

Appelante

c.

Michael Vytlingam représenté par sa tutrice à l’instance, Chandra Vytlingam,

Chandra Vytlingam et Suzana Vytlingam

Intimés

‑ et ‑

Bureau d’assurance du Canada

Intervenant

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges B

astarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein

Motifs de jugement :

(par. 1 à 40):

Le juge Binnie (avec l’accord de la juge en chef M...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Citadelle, Cie d’assurances générales c. Vytlingam, [2007] 3 R.C.S. 373, 2007 CSC 46

Date : 20071019

Dossier : 31083

Entre :

La Citadelle, Compagnie d’assurances générales

Appelante

c.

Michael Vytlingam représenté par sa tutrice à l’instance, Chandra Vytlingam,

Chandra Vytlingam et Suzana Vytlingam

Intimés

‑ et ‑

Bureau d’assurance du Canada

Intervenant

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein

Motifs de jugement :

(par. 1 à 40):

Le juge Binnie (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Bastarache, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein)

______________________________

Citadelle, Cie d’assurances générales c. Vytlingam, [2007] 3 R.C.S. 373, 2007 CSC 46

La Citadelle, Compagnie d’assurances générales Appelante

c.

Michael Vytlingam représenté par sa tutrice à l’instance,

Chandra Vytlingam, Chandra Vytlingam et Suzana Vytlingam Intimés

et

Bureau d’assurance du Canada Intervenant

Répertorié : Citadelle, Cie d’assurances générales c. Vytlingam

Référence neutre : 2007 CSC 46.

No du greffe : 31083.

2006 : 11 décembre; 2007 : 19 octobre.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges MacPherson, Juriansz et MacFarland) (2005), 76 O.R. (3d) 1, 255 D.L.R. (4th) 114, 199 O.A.C. 136, 23 C.C.L.I. (4th) 272, 22 M.V.R. (5th) 163, [2005] I.L.R. ¶I‑4415, [2005] O.J. No. 2266 (QL), qui a confirmé une décision de la juge Backhouse (2004), 23 C.C.L.I. (4th) 267, [2004] O.J. No. 6004 (QL). Pourvoi accueilli.

Geoffrey D. E. Adair, c.r., pour l’appelante.

Stanley C. Tessis et Melanie C. Malach, pour les intimés.

Alan L. W. D’Silva, Danielle K. Royal et Ellen Snow, pour l’intervenant.

Version française du jugement de la Cour rendu par

1 Le juge Binnie — Le pourvoi porte sur les limites de la protection contre les « automobilistes insuffisamment assurés » prévue par une police d’assurance automobile type de l’Ontario.

2 Les intimés, des résidants de l’Ontario, roulaient vers le nord sur l’autoroute 95 près de Fayetteville, en Caroline du Nord, lorsque leur véhicule a été heurté par une grosse pierre que Todd Farmer et Anthony Raynor, deux individus du coin en quête de sensations fortes après avoir consommé de l’alcool et de la drogue, ont jetée du haut d’un pont d’étagement. L’intimé Michael Vytlingam a été très grièvement blessé à la suite de ce crime. Sa mère Chandra et sa sœur Suzana Vytlingam ont subi un grave préjudice psychologique. MM. Farmer et Raynor ont été poursuivis, déclarés coupables et condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement.

3 Les Vytlingam ont reçu de leur assureur ontarien des indemnités « sans égard à la faute » de plus d’un million de dollars. La question maintenant soumise à la Cour est de savoir si l’implication du véhicule de M. Farmer (qui a servi à transporter M. Farmer, M. Raynor et les pierres sur le lieu du crime) est suffisante pour que l’assureur ontarien soit tenu, en plus de leur verser les indemnités légales sans égard à la faute, de les indemniser aussi en vertu de la protection contre les automobilistes insuffisamment assurés, c.‑à‑d. de se substituer à M. Farmer et de leur verser les dommages-intérêts que celui-ci devrait leur payer. À lui seul, Michael Vytlingam a subi des dommages qui ont été évalués à 960 765,70 $, plus les intérêts après jugement à compter du 27 juillet 2004. La limite de la police de M. Farmer était de 25 000 $US.

4 Il est clair que M. Farmer était insuffisamment assuré. Il faut maintenant déterminer si le délit qui a causé les préjudices aux Vytlingam était suffisamment lié à l’utilisation et à la conduite de l’automobile de M. Farmer pour que l’on puisse conclure que la réclamation découle d’un délit commis par un « automobiliste ». Les tribunaux ontariens ont conclu que les Vytlingam avaient droit à l’indemnisation demandée ((2004), 23 C.C.L.I. (4th) 267 (C.S.J.), conf. par (2005), 76 O.R. (3d) 1 (C.A.)), en citant l’arrêt Amos c. Insurance Corp. of British Columbia, [1995] 3 R.C.S. 405. Je ne crois toutefois pas que la portée de la protection contre les « automobilistes insuffisamment assurés » puisse être étendue à ce point, malgré les faits non contestés qui inspirent une grande compassion. Les polices d’assurance doivent être interprétées de manière à donner effet aux attentes raisonnables de l’assuré et de l’assureur : Reid Crowther & Partners Ltd. c. Simcoe & Erie General Insurance Co., [1993] 1 R.C.S. 252, p. 269. Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi.

Analyse

5 L’avenant pertinent de la police des Vytlingam (art. 3 du Formulaire de modification de police de l’Ontario 44R — Protection de la famille (« FMPO 44R »)) prévoit :

Convention d’assurance

. . . l’assureur s’engage à indemniser tout demandeur admissible à l’égard du montant qu’il est légalement en droit de recouvrer d’un automobiliste insuffisamment assuré, à titre de dommages‑intérêts, du fait de lésions corporelles occasionnées à une personne assurée ou de son décès et qui sont attribuables, directement ou indirectement, à l’utilisation ou à la conduite d’une automobile. [Je souligne.]

La protection offerte par le FMPO 44R exige que soit établie la responsabilité de l’auteur d’un délit en tant qu’« automobiliste » insuffisamment assuré. Dans la police, la définition d’un « automobiliste insuffisamment assuré » inclut

le propriétaire ou le conducteur identifiés d’une automobile à l’égard de laquelle l’assurance de responsabilité automobile totale ou la somme des cautions, dépôts en espèces ou autres garanties financières qu’exige la loi au lieu de l’assurance, obtenus par le propriétaire ou le conducteur, sont inférieures à la limite de la garantie de protection de la famille [du demandeur] . . . [Je souligne.]

Comme nous le verrons, la Cour d’appel s’est beaucoup attardée aux termes « insuffisamment assuré », mais n’a pas accordé assez d’attention selon moi à la question de savoir si M. Farmer a commis son délit en tant qu’ « automobiliste », c.‑à‑d. si la réclamation découle, par un lien de causalité ininterrompu, de la propriété ou, directement ou indirectement, de l’utilisation ou de la conduite d’un véhicule à moteur.

6 L’avocat de l’appelante prétend, non sans raison, qu’il [traduction] « n’est pas logique qu’un avenant d’assurance rende l’indemnisation tributaire des limites de quelqu’un d’autre, . . . [à] moins que cette assurance vise des événements qui feraient entrer en jeu l’assurance responsabilité de l’auteur de la faute » (transcription, p. 3). En Ontario, la responsabilité de l’auteur d’un délit serait engagée dans les cas prévus à l’art. 239 de la Loi sur les assurances, L.R.O. 1990, ch. I.8, que voici :

239 (1) Sous réserve de l’article 240, le contrat constaté par une police de propriétaire assure la personne qui y est nommée, ainsi que toute autre personne qui, avec son consentement, conduit une automobile appartenant à l’assuré nommément désigné dans le contrat, ou qui est une personne transportée, dans les limites qu’en donne la description ou la définition figurant au contrat, contre la responsabilité que la loi impose à l’assuré nommément désigné dans le contrat ou à cette autre personne pour les pertes ou les dommages :

a) découlant de la propriété ou, directement ou indirectement, de l’usage ou de la conduite de l’automobile;

b) résultant de lésions corporelles ou du décès d’une personne ou de dommages matériels.

7 Sous cet angle, le FMPO 44R vient renforcer l’al. 239(1)a) lorsque la contribution de l’assureur de l’auteur du délit (le cas échéant) ne suffit pas. Ce point de vue me semble exact. La formulation du FMPO 44R suit celle de l’al. 239(1)a). Par conséquent, M. Farmer peut bien être un « automobiliste » (c.-à-d. le propriétaire ou le conducteur de l’automobile), et il peut bien être « responsable » des préjudices causés aux intimés — mais il faut se demander s’il est possible d’affirmer que la réclamation découle « de la propriété ou, directement ou indirectement, de l’usage ou de la conduite [d’une] automobile ». En résumé, M. Farmer était-il responsable en tant qu’automobiliste? Pour les motifs qui suivent, je ne pense pas qu’il l’était.

8 S’appuyant sur son interprétation de l’arrêt Amos, la Cour d’appel de l’Ontario a conclu à la responsabilité de l’assureur appelant — le juge Juriansz étant dissident. Dans l’affaire Amos, toutefois, la protection sans égard à la faute n’était pas assujettie à la condition que le demandeur soit « légalement en droit de recouvrer » des dommages‑intérêts « d’un automobiliste insuffisamment assuré », ou de qui que ce soit d’autre. La qualité d’« automobiliste » a donné lieu, dans divers contextes, à des décisions qui lui sont propres, dont les suivantes : Paulus c. Robinson (1991), 60 B.C.L.R. (2d) 116 (C.A.), autorisation d’appel refusée, [1992] 3 R.C.S. vii; Thacker c. Lavell (1992), 40 M.V.R. (2d) 306 (C.A. Alb.); Jove c. Paialunga (1997), 42 B.C.L.R. (3d) 309 (C.A.); Continental Stress Relieving Services Ltd. c. Canada West Insurance Co. of Canada (1998), 221 A.R. 160, 1998 ABQB 387; Holdbrook c. Emeneau (2000), 204 N.S.R. (2d) 96, 2000 NSCA 48; Tench c. Erskine (2006), 244 N.S.R. (2d) 55, 2006 NSSC 115.

9 Une partie de ce qui a été dit dans Amos est utile pour établir un lien entre les préjudices des demandeurs et « l’utilisation ou la conduite d’un véhicule à moteur », mais l’arrêt Amos ne peut servir de modèle pour résoudre la question de la protection d’assurance-indemnisation, c.-à-d. la question de l’« automobiliste », parce que le type d’assurance et les conditions de la protection en cause dans Amos n’exigeaient pas qu’un automobiliste soit fautif.

A. L’arrêt Amos

10 Dans Amos, l’assureur contestait son obligation sans égard à la faute de verser des indemnités légales à son propre assuré [traduction] « relativement au décès ou aux blessures résultant d’un accident qui découle de la propriété, de l’utilisation ou de la conduite d’un véhicule ».

11 L’assuré avait été attaqué par une bande d’inconnus alors qu’il roulait dans une rue d’une ville californienne. Il a été atteint par des coups de feu dans sa fourgonnette et a subi de graves blessures en fuyant ses agresseurs, qui étaient à pied. Le juge Major a déclaré : « Ce qui importe, c'est que la fusillade n'était pas le fruit du hasard et découlait de la propriété, de l'utilisation et de la conduite du véhicule de l'appelant » (par. 25). L’assureur a rejeté la réclamation, mais notre Cour l’a accueillie. S’exprimant au nom de la Cour à l’unanimité, le juge Major a fait observer que, si on ne peut étendre la portée d’un texte législatif « au‑delà de son sens clair et ordinaire », on ne peut non plus lui donner « une interprétation formaliste qui contrecarre l’objet et l’intention de la loi qui prévoit la protection ». Il a énoncé, au par. 17, un critère de causalité « plus souple », à deux volets, applicable au règlement de la Colombie‑Britannique qui imposait à l’assureur l’obligation légale de verser des indemnités sans égard à la faute à son propre assuré :

1. L’accident résulte‑t‑il d’activités ordinaires et bien connues auxquelles les automobiles servent? [Le critère de l’« objet ».]

2. Existe‑t‑il un lien de causalité (pas nécessairement direct ou immédiat) entre les blessures de l’appelant et la propriété, l’utilisation ou la conduite de son véhicule, ou le lien entre les blessures et la propriété, l’utilisation ou la conduite du véhicule est‑il simplement accidentel ou fortuit? [Le critère de la « causalité ».] [Je souligne; soulignement dans l’original omis.]

(On a plaidé dans le pourvoi que le critère de l’objet énoncé dans Amos importe un élément de causalité (« résulte-t-il ») qui fait double emploi avec le critère de la causalité énoncé lui aussi dans Amos. Il est toutefois possible d’écarter cette prétendue difficulté en reformulant ainsi le critère de l’objet énoncé dans Amos : L’accident est-il survenu au cours d’activités ordinaires et bien connues, etc.?)

12 En l’espèce, nous ne sommes évidemment pas appelés à nous prononcer sur les indemnités légales sans égard à la faute payables à l’assuré victime d’un accident. Dans Amos, l’analyse était nécessairement centrée sur l’usage de l’automobile du demandeur, alors qu’en l’espèce, elle est centrée sur l’usage du véhicule de l’auteur du délit. Il faut répondre à deux questions. Premièrement, la réclamation des Vytlingam vise-t-elle un automobiliste insuffisamment assuré qui a commis une faute au cours de l’utilisation d’un véhicule à moteur en tant que véhicule à moteur — et non d’une autre utilisation (en s’en servant comme tremplin, par exemple, comme nous le verrons)? Deuxièmement, le lien de causalité entre la perte ou le préjudice visés par la réclamation et la conduite du véhicule à moteur, qui doit être plus que fortuit ou ne pas répondre simplement au critère du facteur déterminant (ou « n’eût été »), est-il demeuré ininterrompu?

13 La responsabilité de l’assureur, dans Amos, tenait au fait que l’objectif des agresseurs était de pénétrer dans le véhicule assuré et que le demandeur, en conduisant sa fourgonnette, se livrait à une activité « ordinaire et bien connue » à laquelle son véhicule assuré pouvait servir. Les automobilistes croient généralement que, s’ils sont victimes d’un accident pendant qu’ils font une utilisation « ordinaire et bien connue » de leur véhicule, ils auront droit aux indemnités sans égard à la faute. C’est ce à quoi s’attendent mutuellement l’assureur et l’assuré.

14 Dans Amos, comme on l’a précisé, c’était « l’utilisation ou la conduite » de son propre véhicule qui avait mis le demandeur en danger. Comme l’a expliqué le juge Major :

L’agression en l’espèce était‑elle simplement une fusillade au hasard ou a‑t‑elle découlé de la propriété, de l’utilisation ou de la conduite du véhicule de l’appelant? Si la fourgonnette de l’appelant a pu être choisie au hasard par ses agresseurs, les coups de feu qui ont causé les blessures de l’appelant n’étaient toutefois pas le fruit du hasard. Le véhicule de l’appelant n’était pas simplement le lieu où les coups de feu ont été tirés. Cette fusillade semble avoir été le résultat direct de la tentative ratée des agresseurs de pénétrer dans la fourgonnette de l’appelant. Peu importe de savoir si les coups de feu étaient accidentels ou délibérés au moment où les agresseurs ont tenté de pénétrer dans le véhicule. [par. 25]

En l’espèce, il est indubitable que les Vytlingam avaient droit aux indemnités sans égard à la faute, puisqu’ils s’adonnaient à une activité automobile « ordinaire et bien connue » en roulant vers le nord sur l’autoroute 95, et que les blessures qu’ils ont subies étaient liées à ces « utilisation et conduite ». C’est pourquoi leurs assureurs ont versé à Michael Vytlingam, et à sa mère et sa sœur, des indemnités légales sans égard à la faute totalisant 1 408 358,22 $ (mémoire de l’appelante, par. 16). Même si le libellé de la loi ontarienne n’est pas exactement le même que celui de la loi de la Colombie‑Britannique, l’arrêt Amos établissait clairement le droit des Vytlingam aux indemnités légales.

15 Le texte de l’arrêt Amos a reçu une interprétation large en ce qui concerne les préjudices subis par un assuré (voir, p. ex., Vijeyekumar c. State Farm Mutual Automobile Insurance Co. (1999), 44 O.R. (3d) 545 (C.A.), et Saharkhiz c. Underwriters, Members of Lloyd’s, London, England (1999), 46 O.R. (3d) 154 (C.S.J.)), et les présents motifs ne doivent pas être interprétés de manière à en limiter l’application dans le cas des indemnités sans égard à la faute ou dans des contextes semblables mettant en cause un libellé similaire.

B. L’utilisation du véhicule à moteur

16 Bien qu’elles soient régies par des dispositions législatives différentes, l’assurance sans égard à la faute et l’assurance-indemnisation doivent être toutes les deux interprétées dans le contexte d’une police d’assurance automobile. Lorsque le juge Major a déclaré, dans Amos, que les indemnités sans égard à la faute étaient assujetties à la condition que la réclamation résulte « d’activités ordinaires et bien connues auxquelles les automobiles servent » (par. 17), il indiquait tout simplement que nul ne peut s’attendre à recevoir des indemnités d’une assurance automobile s’il a utilisé son véhicule à moteur à une fin qui n’est pas reliée à la conduite d’une automobile. Prenons l’exemple d’une demanderesse ivre qui utiliserait son automobile comme tremplin pour plonger tête première en eau peu profonde et se casserait le cou; elle ne pourrait raisonnablement s’attendre à être indemnisée par son assureur automobile, même si elle a, dans un sens, « utilisé » son véhicule à moteur. L’alinéa 239(1)a) commande la même conclusion, parce qu’on ne peut de façon sensée affirmer qu’une blessure résultant d’une utilisation aussi insolite découle « directement ou indirectement, de l’usage ou de la conduite » d’un véhicule à moteur en tant que véhicule à moteur.

17 L’assureur appelant cherche à restreindre la portée de la protection en soutenant, par exemple, qu’en l’espèce, il faut refuser l’indemnisation parce que M. Farmer a utilisé [traduction] « le véhicule pour transporter des armes sur le lieu d’un crime » et qu’il s’agissait là du « genre de situation qui ne devrait pas entrer [. . .] dans la définition des activités ordinaires et bien connues » (transcription, p. 18).

18 Je ne saurais être d’accord. D’abord, même si le transport de pierres à travers la campagne avait été la cause effective des préjudices subis par les Vytlingam, ce qui n’est pas le cas, les véhicules à moteur sont précisément destinés au transport. En l’espèce, le fait que le transport a été effectué dans un but criminel ne constitue pas davantage un motif d’exclusion que la possibilité que la capacité de conduire de M. Farmer ait été affaiblie lorsqu’il a pris le volant ce soir-là. Prenons un autre exemple : Les conducteurs (ou les piétons) innocents qui se font heurter par une voiture « transportant » des voleurs de banque qui fuient le lieu du crime ne doivent pas être privés d’indemnités. Dans tous ces cas, l’auteur du délit est responsable en tant qu’automobiliste, peu importe les motifs subjectifs pour lesquels il est monté dans la voiture.

19 Deuxièmement, et de toute façon, l’argument de l’assureur appelant exagère la portée du critère de l’« objet » énoncé dans Amos. En effet, le critère des « activités ordinaires et bien connues auxquelles les automobiles servent » limite l’étendue de la protection aux véhicules à moteur utilisés en tant que véhicules à moteur et exclurait les situations où on utiliserait une automobile comme tremplin (dans l’exemple ci-dessus), on remiserait un camion hors d’usage dans une grange pour y entreposer de la dynamite (qui exploserait) ou on s’en servirait négligemment comme pilier permanent pour soutenir un hangar à voitures (qui causerait des blessures en s’effondrant). On ne pourrait conclure, dans aucune de ces situations, que l’auteur du délit est responsable en tant qu’automobiliste. On ne saurait affirmer, dans aucune de ces situations, que le véhicule à moteur est utilisé en tant que véhicule à moteur. C’est ce type de situations inusitées que le critère de l’objet énoncé dans Amos exclut, sans plus. En l’espèce, comme dans Amos, la clef du litige résidait dans le critère de la causalité et non dans le critère de l’objet.

20 Dans Holdbrook, une tentative de suicide dans un camion garé dans un entrepôt a causé une explosion. La compagnie d’assurance-incendie a voulu se faire indemniser par l’assureur du camion, alléguant que les dommages découlaient de la propriété, de l’utilisation ou de la conduite du camion. La demande a été rejetée. Le juge Pugsley de la Cour d’appel a conclu, à bon droit, que le camion n’était ni conduit ni utilisé en tant que véhicule à moteur.

21 De même, dans l’affaire Continental Stress Relieving Services, un immeuble avait subi des dommages et les activités des entreprises qu’il abritait avaient été interrompues à la suite de l’utilisation imprudente d’un chalumeau à découper par un mécanicien qui avait embrasé des vapeurs d’essence. Les assureurs des entreprises ont tenté de se faire indemniser par les assureurs du véhicule à moteur, mais la cour a statué que le mécanicien imprudent ne pouvait être considéré comme un automobiliste fautif.

22 Prenons un autre exemple insolite, à titre d’illustration. Supposons que M. Farmer, au lieu de jeter des pierres du haut du pont d’étagement, ait conduit à très haute vitesse pour tenter d’effectuer un saut au-dessus de l’autoroute avec son automobile, à la manière d’Evel Knievel, et se soit écrasé sur le véhicule des Vytlingam. L’assureur pourrait être tenté de soutenir que M. Farmer ne faisait pas une utilisation « ordinaire et bien connue » de son véhicule. Pourtant, M. Farmer aurait assurément conduit son automobile et le fait de conduire satisfait au critère de l’objet énoncé dans Amos. En outre, selon le libellé du FMPO 44R, la réclamation des Vytlingam dans ce contexte aurait été attribuable « directement ou indirectement, à l’utilisation ou à la conduite » du véhicule de l’auteur du délit en tant que véhicule à moteur. Le FMPO 44R offre une vaste protection et très peu de situations en seront exclues parce qu’elles ne correspondent pas à l’utilisation d’un véhicule à moteur en tant que véhicule à moteur.

23 Troisièmement, je tiens à préciser que je rejette l’argument de l’appelante et du Bureau d’assurance du Canada, intervenant, selon lequel l’indemnisation prévue par le FMPO 44R peut être refusée si l’auteur du délit se livre (comme en l’espèce) à une activité criminelle. Il n’en est rien. L’assureur vend la tranquillité d’esprit à l’assuré, et l’avenant est souvent (et à juste titre) invoqué malgré la perpétration d’une infraction criminelle, par exemple, par un assuré victime d’un conducteur en état d’ébriété.

C. Le lien de causalité

24 À mon avis, la juridiction inférieure a eu tort de transposer, sans le modifier, l’examen de la question de la causalité effectué dans Amos, dans un contexte différent où il s’agit de déterminer si la responsabilité de MM. Farmer et Raynor, établie en l’espèce, découle directement ou indirectement de l’utilisation du véhicule de M. Farmer. Dans Amos, par exemple, le juge Major affirme ce qui suit dans le contexte des indemnités sans égard à la faute :

Il n’est pas nécessaire qu’une négligence ou une faute dans l’utilisation ou la conduite d’un véhicule à moteur soit la cause de la blessure. La responsabilité à l’égard de la blessure peut naître d’un acte délictueux autre que l’utilisation négligente d’un véhicule à moteur. C’est là une distinction importante.

. . .

De façon générale, lorsque l’utilisation ou la conduite d’un véhicule à moteur contribue de quelque manière aux blessures ou les aggrave, le demandeur a droit à indemnisation. [Je souligne; par. 23 et 26.]

25 Comme je l’ai indiqué, selon le FMPO 44R, l’auteur du délit dont la conduite fonde la demande d’indemnisation doit être fautif en tant qu’automobiliste. En toute déférence, j’estime que la décision rendue à la majorité par la Cour d’appel n’a pas mis l’accent sur cette question. La même erreur a été commise dans l’affaire Herbison c. Lumbermens Mutual Casualty Co. (2005), 76 O.R. (3d) 81 (C.A.), qui a été plaidée devant nous en même temps que le présent pourvoi, et dont les motifs sont prononcés simultanément. Le juge Juriansz s’est exprimé ainsi dans ses motifs dissidents en l’espèce :

[traduction] Nous vivons dans la culture de l’automobile. Les gens utilisent des automobiles pour se rendre aux endroits où ils causent ou subissent des dommages. « N’eût été » l’utilisation des automobiles, ils ne se trouveraient pas à ces endroits et ils ne causeraient ni ne subiraient ces dommages. [par. 73]

Je partage son avis. Ses collègues de la Cour d’appel de l’Ontario ont en fait appliqué le critère du « facteur déterminant » à la question de l’indemnisation. Or, ce n’est pas ce critère qui s’applique. Pour qu’il y ait indemnisation, il doit exister un lien de causalité ininterrompu entre la conduite de l’automobiliste en tant qu’automobiliste et le préjudice visé par la réclamation.

26 L’approche de la Cour d’appel ouvre la porte à des demandes d’indemnisation fondées sur toutes sortes de situations, d’une agression commise lors d’un enterrement de vie de garçon (Collier c. Insurance Corp. of British Columbia (1995), 100 B.C.L.R. (2d) 201 (C.A.)), à l’auto‑immolation (Holdbrook). En général, la jurisprudence a bien sûr fixé des limites raisonnables au lien de causalité. Par exemple, dans Greenhalgh c. ING Halifax Insurance Co. (2004), 72 O.R. (3d) 338 (C.A.), une automobiliste dont la voiture était tombée en panne en pleine campagne pendant l’hiver est sortie de son véhicule et a essayé de regagner la route principale à pied. Elle s’est égarée, est tombée dans une rivière et a subi des blessures causées par le froid et des engelures graves. La cour a conclu, à bon droit, que le lien de causalité avait été rompu. Dans Chisholm c. Liberty Mutual Group (2002), 60 O.R. (3d) 776 (C.A.), l’assuré a été blessé lorsque des coups de feu ont été tirés dans sa voiture par un agresseur inconnu. Le juge Laskin de la Cour d’appel a statué que les coups de feu étaient un acte séparable. Il n’y avait pas de lien de causalité entre les blessures subies par le demandeur et la conduite de sa voiture.

27 Dans Tench, le demandeur avait été agressé lors d’un incident de rage au volant. L’agresseur, qui était assuré, est sorti du véhicule de son père dans lequel il était passager et a agressé le demandeur, qui était toujours dans son véhicule. L’agresseur était fautif mais pas en tant qu’automobiliste. Une agression a également été jugée dissociable de l’utilisation d’un autobus scolaire dans Jenkins c. Zurich Insurance Canada (1997), 193 R.N.‑B. (2e) 135 (C.A.).

28 En revanche, dans Axa Insurance c. Dominion of Canada General Insurance Co. (2004), 73 O.R. (3d) 391 (C.A.), le demandeur a été blessé à l’œil par un tendeur utilisé pour fixer le bateau d’un ami à une remorque. L’assureur automobile a été tenu d’indemniser « l’ami » parce que la blessure causée au demandeur [traduction] « découlait, indirectement du moins (suivant l’al. 239(1)b) de la Loi [sur les assurances]) de la propriété, de l’usage et de la conduite » du véhicule à moteur et de la remorque à bateau qui y était reliée (par. 18).

29 Le demandeur doit établir que l’implication du véhicule visé par la demande d’indemnisation est plus qu’accidentelle ou fortuite : Law, Union & Rock Insurance Co. c. Moore’s Taxi Ltd., [1960] R.C.S. 80. Dans cette affaire, une entreprise de taxi s’était engagée par contrat à reconduire des enfants d’âge scolaire ayant un retard de développement jusqu’à leur porte. Un enfant avait été grièvement blessé parce qu’un chauffeur avait fait preuve de négligence en stationnant du côté opposé de la rue et en laissant l’enfant la traverser seul pour se rendre chez lui. Les parents ayant obtenu réparation auprès de l’entreprise de taxi, celle-ci a voulu se faire indemniser par son assureur aux termes d’une police multirisque qui ne s’appliquait pas en cas de pertes découlant de l’utilisation d’un véhicule à moteur. Dans ce contexte, le juge Ritchie a conclu que l’omission du chauffeur d’escorter l’enfant de l’autre côté de la rue était séparable de « l’utilisation ou la conduite » du véhicule assuré (obligeant ainsi l’assureur intimé à verser l’indemnité). Il a affirmé :

[traduction] [L]e véhicule à moteur était immobilisé au moment de l’accident et le lien de causalité qui a pris naissance avec son utilisation a été rompu par la négligence du conducteur de taxi dont l’omission d’escorter le garçon de l’autre côté de la rue est l’élément qui a engagé la responsabilité de l’[assurée]. [Je souligne; p. 85.]

Il est intéressant de noter que, dans des arrêts ultérieurs mettant en cause des polices d’assurance automobile, les tribunaux sont parvenus à des résultats différents. Dans Lefor (Litigation guardian of) c. McClure (2000), 49 O.R. (3d) 557 (C.A.), une adulte a déposé ses enfants du mauvais côté de la rue, mais la cour a conclu que le lien de causalité n’avait pas été rompu. La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique est arrivée à la même conclusion dans Wu c. Malamas (1985), 67 B.C.L.R. 105, tout comme la Cour du Banc de la Reine du Québec dans Cie d’assurance générale de commerce c. Legault, [1968] B.R. 505. Ces arrêts tiennent particulièrement aux faits qui leur sont propres. Toutefois, si l’implication du véhicule n’est rien de plus qu’accidentelle ou fortuite ou répond simplement au critère du facteur déterminant, et qu’elle est jugée séparable de la véritable cause de la perte, l’existence du lien de causalité nécessaire n’est pas établie.

30 S’il est vrai que l’utilisation de l’automobile de M. Farmer a contribué « de quelque manière » à la capacité de ce dernier de commettre le délit qui a causé les lésions aux Vytlingam, cela ne signifie pas qu’il a commis le délit en tant qu’« automobiliste » fautif au sens du FMPO 44R. Dans Stevenson c. Reliance Petroleum Ltd., [1956] R.C.S. 936, le juge Rand s’est exprimé ainsi : [traduction] « il s’agit de savoir si nous sommes [. . .] en présence d’une activité qui peut être ainsi séparée » (p. 940). En l’espèce, jeter des pierres était une activité entièrement séparable de l’utilisation ou de la conduite du véhicule de M. Farmer.

31 Une question semblable pourrait se poser dans le cas de demandes d’indemnisation visant des véhicules non identifiés. Dans l’affaire Chan c. Insurance Corp. of British Columbia, [1996] 4 W.W.R. 734 (C.A.C.‑B.), la demanderesse, qui était passagère de l’auto de son petit ami, avait été blessée par une brique lancée d’un véhicule circulant en sens inverse qui avait fui les lieux et n’avait jamais été identifié. La cour de la Colombie‑Britannique s’est demandé si l’acte de lancer la brique pouvait être « isolé » de l’acte de conduire le véhicule de l’agresseur sur l’autoroute et elle a retenu le point de vue du juge de première instance selon lequel cela n’était pas possible (par. 30). Je reconnais le désir très compréhensible, dans Chan, comme en l’espèce, de permettre à la victime innocente d’avoir accès aux coffres des assureurs. Néanmoins, il me semble qu’une analyse centrée (comme elle aurait dû l’être) sur les éléments du délit qui ont engagé la responsabilité de son auteur aurait révélé que le fait que la personne qui a lancé la brique circulait en automobile, et non à cheval, ne faisait pas de cet acte une activité automobile. Jeter des pierres était un acte intermédiaire. Ni dans Chan ni en l’espèce, l’auteur du délit n’était fautif en tant qu’automobiliste.

D. Application du critère aux faits de l’espèce

32 Les juridictions inférieures ont à juste titre considéré le rôle du véhicule de M. Farmer comme l’élément central de leur analyse. Si les Vytlingam avaient été frappés par un automobiliste insuffisamment assuré alors qu’ils étaient en train de marcher le long de l’autoroute, ils auraient également satisfait au volet de l’avenant FMPO 44R qui, rappelons‑le, se rapporte à des lésions attribuables à l’utilisation ou à la conduite d’une automobile. Cette constatation est compatible avec le sous‑al. 1.6a)(iii) de l’avenant, qui inclut dans la définition de « personne assurée », ceux qui sont « heurtés par une automobile alors qu’ils ne sont pas dans une automobile ».

33 Comme je l’ai déjà mentionné, je rejette l’argument de l’assureur selon lequel l’utilisation de l’automobile de M. Farmer pour transporter des pierres jusqu’au lieu du crime ne fait pas partie des activités ordinaires et bien connues auxquelles les automobiles servent. C’est plutôt la question de la causalité qui est déterminante en l’espèce.

34 La Cour d’appel de l’Ontario a conclu que M. Farmer était un « automobiliste insuffisamment assuré ». Cela est vrai, dans un sens général, mais quelle pertinence l’utilisation ou la conduite de son automobile avait‑elle quant à l’acte qui a causé les lésions, soit celui de jeter les pierres? M. Farmer a‑t‑il commis son délit en qualité d’automobiliste ou de jeteur de pierres? Dans ce dernier cas, l’acte de jeter les pierres était‑il lié assez étroitement à l’utilisation de son automobile pour que son délit soit considéré comme le délit d’un « automobiliste » au sens du FMPO 44R? Je ne le crois pas.

35 La formulation des questions en litige par la Cour d’appel de l’Ontario diffère de celle qui précède, mais le désaccord entre la majorité et le juge dissident a porté essentiellement sur la question de savoir si l’utilisation de l’automobile de M. Farmer, par ceux qui ont jeté les pierres, pour se rendre sur le lieu du crime et y transporter les pierres, puis pour s’enfuir, était séparable de l’acte qui a engagé la responsabilité (soit le fait de jeter les pierres) et des blessures ainsi infligées. S’exprimant au nom de la majorité, le juge MacFarland a conclu :

[traduction] Dans la mesure où il existe un lien suffisant entre l’utilisation ou la conduite du véhicule sous‑assuré et le fait de jeter la pierre, on peut conclure que l’utilisation ou la conduite du véhicule a contribué aux blessures de Michael Vytlingam. À mon avis, ce lien nécessaire existe en l’espèce. [Je souligne; par. 40.]

Comme je l’ai déjà dit, pour bénéficier de la protection prévue par le FMPO 44R, les Vytlingam doivent pouvoir démontrer que leur réclamation découle de la propriété ou, directement ou indirectement, de l’utilisation ou de la conduite de l’automobile de M. Farmer. Il ne suffit pas de démontrer que, « n’eût été » l’automobile de M. Farmer, le délit n’aurait pas pu être commis comme il l’a été. Prétendre qu’il suffit qu’une automobile soit utilisée pour transporter des gens sur le lieu d’un délit ou d’un crime pour que la protection contre les « automobilistes insuffisamment assurés » entre en jeu revient à étirer la protection censément accordée jusqu’à ce qu’elle cède. La juge de première instance a conclu que, « n’eût été » l’automobile de M. Farmer, les auteurs du délit n’auraient pas pu transporter les pierres pesant 27 et 30 livres sur le lieu du crime, mais l’obligation de l’assureur tient à la nature du délit, et non à la grosseur des pierres.

36 Le demandeur fait valoir que l’automobile faisait « partie intégrante » de l’ensemble de l’opération, qui avait été planifiée de manière à en inclure l’utilisation, mais le test à appliquer concerne les éléments du délit proprement dit, qui consistait en l’occurrence à jeter des pierres du haut d’un pont d’étagement et non à transporter des pierres à travers la campagne. Comme l’a dit l’avocat de l’appelante, [traduction] « [l]e fait de transporter une quantité quelconque de pierres, dans tout le pays, pour quelque raison que ce soit, n’entraînera jamais la moindre responsabilité civile. La responsabilité découle du fait de jeter ces pierres » (transcription, p. 9).

37 Le demandeur se fonde également sur l’utilisation de l’automobile pour fuir le lieu du crime mais, au moment de cette fuite, le délit à l’origine de la responsabilité avait déjà été commis. Les activités liées à l’automobile sont séparables du délit. Le fait que le mot « indirectement » figure dans le FMPO 44R ne suffit pas pour remédier au fait que le délit constitue un événement intermédiaire entièrement « séparable » de l’utilisation et de la conduite du véhicule de M. Farmer.

38 Le juge Juriansz, qui était dissident, a conclu que le fait de jeter les pierres constituait un acte indépendant qui a rompu le lien de causalité (par. 80). Je suis d’accord avec lui.

Dispositif

39 Les Vytlingam n’ont pas réussi à établir que la responsabilité de M. Farmer découlait, directement ou indirectement, de l’utilisation ou de la conduite de son véhicule au sens du FMPO 44R. Le pourvoi doit donc être accueilli.

40 Dans les circonstances, chaque partie assumera ses propres dépens devant toutes les cours.

Pourvoi accueilli.

Procureurs de l’appelante : Adair Morse, Toronto.

Procureurs des intimés : Laxton Glass, Toronto.

Procureurs de l’intervenant : Stikeman Elliott, Toronto.


Synthèse
Référence neutre : 2007 CSC 46 ?
Date de la décision : 19/10/2007
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Assurance - Assurance automobile - Protection contre les automobilistes insuffisamment assurés - Auteur d’un délit utilisant un véhicule à moteur pour transporter de grosses pierres jusqu’à un pont d’étagement, d’où il a jeté les pierres sur une auto conduite par un assuré, puis pour s’enfuir - Assuré très grièvement blessé - Auteur du délit insuffisamment assuré - Assuré ayant reçu des indemnités sans égard à la faute de son assureur et cherchant à obtenir des dommages‑intérêts civils de l’assureur en vertu d’une protection contre les automobilistes insuffisamment assurés - Cette protection doit‑elle lui être refusée parce que l’auteur du délit se livrait à une activité criminelle? - Les blessures de l’assuré découlent‑elles « directement ou indirectement de l’utilisation ou de la conduite d’une automobile »? - Le délit qui a causé des blessures à l’assuré constitue‑t‑il un acte intermédiaire séparable de l’utilisation et de la conduite de l’automobile de l’auteur du délit? - Loi sur les assurances, L.R.O. 1990, ch. I.8, art. 239.

Les V roulaient sur une autoroute lorsqu’une grosse pierre, jetée par F et R d’un pont d’étagement, a heurté leur véhicule, blessant très grièvement MV et causant un grave préjudice psychologique à CV et à SV. F et R ont été poursuivis, condamnés et emprisonnés. Les V ont reçu des indemnités sans égard à la faute de leur assureur ontarien et, comme F était insuffisamment assuré, ils ont tenté de se faire indemniser par l’assureur des V pour les dommages civils causés par F en invoquant leur protection contre les automobilistes insuffisamment assurés prévue à l’art. 3 du Formulaire de modification de police 44R de l’Ontario. Cet avenant prévoit que « l’assureur s’engage à indemniser tout demandeur admissible à l’égard du montant qu’il est légalement en droit de recouvrer d’un automobiliste insuffisamment assuré, à titre de dommages‑intérêts, du fait de lésions corporelles occasionnées à une personne assurée [. . .] et qui sont attribuables, directement ou indirectement, à l’utilisation ou à la conduite d’une automobile ». Le véhicule de F ayant été utilisé pour transporter les pierres jusqu’au lieu du crime et pour fuir, la Cour supérieure de justice de l’Ontario et la Cour d’appel ont cité Amos c. Insurance Corp. of British Columbia, [1995] 3 R.C.S. 405, pour conclure à la responsabilité de l’assureur et au droit des V d’être indemnisés.

Arrêt : Le pourvoi est accueilli.

La réclamation ne découle pas, par un lien de causalité ininterrompu, de la propriété ou, directement ou indirectement, de l’utilisation ou de la conduite d’un véhicule à moteur. Même si l’utilisation du véhicule de F (p. ex. pour transporter les pierres) faisait partie des activités ordinaires auxquelles les automobiles servent, le mot « indirectement » ne suffit pas pour écarter l’exigence d’un lien de causalité ininterrompu entre la conduite de l’auteur du délit en tant qu’automobiliste et les blessures visées par la réclamation. En l’espèce, le délit pertinent consistait à jeter les pierres du haut d’un pont d’étagement, et non à les transporter à travers la campagne. F n’était pas fautif en tant qu’automobiliste. Le délit était un acte indépendant qui a rompu le lien de causalité. Il s’agissait d’un acte intermédiaire séparable de l’utilisation et de la conduite du véhicule de F. [5] [7] [25] [33] [36‑38]

Les polices d’assurance doivent être interprétées de manière à donner effet aux attentes raisonnables de l’assuré et de l’assureur. L’assurance sans égard à la faute et l’assurance-indemnisation sont régies par des dispositions législatives différentes, mais doivent être toutes les deux interprétées dans le contexte d’une police d’assurance automobile. Ainsi, par exemple, la personne qui a utilisé son véhicule à moteur à une fin qui n’est pas reliée à la conduite d’une automobile ne peut s’attendre à recevoir des indemnités d’une assurance automobile. Par contre, l’indemnisation ne peut être refusée simplement parce qu’un véhicule à moteur est utilisé au cours d’une activité criminelle, comme par des voleurs pour fuir après un vol de banque ou par un conducteur en état d’ébriété. [4] [16] [23]

Amos a établi que, dans le contexte des indemnités sans égard à la faute, les parties s’attendent mutuellement à ce que des indemnités sans égard à la faute puissent être versées lorsqu’un accident survient au cours d’une utilisation « ordinaire et bien connue » de leurs véhicules, à condition qu’un rapport ou un lien de causalité puisse être établi entre l’utilisation du véhicule et l’accident. La présente affaire ne porte toutefois pas sur les indemnités d’accident légales sans égard à la faute, et la Cour d’appel a eu tort de transposer, sans le modifier, le test « assoupli » concernant le lien de causalité énoncé dans Amos dans le contexte de l’assurance-indemnisation, qui exige qu’il soit démontré que l’auteur du délit est responsable en tant qu’automobiliste. Le fait de transporter une quantité quelconque de pierres, partout au pays, n’entraînera jamais la moindre responsabilité civile. La responsabilité découle du fait de jeter ces pierres du haut du pont d’étagement. Le fait que le mot « indirectement » figure à l’art. 3 du Formulaire de modification de police 44R ne suffit pas pour remédier au fait que le délit constitue un événement intermédiaire entièrement « séparable » de l’utilisation et de la conduite du véhicule de F. [11-13] [24] [37-38]


Parties
Demandeurs : Citadelle, Cie d'assurances générales
Défendeurs : Vytlingam

Références :

Jurisprudence
Distinction d’avec l’arrêt : Amos c. Insurance Corp. of British Columbia, [1995] 3 R.C.S. 405
arrêts critiqués : Herbison c. Lumbermens Mutual Casualty Co. (2005), 76 O.R. (3d) 81
Chan c. Insurance Corp. of British Columbia, [1996] 4 W.W.R. 734
arrêts mentionnés : Reid Crowther & Partners Ltd. c. Simcoe & Erie General Insurance Co., [1993] 1 R.C.S. 252
Paulus c. Robinson (1991), 60 B.C.L.R. (2d) 116, autorisation de pourvoi refusée, [1992] 3 R.C.S. vii
Thacker c. Lavell (1992), 40 M.V.R. (2d) 306
Jove c. Paialunga Estate (1997), 42 B.C.L.R. (3d) 309
Continental Stress Relieving Services Ltd. c. Canada West Insurance Co. of Canada (1998), 221 A.R. 160, 1998 ABQB 387
Holdbrook c. Emeneau (2000), 204 N.S.R. (2d) 96, 2000 NSCA 48
Tench c. Erskine (2006), 244 N.S.R. (2d) 55, 2006 NSSC 115
Vijeyekumar c. State Farm Mutual Automobile Insurance Co. (1999), 44 O.R. (3d) 545
Saharkhiz c. Underwriters, Members of Lloyd’s, London, England (1999), 46 O.R. (3d) 154
Collier c. Insurance Corp. of British Columbia (1995), 100 B.C.L.R. (2d) 201
Greenhalgh c. ING Halifax Insurance Co. (2004), 72 O.R. (3d) 338
Chisholm c. Liberty Mutual Group (2002), 60 O.R. (3d) 776
Jenkins c. Zurich Insurance Canada (1997), 193 R.N.‑B. (2e) 135
Axa Insurance c. Dominion of Canada General Insurance Co. (2004), 73 O.R. (3d) 391
Law, Union & Rock Insurance Co. c. Moore’s Taxi Ltd., [1960] R.C.S. 80
Cie d’assurance générale de commerce c. Legault, [1968] B.R. 505
Wu c. Malamas (1985), 67 B.C.L.R. 105
Lefor (Litigation guardian of) c. McClure (2000), 49 O.R. (3d) 557
Stevenson c. Reliance Petroleum Ltd., [1956] R.C.S. 936.
Lois et règlements cités
Loi sur les assurances, L.R.O. 1990, ch. I.8, art. 239(1).

Proposition de citation de la décision: Citadelle, Cie d'assurances générales c. Vytlingam, 2007 CSC 46 (19 octobre 2007)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2007-10-19;2007.csc.46 ?
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