COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Chemin de fer Canadien Pacifique c. Vancouver (Ville), [2006] 1 R.C.S. 227, 2006 CSC 5
Date : 20060223
Dossier : 30374
Entre :
Chemin de fer Canadien Pacifique
Appelante
c.
Ville de Vancouver
Intimée
‑ et ‑
British Columbia Chamber of Commerce, British Columbia Real
Estate Association, Business Council of British Columbia, Canadian
Home Builders’ Association of British Columbia, Council of Tourism
Associations of British Columbia, Mining Association of British
Columbia, New Car Dealers Association of British Columbia,
Conseil canadien du commerce de détail,
Urban Development Institute (région du Pacifique) et
Institut du développement urbain du Canada
Intervenants
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish et Abella
Motifs de jugement :
(par. 1 à 64)
La juge en chef McLachlin (avec l’accord des juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish et Abella)
______________________________
Chemin de fer Canadien Pacifique c. Vancouver (Ville), [2006] 1 R.C.S. 227, 2006 CSC 5
Chemin de fer Canadien Pacifique Appelante
c.
Ville de Vancouver Intimée
et
British Columbia Chamber of Commerce, British Columbia Real
Estate Association, Business Council of British Columbia, Canadian
Home Builders’ Association of British Columbia, Council of Tourism
Associations of British Columbia, Mining Association of British
Columbia, New Car Dealers Association of British Columbia,
Conseil canadien du commerce de détail, Urban Development Institute
(région du Pacifique) et Institut du développement urbain
du Canada Intervenants
Répertorié : Chemin de fer Canadien Pacifique c. Vancouver (Ville)
Référence neutre : 2006 CSC 5.
No du greffe : 30374.
2005 : 9 novembre; 2006 : 23 février.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish et Abella.
en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (les juges Esson, Southin et Donald) (2004), 237 D.L.R. (4th) 40, 196 B.C.A.C. 49, 322 W.A.C. 49, 26 B.C.L.R. (4th) 220, 14 Admin. L.R. (4th) 60, 45 M.P.L.R. (3d) 161, [2004] B.C.J. No. 653 (QL), 2004 BCCA 192, qui a infirmé une décision du juge Brown (2002), 47 Admin. L.R. (3d) 56, 33 M.P.L.R. (3d) 214, [2002] B.C.J. No. 2451 (QL), 2002 BCSC 1507. Pourvoi rejeté.
Peter Kenward, pour l’appelante.
George K. Macintosh, c.r., et Susan B. Horne, pour l’intimée.
Argumentation écrite seulement par Peter G. Voith, c.r., et Gib van Ert, pour les intervenants.
Version française du jugement de la Cour rendu par
La Juge en chef —
1. Introduction
1 Il y a plus d’un siècle, en 1886, la Couronne provinciale a cédé à Chemin de fer Canadien Pacifique (« CP ») une bande de terre pour la construction d’une ligne de chemin de fer allant de False Creek, dans la ville de Vancouver (« Ville »), vers le sud jusqu’à Steveston, dans l’île Lulu (qui tire son nom de Mlle Lulu Sweet, une jeune comédienne faisant partie de la première troupe théâtrale à se rendre en Colombie‑Britannique). C’est cette bande de terre, maintenant connue sous le nom de « corridor Arbutus », qui se trouve au cœur du présent pourvoi.
2 En 1902, une ligne de chemin de fer a été construite dans le corridor. Au cours du siècle, le trafic ferroviaire a diminué. De temps à autre, il était question d’utiliser le corridor pour y établir une ligne de transport en commun urbain, mais rien n’a abouti et, au bout du compte, la ligne a été établie ailleurs. En 1999, CP a officiellement entamé le processus de cessation d’exploitation du chemin de fer dans le corridor conformément à la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10.
3 Depuis de nombreuses années, le corridor Arbutus est bordé des deux côtés et sur presque toute sa longueur par de vastes zones de développement urbain. CP a présenté des propositions visant l’aménagement résidentiel et commercial du corridor. Elle a également fait savoir que, si la Ville ou tout autre organisme public désirait acquérir le terrain, elle était disposée à le vendre à un prix établi de gré à gré ou selon les règles d’expropriation.
4 Il ne s’est rien passé. CP a alors déclaré avec plus de vigueur qu’il était intolérable que la Ville et d’autres organismes gouvernementaux cherchent à conserver le corridor intact sans l’acheter. Un débat public animé s’en est suivi. Dès 1986, la Ville a indiqué dans des documents de planification et des résolutions du conseil qu’elle préférait conserver le corridor pour le transport. Finalement, elle a clairement fait savoir qu’elle n’achèterait pas le terrain et a adopté l’Arbutus Corridor Official Development Plan By-law, règlement no 8249, 25 juillet 2000 (« Règlement PAO »), qui désignait le corridor comme voie publique réservée au transport et aux « voies vertes », telles que les sentiers du patrimoine, les sentiers d’interprétation de la nature et les pistes cyclables.
5 La Ville tient ses pouvoirs de la Vancouver Charter, S.B.C. 1953, ch. 55 (« Charte de Vancouver »), une loi de la Colombie‑Britannique dont l’objet est le même qu’une « loi municipale », sauf qu’elle s’applique uniquement à la ville de Vancouver (voir l’annexe A). Les plans d’aménagement visés à l’art. 561 de la Charte de Vancouver sont essentiellement des déclarations d’intention ne portant pas directement atteinte au droit de propriété des propriétaires fonciers. Cependant, une fois ces plans d’aménagement devenus « officiels » (« PAO ») en vertu de l’art. 562, ils ont pour effet d’empêcher tout aménagement qui leur est contraire : art. 563.
6 S’inspirant des documents de planification antérieurs, le Règlement PAO avait pour but d’[traduction] « établir un cadre pour l’avenir du corridor ». Plus particulièrement, l’art. 1.2 énonçait : [traduction] « Le corridor Arbutus sert depuis de nombreuses années à l’exploitation d’une ligne de chemin de fer et le présent plan tient compte de cet usage, mais prévoit également divers autres usages. »
7 Le règlement énumère les usages auxquels pourrait être destiné le corridor (art. 2.1) :
[traduction] Le présent plan désigne l’ensemble du terrain dans le corridor Arbutus exclusivement comme voie publique réservée :
a) au transport, notamment :
(i) le transport ferroviaire,
(ii) le transport en commun,
(iii) les pistes cyclables,
exception faite :
(iv) des véhicules à moteur, sauf dans les rues de la Ville qui croisent le corridor Arbutus,
(v) de tout système de transport rapide en sauts‑de‑mouton construit, en tout ou en partie, au‑dessus du sol, notamment le système de transport rapide connu sous le nom de « SkyTrain », actuellement en service dans le Lower Mainland,
b) aux voies vertes, notamment :
(i) les sentiers pédestres, dont les promenades, les sentiers de démonstration environnementale, les sentiers du patrimoine et les sentiers d’interprétation de la nature,
(ii) les pistes cyclables.
8 Le règlement a eu pour effet d’empêcher d’exploiter le potentiel de réaménagement du corridor et de confiner CP à des utilisations non rentables du terrain. CP considère cet effet comme injuste et déraisonnable. Elle ne prétend pas que la Ville ait agi de mauvaise foi. Elle soutient toutefois ceci : (1) le règlement excède la compétence de la Ville et devrait être annulé; (2) la Ville doit l’indemniser pour le terrain; (3) le règlement souffre d’irrégularités procédurales et devrait en conséquence être annulé.
9 La juge en son cabinet a statué que la Ville n’avait pas compétence pour prendre le règlement, a refusé de déclarer que la Ville doit indemniser CP et a jugé inutile l’examen des questions procédurales ((2002), 33 M.P.L.R. (3d) 214). La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a rejeté les trois arguments et accueilli l’appel de la Ville ((2004), 26 B.C.L.R. (4th) 220). CP se pourvoit maintenant devant la Cour. Même si je comprends très bien la situation de CP, je conclus que la Charte de Vancouver confère à la Ville le pouvoir de refuser l’indemnisation et de prendre
le règlement, et que les tribunaux n’ont d’autre choix que de confirmer sa validité. Par conséquent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.
2. Questions en litige
10 1. Le Règlement PAO excède‑t‑il les pouvoirs légaux de la Ville?
2. Dans la négative, la Ville doit‑elle indemniser CP pour le terrain?
3. Le règlement devrait‑il être annulé pour irrégularités de procédure?
3. Analyse
3.1 Le règlement excède‑t‑il les pouvoirs légaux de la Ville?
11 La Ville tient ses pouvoirs de la Charte de Vancouver. CP soutient que le Règlement PAO excède ces pouvoirs. Pour les motifs qui suivent, je ne saurais accepter cet argument.
12 La partie XXVII de la Charte de Vancouver confère à la Ville de vastes pouvoirs lui permettant de déterminer l’utilisation de son territoire. Les trois principaux pouvoirs sont le pouvoir de zoner, le pouvoir de planifier l’aménagement du territoire et le pouvoir de délivrer des permis d’aménagement. (Ce dernier pouvoir n’est pas visé par le présent pourvoi.) Le pouvoir de zoner permet à la Ville d’établir les utilisations qui sont acceptables dans certaines zones ou certains secteurs de son territoire, et il s’exerce par la prise de règlements de zonage. Le pouvoir de planifier l’aménagement du territoire autorise la Ville à forger une vision de l’aménagement futur et à imprimer une direction à celui‑ci; il s’exerce par la préparation et la révision de « plans d’aménagement » et par l’adoption par règlement de plans d’aménagement comme PAO. Les règlements de zonage précisent les utilisations autorisées concrètes, alors que les PAO visent la conservation du territoire pour des utilisations futures non concrétisées. Les deux peuvent toutefois avoir pour effet de restreindre l’utilisation du territoire visé. Et dans les deux cas, la Charte de Vancouver prévoit que la Ville n’est pas tenue d’indemniser les propriétaires fonciers pour la perte subie par suite de ces restrictions : art. 569.
13 CP avance un certain nombre d’arguments à l’appui de sa prétention qu’en l’espèce le Règlement PAO excède les pouvoirs conférés à la Ville par la Charte de Vancouver.
14 Le CP soutient principalement que le règlement dépasse l’objet d’un PAO, qui, selon elle, consiste à établir une politique pour l’aménagement futur du territoire. Dans la mesure où le PAO va plus loin et affecte l’utilisation du terrain, il doit prévoir l’acquisition de ce terrain par la Ville. Le présent PAO, affirme CP, n’est pas un plan de « zonage » et il ne comporte aucune des protections associées au zonage. Il ne s’agit pas non plus d’une « planification » parce qu’il a pour effet de lier le propriétaire du terrain. Selon CP, un PAO est simplement une directive d’orientation ayant pour effet de bloquer l’aménagement d’un terrain afin d’empêcher que l’on y apporte des modifications et des améliorations pendant que la Ville entreprend les démarches nécessaires pour l’acquérir. Elle prétend qu’en l’espèce la Ville a abusé de son pouvoir d’adopter des PAO, puisqu’elle n’a jamais eu l’intention d’acheter le terrain et qu’elle n’a jamais pris de mesures pour le faire. Bref, d’affirmer CP, pour adopter validement un PAO en vertu des art. 561 et 562 de la Charte de Vancouver, la Ville doit avoir un plan d’acquisition du terrain. Comme elle n’en avait pas, le Règlement PAO est invalide.
15 Pour étayer sa prétention, CP fait valoir que le législateur ne peut pas avoir voulu que la Charte de Vancouver autorise la Ville à exproprier dans les faits un terrain en imposant des restrictions à son utilisation sans acquérir le titre de propriété officiel. Elle souligne que c’est la première fois en 40 ans que la Ville exerce son pouvoir d’adopter des PAO pour affecter dans les faits un terrain privé à un usage public sans l’acquérir. Il s’agit‑là, affirme‑t‑elle, d’une nouvelle interprétation de la Charte de Vancouver que la Ville a « imaginée » pour atteindre son objectif, qui est d’utiliser le corridor, ou de bloquer son utilisation, sans l’acquérir légalement.
16 La prétention de CP que le Règlement PAO est invalide en l’absence d’un plan d’acquisition du terrain n’est pas étayée par le libellé de la Charte de Vancouver, laquelle (1) confère à la Ville un vaste pouvoir lui permettant d’adopter des PAO à des fins de planification, sans l’obliger à les mettre en œuvre, et (2) expressément prévoit que les PAO peuvent avoir une incidence négative sur l’utilisation du terrain et dégage la Ville de toute responsabilité à cet égard.
17 Premièrement, la Charte de Vancouver confère à la Ville un vaste pouvoir lui permettant d’adopter des PAO à des fins de planification sans l’obliger à les mettre en œuvre. Elle lui confère le pouvoir de planifier l’aménagement futur du « terrain », des « secteurs » et des « emplacements », ce qui est précisément ce qu’est censé faire le Règlement PAO : par. 561(2). Un PAO n’est rien d’autre que ce que son nom indique — un plan servant à orienter l’aménagement futur, et non un régime complètement actualisé. Ainsi, dans la définition de « plan d’aménagement » à l’art. 559, il est précisé qu’un plan prévoyant l’aménagement physique d’une partie de la ville n’a pas besoin d’être « complet ». Il peut s’agir d’un plan « partiel ». Les étapes nécessaires pour mettre ce plan à exécution n’ont pas besoin d’être définies. Cela vient contredire la thèse que l’adoption d’un PAO oblige la Ville à acquérir le territoire visé.
18 Cette opinion est confirmée par le par. 563(1) de la Charte de Vancouver : [traduction] « L’adoption par le conseil [de la Ville] d’un plan d’aménagement ne l’engage pas quant à la mise en œuvre des aménagements figurant dans ce plan ». Plus particulièrement, le par. 564(1) précise que [traduction] « [l]orsque le PAO indique un projet, le conseil peut acquérir tout bien‑fonds qu’il juge essentiel à la mise en œuvre de celui‑ci ». Autrement dit, la Ville peut acquérir le bien‑fonds visé par le PAO, mais elle n’est pas tenue de le faire.
19 Deuxièmement, la Charte de Vancouver expressément prévoit qu’un PAO peut avoir une incidence négative sur le territoire et dégage la Ville de toute responsabilité à cet égard. Cette disposition vient réfuter l’argument que les PAO sont simplement des énoncés de politique et que, dans la mesure où ils peuvent nuire à l’utilisation et à la valeur du territoire, ils doivent être assortis d’un plan d’acquisition du terrain visé. Selon l’article 569, l’exercice par la Ville de son pouvoir ne constitue ni une « appropriation » ni un acte causant un « préjudice » et [traduction] « aucune indemnité ne peut être versée par la ville, ses inspecteurs ou ses représentants ». Le législateur a clairement prévu qu’un PAO pouvait produire des effets comme ceux en l’espèce et a ajouté que la Ville ne pouvait être tenue responsable des conséquences.
20 Le Règlement PAO a pour effet en l’espèce de désigner le corridor Arbutus comme voie publique. Le pouvoir de désigner les voies publiques relevait autrefois du pouvoir de zoner. En 1964, il a été transféré au pouvoir d’adopter des PAO. Au même moment, la protection de l’exercice du pouvoir de zoner prévue à l’art. 569 a été élargie de manière à couvrir [traduction] « tout pouvoir conféré par la présente partie » (voir Vancouver Charter Amendment Act, 1964, S.B.C. 1964, ch. 72, art. 17 et 19). Cela indique que le législateur avait prévu que l’exercice du pouvoir de créer une voie publique au moyen d’un PAO pouvait nuire aux propriétaires fonciers et qu’il a délibérément pris des mesures visant à dégager la Ville de toute responsabilité à cet égard. Cette conclusion est incompatible avec l’argument selon lequel le législateur voulait que la Ville acquière tout terrain visé par un PAO.
21 Je conclus que les dispositions de la Charte de Vancouver n’imposent pas à la Ville l’obligation d’acquérir tout terrain visé par un PAO ou d’avoir un plan pour son acquisition. Le règlement n’est pas invalidé pour ce motif.
22 CP fait aussi valoir que le règlement est invalide parce qu’en désignant le corridor exclusivement comme voie publique, il le désigne dans les faits comme rue. Selon la définition de l’art. 2 de la Charte de Vancouver, « rue » s’entend notamment de [traduction] « toute [. . .] voie normalement ouverte à la circulation du public ». Selon l’art. 289 de la Charte de Vancouver, une rue doit être dévolue à la Ville. CP soutient que cette disposition oblige la Ville à obtenir le titre de propriété de tous les terrains servant de rues. Comme elle n’a pas acquis le titre du corridor, la désignation de ce dernier comme voie publique est invalide, affirme CP.
23 Je ne peux accepter cet argument. Prévoir dans un PAO qu’une parcelle de terrain ne peut être utilisée que comme voie publique n’en fait pas une rue. Cela bloque simplement l’utilisation du terrain, qui est mis de côté pour un aménagement futur; de ce fait, les utilisations en cours susceptibles de compromettre cet aménagement sont exclues. En l’espèce, par exemple, aucun développement résidentiel ou commercial n’est possible dans le corridor parce qu’il pourrait compromettre son aménagement futur visant à en faire une voie ouverte à la circulation publique. Pour le moment, le corridor demeure toutefois un terrain privé entre les mains de CP. L’argument de CP repose sur la prémisse selon laquelle le conseil de la Ville doit considérer le corridor comme une rue, simplement parce que le règlement autorise l’utilisation du terrain pour la circulation du public. La Ville souligne cependant que la définition de « rue » dans la Charte de Vancouver exclut expressément [traduction] « le droit de passage privé sur une propriété privée », ce qui est exactement le cas du corridor.
24 Poursuivant cet argument, CP prétend que le règlement vise à réglementer la circulation des véhicules à moteur dans le corridor, ce qui ne peut être fait que dans les rues : art. 317. Or, le règlement ne réglemente pas la circulation. Il ne fait que désigner le corridor comme voie publique où sont exclus les véhicules à moteur. Ces derniers ne sont réglementés que dans les rues qui croisent le corridor, lesquelles sont dévolues à la Ville ou font l’objet d’une servitude en sa faveur : art. 289.
25 Enfin, CP fait valoir que le règlement est invalide parce qu’il a pour effet non pas de désigner un terrain, mais de le réglementer. Or, le but d’un PAO, soutient‑elle, n’est pas de réglementer. Là encore, cet argument n’est pas fondé. Le règlement ne régit pas l’utilisation du terrain, mais ne fait que désigner le corridor comme voie publique. Cette désignation déclenche l’application du par. 563(3) de la Charte de Vancouver, qui restreint l’utilisation possible du corridor ainsi visé. Cette restriction découle des pouvoirs que le législateur a confiés à la Ville et des dispositions de la Charte de Vancouver qu’il a adoptée. On ne peut donc pas affirmer que ses effets sont contraires à l’intention du législateur.
26 Je conclus que la prétention de CP selon laquelle le règlement est invalide parce qu’il excède les pouvoirs conférés à la Ville par la Charte de Vancouver ne saurait être retenue.
3.2 Indemnisation
27 CP soutient qu’il existe une présomption selon laquelle le législateur voulait que toute appropriation de biens‑fonds fasse l’objet d’une indemnisation. Elle prétend que le Règlement PAO, en limitant l’utilisation de son terrain, constitue une véritable appropriation. Elle ne peut l’utiliser à des fins économiquement viables. Elle ne peut même pas, affirme‑t‑elle, exploiter un chemin de fer parce que le règlement l’empêche d’entretenir ses rails. Dans de telles circonstances, la Ville s’est véritablement « approprié » son terrain et doit lui verser une indemnité, insiste CP.
28 Tout comme la Cour d’appel, je ne suis pas convaincue que le règlement empêche l’entretien des rails ou l’exploitation d’un chemin de fer dans le corridor. D’ailleurs, CP n’entend pas exploiter un chemin de fer à cet endroit. Le véritable objet de sa plainte, c’est que le règlement l’empêche d’aménager ou d’utiliser le corridor à des fins rentables. Cela équivaut, prétend‑elle, à une appropriation de fait de son terrain, nécessitant une indemnisation.
29 CP soutient qu’en common law, tout acte gouvernemental qui prive un propriétaire foncier de toutes les utilisations raisonnables de son terrain constitue une appropriation de fait et impose au gouvernement l’obligation d’indemniser le propriétaire.
30 Pour qu’une appropriation de fait impose une indemnisation en common law, deux conditions doivent être remplies : (1) l’acquisition d’un intérêt bénéficiaire dans le bien‑fonds ou d’un droit découlant de ce bien; (2) la suppression de toutes les utilisations raisonnables du bien‑fonds : voir Mariner Real Estate Ltd. c. Nova Scotia (Attorney General) (1999), 177 D.L.R. (4th) 696 (C.A.N.‑É.), p. 716; Manitoba Fisheries Ltd. c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 101; et La Reine du chef de la Colombie-Britannique c. Tener, [1985] 1 R.C.S. 533.
31 À mon avis, il n’a été satisfait à aucune des conditions du critère en l’espèce.
32 Premièrement, CP n’a pas réussi à démontrer que la Ville a acquis un intérêt bénéficiaire relatif au terrain. Pour satisfaire à ce volet du critère, il n’est pas nécessaire d’établir le transfert forcé du bien‑fonds. L’acquisition d’un intérêt bénéficiaire relatif au bien‑fonds suffit. Ainsi, dans Manitoba Fisheries, le gouvernement a été tenu d’indemniser un propriétaire foncier pour perte d’achalandage. Voir aussi Tener.
33 CP soutient qu’en adoptant le Règlement PAO, la Ville a acquis de fait un parc, se fondant sur l’observation de la juge Southin selon laquelle [traduction] « le règlement en litige ne peut avoir pour objet que de permettre aux habitants d’utiliser le corridor pour la marche et le cyclisme, ce que certains font (tous des intrus) sans payer pour cette utilisation » (par. 117). La juge Southin a ajouté : [traduction] « On ne doit pas s’attendre à ce que les actionnaires de CP fassent un don de bienfaisance aux habitants » (par. 118). Pourtant, comme la juge Southin l’a reconnu, ceux qui utilisent occasionnellement le corridor sont des intrus. La Ville n’a gagné rien de plus qu’une certaine assurance que le terrain sera utilisé ou aménagé selon sa vision, sans même exclure l’utilisation antérieure ou actuelle du terrain. Il ne s’agit pas d’un type d’avantage qui peut être considéré comme une « appropriation ».
34 Deuxièmement, le règlement ne supprime pas toutes les utilisations raisonnables du bien‑fonds. Cette condition doit être appréciée [traduction] « non seulement par rapport à l’utilisation potentielle optimale du terrain, mais aussi compte tenu de la nature du terrain et des diverses utilisations raisonnables dont il a effectivement fait l’objet » : voir Mariner Real Estate, p. 717. Le règlement n’empêche pas CP d’utiliser son terrain pour exploiter un chemin de fer, soit la seule utilisation dont le terrain a fait l’objet au cours de l’histoire de la Ville. Il ne l’empêche pas non plus, contrairement à ce qu’elle prétend, d’entretenir sa voie ferrée. La définition de [traduction] « aménagement » à l’art. 559 est modifiée par « [s]auf indication contraire du contexte ». Enfin, le règlement n’empêche pas CP de louer le terrain pour une utilisation conforme au règlement ni d’établir des partenariats public‑privé. Le règlement reconnaît la nature spéciale du terrain, à savoir qu’il constitue le seul corridor intact à Vancouver, et apporte des précisions sur la seule utilisation qu’il a connue dans son histoire récente.
35 CP prétend aussi que l’Expropriation Act de la Colombie‑Britannique, R.S.B.C. 1996, ch. 125 (la « Loi »), exige de la Ville qu’elle l’indemnise (annexe B). L’article 1 de la Loi définit « expropria[tion] » comme étant [traduction] « l’appropriation d’un bien‑fonds par l’autorité expropriante [. . .], sans le consentement du propriétaire » et « autorité expropriante » comme étant [traduction] « toute personne [. . .] qu’une loi autorise à exproprier un bien‑fonds ». Le paragraphe 2(1) de la Loi prévoit : [traduction] « La présente loi s’applique dans tous les cas où l’autorité expropriante se propose d’exproprier un bien‑fonds et ses dispositions l’emportent sur les dispositions incompatibles de toute autre loi concernant l’expropriation. » La Loi exige le versement d’une indemnité pour le bien‑fonds exproprié, alors que, selon la Charte de Vancouver, la Ville n’est pas tenue de payer une indemnité pour les effets préjudiciables causés au bien‑fonds par un PAO. CP soutient qu’il y a contradiction et que, selon l’art. 2 de la Loi, l’obligation de verser une indemnité prévue par cette loi doit prévaloir.
36 Cet argument repose sur la prémisse qu’il existe une contradiction entre la Loi et la Charte de Vancouver, à la lumière des faits de l’espèce. Il suppose qu’il y a « appropriation » ou « expropriation » et que les deux textes législatifs imposent des obligations différentes dans un tel cas — indemnisation dans l’un, aucune indemnisation dans l’autre. En fait, les dispositions de la Charte de Vancouver permettent d’éviter tout conflit. En effet, l’art. 569 de la Charte de Vancouver prévoit que tout bien‑fonds visé par un règlement [traduction] « est réputé, en ce qui concerne la ville, ne pas avoir fait l’objet d’une appropriation ». La Loi ne s’applique qu’en cas d’« appropriation » ou d’« expropriation ». Puisqu’il n’y a légalement ni appropriation ni expropriation en l’espèce, il n’existe aucune contradiction avec la Loi et le par. 2(1) ne saurait s’appliquer.
37 J’ajouterai ceci. Même s’il était possible de considérer que les faits de l’espèce étayent une inférence d’appropriation de fait en common law, cette inférence a été mise en échec de manière concluante par l’art. 569 de la Charte de Vancouver. La Province a le pouvoir de modifier la common law. Ici, en prévoyant que les effets du Règlement PAO ne peuvent être assimilés à une « appropriation », elle a rendu inapplicable le recours prévu par la common law en matière d’appropriation de fait qu’invoque CP.
3.3 Le règlement devrait‑il être annulé pour irrégularités de procédure?
38 Dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la Cour a confirmé l’obligation d’équité procédurale dans la prise de décisions administratives. Ces décisions doivent être prises « au moyen d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social » (par. 22, la juge L’Heureux‑Dubé). En outre, les personnes visées par la décision doivent avoir la possibilité de présenter leur point de vue et des éléments de preuve de sorte qu’ils soient considérés par le décideur.
39 La nature de l’obligation d’équité procédurale dépend d’un certain nombre de facteurs, notamment « la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir »; la « nature du régime législatif et “les termes de la loi en vertu de laquelle agit l’organisme en question” »; l’« importance de la décision pour les personnes visées »; les « attentes légitimes de la personne qui conteste la décision » et l’obligation de « respecter les choix de procédure que l’organisme fait lui‑même, particulièrement quand la loi laisse au décideur la possibilité de choisir ses propres procédures, ou quand l’organisme a une expertise dans le choix des procédures appropriées dans les circonstances » : Baker, par. 22‑27.
40 La Charte de Vancouver n’impose aucune obligation de tenir une audience publique avant d’adopter un PAO. Cependant, étant donné les répercussions possibles du Règlement PAO sur CP en l’espèce, il fait peu de doute que la Ville a envers celle‑ci une obligation d’équité. La Ville a tenté de s’acquitter de cette obligation grâce au processus d’audience publique, auquel elle doit se soumettre avant de prendre un règlement de zonage : voir le par. 566(1) de la Charte de Vancouver. La question en l’espèce est de savoir si la conduite de la Ville à l’égard de CP respecte la norme d’équité au regard des facteurs énumérés dans Baker.
41 CP formule trois plaintes précises au sujet du processus d’audience :
1. l’omission de mentionner dans les avis d’audience que le projet de règlement [traduction] « affecte un terrain privé à un usage public »;
2. la modification apportée au règlement après l’audience, contrairement aux déclarations qui auraient été faites à CP et au public en général selon lesquelles aucune décision ne serait prise au sujet des utilisations ou itinéraires particuliers en matière de transport en commun;
3. la non‑communication de documents pertinents, notamment :
a. d’arguments écrits présentés au conseil de la Ville;
b. de documents municipaux, dont la lettre que le conseiller municipal Puil a adressée à deux résidants de Vancouver, et des rapports concernant le service ferroviaire de la Ville et l’enquête effectuée par la BC Building Corporation en vue de l’acquisition du terrain de CP.
42 Pour les motifs qui suivent, je conclus que, par sa conduite, la Ville n’a pas enfreint son obligation d’équité envers CP.
3.3.1 Avis d’audience déficients
43 Le public a été avisé de l’audience de deux façons. Premièrement, la Ville a fait paraître une annonce dans le Vancouver Sun et dans le Courier. En voici un extrait :
[traduction] Le plan d’aménagement officiel (PAO) du corridor Arbutus, une fois adopté, désigne celui‑ci comme voie réservée au transport, notamment le transport ferroviaire, le transport en commun, les pistes cyclables et les sentiers pédestres, exception faite de la circulation des véhicules à moteur, sauf dans les rues de la Ville qui croisent le corridor Arbutus.
Les annonces donnaient les numéros et adresses des personnes ressources.
44 Deuxièmement, une lettre a été envoyée à 11 000 personnes vivant dans le voisinage immédiat du corridor. En voici un extrait :
[traduction] Bien que le corridor Arbutus serve actuellement de ligne de chemin de fer, le zonage existant est généralement le même que pour les terrains adjacents. Le PAO du corridor Arbutus, une fois adopté, désigne celui‑ci comme voie réservée au transport, notamment le transport ferroviaire, le transport en commun, les pistes cyclables et les sentiers pédestres, exception faite de la circulation des véhicules à moteur, sauf dans les rues de la Ville qui croisent le corridor Arbutus. Seules ces utilisations seraient autorisées.
Veuillez prendre note que le but de l’audience publique est de permettre au conseil de connaître l’opinion du public au sujet des diverses utilisations qu’il se propose d’autoriser en vertu du PAO du corridor Arbutus. Le conseil ne prendra aucune décision sur les utilisations particulières en matière de transport en commun le long du corridor Arbutus à la suite de cette audience publique.
45 Les avis mentionnaient expressément que le règlement désignerait le corridor « comme voie réservée au transport, notamment le transport ferroviaire, le transport en commun, les pistes cyclables et les sentiers pédestres ». CP se plaint de ce que ces avis ne sont pas assez précis. Elle affirme qu’ils ne mentionnent pas que le règlement [traduction] « affecte un terrain privé à un usage public », évitant ainsi la tenue d’un débat public sur l’opportunité de cette décision.
46 Selon moi, l’avis fait clairement ressortir l’essence du règlement à l’étude. Certes, il est toujours possible qu’une formulation différente aurait pu attirer un plus grand nombre de personnes, mais c’est l’équité qui s’impose et non la perfection. L’avis énumérait les utilisations publiques proposées pour le corridor Arbutus. En outre, il est difficile de voir comment un avis différent aurait pu avoir un effet sur les droits de participation de CP. Celle‑ci connaissait parfaitement la nature du règlement proposé par la Ville et l’avis, tel qu’il était rédigé, ne lui a causé aucun préjudice. [traduction] « Lorsqu’il est facile d’inférer des circonstances de l’affaire, telle une participation active à l’instance, qu’une partie était au courant de la nature et de l’objet de l’audience, il est alors possible d’excuser un avis par ailleurs insuffisamment précis » : D. J. M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles) § 9:5110, p. 9‑34.
3.3.2 Modification du règlement après l’audience
47 La partie pertinente du Règlement PAO proposé avant la tenue de l’audience désignait le corridor Arbutus comme voie publique pour le transport ferroviaire, le transport en commun et le cyclisme, mais excluait [traduction] « la circulation des véhicules à moteur, sauf dans les rues de la Ville qui croisent le corridor » (art. 2.1). Après l’audience, le règlement a été révisé afin d’exclure non seulement les véhicules à moteur, mais également un type de système de transport rapide, le « SkyTrain ». Le règlement révisé a été adopté sans autre audience. CP prétend que, en excluant le SkyTrain après l’audience, on a trompé les attentes légitimes le concernant et le public au moment de l’audience pouvait s’attendre à ce que le corridor puisse être utilisé pour le SkyTrain. En fait, le SkyTrain a depuis été affecté à un autre circuit, la ligne Cambie.
48 La question de savoir si la Ville a agi contrairement aux attentes légitimes doit être tranchée dans le contexte de la nature de son pouvoir décisionnel, du régime législatif et du rôle qu’elle joue lorsqu’elle prend une décision dans l’intérêt de l’ensemble de la ville. Le régime législatif autorise la Ville à préparer et réviser des plans d’aménagement (par. 561(1)), à adopter des plans d’aménagement comme PAO (al. 562(1)a)) et à réviser ou modifier les PAO, en tout ou en partie (al. 562(1)b)), sans être obligée de tenir une audience formelle. Le processus décisionnel n’est pas judiciaire mais législatif. Le conseil municipal exerce son pouvoir discrétionnaire dans l’intérêt public. CP avait un intérêt spécial parce qu’elle était propriétaire du terrain visé, mais le règlement avait une incidence beaucoup plus grande, pouvant toucher bien d’autres citoyens privés et publics. La Ville est appelée à exercer son pouvoir de manière réceptive, en tenant compte des commentaires pertinents, et de manière responsable, en prenant finalement la décision qu’elle juge être dans l’intérêt public. Ces considérations peuvent atténuer l’obligation de répondre aux attentes des parties intéressées qui pourrait exister. Si l’obligation d’équité peut comporter pour la Ville l’obligation de tenir compte de toutes les attentes légitimes, elle ne comporte pas nécessairement celle d’y satisfaire.
49 Dans cette perspective, je suis convaincue que la démarche suivie était suffisante pour que les conditions d’une procédure équitable soient respectées. La possibilité d’utiliser le corridor Arbutus pour le transport en commun rapide avait été envisagée au fil des ans. Or, ce type de transport n’a jamais été autorisé dans le corridor; en fait, le zonage l’interdisait. Cela signifie que le passage du SkyTrain dans le corridor n’était pas une attente, mais une simple possibilité. Le Règlement PAO, dans sa version définitive, proposait de conserver le corridor pour le transport en commun, mais excluait le type particulier de transport au‑dessus des routes connu sous le nom de SkyTrain. Ainsi, il n’a fait que maintenir le statu quo. Il est possible que CP se soit attendue à ce que le conseil de la Ville ne décide pas de l’utilisation particulière qu’elle ferait du corridor pour le transport en commun. Cependant, elle aurait dû s’attendre également à ce que le SkyTrain ne soit pas autorisé sur son terrain. Dans de telles circonstances, il est difficile de voir comment l’exclusion du SkyTrain après l’audience équivalait à une procédure inéquitable, surtout qu’il ne faut pas oublier que la Ville était tenue de régler une situation complexe mettant en jeu des intérêts différents et qu’elle avait l’ultime obligation d’agir dans l’intérêt de l’ensemble du public.
50 CP invoque la lettre que la Ville a adressée avant l’audience aux résidants du secteur d’Arbutus dans laquelle elle disait [traduction] : « Le conseil ne prendra aucune décision sur les utilisations particulières en matière de transport en commun le long du corridor à la suite de cette audience publique. » De toute évidence, c’était là l’intention de la Ville jusqu’à la réunion. Mais les choses ont changé en cours de route. À l’audience, de nombreux résidants se sont dits préoccupés par les répercussions qu’un métro aérien comme le SkyTrain pourrait avoir sur le corridor et sur le caractère de leur quartier. Après avoir soupesé ces préoccupations par rapport aux autres visions pour l’avenir du corridor, la Ville a finalement décidé d’exclure cette utilisation. Afin d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’une manière réceptive et responsable, la Ville doit disposer de la souplesse nécessaire pour réagir aux changements au fur et à mesure de l’évolution du processus et de l’apparition de nouvelles facettes du problème.
51 CP laisse entendre que les observations de la Ville ont pu décourager l’assistance à la réunion des résidants du secteur Cambie, lesquels voulaient que le SkyTrain passe dans le corridor Arbutus, et non pas qu’il suive l’autre trajet proposé, soit celui de la ligne Cambie. Cependant, comme je l’ai mentionné, dans sa version originale le Règlement PAO ne faisait naître aucune attente selon laquelle le SkyTrain passerait ou pourrait passer dans le corridor Arbutus. Il prévoyait simplement que le corridor pourrait servir pour le transport, y compris le « transport en commun ». Le SkyTrain n’était qu’une possibilité. On se serait logiquement attendu à ce que les personnes qui veulent que le SkyTrain suive le corridor et qui désirent promouvoir ce résultat assistent à l’audience pour exiger que cette possibilité devienne réalité.
52 Enfin, CP affirme qu’elle a subi un préjudice parce que, en raison du choix de la ligne Cambie pour le SkyTrain, ses espoirs d’utiliser son bien‑fonds pour le transport rapide se trouvaient anéantis pour un avenir prévisible, même si, techniquement, le Règlement PAO permet cette utilisation : voir la juge Southin, par. 117.
53 Il est difficile de voir comment la décision subséquente de la Ville quant au choix de la ligne Cambie pour le SkyTrain montre que l’adoption du Règlement PAO est inéquitable. C’est à l’audience que se fait l’appréciation du préjudice. À ce moment‑là, aucun choix n’avait été fait quant au système de transport rapide ou au trajet qu’il emprunterait. Le corridor Arbutus représentait encore un itinéraire très viable. Bien que le règlement exclue le SkyTrain, d’autres moyens de transport rapide auraient pu être envisagés pour le corridor. Il est possible que la décision ultérieure d’opter pour le SkyTrain et de lui faire emprunter la ligne Cambie ait mis fin à cette possibilité pour un avenir prévisible. Mais cette décision ne prouve pas que la Ville a manqué à son obligation de traiter CP équitablement.
3.3.3 Non‑communication préalable à l’audience publique
54 CP se plaint de ce que la Ville ne lui a pas divulgué des renseignements, celle‑ci contrevenant ainsi à son obligation de traiter CP équitablement.
55 La municipalité est tenue de fournir, avant l’audience publique, le projet de règlement ainsi que [traduction] « les rapports et autres documents pertinents pour l’approbation, la modification ou le rejet du règlement par l’administration municipale » (Pitt Polder Preservation Society c. Pitt Meadows (District) (2000), 12 M.P.L.R. (3d) 1, 2000 BCCA 415, par. 54).
56 Pour les motifs qui suivent, je conclus que les documents communiqués par la Ville respectent cette norme. Ils sont entièrement compatibles avec l’objectif de planification de l’aménagement futur de la ville. La Charte de Vancouver a conféré à la Ville de vastes pouvoirs en matière de planification sans lui imposer d’exigences procédurales. Néanmoins, la Ville a décidé de tenir une audience publique sur la planification de l’aménagement du corridor, et les documents transmis à CP étaient suffisants pour permettre à cette dernière de participer utilement à cette audience et de faire valoir ses arguments.
57 CP se plaint de ce que ni elle ni les personnes ayant assisté à l’audience publique n’ont eu accès aux arguments écrits présentés au conseil de la Ville par le public. Or, avant et pendant l’audience, la Ville a mis ces documents à la disposition du public, qui pouvait les consulter au bureau du secrétaire municipal. Il s’agit d’une pratique courante pour les audiences publiques. Les documents étaient aussi regroupés dans un classeur déposé, pour examen, sur une table à l’avant de la salle d’audience et le Dr McAfee en a fait le résumé à l’audience. Cela constitue une communication suffisante.
58 CP se plaint aussi au sujet de la lettre que le conseiller Puil a adressée à deux citoyens, dans laquelle il a déclaré : [traduction] « Nous [. . .] effectuons des recherches approfondies pour déterminer comment nous pouvons acquérir [le] corridor [Arbutus] sans que ça nous coûte “les yeux de la tête”. » CP infère de cette lettre que le conseil de la Ville voulait la placer dans une situation où elle [traduction] « finirait par lui transférer son titre gratuitement ou à peu de frais ». CP affirme en outre qu’elle aurait pu se servir de la lettre pour se renseigner auprès du personnel de la Ville et appuyer ses préoccupations. Cependant, la lettre du conseiller Puil représente au mieux son opinion, et non celle du conseil de la Ville, de surcroît l’opinion d’un conseiller qui n’a même pas voté au sujet du Règlement PAO. Il ressort de la preuve que la Ville n’a effectué aucune « recherche » et préparé aucun « rapport », contrairement à ce que la lettre laissait entendre. CP n’allègue plus la mauvaise foi. Elle ne peut pas maintenant reprendre ces arguments sous le couvert de l’équité procédurale.
59 CP se plaint aussi de ce que la Ville n’a pas divulgué un rapport présenté au conseil de la Ville le 23 mai 2000 au sujet du service ferroviaire de la Ville et de ses répercussions sur le corridor Arbutus. Même si, pour procéder à l’expansion du chemin de fer souhaitée par la Ville, il aurait fallu lui faire traverser la partie nord du terrain de CP, rien n’indique qu’il y ait eu conflit entre ce projet et les projets de planification de la Ville à l’égard du corridor, lesquels indiquaient, depuis au moins 1986, qu’elle préférait le conserver pour le transport.
60 Enfin, CP se plaint de ce que la Ville n’a pas divulgué des documents concernant l’enquête effectuée par la BC Building Corporation en vue de l’acquisition du terrain de CP pour l’aménagement d’une « voie réservée aux autobus guidés ». CP affirme que, si elle avait été informée de la proposition de la BCBC, elle aurait pu plaider avec plus de force que le Règlement PAO excluait des possibilités qui avaient suscité l’intérêt de la province.
61 La pertinence de ces documents est faible. Il faut soupeser, d’une part, la prétention de CP que, si elle avait été au courant de l’option concernant la « voie réservée aux autobus guidés », elle aurait peut‑être plaidé en faveur de l’inclusion de cette utilisation particulière dans le Règlement PAO et, d’autre part, la possibilité que le travail de la Ville aurait été gêné par les demandes de renseignements parce que la Ville n’avait pas en sa possession les documents visés, et qu’il était raisonnable pour elle d’inférer que CP avait déjà la proposition de BC Building Corporation puisque celle‑ci mentionnait des discussions ayant eu lieu avec CP. Tout bien considéré, la procédure suivie par la Ville était suffisamment équitable et transparente.
62 En résumé, la preuve soumise par CP ne permet pas de déclarer le Règlement PAO invalide pour des motifs d’ordre procédural.
4. Conclusion
63 Bien que la position de CP soit tout à fait compréhensible, aucun des arguments qu’elle a avancés ne résiste à notre examen. La Ville n’a pas outrepassé les pouvoirs que lui a conférés la Charte de Vancouver. Ni la Charte de Vancouver ni les principes de common law n’exigent qu’elle indemnise CP pour les effets du Règlement PAO sur son terrain. Enfin, la conduite que la Ville a adoptée en prenant le règlement est conforme aux exigences de l’équité procédurale.
64 Par conséquent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.
ANNEXE A
Vancouver Charter, S.B.C. 1953, ch. 55 (mise à jour au 31 décembre 1996)
[traduction]
Définitions
2. Sauf indication contraire du contexte, les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi et à ses règlements :
. . .
« rue » Sont notamment visées les voies publiques, autoroutes, ponts, viaducs, ruelles et trottoirs, ainsi que toute autre voie normalement ouverte à la circulation du public. Est exclu de la présente définition le droit de passage privé sur une propriété privée.
Partie VIII — Ouvrages publics
Rues et parcs dévolus à la Ville
289. (1) Sauf disposition expresse contraire, les biens réels se trouvant dans les rues, parcs ou autres places publiques de la ville sont absolument dévolus en fief simple à celle‑ci, sous réserve seulement de l’article 291a de la présente loi, à la condition que l’article 5 de la Highway Act ne s’applique pas à ces rues, parcs et autres places publiques et que la ville puisse légalement acquérir de quiconque tout droit ou servitude, inférieur au fief simple, pour une rue, un parc ou une place publique, que ce soit à la surface, au sous‑sol ou en surplomb de biens réels appartenant à cette personne.
Partie XII — Circulation dans les rues
Règlements :
317. (1) Le conseil peut prendre des règlements :
Régissant la circulation
a) concernant la circulation des piétons, des véhicules et toute autre circulation, ainsi que l’arrêt et le stationnement des véhicules dans les rues ou parties de celles‑ci;
. . .
Partie XXVII — Planification et aménagement
Définitions
559. Sauf indication contraire du contexte, les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie et à ses règlements :
« aménagement » Modification dans l’utilisation d’un terrain ou d’un bâtiment, ou travaux de construction, d’ingénierie ou autres effectués sur un terrain — immergé ou non — ou à l’intérieur, au‑dessus ou en dessous de celui‑ci.
. . .
« plan d’aménagement » Plan, complet ou partiel, sous forme de dessins, rapports ou autres, visant à orienter l’aménagement physique futur de l’ensemble ou d’une partie du territoire de la ville.
« plan d’aménagement officiel » Plan d’aménagement, complet ou partiel, adopté en vertu de la présente partie.
. . .
Plans d’aménagement
561. (1) Le conseil peut, le cas échéant, préparer ou réviser des plans d’aménagement.
(2) Le plan d’aménagement visé par la présente disposition peut :
a) se rapporter à l’ensemble de la ville, à un secteur particulier de celle‑ci, ou à un ou plusieurs projets précis situés sur son territoire;
b) faire l’objet d’une modification, d’un ajout ou d’une extension;
c) désigner :
(i) des terrains comme rues, ruelles ou autres voies publiques, ou comme servant à leur élargissement;
(ii) des emplacements comme parcs, écoles ou bâtiments publics;
(iii) des secteurs pour des projets spéciaux, notamment des projets nécessitant un aménagement ou réaménagement global;
(3) Il doit comporter les politiques de logement du conseil en matière de logement abordable, de logement locatif et de logement adapté.
(4) Il peut comporter :
a) les politiques du conseil en matière de besoins sociaux, de bien‑être collectif et de développement social;
b) un énoncé de contexte régional, compatible avec l’ensemble du plan d’aménagement, expliquant comment les questions mentionnées aux alinéas 942.12 (2) a) à c) de la Municipal Act et les autres questions abordées dans le plan d’aménagement s’appliquent dans un contexte régional.
(5) Dans la mesure où il traite de ces questions, il doit être orienté vers la réalisation des objectifs et buts mentionnés à l’article 942.11 de la Municipal Act.
Pouvoirs municipaux en matière de plan d’aménagement officiel
562. (1) Le conseil peut, par règlement :
a) adopter comme plan d’aménagement officiel ou partie du plan d’aménagement officiel tout plan d’aménagement préparé en vertu de l’article 561;
b) réviser ou modifier le plan d’aménagement officiel, en tout ou en partie.
. . .
Entreprises, plan d’aménagement officiel
563. (1) L’adoption par le conseil d’un plan d’aménagement ne l’engage pas quant à la mise en œuvre des aménagements figurant dans ce plan.
(2) Le conseil ne peut autoriser, permettre ou entreprendre un aménagement contraire au plan d’aménagement officiel ou incompatible avec lui.
(3) Commet un acte illégal quiconque entreprend un aménagement contraire au plan d’aménagement officiel ou incompatible avec lui.
Pouvoir d’acquérir des terrains en plus des pouvoirs essentiels au projet
564. (1) Lorsque le plan d’aménagement officiel indique un projet, le conseil peut acquérir tout bien‑fonds qu’il juge essentiel à la mise en œuvre de celui‑ci ainsi que tout bien‑fonds adjacent ou avoisinant. . .
. . .
Modification ou abrogation d’un règlement de zonage
566. (1) Le conseil ne peut prendre, modifier ou abroger un règlement de zonage avant de tenir une audience publique à ce sujet, et toute demande de rezonage doit être considérée comme une demande de modification de règlement de zonage.
. . .
Biens ayant subi un préjudice
569. (1) Lorsqu’un règlement de zonage est ou a été pris, modifié ou abrogé en vertu de la présente partie, ou lorsque le conseil, un inspecteur ou un représentant municipal, ou toute commission constituée sous le régime de la présente loi, exerce un des pouvoirs prévus à la présente partie, tout bien‑fonds ainsi visé est réputé, en ce qui concerne la ville, ne pas avoir fait l’objet d’une appropriation ni avoir subi de préjudice en raison de l’exercice de l’un de ces pouvoirs ou en raison de ce zonage, et aucune indemnité ne peut être versée par la ville, ses inspecteurs ou ses représentants.
ANNEXE B
Expropriation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 125
[traduction]
Définitions
1 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi :
. . .
« autorité expropriante » Toute personne, y compris le gouvernement, qu’une loi autorise à exproprier un bien‑fonds.
« exproprier » Appropriation d’un bien‑fonds par l’autorité expropriante en vertu d’une loi, sans le consentement du propriétaire. Est exclu de la présente définition le fait pour le gouvernement de se prévaloir de tout intérêt, droit, privilège ou titre mentionné à l’article 50 de la Land Act.
. . .
Demande
2 (1) La présente loi s’applique dans tous les cas où l’autorité expropriante se propose d’exproprier un bien‑fonds, et ses dispositions l’emportent sur les dispositions incompatibles de toute autre loi concernant l’expropriation.
Pourvoi rejeté avec dépens.
Procureurs de l’appelante : McCarthy Tétrault, Vancouver.
Procureurs de l’intimée : Farris, Vaughan, Wills & Murphy, Vancouver.
Procureurs des intervenants : Hunter Voith, Vancouver.