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09/11/2000 | CANADA | N°2000_CSC_52

Canada | Bande indienne de Musqueam c. Glass, 2000 CSC 52 (9 novembre 2000)


Bande indienne de Musqueam c. Glass, [2000] 2 R.C.S. 633

Mary Glass, Hin F. Ko, Mabel W. Ko, Roy Westwick,

Gwyneth M. Westwick, Kerry‑Lynne Ferris,

Stephen W. Findlay, Norah C. Findlay,

Jerry Janes, Diana Janes, Gregory Pappas,

Tasie Pappas, Solon S. Wang, Peter M. Lee,

Herbert M. Lewis, Alexander Kalinowski,

Katarina Kalinowski, John W. Whitefoot,

Sheila M. Whitefoot, Lisbet MacKay, Pierre Dow,

Mona McKinnon, Wong L. Lee, ManLoong Lee,

John M. Glaiserman, Juan L. G. Cam, Elizabeth C. Cam,

Evelyn M. Murray, William

T. Ziemba, James R.

Thompson, Ann B. Thompson, Yum C. Lau, Irene Lau,

James Y. P. King, Tjin K. Tan, Eiji Murakam...

Bande indienne de Musqueam c. Glass, [2000] 2 R.C.S. 633

Mary Glass, Hin F. Ko, Mabel W. Ko, Roy Westwick,

Gwyneth M. Westwick, Kerry‑Lynne Ferris,

Stephen W. Findlay, Norah C. Findlay,

Jerry Janes, Diana Janes, Gregory Pappas,

Tasie Pappas, Solon S. Wang, Peter M. Lee,

Herbert M. Lewis, Alexander Kalinowski,

Katarina Kalinowski, John W. Whitefoot,

Sheila M. Whitefoot, Lisbet MacKay, Pierre Dow,

Mona McKinnon, Wong L. Lee, ManLoong Lee,

John M. Glaiserman, Juan L. G. Cam, Elizabeth C. Cam,

Evelyn M. Murray, William T. Ziemba, James R.

Thompson, Ann B. Thompson, Yum C. Lau, Irene Lau,

James Y. P. King, Tjin K. Tan, Eiji Murakami,

Miyako Murakami, Thomas W. F. Fung, Amy M. L. Chan,

Gertrude Henneken, Hans T. Henneken, Howard G. Isman,

Marjorie E. Isman, Stanley Evans, Dorothey Evans,

Khi Yoeng Tjin, Wen Tien Tai, Kui‑Hsiang Huang,

Phyllis Weinstein, Patricia Lai, Wilfred E. Patton,

Jean M. Patton, Attilio Girardi, Mary Girardi, Irma E. Boulter,

George S. Boulter, John G. Cragg, Olga B. Cragg,

Howard E. Cadinha, Arlene B. Cadinha, Maria C. Ormond,

Douglas R. Eyrl, Judith F. Eyrl, Cheung K. Choi,

Chan P. K. Choi, Celia Kaan, Cecil S. C. Kaan,

Ramon Y. Kan, Helena Kan, Leslie Bara, Ottilia Bara,

Alfred K. Lee, Esther K. Lee, Diana W. C. Sung,

Donald C. Graham, Winnifred A. Graham,

Ronald J. MacKee, Alexander H. Wong, Stella L. Wong,

Edward B. Huyck, Dorothy A. Huyck, Frederick S. Edy,

Ellen V. Edy, Victor H. Hildebrand, John E. Egan,

Chi K. Ching, Siu Y. Chan, Lavender Chu, Frederick Chu,

George E. Rush, Anne L. Rush, Herta J. Neumann,

Cornelius Neumann, James A. Forsythe,

Diane R. Forsythe, Peter J. Funk, Elizabeth Funk,

Elfriede Machek, Adelheid Machek, Lillian P. Toews,

Hui C. Keung, Patricia H. K. S. Wah, Vadilal J. Modi,

Mira V. Modi, Charles H. Shnier, Elaine C. Shnier,

Agnes P. C. Shen, Carol M. Lau, Dennis Lau,

Marjorie McClelland, Arthur Nee, Laura T. Nee,

Donald W. Scheideman, Kathryn M. Scheideman,

William N. King, Allan J. Hunter, Grace K. Hunter,

Grace Ng, Irving Glassner, Noreen G. Glassner,

Priscilla Fratkin, Nancy B. Berner, Gregory Hryhorchuk,

Darcy L. Hryhorchuk, Astley E. Smith, Betty Ann Smith

et Lily R. Eng Appelants/

Intimés au pourvoi incident

c.

Bande indienne de Musqueam, Chef Joseph Ralph Becker,

Ernie Campbell, Wayne Sparrow, Leona M. Sparrow,

Nolan Charles, Mary Charles, Johnna Crawford,

Gail Y. Sparrow, Myrtle McKay et Larry Grant Intimés/

Appelants au pourvoi incident

et

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié: Bande indienne de Musqueam c. Glass

Référence neutre: 2000 CSC 52.

No du greffe: 27154.

2000: 12 juin; 2000: 9 novembre.

Présents: Le juge en chef McLachlin et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie, Arbour et LeBel.

en appel de la cour d’appel fédérale

POURVOI et POURVOI INCIDENT contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale, [1999] 2 C.F. 138, 235 N.R. 164, [1998] A.C.F. no 1893 (QL), qui a accueilli en partie l’appel interjeté par les appelants contre un jugement de la Section de première instance de la Cour fédérale (1997), 137 F.T.R. 1, [1997] A.C.F. no 1339 (QL). Pourvoi accueilli, le juge en chef McLachlin et les juges L’Heureux‑Dubé, Iacobucci et Arbour sont dissidents. Pourvoi incident rejeté.

Jack Giles, c.r., Kerry ‑Lynne D. Findlay, c.r., et Ludmila B. Herbst, pour les appelants/intimés au pourvoi incident.

Darrell W. Roberts, c.r., Wendy A. Baker, Lewis Harvey et Leona M. Sparrow, pour les intimés/appelants au pourvoi incident.

Mitchell R. Taylor et Keith J. Phillips, pour l’intimée Sa Majesté la Reine.

Version française des motifs du juge en chef McLachlin et des juges L’Heureux-Dubé, Iacobucci et Arbour rendus par

1 Le Juge en chef (dissidente quant au pourvoi) — La présente affaire exige que nous interprétions un bail. Les parties ont conclu ce contrat volontairement et avec l’aide d’avocats. Notre seule tâche consiste donc à interpréter leur entente. Deux questions d’interprétation se posent — le sens de l’expression «valeur courante du terrain» et la déductibilité des frais de viabilisation. Je souscris en principe à l’opinion du juge Gonthier sur la deuxième question, mais, en toute déférence, je suis en désaccord avec lui quant à la première. À mon avis, la «valeur courante du terrain» signifie la valeur réelle d’un terrain semblable détenu en fief simple, et elle ne doit pas être réduite de 50 pour 100 parce que la Bande indienne de Musqueam («Bande») continue de détenir le terrain en tant que terrain faisant partie d’une réserve.

I. Les faits

2 En 1960, la Bande a cédé environ 40 acres de sa réserve à la Couronne aux fins de location. Le 8 juin 1965, la Couronne a conclu avec la Musqueam Development Company Limited («société»), une entente («entente cadre») aux termes de laquelle la société s’engageait à viabiliser et à lotir le bien-fonds, à la suite de quoi la Couronne devait remettre à la société un bail pour chaque lot. Chaque bail devait être assorti d’un terme de 99 ans, commençant à la date de l’entente cadre. La société s’est acquittée des obligations prévues par l’entente cadre, la Couronne a fourni les baux et, en 1966, la société a cédé ces baux à des individus, qui ont construit des maisons sur les lots. Ce sont ces individus, ou leurs cessionnaires, qui sont les appelants en l’espèce.

3 Dans leur bail respectif, les preneurs à bail ont convenu de verser un loyer à la Couronne au profit de la Bande et, en 1980, la Couronne a cédé le pouvoir de gestion à la Bande, qui reçoit donc maintenant les loyers directement. Le loyer pour les 30 premières années, qui était précisé dans les baux, est passé de 300 $ à 400 $ environ par année au cours de cette période. Le loyer devait être révisé après les 30 premières années et tous les 20 ans par la suite. Il devait donc y avoir révision du loyer en 1995.

4 La clause de révision du loyer, qui est la même dans chaque bail, fait l’objet du présent litige. Cette clause est rédigée ainsi:

[traduction]

2(2) Le loyer relatif à chaque année des trois premières périodes successives de vingt (20) ans et de la dernière période de neuf (9) ans correspond à un juste loyer à l’égard du lot visé, lequel loyer est négocié immédiatement avant le début de chacune de ces périodes. Dans le cadre de ces négociations, les parties présument que, à la date de celles‑ci, les terrains sont

a) des terrains non améliorés se trouvant dans l’état où ils étaient à la date de la présente entente;

b) des terrains comportant une voie d’accès publique;

c) des terrains se trouvant dans une zone lotie;

d) des terrains zonés pour la construction résidentielle de maisons unifamiliales,

. . .

2(4) Un loyer annuel total net représentant six pour cent (6 %) de la valeur

courante du terrain, calculé à la date des nouvelles négociations conformément à la méthode énoncée au paragraphe (2) des présentes, est considéré comme un «juste loyer» aux fins des présentes.

5 Les preneurs à bail soutiennent que la «valeur courante du terrain», expression figurant au par. 2(4), s’entend de la valeur du terrain dans la situation où il est actuellement détenu — c’est‑à‑dire en tant que terrain faisant partie d’une réserve. Pour sa part la Bande plaide que la «valeur courante du terrain» signifie la valeur du titre en fief simple sur un terrain semblable, indépendamment des facteurs liés à sa qualité de terre faisant partie d’une terre réserve.

II. Les décisions des juridictions inférieures

A. Cour fédérale, Section de première instance, [1997] A.C.F. no 1339 (QL)

6 Dans ses motifs, le juge Rothstein de la Section de première instance de la Cour fédérale a d’abord souligné que le titre indien sur les terres d’une réserve est généralement inaliénable. Une bande ne peut ni vendre ni grever des terres faisant partie de sa réserve sauf en les cédant à la Couronne. Le fait de céder ainsi des terres fait en sorte que celles-ci sont alors détenues en fief simple, mais leur fait perdre de façon irrévocable leur nature de terre réservée aux Indiens. Le juge Rothstein a raisonné que, puis que les terrains loués en l’espèce n’avaient pas été cédés à la Couronne aux fins de vente, ils ne devaient pas être évalués comme s’ils pouvaient être détenus en fief simple. Il a plutôt estimé «qu’aux fins de la nouvelle négociation des loyers, la tenure à bail [à évaluer] est une tenure à bail de 99 ans» (par. 46) sur des terrains faisant partie de la réserve.

7 Partant de cette prémisse, le tribunal a tenu compte, dans son appréciation de la «valeur courante du terrain», de «la preuve concernant les facteurs pouvant avoir des répercussions négatives sur la valeur d’un droit de tenure à bail à long terme à l’égard d’un terrain situé sur une réserve indienne» (par. 51), facteurs comme l’incertitude liée à l’impôt foncier, l’agitation connue dans les réserves et le fait que les non‑Autochtones ne peuvent se porter candidat à l’élection de l’organe qui dirige la réserve. Le juge Rothstein a souligné que le fait que l’intérêt à évaluer soit une propriété à bail plutôt qu’une propriété franche n’influençait pas beaucoup l’évaluation; il est largement accepté que la valeur d’un bail de 99 ans est à peu près égale à celle d’une propriété franche relativement au même terrain. Le fait que la propriété à bail à évaluer se trouve sur des terres indiennes a toutefois eu un effet important sur l’évaluation, réduisant d’environ 50 pour cent la valeur de l’intérêt.

B. Cour d’appel fédérale, [1999] 2 C.F. 138

8 La Cour d’appel, sous la plume du juge Sexton, a exprimé son désaccord quant à la nature de l’intérêt de propriété à évaluer. Selon le juge Sexton, la Section de première instance a eu tort de considérer que la «valeur courante du terrain» était la valeur d’un intérêt à bail dans un terrain faisant partie d’une réserve, plutôt qu’un intérêt foncier franc. Le juge Sexton a indiqué, au par. 21, que «[l]a technique utilisée de longue date consiste à évaluer le terrain comme une pleine propriété» et que si les parties avaient eu une intention différente, elles l’auraient dit explicitement. Le juge Sexton a souligné que la clause de révision du loyer employée dans les baux en cause n’était pas inhabituelle: le rattachement du loyer à la valeur du terrain loué «assur[e] que le loyer représente fidèlement le rendement négocié par les parties sur la valeur marchande du terrain. Elle tient compte du fait que le bailleur pourrait vendre le terrain à sa valeur courante et réinvestir le produit aux taux d’intérêt en vigueur, si le terrain ne faisait pas l’objet d’un bail à long terme» (par. 20). La Cour d’appel a estimé que l’intérêt à évaluer était un titre franc et non un intérêt à bail dans un terrain faisant partie d’une réserve. Elle a donc jugé que la Section de première instance avait eu tort d’imposer une réduction de 50 pour 100 «parce qu’il s’agissait de terres situées sur une réserve» (par. 75).

III. Analyse

9 Lorsque nous interprétons un bail, nous en examinons d’abord le texte. Ce dernier est clair en l’espèce. Dans un document en matière immobilière, le mot «terrain» fait habituellement référence [traduction] «au droit de recevoir un titre de propriété valable». Voir, par exemple, Ball c. Gutschenritter, [1925] R.C.S. 68, à la p. 71. La «valeur» signifie la «juste valeur marchande» du terrain ou, par équivalence, sa «valeur d’échange»: ce qu’un acheteur consentant paierait pour le terrain sur un marché libre. Voir, par exemple, Revenue Properties Co. c. Victoria University (1993), 101 D.L.R. (4th) 172 (C. div. Ont.), à la p. 180. En Colombie‑Britannique, les lois intitulées Property Transfer Tax Act, R.S.B.C. 1996, ch. 378, art. 1, Assessment Act, R.S.B.C. 1996, ch. 20, art. 19, et Expropriation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 125, art. 32, utilisent toutes essentiellement la même définition. Rien dans les baux en litige ne suggère que les mots «terrain» et «valeur» devraient recevoir une définition différente de celle qui est généralement acceptée. Par conséquent, la «valeur courante du terrain» s’entend du prix qu’un acheteur consentant paierait pour acquérir le titre en fief simple sur le terrain.

10 Cette interprétation de la clause contestée, qui donne simplement effet au sens ordinaire de ses mots, est tout à fait compatible avec la raison largement acceptée qui est donnée pour justifier la présence d’une clause de révision du loyer comme celle en litige dans la présente affaire. Lorsque le loyer est rattaché à la valeur du terrain visé, cela permet au bailleur de tirer un juste rendement de cet élément d’actif. Voir Friedman on Leases (1974), vol. 2, à la p. 567. Comme l’a souligné le juge Sexton, le rattachement du loyer à la valeur du terrain «tient compte du fait que le bailleur pourrait vendre le terrain à sa valeur courante et réinvestir le produit aux taux d’intérêt en vigueur, si le terrain ne faisait pas l’objet d’un bail à long terme» (par. 20). Le rattachement du loyer à la valeur du terrain visé peut également être avantageux pour le preneur à bail: si les taux de rendement sur le marché excèdent le pourcentage précisé dans le bail — en l’espèce 6 pour 100 — le preneur à bail verse néanmoins un loyer égal à seulement 6 pour 100 de la valeur du terrain, même si le bailleur pouvait obtenir un rendement plus élevé en vendant le terrain et en en investissant le produit. En outre, le rattachement du loyer à la valeur du terrain visé garantit au preneur à bail que son loyer n’augmente pas plus rapidement que les prix sur le marché immobilier et, de fait, que le loyer diminuerait si ces prix devaient baisser. Les baux rattachant le montant du loyer à la valeur du terrain apportent une certitude qui est souvent précieuse tant pour le bailleur que pour le preneur à bail. Dans les cas où, comme en l’espèce, il s’agit d’un bail à long terme, une clause de révision du loyer qui rattache le montant de celui-ci à la valeur du terrain est particulièrement utile, puisqu’il est pratiquement impossible de prédire l’évolution du marché immobilier sur une période aussi longue.

11 Les circonstances de la présente affaire illustrent bien les avantages du rattachement du loyer à la valeur du terrain visé. En 1966, ni la Bande ni les preneurs à bail ne pouvaient savoir quelle serait l’évolution des prix sur le marché immobilier au cours des 30 années suivantes, et encore moins au cours des 99 années suivantes. Si les parties avaient fixé le loyer de chaque lot à un montant annuel donné (qui augmenterait en principe à un taux fixe chaque année), les preneurs à bail auraient couru le risque que leur loyer augmente plus rapidement que le prix des terrains, alors que la Bande aurait couru le risque que ces prix grimpent plus rapidement que le loyer. Ayant lié le montant du loyer à la valeur des terrains, les parties sont maintenant assurées que leur bail vieux de 30 ans reflétera le marché contemporain. La Bande est certaine de recevoir un revenu comparable à celui qu’elle recevrait si les terrains n’étaient pas grevés par les baux existants. Pour leur part, les preneurs à bail sont certains de ne pas payer davantage qu’ils le feraient s’ils concluaient un nouveau bail avec un autre propriétaire aujourd’hui.

12 Mon collègue le juge Gonthier est d’accord avec l’opinion que le sens ordinaire de l’expression «valeur courante du terrain» est la valeur en tant que propriété franche et que l’objectif de la clause de révision du loyer en l’espèce était de garantir un juste rendement au bailleur et un juste loyer au preneur à bail. Toutefois, il a confirmé l’évaluation de la Section de première instance, qui a établi la valeur des terrains loués à 50 pour 100 de leur valeur comme propriété franche. En toute déférence, je ne peux souscrire à cette décision.

13 Premièrement, quoique mon collègue soit d’accord avec la conclusion que la détermination de la «valeur courante du terrain» exige la détermination de sa «valeur d’échange», le résultat auquel il arrive n’aboutit pas, dans les faits, à l’évaluation des terrains en fonction de leur vente potentielle. Comme le dit mon collègue, le calcul de la juste valeur marchande commande la détermination de «l’utilisation optimale» des terrains autorisée par la loi, indépendamment de toute restriction imposée par le bail lui‑même. Une façon dont la Bande pourrait légalement utiliser les terrains serait de les vendre à leur juste valeur marchande: voir la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I‑5, art. 37 et 38; voir également Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 R.C.S. 344; Bande indienne de St. Mary’s c. Cranbrook (Ville), [1997] 2 R.C.S. 657. Le seul obstacle à la vente par la Bande de ses terrains est constitué par les baux eux‑mêmes, dont les restrictions ne devraient pas, comme le concède mon collègue le juge Gonthier, être prises en considération. Cela élimine la justification invoquée pour réduire la valeur des terrains. Le fait que la Bande ait décidé de ne pas vendre ses terrains ne saurait influencer leur valeur. Il s’ensuit que la «valeur d’échange» des terrains signifie le prix auquel ils pourraient être vendus, et non pas 50 pour 100 de cette somme.

14 On prétend que la raison d’être de l’importance accordée au fait que la Bande ait décidé de ne pas vendre ses terrains est le fait que la juste valeur marchande «doit refléter les restrictions légales attachées aux terrains» (le juge Gonthier, au par. 46). Toutefois, le fait que les terrains fassent partie d’une réserve ne constitue pas une restriction légale au sens de ce principe. Il y a lieu d’appliquer ce principe aux restrictions tels les règlements de zonage, les codes du bâtiment, les arrondissements historiques ou les autres mesures de contrôle de l’utilisation du sol non liées au zonage, ainsi que les règlements environnementaux: voir Revenue Properties, précité; voir également Institut canadien des évaluateurs, The Appraisal of Real Estate (éd. canadienne 1999), à la p. 270. L’ajustement de la juste valeur marchande pour tenir compte de ces restrictions est logique, puisqu’il s’agit de mesures habituellement indépendantes de la volonté du propriétaire foncier et qu’un acheteur ne paiera manifestement pas le prix courant d’un terrain commercial pour un terrain zoné uniquement à usage résidentiel. Par contraste, rien n’empêche la Bande de céder les terrains à la Couronne et de les vendre comme toute autre propriété franche, si ce n’est les baux eux-mêmes, dont les restrictions ne doivent pas être prises en considération dans la détermination de la «valeur courante du terrain». Le fait que les terrains aient la qualité de terres situées dans une réserve ne constitue donc pas une restriction légale. Quant à l’argument que la détermination de la juste valeur marchande par l’évaluation du titre franc à l’égard des terrains est circulaire, l’examen se résume essentiellement à la question suivante: Que pourrait‑on faire d’autre des terrains? C’est cette question qui est posée dans toute évaluation et elle n’est pas circulaire. Voir Institut canadien des évaluateurs, op. cit., à la p. 269, où l’on indique que l’évaluation d’un terrain requiert la prise en considération de [traduction] «toutes les utilisations possibles».

15 Deuxièmement, bien que mon collègue le juge Gonthier accepte que, en l’espèce, la clause de révision du loyer visait à assurer à la Bande le taux de rendement du marché à l’égard de ses terrains, la réduction de la valeur de ceux‑ci pour des facteurs liés au fait qu’ils font partie d’une réserve fait obstacle à ce résultat. Au contraire, la Bande est assurée de ne jamais obtenir le taux de rendement du marché à l’égard de ses terrains puisqu’on interprète concrètement l’expression «valeur courante du terrain» comme voulant dire 50 pour 100 de la valeur courante du terrain. Par conséquent, la Bande tirera un rendement de 6 pour 100 sur la moitié de la valeur de son élément d’actif ou, autrement dit, un rendement de 3 pour 100. D’affirmer le juge Sexton: «je doute fort que la bande aurait conclu un bail à long terme si cette décision avait eu pour effet de dévaluer la valeur de son propre actif, réduisant par le fait même le rendement qu’elle touche sur l’actif» (par. 25).

16 Troisièmement, la réduction de 50 pour 100 proposée afin de tenir compte de facteurs liés au fait que les terrains font partie d’une réserve est tributaire de l’évaluation d’un intérêt qui ne pourrait tout simplement jamais exister. Comme l’a souligné la Section de première instance, un terrain faisant partie d’une réserve ne peut être converti en terrain détenu en fief simple que par sa cession à la Couronne. Une fois cédé à la Couronne, un tel terrain perd toutes les caractéristiques que lui conférait le fait d’être situé dans une réserve. Par conséquent, le titre en fief simple sur un terrain faisant partie d’une réserve est quelque chose qui ne saurait exister. Puisqu’un tel intérêt ne peut jamais exister, il est difficile de voir comment il pourrait être évalué selon une méthode rationnelle. Dans l’état actuel des choses, l’évaluation est une activité notoirement dénuée de caractère scientifique. Voir, par exemple, Golden Acres Ltd. c. Canada (1988), 22 F.T.R. 123, au par. 15: «L’évaluation est peut‑être un art, mais elle ne saurait être élevée au rang de science » Cela est dû en partie au fait que toute évaluation comporte la question hypothétique suivante: Que recevrait le propriétaire pour son terrain sur le marché libre? On peut cependant répondre à cette question au moyen d’une méthode relativement rationnelle, par exemple en examinant le prix d’une propriété semblable.

17 À l’opposé, l’approche combinée fief simple/emplacement dans une réserve ne se prête pas à une analyse rationnelle. Puisqu’un intérêt en fief simple dans un terrain faisant partie d’une réserve est quelque chose qui n’existe pas, il n’y a tout simplement rien à quoi la propriété en cause puisse être comparée. La comparaison n’est pas faite avec des propriétés réelles, mais plutôt avec quelque chose qui ne peut pas exister — une parcelle de terrain qui serait à la fois détenue en fief simple et située dans une réserve. Je ne peux accepter que c’était là l’intention des parties lorsqu’elles ont écrit l’expression «valeur courante du terrain». Si «valeur courante du terrain» s’entend de la valeur d’une propriété en fief simple et que cette forme de tenure est incompatible avec une propriété située dans une réserve — propositions qu’accepte mon collègue le juge Gonthier — il doit donc être erroné de dévaluer le fief simple pour des facteurs liés à la qualité de terre faisant partie d’une réserve, telles les conjectures à propos de l’agitation dans les réserves, l’inéligibilité des non‑Autochtones à l’organe qui dirige la réserve et l’incertitude liée à l’impôt foncier. (Cela n’empêche pas la prise en considération du fait que la propriété en fief simple est située près de terres faisant partie d’une réserve, si ce fait devait se révéler pertinent pour l’évaluation de cette propriété.)

18 Comme le fait remarquer mon collègue, certains baux portant sur des terres autochtones stipulent que la propriété en cause doit être évaluée par référence à une propriété semblable située à l’extérieur de la réserve. Voir, par exemple, Rodgers c. Canada (1993), 74 F.T.R. 164, au par. 6 (bail devant être évalué par référence à [traduction] «un terrain non bâti [. . .] situé à l’extérieur de la réserve»); Devil’s Gap Cottages (1982) Ltd. c. Canada, [1991] A.C.F. no 1142 (QL) (1re inst.) (bail devant être évalué par référence à des [traduction] «terrains vagues situés à l’extérieur de la réserve»). Toutefois, il ne s’ensuit pas que, dans les cas où le bail ne contient aucune indication expresse que les propriétés hors réserve servent d’élément de comparaison, les parties entendaient recourir à autre chose. La «valeur courante du terrain» signifie généralement la valeur de celui‑ci en tant que propriété en fief simple, et la pratique courante dans ce secteur d’activité consiste à déterminer la valeur qu’aurait le terrain sur le marché libre. Sauf lorsque les parties prévoient expressément une méthode d’évaluation différente, c’est le sens ordinaire et la pratique courante qui doivent combler cette lacune. Voir, par exemple, Steel Brothers Canada Ltd. c. Canada (1986), 1 F.T.R. 22 (détermination de la juste valeur marchande d’un terrain situé dans une réserve par référence à des propriétés hors réserve dans un cas où le bail était silencieux quant à la méthode d’évaluation voulue).

19 Je suis d’avis que le loyer doit être fixé à 6 pour 100 de la valeur courante des terrains et qu’aucune réduction ne doit être appliquée du seul fait que ces terrains sont situés dans une réserve indienne. Cette interprétation est conforme au sens ordinaire du bail, à la pratique courante dans le secteur d’activité concerné et à l’objectif clair de la clause de révision du loyer.

20 Comme je l’ai indiqué plus tôt, je souscris à l’opinion de mon collègue le juge Gonthier à l’égard des frais de viabilisation. Toutefois, dans la mesure où ces coûts sont fonction de la «valeur courante du terrain», j’utiliserais la valeur retenue dans les présents motifs, plutôt que la valeur inférieure à laquelle est arrivé le juge de première instance.

IV. Conclusion

21 Je rejetterais le pourvoi et le pourvoi incident, et je confirmerais l’arrêt de la Cour d’appel fédérale.

Version française du jugement des juges Gonthier, Major, Binnie et LeBel rendu par

Le juge Gonthier —

I. Introduction

22 Le loyer relatif aux terrains de la Bande de Musqueam situés dans la ville de Vancouver devait être révisé en 1995. Les parties, la Bande indienne de Musqueam («Bande») qui est propriétaire des terrains, et les preneurs à bail qui y vivent, n’ont pas réussi à négocier un nouveau loyer. Ils s’adressent aux tribunaux pour trancher leur différend.

II. Les faits

23 En 1960, la Bande a cédé en fiducie à la Couronne une partie de sa réserve aux fins de location. En 1965, la Couronne a conclu une entente cadre avec la Musqueam Development Company Limited (société sans lien avec la Bande). En vertu de cette entente, la société devait lotir le bien-fonds et le viabiliser, notamment en y aménageant des routes, des égouts et un aqueduc. Une fois le bien-fonds divisé en lots viabilisés, la Couronne a fourni à la compagnie des baux pour chaque lot. Cette dernière a cédé les baux à des individus, qui ont construit des maisons sur les lots. Les preneurs à bail ont payé une somme forfaitaire à la société et ont accepté de verser un loyer au ministre au profit de la Bande. La plupart des baux sont datés du 16 mai 1966 et ont été signés pour une période de 99 ans à compter de la date de l’entente cadre (8 juin 1965).

24 En 1980, la Couronne a cédé le pouvoir de gestion à la Bande, de sorte que celle‑ci reçoit maintenant le loyer directement. Pendant les trois premières périodes de 10 ans, les loyers annuels prévus par les baux se situaient à environ 300 $ à 400 $ par année. Le loyer devait être révisé pour la première fois en juin 1995, comme il le sera à tous les 20 ans par la suite. Les baux stipulent que le loyer annuel doit correspondre à 6 pour 100 de la [traduction] «valeur courante du terrain». Voici un exemple type de clause de révision de loyer:

[traduction]

2(1) PAR CONSÉQUENT, le montant suivant doit être payé chaque année à l’avance au ministre:

a) pour chaque année de la première période de dix ans, un montant de 298 $;

b) pour chaque année de la deuxième période de dix ans, un montant de 343,75 $;

c) pour chaque année de la troisième période de dix ans, un montant de 375 $;

2(2) Le loyer relatif à chaque année des trois premières périodes successives de vingt (20) ans et de la dernière période de neuf (9) ans correspond à un juste loyer à l’égard du lot visé, lequel loyer est négocié immédiatement avant le début de chacune de ces périodes. Dans le cadre de ces négociations, les parties présument que, à la date de celles‑ci, les terrains sont

a) des terrains non améliorés se trouvant dans l’état où ils étaient à la date de la présente entente;

b) des terrains comportant une voie d’accès publique;

c) des terrains se trouvant dans une zone lotie;

d) des terrains zonés pour la construction résidentielle de maisons unifamiliales,

et les présomptions qui précèdent seront également formulées dans le cas de toute détermination du loyer conformément aux dispositions du paragraphe (3) des présentes.

2(3) Si le ministre et le preneur à bail ou les cessionnaires de celui‑ci ne peuvent s’entendre sur les loyers à payer au cours de l’une des périodes successives selon le paragraphe (2) qui précède, la question sera tranchée en application de l’alinéa 18(1)g) de la Loi sur la Cour de l’Échiquier.

2(4) Un loyer annuel total net représentant six pour cent (6 %) de la valeur courante du terrain, calculé à la date des nouvelles négociations conformément à la méthode énoncée au paragraphe (2) des présentes, est considéré comme un «juste loyer» aux fins des présentes. [Je souligne.]

Les parties sont en désaccord sur le sens de l’expression «valeur courante du terrain» figurant au par. 2(4) ainsi que sur l’interprétation de l’expression «terrains non améliorés» figurant à l’alinéa 2(2)a). En vertu du par. 2(3), la Bande a demandé à la Section de première instance de la Cour fédérale de statuer sur ces questions.

III. Les jugements

A. Cour fédérale, Section de première instance, [1997] A.C.F. no 1339 (QL)

25 Le juge Rothstein estime que la «valeur courante du terrain» fait référence à «un droit de tenure à bail de 99 ans sur la réserve indienne no 2 de Musqueam, lequel droit n’est pas touché par les conditions des baux actuellement en vigueur, sauf en ce qui a trait aux hypothèses prescrites au paragraphe 2(2) des baux en question» (par. 48). Il a jugé que, en raison de la nature «unique» du titre indien, il est inapproprié d’utiliser la valeur des terrains en tant que propriétés franches. Le titre indien est inaliénable. Lorsque le titre de propriété passe à la Couronne, il est alors grevé d’une obligation fiduciaire en faveur des Indiens. Ni le droit de la Couronne (une fois les terres indiennes cédées) ni les droits des Indiens à l’égard des terres de la réserve ne peuvent être assimilés à un domaine franc détenu en fief simple. Le territoire Musqueam a été cédé uniquement aux fins de location. «Par conséquent, il demeure une terre réservée aux Indiens et comporte tous les avantages et restrictions découlant de cette nature» (par. 44).

26 En raison des difficultés que posait l’évaluation des terrains situés dans la réserve, le juge de première instance a accepté une comparaison indirecte avec des terrains situés à l’extérieur de la réserve. Il a estimé à 600 000 $ (somme sur laquelle les évaluateurs experts des parties étaient tous d’accord) la valeur moyenne d’un terrain hors réserve détenu en fief simple (ou pleine propriété). Il a utilisé cette somme en tant que repère pour déterminer la valeur réelle du terrain du parc Musqueam et l’a réduite de 50 pour 100, «compte tenu des droits de tenure à bail à long terme s’y rattachant et du fait qu’il se trouve sur une réserve indienne» (par. 98). Il en résulte une valeur moyenne de 300 000 $ par lot.

27 Le chiffre de 50 pour 100 utilisé au titre de la réduction a été arrêté en comparant la valeur des propriétés à bail payées par anticipation du parc Salish (qui se trouvent également dans la réserve de Musqueam) et celle des propriétés situées dans la partie ouest (le «West Side») de la ville de Vancouver. Les lots situés dans Salish se vendaient à des prix inférieurs d’environ 50 pour 100 à ceux des propriétés comparables situées dans le West Side. Le juge de première instance a dit être d’accord avec l’opinion de l’évaluateur que la différence reflétait le fait que les propriétés du parc Salish se trouvaient dans la réserve de Musqueam.

28 Le juge de première instance a estimé que les terrains situés dans la réserve de Musqueam avaient une valeur inférieure à celle des terrains avoisinants détenus en fief simple non pas en raison de considérations qui seraient jugées discriminatoires devant les tribunaux, mais bien en raison du marché. En outre, la valeur inférieure «n’est pas liée de façon importante au [. . .] droit de tenure à bail» (par. 68) des terrains. Des experts ont démontré qu’au début d’une location à long terme, «il n’y a pas de différence perceptible entre la valeur d’un domaine à bail et celle d’un domaine franc» (par. 68). Au contraire, la différence entre la valeur du terrain de Musqueam et celle des terrains avoisinants détenus en fief simple en dehors de la réserve est attribuable au fait que ces propriétés «sont justement situées sur une réserve indienne» (par. 68).

29 Relativement à la question des «terrains non améliorés», le juge de première instance a estimé que les mots «la présente entente» figurant à l’al. 2(2)a) faisaient référence à l’entente cadre, qui a été conclue au moment où les terrains n’étaient pas viabilisés. L’expression «non améliorés» signifie donc non viabilisés, et non pas seulement non bâtis. Il ne s’agit que de l’un des nombreux arguments sur lesquels s’est fondé le juge de première instance pour déduire de la valeur courante des terrains les frais de viabilisation, qui s’élevaient selon lui à 117 818 $ par lot.

B. Cour d’appel fédérale, [1999] 2 C.F. 138

30 La Cour d’appel fédérale a conclu que la «valeur courante du terrain» faisait référence à la valeur du terrain détenu en fief simple, sans réduction afférente au «facteur applicable à une réserve indienne». Cette interprétation des baux reflète mieux l’intention des parties. Les baux ne disent pas «valeur courante de la propriété à bail» ou, comme dans l’affaire Leighton c. Canada (1987), 13 F.T.R. 198, la valeur «des terres louées selon les modalités du présent bail» (par. 19). Le juge de première instance a commis une erreur en mettant l’accent sur l’intérêt des preneurs à bail plutôt que sur la valeur du terrain lui‑même.

31 La Bande pourrait céder les terrains à la Couronne aux fins de vente s’ils ne faisaient pas l’objet des baux à long terme. Le prix de vente serait égal à la valeur des terrains détenus en fief simple. La distinction entre un terrain situé dans une réserve et un terrain détenu en fief simple n’est «pas pertinent[e] quant à l’évaluation de la valeur courante du terrain pour les fins de la révision du loyer» (par. 30). Selon le juge Sexton, «la valeur qui doit servir à déterminer le loyer n’est pas touchée par la décision de louer. À mon avis, le fait que le terrain puisse être vendu fait échec à la prétention selon laquelle il devrait être évalué autrement qu’à partir de sa valeur comme propriété franche» (par. 32). La Cour d’appel fédérale a jugé que «les parties avaient l’intention que l’expression «valeur courante du terrain» signifie la valeur du terrain détenu en pleine propriété. [. . .] Soutenir que la valeur du terrain est d’une quelconque façon diminuée du fait qu’il est situé sur une réserve introduit un élément dans le contexte autochtone qui n’est pas pertinent en l’espèce» (par. 36).

32 Sauf stipulation contraire du contrat, la révision du loyer est généralement basée sur la valeur marchande du terrain détenu en propriété franche. La Cour d’appel fédérale a également examiné une série de décisions en matière de location de terres autochtones. Certains des baux en cause précisent que le loyer doit être basé sur la valeur de propriétés comparables situées dans la réserve ou hors de la réserve. La Cour d’appel a estimé que les modalités du bail devaient être respectées; lorsque des juges de première instance ont refusé d’appliquer un bail qui précisait que la valeur de terrains situés hors de la réserve devait être utilisée, ils ont fait erreur. En définitive, toutefois, les affaires de location ne sont pas «particulièrement utiles étant donné qu’elles s’appuient essentiellement sur l’interprétation des mots employés dans chacun des baux en question» (par. 44).

33 Sur la question des augmentations raisonnables de loyer, la Cour d’appel a souligné qu’il était trompeur de mettre l’accent sur le pourcentage d’augmentation pour déterminer si le loyer est raisonnable. Lorsque la valeur des terrains situés dans une réserve a été fixée sous le prix du marché, les augmentations qui la font passer à la valeur marchande paraissent déraisonnables. Le fait de sous‑évaluer des terres autochtones en vue de protéger les preneurs à bail crée un cercle vicieux puisque, au moment de la révision du loyer, une forte augmentation en pourcentage semblera déraisonnable. La Cour d’appel fédérale a jugé que les affaires antérieures en matière de location de terres autochtones étaient souvent fondées à tort sur la prémisse qu’«une terre indienne ne peut tout simplement pas, en réalité, atteindre la valeur d’une terre dans un marché authentiquement libre et ouvert» (par. 70). Au contraire,

[e]n l’absence de mots à l’effet contraire, la valeur marchande des terres autochtones devrait être déterminée de la même manière que celle d’autres terrains. Réduire la valeur des terres autochtones en s’appuyant sur le droit sui generis des Autochtones sur leurs propres terres est un facteur non pertinent pour déterminer le loyer calculé en tant que pourcentage de rendement sur un investissement. Si les parties avaient l’intention de s’écarter de la méthode bien acceptée qui consiste à évaluer les terrains faisant l’objet de baux à long terme à leur valeur de propriété libre ou à leur valeur d’échange, elles pouvaient le préciser dans le bail, et elles auraient dû le faire. [par. 71]

En conclusion, la Cour d’appel fédérale a accepté la décision du juge de première instance selon laquelle la valeur hypothétique du lot moyen détenu en fief simple s’élevait à 600 000 $. Cette somme représentait la «valeur courante du terrain» visé par le bail; la réduction de 50 pour cent de la valeur imposée par le juge de première instance constituait une erreur. Sur la question des frais de viabilisation, la Cour d’appel fédérale a exprimé son accord avec le juge de première instance, mais elle a haussé ces frais pour refléter la valeur plus élevée des terrains qu’elle a retenue.

IV. Les questions en litige

34 1. Quelle est la signification de l’expression «valeur courante du terrain» figurant au par. 2(4) des baux, savoir la clause de révision du loyer payable à la Bande?

2. Quelle est la signification des expressions «non améliorés» et «la présente entente» figurant à l’al. 2(2)a) des baux?

V. Analyse

A. L’interprétation des baux

35 J’estime que la «valeur courante du terrain» mentionnée dans la clause de révision du loyer s’entend de la valeur du terrain en tant que propriété franche ou en fief simple par opposition à sa valeur comme propriété à bail, mais qu’il s’agit de la valeur en tant que propriété franche dans la réserve, et non à l’extérieur de celle‑ci. La valeur en tant que propriété franche des terrains de Musqueam ne peut être qu’une valeur hypothétique, puisque le titre franc n’existe pas dans une réserve. Cependant, cela ne signifie pas que cette valeur hypothétique ne peut pas être déterminée et ensuite utilisée dans le calcul de la révision du loyer.

36 Sauf stipulation contraire des parties, le sens des mots «terrain» et «valeur» est bien établi en droit. Lorsqu’un terrain est vendu, le mot «terrain» s’entend du [traduction] «droit de recevoir un titre en fief simple valable», sauf stipulation contraire de l’accord (Ball c. Gutschenritter, [1925] R.C.S. 68, à la p. 71). Aucun sens spécial n’est donné au mot «terrain» dans les baux de Musqueam; en particulier, il n’est pas défini comme un intérêt à bail de 99 ans sur la propriété visée par le bail.

37 En droit immobilier, le mot «valeur» signifie généralement la juste valeur marchande du terrain, laquelle est fondée sur le prix dont un vendeur et un acheteur, [traduction] «tous deux bien informés et consentants», conviendraient pour le terrain sur un marché libre. Voir Revenue Properties Co. c. Victoria University (1993), 101 D.L.R. (4th) 172 (C. div. Ont.), à la p. 180; Re Farlinger Developments Ltd. and Borough of East York (1975), 61 D.L.R. (3d) 193 (C.A. Ont.), à la p. 205; et Sun Life Assurance Co. of Canada c. City of Montreal, [1950] R.C.S. 220.

38 La valeur marchande est généralement la valeur d’échange du terrain plutôt que sa valeur au titre de l’usage pour le preneur à bail. Cette distinction a été exprimée dans l’affaire Bullock’s, Inc. c. Security‑First National Bank of Los Angeles, 325 P.2d 185 (Cal. Dist. Ct. App. 1958), à la p. 188, où le bail [traduction] «prévoit la détermination de la valeur du terrain, et non pas de la valeur de l’utilisation du terrain à une fin particulière». Le terrain est évalué sans égard à l’intérêt du preneur à bail dans celui-ci, car sa valeur d’échange n’est pas réduite même si le preneur décide de ne pas en faire l’utilisation optimale. Cette décision a été mentionnée dans différentes affaires (par exemple Revenue Properties, précitée), et ce principe fait partie du droit canadien. Il a été appliqué dans l’affaire Gulf Oil Canada Ltd. c. Conseil des ports nationaux, C.F. 1re inst., no T‑1478‑71, 15 septembre 1972, à la p. 19, qui a été suivie dans Burrard Dry Dock Co. c. Canada, [1974] A.C.F. no 417 (QL) (1re inst.), au par. 9. Plus récemment, dans No. 100 Sail View Ventures Ltd. c. Janwest Equities Ltd. (1993), 84 B.C.L.R. (2d) 273, autorisation de pourvoi refusée, [1994] 2 R.C.S. viii, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a jugé, à la majorité, à la p. 281, que les conditions particulières d’un bail n’étaient pas pertinentes pour déterminer [traduction] «la juste valeur marchande des lieux loués comme terrain nu» (je souligne) aux fins de révision du loyer.

39 Tout comme les baux de Musqueam, le bail en cause dans l’affaire Bullock’s, précitée, ne faisait état que de la valeur du terrain. La cour a jugé que, si les parties [traduction] «avaient eu l’intention qu’une valeur différente de la valeur marchande soit utilisée, elles l’auraient dit expressément» (p. 189 (en italique dans l’original)). Il en va de même pour les baux de Musqueam. Les baux ne parlent pas de la «valeur courante de la propriété à bail» ou de «la valeur des terres louées selon les modalités du présent bail» comme le faisait le bail portant sur les terres de la réserve dans l’affaire Leighton, précitée. En l’absence d’indication selon laquelle la valeur du terrain comme propriété à bail doit être utilisée pour fixer le loyer, la «valeur courante du terrain» signifie sa valeur comme propriété franche.

40 La justification d’ordre économique invoquée par la Cour d’appel fédérale pour fixer le loyer selon un pourcentage de la valeur du terrain est bien fondée. Comme l’a expliqué la cour, au par. 20, «il est depuis longtemps d’usage dans les baux à long terme d’utiliser un pourcentage de la valeur du terrain pour déterminer le loyer annuel». Elle a accepté l’opinion du juge Steele que [traduction] «le fait, dans les baux à long terme, de fixer le loyer selon un pourcentage de la valeur marchande du terrain constitue une formule par laquelle un investisseur prudent s’attend, en contrepartie d’un rendement modeste sur son investissement, à un maximum de certitude et à un minimum de risques» (Revenue Properties, précité, à la p. 180). Le loyer constitue le véritable rendement sur la valeur marchande du terrain. «[Cette méthode] tient compte du fait que le bailleur pourrait vendre le terrain à sa valeur courante et réinvestir le produit aux taux d’intérêt en vigueur, si le terrain ne faisait pas l’objet d’un bail à long terme» (par. 20). Le bien-fondé économique du fait de chercher à tirer un revenu d’une immobilisation au moyen de clauses de révision du loyer est reconnu en droit canadien, en droit américain (Bullock’s, précité, à la p. 189) et en droit anglais (R. E. Megarry et W. Wade, The Law of Real Property (6e éd. 2000), au par. 14-246, citant British Gas Corp. c. Universities Superannuation Scheme Ltd., [1986] 1 W.L.R. 398 (Ch. D.), à la p. 401).

41 Le fait d’évaluer les terrains Musqueam selon leur valeur en tant que propriétés franches est conforme à l’interprétation des baux voulant que la clause de révision du loyer vise à tirer un juste rendement annuel d’une immobilisation. La valeur des terrains en tant que propriétés franches permet davantage d’obtenir un tel rendement que ne le fait la valeur des terrains en tant que propriétés à bail. Mais ce raisonnement n’amène pas à conclure, à l’instar de la Cour d’appel fédérale, qu’il faille utiliser la valeur de terrains situés à l’extérieur de la réserve en tant que propriétés franches pour déterminer le loyer. Au contraire, l’immobilisation en cause dans la présente affaire est constituée de terrains situés dans une réserve qui ont été cédés pour être loués et non pour être vendus. La nature de l’immobilisation en cause consiste en des terrains situés dans une réserve.

42 Certains baux portant sur des terrains situés dans une réserve précisent que la valeur de terrains situés hors de la réserve sert directement au calcul du loyer. Dans Rodgers c. Canada (1993), 74 F.T.R. 164, et dans Devil’s Gap Cottages (1982) Ltd. c. Canada, [1991] A.C.F. no 1142 (QL) (1re inst.), par exemple, les baux exigeaient que les propriétés servant à la comparaison soient «de dimensions et de nature similaires mais situé[es] à l’extérieur de la réserve». Dans les cas où le texte du bail est clair, la Cour d’appel fédérale a raison d’insister pour que les tribunaux s’y conforment lorsqu’ils déterminent le loyer. Toutefois, les baux de Musqueam ne précisent pas que la valeur de terrains situés hors de la réserve doit être utilisée dans la formule de révision du loyer.

43 Pour conclure que la valeur des terrains situés hors d’une réserve devait être utilisée, la Cour d’appel fédérale a essentiellement raisonné que la valeur marchande est établie par la vente du terrain et qu’une fois qu’un terrain situé dans une réserve est vendu, il perd les attributs que lui conférait le fait d’être situé dans la réserve, de sorte que le marché pertinent est celui des terrains non situés dans une réserve. En toute déférence, j’estime qu’il s’agit d’un raisonnement circulaire. On considère que l’hypothèse de la vente a pour effet de faire passer la nature du terrain évalué de terre située dans une réserve à terre située hors d’une réserve, alors que l’hypothèse utilisée pour établir la valeur marchande en l’absence d’un véritable marché devrait refléter la situation réelle du terrain.

44 Interpréter la «valeur courante du terrain» comme étant la valeur d’un terrain situé dans une réserve est conforme à la justification économique mentionnée plus tôt. Il s’agit de terrains faisant partie de la réserve et que la Bande possède à titre d’immobilisation. La Bande aurait pu céder les terrains pour qu’ils soient vendus, les excluant ainsi de la réserve (pour obtenir vraisemblablement le prix du marché applicable aux terrains situés à l’extérieur de la réserve), mais elle a décidé de ne pas le faire. L’élément d’actif qu’elle détient consiste en des terrains situés dans une réserve, pour lesquels elle doit accepter les réalités du marché. Je suis donc d’avis que la stipulation des baux concernant la «valeur courante du terrain» fait référence à la valeur des terrains en tant que propriétés franches situées dans la réserve.

B. Évaluation de la valeur des terrains en tant que propriétés franches

45 Il est difficile d’évaluer la valeur d’un intérêt en fief simple hypothétique dans la réserve de Musqueam. Le juge de première instance a tiré la conclusion de fait que la valeur de terrains comparables détenus en fief simple et situés hors de la réserve s’élevait en moyenne à 600 000 $, et cette conclusion n’a pas été modifiée par la Cour d’appel fédérale. Ce chiffre a aussi été accepté par les évaluateurs experts des parties; je l’accepte également.

46 Comme je l’ai expliqué précédemment, suivant les baux, la cour doit déterminer la valeur d’une hypothétique propriété en fief simple dans la réserve. Cette valeur doit refléter et les restrictions légales attachées aux terrains et les conditions du marché. Il est impossible de simplement supposer que les restrictions légales ou les conditions du marché sont les mêmes pour les terrains situés dans une réserve que pour ceux situés hors d’une réserve. En fait, les restrictions légales attachées aux terrains de la réserve diffèrent de celles visant les secteurs comparables de Vancouver. De plus, le marché peut réagir différemment à l’égard d’un terrain de la réserve de Musqueam qu’il ne le fait à l’égard d’un terrain situé hors de la réserve. Pour donner effet au bail, la valeur du terrain utilisée dans la clause de révision du loyer doit correspondre au terrain en question.

47 Les restrictions légales en matière d’utilisation du territoire, par opposition aux restrictions prévues par le bail, peuvent influencer la valeur marchande d’une propriété franche. Dans l’affaire Revenue Properties, précitée, à la p. 182, le tribunal a conclu que [traduction] «[t]outes les lois et autres règles de droit régissant l’utilisation du territoire, comme les règlements de zonage, doivent être prises en considération» dans la détermination de la valeur du terrain. En l’espèce, les trois évaluateurs ont tenu compte dans leurs rapports des restrictions légales en matière d’utilisation du territoire, principalement du zonage. Cette façon de faire est conforme à la pratique des évaluateurs professionnels au Canada. Pour déterminer la valeur d’un terrain, qu’il soit vacant ou amélioré, l’évaluateur (sauf stipulation contraire du bail) tient compte de l’utilisation optimale qui est [traduction] «légalement autorisée, physiquement possible et financièrement réalisable, et qui permet une productivité maximale». Parmi les empêchements d’ordre légal, mentionnons [traduction] «[l]es restrictions de nature privée, le zonage, les codes du bâtiment, les arrondissements historiques ou les autres mesures de contrôle de l’utilisation du territoire non liées au zonage, ainsi que les règlements environnementaux» (Institut canadien des évaluateurs, The Appraisal of Real Estate (éd. canadienne 1999), à la p. 270).

48 Les restrictions imposées par une bande en matière d’utilisation de son territoire sont analogues à la réglementation en la matière établies par les administrations municipales. Comme a conclu la Cour d’appel fédérale dans La Reine c. Guerin, [1983] 2 C.F. 656, à la p. 719, qui concernait justement la Bande de Musqueam, la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, «attribue au ministre, au gouverneur en conseil et au conseil de bande certains pouvoirs d’administration de la réserve qui participent de la nature d’un gouvernement local». Sous réserve des dispositions pertinentes de la Loi sur les Indiens, les conseils de bande disposent de certains pouvoirs de réglementation. En vertu de l’art. 83, par exemple, la bande en cause a pris les règlements administratifs intitulés Musqueam Indian Band Assessment By-Law et Musqueam Indian Band Taxation By-Law. La décision de céder des terres faisant partie d’une réserve aux fins de vente ou de location doit être prise formellement par la bande concernée en application des art. 37 à 39 de la Loi sur les Indiens. Une telle décision découle de pouvoirs d’ordre législatif et n’est pas analogue aux restrictions en matière d’utilisation du territoire prévues par un bail, restrictions qui sont, elles, de nature contractuelle. Le contexte juridique d’une réserve doit donc être pris en considération dans l’appréciation de la valeur des terres qui en font partie. Évidemment, tout comme les règlements de zonage des municipalités, les restrictions imposées par une bande peuvent faire augmenter ou diminuer la valeur des terrains selon la réaction du marché à l’égard de ces restrictions. Dans l’affaire Devil’s Gap Cottages, précitée, le juge Strayer (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) a souligné que le zonage favorable en vigueur dans cette réserve avait pour effet de faire augmenter considérablement sa valeur par rapport aux terrains non situés dans la réserve.

49 À l’instar du juge de première instance, je suis donc d’avis que la valeur des terrains hors réserve détenus en fief simple n’est tout simplement pas transposable aux terrains de Musqueam. La principale difficulté liée à l’évaluation des terrains de Musqueam est le fait qu’il ne saurait exister de marché réel eu égard à la valeur exprimée dans les baux. Dès qu’un terrain d’une réserve est cédé pour être vendu, il perd les attributs que lui conférait le fait qu’il était situé dans une réserve. Un titre en fief simple sur un terrain situé dans une réserve est donc quelque chose qui ne peut exister. Pour s’en approcher, il faut utiliser une valeur hypothétique. En l’espèce, cette valeur peut être déterminée en ajustant la valeur de terrains hors réserve pour tenir compte des caractéristiques réelles des terrains et du marché.

50 Puisque la technique de la parité ne peut pas être appliquée en l’espèce pour déterminer la valeur des terrains, le juge de première instance s’est basé sur la valeur d’un terrain hors réserve comparable détenu en fief simple, soit environ 600 000 $ par lot. Il a ensuite estimé, au par. 98, que «[l]a valeur réelle de ce terrain viabilisé, compte tenu des droits de tenure à bail à long terme s’y rattachant et du fait qu’il se trouve sur une réserve indienne, correspondrait à environ 50% de la valeur qu’il atteindrait comme propriété en fief simple».

51 Le juge de première instance a tiré le taux de 50 pour 100 d’une comparaison de la vente d’intérêts à bail de 99 ans, payés par anticipation, situés dans un autre lotissement de la réserve de Musqueam, le parc Salish, avec la vente de propriétés comparables hors de la réserve. La valeur des propriétés du parc Salish était inférieure de 50 pour 100 à celle des propriétés comparables. Puisque la tenure à bail et le fait d’être situées dans une réserve sont des facteurs communs aux propriétés du parc Salish et à celles du parc Musqueam, le juge de première instance a estimé que le taux de 50 pour 100 était transposable, et il l’a appliqué aux propriétés de Musqueam comparables.

52 Les propriétés de Salish sont des intérêts à bail et non des intérêts francs. Le fait de réduire la valeur du terrain parce qu’il possède les attributs d’un intérêt à bail constitue une erreur de droit, car, comme je l’ai expliqué précédemment, la «valeur courante du terrain» signifie sa valeur en tant que propriété franche et non comme propriété à bail. Cependant, cette distinction n’a pas d’effet appréciable quant à la valeur marchande du terrain. Le juge de première instance a accepté l’opinion commune des évaluateurs selon laquelle, au début d’un bail à long terme, «il n’y a pas de différence perceptible entre la valeur d’un domaine à bail et celle d’un domaine franc» (par. 68). À la lumière du contre‑interrogatoire des évaluateurs, y compris celui de la Bande, le juge de première instance a également reconnu que les baux du parc Salish constituaient «un bon point de comparaison» (par. 78) pour ceux de Musqueam, malgré le fait que les premiers avaient un terme à courir de 78 ans seulement plutôt que de 99 ans. Il convient de signaler que l’ampleur de la réduction, soit 50 pour 100, n’a pas été contestée devant notre Cour. Aucune observation n’a été présentée sur ce point. Quoique je n’entende pas modifier la conclusion du juge de première instance quant au bien‑fondé d’une réduction de 50 pour 100 en l’espèce, il ne s’ensuit pas que ce chiffre s’applique nécessairement aux terres situées dans les réserves. La question de l’ampleur de la réduction qui devrait être appliquée, voire de l’opportunité d’une réduction, est une question de fait.

53 Je ne vois aucune erreur dans les conclusions du juge de première instance sur cette question de fait, et j’accepte que, en 1995, la réduction de 50 pour 100 de la valeur reflétait la valeur marchande des terrains de la réserve de Musqueam. Le juge de première instance a accepté la preuve des évaluateurs professionnels qui ont témoigné au procès (M. Johnston pour la Bande, M. Oikawa pour les preneurs à bail, de même que M. Jones, l’évaluateur de la ville de Vancouver), lesquels étaient tous d’accord sur le fait que l’incertitude faisait baisser la valeur marchande des terrains de Musqueam. On ne peut pas écarter ce fait ni en faire abstraction. Il est possible que, dans le futur, le marché réagisse différemment. Mais, lorsque le marché ressent de l’incertitude, c’est une bien piètre consolation pour le bailleur de se dire que les craintes des preneurs à bail sont injustifiées. Puisqu’il a été jugé que la valeur marchande des terrains de Musqueam en 1995 était inférieure de 50 pour 100 à celle de lots comparables hors de la réserve, le loyer doit être basé sur cette valeur, à titre de valeur courante au sens des conditions des baux.

C. Les frais de viabilisation

54 Dans la partie portant sur la révision du loyer, les baux énumèrent quatre facteurs qui doivent être pris en considération dans la détermination de la [traduction] «valeur courante du terrain». Aux termes de l’al. 2(2)a), il faut présumer que les terrains sont [traduction] «des terrains non améliorés se trouvant dans l’état où ils étaient à la date de la présente entente». La Bande interjette un pourvoi incident relativement à la signification de l’expression «la présente entente» et à la question de savoir si l’expression «non améliorés» signifie simplement non bâtis ou si elle signifie également non viabilisés. Dans ce dernier cas, il faudrait déduire une certaine somme de la «valeur courante du terrain» pour remettre théoriquement le terrain dans l’état où il était avant d’être viabilisé.

55 Le débat devant les juridictions inférieures au sujet de la question de savoir si l’expression «la présente entente» réfère à l’entente cadre ou aux baux perd sa pertinence compte tenu de ma décision sur le sens de l’expression terrains «non améliorés». À la lumière du sens ordinaire du terme «non améliorés» et de son utilisation dans les baux, j’en arrive à la conclusion que l’expression «terrains non améliorés» s’entend de terrains «non viabilisés», et non pas seulement de terrains non bâtis. Comme l’a souligné la Cour d’appel, «le Black’s Law Dictionary, 6e éd., (à la page 757), définit l’expression [traduction] «terrain amélioré» comme étant un [traduction] «immeuble dont la valeur a été augmentée par l’aménagement paysager et par la construction d’égouts, de routes, de services d’utilité publique et autres». De même, le terme «amélioration» renvoie généralement [traduction] «à des immeubles, mais il peut également inclure toute structure permanente ou autre aménagement, comme des rues, des trottoirs, des égouts, des services d’utilité publique, etc.»» (par. 87). Dans Re Planet Parking Ltd. and Assessment Commissioner of Metropolitan Toronto, [1970] 3 O.R. 657 (H.C.), la cour a jugé que, dans le contexte de la loi intitulée Assessment Act, l’expression «non amélioré» s’entendait au sens [traduction] «ordinaire et naturel» du mot «amélioration», savoir «rendre [. . .] meilleur» (p. 661). La cour a rejeté [traduction] «l’argument selon lequel des terrains non améliorés sont des terrains sur lesquels, contrairement aux terrains améliorés, il ne s’élève aucun bâtiment» (p. 662).

56 Dans les baux de Musqueam, le mot «amélioration» est utilisé pour désigner non seulement des bâtiments mais aussi autres choses. À l’alinéa 8a), par exemple, on parle de [traduction] «tout bâtiment [. . .] et [. . .] toute autre amélioration, notamment la construction de routes et de réseaux d’aqueducs, d’égouts, d’électricité ou de gaz». Des expressions semblables sont utilisées un peu partout dans les baux. Le mot «amélioration» inclut les services et, à l’inverse, «non améliorés» signifie sans services. La logique interne de la clause de révision du loyer appuie également l’opinion selon laquelle «non améliorés» signifie non viabilisés. Les baux ont été signés avant que quelque bâtiment que ce soit n’ait été construit, de sorte que les mots «non améliorés» n’auraient rien ajouté au paragraphe «des terrains non améliorés se trouvant dans l’état où ils étaient à la date de la présente entente» s’ils n’avaient pas fait référence aux services déjà existants.

57 Puisque j’accepte la valeur inférieure des terrains à laquelle a conclu le juge de première instance plutôt que la valeur supérieure retenue par la Cour d’appel, je suis d’avis de déduire les moins élevés des frais de viabilisation soumis, tout comme l’a fait le juge de première instance. Ces frais s’élèvent à 117 818 $ par lot.

VI. Conclusion

58 J’accueillerais le pourvoi et je rejetterais le pourvoi incident, le tout avec dépens.

Version française des motifs rendus par

59 Le juge Bastarache — J’ai lu les motifs du Juge en chef et ceux du juge Gonthier. Bien que je sois d’accord avec le résultat auquel arrive le juge Gonthier ainsi qu’avec ses motifs sur la question de la déductibilité des frais de viabilisation, mes conclusions sur la question principale, c’est‑à‑dire la signification de la «valeur courante du terrain» dans les divers baux, reposent sur des motifs différents. Je vais expliquer brièvement mon raisonnement.

60 Le Juge en chef est en désaccord avec le juge Gonthier parce que, selon elle, celui‑ci a décidé d’attribuer aux terrains une valeur fondée sur l’existence d’un hypothétique titre en fief simple touchant les terres de la réserve — hypothétique car de telles terres ne peuvent être détenues en vertu d’un titre en fief simple. Le Juge en chef affirme que, puisque la Bande indienne de Musqueam («Bande») a le pouvoir de vendre ses terres en fief simple, même si elle n’a pas décidé de le faire, la valeur des terrains doit être déterminée comme si ceux‑ci étaient détenus en vertu d’un titre en fief simpliciter. Il est improbable que les parties aient voulu que les terrains soient considérés en vertu d’un titre hybride comme des propriétés franches ou en fief simple dont la valeur serait calculée en tenant compte du fait qu’ils sont situés dans une réserve. Ce titre hypothétique exige que l’on attribue aux parties une description de la situation beaucoup trop inhabituelle, alors que rien n’indique que telle était en fait leur intention. Toutefois, je ne peux souscrire au raisonnement du Juge en chef lorsqu’elle postule que les terrains doivent être évalués comme s’ils n’étaient pas situés dans une réserve et comme s’ils avaient été convertis en terrains détenus en fief simple. J’estime que la valeur attribuée aux terrains comme propriétés en fief simples par le Juge en chef est également fondée sur un titre hypothétique.

61 Je suis d’avis que la «valeur courante du terrain» doit être calculée en considérant les terrains comme des propriétés à bail et en tenant compte du fait qu’ils sont situés dans une réserve, et ce pour les motifs suivants: (i) il s’agit de la meilleure description de ce que sont les terrains dans les faits; (ii) cette façon de faire est conforme à l’intention des parties.

I. Ce que sont les terrains dans les faits

62 Dans l’entente cadre, où la Couronne a accepté de fournir les différents baux, les terrains faisant l’objet de ces baux sont décrits comme des terrains situés dans la réserve. Le Juge en chef ne tient pas compte de l’emplacement des terrains dans son évaluation et elle leur attribue une valeur qui ne pourrait être réelle que s’ils se trouvaient dans la ville de Vancouver et s’ils étaient détenus en fief simple. Ce n’est pas le cas. Bien qu’il soit vrai que la Bande pourrait décider de vendre ses terrains en fief simple et chercher à les faire intégrer à la ville de Vancouver, elle n’a pas, dans les faits, choisi d’agir ainsi. Elle n’a pas converti les terrains en propriétés détenues en fief simple, ni changé le fait qu’ils se trouvent dans une réserve. Les terrains à évaluer sont donc des terrains situés dans une réserve.

63 Ce fait est important parce que l’emplacement des terrains et leur qualité de terrains situés dans une réserve ont une incidence importante sur leur valeur. Si les terrains n’étaient pas situés dans une réserve, mais se trouvaient à l’extérieur des limites de la ville ou faisaient partie d’une autre municipalité ou d’une région ne relevant pas d’une administration municipale, ce fait serait pris en considération dans le processus d’évaluation. Il en est de même lorsque les terrains sont situés dans une réserve. En d’autres mots, le juge de première instance a eu raison d’accepter la preuve d’expert selon laquelle la possibilité que l’incertitude relative aux impôts fonciers, l’agitation politique et les services telle la cueillette des ordures doivent être pris en considération dans l’évaluation des terrains. Comme le souligne le juge Gonthier, le fait que des terrains soient situés dans une réserve peut faire diminuer ou augmenter leur valeur selon la réaction du marché à ce facteur. Il signale un cas où une mesure de zonage favorable dans une réserve a fait hausser la valeur des terrains de celle-ci par rapport à celle des terrains non situés dans la réserve (au par. 48).

64 Les terrains à évaluer en l’espèce ne sont pas des terrains détenus en fief simple et ils ne doivent pas être traités comme tels. Il s’agit de terrains détenus en vertu d’un bail à long terme, genre de tenure qui est logique dans le contexte d’une réserve. Il s’agit d’un aspect important compte tenu du fait que [traduction] «[l’]appréciation de la valeur marchande est toujours l’évaluation de droits déterminés dans la propriété visée, et non du bien immeuble lui‑même» (Institut canadien des évaluateurs, The Appraisal of Real Estate (éd. canadienne 1999), à la p. 17 (je souligne)), c’est‑à‑dire non pas la valeur que cette propriété pourrait avoir en théorie, mais plutôt celle qu’elle a réellement eu égard à la nature des droits particuliers y afférents. Le fait que la valeur en tant que propriété en fief simple soit généralement utilisée pour déterminer la valeur d’un bien reflète le fait qu’il s’agit généralement de la forme de propriété la plus complète possible. Dans le cas exceptionnel des terrains situés dans une réserve, ce n’est toutefois pas le cas. La forme de propriété individuelle la plus complète possible est le bail à long terme. La valeur totale des terrains serait la valeur du bail et de la réversion. Mais cela ne constitue pas un problème en l’espèce puisque le juge de première instance a estimé que, au cours des premières années d’un bail à long terme, celui-ci a une valeur équivalente à celle d’un titre en fief simple. Il a donc jugé qu’il était possible d’utiliser les terrains détenus en fief simple comme éléments de comparaison pour déterminer la valeur des terrains faisant l’objet des baux de Musqueam.

65 Au même titre qu’elle peut dépendre [traduction] «de la coutume, des charges et des conditions» (Institut canadien des évaluateurs, op. cit., à la p. 17), comme l’indique le Juge en chef, la valeur des terrains doit également refléter les restrictions légales l’assujettissant. Quoique le Juge en chef affirme que «le fait que les terrains fassent partie d’une réserve ne constitue pas une restriction légale» (par. 14), le régime juridique touchant leur utilisation ainsi que les droits et privilèges des détenteurs des terrains font partie de ces restrictions à mon avis. Comme l’a dit le tribunal dans Revenue Properties Co. c. Victoria University (1993), 101 D.L.R. (4th) 172 (C. div. Ont.), la juste valeur marchande [traduction] «vise à établir périodiquement la valeur en capital de la propriété tout en tenant compte des effets de la législation touchant cette propriété et de la nature même de l’entente conclue par les parties» (p. 187). Comme l’a dit le juge de première instance, le terrain «demeure une terre réservée aux Indiens et comporte tous les avantages et restrictions découlant de cette nature» ([1997] A.C.F. no 1339 (QL), au par. 44). Je ne suis pas d’accord avec l’opinion que le pouvoir de la Bande de modifier unilatéralement ces restrictions en convertissant les terrains en propriétés détenues en fief simple signifie qu’il est possible de faire abstraction de ces restrictions pendant qu’elles existent. Par exemple, si un terrain loué fait l’objet d’un covenant restrictif en faveur du propriétaire, cela influence la valeur du terrain malgré le fait que le propriétaire peut en tout temps libérer le preneur à bail de l’obligation de se conformer aux modalités de cette clause. S’il y a une restriction qui influence la valeur d’un terrain, cette restriction existe. Il serait inapproprié de supposer qu’elle n’existe pas. Il est vrai que la cession absolue des terrains éteindrait l’intérêt de la Bande dans ceux‑ci et leur ferait perdre leur nature de terrains situés dans une réserve. Toutefois, la nature de l’intérêt serait alors entièrement différente. Cette situation hypothétique ne peut être utilisée pour créer l’intérêt à évaluer. Les terrains évalués conservent leur caractère de terres réservées aux Indiens, et cette qualité est pertinente pour la révision du loyer.

II. Ce qu’indique l’intention des parties

66 Hormis le fait que le préambule de l’entente cadre fait référence aux terrains loués situés dans la réserve, l’idée que les parties entendaient que la «valeur courante du terrain» signifie la valeur du terrain en tant que terrain loué situé dans la réserve est, à mon avis, davantage compatible avec ce que les parties à l’entente voulaient qu’avec la prétention que cette expression vise la valeur du terrain s’il était vendu en fief simple. L’intention des parties étant cruciale pour l’interprétation d’un contrat comme celui qui nous intéresse commande que l’on accorde une importance prédominante à cette question.

67 Le juge Sexton de la Cour d’appel fédérale a estimé que, si les parties avaient voulu que la clause de révision du loyer fasse référence à la valeur d’une propriété à bail dans la réserve, elles auraient utilisé une expression plus précise, comme la «valeur courante de la propriété à bail» ([1999] 2 C.F. 138, au par. 19). Il a également dit que, puisque la technique utilisée depuis longtemps consiste à évaluer le terrain selon sa valeur en tant que propriété en fief simple (question que j’ai examinée plus tôt dans les présents motifs), on l’aurait dit expressément si on avait voulu fonder l’évaluation sur autre chose que la valeur comme propriété à bail d’un terrain situé dans la réserve (par. 21). De plus, il aurait été curieux que la bande ne protège pas le rendement qu’elle tire d’une immobilisation en utilisant l’expression «valeur courante du terrain» pour désigner la valeur d’un terrain comparable détenu en fief simple hors de la réserve (par. 25 et 26). Le Juge en chef fait siens ces motifs dans son interprétation de l’intention des parties, ajoutant qu’une telle désignation est mutuellement bénéfique à toutes les parties à l’entente.

68 Toutefois, il paraît plus plausible de dire que les parties entendaient que la «valeur courante du terrain» soit interprétée et déterminée en fonction de ce qu’elle est en réalité, savoir un intérêt à bail dans un terrain faisant partie d’une réserve, et, à mon avis, c’était là la véritable intention des parties. Comme l’a dit le juge de première instance, «il n’est nullement sous‑entendu dans les baux que la «valeur courante du terrain» renvoie à autre chose que la valeur réelle du terrain visé par les baux en question» (par. 31). De plus, bien qu’il soit vrai que, «[d]ans la plupart des cas, la «valeur courante du terrain» sera assimilée à la valeur de celui‑ci comme propriété franche» (par. 45), il ne s’agit pas d’une valeur fondée sur un droit libre de toute charge. De fait, l’interprétation favorisant l’évaluation fondée sur le fait qu’il s’agit d’un terrain loué situé dans une réserve témoigne d’une véritable intention de fixer la valeur du bail en fonction de la valeur marchande courante, c’est‑à‑dire de faire en sorte, comme le dit le Juge en chef, que le «bail [. . .] reflétera le marché contemporain» (par. 11). Cependant, il faut considérer qu’il s’agit là du marché de la location à long terme de terrains situés dans des réserves indiennes. Le marché pertinent en l’espèce n’est pas le marché de la vente de terrains libres de toute charge et détenus en fief simple. La jurisprudence indique qu’il ne faut recourir aux comparaisons avec la valeur de terrains hors réserve que dans les cas où les parties se sont clairement exprimées en ce sens: voir Devil’s Gap Cottages (1982) Ltd. c. Canada, [1991] A.C.F. no 1142 (QL) (1re inst.), et Rodgers c. Canada (1993), 74 F.T.R. 164. Par conséquent, je tiens à souligner que, dans les cas où les parties ont choisi de poser des hypothèses devant être prises en considération dans l’évaluation des terrains, elles les ont énoncées au par. 2(2) du bail. Je ne vois aucune raison d’ajouter d’autres hypothèses et, en toute déférence, je suis en désaccord avec les observations du Juge en chef sur cette question, ainsi qu’avec son analyse des décisions dans lesquelles les baux des bandes comportaient des hypothèses précises quant à l’emplacement des propriétés devant servir à la comparaison.

69 J’accueillerais le pourvoi, je rejetterais le pourvoi incident et je confirmerais la décision de la Section de première instance de la Cour fédérale avec dépens.

Pourvoi accueilli avec dépens, le juge en chef McLachlin et les juges L’Heureux‑Dubé, Iacobucci et Arbour sont dissidents. Pourvoi incident rejeté avec dépens.

Procureurs des appelants/intimés au pourvoi incident: Farris, Vaughan, Wills & Murphy, Vancouver.

Procureurs des intimés/appelants au pourvoi incident: Roberts & Baker, Vancouver.

Procureur de l’intimée Sa Majesté la Reine: Le procureur général du Canada, Vancouver.


Synthèse
Référence neutre : 2000 CSC 52 ?
Date de la décision : 09/11/2000
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli. le pourvoi incident est rejeté

Analyses

Indiens - Terrains faisant partie d’une réserve - Baux - Interprétation - Signification de l’expression «valeur courante du terrain» utilisée dans des baux visant des terrains faisant partie d’une réserve - Les frais de viabilisation du terrain loué doivent‑ils être déduits de la «valeur courante du terrain»?.

En 1960, la Bande indienne de Musqueam a cédé environ 40 acres de sa réserve à la Couronne aux fins de location. En 1965, la Couronne a conclu une entente avec une société non liée à la Bande. La société a viabilisé et loti le bien‑fonds, et la Couronne lui a remis un bail pour chaque lot. Chaque bail avait un terme de 99 ans. En 1966, la société a cédé les baux à des individus, qui ont construit des maisons sur les lots. Le loyer pour les 30 premières années était précisé dans les baux. Le loyer devait être révisé après les 30 premières années et tous les 20 ans par la suite. Les baux prévoyaient que le loyer payable après révision serait un juste loyer pour le terrain visé et indiquaient qu’un loyer annuel total net représentant 6 pour 100 de la «valeur courante du terrain» devait être considéré comme un «juste loyer». Au moment de la première révision du loyer en 1995, les parties ont été incapables de s’entendre sur le sens de l’expression «valeur courante du terrain» et sur la question de savoir si les frais de viabilisation des lots devaient être déduits de la valeur du terrain. La Bande a demandé à la Section de première instance de la Cour fédérale de déterminer le juste loyer payable après révision. La cour a jugé que la tenure à bail à évaluer était une tenure à bail de 99 ans sur des terrains faisant partie de la réserve et que la «valeur courante du terrain» devait être considérée comme représentant la valeur hypothétique du terrain détenu en fief simple, réduite de 50 pour 100 pour tenir compte du droit de tenure à bail à long terme et du fait qu’il s’agissait d’une terre située dans une réserve. La cour a également conclu que les frais de viabilisation des lots devaient être déduits de la valeur courante du terrain. La Cour d’appel fédérale a infirmé cette décision et a conclu que la valeur courante du terrain était celle du terrain détenu en fief simple sans la réduction de 50 pour 100 appliquée pour tenir compte du fait qu’il s’agissait d’une terre située dans une réserve. Les preneurs à bail ont été autorisés à se pourvoir à l’égard de la question de savoir quel est le sens réel de l’expression «valeur courante du terrain». La Bande a pour sa part été autorisée à se pourvoir de façon incidente à l’égard de la question de la déductibilité des frais de viabilisation.

Arrêt (le juge en chef McLachlin et les juges L’Heureux‑Dubé, Iacobucci et Arbour sont dissidents quant au pourvoi): Le pourvoi est accueilli. Le pourvoi incident est rejeté.

Les juges Gonthier, Major, Binnie et LeBel: En l’absence de toute indication contraire dans les baux, l’expression «valeur courante du terrain» mentionnée dans la clause de révision du loyer s’entend de la valeur du terrain en tant que propriété franche ou en fief simple dans la réserve, par opposition à sa valeur comme propriété à bail. Quoique le titre franc n’existe pas dans une réserve, cette valeur hypothétique peut être déterminée et utilisée dans le calcul de la révision du loyer. Le sens des mots «terrain» et «valeur» est bien établi en droit. Sauf stipulation contraire de l’accord, le mot «terrain» s’entend du droit de recevoir un titre en fief simple valable. En droit immobilier, le mot «valeur» signifie généralement la juste valeur marchande du terrain, laquelle est fondée sur le prix dont un vendeur et un acheteur conviendraient pour le terrain sur un marché libre. La valeur marchande est généralement la valeur d’échange du terrain plutôt que sa valeur pour le preneur à bail au titre de l’usage. Le terrain est évalué sans égard à l’intérêt du preneur à bail dans celui‑ci, car la décision du preneur à bail de ne pas en faire l’utilisation optimale ne réduit pas sa valeur d’échange.

Le fait d’évaluer les terrains de Musqueam selon leur valeur en tant que propriétés franches est conforme à l’interprétation du bail voulant que la clause de révision du loyer vise à tirer un juste rendement annuel d’une immobilisation. Il ne s’ensuit pas que la valeur de terrains situés à l’extérieur de la réserve doive être utilisée pour déterminer le loyer. L’immobilisation en cause dans la présente affaire est constituée de terrains situés dans une réserve qui ont été cédés pour être loués et non pour être vendus. Contrairement à certains autres baux portant sur des terrains situés dans une réserve, les baux de Musqueam ne précisent pas que la valeur de terrains situés hors de la réserve doit être utilisée dans la formule de révision du loyer. L’hypothèse utilisée pour établir la valeur marchande en l’absence d’un véritable marché devrait refléter la situation réelle du terrain et ne devrait pas changer la nature du terrain évalué. Étant donné que la bande a décidé de ne pas céder les terrains pour qu’ils soient vendus, elle détient des terrains situés dans une réserve et doit accepter les réalités du marché applicables à cette immobilisation.

La valeur d’un hypothétique intérêt de propriété en fief simple dans la réserve doit refléter et les restrictions légales en matière d’utilisation du territoire — par opposition aux restrictions prévues par le bail — et les conditions du marché. Tout comme les règlements de zonage des municipalités, les restrictions imposées par une bande en matière d’utilisation de son territoire peuvent faire augmenter ou diminuer la valeur des terrains selon la réaction du marché à l’égard de ces restrictions. Étant donné que le contexte juridique d’une réserve doit être pris en considération dans l’appréciation de la valeur de terres, la valeur des terrains hors réserve détenus en fief simple n’est tout simplement pas transposable aux terrains de Musqueam. La valeur hypothétique d’un titre en fief simple sur un terrain situé dans une réserve peut être déterminée en ajustant la valeur de terrains hors réserve pour tenir compte des caractéristiques réelles des terrains et du marché. La conclusion de fait du juge de première instance selon laquelle la valeur de terrains comparables détenus en fief simple et situés hors de la réserve s’élevait en moyenne à 600 000 $, ainsi que sa conclusion selon laquelle la valeur des terrains de Musqueam était inférieure de 50 pour 100 à celle des propriétés comparables hors de la réserve, doivent être acceptées.

Dans la détermination de la «valeur courante du terrain», les baux exigent que l’on présume que les terrains sont «des terrains non améliorés se trouvant dans l’état où ils étaient à la date de la présente entente». À la lumière du sens ordinaire du terme «non améliorés» et de son utilisation dans le bail, il est évident que l’expression «terrains non améliorés» s’entend de terrains «non viabilisés», et non pas seulement de terrains non bâtis. Les frais de viabilisation doivent donc être déduits de la valeur des lots.

Le juge Bastarache: L’expression «valeur courante du terrain» doit être interprétée comme faisant référence à la valeur des terrains en tant que propriétés à bail situées dans une réserve. Cette interprétation est la meilleure description de ce que sont les terrains dans les faits, en plus d’être conforme à l’intention des parties. L’emplacement des terrains et leur qualité de terrains situés dans une réserve ont une incidence importante sur leur valeur et peuvent la faire diminuer ou augmenter selon la réaction du marché à ces facteurs. Les terrains à évaluer en l’espèce sont des terrains détenus en vertu d’un bail à long terme, et ils ne doivent pas être traités comme des terrains détenus en fief simple. L’appréciation de la valeur marchande est l’évaluation de droits déterminés dans la propriété visée, et non du bien immeuble lui‑même. Dans le cas des terrains situés dans une réserve, la forme de propriété individuelle la plus complète possible n’est pas le fief simple, mais le bail à long terme. La valeur totale des terrains consiste donc en la valeur du bail et de la réversion. Cela ne constitue pas un problème en l’espèce, parce que, au cours des premières années d’un bail à long terme, ceux‑ci ont une valeur équivalente à celle d’un titre en fief simple.

La valeur des terrains doit refléter les restrictions légales auxquelles ils sont assujettis, notamment le régime juridique touchant leur utilisation ainsi que les droits et privilèges des détenteurs des terrains. Le pouvoir de la Bande de modifier unilatéralement ces restrictions en convertissant les terrains en propriétés détenues en fief simple ne signifie pas qu’il est possible de faire abstraction de ces restrictions pendant qu’elles existent. Il serait inapproprié de supposer que ces restrictions n’existent pas. Par conséquent, les terrains évalués conservent leur caractère de terres réservées aux Indiens, et cette qualité est pertinente pour la révision du loyer.

Considérer que l’expression «valeur courante du terrain» s’entend de la valeur du terrain en tant que terrain loué situé dans la réserve est compatible avec l’intention des parties à l’entente. Les parties entendaient que la «valeur courante du terrain» soit interprétée et déterminée en fonction de ce que le terrain est en réalité, savoir un intérêt à bail dans un terrain faisant partie d’une réserve. Cette interprétation reflète l’intention que la valeur du bail suive le marché contemporain de la location à long terme de terrains situés dans des réserves indiennes. Il ne faut recourir aux comparaisons avec la valeur de terrains hors réserve que dans les cas où les parties se sont clairement exprimées en ce sens.

Le juge en chef McLachlin et les juges L’Heureux‑Dubé, Iacobucci et Arbour (dissidents quant au pourvoi): L’expression «valeur courante du terrain» utilisée dans les baux s’entend du prix qu’un acheteur consentant paierait pour acquérir le titre en fief simple sur le terrain. Cette interprétation est compatible avec le sens ordinaire des termes utilisés dans les baux et avec la pratique courante dans ce secteur d’activité. Elle est également compatible avec la raison largement acceptée qui est donnée pour justifier la présence d’une clause de révision du loyer comme celle en litige dans la présente affaire, et elle tient compte du fait que le bailleur pourrait vendre le terrain à sa valeur courante et réinvestir le produit aux taux d’intérêt en vigueur, si le terrain ne faisait pas l’objet d’un bail à long terme. Le calcul de la juste valeur marchande commande la détermination de «l’utilisation optimale» des terrains autorisée par la loi, indépendamment de toute restriction imposée par le bail lui‑même. Le seul obstacle à la vente par la Bande de ses terrains est constitué par les baux eux‑mêmes, dont les restrictions ne devraient pas être prises en considération. Cela élimine la justification invoquée pour réduire la valeur des terrains. Le fait que la Bande ait décidé de ne pas vendre ses terrains ne saurait influencer leur valeur. Il s’ensuit que la «valeur d’échange» des terrains signifie le prix auquel ils pourraient être vendus, et non pas 50 pour 100 de cette somme. Quoique, en principe, la juste valeur marchande doive refléter les restrictions légales assujettissant les terrains, le fait que les terrains fassent partie d’une réserve ne constitue pas une restriction légale au sens de ce principe, qui s’applique seulement aux restrictions qui sont habituellement indépendantes de la volonté du propriétaire foncier.

La réduction de 50 pour 100 proposée afin de tenir compte de facteurs liés au fait que les terrains font partie d’une réserve est tributaire de l’évaluation d’un intérêt qui ne pourrait tout simplement jamais exister. Un terrain faisant partie d’une réserve ne peut être converti en terrain détenu en fief simple que par sa cession à la Couronne. Une fois cédé à la Couronne, un tel terrain perd toutes les caractéristiques que lui conférait le fait d’être situé dans une réserve. Puisqu’un intérêt en fief simple dans un terrain faisant partie d’une réserve est quelque chose qui n’existe pas, il n’y a tout simplement rien à quoi la propriété en cause puisse être comparée. Si «valeur courante du terrain» s’entend de la valeur d’une propriété en fief simple et que cette forme de tenure est incompatible avec une propriété située dans une réserve, il doit donc être erroné de dévaluer le fief simple pour des facteurs liés à la qualité de terre faisant partie d’une réserve.

Le loyer doit être fixé à 6 pour 100 de la valeur courante des terrains et aucune réduction ne doit être appliquée du seul fait que ces terrains sont situés dans une réserve indienne. Les motifs du juge Gonthier concernant la déductibilité des frais de viabilisation sont acceptés en principe. Toutefois, dans la mesure où les frais de viabilisation sont fonction de la valeur courante du terrain, la valeur retenue dans les présents motifs devrait être utilisée, plutôt que la valeur inférieure à laquelle est arrivé le juge de première instance.


Parties
Demandeurs : Bande indienne de Musqueam
Défendeurs : Glass

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Gonthier
Arrêts mentionnés: Leighton c. Canada (1987), 13 F.T.R. 198
Ball c. Gutschenritter, [1925] R.C.S. 68
Revenue Properties Co. c. Victoria University (1993), 101 D.L.R. (4th) 172
Re Farlinger Developments Ltd. and Borough of East York (1975), 61 D.L.R. (3d) 193
Sun Life Assurance Co. of Canada c. City of Montreal, [1950] R.C.S. 220
Bullock’s, Inc. c. Security‑First National Bank of Los Angeles, 325 P.2d 185 (1958)
Gulf Oil Canada Ltd. c. Conseil des ports nationaux, C.F. 1re inst., no T‑1478‑71, 15 septembre 1972
Burrard Dry Dock Co. c. Canada, [1974] A.C.F. no 417 (QL)
No. 100 Sail View Ventures Ltd. c. Janwest Equities Ltd. (1993), 84 B.C.L.R. (2d) 273, autorisation de pourvoi refusée [1994] 2 R.C.S. viii
British Gas Corp. c. Universities Superannuation Scheme Ltd., [1986] 1 W.L.R. 398
Rodgers c. Canada (1993), 74 F.T.R. 164
Devil’s Gap Cottages (1982) Ltd. c. Canada, [1991] A.C.F. no 1142 (QL)
La Reine c. Guerin, [1983] 2 C.F. 656
Re Planet Parking Ltd. and Assessment Commissioner of Metropolitan Toronto, [1970] 3 O.R. 657.
Citée par le juge Bastarache
Arrêts mentionnés: Revenue Properties Co. c. Victoria University (1993), 101 D.L.R. (4th) 172
Devil’s Gap Cottages (1982) Ltd. c. Canada, [1991] A.C.F. no 1142 (QL)
Rodgers c. Canada (1993), 74 F.T.R. 164.
Citée par le juge en chef McLachlin (dissidente quant au pourvoi)
Ball c. Gutschenritter, [1925] R.C.S. 68
Revenue Properties Co. c. Victoria University (1993), 101 D.L.R. (4th) 172
Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 R.C.S. 344
Bande indienne de St. Mary’s c. Cranbrook (Ville), [1997] 2 R.C.S. 657
Golden Acres Ltd. c. Canada (1988), 22 F.T.R. 123
Rodgers c. Canada (1993), 74 F.T.R. 164
Devil’s Gap Cottages (1982) Ltd. c. Canada, [1991] A.C.F. no 1142 (QL)
Steel Brothers Canada Ltd. c. Canada (1986), 1 F.T.R. 22.
Lois et règlements cités
Assessment Act, R.S.B.C. 1996, ch. 20, art. 19.
Expropriation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 125, art. 32.
Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I‑5, art. 37 [abr. & rempl. ch. 17 (4e suppl.), art. 2], 38 [idem], 39 [mod., idem, art. 3], 83 [mod., idem, art. 10].
Property Transfer Tax Act, R.S.B.C. 1996, ch. 378, art. 1 [mod. 1997, ch. 45, art. 52
mod. 1999, ch. 47, art. 50].
Doctrine citée
Friedman, Milton R. Friedman on Leases, vol. 2. New York: Practising Law Institute, 1974.
Institut canadien des évaluateurs. The Appraisal of Real Estate, édition canadienne. Winnipeg: L’institut, 1999.
Megarry, Robert Edgar, and William Wade. The Law of Real Property, 6th ed. By Charles Harpum. London: Sweet & Maxwell, 2000.

Proposition de citation de la décision: Bande indienne de Musqueam c. Glass, 2000 CSC 52 (9 novembre 2000)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2000-11-09;2000.csc.52 ?
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