Vu la requête enregistrée le 10 mai 2001, présentée pour la SA DOMAINE CLARENCE DILLON, ayant son siège social ... de Serbie 75008 Paris, par Me Z..., avocat, et le mémoire de communication de pièces enregistré le 8 août 2001 ;
La SA DOMAINE CLARENCE DILLON demande à la cour :
1°) d'annuler l'article 4 du jugement n° 96 978 - 96 979 du 28 décembre 2000 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté le surplus de sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de retenues à la source qui lui ont été réclamées au titre des années 1990 et 1991 ;
2°) d'ordonner la décharge desdites cotisations ;
3°) subsidiairement de poser au Conseil d'Etat une question en application de l'article L.113-1 du code de justice administrative ;
4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 30 000 F au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu la convention entre la France et les Etats-Unis du 28 juillet 1967 et son avenant en date du 17 janvier 1984 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 31 mai 2005 :
- le rapport de M. Y..., ;
- les observations de Me Z..., avocat pour la SA DOMAINE CLARENCE DILLON ;
- les observations de Mme X..., représentant le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ;
- les conclusions de Mme Boulard, commissaire du gouvernement ;
Considérant que la requérante possède à Pessac le domaine viticole Château Haut Brion et Château Mission Haut Brion ; qu'à la suite d'une vérification de comptabilité, elle a fait l'objet de redressements d'impôt sur les sociétés et de retenue à la source au titre des années 1990 et 1991 ; que la requérante a saisi le tribunal administratif de Bordeaux de deux demandes qui ont été jointes ; que le tribunal administratif a fait droit aux conclusions de la société sur un chef de redressement en matière d'impôt sur les sociétés et a rejeté le surplus des deux demandes ; que la société fait appel de ce jugement ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que la requérante soutient, en premier lieu, que le tribunal administratif a omis de statuer sur le moyen d'ordre public tiré de la méconnaissance du champ d'application de l'article 22-1 de la convention passée entre la France et les Etats-Unis au regard de la retenue à la source sur les distributions de bénéfices, alors que le redressement était fondé à tort sur cet article 22-1 au lieu de l'être sur l'article 9 de la convention ; que, toutefois, la circonstance que le tribunal ne se soit pas explicitement prononcé sur la base légale de la retenue à la source, contre laquelle la société ne soulevait aucun moyen, ne révèle pas que les premiers juges se seraient abstenus d'examiner d'office la base légale ou conventionnelle appliquée en l'espèce ;
Considérant que la société soutient, en deuxième lieu, que le jugement attaqué serait insuffisamment motivé sur le rejet de ses moyens visant le bien-fondé de chacun des trois redressements restant en litige ; que, toutefois, le tribunal administratif a, pour motiver son jugement, précisé que, sur le premier chef de redressement, l'utilisation des châteaux pour la réception des clients ou invités et pour l'organisation de réceptions ne se situait pas dans le prolongement de l'activité viticole et plaçait ainsi ces immeubles dans le champ d'application de l'article 39 du code général des impôts sans qu'y fasse obstacle le caractère nécessaire de leur détention, que, sur le deuxième chef de redressement, la valeur amortissable comptabilisée au titre des plantations apparaissait exagérée dès lors que le prix d'achat concernait également les marques viticoles, lesquelles n'étaient pas valorisées au bilan, et que, sur le troisième chef de redressement, la provision pour hausse des prix comptabilisée par la société était exagérée en tant qu'elle portait sur des variations de prix concernant des vins différents ; que ces motivations étaient suffisantes en la forme ;
Considérant toutefois, en troisième lieu, que le jugement attaqué a considéré que, pour la dotation et le calcul d'une provision, la société ne pouvait comparer le coût des vins en barrique de la récolte 1991 figurant dans le stock de sortie 1991 avec le coût des vins en barrique de la récolte 1990 figurant dans le stock de sortie 1990, lesdits vins ne constituant pas des produits de même nature, tout en estimant que la société aurait dû prendre en compte les vins en barrique des différentes récoltes existant en stock au 31 décembre de chacune de ces années ; qu'en prônant ainsi lui-même une méthode globale qui méconnaissait la spécificité des différents millésimes, le tribunal a entaché sa décision d'une contradiction de motifs ; que le jugement doit donc être annulé en tant qu'il a statué sur les redressements d'impôt sur les sociétés concernant la provision pour hausse des prix ;
Au fond :
Sur l'impôt sur les sociétés :
En ce qui concerne la provision pour hausse des prix :
Considérant qu'il appartient à la cour de se prononcer par voie d'évocation sur la partie des conclusions concernant la provision pour hausse des prix ;
Considérant qu'aux termes de l'article 39-I du code général des impôts : ... Les entreprises peuvent ... pratiquer en franchise d'impôt une provision pour hausse des prix lorsque, pour une matière ou un produit donné, il est constaté, au cours d'une période ne pouvant excéder deux exercices successifs ... une hausse de prix supérieure à 10 % ... ; qu'aux termes de l'article 10 nonies de l'annexe III au même code : 1. Pour chaque matière, produit ou approvisionnement, le montant maximal de la dotation pouvant être porté au compte Provisions pour hausse des prix est déterminé à la clôture de chaque exercice en multipliant les quantités de ladite matière ou dudit produit ou approvisionnement existant en stock à la date de cette clôture par la différence entre : 1° la valeur unitaire d'inventaire de la matière, du produit ou de l'approvisionnement à cette date ; 2° une somme égale à 110 % de sa valeur unitaire d'inventaire à l'ouverture de l'exercice précédent ou, si elle est inférieure, de sa valeur unitaire d'inventaire à l'ouverture de l'exercice considéré ... ;
Considérant que la société requérante a justifié la dotation d'une provision pour hausse des prix à la clôture de l'exercice 1991 en comparant le coût des vins en barrique de la récolte 1991 figurant dans le stock de sortie 1991 avec le coût des vins en barrique de la récolte 1990 figurant dans le stock de sortie 1990 ; qu'eu égard à la spécificité des différents millésimes produits par la requérante, une telle comparaison portait sur des produits de nature différente et ne pouvait donc pas traduire une véritable hausse des prix ; que si elle invoque sur ce point le bénéfice d'une doctrine administrative autorisant la globalisation des crus de différents millésimes pour le calcul d'une éventuelle provision, ladite doctrine, d'ailleurs relative aux cognacs et aux armagnacs, ne l'autoriserait précisément pas à procéder à la comparaison susdécrite mais rendrait au contraire nécessaire la globalisation des vins en stock à comparer d'un inventaire à l'autre, méthode retenue en l'espèce par l'administration pour aboutir au redressement litigieux ; que si la requérante revendique, il est vrai, également, en sens inverse, la spécificité de ses différentes cuvées, elle ne démontre pas que les vins provenant de la récolte 1990 auraient subi une hausse des coûts de revient à l'inventaire 1991 ; qu'ainsi, en tout état de cause, la société, qui ne justifie pas des conditions de dotation d'une provision pour hausse des prix en 1991, ne démontre pas le caractère infondé du redressement opéré par l'administration sur le montant de sa dotation ; que ses conclusions doivent donc être rejetées sur ce point ;
En ce qui concerne les dépenses somptuaires :
Considérant qu'aux termes du 4 de l'article 39 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu du 1 de l'article 209 du même code : ... sont exclues des charges déductibles pour l'établissement de l'impôt ... les charges, à l'exception de celles ayant un caractère social, résultant de l'achat, de la location ou de toute autre opération faite en vue d'obtenir la disposition de résidences de plaisance ou d'agrément, ainsi que de l'entretien de ces résidences ... ; que ces dispositions visent les charges qu'expose une entreprise, fût-ce dans le cadre d'une gestion commerciale normale, du fait qu'elle dispose d'une résidence ayant vocation de plaisance ou d'agrément à laquelle elle conserve ce caractère et dont elle ne fait pas une exploitation lucrative spécifique ;
Considérant, d'une part, que si l'article précité prévoit l'exclusion des charges résultant de l'achat, de la location ou de toute autre opération faite en vue d'obtenir la disposition de résidences de plaisance ou d'agrément , il ne saurait être compris comme autorisant la déduction des achats de résidences qui ne seraient pas effectués en vue d'obtenir la disposition de telles résidences, notamment du fait du caractère obligatoire desdits achats ;
Considérant, d'autre part, que la circonstance, à la supposer établie pour la période en cause, que les deux châteaux viticoles de la société seraient affectés à la réception de relations d'affaires et à des activités de gestion administrative de l'exploitation ne fait pas perdre auxdits châteaux leur caractère de résidences de plaisance ou d'agrément, dès lors que ces résidences ne pouvaient être regardées comme converties en bâtiments d'exploitation ou en immeubles commerciaux, et avaient donc conservé le caractère de résidences de plaisance et d'agrément au sens et pour l'application des dispositions du 4 de l'article 39 du code général des impôts ;
En ce qui concerne les amortissements des plantations :
Considérant que la société requérante a acquis les terres et bâtiments d'exploitation en 1983 pour un prix de 57 710 390 F ; que, conformément aux stipulations de l'acte d'acquisition, elle a comptabilité cette acquisition à l'actif de son bilan à hauteur de 40 309 090 F pour les immeubles non bâtis, montant réparti entre les plantations amortissables pour 24 549 000 F et les terrains non amortissables pour le surplus de 15 759 090 F ; que l'administration a corrigé l'actif du bilan en réduisant le coût d'acquisition des plantations à un montant inférieur sur la base d'une valeur vénale de 200 000 F à l'hectare et a considéré que le surplus du prix correspondait à l'acquisition d'éléments incorporels non amortissable ; qu'elle a en conséquence rejeté la partie des amortissements correspondante ;
Considérant toutefois, qu'ainsi que le soutient la requérante, les marques viticoles attachées à l'exploitation n'ayant en l'espèce aucune valeur en elles-mêmes, dès lors qu'elles ne sont pas cessibles séparément, ne peuvent être dissociées en comptabilité des plantations amortissables ; qu'ainsi, l'administration ne conteste pas utilement la valeur des plantations inscrite à l'actif du bilan conformément à l'acte d'acquisition ; qu'il y a donc lieu de retenir comme valeur amortissable des plantations toute la partie du prix d'acquisition comptabilisé ; que ce chef de redressement n'est pas fondé ;
Sur la retenue à la source :
Considérant qu'aux termes de l'article 9 de la convention fiscale entre la République française et les Etats-Unis d'Amérique en matière d'impôts sur le revenu et la fortune signée le 28 juillet 1967 dans sa rédaction applicable à l'espèce : ... 7. Le terme dividendes employé dans le présent article désigne les revenus ... soumis au régime des revenus distribués par la législation fiscale de l'Etat dont la société distributrice est un résident ; qu'aux termes de l'article 111 du code général des impôts : Sont notamment considérés comme revenus distribués... e) Les dépenses et charges dont la déduction pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés est interdite en vertu des dispositions des 1er et 5ème alinéas du 4 de l'article 39 ;
Considérant qu'en application du e de l'article 111 du code général des impôts précité dans sa rédaction issue de la loi n° 87-1060 du 30 décembre 1987 dont il n'appartient pas au juge de l'impôt d'apprécier la régularité, la requérante est légalement regardée comme ayant distribué durant les années en litige à des personnes domiciliées aux Etats-Unis la partie de ses bénéfices constituée par les redressements régulièrement opérés sur charges somptuaires ; qu'elle est donc à ce titre redevable de la retenue à la source prévue par la convention entre la France et les Etats-Unis du 28 juillet 1967 dans sa rédaction applicable à l'espèce ; que si la société soutient avoir été soumise à cette retenue sur le fondement de l'article 22-1 de ladite convention au lieu de l'article 9 précité, l'administration affirme pour sa part avoir fondé le redressement sur l'article 9 dès la notification de redressements ; que, s'il est vrai que l'administration, qui ne produit pas ladite notification, peut être ainsi regardée comme procédant à une substitution de base légale, ladite substitution, proposée après la mise en recouvrement, est en tout état de cause recevable dès lors qu'elle ne prive la société d'aucune garantie de procédure ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la requérante, qui n'est pas fondée, dans le cadre de l'évocation, à demander la décharge de l'impôt sur les sociétés afférent à la provision pour hausse des prix, est, pour le surplus, seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a limité la décharge demandée à l'impôt sur les sociétés correspondant au redressement sur passif fictif concernant l'année 1990 ;
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à payer à la SA DOMAINE CLARENCE DILLON la somme de 1 300 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du 28 décembre 2000 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions tendant à la décharge de l'impôt sur les sociétés de l'année 1991 relatif à la provision pour hausse des prix. La demande de décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés de l'année 1991 relative à la provision pour hausse des prix est rejetée.
Article 2 : Les bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés de la SA DOMAINE CLARENCE DILLON au titre des années 1990 et 1991 sont réduites du montant du redressement sur amortissement des plantations. Il est accordé décharge à la SA DOMAINE CLARENCE DILLON de l'impôt sur les sociétés correspondant aux réductions de bases prononcées ci-dessus.
Article 3 : Le surplus du jugement du 28 décembre 2000 du tribunal administratif de Bordeaux est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 2 du présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : L'Etat versera à la SA DOMAINE CLARENCE DILLON une somme de 1300 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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N° 01BX01207