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17/10/2013 | CEDH | N°001-126916

CEDH | CEDH, AFFAIRE SHYTI c. GRÈCE, 2013, 001-126916


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE SHYTI c. GRÈCE

(Requête no 65911/09)

ARRÊT

STRASBOURG

17 octobre 2013

DÉFINITIF

17/01/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Shyti c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Linos-Alexandre Sicilianos, r>Erik Møse,
Ksenija Turković,
Dmitry Dedov, juges,
et de André Wampach, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil ...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE SHYTI c. GRÈCE

(Requête no 65911/09)

ARRÊT

STRASBOURG

17 octobre 2013

DÉFINITIF

17/01/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Shyti c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse,
Ksenija Turković,
Dmitry Dedov, juges,
et de André Wampach, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 24 septembre 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 65911/09) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant albanais, M. Petrit Shyti (« le requérant »), a saisi la Cour le 25 novembre 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me V. Vassiliadis, avocat au barreau de Thessalonique. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les déléguées de son agent, Mme F. Dedoussi, assesseure auprès du Conseil juridique de l’Etat, et Mme G. Kopa, auditrice auprès du Conseil juridique de l’Etat. Informé de son droit de prendre part à la procédure (articles 36 § 1 de la Convention et 44 § 1 du règlement), le gouvernement albanais n’a pas répondu.

3. Le requérant allègue en particulier une violation des articles 3 et 5 § 4 de la Convention.

4. Le 6 avril 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

A. La mise en détention provisoire du requérant et le recours contre celle-ci

5. Le requérant est né en 1983. Le 10 février 2009, il fut arrêté pour trafic de produits stupéfiants (cocaïne). Le 11 février 2009, le procureur près le tribunal correctionnel de Thessalonique engagea des poursuites pénales contre le requérant pour trafic de produits stupéfiants et possession de faux documents de transport.

6. Le 13 février 2009, la juge d’instruction, avec l’accord du procureur près le tribunal correctionnel de Thessalonique, ordonna sa mise en détention provisoire. La juge d’instruction admit que « de forts indices de culpabilité résultaient de l’instruction de l’affaire. Eu égard à la spécificité de l’acte incriminé et, en particulier, la quantité de cocaïne et les sommes d’argent trouvées en possession de l’accusé, la récidive [était] considérée fortement probable dans le cas où [le requérant] serait remis en liberté. De plus, il [était] susceptible de fuir, puisqu’il [était] ressortissant étranger et [n’avait] pas de résidence permanente en Grèce » (mandat no 13/2009). Le jour même, le requérant fut mis en détention provisoire dans les locaux de la Direction de la police de Thessalonique.

7. Le 18 février 2009, le requérant saisit la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Thessalonique d’un recours contre le mandat no 13/2009, assorti d’une demande de levée ou de substitution de la détention provisoire par des mesures plus souples. Le requérant soulevait notamment que lors de sa mise en examen par les organes d’instruction, le 10 février 2009, il n’y avait pas de traducteur et, par conséquent, n’avait pu comprendre les questions posées par les policiers. De plus, il demanda sa comparution personnelle devant la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Thessalonique.

8. Le 26 mai 2009, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Thessalonique rejeta son recours. Ladite juridiction releva que, comme il ressortait du dossier de l’affaire, le requérant maîtrisait suffisamment la langue grecque pour comprendre les questions posées lors de sa mise en examen le 10 février 2009. En outre, la chambre d’accusation jugea que s’il était remis en liberté, le requérant pourrait récidiver. Enfin, sa demande de comparution en personne fut aussi rejetée au motif que la législation pertinente ne prévoyait pas ce droit (décision no 563/2009).

9. Le 3 mars 2010, la cour d’assises de Thessalonique condamna le requérant à douze ans et trois mois de réclusion des chefs d’accusations précitées (arrêt no 562/2010). Il ressort du dossier que le requérant purge actuellement la peine imposée par la juridiction en question.

B. Les conditions de la détention provisoire

10. Le requérant fut détenu dans les locaux de la Direction de la police de Thessalonique. Il allègue que sa cellule n’était pas suffisamment aérée et ensoleillée. De plus, l’air était fétide et il y régnait une odeur nauséabonde.

11. Le requérant affirme qu’en raison de l’absence de cour intérieure, la promenade était impossible. Il relève que les toilettes et la douche étaient insalubres et constituaient des sources d’infections. Il note l’absence de produits nécessaires à l’hygiène quotidienne, tel que le papier toilette. Il indique l’absence de restauration des détenus par le service pénitentiaire et affirme que chacun d’eux avait uniquement droit à 5,87 euros par jour pour commander et se faire livrer des repas de l’extérieur. La somme de 5,87 euros ne pouvait leur garantir trois repas par jour ni du point de vue de la qualité ni de celui de la quantité.

12. Enfin, le requérant relève le manque de suivi médical des personnes qui, comme lui-même, présentaient des syndromes de sevrage. En outre, il dénonce le fait qu’il était mis en détention avec d’autres personnes qui souffraient de maladies transmissibles, comme le SIDA et l’hépatite C.

13. Le 20 mai 2009, le requérant fut transféré à la maison d’arrêt de Diavates de Thessalonique.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

14. L’article 572 du code de procédure pénale est ainsi libellé :

« 1. Le procureur près le tribunal correctionnel du lieu où la peine est purgée, exerce les compétences prévues par le code [de procédure pénale] concernant le traitement des détenus et contrôle l’exécution des peines et l’application des mesures de sécurité, conformément aux dispositions du présent code, du code pénal et des lois y afférentes.

2. En vue d’exercer les fonctions susmentionnées, le procureur près le tribunal correctionnel visite la prison au moins une fois par semaine. Lors de ces visites, il entend les détenus qui ont préalablement sollicité une audition.

(...) »

15. Les dispositions pertinentes en l’espèce du code pénitentiaire (loi no 2776/1999) se lisent ainsi :

Article 6

« 1. Le détenus ont le droit de s’adresser par écrit et dans un délai raisonnable au Conseil de la prison, en cas d’actes ou d’ordres illégaux pris à leur encontre et si les dispositions du présent code ne prévoient pas d’autre recours. Dans les quinze jours suivant la notification d’une décision de rejet ou un mois après le dépôt de la demande, si l’administration a omis de prendre une décision, les détenus ont le droit de saisir le tribunal compétent de l’exécution des peines. Si le tribunal fait droit au recours, il ordonne les mesures susceptibles de pallier l’acte ou l’ordre illégal (...) »

Article 86

« (...)

2. Chaque tribunal de l’exécution des peines est compétent pour les affaires concernant les détenus dans sa juridiction (...) »

16. Il ressort de la jurisprudence que tant la demande devant le conseil de la prison que l’appel devant le tribunal d’exécution des peines peuvent porter sur les conditions d’incarcération dans l’établissement pénitentiaire, telles que, à titre d’exemple, la surface de la cellule, le caractère adéquat des systèmes d’aération et de chauffage et les modalités de communication de l’intéressé avec des tierces personnes (voir, parmi d’autres, les décisions nos 2075/2002 et 175/2003 de la chambre d’accusation du tribunal correctionnel du Pirée).

17. Les dispositions pertinentes en l’espèce de l’arrêté ministériel no 58819/ 2003, du 7 avril 2003, se lisent ainsi :

Article 6

« 1. Le contrôle de légalité sur l’exécution des peines privatives de liberté (...) est exercé par le procureur-superviseur compétent.

2. Ce contrôle comprend (...) b) la garantie d’un juste traitement et de la protection judiciaire pour l’ensemble des détenus et c) l’information des autorités judiciaires et administratives compétentes sur le contenu des auditions ou des rapports de détenus ou de membres du personnel pénitentiaire qui font apparaître des indices que des actes répréhensibles ou des infractions disciplinaires ont été commis par ceux-ci . »

Article 7

« 1. Dans le cadre de la supervision, le procureur collabore avec le directeur et les chefs hiérarchiques des différents secteurs de l’établissement pénitentiaire et fait des recommandations sur des questions qui concernent l’exécution des peines.

2. Le procureur-superviseur ou son adjoint exercent des compétences juridictionnelles, disciplinaires et de contrôle.

En particulier, le procureur :

1. Veille à l’application des dispositions en vigueur concernant le traitement des détenus ainsi que de celles du code pénal et des lois spéciales relatives à l’exécution des peines et l’application des mesures de sûreté. (...)

9. Entend les détenus, leurs proches et les avocats des premiers, à leur demande. (...)

10. Examine les questions de protection juridictionnelle des détenus en indiquant aux intéressés les démarches à suivre et fait suivre aux autorités compétentes les demandes d’aide juridictionnelle des détenus (...) »

Article 25

« Afin d’assurer le bon fonctionnement de l’établissement pénitentiaire, les jours et heures d’audition des détenus sont fixés comme suit :

a. Le procureur-superviseur auditionne des détenus pendant au moins deux heures une fois par semaine afin de garantir leur traitement équitable et leur protection judiciaire.

b. Le directeur auditionne les détenus, si besoin, pour des questions qui relèvent de sa compétence. »

Article 32

« En sus des droits mentionnés à l’article précédent, l’exercice par les détenus de leurs droits est facilité par l’adoption de mesures qui visent à réduire les effets négatifs de l’exécution des peines privatives de liberté. En particulier les détenus peuvent :

(...) 3. se procurer auprès de la direction de la maison pénitentiaire tout produit nécessaire à leur hygiène et propreté personnelles ainsi que les vêtements nécessaires. »

Article 37

« (...)

10. Le directeur de l’établissement pénitentiaire prend les mesures nécessaires pour réduire les conséquences négatives résultant de l’exécution des peines et des mesures privatives de liberté. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

18. Le requérant allègue que les conditions de détention au sein de la Direction de la police de Thessalonique étaient contraires à l’article 3 de la Convention, disposition ainsi libellée :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Sur la recevabilité

19. Le Gouvernement affirme que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes. Il soutient qu’il avait le droit de se plaindre de sa situation auprès du chef de la police et, selon l’article 572 du code de procédure pénale, auprès du procureur compétent. Or, selon le Gouvernement, le requérant n’a porté d’aucun moyen son grief relatif aux conditions de sa détention à la connaissance des autorités internes.

20. En faisant référence à l’arrêt Siasios et autres c. Grèce (no 30303/07, 4 juin 2009), le requérant allègue que les voies de recours invoquées par le Gouvernement n’étaient pas effectives. Il ajoute qu’à travers la saisine de la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Thessalonique, il visait à sa remise en liberté, ce qui aurait mis fin à sa détention provisoire dans des conditions contraires à l’article 3 de la Convention.

21. La Cour rappelle que le fondement de la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée dans l’article 35 § 1 de la Convention consiste en ce qu’avant de saisir un tribunal international, le requérant doit avoir donné à l’Etat responsable la faculté de remédier aux violations alléguées par des moyens internes, en utilisant les ressources judiciaires offertes par la législation nationale, pourvu qu’elles se révèlent efficaces et suffisantes (voir, entre autres, Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 37, CEDH 1999–I). Cette règle se fonde sur l’hypothèse, objet de l’article 13 de la Convention – avec lequel elle présente d’étroites affinités –, que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 152, CEDH 2000-XI). L’article 35 § 1 de la Convention ne prescrit l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues ; il incombe à l’Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (voir, parmi beaucoup d’autres, Dalia c. France, 19 février 1998, § 38, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I).

22. En ce qui concerne le cas d’espèce, la Cour note, d’emblée, que les doléances du requérant portent de manière générale sur les conditions de détention dans les locaux de la Direction de la police de Thessalonique et que les conditions dénoncées s’apparentaient à un phénomène structurel qui ne concernait pas exclusivement son cas particulier (voir en ce sens, Nisiotis c. Grèce, no 34704/08, § 29, 10 février 2011, et Bygylashvili c. Grèce, no 58164/10, § 47, 25 septembre 2012).

23. En outre, en ce qui concerne tout particulièrement la saisine du chef hiérarchique de la police, la Cour a déjà conclu qu’elle ne peut pas être considérée comme une voie de recours effective au sens de l’article 35 § 1 de la Convention (voir A.A. c. Grèce, no 12186/08, §§ 45-46, 22 juillet 2010 ; Rahimi c. Grèce, no 8687/08, § 77, 5 avril 2011 ; R.U. c. Grèce, no 2237/08, § 59, 7 juin 2011 ; Efremidze c. Grèce, no 33225/08, § 28, 21 juin 2011). Dans les arrêts précités, la Cour a souligné le manque de clarté concernant la procédure selon laquelle le chef de la police pourrait être saisi et le type de plaintes qui peuvent lui être soumises. Par ailleurs, elle a exprimé des réserves quant à l’impartialité et l’objectivité de celui-ci, ce qui pouvait compromettre l’efficacité dudit recours. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que le requérant ne disposait pas d’un recours effectif au travers duquel il aurait pu se plaindre de ses conditions de détention. Force est donc à la Cour de rejeter l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes visant les conditions de sa détention.

24. En outre, la Cour rappelle qu’en vertu de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie d’une affaire que « dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive ». En l’occurrence, la Cour relève que le grief du requérant sous l’angle de l’article 3 ne concerne que ses conditions de détention dans les locaux de la Direction de police de Thessalonique. Etant donné qu’il n’existe pas de recours effectif à cet égard, la détention du requérant dans ce lieu s’est achevée le 20 mai 2009, date à laquelle il a été transféré à la maison d’arrêt de Diavates de Thessalonique. Or, la présente requête a été introduite le 25 novembre 2009, à savoir plus de six mois après la date de transfert du requérant à la maison d’arrêt de Diavates.

25. Le fait que le Gouvernement n’ait pas soumis d’observations à ce sujet n’est pas susceptible de modifier la situation. La Cour rappelle en effet que cette règle, qui reflète le souhait des Parties contractantes de ne pas voir remettre en cause des décisions anciennes après un délai indéfini, sert les intérêts non seulement du Gouvernement mais aussi de la sécurité juridique en tant que valeur intrinsèque. Elle marque la limite temporelle du contrôle effectué par la Cour et indique aux particuliers comme aux autorités la période au-delà de laquelle ce contrôle ne s’exerce plus. La Cour n’a donc pas la possibilité de ne pas appliquer la règle de six mois au seul motif qu’un Gouvernement n’a pas formulé d’exception fondée sur elle (voir Belaousof et autres c. Grèce, no 66296/01, § 38, 27 mai 2004).

26. Au vu de ce qui précède, le grief tiré de l’article 3 de la Convention est tardif et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

II. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

27. Le requérant soutient, à deux égards, que la procédure au travers de laquelle il a tenté de contester la légalité de sa mise en détention provisoire n’était pas conforme aux exigences de la Convention. En particulier, il se plaint d’une violation du principe de l’égalité des armes devant la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Thessalonique lors de l’examen de sa mise en détention provisoire, qui résulterait du refus de l’autoriser d’y comparaître en personne alors que le procureur, lui, a été entendu. En outre, il estime que le « bref délai » n’a pas été respecté à l’occasion de l’examen de sa demande de mise en liberté. Il invoque les articles 5 § 4 et 6 § 1 de la Convention. La Cour considère que la seule disposition appropriée en l’espèce est l’article 5 § 4 de la Convention, dont la partie pertinente est ainsi libellée :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

A. Sur la recevabilité

28. Le Gouvernement note que le requérant a été condamné en vertu de l’arrêt no 562/2010 de la cour d’assises de Thessalonique à douze ans et trois mois de réclusion et que la période de sa mise en détention provisoire a été déduite de la peine à effectuer. Il relève que même si les violations de l’article 5 § 4 dont le requérant se plaint n’avaient pas eu lieu, il se trouverait toujours maintenu en détention suite à sa condamnation par l’arrêt no 562/2010. Par conséquent, il ne peut pas prétendre être « victime » d’une violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

29. La Cour rappelle que selon la jurisprudence, une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit pas en principe à le priver de la qualité de « victime » aux fins de l’article 34 de la Convention, sauf si les autorités nationales reconnaissent, explicitement ou en substance, puis réparent la violation de la Convention (voir, par exemple, Eckle c. Allemagne, 15 juillet 1982, §§ 69 et suiv., série A no 51 ; Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 44, CEDH 1999‑VI, et Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 115, CEDH 2010). En ce qui concerne la réparation « adéquate » et « suffisante » pour remédier au niveau interne à la violation d’un droit garanti par la Convention, la Cour considère généralement qu’elle dépend de l’ensemble des circonstances de la cause, eu égard en particulier à la nature de la violation de la Convention qui se trouve en jeu (voir, par exemple, Gäfgen, précité, § 116).

30. En l’occurrence, la Cour note que l’arrêt no 562/2010, en vertu duquel le requérant a été condamné à plus de douze ans de réclusion, ne peut pas être considéré comme une décision ou mesure favorable au requérant, de nature à constituer une réparation adéquate et suffisante pour remédier au niveau interne les violations de l’article 5 § 4 de la Convention, invoquées par le requérant. Il convient donc de rejeter l’objection du Gouvernement.

31. Par ailleurs, la Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève aussi que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Quant au rejet par la chambre d’accusation de la demande de comparution personnelle du requérant

32. Le Gouvernement affirme notamment que dans sa demande de levée de la détention provisoire, le requérant avait exposé de manière détaillée tous ses arguments. Il ajoute que le requérant ne précise pas en quoi sa comparution personnelle aurait contribué à renforcer ses chances que la demande d’élargissement aboutisse. Le Gouvernement en conclut que le principe de l’égalité des armes n’a pas été atteint en l’espèce.

33. Le requérant rétorque que selon la jurisprudence établie de la Cour, le refus de l’autorité judiciaire compétente de l’autoriser à comparaître en personne devant elle n’était pas conforme à l’article 5 § 4 de la Convention.

34. La Cour rappelle qu’elle a examiné cette question à l’occasion de plusieurs affaires (voir Kampanis c. Grèce, 13 juillet 1995, série A no 318‑B ; Kotsaridis c. Grèce, no 71498/01, 23 septembre 2004 ; Giosakis c. Grèce (no 1), no 42778/05, 12 février 2009, et Bala c. Grèce, no 40876/07, 1er juillet 2010) pour conclure à une violation de l’article 5 § 4. Le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent que celle à laquelle la Cour a abouti dans le cadre de son examen des affaires précitées. En l’absence d’éléments nouveaux, la Cour doit constater qu’en rejetant la demande de comparution du requérant, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Thessalonique a privé celui-ci de la possibilité de combattre de manière appropriée les motifs invoqués pour justifier son maintien en détention.

35. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention à cet égard.

2. Quant à l’obligation de statuer à « bref délai » sur la légalité de la détention

36. Le Gouvernement allègue que le recours exercé par le requérant contre le mandat no 13/2009, ayant ordonné sa mise en détention provisoire, ne constituait pas une voie de recours concernée par l’article 5 § 4 de la Convention. En outre, il estime que le laps de temps écoulé en l’espèce jusqu’à ce que la chambre d’accusation se prononce sur la demande d’élargissement a été raisonnable.

37. Le requérant souligne que le retard pris dans l’examen de sa demande d’élargissement relève de la responsabilité exclusive de la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Thessalonique.

38. La Cour note en premier lieu que par le biais du recours en cause, le requérant a invité la juridiction compétente à se prononcer sur la légalité de sa détention et à ordonner sa levée ou son assouplissement. Elle considère donc qu’il s’agissait en l’espèce d’une voie de recours concernée par l’article 5 § 4 de la Convention (voir, en ce sens, Giosakis c. Grèce (no 2), no 36205/06, §§ 67-74, 12 février 2009).

39. La Cour rappelle que les procédures relatives à des questions de privation de liberté, au sens de l’article 5 § 4, requièrent une diligence particulière et que les exceptions au principe d’une constatation « à bref délai » de la conformité de la détention appellent une interprétation stricte (Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 79, CEDH 2003-IV). La question de savoir si le principe de la célérité de la procédure a été respecté s’apprécie, non pas dans l’abstrait, mais dans le cadre d’une appréciation globale des données, en tenant compte des circonstances de l’espèce (Delbec c. France, no 43125/98, § 33, 18 juin 2002), en particulier à la lumière de la complexité de l’affaire, des particularités éventuelles de la procédure interne à suivre ainsi que du comportement du requérant dans celle-ci. En principe, cependant, puisque la liberté de l’individu est en jeu, l’Etat doit faire en sorte que la procédure se déroule dans un minimum de temps (Fuchser c. Suisse, no 55894/00, § 43, 13 juillet 2006).

40. Compte tenu de ces critères, et à titre d’exemple, la Cour a constaté un dépassement du « bref délai » au sens de l’article 5 § 4 dans les affaires suivantes : Rehbock c. Slovenie, (no 29462/95, § 84, ECHR 2000-XII) : durée de vingt-trois jours ; G.B. c. Suisse (no 27426/95, § 32, 30 novembre 2000) durée de trente-deux jours ; Mamedova c. Russie, (no 7064/05, § 96, 1er juin 2006) durée de trente-six jours ; Mooren c. Allemagne (no 1364/03, § 73, 13 décembre 2007) : durée de quatre-vingt-deux jours, et Giosakis c. Grèce (no 2) (précité, § 71) : durée de soixante-sept jours.

41. La Cour note que le requérant a déposé sa demande d’élargissement auprès de la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Thessalonique le 18 février 2009 et celle-ci l’a rejetée le 26 mai 2009, à savoir au bout de trois mois et huit jours.

42. Au vu de la jurisprudence précitée, la Cour considère que cette période n’est pas compatible avec l’exigence du « bref délai » de l’article 5 § 4. Il s’ensuit qu’il y a eu violation de cette disposition sur ce point.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

43. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

44. Pour dommage moral, le requérant demande 25 000 euros (EUR).

45. Le Gouvernement estime que le constat de violation constituerait une satisfaction équitable suffisante.

46. La Cour considère qu’en raison de la violation constatée de l’article 5 § 4 de la Convention, le requérant a subi un tort moral certain, justifiant l’octroi d’une indemnité. Statuant en équité comme le veut l’article 41, elle lui octroie 4 000 EUR à ce titre.

B. Frais et dépens

47. Pour frais et dépens, le requérant demande la somme de 10 000 EUR. Il ne produit pas de facture ou note d’honoraires.

48. Le Gouvernement fait valoir que les prétentions du requérant ne sont pas accompagnées des justificatifs nécessaires.

49. Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux. En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002). La Cour note que le requérant ne produit aucun document à l’appui de sa prétention concernant les frais et dépens. Il convient donc d’écarter sa demande.

C. Intérêts moratoires

50. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare recevable la requête en ce qui concerne les griefs tirés de l’article 5 § 4 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;

3. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 4 000 EUR (quatre mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 octobre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

André WampachIsabelle Berro-Lefèvre
Greffier adjointPrésidente


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-126916
Date de la décision : 17/10/2013
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-4 - Garanties procédurales du contrôle);Violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-4 - Contrôle à bref délai)

Parties
Demandeurs : SHYTI
Défendeurs : GRÈCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : VASSILIADIS V.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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