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17/04/2014 | CEDH | N°001-142427

CEDH | CEDH, AFFAIRE LICI c. GRÈCE, 2014, 001-142427


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE LICI c. GRÈCE

(Requête no 69881/12)

ARRÊT

STRASBOURG

17 avril 2014

DÉFINITIF

17/07/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Lici c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Elisabeth Steiner,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
E

rik Møse,
Ksenija Turković,
Dmitry Dedov, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 25 mars ...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE LICI c. GRÈCE

(Requête no 69881/12)

ARRÊT

STRASBOURG

17 avril 2014

DÉFINITIF

17/07/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Lici c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Elisabeth Steiner,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse,
Ksenija Turković,
Dmitry Dedov, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 25 mars 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 69881/12) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant albanais, M. Albert Lici (« le requérant »), a saisi la Cour le 25 octobre 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me L. Vasilakos, avocat à Thessalonique. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, M. D. Kalogiros, assesseur auprès du Conseil juridique de l’État, et Mme M. Skorila, auditrice auprès du Conseil juridique de l’État. Informé de son droit de prendre part à la procédure (article 36 § 1 de la Convention et article 44 § 1 du règlement de la Cour), le gouvernement albanais n’a pas répondu.

3. Le requérant allègue en particulier une violation de l’article 3 de la Convention, en raison de ses conditions de détention dans les locaux de la direction de la police de Thessalonique et dans ceux de la direction des étrangers de Thessalonique.

4. Le 30 janvier 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1984 et est actuellement incarcéré à la prison de Thessalonique.

6. Soupçonné de participation à des vols en bande organisée et de possession de stupéfiants, le requérant fut arrêté le 24 avril 2012 et mis en détention provisoire à la direction de la police de Thessalonique. Il y fut détenu du 24 avril au 11 juin 2012, puis du 1er août au 12 novembre 2012. Pendant la période intermédiaire, il fut détenu dans les locaux de la direction des étrangers de Thessalonique, étant donné que les autorités de la prison de Thessalonique avaient déclaré qu’elles ne pouvaient pas l’y accueillir pour cause de surpopulation.

7. Le 1er mai 2012, le requérant introduisit devant la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Thessalonique, en application de l’article 285 du code de procédure pénale (CPP), un recours contre le mandat de placement en détention provisoire. La chambre d’accusation rejeta ce recours le 12 juillet 2012.

8. Le 4 septembre 2012, en application de l’article 572 du CPP, le requérant saisit le procureur près le tribunal correctionnel de Thessalonique d’une requête dans laquelle il se plaignait de ses conditions de détention et sollicitait son transfert dans une prison. Toutefois, il ne reçut aucune réponse. Le requérant écrivit aussi à plusieurs reprises au chef de la police pour demander son transfert à la prison de Thessalonique, mais il fut informé que pareil transfert était impossible en raison de la surpopulation dans cette prison. Le 11 octobre 2012, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Thessalonique décida de prolonger la détention provisoire du requérant.

9. Le 12 novembre 2012, le requérant fut transféré à la prison de Thessalonique.

A. La version du requérant quant à ses conditions de détention

10. Le requérant indique que ses conditions de détention tant à la direction de la police de Thessalonique qu’à la direction des étrangers de Thessalonique étaient identiques. Plus précisément, il soutient qu’il passait l’ensemble de ses journées sur son lit et confiné dans sa cellule, qu’il partageait celle-ci avec un grand nombre de détenus, et qu’il n’y avait aucune possibilité d’en sortir pour marcher ou faire de l’exercice. Il ajoute que la cellule était mal éclairée et mal ventilée, et que les conditions d’hygiène étaient inexistantes compte tenu de la surpopulation et de la saleté des lieux. Plus particulièrement, il indique que les couvertures, la literie et les lits n’étaient pas propres, que les détenus ne l’étaient pas non plus en raison de l’absence de produits d’hygiène personnelle, et qu’une odeur nauséabonde régnait dans la cellule.

11. Le requérant indique également que, faute de réfectoire, les repas étaient pris dans la cellule, qu’ils étaient de quantité et qualité nutritive insuffisantes, et que des fruits et légumes étaient rarement distribués aux détenus. Il ajoute avoir présenté des symptômes de carence en vitamines, tels que fatigue et faiblesse excessives, une perte de poids, des problèmes de vision et de chute de cheveux.

12. Il précise qu’il n’y avait aucune possibilité de se distraire ou de se tenir informé, car il n’y avait, d’après lui, ni radio, ni téléviseur, ni journaux, et que les heures de visites étaient la seule possibilité de communiquer avec l’extérieur et qu’elles étaient aussi limitées.

13. Il indique avoir participé, avec d’autres détenus, à des grèves de la faim pour se plaindre de ses conditions de détention.

B. La version du Gouvernement

1. Concernant la direction de la police de Thessalonique

14. Le Gouvernement indique que les cellules de la direction de la police de Thessalonique se trouvent au troisième étage du quartier général de la police de Thessalonique qui fut construit en 2004, qu’elles sont au nombre de dix-neuf avec une capacité totale de soixante-treize places, et que quinze d’entre elles sont réservées aux détenus de sexe masculin, une aux détenues de sexe féminin et trois aux mineurs.

15. D’après le Gouvernement, les conditions d’hygiène dans les cellules ne diffèrent pas de celles existant dans le reste des locaux du quartier général. À ses dires, les locaux sont nettoyés quotidiennement et la literie et les couvertures sont envoyées au nettoyage dans les installations de la prison de Thessalonique.

16. Le Gouvernement précise que les détenus ont la possibilité de lire la presse, de recevoir la visite de leurs proches et de téléphoner avec l’un des quatre appareils installés dans les zones communes à l’espace de détention.

17. Il ajoute que les détenus, dont le requérant, étaient nourris avec des repas provenant du restaurant du quartier général et qu’il s’agissait des mêmes repas que ceux préparés pour les centaines de policiers y travaillant.

18. S’agissant des soins médicaux, il indique que le centre médical de Thessalonique, situé dans le bâtiment où se trouve le quartier général de la police, met à la disposition de ce dernier un médecin ou un infirmier de permanence, et que, si le cas d’un détenu ne peut pas être traité sur place, celui-ci est transféré à l’hôpital de garde.

2. Concernant la direction des étrangers de Thessalonique

19. Le Gouvernement expose que le jour de l’arrivée du requérant à la direction des étrangers de Thessalonique, soit le 11 juin 2012, le nombre total de détenus dans l’espace de détention no 3, dans lequel l’intéressé fut placé, s’élevait à onze pour une surface de 58,85 m². Il précise que ce nombre varia entre neuf et douze pendant toute la durée de la détention du requérant en ce lieu.

20. Il ajoute que les cellules disposaient de vitres sur toute la surface du mur, d’un système d’aération, d’air conditionné et de chauffage central, que l’eau chaude était disponible pendant toute la journée, que chaque cellule disposait de deux toilettes et d’une douche accessible vingt-quatre heures sur vingt-quatre, que les cellules étaient nettoyées par une entreprise privée et qu’une désinfection avait lieu deux fois par mois.

21. Il indique en outre qu’il n’y avait pas d’espace de récréation ou d’espace pour faire de l’exercice physique.

22. Il indique également que les repas étaient fournis une fois par jour par un traiteur extérieur lié par contrat pour le prix de trois euros par repas, et qu’ils étaient en quantité suffisante et se composaient d’un plat principal (300 grammes), de pain (200 grammes) et d’une salade avec du fromage. Il ajoute que chaque détenu avait la possibilité d’utiliser la somme de 5,87 euros (EUR) qu’il recevait par jour pour acheter différents produits alimentaires ou d’hygiène personnelle à la cantine de la direction.

23. Par ailleurs, selon le Gouvernement, les détenus avaient accès à la presse écrite et aussi à la télévision, au moyen de téléviseurs placés de manière à être visibles en tout lieu.

24. Le Gouvernement indique enfin que, à leur demande, les détenus pouvaient être transférés par une voiture de police à l’hôpital de garde où ils pouvaient recevoir des soins médicaux gratuits.

II. LE DROIT INTERNE ET LA PRATIQUE NATIONALE ET INTERNATIONALE

A. L’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil

25. L’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil se lit comme suit :

« L’État est tenu de réparer les dommages causés par les actes illégaux ou omissions de ses organes lors de l’exercice de la puissance publique, sauf si les actes ou omissions [en question] ont eu lieu en méconnaissance d’une disposition destinée à servir l’intérêt public. L’organe fautif est solidairement responsable avec l’État, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité des ministres. »

B. Le décret présidentiel no 141/1991 relatif aux compétences des organes du ministère de l’Ordre public

26. L’article 66 § 6 du décret présidentiel no 141/1991 est ainsi libellé :

« Il n’est pas permis de détenir des prévenus et des condamnés dans les commissariats de police, excepté pendant le temps absolument nécessaire à leur transfert en prison ou lorsque leur transfert immédiat vers une prison n’est pas possible. »

C. Le code de procédure pénale

27. L’article 284 du CPP prévoit :

« 1. Celui qui fait l’objet d’un mandat de [placement en] détention provisoire est conduit à la prison réservée aux prévenus et est présenté au directeur de celle-ci (...) »

D. Le code pénitentiaire

28. Les articles pertinents du code pénitentiaire disposent :

Article 1

« 1. Les règles qui suivent régissent les conditions et les circonstances de l’exécution des peines et des mesures de sûreté (...) conformément à la Constitution, aux conventions internationales, aux lois et aux actes réglementaires édictés en vertu de celles-ci.

2. Sont considérées comme [des] détenus les personnes qui purgent des peines privatives de liberté, celles auxquelles s’appliquent les articles 69 [détention de criminels irresponsables] et 71 [admission des alcooliques et toxicomanes dans un établissement thérapeutique] du code pénal, ainsi que les détenus provisoires et ceux qui sont détenus en application des articles 16 [catégories spécifiques de détenus] et 17 [autres catégories de détenus] du présent code.

(...)

4. Les « établissements de détention » sont ceux qui sont définis au Troisième Chapitre du présent code. »

Article 15

« 1. Les personnes placées dans les établissements de détention, soit en application d’un mandat d’arrêt ou d’un mandat de placement en détention provisoire, soit en application d’une décision de la chambre d’accusation, séjournent dans des secteurs séparés, destinés aux femmes ou aux hommes, ou dans des espaces particuliers, séparés des autres détenus (...)

2. Les conditions de détention des personnes mises en examen dans la prison s’approchent dans la mesure du possible [des conditions] de la vie en liberté. [Ces personnes] ne sont [pas] soumises à des restrictions de leur liberté autres que celles qui sont nécessaires pour le bon déroulement de l’instruction (...) »

Article 19

« 1. Les établissements de détention se distinguent en : a) généraux, b) spéciaux et c) thérapeutiques.

2. Les établissements de détention généraux se distinguent en établissements de type A, de type B et de type C. Dans les établissements de type A sont placés les prévenus, ceux qui sont détenus pour des dettes et ceux qui ont été condamnés à une peine d’emprisonnement. Dans les établissements de type B sont placés tous les autres détenus, sous réserve de l’alinéa suivant. Dans les établissements de type C (...) sont placés les détenus qui purgent une peine de réclusion à perpétuité ou de dix ans minimum et [qui] sont considérés comme particulièrement dangereux pour la coexistence normale dans les établissements d’un autre type (...)

3. Les établissements spéciaux sont les prisons agricoles, la "Centrale du matériel pénitentiaire", les établissements pour les jeunes et les établissements semi-ouverts (...) »

E. La loi no 3900/2010 relative à l’accélération de la procédure devant les juridictions administratives

29. L’article 1 de la loi no 3900/2010 prévoit :

« 1. Tout recours devant un tribunal administratif ordinaire peut être [déféré au] Conseil d’État par un acte d’une commission de trois membres, composée du président du Conseil d’État, du vice-président le plus ancien et du président de la section compétente en la matière, [sur] demande d’une des parties ou du commissaire général du tribunal administratif [concerné], lorsque ce recours soulève une question d’intérêt plus général qui a des conséquences pour un cercle plus étendu de personnes (...)

La décision du Conseil d’État lie les parties à la procédure devant lui ainsi que les parties intervenantes.

2. Lorsqu’un tribunal administratif se saisit d’une affaire dans laquelle surgit une telle question, il peut, par une décision qui n’est pas susceptible de recours, soumettre une question préjudicielle au Conseil d’État.

La décision du Conseil d’État est contraignante pour le tribunal [à l’origine de] la question et lie les parties intervenantes [à la procédure] devant lui.

3. Après la résolution de la question selon la procédure décrite aux paragraphes précédents, les affaires qui soulèvent la même question et dont l’examen avait été suspendu sont introduites devant les juridictions administratives statuant en formation de chambre du conseil (...) »

F. La pratique nationale et internationale

30. La Cour se réfère à ce sujet notamment aux paragraphes 19-22 de l’arrêt Aslanis c. Grèce (no 36401/10, 17 octobre 2013).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

31. Le requérant se plaint de ses conditions de détention dans les locaux de la direction de la police de Thessalonique et dans ceux de la direction des étrangers de Thessalonique, estimant qu’elles ont été contraires à l’article 3 de la Convention. Cette disposition se lit ainsi :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

1. Non-épuisement des voies de recours internes

32. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter la requête pour non-épuisement des voies de recours internes, faute pour le requérant d’avoir introduit un recours fondé sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, cette disposition permettant d’après lui de soulever tout grief relatif à des conditions de détention qui seraient contraires tant aux prescriptions du droit national qu’à celles de la Convention. Il cite un certain nombre de décisions de justice qui confirment selon lui la volonté des autorités judiciaires d’examiner les doléances des intéressés quant à leurs conditions de détention et de leur accorder une indemnité lorsqu’elles constatent qu’un acte illégal a été commis en la matière.

33. Se prévalant de l’affaire Latak c. Pologne ((déc.), no 52070/08, 12 octobre 2010), le Gouvernement indique que la détention du requérant a cessé le 12 novembre 2012, soit postérieurement à la saisine de la Cour, et que la situation dont l’intéressé se plaint a pris fin depuis cette date. Il considère que, si au moment de l’introduction de sa requête celui-ci pouvait encore faire état de la violation alléguée, cette dernière avait cessé au moment où la requête lui a été communiquée. Il estime ainsi que la présente requête vise non pas l’amélioration des conditions de détention de l’intéressé mais le constat de la violation alléguée et la réparation d’un préjudice, et qu’elle a donc le même objet qu’aurait eu une action introduite sur le fondement de l’article 105 susmentionné. Il souligne que le requérant a encore la possibilité d’intenter cette action étant donné que, d’après lui, le délai de prescription de cinq ans, y relatif, a commencé à courir à partir du 1er janvier 2013 et prendra fin le 1er janvier 2018.

34. Enfin, le Gouvernement soutient que le requérant aurait pu se fonder sur l’article 1 de la loi no 3900/2010 relative à l’accélération de la procédure devant les juridictions administratives, combiné avec l’article 105 précité, et demander à ce que le Conseil d’État se prononce par un arrêt pilote et de manière rapide et définitive sur le problème général que pourraient constituer les conditions de détention dans les locaux de la direction de la police de Thessalonique.

35. Le requérant souligne que, lorsqu’il a saisi la Cour, le 25 octobre 2012, il était en détention dans les locaux de la direction de la police de Thessalonique, attendant la tenue de son procès. Il précise que, en saisissant la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Thessalonique, le procureur près ce tribunal correctionnel, le chef de la police, puis la Cour, il visait avant tout à obtenir soit sa mise en liberté, soit son transfert dans une prison, soit l’amélioration de ses conditions de détention dans les locaux susmentionnés. Il ajoute qu’une action introduite en application de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil n’aurait pas pu aboutir à un résultat identique. En outre, il indique que, compte tenu de la brièveté de la durée de sa détention provisoire, une action en dommages-intérêts contre l’État aurait été sans intérêt car l’audience et le jugement y relatifs auraient eu lieu plusieurs années après la fin de ladite détention et la cessation du comportement des autorités qu’il estime avoir été illégal. Il indique également que la courte durée de sa détention provisoire et le délai déraisonnable des procédures devant les juridictions grecques constituent des circonstances qui, selon la jurisprudence de la Cour, le dispenseraient d’épuiser cette voie de recours.

36. La Cour rappelle que, s’agissant de l’épuisement des voies de recours internes, l’article 35 § 1 de la Convention prévoit une répartition de la charge de la preuve. Le gouvernement défendeur doit ainsi convaincre la Cour que le recours dont il invoque l’existence était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible et susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs et qu’il présentait des perspectives raisonnables de succès (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 68, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV, et Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 46, CEDH 2006‑II).

37. La Cour rappelle aussi que la situation peut être différente entre une personne qui a été détenue dans des conditions qu’elle estime contraires à l’article 3 de la Convention et qui saisit la Cour après sa mise en liberté et un individu qui la saisit alors qu’il est toujours détenu dans les conditions qu’il dénonce (Chatzivasiliadis c. Grèce (déc.), no 51618/12, 19 décembre 2012).

38. En l’espèce, la Cour note que le requérant a été détenu à la direction de la police de Thessalonique du 24 avril au 12 novembre 2012, date à laquelle il fut transféré à la prison de Thessalonique, avec entretemps un bref séjour à la direction des étrangers de Thessalonique (du 11 juin au 1er août 2012). Elle estime que le requérant, en la saisissant le 25 octobre 2012, alors qu’il était encore en détention, visait surtout à empêcher la continuation de sa détention dans des conditions considérées par lui comme inhumaines ou dégradantes, ainsi qu’à obtenir un constat postérieur de violation de l’article 3 de la Convention par la Cour et, le cas échéant, une indemnité pour dommage moral.

39. À cet égard, la Cour relève que le requérant avait entrepris plusieurs démarches en ce sens avant de la saisir : il avait introduit devant la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Thessalonique, en application de l’article 285 du CPP, un recours contre le mandat de placement en détention provisoire que celle-ci a rejeté le 12 juillet 2012 ; il avait saisi, en application de l’article 572 du même code, le procureur près le tribunal correctionnel de Thessalonique d’une requête dans laquelle il se plaignait de ses conditions de détention et sollicitait son transfert dans une prison, mais il n’avait reçu aucune réponse ; il avait aussi écrit à plusieurs reprises au chef de la police pour demander son transfert à la prison de Thessalonique, mais il lui avait été répondu que ce transfert était impossible en raison de la surpopulation dans cette prison.

40. Enfin, la Cour estime devoir distinguer la présente espèce de l’affaire Latak (précitée) mentionnée par le Gouvernement et dans laquelle le recours indemnitaire avait été mis en place après saisine de la Cour par l’intéressé. Elle rappelle que l’épuisement des voies de recours internes s’apprécie normalement à la date d’introduction de la requête devant la Cour (Baumann c. France, no 33592/96, § 47, 22 mai 2011). Quoi qu’il en soit, en l’espèce, elle considère qu’une procédure fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil n’aurait pas présenté des chances raisonnables de succès à l’époque des faits dénoncés (à savoir la période de détention) ni même postérieurement au transfert du requérant intervenu le 12 novembre 2012.

41. À cet égard, la Cour rappelle que, dans son arrêt A.F. c. Grèce (no 53709/11, §§ 55-60, 13 juin 2013), elle a estimé qu’il convenait d’examiner si les dispositions d’un texte législatif ou réglementaire susceptibles d’être invoquées aux fins d’une action en application de l’article 105 précité étaient rédigées en termes suffisamment précis et garantissaient des droits « justiciables », précisant que tel était le cas de plusieurs dispositions du code pénitentiaire correspondant à des droits dont des requérants allègueraient la violation. Toutefois, la Cour note que le code pénitentiaire ne s’applique pas en matière de détention dans les commissariats de police, comme cela ressort des articles 1 et 19 dudit code.

42. Enfin, quant au recours prévu par l’article 1 de la loi no 3900/2010, la Cour considère que, compte tenu de la brièveté relative de la détention du requérant, il n’aurait pas été efficace dans les circonstances de l’espèce. Par ailleurs, elle note que le Gouvernement ne fournit pas d’exemple de cas similaire dans lequel ce recours aurait fonctionné.

43. La Cour estime dès lors que l’on ne saurait reprocher au requérant de ne pas avoir fait usage des voies de recours indiquées par le Gouvernement et rejette donc l’exception de celui-ci.

2. Requête abusive

44. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter la présente requête comme abusive : il reproche au requérant de ne pas avoir dénoncé dès l’introduction de sa requête ses conditions de détention dans les locaux de la direction des étrangers de Thessalonique. Il indique que le requérant ne se réfère à cette direction dans aucune partie de sa requête, et qu’il n’a pas non plus fait état de ce grief lors de sa saisine du procureur près le tribunal correctionnel de Thessalonique le 4 septembre 2012. Il soutient que le requérant a occulté sa détention dans ladite direction et a de la sorte méconnu l’article 47 du règlement de la Cour qui exige que la requête indique avec clarté et de manière succincte les faits à l’origine des violations alléguées.

45. La Cour note que le requérant ne présente pas d’observations sur cette exception, soulevée par le Gouvernement pour la première fois dans ses observations sur la question de la satisfaction équitable.

46. À l’instar du Gouvernement, elle relève que, dans sa requête, l’intéressé ne mentionne que la direction de la police de Thessalonique. Elle constate toutefois qu’il s’y plaint de ses conditions de détention sur une période de six mois, durée qui correspond à l’ensemble de la période pendant laquelle il a été détenu tant à ladite direction de la police qu’à la direction des étrangers de Thessalonique. Elle note également que, dans ses observations initiales sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête, le Gouvernement décrit les locaux de la direction des étrangers de Thessalonique et présente des arguments dans le but de convaincre la Cour que l’état de ces lieux ne correspond pas à la description qui en est faite par le requérant.

47. Compte tenu du stade auquel le Gouvernement a présenté cette objection mais aussi du fait qu’il a couvert cet aspect de la détention du requérant dans ses observations initiales, la Cour estime que l’intéressé n’a pas omis dès le début de l’informer d’un élément essentiel pour l’examen de la présente affaire. Elle rejette donc l’exception dont il s’agit.

3. Conclusion

48. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

49. Le Gouvernement réfute tous les arguments du requérant concernant les conditions de sa détention tant dans les locaux de la direction de la police précitée que dans ceux de la direction des étrangers de Thessalonique. En ce qui concerne les allégations de manque de soins médicaux, de problèmes de santé dus à une alimentation insuffisante ou de risque de transmission de maladies infectieuses, il les considère comme non étayées ou vagues. À cet égard, il indique que le requérant n’a d’ailleurs fait aucune demande d’examens médicaux. Il soutient que les locaux de détention de la direction de la police de Thessalonique remplissent toutes les conditions d’hygiène et de propreté requises, qu’ils sont aérés et éclairés par la lumière naturelle, et que la nourriture servie aux détenus est la même que celle servie aux centaines de policiers qui travaillent dans ladite direction. Il ajoute qu’il en va de même des locaux de la direction des étrangers de Thessalonique où, d’après lui, le requérant a été détenu avec un nombre de personnes variant entre neuf et douze, dans une pièce de 58,85 m² équipée de deux toilettes et d’une douche (voir aussi paragraphes 14-24 ci-dessus).

50. Se prévalant notamment de l’article 15 du code pénitentiaire et de l’article 66 § 6 du décret présidentiel no 141/1991, le requérant rétorque que les locaux dans lesquels il a été détenu sont destinés à accueillir des personnes pour des périodes très courtes et ne peuvent pas se substituer aux prisons car ils ne sont pas équipés pour offrir des conditions de vie décentes à des détenus pendant de longues périodes. Il ajoute que le Gouvernement évite d’indiquer le nombre de détenus ayant occupé les cellules de la direction de la police de Thessalonique pendant la période où il y a séjourné ; or, d’après lui, plusieurs détenus y dormaient par terre faute de lits suffisants, l’atmosphère y était irrespirable en raison de la fumée des cigarettes et, les cellules se situant au troisième étage du bâtiment, tout exercice physique y était impossible. De plus, il soutient, s’agissant de la direction des étrangers de Thessalonique, que les cellules étaient également surpeuplées, que les repas étaient de qualité nutritionnelle très pauvre et servis dans les cellules, et que les visites duraient quelques minutes en raison du grand nombre de détenus. Il indique que tous ces problèmes ont été par ailleurs mis en évidence par le procureur près la cour criminelle de Thessalonique, le barreau de Thessalonique, le médiateur de la République, ainsi que par les policiers travaillant dans ces locaux.

51. La Cour rappelle que, pour tomber sous le coup de l’article 3 de la Convention, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de l’espèce, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (voir, parmi d’autres, Van der Ven c. Pays-Bas, no 50901/99, § 47, CEDH 2003‑II). La Cour a ainsi jugé qu’un traitement était « dégradant » en ce qu’il était de nature à inspirer à ses victimes des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à les humilier et à les avilir (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 92, CEDH 2000‑XI).

52. La Cour rappelle également que les mesures privatives de liberté s’accompagnent inévitablement de souffrance et d’humiliation. S’il s’agit là d’un état de fait inéluctable qui, en tant que tel et à lui seul n’emporte pas violation de l’article 3 de la Convention, cette disposition impose néanmoins à l’État de s’assurer que toute personne est détenue dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités de sa détention ne la soumettent pas à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à une telle mesure et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, sa santé et son bien-être sont assurés de manière adéquate (Kudła, précité, §§ 92-94, et Ramirez Sanchez c. France [GC], no 59450/00, § 119, CEDH 2006‑IX).

53. La Cour relève qu’elle a déjà eu à connaître, à plusieurs reprises, d’affaires relatives aux conditions d’emprisonnement dans des locaux de police de personnes mises en détention provisoire ou détenues en vue de leur expulsion, et qu’elle a conclu à la violation de l’article 3 de la Convention dans ces affaires (Siasios et autres c. Grèce, no 30303/07, 4 juin 2009, Vafiadis c. Grèce, no 24981/07, 2 juillet 2009, Shuvaev c. Grèce, no 8249/07, 29 octobre 2009, Tabesh c. Grèce, no 8256/07, 26 novembre 2009, Efremidi c. Grèce, no 33225/08, 21 juin 2011, et Aslanis c. Grèce, no 36401/10, 17 octobre 2013). Mises à part les déficiences particulières quant à la détention des intéressés dans chacune des affaires précitées, ayant notamment trait au surpeuplement, au manque d’espace extérieur pour se promener, à l’insalubrité et à la qualité de la restauration, la Cour a fondé son constat de violation de l’article 3 de la Convention sur la nature même des commissariats de police, lesquels sont des lieux destinés à accueillir des personnes pour une courte durée. Ainsi, des durées de détention provisoire au sein de commissariats de police comprises entre deux et trois mois ont été considérées comme contraires à l’article 3 de la Convention (Siasios et autres, § 32, Vafiadis, §§ 35-36, Shuvaev, § 39, Tabesh, § 43, Efremidi, § 41, et Aslanis § 39, précités).

54. La Cour relève qu’en l’espèce le requérant a été détenu pendant une durée de six mois et dix-huit jours (paragraphe 6 ci-dessus) dans les locaux de la direction de la police de Thessalonique et dans ceux de la direction des étrangers de Thessalonique, soit dans des locaux qui, de par leur nature même, ne sont pas adaptés aux besoins d’une incarcération prolongée (Kaja c. Grèce, no 32927/03, § 49, 27 juillet 2006, et Efremidi, ibidem). Elle rappelle, en outre, avoir déjà conclu à une violation de l’article 3 de la Convention en raison des conditions de détention dans les locaux de la direction de la police de Thessalonique dans les arrêts Shuvaev et Vafiadis précités, ainsi que dans l’arrêt Dimitrios Dimopoulos c. Grèce (no 49658/09, 9 octobre 2012).

55. Par ailleurs, la Cour note que le requérant était un prévenu, et que l’article 284 du CPP dispose que celui qui fait l’objet d’un mandat de placement en détention provisoire est conduit aux prisons réservées aux prévenus. Elle relève également que l’article 66 § 6 du décret présidentiel no 141/1991 dispose que la détention dans les commissariats de prévenus et de condamnés est permise uniquement pour le temps strictement nécessaire à leur transfert vers les établissements pénitentiaires ou lorsque leur transfert immédiat n’est pas possible.

56. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente, dans la présente cause, de celle à laquelle elle est parvenue dans les affaires précitées. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 3 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

57. Invoquant l’article 13 de la Convention, le requérant se plaint de ne pas avoir disposé dans l’ordre juridique interne d’un recours effectif lui permettant de se plaindre de ses conditions de détention.

58. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable. En outre, compte tenu de sa conclusion relative à l’exception de non-épuisement de voies de recours internes (voir paragraphe 42 ci-dessus), la Cour estime que celles mentionnées en l’espèce par le Gouvernement ne répondaient pas aux exigences de l’article 13 de la Convention. Il y a donc eu violation de cette disposition.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

59. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

60. Le requérant réclame 25 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il dit avoir subi en raison de ses conditions de détention.

61. Le Gouvernement soutient que la somme réclamée est excessive car elle correspond au montant des salaires perçus par un fonctionnaire pendant trois ans et demi.

62. La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 6 500 EUR pour dommage moral.

B. Frais et dépens

63. La Cour note que le requérant ne présente aucune demande de remboursement des frais et dépens. Elle ne lui accorde donc aucune somme à ce titre.

C. Intérêts moratoires

64. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;

4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 6 500 EUR (six mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 avril 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Søren NielsenIsabelle Berro-Lefèvre
GreffierPrésidente


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-142427
Date de la décision : 17/04/2014
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement dégradant;Traitement inhumain) (Volet matériel);Violation de l'article 13 - Droit à un recours effectif (Article 13 - Recours effectif)

Parties
Demandeurs : LICI
Défendeurs : GRÈCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : VASILAKOS L.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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