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19/12/2013 | CEDH | N°001-139181

CEDH | CEDH, AFFAIRE B.M. c. GRÈCE, 2013, 001-139181


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE B.M. c. GRÈCE

(Requête no 53608/11)

ARRÊT

STRASBOURG

19 décembre 2013

DÉFINITIF

19/03/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire B.M. c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Elisabeth Steiner,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia L

affranque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse, juges,
et de André Wampach, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du cons...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE B.M. c. GRÈCE

(Requête no 53608/11)

ARRÊT

STRASBOURG

19 décembre 2013

DÉFINITIF

19/03/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire B.M. c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Elisabeth Steiner,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse, juges,
et de André Wampach, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 novembre 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 53608/11) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant iranien, M. B.M. (« le requérant »), a saisi la Cour le 1er juillet 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). La présidente de la section a accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 3 du règlement).

2. Le requérant a été représenté par Mes I.-M. Tzeferakou et E. Tsalopoulou, avocates à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, M. I. Bakopoulos, assesseur auprès du Conseil juridique de l’Etat, et M. D. Kalogiros, auditeur auprès du Conseil juridique de l’Etat.

3. Le requérant alléguait en particulier des violations des articles 3, pris isolément et combiné avec l’article 13 (conditions de détention), 3 et 13 combinés (modalités d’examen de la demande d’asile) et 5 § 1.

4. Le 5 avril 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1985.

A. La procédure relative à l’expulsion et la détention du requérant

6. Le requérant explique qu’il exerçait en Iran le métier de journaliste. Opposant au régime, il participait activement à des actions politiques comme des manifestations, processions, distribution de tracts, etc. Il fut arrêté à deux reprises. La première arrestation eu lieu à la fin de 2009, lors d’une manifestation. Il fut alors détenu dans un endroit secret pendant quinze jours, où il subit des tortures, puis fut libéré à titre conditionnel. Lors de sa deuxième arrestation au début de 2010, il fut violemment passé à tabac. En raison de son état de santé, il fut libéré provisoirement à titre conditionnel. Cité à comparaître devant un tribunal, il décida de quitter l’Iran pour la Turquie. Craignant d’être expulsé vers son pays d’origine, il arriva en Grèce le 10 août 2010 et y demanda l’asile politique, mais les autorités n’enregistrèrent pas sa demande.

7. Le même jour, il fut présenté devant le procureur près le tribunal correctionnel d’Alexandroúpoli. Par une décision du 13 août 2010, le procureur décida de surseoir à poursuivre le requérant, afin que celui-ci soit renvoyé dans son pays d’origine. Toutefois, ce renvoi ne fut pas effectué.

8. Le 14 août 2010, le chef de la police d’Alexandroúpoli décida de placer le requérant en détention provisoire jusqu’à ce qu’une décision concernant son expulsion soit prise dans un délai de trois jours. Cette décision de mise en détention fut signifiée au requérant le jour même. Le requérant fut informé de la possibilité de formuler dans un délai de 48 heures des objections écrites ou orales. Il reçut aussi une brochure en arabe, énumérant ses droits en tant qu’étranger en cours d’expulsion.

9. Par une décision du 17 août 2010, le chef de la police d’Alexandroúpoli ordonna l’expulsion du requérant pour infraction à l’article 83 de la loi no 3386/2005. Il ordonna aussi son maintien en détention pour une période ne pouvant pas dépasser six mois, au motif qu’il risquait de fuir. La décision précisait que le requérant avait été informé dans une langue qu’il comprenait bien (l’arabe) de ses droits et des raisons de sa détention. Elle précisait aussi qu’en cas de recours de sa part, son application serait suspendue seulement en ce qui concernait l’expulsion. Le requérant fut initialement détenu dans le commissariat d’Alexandroúpoli.

10. Le 31 août 2010, le requérant fut transféré au centre de rétention de Venna (région de Rodopi) pour y attendre d’être renvoyé en Turquie.

11. Le 26 septembre 2010, le requérant exprima de vive voix le souhait de déposer une demande d’asile. Le même jour, il fut transféré à la direction de la police d’Alexandroúpoli pour être informé de la procédure y relative et déposer sa demande.

12. Le 4 octobre 2010, le requérant déposa sa demande d’asile.

13. Le 22 octobre 2010, le requérant eut un entretien en vue de l’obtention de l’asile devant la deuxième commission consultative pour les réfugiés. Il prétend que lors de cet entretien les interprètes (un afghan et un policier) n’avaient pas des compétences linguistiques suffisantes, de sorte que ses allégations ne furent pas transcrites avec précision. En outre, il prétend que les autorités ne lui permirent pas d’apporter pour l’entretien les photos et les documents, sous forme papier ou sauvegardés sur un DVD, qui établissaient sa qualité de journaliste et son implication dans des activités contre le régime. De plus, les autorités lui demandèrent de produire des traductions officielles des documents écrits en persan.

14. Le 3 novembre 2010, le chef de la police rejeta la demande d’asile du requérant et ordonna son expulsion dans un délai de soixante jours à compter de la notification de cette décision de rejet. La décision du chef de la police était motivée comme suit :

« Eu égard (...) aux éléments du dossier et à l’entretien, la Commission a estimé, à l’unanimité, que le requérant ne réunit pas les conditions légales pour être reconnu comme réfugié et se voir accorder l’asile. Dans sa demande initiale, il a déclaré qu’il avait fui son pays car sa vie était en danger, qu’il craignait d’être poursuivi et privé de sa liberté (...) du fait qu’il s’opposait au régime (...) et poursuivait des activités à son encontre et qu’il avait été emprisonné à deux reprises, qu’il avait été tabassé et avait subi des dommages corporels. (...) Toutefois, devant la Commission, il a déclaré qu’il avait décidé de quitter son pays car il écrivait dans un journal des articles critiquant le gouvernement et le régime politique et avait été arrêté et emprisonné, mais qu’il avait été libéré après avoir versé à titre de caution cinq mille dollars. Il a en outre déclaré qu’il ne souhaitait pas cesser son activité de journaliste et que c’était pour cette raison qu’il avait décidé de quitter son pays. Il a aussi affirmé que ses articles pouvaient être recherchés sur internet. Toutefois, une telle recherche n’a pas permis de vérifier ses allégations et il n’a pas été en mesure d’indiquer un site contenant ses articles. Il a déposé des documents qui, selon ses dires, pouvaient attester de son activité mais, malgré le fait que la possibilité de les faire traduire lui a été offerte, il ne l’a pas fait. (...) Les allégations qu’il expose ne sont pas fondées, leur véracité ne ressortant d’aucun élément de preuve. De plus, elles ne peuvent pas fonder une crainte de persécution par les autorités de son pays pour des motifs raciaux, religieux, ou liés à la nationalité, à une classe sociale ou à des convictions politiques, qui permettrait de lui reconnaître la qualité de réfugié. (...) Par conséquent sa demande est manifestement mal fondée et abusive, car il ressort de ce qui précède qu’il utilise la demande et la procédure d’asile pour faciliter son séjour ici et pour trouver du travail et améliorer ses conditions de vie. »

15. Le 22 novembre 2010 fut publié le décret 114/2010 relatif au statut du réfugié, qui remplaçait le décret 81/2009 en vigueur jusqu’alors.

16. Le 25 novembre 2010, le requérant, qui avait été pris en charge par un avocat du Conseil grec pour les réfugiés qui visitait les centres de rétention d’Alexandroúpoli, adressa au chef de la police de cette ville une demande par laquelle il sollicitait son transfert dans un centre spécialisé pour les victimes de torture afin de subir des examens et des soins médicaux. Il prétendait avoir subi des tortures sévères par les autorités iraniennes – pendaison par les mains attachées derrière le dos, brûlures, passage à tabac, coups sur la tête. D’autre part, il dénonçait les conditions de détention qu’il subissait depuis son arrestation en Grèce et qu’il qualifiait d’inadmissibles, dégradantes et aggravantes pour son état de santé fragile. Il précisait que le surpeuplement, le manque de produits d’hygiène, de vêtements et de chauffage, la saleté, le manque d’espace pour dormir, marcher et faire de l’exercice, la communication limitée avec l’extérieur, l’absence d’interprète et l’accès difficile à un médecin ou à un soutien psychologique avaient créé chez lui des sentiments de peur et d’infériorité et un stress aigu.

17. Le 6 décembre 2010, le requérant formula devant le tribunal administratif d’Alexandroúpoli des objections contre sa détention. Il se fondait expressément sur les articles 3 et 5 de la Convention et demandait au tribunal d’examiner la légalité de sa détention eu égard à sa demande d’asile, ainsi que la suspension de l’exécution de l’expulsion, et se plaignait des conditions de détention insupportables.

18. Plus précisément, en ce qui concernait les conditions de détention au poste-frontière de Feres et surtout au poste-frontière de Soufli, le requérant soulignait la surpopulation, l’insalubrité, le manque de produits d’hygiène, de vêtements, de chauffage, d’espace pour dormir et pour marcher, l’impossibilité d’avoir accès à des soins et les limitations à la communication avec le monde extérieur. Invoquant l’arrêt S.D. c. Grèce (no 53541/07, 11 juin 2009) qui avait condamné la Grèce pour les conditions de détention dans le poste-frontière de Soufli, il affirmait que ces conditions avaient empiré depuis lors en raison de la surpopulation. Il déposa à cet égard un document établi par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Il précisait, en outre, que son état de santé s’était dégradé en raison des tortures subies en Iran et d’opérations chirurgicales successives aux poumons. Il déclarait que cette dégradation avait entraîné chez lui des sentiments d’infériorité, de phobie et de stress intense à un tel point qu’il avait cousu sa bouche et tenté de se suicider. Il fournissait un certificat médical de l’hôpital où il avait été emmené.

19. Le même jour (6 décembre 2010), le tribunal administratif considéra que la détention était légale et rejeta les objections par les motifs suivants :

« (...) Il ne ressort pas du dossier que le requérant ait introduit une action en annulation contre la décision de rejet du chef de la Direction de la police d’Alexandroúpoli. La manière dont le requérant est entré sur le territoire, les conditions de son arrestation, le manque d’éléments d’identité, ainsi qu’il résulte de la décision précitée combinée avec le fait que [le requérant] (...) se prévaut d’un document en langue étrangère, non certifié et non traduit, qui semble constituer un document d’identité, le fait qu’il n’a pas de domicile connu et stable pendant son séjour, font qu’il est considéré comme risquant de fuir. Par ailleurs, les allégations concernant son état de santé fragile ne sont pas prouvées, car elles ne sont fondées sur aucun élément du dossier. Enfin, les allégations relatives aux mauvaises conditions de détention sont non fondées. »

20. Le 9 décembre 2010, le requérant, par l’intermédiaire des avocats du Conseil grec pour les réfugiés, demanda au ministère de la Solidarité sociale de lui trouver une structure d’accueil conformément au décret 220/2007.

21. Le 9 décembre 2010, le requérant introduisit aussi un recours contre le rejet de sa demande d’asile, conformément à l’article 32 § 2 du décret 114/2010.

22. Le 10 décembre 2010, le ministère précité répondit au Conseil grec pour les réfugiés que toutes les structures d’accueil pour les étrangers comme le requérant étaient actuellement complètes mais que ce dernier était inscrit sur une liste prioritaire en cas de vacance de place, situation qui se présenterait probablement dans le délai d’une semaine.

23. Le 27 décembre 2010, le requérant formula à nouveau des objections quant à la légalité de sa détention (article 76 § 5 de la loi no 3386/2005). Il invoquait comme fait nouveau le recours contre la décision du 3 novembre 2010 par laquelle le chef de la police avait rejeté sa demande d’asile.

24. Le 28 décembre 2010, le Conseil grec pour les réfugiés informa le tribunal administratif d’Alexandroúpoli que le requérant pourrait être hébergé provisoirement à l’hôtel « Aris » à Athènes (7 rue Pireos).

25. Le 3 janvier 2011, le tribunal administratif d’Alexandroúpoli ordonna la mise en liberté du requérant au motif que la prolongation de la détention n’était plus légale. Il releva qu’il ressortait des éléments qui lui avaient été soumis que le requérant avait exercé un recours contre la décision de rejet de la demande d’asile, avait la volonté d’épuiser les voies de recours internes et qu’une organisation non gouvernementale assumait son hébergement. Se référant à l’arrêt de la Cour dans l’affaire S.D. c. Grèce, du 11 juin 2009, il ajouta qu’il ne fixait pas de délai pour le départ du requérant, car la décision relative à la légalité de la détention ne devait pas dépendre du départ du requérant de la Grèce. Le tribunal invita le Conseil grec pour les réfugiés de fournir une attestation certifiant que le requérant avait été admis au centre d’hébergement.

26. Le 3 janvier 2011, le requérant se vit attribuer une carte de demandeur d’asile qu’il devait renouveler par ses soins le 2 juillet 2011. Toutefois, il n’entreprit aucune démarche pour procéder à ce renouvellement.

27. Le 10 octobre 2011, le requérant ne comparut pas non plus devant la commission d’appel en matière de statut de réfugié qui devait examiner son recours. L’officier de police qui se rendit au 7 rue Pireos à Athènes pour lui signifier la citation à comparaître ne le trouva pas à cette adresse ; il certifia qu’aucun changement d’adresse n’avait été signalé par le requérant.

28. Le 24 février 2012, la commission d’appel considéra que le requérant s’était tacitement désisté de son recours au motif qu’il ne s’était pas présenté aux autorités pour demander le renouvellement de sa carte de demandeur d’asile et qu’il avait perdu son intérêt pour l’examen du recours.

29. Au moment de l’introduction de la requête à la Cour, le 1er juillet 2011, le requérant s’était déjà installé au Royaume-Uni. Il déclare lui-même sur sa page web au site de l’université « S », qu’il est étudiant à cette université, ainsi que membre d’Amnesty International et du Parti communiste-ouvrier d’Iran.

B. Les conditions de détention du requérant

30. Le requérant fut détenu d’abord au commissariat de police d’Alexandroúpoli, du 10 au 31 août 2010, puis au poste-frontière de Feres, au centre de rétention de Venna et au poste-frontière de Soufli, d’où il fut libéré le 3 janvier 2011.

1. La version du requérant

31. Le requérant souligne que les conditions de détention dans ces endroits rendaient impossible même une détention de courte durée. Il prétend que pendant sa détention, il ne sortait jamais des bâtiments et ne vit jamais le ciel, ce qui eut une influence néfaste sur sa santé physique et psychologique. Le 29 novembre 2010, alors qu’il était détenu dans le poste-frontière de Soufli et afin de protester, il se cousit la bouche. Il tenta aussi de mettre fin à ses jours.

32. La plupart du temps, le poste-frontière de Soufli accueillait entre 100-200 hommes, femmes et enfants dans un espace d’une capacité de 25 personnes. Certains détenus, dont lui-même, étaient obligés de dormir à même le sol, à proximité des eaux sales des toilettes ou même assis. La même situation régnait au poste-frontière de Feres qui accueillait plus de 100 personnes. L’accès au téléphone était très limité et il fallait se procurer une télécarte, ce qui dépendait de la volonté des gardiens. Dans les espaces de détention, il n’y avait ni chaises, ni tables, ni endroit pour ranger. Le requérant n’eut aucun produit de toilette ou d’hygiène. Les quelques couvertures étaient crasseuses, l’eau n’était pas potable (les détenus devaient acheter des bouteilles d’eau minérale) et la nourriture était de mauvaise qualité. Il n’y avait pas de chauffage alors que l’hiver est rude dans la région d’Evros.

33. L’accès à des soins médicaux était limité et les transferts à l’hôpital n’étaient pas enregistrés par les autorités.

34. Enfin, aucun interprète n’était présent et les détenus, comme le requérant, n’étaient pas informés des raisons et de la durée de leur détention. Aucune information n’était donnée concernant les droits des détenus et la procédure d’asile.

2. La version du Gouvernement

35. Le poste-frontière de Feres est réservé à des détentions de courte durée, le temps nécessaire de procéder à l’identification des étrangers et d’attendre l’adoption des décisions d’expulsion. Les détenus reçoivent des produits d’hygiène personnelle et peuvent se promener dans la cour en fonction des conditions de sécurité. Leur alimentation comprend trois repas par jour adaptés à leurs convictions religieuses et leurs habitudes alimentaires.

36. Le poste-frontière de Venna comporte six dortoirs d’une capacité totale de 220 personnes, soit 35-37 par dortoir. Les autorités veillent à ce que le nombre des détenus ne dépasse pas ce nombre. Pendant la période de détention du requérant, le centre accueillait au total 150 détenus.

37. Les dortoirs sont suffisamment aérés et éclairés et disposent d’un système de chauffage. Ils sont régulièrement désinfectés, désinsectisés et repeints. Chaque dortoir est équipé d’une toilette séparée et d’une douche avec de l’eau chaude. Les détenus reçoivent des produits d’hygiène. Ils disposent d’un lit, d’un oreiller, de deux draps ainsi que de deux ou trois couvertures pendant l’hiver. Leur alimentation est assurée par divers restaurants avec lesquels les autorités ont conclu des contrats. Les restaurants fournissent des repas pour un montant de 5,87 euros par jour et pour chaque détenu. Les repas ne contiennent pas d’aliments interdits par la religion des détenus. Une promenade a lieu quotidiennement en fonction du nombre des détenus et de la saison. Il est possible de faire sortir en une journée les détenus des deux ou trois dortoirs.

38. Le poste-frontière de Soufli est situé à l’intérieur du commissariat et a une capacité de trois personnes. Il dispose d’une douche et d’une toilette. L’alimentation est d’un niveau supérieur. Les détenus ont accès à un téléphone à carte et il leur est possible de communiquer sans entrave avec leurs avocats et avec leurs proches.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

39. Les articles 2, 76 (conditions et procédure de l’expulsion administrative), 77 (recours contre l’expulsion administrative), 78 et 83 de la loi no 3386/2005 relative à l’entrée, au séjour et à l’insertion des ressortissants de pays tiers sur le territoire grec, tels qu’ils étaient en vigueur au moment des faits, disposaient :

Article 2

« 1. Les dispositions de cette loi ne s’appliquent pas

(...)

c) aux réfugiés et aux personnes qui ont déposé une demande de reconnaissance de la qualité de réfugié, au sens de la Convention de Genève de 1951 (...) »

Article 76

« 1. L’expulsion administrative d’un étranger est permise lorsque :

(...)

c) sa présence sur le territoire grec est dangereuse pour l’ordre public ou la sécurité du pays.

2. L’expulsion est ordonnée par décision du directeur de la police et (...) après que l’étranger ait bénéficié d’un délai d’au moins quarante-huit heures pour déposer ses objections.

3. Lorsque l’étranger est considéré comme susceptible de fuir ou dangereux pour l’ordre public, les organes mentionnés au paragraphe précédent ordonnent sa détention provisoire jusqu’à l’adoption, dans un délai de trois jours, de la décision d’expulsion (...). La décision ordonnant la détention peut faire l’objet d’objections de l’étranger visé devant le président (...) du tribunal administratif (...).

4. Lorsque l’étranger sous écrou en vue de son expulsion n’est pas considéré comme susceptible de fuir ou dangereux pour l’ordre public, ou que le président du tribunal administratif s’oppose à sa détention, il lui est fixé un délai pour quitter le territoire, qui ne peut dépasser trente jours.

5. La décision mentionnée aux paragraphes 3 et 4 du présent article peut être révoquée à la requête des parties, si cette demande est fondée sur des faits nouveaux (...). »

Article 77

« L’étranger a le droit d’exercer un recours contre la décision d’expulsion, dans un délai de cinq jours à compter de sa notification, auprès du ministre de l’Ordre public (...). La décision est rendue dans un délai de trois jours ouvrables à compter de l’introduction du recours. L’exercice du recours entraîne la suspension de l’exécution de la décision. Dans le cas où la détention est ordonnée en même temps que la décision d’expulsion, la suspension concerne seulement l’expulsion. »

Article 78

« Si l’expulsion immédiate de l’étranger n’est pas possible pour des motifs de force majeure, le ministre de l’Ordre public (...) peut décider de suspendre l’exécution de la décision d’expulsion. Par une décision séparée, il impose à l’étranger des mesures restrictives. »

Article 83

« 1. Le ressortissant d’un pays tiers qui entre sur le territoire grec ou en sort ou essaie d’y entrer ou d’en sortir sans suivre la procédure légale en la matière est puni d’un emprisonnement de trois mois au minimum. Cette peine est assortie d’une amende de 1 500 euros au minimum.

(...)

2. Par décision du procureur près le tribunal correctionnel, prise avec l’aval du procureur près la cour d’appel, dont il doit prendre l’attache sans retard, le déclenchement des poursuites pénales contre le ressortissant d’un pays tiers qui entre ou sort du territoire grec sans suivre la procédure légalement requise peut faire l’objet d’un sursis. »

40. Les articles pertinents du décret no 114/2010 relatif au statut du réfugié et la procédure unique applicable aux étrangers et apatrides prévoient :

Article 5 § 1

« Les demandeurs [d’asile] sont autorisés à rester sur le territoire jusqu’à la fin de la procédure administrative d’examen de leur demande, et ne peuvent en aucun cas faire l’objet de mesures d’éloignement. »

Article 6

« 1. Les demandes ne peuvent être rejetées et leur examen exclu du seul fait qu’elles n’ont pas été déposées aussi tôt que possible.

2. Les décisions concernant les demandes sont prises au cas par cas, après un examen circonstancié, objectif et impartial (...) »

Article 13

« 1. Un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride qui demande la protection internationale ne peut être détenu au seul motif qu’il séjourne ou est entré sur le territoire de manière illégale. La personne qui, pendant sa détention, dépose une demande de protection internationale reste en détention si les conditions du paragraphe 2 sont réunies.

2. La détention des demandeurs [d’asile] dans un espace approprié est permise, exceptionnellement, lorsque l’une des raisons suivantes fait obstacle à l’application de mesures alternatives :

a) le demandeur ne dispose pas de documents de voyage ou les a détruits et il est nécessaire de vérifier son identité, les circonstances de son entrée sur le territoire et les données relatives à ses véritables origines (...) ;

b) il constitue une menace pour la sécurité nationale ou l’ordre public pour des motifs qui doivent être exposés en détail dans la décision de détention ;

c) la détention est jugée nécessaire pour un examen rapide et efficace de la demande.

(...)

4. La détention est imposée pour la durée strictement nécessaire et ne peut en aucun cas dépasser quatre-vingt-dix jours. Si le demandeur a été détenu auparavant en vue d’une expulsion administrative, la durée totale de sa détention ne pourra pas dépasser cent quatre-vingts jours.

5. Les demandeurs détenus en vertu des paragraphes précédents ont le droit d’exercer les recours et de formuler les objections prévus au paragraphe 3 de l’article 76 de la loi no 3386/2005 telle qu’en vigueur.

6. Si des demandeurs sont en détention, les autorités compétentes chargées de recevoir et d’examiner les demandes (...) s’engagent à :

(...)

d) fournir aux détenus les soins médicaux requis ;

e) garantir le droit des détenus à une représentation juridique ;

f) veiller à ce que les détenus soient informés des motifs et de la durée de leur détention. »

Article 26 – Commissions d’appel

« 1. Une ou plusieurs commissions d’appel fonctionnant au sein du ministère de la Protection du citoyen et ayant compétence décisionnelle sont créées par décision du ministre de la Protection du citoyen. (...) Les commissions se composent de :

a) un fonctionnaire du ministère de l’Intérieur, de la Décentralisation et de la Gouvernance électronique ou du ministère de la Justice, de la Transparence et des Droits de l’homme (...), comme président ;

b) un représentant du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et

c) un juriste spécialiste en droit des réfugiés ou des droits de l’homme, en tant que membres.

(...)

5. Chaque commission convoque le requérant, qui est informé, au plus tard cinq jours avant la date de la comparution et dans une langue qu’il comprend, du lieu et de la date de l’examen du recours, ainsi que de son droit de comparaître personnellement ou avec son avocat ou un autre conseil devant elle, afin d’exposer oralement, avec l’assistance d’un interprète approprié, ses arguments et de donner des éclaircissements ou de déposer d’éventuels éléments complémentaires.

6. La décision de la commission d’appel est signifiée au requérant, conformément à l’article 7, et notifiée au ministre de la Protection du citoyen. Toute décision qui rejette le recours accorde au demandeur un délai pour quitter le territoire, qui ne peut dépasser quatre-vingt-dix jours. »

Article 32 § 2 – Dispositions transitoires

« Les demandeurs dont les demandes ont été rejetées en vertu des dispositions du décret no 81/2009 peuvent, s’ils n’ont pas exercé de recours en annulation devant le Conseil d’Etat, et dans un délai de trois mois à compter de l’entrée en vigueur du présent décret, déposer un recours devant les commissions d’appel mentionnées à l’article 26. »

III. LES RAPPORTS D’INSTITUTIONS NATIONALES ET INTERNATIONALES

A. Les constats du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT)

Au terme de plusieurs visites récentes en Grèce, le CPT dressait les constats suivants.

1. Dans le rapport du 17 novembre 2010, établi à la suite de la visite du 17 au 29 septembre 2009

41. Le centre de rétention de Venna avait une capacité officielle de 222 personnes et, au moment de la visite, accueillait 201 détenus de sexe masculin dans cinq grands dortoirs. Le centre était dans le même état que celui observé en 2007 : mal éclairé, sale et mal entretenu, avec des vitres cassées. Le 8 août 2009, le syndicat de la police locale a envoyé une lettre aux autorités régionales de Rodopi sollicitant des mesures urgentes afin d’améliorer les conditions matérielles et d’hygiène, y compris le nettoyage régulier des dortoirs et l’installation d’une aire pour personnes malades. Les autorités n’ont cependant procédé à aucune démarche en raison du manque de moyens financiers.

42. Malgré l’existence de deux grandes cours, les détenus n’étaient autorisés à sortir que tous les deux jours, pendant deux heures.

2. Dans le rapport du 10 janvier 2012, établi à la suite de la visite du 19 au 27 janvier 2011

43. Le commissariat de police et le poste-frontière de Soufli comprenaient un bâtiment d’un étage destiné à la détention. Le bâtiment incluait deux dortoirs étroits séparés par un paravent ; chacun d’eux avait une plateforme surélevée sur laquelle les détenus dormaient. Il y avait aussi un espace commun donnant accès à une salle de douche et une toilette. La superficie totale de l’espace de détention était 110 m². Le jour de la visite de la délégation du CPT, 146 hommes y étaient détenus. Pour accéder aux dortoirs, il fallait enjamber des corps, car chaque centimètre carré du sol était occupé. Certains détenus dormaient même dans l’espace entre le plafond de la douche et le toit. L’odeur des corps était accablante. Une seule toilette fonctionnait ainsi qu’une douche à l’eau froide. Plusieurs personnes ont rapporté à la délégation qu’elles urinaient le matin dans des bouteilles ou des sacs en plastique. L’éclairage et la ventilation étaient insuffisants. Il n’y avait pas de possibilité d’exercice physique à l’extérieur. La nourriture était aussi insuffisante et des plaintes émergeaient selon lesquelles les détenus les plus forts empêchaient d’autres détenus de manger leur ration. Environ 65 personnes avaient été détenues dans le centre pour plus de quatre semaines et 13 pour plus de trois mois et demi.

44. Le jour de la visite de la délégation au commissariat de police et au poste-frontière de Feres, plus de 70 hommes étaient entassés dans une cellule de 45 m² et 37 femmes dans une cellule de 30 m². 30 femmes supplémentaires et 2 hommes étaient accueillis dans une autre cellule de 40 m². La lumière naturelle était minime et la lumière artificielle insuffisante. Tous les détenus avaient un accès limité pendant la journée à l’une des deux petites cours extérieures. Les toilettes pour hommes étaient dégradées et crasseuses et avaient un besoin urgent de réparation. Seulement une des deux toilettes fonctionnait. La manière dont la nourriture était distribuée était totalement inappropriée. Par exemple, à 11 heures, une grande boîte en carton contenant le petit-déjeuner (du pain et quelques jus de fruit) était posée par terre dans les sanitaires des femmes afin qu’elles puissent se servir.

45. Plusieurs détenus se plaignaient du froid, de la quantité et de la qualité insuffisantes de la nourriture, du fait qu’ils portaient les mêmes vêtements pendant plus d’un mois (alors qu’ils avaient des vêtements de rechange dans leurs affaires personnelles, qui leur avaient été retirées au moment de leur arrivée), du manque de chauffage et d’eau chaude et du manque d’informations concernant la durée de leur détention.

B. Le représentant en Grèce du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés

46. Par une lettre adressée au Conseil grec pour les réfugiés, le représentant en Grèce du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés faisait état des constats d’une visite au poste-frontière de Soufli, effectuée du 29 septembre au 1er octobre 2010.

47. Le représentant constatait que l’espace de détention était composé de deux dortoirs, sans séparation, avec des lits en ciment et des matelas en série. A côté de ceux-ci, dans des couloirs étroits, il y avait des sommiers en bois, recouverts de cartons, et des couvertures, pour le couchage des détenus en surnombre. L’espace était bondé en raison du grand nombre de détenus et le passage d’un dortoir à l’autre était impossible. L’atmosphère du dortoir était étouffante, par manque de ventilation. Les fenêtres étaient en hauteur et n’assuraient pas une aération et un éclairage suffisants. Les matelas et les couvertures étaient sales. Les deux toilettes et les deux douches se trouvaient dans l’espace de détention et étaient sales et pleines de détritus. La plupart des détenus étaient couchés, car il n’y avait pas d’espace pour circuler. Aucune brochure d’information concernant le statut légal des détenus et leurs droits n’était disponible.

48. Les femmes détenues avaient exprimé leur désarroi et leur désespoir pour leurs conditions de détention, qui d’après leurs allégations étaient insupportables : matelas et couvertures sales, espace de détention partagé avec des hommes, toilettes communes sales, impossibilité d’être propre, manque de produits de toilette (savon, shampooing, papier toilette, serviettes hygiéniques, brosse à dents et dentifrice), impossibilité de laver les vêtements et les sous-vêtements et impossibilité de faire de l’exercice physique.

49. Plusieurs détenus se plaignaient de maladies dermatologiques et gastriques ainsi que du fait que le médecin ne faisait pas de visites dans le dortoir pour examiner les détenus, mais distribuait des analgésiques à travers les barreaux de la porte. Si des détenus avaient besoin d’un autre type de soins médicaux, ils devaient en assumer les frais. Les détenus devaient aussi payer pour les photos d’identité prises par les autorités pour les apposer sur les différents documents.

50. La lettre concluait que la situation qui régnait au poste-frontière portait atteinte à la dignité humaine et mettait en péril non seulement les droits fondamentaux de l’homme mais la vie même des personnes détenues.

C. Les constats de la Commission nationale pour les droits de l’homme et du Médiateur de la République

51. Du 18 au 20 mars 2011, la Commission nationale pour les droits de l’homme et le Médiateur de la République ont visité les centres de rétention des départements d’Evros et de Rodopi afin d’examiner les conditions de détention des étrangers et l’application de la législation relative à l’asile.

1. Le centre de rétention de Soufli

52. Selon le directeur du centre, la capacité maximale du centre est de 36 personnes, à la condition que la détention ne dure que quelques jours, le centre ne se prêtant pas à des détentions de longue durée. A la date de la visite de la Commission, le centre en accueillait 56, dont la plupart étaient détenues pendant trois ou quatre mois. Dans un passé récent, le nombre avoisinait les 150 personnes. Les conditions de détention étaient « inadmissibles ». La plupart des détenus dormaient par terre, dans les dortoirs mais aussi dans le hall qui servait pour la promenade des détenus.

53. L’une des deux toilettes-douches était en panne. Ainsi l’ensemble de détenus utilisait l’autre avec toutes les conséquences du point de vue de l’hygiène que cela pouvait entraîner.

54. La promenade dans la cour extérieure du centre dépendait du nombre des détenus, car celui des gardiens ne suffisait pas pour assurer la sécurité et empêcher les évasions.

55. La Commission et le Médiateur concluaient que la présence d’un médecin, d’un psychologue et d’une infirmière ne pouvait pas compenser les conditions de détentions inhumaines et dégradantes.

2. Le centre de rétention de Venna

56. Avant d’être transformé en centre de rétention, le bâtiment servait comme lieu de stockage de céréales. A la date de la visite de la Commission, le centre, d’une capacité de 214 personnes, en accueillait 202.

57. La Commission et le Médiateur constataient que les détenus étaient répartis dans six grands dortoirs, suffisamment éclairés et ventilés. Les détenus sortaient dans la cour extérieure du centre de 10 h à 12 h, puis de 15 h à 17 h.

58. Les détenus se voyaient distribuer des produits d’hygiène corporelle. Toutefois, les dortoirs n’étaient pas nettoyés et les matelas devaient être remplacés en raison de l’usure et du manque de nettoyage.

59. Il y avait deux interprètes dans le centre et un accès libre aux avocats et représentants des organisations non gouvernementales.

3. Le centre de rétention de Feres

60. A la date de la visite de la Commission et du Médiateur, le centre, d’une capacité de 40 personnes, en accueillait 126. Le problème de la surpopulation était particulièrement intense et les détenus étaient obligés de dormir dans la cour.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 PRIS ISOLÉMENT ET EN COMBINAISON AVEC L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION EN CE QUI CONCERNE LES CONDITIONS DE DÉTENTION

61. Le requérant se plaint de ses conditions de détention dans les différents lieux dans lesquels il a été détenu ainsi que de l’absence d’un recours effectif pour contester ces conditions. Il allègue une violation de l’article 3, pris isolément et combiné avec l’article 13, aux termes desquels :

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A. Sur la recevabilité

62. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Sur l’article 3 pris isolément

63. Le Gouvernement soutient que le requérant présente des arguments formulés de manière générale et qu’il ne décrit pas des faits précis qui permettraient d’en déduire une violation de l’article 3. Plus précisément, aussi bien dans ses objections du 6 décembre 2010 devant le président du tribunal administratif que devant la Cour, le requérant n’a présenté aucun élément concret de nature à prouver son allégation vague selon laquelle il avait des problèmes de santé physiques et psychiques. Le Gouvernement fournit une série de décisions rendues par le président du tribunal administratif d’Alexandroúpoli de décembre 2010 à août 2011 (période coïncidant avec celle de la détention du requérant), qui ordonnent la levée pour raisons de santé de la détention d’étrangers en voie d’expulsion.

64. Le requérant maintient qu’il a été détenu pendant cinq mois dans des conditions de surpopulation et dans des conditions d’hygiène déplorables confiné dans une cellule, qu’il était privé d’accès au téléphone et au monde extérieur ainsi que d’accès à des traducteurs et à toute sorte d’information. Il n’a fait l’objet d’aucun traitement ni autre soin médical qui aurait pu apaiser sa souffrance physique et psychologique, résultat des tortures et mauvais traitements subis en Iran.

65. La Cour rappelle que pour tomber sous le coup de l’article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de l’espèce, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (voir, parmi d’autres, Van der Ven c. Pays-Bas, no 50901/99, § 47, CEDH 2003‑II). La Cour a ainsi jugé qu’un traitement était « dégradant » en ce qu’il était de nature à inspirer à ses victimes des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à les humilier et à les avilir (voir Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 92, CEDH 2000‑XI).

66. Les mesures privatives de liberté s’accompagnent inévitablement de souffrance et d’humiliation. S’il s’agit là d’un état de fait inéluctable qui, en tant que tel et à lui seul n’emporte pas violation de l’article 3, cette disposition impose néanmoins à l’Etat de s’assurer que toute personne est détenue dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités de sa détention ne la soumettent pas à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à une telle mesure et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, sa santé et son bien-être sont assurés de manière adéquate (Kudła, précité, §§ 92-94 ; Ramirez Sanchez c. France [GC], no 59450/00, § 119, CEDH 2006‑IX).

67. La Cour note qu’elle a déjà conclu à la violation de l’article 3, à plusieurs reprises, dans des affaires relatives aux conditions de détention dans des locaux de police de personnes mises en détention provisoire ou détenues en vue de leur expulsion (voir, Siasios et autres c. Grèce, no 30303/07, 4 juin 2009 ; Vafiadis c. Grèce, no 24981/07, 2 juillet 2009 ; Shuvaev c. Grèce, no 8249/07, 29 octobre 2009 ; Tabesh c. Grèce, no 8256/07, 26 novembre 2009 ; Efremidze c. Grèce, no 33225/08, 21 juin 2011). Elle a aussi conclu à la violation du même article dans des affaires relatives aux conditions de détention d’étrangers dans les centres de rétention de Feres, Venna et Soufli (S.D. c. Grèce précité, M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], no 30696/09, 21 janvier 2011, R.U. c. Grèce, no 2237/08, 7 juin 2011, A.F. c. Grèce, no 53709/11, 13 juin 2013).

68. La Cour relève que ni le requérant ni le Gouvernement ne précisent la durée pendant laquelle le requérant a été détenu dans le commissariat d’Alexandroúpoli puis dans les postes-frontière de Feres, Venna et Soufli. Il ressort du dossier que sur une période totale de cinq mois environ, le requérant a été détenu la plus grande partie du temps au poste de Soufli. La Cour a pris note des constats concernant ce poste effectués par le CPT, le représentant du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et la Commission nationale pour les droits de l’homme et le Médiateur de la République. Il en ressort que rien n’avait changé par rapport à la situation relevée dans les arrêts précités lors du séjour du requérant à Soufli. Même si une certaine évolution a été constatée par la Commission nationale pour les droits de l’homme et le Médiateur de la République, leur visite s’est déroulée après le séjour du requérant.

69. Dans ces circonstances, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant contredire ces constats et mener dans le cas présent à une conclusion différente de celle à laquelle elle est parvenue dans les affaires précitées.

70. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 3 de la Convention.

2. Sur l’article 3 combiné avec l’article 13

71. Le Gouvernement souligne que le législateur s’est empressé d’amender l’article 76 de la loi no 3386/2005 afin de se conformer à la jurisprudence de la Cour. Ainsi l’article 55 § 2 de la loi 3900/2010 a modifié en particulier le paragraphe 4 de l’article 76 afin de permettre au juge compétent d’examiner la légalité de la détention dans le cadre des objections d’un étranger contre sa détention. De plus, l’article 30 de la loi no 3907/2011 prévoit que pour ordonner ou prolonger une détention, les autorités tiennent compte de la disponibilité de lieux de détention appropriés et de la possibilité d’assurer des conditions de détention décentes. Le Gouvernement fournit à cet égard des décisions de différents tribunaux administratifs ayant accueilli des objections formulées sur le fondement de l’article 76.

72. Le requérant souligne que ni l’article 76 modifié de la loi no 3386/2005, ni la loi no 3900/2010, ne contiennent de dispositions qui incluraient les conditions de détention parmi les aspects du contrôle de la légalité de la privation de liberté. Le Gouvernement ne produit d’ailleurs aucune décision des tribunaux administratifs qui aurait examiné les conditions de détention dans le cadre de l’examen de la légalité de la privation de liberté, alors que la situation des centres de rétention de la région d’Evros a été publiquement abordée par plusieurs rapports d’organisations non gouvernementales européennes et internationales. Il invoque le rapport « Walls of Shame – The detention centres of Evros », et notamment le chapitre « Case-law of the Administrative Court of Alexandroupoli – ineffective judicial review », établi par l’organisation ProAsyl en avril 2012, où il est précisé que le tribunal administratif d’Alexandroúpoli déclare toujours irrecevables ou non fondés les griefs relatifs aux conditions de détention.

73. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle l’article 13 garantit l’existence de recours internes permettant l’examen de tout « grief défendable » fondé sur la Convention et l’octroi d’un redressement approprié. Les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation quant à la manière de se conformer aux obligations que leur fait cette disposition. La portée de l’obligation découlant de l’article 13 varie en fonction de la nature du grief que le requérant tire de la Convention. Toutefois, le recours exigé par l’article 13 doit être « effectif » en pratique comme en droit (McGlinchey et autres c. Royaume-Uni, no 50390/99, § 62, CEDH 2003‑V).

74. La Cour note que dans ses objections du 6 décembre 2010 devant le tribunal administratif d’Alexandroúpoli, le requérant invoquait l’article 3 de la Convention et décrivait en détail les conditions de détention régnant dans les postes-frontière de Feres et de Soufli, ainsi que les problèmes de santé physique et psychique dont il souffrait. Il y joignait des rapports établis par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés sur ces centres ainsi que des certificats de l’hôpital où il avait été transféré à la suite de sa tentative de suicide. Toutefois, dans sa décision, le tribunal a, sans aucune motivation, lapidairement énoncé, en réponse aux allégations du requérant concernant son état de santé fragile, que celles-ci n’étaient fondées sur aucun élément du dossier et, en réponse à celles relatives aux mauvaises conditions de détention, qu’elles étaient infondées.

75. A cet égard, la Cour relève que dans ses observations complémentaires le Gouvernement fournit une longue liste de jugements par lesquels le tribunal administratif d’Alexandroúpoli a ordonné la mise en liberté d’étrangers détenus qui présentaient de graves problèmes de santé. Toutefois, elle relève en même temps que le Gouvernement ne fournit pas d’exemple de jugement dans lequel un tribunal administratif – qu’il s’agisse de celui d’Alexandroúpoli ou d’un autre – aurait procédé à une analyse des conditions de détention de requérants étrangers et aurait accueilli ou rejeté le grief y relatif de façon circonstanciée.

76. Enfin et surtout, la Cour note qu’à la date à laquelle le tribunal administratif a rejeté les objections du requérant, à savoir le 6 décembre 2010, les lois mentionnées par le Gouvernement n’était pas encore en vigueur : la loi no 3900/2010 est entrée en vigueur le 1er janvier 2011 et la loi no 3907/2011 le 21 janvier 2011.

77. Dès lors, le recours que le requérant a exercé conformément à l’article 76 § 4 de la loi no 3386/2005 ne lui a pas assuré en l’espèce un redressement approprié.

78. Il y a donc eu violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION PRIS ISOLÉMENT ET EN COMBINAISON AVEC L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION EN CE QUI CONCERNE LE RISQUE DE RENVOI VERS LA TURQUIE RÉSULTANT DES DÉFAILLANCES DE LA PROCÉDURE D’ASILE

79. Invoquant les articles 3 et 13 de la Convention, le requérant se plaint des défaillances du système d’examen de sa demande d’asile et du risque qu’il encourt d’être expulsé vers la Turquie puis l’Iran.

80. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il soutient que c’est le requérant lui-même qui est entièrement responsable du fait que sa demande n’a pas été examinée puisqu’il n’a pas respecté la procédure prévue par la loi et ne s’est pas présenté devant la commission d’appel pour la suite de l’examen de sa demande d’asile. Le requérant n’a fait l’objet d’aucune expulsion postérieurement au dépôt de cette demande, aucune expulsion ne pouvant avoir lieu tant que la procédure était en cours. Les allégations du requérant selon lesquelles celui-ci risquait d’être expulsé sont infondées. Son intention n’était pas de trouver asile en Grèce mais de profiter du système existant pour se rendre au Royaume-Uni, comme il l’a fait.

81. Le requérant rétorque que toute tentative de sa part d’empêcher son expulsion vers l’Iran était vaine, en raison du système défectueux d’examen des demandes d’asile, du manque d’aide judiciaire, et des conditions de détention dans les postes-frontière. Les défauts structurels du système d’asile en Grèce, tels que pointés par l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce précité, existent toujours. Le décret no 114/2010 est de nature transitoire et les commissions d’appel qu’il a instituées sont confrontées à un arriéré de 47 000 recours. La loi no 3907/2011, adoptée le 18 janvier 2011, et qui améliore le système d’asile, n’est pas encore applicable faute de moyens suffisants.

82. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après épuisement des voies de recours internes et dans un délai de six mois à compter de la décision interne définitive. Elle rappelle aussi que les voies de recours internes ne sont pas valablement épuisées lorsque le recours a été rejeté par suite du non-respect d’une formalité commis par son auteur (Dessalles c. France (déc.), no 50764/99, 10 janvier 2002).

83. La Cour note qu’en l’espèce, le requérant a été transféré le 31 août 2010 au centre de rétention de Venna afin d’être renvoyé en Turquie. Le 3 novembre 2010, le chef de la police a rejeté la demande d’asile que le requérant avait entretemps déposée et a ordonné son expulsion vers la Turquie. Le requérant a alors saisi la commission d’appel en vertu des articles 26 et 32 § 2 du décret no 114/2010, qui venait d’entrer en vigueur. Ces procédures avaient un effet suspensif vis-à-vis de l’exécution de la décision d’expulsion (article 5 § 1 du décret). Dans sa décision du 3 janvier 2011 levant la détention du requérant, le tribunal administratif ne lui a fixé aucune date pour quitter le territoire. Le 3 janvier 2011, le requérant s’est vu aussi attribuer une carte de demandeur d’asile et une date – le 10 octobre 2011 – a été fixée pour l’examen de son recours devant la commission d’appel. Toutefois, le requérant ne s’est présenté ni devant les autorités le 2 juillet 2011, date à laquelle il devait renouveler cette carte, ni devant cette commission le 10 octobre 2011, pour l’examen de son recours.

84. Il s’ensuit que le requérant n’a pas respecté les prescriptions légales en la matière et n’a donc pas épuisé les voies de recours internes en ce qui concerne l’article 3. Cette partie de la requête doit à cet égard être alors rejetée, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention. Dans ces conditions, le grief tiré de l’article 13 doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

85. Le requérant se plaint également que sa détention à partir de son arrestation était arbitraire, et ce à plusieurs titres : elle était le résultat du refus initial des autorités d’enregistrer sa demande d’asile ; elle s’est poursuivie après cet enregistrement alors que l’expulsion n’était plus possible ; elle n’était pas nécessaire pour contrôler son identité et elle ne contribuait en rien au bon déroulement de la procédure d’asile. Il invoque l’article 5 § 1 de la Convention qui se lit ainsi :

« Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : (...)

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. »

86. Le Gouvernement souligne que le requérant a été arrêté et placé en détention en application de l’article 76 § 1 b) de la loi no 3386/2005. Tout étranger qui est arrêté pour séjour irrégulier dans le pays peut, avant même l’adoption d’une décision d’expulsion, être placé en détention par décision du chef de la police lorsqu’il est dangereux pour l’ordre public ou risque de fuir. La détention se poursuit de manière automatique lorsqu’une décision d’expulsion est rendue dans un délai de trois jours à compter de la décision initiale de mise en détention. En l’espèce, à la date d’introduction de sa demande d’asile, le requérant était déjà détenu en vertu de la décision du 17 août 2010 du chef de la police d’Alexandroúpoli, dont la légalité a été examinée par le tribunal administratif d’Alexandroúpoli le 6 décembre 2010.

87. Le requérant rétorque que les autorités l’ont placé et maintenu en détention de manière automatique sans examiner s’il était demandeur d’asile, faisant valoir que cette qualité faisait obstacle à son expulsion comme à sa détention. Il souligne en effet que l’article 13 du décret no 114/2010 n’autorise la détention des demandeurs d’asile que pour une période de trois mois à compter de l’enregistrement de la demande d’asile. En dépit de ces règles, les autorités ont continué à le détenir sans prendre une nouvelle décision à cet effet et sans avoir égard à sa demande d’asile et au fait qu’il avait été victime de tortures. La détention des demandeurs d’asile doit être une mesure exceptionnelle à utiliser seulement de manière subsidiaire. En outre, sa détention n’était pas nécessaire à un déroulement rapide et efficace de la procédure d’asile, car il était évident que celle-ci allait durer longtemps : les commissions d’appel ont commencé à fonctionner en février 2011, soit après sa mise en liberté, et il n’a été cité à comparaître qu’en octobre 2011. Enfin, pour que la détention ne fût pas arbitraire, il aurait fallu qu’elle eût lieu dans des conditions appropriées, alors qu’elle s’est faite dans des conditions dégradantes et pour une durée non raisonnable.

88. La Cour rappelle qu’en matière de « régularité » d’une détention, y compris d’observation des « voies légales », la Convention renvoie pour l’essentiel à l’obligation d’observer les normes de fond comme de procédure de la législation nationale, mais qu’elle exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but de l’article 5 : protéger l’individu contre l’arbitraire (voir, parmi d’autres, Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 118, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V, et Čonka c. Belgique, no 51564/99, § 39, CEDH 2002-I).

89. La Cour rappelle ensuite que l’article 5 § 1 f) n’exige pas que la détention d’une personne contre laquelle une procédure d’expulsion est en cours soit considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir ; à cet égard, l’article 5 § 1 f) ne prévoit pas la même protection que l’article 5 § 1 c). De fait, il exige seulement qu’une procédure d’expulsion soit en cours. Que la décision d’expulsion initiale se justifie au regard de la législation interne ou de la Convention n’entre donc pas en ligne de compte aux fins de l’article 5 § 1 f). La Cour rappelle cependant que seul le déroulement de la procédure d’expulsion justifie la privation de liberté fondée sur cette disposition (Efremidze, précité, § 54 et Takush c. Grèce, no 2853/09, § 41, 17 janvier 2012).

90. En l’espèce, la Cour relève que le requérant a été arrêté le 10 août 2010 et mis en détention en vue de son expulsion. La décision d’expulsion du 17 août précisait que le requérant serait, dans la limite d’une durée de six mois, maintenu en détention jusqu’à l’exécution de la décision d’expulsion, au motif que dans les circonstances de l’espèce le chef de la police d’Alexandroúpoli considérait l’intéressé comme susceptible de chercher à se soustraire à son expulsion. La Cour constate aussi que pendant sa détention, le requérant a formulé devant le tribunal administratif d’Alexandroúpoli des objections contre cette décision que ledit tribunal a rejetées par des motifs qui répondaient aux moyens soulevés par le requérant.

91. Le 4 octobre 2010, le requérant a déposé une demande d’asile. Le 3 novembre 2010, le chef de la police a rejeté cette demande et ordonné l’expulsion du requérant dans un délai de soixante jours à compter de la notification de cette décision de rejet. Le 22 novembre 2010 a été publié le décret no 114/2010 relatif au statut du réfugié, qui remplaçait le décret no 81/2009 en vigueur jusqu’alors. Ce nouveau décret précisait, en son article 13, que la détention d’un demandeur d’asile ne pouvait pas dépasser quatre-vingt-dix jours, et que si le demandeur avait été détenu auparavant en vue d’une expulsion administrative, la durée totale de sa détention ne pouvait pas dépasser cent quatre-vingts jours. Il permettait aussi au requérant d’introduire un recours contre la décision de rejet du chef de la police devant la commission d’appel créée par le même décret, ce que le requérant a fait.

92. Enfin, la Cour relève que le requérant a été remis en liberté le 3 janvier 2011 par une décision du tribunal administratif d’Alexandroúpoli du même jour au vu de plusieurs faits nouveaux : le requérant avait exercé un recours contre la décision de rejet de la demande d’asile, il avait la volonté d’épuiser les voies de recours internes et une organisation non gouvernementale se proposait d’assurer son hébergement. Or, cette remise en liberté a eu lieu tant dans le délai de six mois fixé par l’article 76 § 3 de la loi no 3386/2005 que dans celui fixé par l’article 13 § 4 du décret no 114/2010.

93. En dernier lieu, ayant conclu à une violation de l’article 3 en raison des conditions de détention dans les centres de rétention dans lesquels le requérant a été détenu (paragraphe 67 ci-dessus), la Cour n’estime pas nécessaire de se placer une fois de plus sur ce terrain sous l’angle de l’article 5 § 1 f) (voir Horshill c. Grèce, no 70427/11, § 65, 1er août 2013).

94. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que la détention du requérant n’était pas arbitraire et que l’on ne saurait considérer qu’elle n’était pas « régulière » au sens de l’article 5 § 1 f) de la Convention.

95. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté comme irrecevable, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

IV. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

96. Invoquant l’article 5 § 2 de la Convention, le requérant se plaint qu’il n’a pas été informé dans une langue qu’il comprenait des motifs de sa détention et des recours existant contre la décision le plaçant en détention. Le requérant se plaint également, sous l’angle de l’article 5 § 4 de l’ineffectivité du contrôle juridictionnel de sa détention, en raison du fait que, pendant près des quatre premiers mois de sa détention, il lui a été impossible, faute d’information et d’assistance, de saisir une juridiction qui se serait prononcée sur la légalité de cette détention.

97. La Cour considère que le grief tiré de l’article 5 § 4 (ainsi que celui relatif à l’article 5 § 2, habituellement traité dans le cadre de l’examen de l’article 5 § 4) est irrecevable pour cause de non-respect du délai de six mois. En fait, sous l’angle de l’article 5 § 4, le requérant se plaint de l’ineffectivité du contrôle juridictionnel de la détention, en raison notamment du fait que pendant les quatre premiers mois il lui a été impossible de saisir une juridiction qui se serait prononcée sur la légalité de la détention. Or, ces quatre mois s’étalent du 10 août au 6 décembre 2010 (date à laquelle le requérant a saisi le tribunal administratif d’Alexandroúpoli d’objections contre sa détention), alors que le requérant n’a introduit sa requête devant la Cour que le 1er juillet 2011.

98. Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

99. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

100. Le requérant réclame 30 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

101. Le Gouvernement considère que la somme réclamée est excessive et qu’en cas de constat de violation, la somme éventuellement octroyée pour dommage moral ne devrait pas dépasser 1 000 EUR.

102. La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 8 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

103. Le requérant demande également que lui soient remboursés les frais et dépens engagés devant les juridictions internes.

104. Le Gouvernement considère que cette demande est abusive et n’est accompagnée d’aucun justificatif.

105. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. La Cour observe que les prétentions du requérant au titre des frais et dépens devant les juridictions internes ne sont ni chiffrées ni accompagnées des justificatifs nécessaires. Il convient donc d’écarter sa demande. Quant à la procédure devant la Cour, le requérant a bénéficié pour celle-ci de l’aide judiciaire.

C. Intérêts moratoires

106. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 3 de la Convention, pris isolément et combiné avec l’article 13, en ce qui concerne les conditions de détention, et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention, pris isolément et combiné avec l’article 13 ;

3. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 8 000 EUR (huit mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 décembre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

André WampachIsabelle Berro-Lefèvre
Greffier adjointPrésidente


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