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31/07/2014 | CEDH | N°001-145786

CEDH | CEDH, AFFAIRE F.H. c. GRÈCE, 2014, 001-145786


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE F.H. c. GRÈCE

(Requête no 78456/11)

ARRÊT

STRASBOURG

31 juillet 2014

DÉFINITIF

31/10/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire F.H. c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Paulo Pinto de Albuquerque, >Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse,
Ksenija Turković, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du con...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE F.H. c. GRÈCE

(Requête no 78456/11)

ARRÊT

STRASBOURG

31 juillet 2014

DÉFINITIF

31/10/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire F.H. c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse,
Ksenija Turković, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 juillet 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 78456/11) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant iranien, M. F.H. (« le requérant »), a saisi la Cour le 16 décembre 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). La présidente de la section a accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 3 du règlement de la Cour – « le règlement »).

2. Le requérant a été représenté par Mes I.-M. Tzeferakou et E. Velivasaki, avocates respectivement à Athènes et en Crète. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par le délégué de son agent, M. D. Kalogiros, assesseur auprès du Conseil juridique de l’État.

3. Le requérant allègue en particulier une violation de l’article 3 de la Convention, pris isolément et combiné avec l’article 13 de la Convention, et de l’article 5 §§ 1 et 4 de la Convention.

4. Le 21 mars 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1987.

A. La détention du requérant et le déroulement de la procédure relative à sa demande d’asile

6. Le requérant affirme qu’il a été obligé de quitter l’Iran par crainte pour sa vie, au motif qu’il s’était converti au christianisme. Il ajoute que, en raison de sa conversion, il avait été arrêté et emprisonné et avait subi des mauvais traitements. Il précise qu’il avait par la suite été libéré dans l’attente de son procès. Selon lui, le fait de changer de religion est puni de la peine de mort en Iran.

7. Le 16 décembre 2010, le requérant arriva en Grèce et fut arrêté par la police dans la région de Soufli, à Evros. Le 17 décembre 2010, il fut présenté devant le procureur d’Alexandroupoli.

Il soutient avoir déclaré souhaiter déposer une demande d’asile, mais aucune demande n’a été enregistrée par les autorités.

8. Le 20 décembre 2010, le requérant exprima le souhait de déposer une demande d’asile, mais il se désista ensuite par écrit le 8 janvier 2011. Le requérant soutient que les autorités l’ont induit en erreur en lui faisant signer un acte de désistement dont il n’aurait pas compris le contenu et dont il n’aurait jamais reçu de copie.

L’acte de désistement en question, pré-imprimé, précisait que le requérant se désistait « pour des motifs personnels et parce que la notion d’asile ne lui avait pas été adéquatement expliquée ». Cet acte mentionnait que le contenu en avait été traduit au requérant par un interprète parlant le farsi et comportait la signature de ce dernier.

9. Le même jour, le procureur d’Alexandroupoli décida de ne pas engager des poursuites contre le requérant pour entrée illégale sur le territoire, afin que celui-ci puisse faire l’objet d’un renvoi dans son pays d’origine via la Turquie.

10. Le 21 décembre 2010, le directeur de la direction de la police d’Alexandroupoli, estimant que le requérant risquait de fuir, ordonna sa détention au centre de rétention de Feres jusqu’à l’adoption, dans un délai de trois jours, d’une décision d’expulsion, sur le fondement de l’article 76 de la loi no 3386/2005. Selon le Gouvernement, le requérant a reçu le même jour une brochure d’information sur ses droits rédigée en langue anglaise, langue que le requérant aurait déclaré comprendre.

11. Le 24 décembre 2010, ledit directeur ordonna l’expulsion du requérant, ainsi que son maintien en détention sur le fondement de l’article 76 précité jusqu’à l’exécution de la mesure d’expulsion et pour une période ne pouvant pas dépasser six mois. La décision mentionnait que le requérant avait été informé en anglais de ses droits et des motifs de sa détention.

12. Le requérant affirme qu’il ne parle presque pas anglais. Il soutient que, pendant sa détention, il n’a reçu aucune information sur son statut, sur le motif de sa détention, sur les recours qui lui étaient offerts et qu’il ne savait pas si sa demande d’asile avait été enregistrée ou non. Il indique qu’il s’est vu notifier la décision de détention sans aucune explication sur son contenu et que la décision d’expulsion ne lui a jamais été notifiée. Il ajoute qu’il a été obligé de signer des documents rédigés en grec, dont il n’aurait pas compris le contenu, et que le centre de rétention ne disposait d’aucun interprète.

13. Le 27 décembre 2010, la direction de la police d’Alexandroupoli invita le quartier général de la police grecque à approuver la remise du requérant et de vingt-six autres clandestins aux autorités turques dans le cadre de l’application d’un protocole de réadmission. Le même jour, deux conseillères juridiques du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés déposèrent auprès du commandant du centre de rétention de Feres un document dans lequel elles indiquaient que, lors d’une visite qu’elles avaient effectuée à ce centre le 20 décembre 2010, le requérant leur avait exprimé son souhait de déposer une demande d’asile. Le Gouvernement indique, preuves à l’appui, que ce document a été transmis, le jour même, soit le 27 décembre 2010, à la sous-direction de la sécurité d’Alexandroupoli.

14. Le 28 décembre 2010, la direction de la police d’Alexandroupoli ordonna aux autorités du centre de rétention de demander au requérant s’il souhaitait déposer une demande d’asile, précisant qu’une telle demande devait, selon la loi, être déposée personnellement par l’intéressé.

15. Le 3 janvier 2011, le requérant fut transféré au centre de rétention de Venna afin d’être renvoyé en Turquie.

16. Le 5 janvier 2011, un avocat représentant le Conseil hellénique pour les réfugiés se rendit au centre de rétention de Venna. Le requérant exprima à cet avocat ses craintes en cas d’expulsion et il l’invita à intervenir afin que sa demande d’asile soit enregistrée, ce que l’avocat fit. Le 7 janvier 2011, le Conseil hellénique pour les réfugiés informa les autorités de police du souhait du requérant de déposer une demande d’asile.

17. Le 30 janvier 2011, le Conseil hellénique pour les réfugiés informa à nouveau les autorités de police du souhait du requérant, exprimé une nouvelle fois lors d’une visite de ses membres faite le 28 janvier 2011.

18. Le 2 février 2011, des policiers du commissariat de police de Komotini se rendirent au centre de rétention de Venna où le requérant exprima le souhait, en présence d’un interprète, de déposer une demande d’asile.

19. Le 8 février 2011, alors que le requérant avait été transféré au centre de rétention de Soufli, les autorités enregistrèrent sa demande d’asile. Le récépissé remis à l’intéressé mentionnait que celui-ci avait reçu une brochure explicative, rédigée en anglais, sur ses droits et obligations en tant que demandeur d’asile ; le requérant soutient en revanche qu’il n’a reçu aucune brochure jusqu’au jour de sa mise en liberté. La procédure d’expulsion fut suspendue dès l’enregistrement de la demande d’asile.

20. Le 14 février 2011, le requérant demanda à bénéficier d’un hébergement, en sa qualité de demandeur d’asile. Cette demande fut transmise à la direction des étrangers de l’Attique le 16 février 2011.

21. Le 30 mars 2011, la direction des étrangers de l’Attique demanda à la direction de l’assistance sociale et de la solidarité du ministère de la Santé d’indiquer à la direction de la police d’Alexandroupoli quel centre d’hébergement pouvait accueillir le requérant.

22. Le 11 avril 2011, le requérant se présenta devant un officier de police du commissariat d’Orestiada pour un entretien relatif à sa demande d’asile. Il soutient que cet entretien a eu lieu dans des conditions qui ne lui ont pas permis d’exposer correctement ses arguments. Il allègue notamment que l’entretien a commencé sans interprète et en anglais, langue qu’il affirme très mal comprendre, et qu’il s’est poursuivi en présence d’un codétenu irakien traduisant du farsi vers l’anglais et d’un autre policier traduisant de l’anglais vers le grec pour l’officier qui menait l’entretien. De son côté, le Gouvernement fournit le procès-verbal de l’entretien dont il ressort que, lors de l’entretien, l’avocate du requérant, Me Velivasaki – qui le représente aussi devant la Cour –, ainsi qu’une représentante du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés étaient présentes.

23. Le 12 avril 2011, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés déposa auprès du directeur de la direction de la police d’Orestiada son avis au sujet de la demande d’asile du requérant. Il ressort de cet avis que ce dernier connaissait la langue anglaise et qu’il était particulièrement ouvert et loquace pendant l’entretien, que la plus grande partie de l’entretien avait eu lieu en farsi, que l’intéressé avait occulté le fait qu’il avait aussi déposé une demande d’asile auprès du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés en Turquie, et que ses allégations quant aux risques qu’il encourrait n’étaient pas crédibles.

24. Le 20 avril 2011, l’officier de police qui avait mené l’entretien proposa le rejet de la demande d’asile du requérant. Le 26 avril 2011, le directeur de la direction de la police d’Orestiada rejeta ladite demande. Cette décision fut notifiée au requérant le 29 mai 2011.

25. Dans l’intervalle, le 2 mai 2011, le requérant avait formulé des objections contre la décision relative à sa détention devant le tribunal administratif d’Alexandroupoli (ci-après « le tribunal administratif »). Il se plaignait, entre autres, de ses conditions de détention.

26. Dans sa décision rendue le 6 mai 2011, le tribunal administratif avait rejeté lesdites objections. Il relevait que, le 20 décembre 2010, le requérant avait déposé une demande d’asile dont il s’était désisté le 8 janvier 2011, que, par la suite, il avait déposé le 14 février 2011 (sic) une nouvelle demande qui avait été examinée le 11 avril 2011 et que la décision y afférente n’avait pas encore été prise (sic). Le tribunal relevait également que le requérant n’avait pas de documents de voyage, qu’il ne pouvait pas prouver son identité et qu’il n’avait pas de relations sociales stables en Grèce, précisant que cela aurait pu faciliter sa recherche par les autorités en cas de mise en liberté. Le tribunal considérait aussi que l’intéressé n’avait pas établi qu’il pouvait résider en Grèce et gagner sa vie par des moyens légaux et qu’il risquait donc de fuir. Enfin, il soulignait que le requérant n’avait pas déposé de demande de transfert au centre de rétention de Fylakio où les conditions de détention étaient meilleures.

27. Le 10 mai 2011, la direction de l’assistance sociale et de la solidarité du ministère de la Santé, qui avait été sollicitée par la direction des étrangers de l’Attique, répondit qu’en raison du grand nombre d’étrangers il était impossible d’accueillir à ce moment-là le requérant.

28. Par ailleurs, le 6 juin 2011, le requérant, qui avait entretemps été transféré au centre de rétention de Fylakio, déposa devant la commission d’appel, par l’intermédiaire du Conseil hellénique pour les réfugiés, un recours contre la décision de rejet de sa demande d’asile.

29. Par une décision du 17 juin 2011 prise par le directeur de la direction de la police d’Orestiada, le requérant fut mis en liberté et reçut la carte habituellement délivrée aux demandeurs d’asile – dite aussi « carte rose ». La décision précisait que la détention était levée en raison du rejet de la demande d’asile et qu’un recours était pendant contre la décision de rejet susmentionné. Elle indiquait aussi que la décision d’expulsion était encore valide et qu’elle serait exécutée en cas de rejet dudit recours.

30. Le requérant se rendit à Athènes où il vécut comme un sans-abri, faute de pouvoir bénéficier d’un hébergement en structure d’accueil.

31. Le 9 septembre 2011, le requérant, à ses dires désespéré par sa situation, se présenta à la sous-direction de la sécurité de l’île de Chios et déclara qu’il souhaitait retirer sa demande d’asile et rendre sa carte rose afin de pouvoir passer en Turquie et poursuivre sa démarche de demande d’asile dans ce pays. Toutefois, les autorités n’accueillirent pas cette demande car le requérant aurait alors été dans l’impossibilité de quitter la Grèce sans ce document.

32. Le 22 novembre 2011, le requérant se présenta à la direction des étrangers de l’Attique et obtint une promesse de renouvellement de sa carte de demandeur d’asile, dont la validité avait entretemps expiré, pour une période supplémentaire de trois mois à la condition de faire savoir aux autorités qu’il disposait d’un domicile. Le requérant essaya d’expliquer aux autorités qu’il avait demandé à bénéficier d’un hébergement en structure d’accueil et qu’il lui était impossible de trouver un logement étant donné qu’il n’avait ni ressources ni numéro d’identification fiscale.

33. À l’appui de ses dires, le requérant produit un document établi par le médiateur de la République au sujet des problèmes afférents au renouvellement des cartes roses des demandeurs d’asile par la direction des étrangers de l’Attique. Ce document précisait qu’il semblait y avoir un problème systémique dans le fonctionnement de cette direction, tant en ce qui concernait l’accès des étrangers au bâtiment même de la direction qu’en ce qui concernait la procédure de dépôt et de renouvellement des cartes roses (étaient signalés entre autres des difficultés à trouver des dossiers et des retards).

34. Le 25 janvier 2012, la direction des étrangers de l’Attique invita la direction de la police d’Alexandroupoli à l’informer sur l’état de la procédure concernant le requérant. Le 26 janvier 2012, la direction de la police répondit que le recours du requérant contre la décision de rejet de sa demande d’asile n’avait pas encore été examiné.

35. Le requérant allègue que, à partir du 15 mars 2012, il a tenté plusieurs fois de faire prolonger la validité de sa carte rose mais que cela n’a pas été possible compte tenu, selon lui, des carences structurelles des services d’asile à Athènes.

36. Le requérant sollicita l’assistance du Conseil hellénique pour les réfugiés. Le 1er août 2012, ce dernier envoya un fax à la direction des étrangers de l’Attique, l’informant que l’intéressé se rendrait le lendemain sur place pour faire renouveler sa carte rose. Le requérant n’obtint toutefois pas le renouvellement de sa carte rose ce jour-là. Le 11 septembre 2012, le Conseil hellénique pour les réfugiés envoya un nouveau fax dans le même sens que le précédent. Le 18 septembre 2012, la direction des étrangers de l’Attique décida d’interrompre la procédure d’asile au motif que le requérant ne s’était pas présenté en personne depuis le dernier renouvellement de sa carte rose le 15 mars 2012.

37. Le 12 octobre 2012, le requérant, assisté d’une avocate du Conseil hellénique pour les réfugiés qui intervint verbalement et par écrit, demanda à la direction des étrangers de l’Attique de revenir sur sa décision portant interruption de la procédure d’asile. L’accès même du requérant au bâtiment de ladite direction n’étant pas certain, l’avocate envoya préalablement un fax invitant les autorités à lui faciliter cet accès.

38. Le 15 octobre 2012, la décision portant interruption de la procédure d’asile fut annulée et le requérant se vit renouveler sa carte rose. Faute d’avoir disposé pendant un an d’un tel document valide, le requérant était dans l’impossibilité d’obtenir un permis de travail, de bénéficier de soins dans un hôpital public, d’avoir un numéro de matricule fiscal et de louer un appartement. Il était obligé de squatter des bâtiments abandonnés ou de séjourner dans des hôtels, encourant aussi le risque, en application de la législation en vigueur (circulaire sanitaire ΓΥ/39A du ministère de la Santé et loi no 4025/2011), d’être évincé par la force de ces locaux et de faire l’objet de poursuites pénales.

39. À la date du 3 septembre 2013 – à savoir la date du dépôt des observations du requérant en réponse à celles du Gouvernement – l’examen de la demande d’asile de l’intéressé était encore pendant devant la commission d’appel, avec plus de trente mille autres affaires.

B. Les conditions de détention du requérant

40. Le requérant a été détenu dans quatre centres de rétention différents : du 16 décembre 2010 au 3 janvier 2011 à Feres ; du 3 janvier au 6 février 2011 à Venna ; du 6 février au 5 mai 2011 à Soufli ; du 5 mai au 13 mai 2011 à Feres ; du 13 mai au 17 juin 2011 à Fylakio.

1. La version du requérant

41. Le requérant soutient que, pendant toute la durée de sa détention au centre de rétention de Soufli, il n’a jamais pu sortir à l’extérieur du bâtiment, n’a fait aucun exercice physique et n’a jamais vu ni le soleil ni le ciel. Il indique que la surpopulation était telle qu’il dormait assis à même le sol sur des cartons et à côté des détritus ou des eaux usées, qu’il devait parfois payer 15 dollars à des codétenus pour avoir suffisamment d’espace pour pouvoir s’allonger et que, au mois de mars 2011, il dormait près de l’entrée du dortoir qui était selon lui exposée aux conditions climatiques car elle n’aurait pas disposé d’une porte mais de barreaux.

42. Le requérant précise que l’espace de détention était prévu pour 38 personnes et en accueillait plus de 140, qu’il n’y avait ni table, ni chaises, ni armoires, qu’il n’y avait pas d’aération suffisante et que les fenêtres étaient obstruées par des cartons et des détritus. Il ajoute que les toilettes étaient insuffisantes par rapport au nombre de détenus, qu’elles étaient bouchées la plupart du temps – ce qui aurait engendré un débordement des eaux usées dans le dortoir – et que l’une d’elles ne fonctionnait plus et avait été transformée de manière à y laisser dormir quelques détenus.

43. Le requérant indique également que les matelas et les couvertures étaient crasseux, que le dortoir n’était pas chauffé et qu’il n’a jamais été nettoyé pendant les quatre mois de son séjour. Il n’avait ni brosse à dents, ni dentifrice, ni savon, ni shampoing, ni papier hygiénique.

44. Il ajoute que les détenus recevaient un repas par jour d’une valeur nutritionnelle très basse et qu’il leur fallait soit acheter des bouteilles d’eau minérale soit boire l’eau du robinet qui, à ses dires, n’était pas potable.

45. Il indique aussi qu’il a entamé une grève de la faim le 28 avril 2011 avec d’autres détenus.

46. Il soutient par ailleurs que les mêmes conditions régnaient dans les centres de rétention de Feres et de Fylakio.

Il indique également que les bâtiments du centre de Venna étaient initialement destinés au stockage de céréales et produits agricoles et qu’ils n’étaient pas adaptés aux détentions.

2. La version du Gouvernement

47. Le Gouvernement décrit les centres de rétention dans lesquels le requérant a séjourné comme suit.

Le centre de rétention de Fylakio fonctionnait à l’époque des faits comme lieu de premier accueil et lieu de détention, et aussi comme centre d’accueil de mineurs non accompagnés.

Les détenus eux-mêmes, croyant qu’ils allaient obtenir leur mise en liberté, provoquaient fréquemment de grands dommages aux installations. Le centre avait déployé beaucoup de moyens pour maintenir la propreté et la fonctionnalité de ces installations.

À des intervalles réguliers, des désinfections étaient effectuées par une entreprise privée et les murs étaient repeints.

48. Les sanitaires étaient en nombre suffisant, ce nombre étant proportionnel à la capacité de chaque dortoir. Le chauffage était assuré par un système de chauffage central et une chaudière permettait l’approvisionnement en eau chaude 24 heures sur 24.

49. La sortie des détenus dans la cour était effectuée par dortoir et durait une heure chaque jour.

50. L’évacuation des eaux usées était assurée par les soins du département d’Evros.

51. La nourriture était fournie par une société privée trois fois par jour et cette société prenait soin d’éviter d’y intégrer des aliments dont la consommation était contraire aux convictions religieuses de certains détenus.

52. Le fonctionnement du centre a été suspendu du 8 mars au 25 mai 2012 pour des travaux de rénovation, afin d’améliorer les conditions de détention. Les travaux concernaient le système d’évacuation des eaux usées, la reconstruction de toutes les installations sanitaires, la réfection du système d’aération et le rehaussement de la clôture de la cour afin de permettre l’allongement de la durée de la promenade des détenus. Du 1er au 10 avril 2013, les autorités ont dépensé la somme de 24 000 euros (EUR) pour des travaux de restauration à la suite de dégradations que les détenus avaient causées.

53. En raison de flux accrus de réfugiés à l’époque des faits, les centres de Soufli et de Feres accueillaient un grand nombre de personnes. Toutefois, des mesures étaient prises pour que les détenus puissent être à l’extérieur toutes les heures de la journée. Le nettoyage des cellules et l’alimentation des détenus étaient assurés par des sociétés privées. Chaque cellule disposait d’un radiateur qui fonctionnait en continu en hiver. Des mesures étaient prises pour faire face à des urgences médicales. À des intervalles réguliers, tant les autorités que l’organisation « Médecins sans frontières » fournissaient aux détenus des articles de toilette et d’hygiène personnelle. Enfin, la communication des détenus avec leurs proches ou leurs avocats était possible grâce à l’existence de téléphones à carte.

54. Le centre de rétention de Venna, d’une capacité de 220 personnes environ, en accueillait 150 à l’époque du séjour du requérant dans ce centre (du 3 janvier au 6 février 2011). Dans chaque dortoir, il y avait une toilette séparée et une douche avec de l’eau chaude. Le nettoyage des lieux était assuré par les détenus eux-mêmes avec des produits fournis quotidiennement par les autorités. À son entrée dans le centre, chaque détenu se voyait attribuer un lit, un matelas, un oreiller, deux draps et deux ou trois couvertures. Des vêtements et des sous-vêtements étaient donnés aux détenus qui n’en avaient pas suffisamment.

55. Chaque détenu recevait quotidiennement la somme de 5,87 EUR pour son alimentation qui comprenait un croissant et un jus de fruits ou du lait le matin, un plat, une salade, du pain et deux fruits à midi et un sandwich tard dans l’après-midi.

56. Les dortoirs étaient chauffés pendant l’hiver et suffisamment aérés et éclairés. Les détenus sortaient tous les jours dans la cour par deux ou trois dortoirs à la fois, en fonction de leur nombre et de la saison, et ils avaient la possibilité de faire de l’exercice physique.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

57. Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont décrits dans les arrêts Bygylashvili c. Grèce (no 58164/10, 25 septembre 2012), Barjamaj c. Grèce (no 36657/11, 2 mai 2013), Horshill c. Grèce (no 70427/11, 1er août 2013), Khuroshvili c. Grèce (no 58165/10, 12 décembre 2013) et B.M. c. Grèce (no 53608/11, 19 décembre 2013).

58. Dans la présente espèce, le Gouvernement fournit une liste de décisions de présidents des tribunaux administratifs qui ordonnent, à la suite de l’examen d’objections formulées en application de l’article 76 de la loi no 3386/2005, la mise en liberté de détenus étrangers en voie d’expulsion.

59. Dans sept décisions, le tribunal administratif d’Alexandroupoli a accueilli des objections tirées de mauvaises conditions de détention et a ordonné la levée de la détention ou le transfert de l’intéressé dans un autre centre de rétention (décisions nos P 105/2009, P 107/2009, P 108/2009, P 110/2009, P 112/2009, P 121/2009 et P 106/2010).

60. Dans ces affaires, les intéressés produisaient des documents émanant de leurs proches qui séjournaient légalement en Grèce et établissant l’intention de ces derniers et la possibilité pour eux de les héberger et de couvrir les frais de leur séjour. Ils produisaient également des décisions du directeur général de la police de la Macédoine de l’Est et de Thrace levant la détention d’autres étrangers au motif que les lieux de détention d’Orestiada et d’Alexandroupoli étaient surpeuplés, ce qui engendrait un risque de manifestation et de propagation de maladies infectieuses.

61. Dans dix-huit autres décisions, les tribunaux administratifs d’Alexandroupoli et de Komotini ont levé la détention pour des motifs liés à la santé des détenus (décisions nos P 8/2011, P 19/2011, P 46/2011, P 57/2011, P 92/2011, P 93/2011, P 94/2011, P 126/2011, P 128/2011, P 156/2011, P 157/2011, P 174/2011, P 177/2011, P 180/2011, P 249/2011, P 257/2011, P 264/2011 et P 32/2012).

62. Dans d’autres décisions, les tribunaux administratifs de Pyrgos, de Tripoli, d’Héraklion et d’Alexandroupoli ont ordonné la levée de la détention des intéressés car ils étaient mineurs (décisions nos P 11/2011, P 33/2011, P 71/2011 et P 4/2012) ou bien celle de mineurs qui accompagnaient leurs parents (décisions nos P 42/2011 et P 81/2011) ou dont la garde avait été confiée par décision de justice à des personnes résidant en Grèce (décision no P 89/2011).

63. Dans d’autres décisions, le tribunal administratif d’Alexandroupoli a ordonné la levée de la détention car les conditions justifiant le placement en détention n’étaient pas réunies (décisions nos P 16/2011, P 121/2011 et P 229/2011).

64. Enfin, dans d’autres décisions, le tribunal administratif d’Alexandroupoli a ordonné la levée de la détention car l’expulsion n’avait pas été effectuée dans le délai requis (décisions nos P 4/2011 et P 127/2011).

III. LES RAPPORTS DES INSTANCES INTERNATIONALES ET NATIONALES

A. Les constats du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) dans son rapport du 10 janvier 2012, établi à la suite de sa visite du 19 au 27 janvier 2011

1. Le centre de rétention de Soufli

65. Le centre de rétention de Soufli consiste en un bâtiment d’un étage destiné à la détention. Le bâtiment comporte deux dortoirs étroits séparés par un paravent ; chacun d’eux dispose d’une plateforme surélevée sur laquelle les détenus dorment. Il y a aussi un espace commun donnant accès à une salle de douche et une toilette. La superficie totale de l’espace de détention est de 110 m². Le jour de la visite de la délégation du CPT, 146 hommes y étaient détenus. Pour accéder aux dortoirs, il fallait enjamber des corps car chaque centimètre carré du sol était occupé. Certains détenus dormaient même dans l’espace situé entre le plafond de la douche et le toit. L’odeur des corps était accablante. Une seule toilette fonctionnait, ainsi qu’une douche à l’eau froide. Plusieurs personnes ont rapporté à la délégation qu’elles urinaient le matin dans des bouteilles ou des sacs en plastique. L’éclairage et la ventilation étaient insuffisants. Il n’y avait pas de possibilité d’exercice physique à l’extérieur. La nourriture était aussi insuffisante et il y avait des plaintes selon lesquelles les plus forts des détenus empêchaient d’autres détenus de manger leur ration. Environ 65 personnes avaient été détenues dans le centre pendant plus de quatre semaines et 13 pendant plus de trois mois et demi.

2. Le centre de rétention de Feres

66. Le jour de la visite de la délégation au centre de rétention de Feres, plus de 70 hommes étaient entassés dans une cellule de 45 m², 37 femmes se trouvaient dans une cellule de 30 m², et 32 autres détenus – 30 femmes et 2 hommes – étaient accueillis dans une cellule de 40 m². La lumière naturelle était minime et la lumière artificielle insuffisante. Tous les détenus avaient un accès limité pendant la journée à l’une des deux petites cours extérieures. Les toilettes pour hommes étaient dégradées et crasseuses et nécessitaient des réparations urgentes. Seulement une des deux toilettes fonctionnait. La manière dont la nourriture était distribuée était totalement inappropriée : par exemple, à 11 heures, une grande boîte en carton contenant le petit-déjeuner (du pain et quelques jus de fruits) était posée par terre dans les sanitaires des femmes afin qu’elles puissent se servir.

67. Plusieurs détenus se plaignaient du froid, des quantité et qualité insuffisantes de la nourriture, du fait qu’ils portaient les mêmes vêtements depuis plus d’un mois – les vêtements de rechange qui se trouvaient dans leurs affaires leur ayant été retirés au moment de leur arrivée –, du manque de chauffage et d’eau chaude et du manque d’informations concernant la durée de leur détention.

3. Le centre de rétention de Fylakio

68. Le centre de rétention de Fylakio comporte six grandes cellules avec des barreaux, ainsi qu’une septième cellule située près du centre de contrôle et destinée aux femmes. À la date de la visite, le centre accueillait 488 personnes, nombre qui dépassait de loin la capacité d’accueil déclarée – et surestimée – de 374 personnes. Parmi les détenus, il y avait 110 adolescents (la majorité étant des mineurs non accompagnés) et 10 familles.

69. Les conditions de détention dans la cellule des adolescents étaient déplorables : 83 garçons étaient entassés dans une cellule d’une surface de 100 m² environ. Cinq garçons partageaient deux lits et de nombreux autres dormaient par terre. L’accès à la lumière naturelle était limité, l’éclairage et l’aération étaient insuffisants et l’arrière de la cellule était exposé aux basses températures régnant à l’extérieur. La cellule était sale et les adolescents ne disposaient pas des produits nécessaires pour la nettoyer. Les toilettes, au nombre de trois, étaient toutes bouchées et les douches inondées par des eaux usées qui se déversaient dans le dortoir. Aucun produit d’hygiène corporelle n’était fourni.

70. L’état des autres cellules était aussi déplorable. En particulier, les installations sanitaires de la cellule accueillant les familles avec les bébés étaient dans un état inadmissible : les toilettes étaient remplies d’excréments car les chasses d’eau étaient cassées, le sol était inondé par des eaux usées et la moitié de la porte de la douche était cassée, ce qui exposait les mères et leurs enfants qui se lavaient à la vue des autres. Les bébés et les jeunes enfants ne recevaient ni lit, ni aliments adaptés et ne se voyaient offrir aucune activité.

71. En raison de l’insuffisance des effectifs du personnel, les détenus ne pouvaient pas sortir à l’extérieur tous les jours, surtout lorsque le centre était plein. La restauration faisait l’objet d’un appel d’offres et le fournisseur de l’époque avait été averti qu’il devait strictement se conformer à ses obligations contractuelles.

B. La déclaration publique du CPT relative à la Grèce

72. Dans la déclaration publique relative à la Grèce, faite le 15 mars 2011, le CPT notait ce qui suit au sujet des centres de Soufli et de Fylakio :

« 7. Malheureusement, les constatations faites pendant la récente visite du CPT en Grèce, en janvier 2011, ont montré que les informations fournies par les autorités n’étaient pas fiables. Les établissements de police et des gardes-frontières abritaient un nombre sans cesse plus important d’étrangers en situation irrégulière dans des conditions bien pires encore. À titre d’exemple, au poste de police et de surveillance des gardes-frontières de Soufli, dans la région d’Evros, les membres de la délégation du CPT ont dû enjamber des personnes pour pouvoir accéder aux locaux de rétention. Il y avait 146 étrangers en situation irrégulière entassés dans une pièce de 110 m², sans aucune possibilité de pratiquer de l’exercice en plein air ni même de se déplacer dans les locaux, avec un seul WC et une seule douche en état de marche à leur disposition ; parmi eux, 65 étaient retenus dans ces conditions déplorables depuis plus de quatre semaines et certains d’entre eux depuis plus de quatre mois. Il ne leur a même pas été permis de changer de vêtements. Des femmes étaient parfois hébergées dans les mêmes locaux que les hommes. Des conditions similaires prévalaient dans presque tous les locaux de la police que la délégation a visités. Dans les locaux spécialement conçus pour la rétention des étrangers en situation irrégulière de Filakio [Fylakio], dans la région d’Evros, les occupants, dont des mineurs et des familles avec de jeunes enfants, étaient enfermés à clef pendant des semaines, voire des mois, dans des conditions manquant totalement d’hygiène, entassés dans des espaces s’apparentant à des cages, sans aucune possibilité de faire quotidiennement de l’exercice en plein air. »

C. Les constats de la Commission nationale pour les droits de l’homme et du médiateur de la République

73. Du 18 au 20 mars 2011, la Commission nationale pour les droits de l’homme et le médiateur de la République ont visité les centres de rétention des départements d’Evros et de Rodopi afin d’examiner les conditions de détention des étrangers et l’application de la législation relative à l’asile.

1. Le centre de rétention de Soufli

74. Selon le directeur du centre, la capacité maximale du centre est de 36 personnes, à condition que les détentions ne durent que quelques jours. En effet, le centre ne se prête pas à des détentions de longue durée. À la date de la visite de la Commission, le centre accueillait 56 personnes, dont la plupart étaient détenues depuis trois ou quatre mois. Peu avant la visite, le nombre de détenus avoisinait les 150 personnes. Les conditions de détention étaient « inadmissibles ». La plupart des détenus dormaient par terre dans les dortoirs, mais aussi dans le hall qui servait pour la promenade.

75. L’une des deux installations sanitaires (comprenant des toilettes et douches) était en panne. Ainsi, l’ensemble des détenus utilisait l’autre installation, avec toutes les conséquences que cela pouvait entraîner d’un point de vue hygiénique.

76. La promenade dans la cour extérieure du centre dépendait du nombre des détenus, car celui des gardiens ne suffisait pas pour assurer la sécurité et empêcher les évasions.

77. La Commission et le médiateur concluaient que la présence d’un médecin, d’un psychologue et d’une infirmière ne pouvait pas compenser les conditions de détention inhumaines et dégradantes.

2. Le centre de rétention de Fylakio

78. Au premier jour de la visite – le 18 mars 2011 –, le centre, d’une capacité de 300 personnes, en accueillait 412. Les mois précédents, le nombre de détenus atteignait le double. Alors qu’au début de sa mise en service le centre avait été totalement rénové, il présentait déjà des dégradations et des problèmes de fonctionnement, dus à la surpopulation. Les conditions de détention étaient mauvaises à cause de la surpopulation. En raison du grand nombre de détenus et du nombre insuffisant de gardiens, les premiers n’étaient pas autorisés à sortir du bâtiment.

79. La Commission et le médiateur ont été informés qu’il y avait un important problème de financement du centre, ce qui avait comme conséquence le manque, entre autres, de produits de première nécessité (tels le papier hygiénique et les produits d’hygiène) et de linge de lit. Il y avait aussi une inquiétude concernant l’approvisionnement du centre en denrées alimentaires car le contrat conclu avec une société privée arrivait à échéance.

80. La Commission et le médiateur ont aussi été informés qu’il y avait des problèmes de communication avec les détenus par manque d’interprètes. Les détenus n’étaient pas au courant de la procédure d’asile, ni des motifs ou de la durée de leur détention.

3. Le centre de rétention de Venna

81. Avant d’être transformé en centre de rétention, le bâtiment servait de lieu de stockage de céréales. À la date de la visite de la Commission, le centre, d’une capacité de 214 personnes, en accueillait 202.

82. Les détenus étaient répartis dans six grands dortoirs, suffisamment éclairés et ventilés. Ils sortaient dans la cour extérieure du centre de 10 heures à 12 heures, puis de 15 heures à 17 heures.

83. Les détenus se voyaient distribuer des produits d’hygiène corporelle. Toutefois, les dortoirs n’étaient pas nettoyés et les matelas devaient être remplacés en raison de l’usure et du manque de nettoyage.

84. Il y avait deux interprètes dans le centre et un accès libre aux avocats et représentants des organisations non gouvernementales.

4. Le centre de rétention de Feres

85. À la date de la visite de la Commission et du médiateur, le centre, d’une capacité de 40 personnes, en accueillait 126. Le problème de la surpopulation était particulièrement intense et les détenus étaient obligés de dormir dans la cour.

D. Les rapports des Rapporteurs spéciaux des Nations unies

86. Le Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, M. Manfred Nowak, a effectué une visite en Grèce du 10 au 20 octobre 2010.

87. En ce qui concerne le centre de rétention de Venna, il a noté ce qui suit dans son rapport. Les locaux servaient auparavant de hangar de stockage de produits agricoles. Le centre comprenait six grandes cellules et deux cours ouvertes. Sa capacité était de 220 détenus et, au moment de la visite, il en accueillait 203. Le directeur du centre s’est plaint des conditions de vie au centre de Venna, qui étaient inadéquates tant pour le personnel que pour les détenus. Les locaux étaient en mauvais état en raison d’un manque d’entretien approprié. La société responsable du nettoyage des locaux ne prenait soin que des bureaux du personnel. Les cellules étaient sales et mal éclairées. Pendant la nuit, l’éclairage fort à l’entrée du centre empêchait les détenus de dormir. La plupart des détenus étaient pourvus de minces couvertures et de vêtements inappropriés et, par conséquent, ils grelottaient en hiver. De plus, les détenus ne recevaient pas d’informations sur la durée de leur détention et sur les modalités de dépôt d’une demande d’asile. Il existait certes un espace ouvert autour du centre mais, pour des raisons de sécurité, les détenus ne s’y promenaient que rarement. L’atmosphère était agitée au sein du centre, qui ressemblait à un camp de concentration.

88. Le rapport relève aussi que les centres de rétention de Fylakio et Venna étaient destinés à des détentions de longue durée, bien qu’ils ne pussent satisfaire aux besoins les plus essentiels des détenus.

89. Enfin, le rapport souligne que les décisions ministérielles nécessaires à l’établissement des centres de rétention de Fylakio et de Venna et à la fixation de leurs normes opérationnelles n’avaient jamais été adoptées (voir notamment les paragraphes 45 et 77 du rapport).

90. Le Rapporteur spécial des Nations unies pour les droits de l’homme des migrants, M. F. Crépeau, a effectué une visite en Grèce du 25 novembre au 3 décembre 2012. Il a visité plusieurs centres de rétention pour étrangers, parmi lesquels celui de Venna. Il a relevé que les conditions de détention au sein de ces centres étaient problématiques, et tout particulièrement à Venna. À la suite de sa visite, le centre de Venna a été fermé (voir le paragraphe 48 du rapport).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

91. Le requérant allègue que ses conditions de détention dans les différents centres de rétention où il a été détenu ainsi que ses conditions d’existence après sa mise en liberté ont constitué un traitement inhumain et dégradant. Il se plaint d’une violation de l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. En ce qui concerne les conditions de détention du requérant

1. Sur la recevabilité

92. Le Gouvernement indique que le requérant, en saisissant la Cour le 16 décembre 2011, a introduit sa requête un jour avant la fin du délai de six mois. Il estime en conséquence que seuls les griefs relatifs aux conditions de détention de l’intéressé dans le centre de Fylakio doivent être pris en compte. Faisant référence à la jurisprudence de la Cour, il considère que le transfert d’un détenu dans un autre établissement accompagné d’un changement du régime de la détention met un terme à la « situation continue » qui pourrait exister si la détention était effectuée dans des établissements différents mais dans les mêmes conditions. Il indique que le requérant a été détenu successivement dans quatre centres de rétention différents qui peuvent être distingués, selon lui, en deux catégories : d’une part, ceux dans lesquels sont effectuées les procédures d’identification et d’enregistrement des étrangers clandestins et les procédures relatives au dépôt et à l’examen des demandes d’asile – cette catégorie concernant, pour le Gouvernement, les centres de Feres et Soufli – ; d’autre part, ceux dans lesquels sont accueillies pour des périodes plus longues les personnes faisant l’objet d’une procédure d’expulsion administrative ou qui sont détenues en application de l’article 13 du décret no 114/2010 – cette catégorie concernant, pour le Gouvernement, les centres de Venna et Fylakio.

93. Se prévalant des rapports du CPT, des Rapporteurs spéciaux des Nations unies, du médiateur de la République et de la Commission nationale des droits de l’homme, le requérant rétorque que ces documents démontrent de manière parfaitement crédible que les conditions de détention dans tous les centres de rétention en cause étaient similaires.

94. La Cour estime que cette question est étroitement liée à la substance du grief soulevé par le requérant sur le terrain de l’article 3 de la Convention, et elle décide de la joindre au fond : la réponse à la question de savoir s’il y a eu une modification dans les conditions de détention du requérant lorsqu’il a été transféré au centre de Fylakio dépend des conclusions de la Cour sur les conditions prévalant dans le centre de Venna et, en cas de réponse négative, celles du centre de Soufli et, le cas échéant, de celui de Feres.

95. Constatant en outre que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond

96. Le Gouvernement renvoie à sa version concernant les conditions de détention dans les différents centres en cause. Il soutient que le requérant soulève des griefs et des allégations de caractère général, et ce sans apporter de précisions quant à l’existence de faits concrets qui permettraient d’établir qu’il a subi une pression physique ou psychologique d’une ampleur telle que l’on pourrait la qualifier de traitement dégradant.

97. Le requérant se prévaut des différents rapports des organisations internationales concernant les centres de rétention de la région d’Evros, et aussi de la jurisprudence de la Cour qui, selon lui, a déjà constaté des violations de la Convention quant aux conditions de détention dans ces centres.

98. La Cour rappelle que pour tomber sous le coup de l’article 3 de la Convention, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de l’espèce, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (voir, parmi d’autres, Van der Ven c. Pays-Bas, no 50901/99, § 47, CEDH 2003‑II). La Cour a ainsi jugé qu’un traitement était « dégradant » en ce qu’il était de nature à inspirer à ses victimes des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à les humilier et à les avilir (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 92, CEDH 2000‑XI).

99. La Cour rappelle également que les mesures privatives de liberté s’accompagnent inévitablement de souffrance et d’humiliation. Il s’agit là d’un état de fait inéluctable qui, en tant que tel et à lui seul, n’emporte pas violation de l’article 3 de la Convention. Cette disposition impose néanmoins à l’État de s’assurer que toute personne est détenue dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités de sa détention ne la soumettent pas à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à une telle mesure et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, sa santé et son bien-être sont assurés de manière adéquate (Kudła, précité, §§ 92-94, et Ramirez Sanchez c. France [GC], no 59450/00, § 119, CEDH 2006‑IX).

100. La Cour rappelle de même qu’elle a déjà conclu à la violation de l’article 3 de la Convention, à plusieurs reprises, dans des affaires contre la Grèce relatives aux conditions de détention dans des locaux de police de personnes mises en détention provisoire ou détenues en vue de leur expulsion (Siasios et autres c. Grèce, no 30303/07, 4 juin 2009, Vafiadis c. Grèce, no 24981/07, 2 juillet 2009, Shuvaev c. Grèce, no 8249/07, 29 octobre 2009, Tabesh c. Grèce, no 8256/07, 26 novembre 2009, Efremidze c. Grèce, no 33225/08, 21 juin 2011). Elle note qu’elle a aussi conclu à la violation de cette même disposition dans des affaires relatives aux conditions de détention d’étrangers dans les centres de rétention de Feres, Venna et Soufli (S.D. c. Grèce, no 53541/07, 11 juin 2009, M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, R.U. c. Grèce, no 2237/08, 7 juin 2011, A.F. c. Grèce, no 53709/11, 13 juin 2013, B.M. c. Grèce, précité, et C.D. et autres c. Grèce, nos 33441/10, 33468/10 et 33476/10, 19 décembre 2013).

101. En l’espèce, la Cour note que le requérant a été détenu du 16 décembre 2010 au 17 juin 2011 successivement dans les centres de rétention de Feres, Venna, Soufli, et Fylakio, soit pendant une période de six mois.

102. Compte tenu des constats auxquels elle est parvenue dans les arrêts précités et de ceux contenus dans les rapports des différentes institutions nationales et internationales qui se sont rendues dans ces centres au cours de la période en cause (paragraphes 65-90 ci-dessus), la Cour considère que le requérant a été détenu dans des conditions de surpopulation et d’hygiène déplorables, incompatibles avec l’article 3 de la Convention et qui ont constitué à son endroit un traitement dégradant.

103. Elle rejette donc l’objection du Gouvernement et conclut qu’il y a eu violation de cette disposition.

B. En ce qui concerne les conditions d’existence du requérant après sa mise en liberté

1. Sur la recevabilité

104. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond

105. Le Gouvernement admet que, en l’espèce, il y a eu une impossibilité temporaire de faire bénéficier le requérant d’une structure d’accueil, en raison du grand nombre d’immigrés entrant en Grèce. Il ajoute toutefois que la direction compétente du ministère de la Santé avait indiqué qu’elle lui en trouverait une dès que possible. À l’appui de sa thèse, il produit plusieurs statistiques concernant les sommes dépensées pour les demandeurs d’asile et les différents types d’assistance (juridique, médicale, éducative et en matière d’hébergement).

106. Le requérant indique que l’État a l’obligation, de par le décret présidentiel no 220/207 relatif à l’accueil des demandeurs d’asile, d’offrir des conditions d’accueil convenables aux demandeurs d’asile nécessiteux, mais qu’il n’existe en Grèce que mille places d’hébergement, y compris selon lui celles destinées aux mineurs, et pas de crédits à cet effet. Il affirme qu’il a fait tout ce qu’il pouvait pendant un an pour améliorer sa condition, mais qu’il n’a pu avoir accès ni à un hébergement, ni au système de santé, ni au marché du travail.

107. La Cour rappelle qu’elle s’est déjà penchée sur les conditions d’existence en Grèce des demandeurs d’asile, livrés à eux-mêmes et vivant de longs mois dans une situation de dénuement extrême, dans l’arrêt M.S.S c. Belgique et Grèce (précité). Dans cet arrêt (ibidem, § 263), la Cour s’est prononcée ainsi :

« (...) compte tenu des obligations reposant sur les autorités grecques en vertu de la directive européenne Accueil (...), la Cour est d’avis qu’elles n’ont pas dûment tenu compte de la vulnérabilité du requérant comme demandeur d’asile et doivent être tenues pour responsables, en raison de leur passivité, des conditions dans lesquelles il s’est trouvé pendant des mois, vivant dans la rue, sans ressources, sans accès à des sanitaires, ne disposant d’aucun moyen de subvenir à ses besoins essentiels. La Cour estime que le requérant a été victime d’un traitement humiliant témoignant d’un manque de respect pour sa dignité et que cette situation a, sans aucun doute, suscité chez lui des sentiments de peur, d’angoisse ou d’infériorité propres à conduire au désespoir. Elle considère que de telles conditions d’existence, combinées avec l’incertitude prolongée dans laquelle il est resté et l’absence totale de perspective de voir sa situation s’améliorer, ont atteint le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention. »

108. La Cour estime que ces considérations sont également pertinentes dans les circonstances de la présente espèce. Elle note ainsi que, après avoir été mis en liberté le 17 juin 2011, le requérant s’est rendu à Athènes où il a séjourné soit comme un sans-abri, soit en squattant divers bâtiments désaffectés. Elle constate également que celui-ci a demandé le 9 septembre 2011 à retirer sa demande d’asile et à rendre sa carte rose afin de passer en Turquie pour y poursuivre sa démarche de demande d’asile dans ce pays et que cette demande n’a pas été accueillie par les autorités grecques. Elle observe aussi que l’intéressé a obtenu un renouvellement conditionnel de sa carte rose pour trois mois supplémentaires, mais qu’il s’est heurté à des difficultés pour faire renouveler par la suite ce document, notamment du 15 mars au 15 octobre 2012, en raison de problèmes liés au fonctionnement de la direction des étrangers de l’Attique (paragraphes 34-37 ci-dessus).

109. Par ailleurs, la Cour a des doutes quant à l’utilité, en pratique, de la possession d’une carte rose valide. Elle note que le porteur d’une telle carte peut, en théorie, prétendre à un hébergement en structure d’accueil ou avoir accès au marché du travail. Or, elle relève, d’une part, qu’il existe en Grèce peu de places dans les centres d’accueil pour faire face à l’hébergement de dizaines de milliers de demandeurs d’asile et, d’autre part, que l’accès au marché du travail comporte des obstacles administratifs mais aussi pratiques dus à l’absence de tout réseau de soutien et au contexte général de crise économique (M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, §§ 258 et 261).

110. La Cour estime que, dans ces conditions, seul un examen diligent de la demande d’asile du requérant aurait pu mettre un terme à la situation dans laquelle il s’est trouvé, et se trouve encore probablement, depuis le 17 juin 2011. Or, elle observe que le recours de l’intéressé introduit le 6 juin 2011 devant la commission d’appel était pendant encore au moins jusqu’au 3 septembre 2013, date du dépôt de ses observations devant la Cour.

111. Il s’ensuit que le requérant s’est retrouvé, par le fait des autorités, dans une situation dégradante contraire à l’article 3 de la Convention. Dès lors, il y a eu également violation de cette disposition au regard de ce grief.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 3 ET 13 DE LA CONVENTION COMBINÉS EN RAISON DE L’ABSENCE D’UN RECOURS EFFECTIF POUR SE PLAINDRE DES CONDITIONS DE DÉTENTION

112. Invoquant l’article 3 de la Convention combiné avec l’article 13 de la Convention, le requérant dénonce l’absence d’un recours effectif pour se plaindre de ses conditions de détention.

A. Sur la recevabilité

113. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

114. Le Gouvernement soutient que la formulation d’objections contre une détention prévue par l’article 76 de la loi no 3386/2005, en son paragraphe 3, est un recours effectif et que le paragraphe 4 de cet article donne au juge le pouvoir d’examiner les conditions de détention. Il produit certaines décisions du tribunal administratif d’Alexandroupoli pour démontrer que celui-ci se penche habituellement sur cette question lors de l’examen de la légalité d’une détention.

115. Le requérant rétorque que la législation grecque, et notamment l’article 76 de la loi no 3386/2005 même tel que modifié par la loi no 3900/2010, ne prévoit pas de voie de recours permettant à un étranger détenu de se plaindre de ses conditions de détention. Il soutient que le juge administratif n’est pas en mesure d’ordonner l’amélioration de conditions de détention et que les jugements mentionnés par le Gouvernement ont tous été pris par le même juge. À cet égard, il cite d’autres décisions de la même juridiction qui établiraient que le recours par voie d’objections est dépourvu d’effectivité, car il existe – à ses dires – une pratique claire consistant à ne pas examiner les conditions de détention.

116. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle l’article 13 de la Convention garantit l’existence de recours internes permettant l’examen de tout « grief défendable » fondé sur la Convention et l’octroi d’un redressement approprié. À ce titre, les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation quant à la manière de se conformer aux obligations que leur impose cette disposition, et la portée de cette obligation varie en fonction de la nature du grief que le requérant tire de la Convention. Toutefois, le recours exigé par l’article 13 de la Convention doit être « effectif » en pratique comme en droit (McGlinchey et autres c. Royaume-Uni, no 50390/99, § 62, CEDH 2003‑V).

117. En premier lieu, la Cour note qu’à la date à laquelle le tribunal administratif a rejeté les objections du requérant, à savoir le 6 mai 2011, les lois qui, selon le Gouvernement, ont étendu l’ampleur du contrôle opéré par le juge administratif pour y inclure les conditions de détention, étaient déjà en vigueur : il s’agit de la loi no 3900/2010, entrée en vigueur le 1er janvier 2011, et de la loi no 3907/2011, entrée en vigueur le 21 janvier 2011.

118. En deuxième lieu, la Cour note que, dans sa décision du 6 mai 2011, le tribunal administratif ne s’est livré à aucune analyse des conditions de détention du requérant. Elle relève que cette juridiction s’est contentée de déclarer, de manière lapidaire, que le requérant n’avait pas déposé de demande de transfert au centre de rétention de Fylakio où les conditions de détention étaient selon elle meilleures. Or, de l’avis de la Cour, une telle approche revient à se désengager de la responsabilité d’examiner les conditions de détention en question et à la transmettre à un organe de l’exécutif – à savoir les autorités de police qui auraient été appelées à décider si le transfert du requérant était justifié compte tenu des conditions régnant au centre de Soufli. La Cour s’interroge d’ailleurs sur la base sur laquelle le juge administratif a conclu que les conditions de détention au centre de Fylakio étaient meilleures. En effet, ce centre était non seulement mentionné dans les nombreux rapports des institutions internationales relatifs aux conditions de détention dans la région d’Evros mais également expressément critiqué dans la déclaration publique du CPT relative à la Grèce.

119. Dès lors, la Cour considère que le recours exercé par le requérant sur le fondement de l’article 76 § 3 de la loi no 3386/2005 ne lui a pas assuré, en l’espèce, un redressement approprié.

120. Il y a donc eu violation de l’article 13 de la Convention, combiné avec l’article 3.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 3 ET 13 DE LA CONVENTION COMBINÉS EN RAISON D’UN RISQUE DE RENVOI DU REQUÉRANT VERS LA TURQUIE ET VERS L’IRAN QUI RÉSULTERAIT DE DÉFAILLANCES DE LA PROCÉDURE D’ASILE

121. Le requérant dénonce une violation des articles 3 et 13 de la Convention combinés. Il soutient que la procédure d’expulsion, telle qu’elle existe en Grèce et telle qu’elle lui a été appliquée, n’a pas garanti un examen sérieux de ses allégations portant sur un risque de subir des mauvais traitements en cas de retour en Iran, pour les raisons suivantes : sa demande d’asile initiale n’aurait pas été enregistrée ; il n’aurait pas disposé de suffisamment de temps pour préparer son entretien ; l’interprétation au cours de l’entretien n’aurait pas été suffisante ; et la brochure d’information sur ses droits en tant qu’étranger en voie d’expulsion remise par les autorités était rédigée en anglais, langue qu’il ne comprendrait pas.

122. Le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes en ce qui concerne ce grief et qu’il ne s’est ainsi jamais plaint devant les autorités internes du refus allégué de celles-ci d’enregistrer sa demande d’asile. Il affirme que l’intéressé a en revanche exprimé pour la première fois son souhait de demander l’asile devant les représentants du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et ceux du Conseil hellénique pour les réfugiés. Il ajoute que sa demande d’asile a été examinée en première instance et que l’examen de son recours contre la décision de rejet de ladite demande est actuellement pendant devant la commission d’appel.

123. Le Gouvernement soutient qu’il n’a jamais été question d’expulser le requérant avant la fin de la procédure d’examen de sa demande d’asile et que ses allégations selon lesquelles il risque de subir des mauvais traitements en cas de retour en Iran sont identiques à celles que la commission d’appel devra examiner en deuxième instance.

124. Le requérant réplique en invitant la Cour à prendre en considération les éléments suivants : les insuffisances qui caractériseraient le premier entretien relatif à sa demande d’asile étant donné qu’il aurait été mené devant un officier de police non spécialisé dans ce domaine et avec un codétenu faisant fonction d’interprète ; ses assertions portant sur un refus initial des autorités d’enregistrer sa demande d’asile, un manque d’information sur ses droits et un manque d’interprétation des documents y afférents ; et une absence de recours effectif contre un renvoi éventuel en Iran en raison des défauts allégués du système d’examen des demandes d’asile en Grèce. Il soutient, en particulier, que tout de suite après son arrestation, les autorités ont ordonné de manière automatique son expulsion sans examiner son cas et qu’elles ont demandé aux autorités turques de l’appréhender et de le renvoyer en Iran. Il affirme qu’il n’a pas été immédiatement expulsé en raison de l’intervention du Conseil hellénique pour les réfugiés.

125. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, l’article 35 § 1 de la Convention impose aux requérants l’épuisement des recours normalement disponibles et suffisants dans l’ordre juridique interne pour leur permettre d’obtenir réparation des violations qu’ils allèguent. Cependant, elle souligne qu’elle doit appliquer cette règle en tenant dûment compte du contexte, avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif. Cela signifie notamment qu’elle doit analyser de manière réaliste, non seulement les recours prévus en théorie dans le système juridique de la Partie contractante concernée, mais également la situation personnelle du requérant (Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 77, CEDH 1999-V, et Rupa c. Roumanie, no 37971/02, § 36, 19 juillet 2011).

126. Dans la présente affaire, la Cour note que les thèses des parties divergent quant aux circonstances qui ont entouré la demande d’asile du requérant. Toutefois, il ressort de manière objective du dossier que ce dernier s’est désisté par écrit le 8 janvier 2011 quant à son souhait de déposer une demande d’asile, souhait qu’il avait exprimé – d’après les informations fournies par le Gouvernement et non contestées par l’intéressé – d’abord le 20 décembre 2010 (paragraphes 8 et 13 ci-dessus), puis les 5 et 30 janvier 2011 (paragraphes 16-17 ci-dessus) et le 2 février 2011 (paragraphe 18 ci-dessus). Il ressort également du dossier que les autorités ont enregistré la demande d’asile du requérant le 8 février 2011, que celle-ci a été examinée en première instance le 11 avril 2011 et rejetée le 26 avril 2011 (paragraphes 22 et 24 ci-dessus) et que, le 6 juin 2011, le requérant a déposé devant la commission d’appel un recours contre la décision de rejet, ce recours étant encore pendant (paragraphes 28 et 39 ci-dessus).

127. Dans ces circonstances, la Cour ne saurait se prononcer sur le fond du grief soulevé par le requérant tiré de la violation des articles 3 et 13 de la Convention combinés. En effet, la demande d’asile du requérant n’ayant pas fait l’objet d’un examen complet selon la procédure prévue, la Cour ne saurait examiner l’effectivité de cette dernière. Dès lors, la Cour considère que le grief tiré de la violation des articles 3 et 13 de la Convention combinés doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

128. Le requérant se plaint de l’illégalité de sa détention aux motifs qu’elle était contraire aux dispositions de l’article 13 du décret 114/2010 car maintenue, à ses dires, alors que l’expulsion n’était pas immédiatement exécutoire et qu’elle était exécutée dans des conditions contraires à l’article 3 de la Convention. Il allègue une violation de l’article 5 § 1 de la Convention qui se lit ainsi :

« Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(...)

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. »

129. Le Gouvernement soutient que la détention du requérant était régulière et conforme à l’article 5 § 1 de la Convention. Il expose que le requérant a été arrêté et détenu pour avoir violé les dispositions de l’article 76 § 1 b) de la loi no 3386/2005 et que, lorsqu’il a présenté sa demande d’asile, il était déjà détenu en vertu de la décision qui ordonnait son expulsion. Il ajoute que le tribunal administratif a considéré que la détention du requérant était légale en raison d’une impossibilité pour ce dernier de prouver son identité, et ce afin d’éviter un risque de fuite.

130. Le requérant soutient que sa détention était arbitraire et ordonnée de mauvaise foi car il s’agissait, à ses yeux, d’une mesure de dissuasion contre l’immigration clandestine : selon lui, les autorités ont décidé de le maintenir en détention sans prendre en considération ni sa situation personnelle en tant que demandeur d’asile ni la suspension de la procédure d’expulsion décidée après l’enregistrement de sa demande d’asile. Il considère que les autorités n’auraient dû avoir recours à la détention qu’en dernier ressort, après avoir exploré d’autres possibilités. Il affirme que, au contraire, en Grèce, la détention des demandeurs d’asile est systématique et qu’elle continue à constituer la règle et non l’exception.

131. La Cour rappelle qu’il est bien établi dans sa jurisprudence relative aux différents alinéas de l’article 5 § 1 de la Convention que toute privation de liberté doit non seulement relever de l’une des exceptions prévues aux alinéas a) à f), mais aussi être « régulière ». En matière de « régularité » d’une détention, y compris s’agissant de l’observation des « voies légales », la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en observer les normes de fond comme de procédure. Toutefois, le respect du droit national n’est pas suffisant : l’article 5 § 1 de la Convention exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but consistant à protéger l’individu contre l’arbitraire (voir, parmi bien d’autres, Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 37, série A no 33, et Witold Litwa c. Pologne, no 26629/95, § 78, CEDH 2000‑III). Il existe ainsi un principe fondamental selon lequel nulle détention arbitraire ne peut être compatible avec l’article 5 § 1 de la Convention, et la notion d’« arbitraire » que contient cette disposition va au-delà du défaut de conformité avec le droit national, de sorte qu’une privation de liberté peut être régulière selon la législation interne tout en étant arbitraire et donc contraire à la Convention.

132. La Cour rappelle également qu’il ressort de sa jurisprudence relative à l’article 5 § 1 f) de la Convention que, pour ne pas être taxée d’arbitraire, la mise en œuvre d’une mesure de détention doit se faire de bonne foi, qu’elle doit aussi être étroitement liée au but consistant à empêcher une personne de pénétrer irrégulièrement sur le territoire, que, en outre, la durée de la détention ne doit pas excéder le délai raisonnable nécessaire pour atteindre le but poursuivi, et que, enfin, les lieu et conditions de détention doivent être appropriés (Saadi c. Royaume-Uni [GC], no 13229/03, § 74, CEDH 2008).

133. En l’espèce, la Cour note que la privation de liberté du requérant était fondée sur l’article 76 de la loi no 3386/2005. Par conséquent, elle estime que la situation du requérant tombe sous le coup de l’alinéa f) de l’article 5 § 1 de la Convention et qu’elle trouvait un fondement en droit interne. Elle rappelle sur ce point que, dans le contexte de l’article 5 § 1 f) précité, tant qu’un individu est détenu dans le cadre d’une procédure d’expulsion, il n’est pas exigé de motifs raisonnables de croire à la nécessité de la détention pour, par exemple, empêcher l’intéressé de commettre une infraction ou de s’enfuir (Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 112, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V). Au vu de ce qui précède, la Cour considère en l’espèce que la détention du requérant servait le but de l’empêcher de rester irrégulièrement sur le territoire grec et de garantir la possibilité de procéder à son expulsion.

134. En outre, en ce qui concerne la durée de la détention, la Cour rappelle que, dans le contexte de l’article 5 § 1 f) de la Convention, seul le déroulement de la procédure d’expulsion justifie la privation de liberté fondée sur cette disposition et que, si la procédure n’est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d’être justifiée (Chahal, précité, § 113, et Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, no 25389/05, § 74, CEDH 2007‑II). En l’espèce, la Cour note que le requérant a été détenu du 16 décembre 2010 au 17 juin 2011, que sa demande d’asile a été enregistrée le 8 février 2011 et rejetée en première instance le 26 avril 2011, que l’intéressé a formulé le 2 mai 2011 des objections contre la décision relative à sa détention et que le tribunal administratif d’Alexandroupoli a rejeté lesdites objections le 6 mai 2011. Elle observe aussi que le requérant a été libéré le 17 juin 2011, soit à la fin du délai maximal de détention de six mois prévu par l’article 76 § 3 de la loi no 3386/2005 et alors que son recours contre la décision de rejet de sa demande d’asile était pendant. Dans ces conditions, la Cour considère que, pendant la période en cause, les autorités nationales n’ont pas fait preuve de passivité dans le déroulement de la procédure d’expulsion du requérant.

135. En dernier lieu, ayant conclu à une violation de l’article 3 de la Convention à raison des conditions de détention du requérant dans les centres de rétention de Feres, Venna, Soufli et Fylakio, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de se placer une fois de plus sur ce terrain sous l’angle de l’article 5 § 1 f) de la Convention (Horshill, précité, § 65, et C.D. et autres, précité, § 74).

136. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté comme irrecevable, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

V. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

137. Le requérant se plaint de n’avoir pu formuler ses objections contre la décision relative à sa détention que le 2 mai 2011, en raison – à ses dires – de ses conditions de détention et de ses transferts successifs dans différents centres de rétention, et il allègue que le tribunal administratif a rejeté lesdites objections sans même examiner la légalité de sa détention. Il se plaint aussi de ne pas avoir été informé, dans une langue qu’il comprenait, ni des motifs de sa détention ni des voies de recours offertes aux personnes détenues en vue de leur expulsion. Il allègue une violation de l’article 5 § 4 de la Convention qui se lit ainsi :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

A. Sur la recevabilité

138. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

139. Le Gouvernement soutient qu’il ressort des articles 13 du décret no 114/2010, 76 de la loi no 3386/2005 et 30 de la loi no 3907/2011 que la formulation d’objections contre la détention devant les tribunaux administratifs est un recours effectif. À ce titre, il se réfère à l’existence de nombreuses décisions des tribunaux administratifs ordonnant la levée de la détention pour une grande variété de motifs.

140. Le requérant soutient que, même après l’amendement de la loi no 3386/2005, le tribunal administratif d’Alexandroupoli a continué à fonder ses décisions sur la résidence connue des intéressés, sur leurs problèmes de santé et leurs liens avec la Grèce, et qu’il n’a jamais pris en considération d’autres motifs tels que la compatibilité de la détention des demandeurs d’asile avec l’article 13 du décret no 114/2010 ou la notion d’arbitraire au sens de l’article 5 § 1 de la Convention. Il estime que les jugements produits par le Gouvernement concernent des détenus ayant des problèmes de santé, des mineurs non accompagnés ou des résidents de longue date en Grèce, mais non des demandeurs d’asile qui auraient été libérés sur le fondement des articles précités.

141. De plus, le requérant produit également des jugements de plusieurs tribunaux administratifs qui, selon lui, n’examinent pas en réalité la légalité de la détention mais se limitent soit à répéter le texte du décret (à savoir l’exigence d’une détention nécessaire à l’identification de l’intéressé, ainsi qu’à la rapidité et à l’efficacité de la procédure d’asile), soit à déclarer de manière vague que la détention était imposée par des considérations d’ordre public (à savoir la lutte contre l’immigration clandestine), soit à souligner le risque de fuite de l’étranger détenu concerné.

142. La Cour rappelle que le concept de « lawfulness » (« régularité », « légalité ») doit avoir le même sens au paragraphe 4 de l’article 5 de la Convention qu’en son paragraphe 1, de sorte qu’une personne détenue a le droit de faire contrôler sa détention sous l’angle non seulement du droit interne, mais aussi de la Convention, des principes généraux qu’elle consacre et du but des restrictions qu’autorise le paragraphe 1. L’article 5 § 4 de la Convention ne garantit pas le droit à un contrôle juridictionnel d’une ampleur telle qu’il habiliterait le tribunal à substituer sur l’ensemble des aspects de la cause, y compris des considérations de pure opportunité, sa propre appréciation à celle de l’autorité dont émane la décision. Il n’en veut pas moins un contrôle assez ample pour s’étendre à chacune des conditions indispensables à la régularité de la détention d’un individu au regard du paragraphe 1 (Chahal, précité, § 127, et Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 61, CEDH 2001‑II).

143. En l’occurrence, la Cour note en premier lieu qu’il y a une divergence entre le requérant et le Gouvernement concernant la remise au premier d’une brochure informative sur ses droits rédigée dans une langue que celui-ci pouvait comprendre. La Cour n’est pas en mesure de déterminer laquelle des deux thèses correspond à la réalité. Elle relève cependant que le requérant a été pris en charge le 5 janvier 2011 par les représentants du Conseil hellénique pour les réfugiés : c’est avec l’assistance de ceux-ci qu’il a déposé sa demande d’asile et c’est en leur présence qu’il a assisté à l’entretien devant l’organe de première instance chargé d’examiner ladite demande. Elle relève aussi que ce n’est que le 2 mai 2011 que le requérant a formulé ses objections contre la décision relative à sa détention devant le tribunal administratif d’Alexandroupoli et que, au cours de la procédure y afférente, il était représenté par les mêmes avocats que ceux qui l’avaient assisté pour la présentation de sa demande d’asile et qui le représentent maintenant devant elle. Or, la Cour considère que, en tant que membres du Conseil hellénique pour les réfugiés, ces avocats sont rompus aux procédures relatives à l’accueil des demandeurs d’asile, à l’assistance juridique à leur fournir et aux différents recours relatifs à l’expulsion et la détention de ceux-ci. Par conséquent, cet aspect du grief du requérant n’emporte pas violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

144. En deuxième lieu, la Cour note que, en application de l’article 76 §§ 4 et 5 de la loi no 3386/2005 tel qu’amendé par l’article 55 § 2 de la loi no 3900/2010, le juge administratif qui est saisi des objections formulées par un détenu en voie d’expulsion n’est plus limité à examiner seulement si celui-ci est dangereux pour l’ordre public ou risque de fuir : il peut désormais « s’opposer à la détention » et examiner ainsi toute question soulevée du fait de la détention. Il ressort de différentes décisions produites par le Gouvernement que le juge administratif est amené à prendre en considération les allégations concrètes et étayées du détenu concerné relatives à son état de santé ou son âge ainsi que celles relatives à la surpopulation, le respect des conditions justifiant la mise en détention et la possibilité d’hébergement dans un lieu permettant aux autorités de retrouver l’intéressé et qu’il ordonne, le cas échéant, la mise en liberté de ce dernier ou son transfert dans un centre de rétention offrant de meilleures conditions de détention (paragraphes 59-64 ci-dessus).

145. Dans la présente espèce, la Cour observe que le tribunal administratif a examiné les allégations du requérant, notamment par rapport à ses conditions de détention et relevait que le requérant avait omis de demander son transfert au centre de Fylakio où les conditions auraient été meilleures. Toutefois, le tribunal a refusé de lever la détention du requérant : il a souligné que celui-ci n’avait pas de documents de voyage, qu’il ne pouvait pas prouver son identité, qu’il n’avait pas de relations sociales stables en Grèce, précisant que cela aurait pu faciliter sa recherche par les autorités en cas de mise en liberté, qu’il ne pouvait pas gagner sa vie par des moyens légaux et qu’il risquait donc de fuir. En statuant ainsi, le tribunal a pris en considération tous facteurs pertinents qui pouvaient justifier la mise en liberté ou le maintien en détention et par là même il a exercé un contrôle de la légalité de la détention d’une ampleur suffisante au regard des exigences de l’article 5 § 4 de la Convention.

146. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas eu non plus violation de cet article quant à ce dernier aspect du grief.

VI. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

147. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

148. Le requérant réclame 15 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il dit avoir subi.

149. Le Gouvernement considère que le seul constat de violation de la Convention constituerait une satisfaction équitable suffisante. Il précise que si la Cour estime nécessaire d’accorder une certaine somme celle-ci ne devrait pas dépasser 1 000 EUR.

150. La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 8 500 EUR pour dommage moral.

B. Frais et dépens

151. En l’absence de notes d’honoraires versées au dossier, la Cour décide de ne pas allouer de somme au titre des frais et dépens au requérant, celui-ci ayant par ailleurs perçu la somme de 850 EUR versée par le Conseil de l’Europe au titre de l’assistance judiciaire.

C. Intérêts moratoires

152. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 3 de la Convention à raison des conditions de détention du requérant et des conditions d’existence de celui-ci après sa mise en liberté, des articles 3 et 13 de la Convention combinés à raison de l’absence d’un recours effectif offert au requérant pour se plaindre de ses conditions de détention et de l’article 5 § 4 de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne les conditions de détention du requérant ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne les conditions d’existence du requérant après sa mise en liberté ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3 à raison de l’absence d’un recours effectif offert au requérant pour se plaindre de ses conditions de détention ;

5. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;

6. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 8 500 EUR (huit mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

7. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 31 juillet 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren NielsenIsabelle Berro-Lefèvre
GreffierPrésidente


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