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24/04/2014 | CEDH | N°001-142525

CEDH | CEDH, AFFAIRE HERMAN ET SERAZADISHVILI c. GRÈCE, 2014, 001-142525


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE HERMAN ET SHERAZADISHVILI[1] c. GRÈCE

(Requêtes nos 26418/11 et 45884/11)

ARRÊT

STRASBOURG

24 avril 2014

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.







En l’affaire Herman et Sherazadishvili[2] c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Elisabeth Steiner,
Khanlar

Hajiyev,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse,
Ksenija Turković,
Dmitry Dedov, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après ...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE HERMAN ET SHERAZADISHVILI[1] c. GRÈCE

(Requêtes nos 26418/11 et 45884/11)

ARRÊT

STRASBOURG

24 avril 2014

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Herman et Sherazadishvili[2] c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Elisabeth Steiner,
Khanlar Hajiyev,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse,
Ksenija Turković,
Dmitry Dedov, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er avril 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 26418/11 et 45884/11) dirigées contre la République hellénique et soumises à la Cour les 12 avril et 22 juin 2011 respectivement en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») : la première (no 26418/11) est présentée par Mme Aisyah Erliana Herman, ressortissante indonésienne, née en 1982 et résidant à Athènes ; la seconde (no 45884/11) est présentée par M. Bardi Sherazadishvili[2], ressortissant géorgien, né en 1971.

2. La première requérante est représentée par Mes Th. Tsiatsios et E. Klianis, avocats au barreau de Thessalonique. Le second requérant est représenté par Me Th. Tsiatsios. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, M. I. Bakopoulos, assesseur auprès du Conseil juridique de l’Etat et M. D. Kalogiros, auditeur auprès du Conseil juridique de l’Etat. Informé de son droit de prendre part à la procédure (articles 36 § 1 de la Convention et 44 § 1 du règlement) en ce qui concerne la requête no 45884/11, le gouvernement géorgien n’a pas répondu.

3. Les requérants allèguent en particulier des violations des articles 3 et 5 de la Convention.

4. Le 9 mai 2012, les requêtes ont été communiquées au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

A. La mise en détention des requérants en vue de leur expulsion et les recours y relatifs

1. En ce qui concerne la requête no 26418/11

5. Le 26 décembre 2009, la requérante entra sur le territoire grec munie d’un titre de séjour valable pour deux mois (visa no 12327584).

6. Le 9 août 2010, elle fut arrêtée à Thessalonique et mise en détention provisoire dans les locaux de la police chargée de l’immigration clandestine de Thessalonique (Kordelio) en vue de son expulsion.

7. Le 12 août 2010, l’officier compétent de la police des étrangers de Thessalonique ordonna l’expulsion de la requérante, sur la base de l’article 76 de la loi no 3386/2005 tel que modifié par l’article 48 § 2 de la loi no 3772/2009, au motif qu’elle séjournait en Grèce sans posséder les documents administratifs nécessaires. De plus, ladite autorité décida son maintien en détention « jusqu’à ce que la décision d’expulsion soit exécutée et pour une période qui ne [pouvait] pas aller au total au-delà de six mois maximum, à partir de sa mise en détention car, vu les circonstances de l’espèce, [la requérante] était susceptible de se soustraire à son expulsion et était considérée comme dangereuse pour l’ordre et la sécurité publics ». Ladite ordonnance prévoyait qu’en vertu de l’article 48 de la loi no 3772/2009, la détention de la requérante pouvait atteindre « douze mois au maximum dans le cas où celle-ci ne coopérait pas avec les autorités compétentes ou si la réception par les autorités de son pays de provenance ou d’origine des titres de transport nécessaires pour l’exécution de la mesure était retardée » (ordonnance no 363030/1-γ).

8. Le 12 août 2010, la requérante soumit à la présidente du tribunal administratif de Thessalonique ses objections à son maintien en détention. Elle alléguait notamment qu’elle ne constituait pas un danger pour l’ordre public et qu’elle n’était pas susceptible de s’enfuir. Elle affirmait aussi qu’elle vivait avec une famille grecque à Loudia près de Thessalonique où elle travaillait comme sage-femme. Enfin, la requérante soutint que les autorités internes n’avaient pris aucun contact avec les autorités indonésiennes afin de lui faire délivrer des titres de voyage et procéder à son expulsion. La requérante joignit à ses objections la photocopie de certaines pages de son passeport avec le visa d’entrée sur le territoire grec. Le jour même, la présidente du tribunal administratif de Thessalonique rejeta les objections de la requérante. Elle admit, en particulier, que ses arguments ne suffisaient pas pour établir qu’elle n’était pas susceptible de s’enfuir en cas de remise en liberté (décision no 966/2010).

9. Le 17 août 2010, la requérante informa les autorités qu’elle souhaitait déposer une demande d’asile et le 21 août 2010 elle la soumit auprès de la Direction des étrangers de Thessalonique. Le 9 octobre 2010, par décision du chef de la Direction des étrangers de Thessalonique, cette demande fut rejetée. En particulier, il fut considéré que la requérante n’avait pas d’intention sérieuse de solliciter l’asile, puisqu’elle n’avait pas déposé la demande y relative lors de son entrée sur le territoire grec mais après son arrestation et le rejet des objections contre sa mise en détention (no 363030/1-στ’).

10. Le 4 octobre 2010, la requérante déposa un mémoire auprès de la Direction de la police des étrangers de Thessalonique affirmant que les conditions déplorables de sa détention justifiaient son élargissement et que, le cas échéant, l’administration devait lui imposer des mesures restrictives plus souples en vertu de l’article 78 de la loi no 3386/2005. Il ne ressort pas du dossier que l’administration se soit prononcée sur sa demande.

11. Le 12 octobre 2010, la requérante saisit la présidente du tribunal administratif de nouvelles objections contre sa mise en détention et demanda la révocation de la décision no 966/2010. Elle réitéra ses arguments quant à l’absence de risque de fuite et se plaignit aussi des conditions de détention en ajoutant qu’elle avait eu des problèmes de santé pendant sa détention, à savoir des douleurs à l’estomac. Le jour même, ses objections furent rejetées. La présidente du tribunal administratif de Thessalonique confirma les conclusions de la décision no 966/2010. Elle considéra que l’expulsion de la requérante pouvait avoir lieu dans le délai prescrit par l’article 76 de la loi no 3386/2005, puisqu’à son arrestation elle n’était pas démunie de titres de voyage et elle n’avait pas démontré qu’elle les avait entre-temps perdus. La présidente ajouta que l’expulsion ne pouvait pas avoir lieu tout au long de la période à laquelle sa demande d’asile était examinée par l’administration (décision no 1198/2010).

12. Le 15 décembre 2010, la requérante fut transférée dans les locaux de la sous-direction d’Attique chargée des étrangers (Petrou Ralli). Le 9 février 2011, elle fut remise en liberté, le délai de six mois de détention prévu par l’article 76 de la loi no 3386/2005 ayant expiré (décision no 442464/9.2.2011).

2. En ce qui concerne la requête no 45884/11

13. En 2008, le requérant entra sur le territoire grec sans titre de séjour. Le 26 août 2010, il fut arrêté à Thessalonique pour possession et usage d’un faux document administratif de demandeur d’asile et mis en détention provisoire en vue de son expulsion à la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique. Le jour même, il fut condamné par le tribunal correctionnel de Thessalonique à quatre mois de prison avec sursis pour entrée illégale sur le territoire grec et usage d’un faux document administratif de demandeur d’asile (jugement no 12751/2010).

14. Le 30 août 2010, l’officier compétent de la police des étrangers de Thessalonique ordonna son expulsion, sur la base de l’article 76 de la loi no 3386/2005, tel que modifié par l’article 48 § 2 de la loi no 3772/2009, au motif qu’il séjournait en Grèce sans posséder les documents administratifs nécessaires et qu’il avait été condamné par le jugement no 12751/2010. De plus, ladite autorité décida son maintien en détention « jusqu’à ce que la décision d’expulsion soit exécutée et pour une période qui ne [pouvait] pas aller au total au-delà de six mois maximum, à partir de sa mise en détention car, vu les circonstances de l’espèce, [le requérant] était susceptible de se soustraire à son expulsion et était considéré comme dangereux pour l’ordre et la sécurité publics ». Ladite ordonnance prévoyait qu’en vertu de l’article 48 de la loi no 3772/2009, la détention du requérant pouvait atteindre « douze mois au maximum dans le cas où celui-ci ne coopérait pas avec les autorités compétentes ou si la réception par les autorités de son pays de provenance ou d’origine des titres de transport nécessaires pour l’exécution de la mesure était retardée » (ordonnance no 363324/2-γ). Le requérant fut maintenu en détention dans les locaux de la sous-direction des étrangers de Thessalonique en vue de son expulsion.

15. Le 1er septembre 2010, la Direction de police de Thessalonique demanda au consulat de Géorgie la délivrance des documents de voyage nécessaires pour l’expulsion du requérant. Le 8 décembre 2010, le consulat de Géorgie l’informa qu’il était prêt à délivrer les documents demandés.

16. Le 30 septembre 2010, le requérant soumit à la présidente du tribunal administratif de Thessalonique ses objections à son maintien en détention. Il alléguait notamment qu’il ne constituait pas un danger pour l’ordre public et qu’il n’était pas susceptible de s’enfuir. Le jour même, la présidente du tribunal administratif de Thessalonique rejeta les objections après avoir considéré que le requérant manquait d’intention sérieuse à déposer une demande d’asile et qu’il avait déjà été condamné au pénal (décision no 1162/2010).

17. Le 4 octobre 2010, le requérant déposa à la Direction des étrangers de Thessalonique une demande d’asile. Le 5 novembre 2010, par décision du directeur de la Direction des étrangers de Thessalonique, cette demande fut rejetée (décision no 363324/3-ε’).

18. Le 23 décembre 2010, le requérant saisit la présidente du tribunal administratif de Thessalonique de nouvelles objections contre sa mise en détention. Le 28 décembre 2010, elle fit droit aux objections du requérant, révoqua la décision no 1162/2010 et ordonna la levée de sa détention. La présidente admit, entre autres, que le requérant avait certes été condamné par la justice pénale mais pas à une peine sévère. De plus, le requérant avait toujours le droit de contester devant la justice administrative le rejet de sa demande d’asile. Enfin, l’administration avait entre-temps pris soin de procéder aux démarches nécessaires pour faire délivrer au requérant un titre de voyage provisoire (décision no 1460/2010). Le jour même, le requérant fut remis en liberté.

B. Les conditions de détention des requérants dans les locaux de la police des étrangers de Thessalonique, de la police chargée de l’immigration clandestine de Thessalonique (Kordelio) et la sous-direction de l’Attique chargée des étrangers (Petrou Ralli)

19. Les requérants affirment que leurs cellules n’étaient pas suffisamment aérées et lumineuses. Ils relèvent qu’ils étaient détenus dans des petites cellules avec quinze à vingt autres détenus. L’air était humide et fétide, surtout en raison de la promiscuité avec des fumeurs. De plus, ils notent l’absence d’espace pour se promener et faire de l’exercice physique. Les détenus n’avaient aucune activité récréative. Ils affirment que les locaux étaient insalubres et que les douches et les toilettes n’étaient pas suffisantes. Ils relèvent l’absence de restauration des détenus par le service pénitentiaire et affirment que chacun d’eux avait droit uniquement à une somme oscillant de 5,87 à 5,95 euros par jour pour commander des repas qui leur étaient livrés de l’extérieur.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

A. Le droit national

20. La Cour se réfère à ce sujet notamment aux paragraphes 27-33 de l’arrêt C.D. et autres c. Grèce (nos 33441/10, 33468/10 et 33476/10, 19 décembre 2013).

B. Les rapports provenant des instances internationales

1. En ce qui concerne la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique

a) Les constats du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) à la suite de sa visite aux postes de police et centres de détention pour étrangers en 2008

21. Du 23 au 29 septembre 2008, le CPT a visité, entre autres, les locaux de la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique. Dans son rapport publié le 30 juin 2009, il a noté l’absence de lits dans les cellules et le fait que les personnes détenues dormaient sur des matelas sales posés à même le sol. De plus, le rapport relevait l’absence d’espace de promenade et d’exercice physique et soulignait que chacun des détenus avait droit à 5,87 euros par jour pour commander des repas qui leur étaient livrés de l’extérieur. Sur ce point, le CPT a fait état de griefs provenant des personnes détenues, selon lesquels elles pouvaient, avec une telle somme, acheter au maximum deux sandwiches par jour. Le CPT a recommandé aux autorités nationales d’assurer à toutes les personnes détenues dans des locaux destinés à accueillir des étrangers en attente de leur expulsion un plat cuisiné, chaud de préférence, au moins une fois par jour.

b) Les constats du CPT à la suite de sa visite du 17 au 29 septembre 2009 aux postes de police et centres de détention pour étrangers

22. Dans son rapport du 17 novembre 2010, le CPT relevait que les arrangements concernant la nourriture des détenus restaient inadéquats. L’allocation journalière de 5,87 euros ne permettait d’acheter que quelques sandwiches et une bouteille d’eau, ce qui était suffisant pour des prévenus en détention de courte durée, mais insuffisant pour des personnes détenues pour une longue durée.

c) Le rapport d’Amnesty International de 2010

23. Dans son rapport publié en juillet 2010 et intitulé « Des migrants irréguliers et des demandeurs d’asile systématiquement détenus dans des conditions inadéquates », l’Amnesty International faisait état du surpeuplement, du manque de lits et de l’impossibilité de faire de l’exercice physique à la direction de la police des étrangers à Thessalonique. Le rapport comprend aussi des entretiens avec des étrangers détenus à Thessalonique en 2009 et au début de 2010. Selon leurs dires, il y aurait entre vingt-cinq et trente personnes dans une cellule, sans possibilité d’activités récréatives et avec une qualité insuffisante de repas (page 37 du rapport).

2. En ce qui concerne la sous-direction de l’Attique chargée des étrangers (centre de rétention de Petrou Ralli)

a) Les constats du CPT

24. À la suite de sa visite en Grèce en septembre 2008, le CPT constatait dans son rapport publié en 2009 que, à la date de sa visite, le centre de Petrou Ralli hébergeait 173 hommes, 65 femmes et 19 mineurs pour une capacité opérationnelle de 208 hommes, 150 femmes et 19 mineurs. Selon le rapport, les détenus étaient confinés dans leurs cellules vingt-quatre heures sur vingt-quatre du fait que l’espace réservé à la promenade ne remplissait pas les conditions de sécurité. Le CPT observait qu’il n’y avait ni espace de détente ni espace destiné aux activités, que la plus grande partie de la literie était sale, que les nouveaux arrivés n’avaient pas de draps et de couvertures propres et qu’il n’y avait pas de WC dans les cellules. De nombreux détenus auraient déclaré que l’accès aux toilettes pendant la nuit était problématique.

25. À la suite de sa visite en Grèce en septembre 2009, le CPT, dans son rapport publié en 2010, relatait ce qui suit :

« (...)

68. Le centre de Petrou Ralli demeure un établissement non approprié pour la rétention de migrants se trouvant en situation irrégulière pour des périodes longues, comme le CPT l’avait relevé même avant son ouverture officielle en 2005. En 2009, le centre hébergeait 218 détenus de sexe masculin, 77 femmes adultes et 5 mineures, ce qui rend la population de la partie mâle légèrement au-dessus de sa capacité de 208 ; certains des détenus de sexe masculin dormaient sur des matelas posés sur le sol. Cela dit, l’état général du point de vue de l’hygiène était nettement meilleur que dans le passé et l’accès aux toilettes, même pendant la nuit, ne posait pas problème grâce à la présence constante de policiers dans les couloirs.

La délégation du CPT a aussi noté que la cour extérieure pour la promenade était maintenant praticable, même si les détenus n’y avaient pas accès tous les jours.

(...)

70. Un problème commun à tous les centres spéciaux pour migrants clandestins et les centres de rétention de la police qui ont été visités était la difficulté pour les détenus de maintenir la propreté en raison de la quantité insuffisante des détergents et des produits destinés à l’hygiène personnelle. Dans certains centres, de petites quantités de savon, de la lessive en poudre et quelque fois du shampoing étaient donnés aux détenus, dans certains autres seulement du savon. De même, le papier toilette n’était pas fourni régulièrement. D’autres produits d’hygiène, tels que des brosses à dent ou du dentifrice, devaient être achetés par les détenus eux-mêmes. Des kits de rasage n’étaient pas autorisés et, lorsqu’ils pouvaient les obtenir du personnel, les détenus devaient les partager à plusieurs.

Au vu de la situation médicale précaire de plusieurs personnes concernées, le CPT réitère la nécessité pour les autorités grecques de considérer l’hygiène personnelle comme une question prioritaire. »

26. Dans sa déclaration publique du 15 mars 2011, faite en vertu de l’article 10 § 2 de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants, le CPT relevait notamment ce qui suit :

« (...)

3. Les rapports relatifs aux visites de 2005, 2007, 2008 et 2009 brossent tous un tableau similaire des très mauvaises conditions dans lesquelles les étrangers en situation irrégulière étaient retenus dans les commissariats de police et dans d’autres locaux inadaptés, souvent des entrepôts désaffectés, pour des périodes pouvant aller jusqu’à six mois, voire pour des périodes encore plus longues, sans aucune possibilité de faire de l’exercice en plein air ni de s’adonner à des activités et sans bénéficier de soins de santé adéquats. Les recommandations visant à améliorer la situation ont continué cependant d’être ignorées. Bien que des étrangers en situation irrégulière soient arrivés en Grèce en nombres importants par ses frontières terrestres et maritimes orientales pendant plusieurs années, aucune mesure n’a été prise afin d’adopter une approche coordonnée et acceptable concernant leur rétention et leur prise en charge.

4. Le manque de réaction de la part des autorités grecques face à la nécessaire mise en œuvre des recommandations du CPT relatives aux étrangers en situation irrégulière a conduit le Comité à déclencher, en novembre 2008, la procédure en vue de l’adoption d’une déclaration publique. À l’issue de la visite périodique de septembre 2009, cette procédure a été étendue pour couvrir la situation dans le système pénitentiaire. En effet, les constatations faites au cours de cette visite ont révélé que les préoccupations exprimées par le CPT dans ses précédents rapports n’avaient pas été prises en compte et qu’en réalité, les conditions carcérales s’étaient détériorées encore davantage ; il convient tout particulièrement de mentionner la gravité de la surpopulation carcérale, la pénurie de personnel et les insuffisances en matière de soins de santé.

(...)

6. Les autorités grecques ont continué de répéter que des mesures étaient en cours pour améliorer la situation. Ainsi, dans une lettre en date du 23 novembre 2009, elles ont informé le CPT qu’elles mettraient fin au placement en rétention administrative des étrangers en situation irrégulière dans les commissariats de police et postes de surveillance des gardes-frontière et qu’à l’avenir, ces personnes seraient placées dans des centres de rétention spécifiquement conçus à cet effet. (...)

7. Malheureusement, les constatations faites pendant la récente visite du CPT en Grèce, en janvier 2011, ont montré que les informations fournies par les autorités n’étaient pas fiables. Les commissariats de police et des gardes-frontière abritaient un nombre sans cesse plus important d’étrangers en situation irrégulière dans des conditions bien pires encore. (...) »

27. À la suite de sa visite en Grèce en janvier 2011, le CPT, dans son rapport publié en 2012, relatait ce qui suit :

« 13. Le CPT reconnaît les difficultés rencontrées par les autorités grecques à faire face à l’afflux constant de migrants en situation irrégulière. Cependant, les conditions dans lesquelles les migrants irréguliers sont détenus semblent être une politique délibérée par les autorités afin de délivrer un message clair que seules les personnes ayant les papiers d’identité nécessaires devraient tenter d’entrer en Grèce. En effet, telle est l’impression formée par les délégations du CPT successives depuis la visite en septembre 2005.

Pour commencer, la conception des locaux de détention dans lesquels les migrants irréguliers sont détenus n’est pas conforme aux normes mises de l’avant par le CPT depuis 1997. La conception carcérale de nouveaux centres de détention tels que Aspropyrgos, Petrou Rali et Filakio est totalement inappropriée - cellules avec des barres du sol au plafond ne garantissant pas d’intimité, communication avec le personnel pénitentiaire ayant habituellement lieu à travers les barres ».

b) Le rapport de Human Rights Watch de novembre 2008

28. En 2008, l’organisation non gouvernementale Human Rights Watch a été autorisée à visiter le centre de Petrou Ralli. Même s’ils n’ont pas eu la possibilité de s’entretenir en privé avec les détenus, ses représentants ont été en mesure de discuter brièvement avec un grand nombre d’entre eux dans leurs cellules et de constater les conditions qui y régnaient.

29. Le rapport de l’ONG affirmait qu’on ne pouvait pas se méprendre : le centre de Petrou Ralli était bien une prison. Toujours selon ce rapport, les détenus étaient placés dans des cellules qui se succédaient le long d’un couloir, chaque cellule avait cinq lits en béton, le quatrième mur de chaque cellule était fait de barres de fer, avec une porte qui donnait sur le couloir, ce qui excluait toute intimité pour les occupants des cellules. Le rapport indiquait en outre que les détenus devaient demander l’autorisation d’aller aux toilettes. Un homme aurait affirmé qu’il devait uriner dans une bouteille car les gardiens ne répondaient pas à ses demandes d’aller aux toilettes. Les gardiens auraient laissé les détenus sortir dans le couloir deux heures par jour, mais seulement une heure par semaine sur le toit du centre. D’après les représentants de Human Rights Watch, le centre semblait avoir été nettoyé avant la visite, mais de nombreux détenus s’étaient plaints des conditions d’hygiène.

c) Le rapport du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés

30. Dans son rapport de novembre 2010 concernant la Grèce, le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés notait que la surpopulation et les mauvaises conditions de vie dans les centres de rétention pour étrangers et les stations de police frontaliers avaient empiré à partir de l’entrée en vigueur en 2009 de la nouvelle loi sur la rétention des clandestins. Cette loi étendait la période maximale de détention à six voire à douze mois, ce qui avait entraîné une augmentation des détenus. Cette détérioration est particulièrement visible dans les centres situés à la frontière (notamment à Evros), mais des conditions similaires étaient observées en milieu urbain, notamment à Athènes (Direction des étrangers -Petrou Ralli-, l’aéroport international d’Athènes et plusieurs commissariats de police).

EN DROIT

I. JONCTION DES REQUÊTES

31. Compte tenu de la similitude des présentes requêtes quant aux faits et aux questions de fond qu’elles posent, la Cour décide de les joindre et de les examiner conjointement dans un seul arrêt.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

32. Les requérants allèguent que les conditions de détention dans les locaux de la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique, de la police chargée de l’immigration clandestine de Thessalonique (Kordelio) et de la de la sous-direction de l’Attique chargée des étrangers (centre de rétention de Petrou Ralli) étaient inhumains ou dégradants. Ils se plaignent à cet égard d’une violation de l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

33. La Cour constate que le présent grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) Le Gouvernement

34. D’après le Gouvernement, en ce qui concerne les locaux de la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique, ceux-ci comprennent neuf cellules fonctionnant depuis 2001, chacune d’une superficie de 8,85 m2. Chaque cellule dispose de deux toilettes et deux lave-mains offrant de l’eau chaude, auxquels les détenus peuvent avoir accès pendant toute la journée. Le Gouvernement note que les cellules sont suffisamment aérées et ensoleillées, qu’elles sont nettoyées chaque jour et désinfectées toutes les trois semaines. Un nombre suffisant de postes de télévision sont à la disposition des détenus. S’agissant de la restauration des détenus, le Gouvernement note qu’elle est prise en charge par une société privée offrant des repas de qualité suffisante. Enfin, selon le Gouvernement, les détenus ont la possibilité de communiquer avec l’extérieur soit par téléphone soit par correspondance. Ils peuvent recevoir des visites de leur cercle familial ou social ainsi que de leurs avocats à des jours fixes.

35. S’agissant des locaux de la police chargée de l’immigration clandestine de Thessalonique (Kordelio), le Gouvernement se réfère au rapport du CPT rendu suite à sa visite en Grèce en 2009. Bien que ces locaux aient fait l’objet d’une visite en 2009, le Comité n’aurait fait aucune observation particulière.

36. Enfin, en ce qui concerne la sous-direction de l’Attique chargée des étrangers (centre de rétention de Petrou Ralli), le Gouvernement affirme que pendant toute la durée de sa détention la requérante a été détenue dans une cellule pour cinq personnes d’une superficie de 12 m², équipée d’une toilette et d’une douche, bénéficiant d’une aération et d’un éclairage corrects et d’un système central de climatisation produisant de l’air frais et de l’air chaud. De manière générale, les conditions d’hygiène et la propreté des lieux seraient très satisfaisantes. Les toilettes et les lavabos, en nombre suffisant, seraient accessibles une fois toutes les heures, voire plus souvent en cas de nécessité. Une entreprise privée assurerait le nettoyage et la désinfection quotidienne des lieux. Par ailleurs, les détenus auraient droit à du linge de lit propre, à des produits d’hygiène corporelle ainsi qu’à des cartes téléphoniques pour communiquer avec leurs famille ou leur avocat.

37. À leur admission, tous les détenus seraient soumis à un examen médical par des médecins collaborant avec l’organisation non gouvernementale « Intervention médicale ». Les détenus souffrant de problèmes ne pouvant être traités à l’infirmerie seraient transférés à l’hôpital public. Il y aurait aussi une prise en charge des détenus par des psychologues de cette même organisation. L’alimentation des détenus serait assurée par les autorités et comprendrait petit déjeuner, déjeuner et dîner. Les repas seraient préparés dans les locaux de la Direction générale de la police d’Attique. Enfin, des visites aux détenus seraient permises quatre fois par semaine et ceux-ci seraient autorisés à recevoir de la part de visiteurs de l’argent ou d’autres objets. Quant à la communication avec les avocats, elle serait permise toute la journée. Enfin, les détenus auraient droit à une promenade quotidienne de 16 à 18 heures.

b) Les requérants

38. En ce qui concerne les locaux de la police chargée de l’immigration clandestine de Thessalonique (Kordelio), les requérants se réfèrent à la jurisprudence de la Cour en matière de détention d’étrangers en vue d’expulsion, notamment aux arrêts Dougoz c. Grèce (no 40907/98, CEDH 2001-II), S.D. c. Grèce (no 53541/07, 11 juin 2009), Tabesh c. Grèce (no 8256/07, 26 novembre 2009) et A.A. c. Grèce (no 12186/08, 22 juillet 2010), ainsi qu’aux rapports établis par diverses instances et divers organes internationaux tels que le CPT, le Rapporteur spécial de l’Organisation internationale des Nations Unies (ONU) sur la torture (mission de 2010), l’Amnesty International et aux articles publiés dans des journaux grecs (en 2009 et 2010) concernant les conditions de détention en Grèce en général et le service de la répression de l’immigration clandestine de Thessalonique en particulier.

39. En ce qui concerne le centre de rétention de Petrou Ralli, les requérants se prévalent de la jurisprudence y relative de la Cour, et notamment de l’arrêt Bygylashvili c. Grèce (no 58164/10, 25 septembre 2012). Ils se réfèrent aussi à des rapports établis par diverses organisations internationales telles que Human Rights Watch de 2008, le Haut Commissaire des Nations unies pour les réfugiés et le rapporteur spécial de l’ONU sur la torture de 2010, et des articles des journaux grecs (en 2009 et 2010).

40. En particulier, la première requérante affirme qu’au centre de Kordelio, elle est restée pour une période de quatre mois dans une cellule sale de douze mètres carrés qu’elle devait partager avec douze autres détenues. Elle allègue que la somme de 5,87 euros qui lui était distribuée chaque jour pour se nourrir, ne lui permettait de manger que des pizzas et des sandwichs. Quant au centre de Petrou Ralli, elle relève que les conditions de détention y étaient cauchemardesques. Elle partageait sa cellule avec dix autres personnes. Elle n’avait pas de lit ni d’accès direct aux toilettes, ce qui l’obligeait parfois de faire ses besoins dans un pot en plastique et sous le regard de ses codétenus. La requérante se plaint aussi de la piètre qualité de la nourriture dans le centre précité.

41. Le second requérant maintient ses allégations notamment sur le surpeuplement, la nourriture insuffisante et le manque de contact avec le monde extérieur (voir paragraphe 19 ci-dessus).

2. Appréciation de la Cour

42. La Cour réaffirme tout d’abord que l’article 3 de la Convention consacre l’une des valeurs les plus fondamentales des sociétés démocratiques. Il prohibe en termes absolus la torture et les traitements ou peines inhumains ou dégradants, quels que soient les circonstances et les agissements de la victime (voir, par exemple, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 119, CEDH 2000‑IV).

43. Pour tomber sous le coup de l’article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de l’espèce, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge, de l’état de santé de la victime (voir, parmi d’autres, Van der Ven c. Pays-Bas, no 50901/99, § 47, CEDH 2003‑II). La Cour a ainsi jugé un traitement « inhumain » au motif notamment qu’il avait été appliqué avec préméditation pendant des heures et qu’il avait causé soit des lésions corporelles, soit de vives souffrances physiques ou mentales ; elle a par ailleurs considéré qu’un traitement était « dégradant » en ce qu’il était de nature à inspirer à ses victimes des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à les humilier et à les avilir (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 92, CEDH 2000‑XI).

44. Les mesures privatives de liberté s’accompagnent inévitablement de souffrance et d’humiliation. S’il s’agit là d’un état de fait inéluctable qui, en tant que tel et à lui seul n’emporte pas violation de l’article 3, cette disposition impose néanmoins à l’Etat de s’assurer que toute personne est détenue dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités de sa détention ne la soumettent pas à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à une telle mesure et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, sa santé et son bien-être sont assurés de manière adéquate (Kudła, précité, §§ 92-94 ; Ramirez Sanchez c. France [GC], no 59450/00, § 119, CEDH 2006‑IX).

45. Si les Etats sont autorisés à placer en détention des candidats à l’immigration en vertu de leur « droit indéniable de contrôler (...) l’entrée et le séjour des étrangers sur leur territoire » (Amuur c. France, 25 juin 1996, § 41, Recueil des arrêts et décisions 1996‑III), ce droit doit s’exercer en conformité avec les dispositions de la Convention (Mahdid et Haddar c. Autriche (déc.), no 74762/01, CEDH 2005-XIII). La Cour doit avoir égard à la situation particulière de ces personnes lorsqu’elle est amenée à contrôler les modalités d’exécution de la mesure de détention à l’aune des dispositions conventionnelles (Riad et Idiab c. Belgique, nos 29787/03 et 29810/03, § 100, 24 janvier 2008).

46. En l’espèce, la Cour note que la première requérante a été détenue pour quatre mois dans les locaux de la police chargée de l’immigration clandestine de Thessalonique (Kordelio) et ensuite pour deux mois au centre de rétention de Petrou Ralli. Quant au second requérant, il a été détenu pour quatre mois environ à la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique. La Cour relève qu’elle a déjà conclu à la violation de l’article 3 de la Convention en raison du caractère inadéquat des conditions de détention prévalant aux centres de rétention faisant l’objet de la présente requête. En ce qui concerne la police chargée de l’immigration clandestine de Thessalonique (Kordelio), elle a considéré dans l’arrêt Chkhartishvili c. Grèce (no 22910/10, 2 mai 2013), que les conditions de détention, pour une période s’étalant de fin 2009 à avril 2010, n’étaient pas conformes à l’article 3. En particulier, la Cour a constaté des déficiences quant à la qualité de la restauration et la possibilité d’exercice physique pour la requérante (Chkhartishvili, précité, § 59). S’agissant du centre de rétention de Petrou Ralli, la Cour a déjà jugé dans l’arrêt Bygylashvili (précité) que les conditions de détention de la requérante, détenue de juillet 2010 à janvier 2011, n’étaient pas conformes à l’article 3 de la Convention, en raison notamment du surpeuplement qui prévalait dans ces locaux (Bygylashvili, précité, § 59). La Cour relève que les périodes concernées par les deux arrêts précités coïncident en partie avec celles relatives à la détention des deux requérants en l’espèce.

47. De surcroît, les allégations de la première requérante quant au centre de rétention de Petrou Ralli pour la période de décembre 2010 à janvier 2011 ainsi que des périodes postérieures aux faits, sont corroborées par plusieurs rapports concordants d’organes internationaux suite à des visites effectuées avant et après la période litigieuse. En particulier, dans son rapport publié le 17 novembre 2010, suite à sa visite en Grèce du 17 au 29 septembre 2009, le CPT a relevé entre autres des problèmes relatifs à l’hygiène personnelle des détenus. De surcroît, dans son rapport de 2012, publié suite à sa visite en Grèce en janvier 2011, le CPT a constaté que la conception du centre de Petrou Ralli, parmi d’autres centres de rétention, était inappropriée pour la détention de migrants en situation irrégulière. Le CPT s’est notamment référé aux cellules avec des barres du sol au plafond ne garantissant pas d’intimité (voir paragraphe 27 ci-dessus). En outre, dans son rapport de novembre 2010, le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés notait, parmi d’autres, une détérioration des conditions de détention à la Direction des étrangers à Petrou Ralli suite à l’entrée en vigueur en 2009 de la nouvelle loi sur la rétention des immigrés en situation irrégulière (voir paragraphe 30 ci-dessus).

48. Enfin, la Cour note que, comme le Gouvernement le relève, la première requérante a dû partager au centre de Petrou Ralli sa cellule d’une superficie de 12 m2 avec cinq autres détenus. Elle disposait donc un espace personnel de moins de 3 m2 ce qui, en principe, justifie, à lui seul, le constat de violation de l’article 3 (voir paragraphe 36 ci-dessus, ainsi que Samaras et autres c. Grèce, no 11463/09, § 58, 28 février 2012 ; Aleksandr Makarov c. Russie, no 15217/07, § 93, 12 mars 2009). Au vu de ce qui précède, la Cour en déduit que la première requérante, détenue dans les locaux de la police de Kordelio et du centre de Petrou Ralli du 9 août 2010 au 9 février 2011, y a été soumise à des conditions de détention qui n’étaient pas conformes à l’article 3 de la Convention.

49. Quant au second requérant et la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique, la Cour relève que dans son arrêt Tabesh (précité), elle a déjà considéré que le fait d’y maintenir l’intéressé pour une période de trois mois, au début de 2007, s’est analysé en un traitement dégradant au sens de l’article 3 de la Convention. La Cour a notamment relevé des insuffisances quant aux activités récréatives et à la restauration appropriée de l’intéressé. Elle a ajouté que les locaux en cause n’étaient pas des lieux appropriés pour la détention que le requérant, mis en détention en vue de son expulsion administrative, avait dû subir (Tabesh, précité, § 43). La Cour note que ses considérations dans l’arrêt Tabesh sont corroborées, en ce qui concerne la période postérieure à cet arrêt, par le rapport d’Amnesty International de 2010 qui fait état au début de cette année du problème de surpeuplement, de l’impossibilité d’activités récréatives et de l’insuffisance des repas offerts (voir paragraphe 23 ci-dessus). En outre, la Cour note que dans sa déclaration publique de janvier 2011 le CPT a en général constaté que les commissariats de police et des gardes-frontière abritaient un nombre sans cesse plus important d’étrangers en situation irrégulière dans des conditions bien pires encore qu’auparavant (voir paragraphe 26 ci-dessus). Par conséquent, la Cour en déduit que le second requérant, détenu aux locaux de la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique du 26 août au 28 décembre 2010, y a été soumis à des conditions de détention qui n’étaient pas conformes à l’article 3 de la Convention.

50. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 3 de la Convention en raison des conditions générales de vie prévalant dans les locaux de la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique, de la police chargée de l’immigration clandestine de Thessalonique (Kordelio) et de la sous-direction de l’Attique chargée des étrangers (centre de rétention de Petrou Ralli), qui ont constitué à l’endroit des deux requérants un traitement dégradant.

III. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 5 DE LA CONVENTION

51. Les requérants se plaignent de l’illégalité de leur mise en détention aux centres de rétention précités en vue de leur expulsion. En outre, ils se plaignent qu’ils ne disposaient d’aucun recours réel et effectif pour contester la légalité de leur détention. Ils invoquent l’article 5 §§ 1 et 4 de la Convention, disposition dont les parties pertinentes en l’espèce sont ainsi libellées :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(...)

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. »

(...)

« 4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

A. Sur le grief tiré de l’article 5 § 1 relatif à l’irrégularité de la détention

1. Sur la recevabilité

52. La Cour constate que le présent grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

2. Sur le fond

a) Thèses des parties

53. Le Gouvernement allègue que la mise en détention des requérants était légale, puisqu’elle visait à permettre leur expulsion et se fondait sur l’article 76 de la loi no 3386/2005. En particulier, en ce qui concerne la première requérante, il allègue qu’elle a été détenue pour une période de six mois, que sa demande d’asile a été examinée avec célérité et que la requérante n’avait pas facilité la procédure de son expulsion, notamment en soumettant une demande d’asile infondée. Quant au second requérant, le Gouvernement argue notamment qu’il était resté sur le territoire grec en possession de faux documents, acte pour lequel il a été condamné par le tribunal correctionnel de Thessalonique. Selon le Gouvernement, la période de détention du requérant n’a pas été excessive et les autorités compétentes ont fait montrer de diligence quant à la matérialisation de la décision d’expulsion.

54. Les requérants rétorquent que leur détention n’était pas conforme aux exigences de la Convention, du fait notamment que les autorités internes n’ont pas examiné la situation de chacun d’eux avec la diligence requise et dans le respect de leurs droits. Ils ajoutent que les conditions de vie dans les locaux des centres de rétention précités sont un élément important à prendre en compte dans l’appréciation de la conformité de leur détention à l’article 5 § 1 f) de la Convention.

b) Appréciation de la Cour

55. L’examen du but et de l’objet de l’article 5 dans son contexte et des éléments de droit international fait ressortir l’importance de cette disposition dans le système de la Convention : elle consacre un droit fondamental de l’homme, à savoir la protection de l’individu contre les atteintes arbitraires de l’Etat à sa liberté (voir, notamment, Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 37, série A no 33).

56. Si la règle générale exposée à l’article 5 § 1 est que toute personne a droit à la liberté, l’alinéa f) de cette disposition prévoit une exception en permettant aux Etats de restreindre la liberté des étrangers dans le cadre du contrôle de l’immigration. Ainsi que la Cour l’a déjà observé, sous réserve de leurs obligations en vertu de la Convention, les Etats jouissent du « droit indéniable de contrôler souverainement l’entrée et le séjour des étrangers sur leur territoire » (Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 73 Recueil 1996‑V ; Saadi c. Royaume-Uni [GC], no 13229/03, § 64, CEDH 2008).

57. Il est bien établi dans la jurisprudence de la Cour relative aux différents alinéas de l’article 5 § 1 que toute privation de liberté doit non seulement relever de l’une des exceptions prévues aux alinéas a) à f), mais aussi être « régulière ». En matière de « régularité » d’une détention, y compris l’observation des « voies légales », la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en observer les normes de fond comme de procédure. Toutefois, le respect du droit national n’est pas suffisant : l’article 5 § 1 exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but consistant à protéger l’individu contre l’arbitraire (voir, parmi bien d’autres, Winterwerp, précité, § 37, et Witold Litwa c. Pologne, no 26629/95, § 78, CEDH 2000‑III). Il est un principe fondamental selon lequel nulle détention arbitraire ne peut être compatible avec l’article 5 § 1, et la notion d’« arbitraire » que contient l’article 5 § 1 va au-delà du défaut de conformité avec le droit national, de sorte qu’une privation de liberté peut être régulière selon la législation interne tout en étant arbitraire et donc contraire à la Convention.

58. Ainsi, la Cour doit s’assurer que le droit interne se conforme lui‑même à la Convention, y compris aux principes généraux énoncés ou impliqués par elle. Sur ce dernier point, la Cour souligne que lorsqu’il s’agit d’une privation de liberté, il est particulièrement important de satisfaire au principe général de la sécurité juridique. Par conséquent, il est essentiel que les conditions de la privation de liberté en vertu du droit interne soient clairement définies et que la loi elle-même soit prévisible dans son application, de façon à remplir le critère de « légalité » fixé par la Convention, qui exige que toute loi soit suffisamment précise pour permettre au citoyen – en s’entourant au besoin de conseils éclairés – de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé (Baranowski c. Pologne, no 28358/95, §§ 50-52, CEDH 2000-III).

59. Il ressort de la jurisprudence relative à l’article 5 § 1 f) que pour ne pas être taxée d’arbitraire, la mise en œuvre d’une mesure de détention doit se faire de bonne foi ; elle doit aussi être étroitement liée au but consistant à empêcher une personne de pénétrer irrégulièrement sur le territoire ; en outre, les lieu et conditions de détention doivent être appropriés ; enfin, la durée de la détention ne doit pas excéder le délai raisonnable nécessaire pour atteindre le but poursuivi (voir Saadi, précité, § 74).

60. En l’occurrence, la Cour note, en premier lieu, que la privation de liberté des requérants était fondée sur l’article 76 de la loi no 3386/2005. Partant, la Cour estime que dans tous les cas de figure les requérants tombent sous le coup de l’alinéa f) de l’article 5 § 1 de la Convention et trouvaient un fondement en droit interne. La Cour rappelle sur ce point que, dans le cadre de l’article 5 § 1 f), tant qu’un individu est détenu dans le cadre d’une procédure d’expulsion, rien n’exige des motifs raisonnables de croire à la nécessité de la détention pour, par exemple, empêcher l’intéressé de commettre une infraction ou de s’enfuir (Chahal, précité, § 112). Au vu de ce qui précède, la Cour considère que la détention des requérants servait le but de les empêcher de rester irrégulièrement sur le territoire grec et de garantir la possibilité de procéder à leur expulsion. Par conséquent, elle estime que la bonne foi des autorités compétentes ne peut pas être mise en question en l’espèce.

61. En deuxième lieu, ayant conclu à une violation de l’article 3 en raison des conditions de détention dans les lieux de détention en cause, la Cour n’estime pas nécessaire de se placer séparément une fois de plus sur ce terrain sous l’angle de l’article 5 § 1 f) (voir Horshill c. Grèce, no 70427/11, § 65, 1er août 2013).

62. En troisième lieu, s’agissant de la durée de la détention, la Cour rappelle que, dans le contexte de l’article 5 § 1 f), seul le déroulement de la procédure d’expulsion justifie la privation de liberté fondée sur cette disposition et que, si la procédure n’est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d’être justifiée (Chahal, précité, § 113 ; Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, no 25389/05, § 74, CEDH 2007‑II). En l’espèce, la Cour note que la détention des deux requérants, ordonnée en vue de leur expulsion, n’était pas possible dans l’immédiat en raison des démarches administratives nécessaires pour chacun d’entre eux pour assurer leur expulsion. Comme il ressort du dossier, la durée de la détention de chaque requérant dépendait de la spécificité de son cas.

i) En ce qui concerne la première requérante

63. S’agissant de la première requérante, la Cour note qu’elle est restée en détention pour une période de six mois, à savoir du 9 août 2010 au 9 février 2011, date à laquelle elle a été remise en liberté après l’expiration du délai maximum prescrit par la législation pertinente. La Cour convient tout d’abord avec le Gouvernement que le laps de temps d’un mois et demi environ pour l’examen de la demande d’asile de la requérante, soumise le 21 août 2010, ne saurait en tant que tel être imputable aux autorités nationales du fait, qu’en vertu du droit interne et international, pendant cette période l’expulsion de la requérante n’était pas permise. En outre, ledit délai ne saurait être considéré comme déraisonnable dans les circonstances de l’espèce.

64. Il n’en reste pas moins que, comme il ressort du dossier, au cours de la période pendant laquelle la requérante a été détenue, les autorités internes n’ont pas procédé aux démarches nécessaires pour lui faire délivrer des titres de voyage en vue de son expulsion. La Cour prend note sur ce point du fait que dans sa décision no 1198/2010, la présidente du tribunal administratif de Thessalonique, avait constaté que l’expulsion de la première requérante était possible parce qu’elle n’avait pas prouvé qu’elle ait entretemps perdu ses documents de voyage. Or, dans les quatre mois environ qui se sont écoulés après la décision no 1198/2010, les autorités n’ont pas pu matérialiser l’expulsion. En effet, si elles considéraient que la requérante n’avait pas de passeport, elles auraient dû contacter les autorités indonésiennes pour lui faire délivrer des documents de voyage, ce qui ne ressort pas du dossier. En outre, si les autorités internes estimaient que la requérante refusait de coopérer avec elles, elles auraient pu prolonger sa détention en vertu de l’article 76 § 3 de la loi no 3386/2005, ce qui n’a pas été le cas non plus.

65. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que les autorités internes n’ont pas agi avec la diligence requise afin d’atteindre le but poursuivi de son expulsion.

ii) En ce qui concerne le second requérant

66. S’agissant du second requérant, la Cour relève tout d’abord qu’il a été détenu pour une période de quatre mois environ, à savoir du 26 août au 28 décembre 2010, date à laquelle il a été remis en liberté en vertu de la décision no 1460/2010 de la présidente du tribunal administratif de Thessalonique. La Cour estime qu’un tel délai ne peut pas être considéré comme excessif dans les circonstances de l’espèce pour l’accomplissement des formalités administratives en vue de la matérialisation de l’expulsion du requérant. En particulier, la diligence des autorités compétentes ne saurait être mise en cause, puisque dès le 1er septembre 2010 elles ont contacté les autorités géorgiennes afin de faire délivrer au requérant les titres de voyage requis ; celles-ci n’ont répondu aux autorités grecques que le 8 décembre 2010, à savoir dans un délai de trois mois environ qui ne saurait être imputable aux autorités internes. En outre, la Cour note que dans le cas d’espèce la demande d’asile du requérant a été traitée dans un délai de moins d’un mois, ce qui ne saurait être considéré comme déraisonnable dans les circonstances de l’espèce. Par conséquent la durée de la détention ne prête pas à critique dans le cas du second requérant.

c) Conclusion

67. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 f) en ce qui concerne la première requérante et qu’il n’y a pas eu violation de cette disposition dans le cas du second requérant.

B. Sur le grief tiré de l’article 5 § 4 relatif à l’ineffectivité du contrôle juridictionnel de la détention

1. Sur la recevabilité

68. La Cour constate que le présent grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

2. Sur le fond

a) Thèses des parties

69. Le Gouvernement allègue qu’en vertu de la loi no 3900/2010, l’article 76 de la loi no 3386/2005 a été modifié et le juge administratif a dorénavant expressément le pouvoir de contrôler la légalité de la détention des personnes qui se trouvent sous écrou en vue de leur expulsion. En ce sens, le Gouvernement soumet à la Cour des décisions adoptées par des présidents des tribunaux administratifs en 2011 et 2012 dans lesquelles l’état de la santé des intéressés ou le fait qu’ils étaient des mineurs a été pris en compte afin de conclure si leur détention devait être poursuivie. Enfin, le Gouvernement affirme que la décision no 1198/2010 de la présidente du tribunal administratif de Thessalonique a examiné si dans le cas de la première requérante l’expulsion était possible. En outre, dans le cas du second requérant, la décision no 1460/2010 de la présidente du tribunal administratif de Thessalonique a pris en compte le fait qu’il n’était pas dangereux et que le rejet de sa demande d’asile n’était pas définitif.

70. Les requérants rétorquent qu’à l’époque des faits la législation interne ne leur permettait pas de contester la légalité de leur détention.

b) Appréciation de la Cour

71. La Cour rappelle que le concept de « lawfulness » (« régularité », « légalité ») doit avoir le même sens au paragraphe 4 de l’article 5 qu’au paragraphe 1, de sorte qu’une personne détenue a le droit de faire contrôler sa détention sous l’angle non seulement du droit interne, mais aussi de la Convention, des principes généraux qu’elle consacre et du but des restrictions qu’autorise le paragraphe 1. L’article 5 § 4 ne garantit pas le droit à un contrôle juridictionnel d’une ampleur telle qu’il habiliterait le tribunal à substituer sur l’ensemble des aspects de la cause, y compris des considérations de pure opportunité, sa propre appréciation à celle de l’autorité dont émane la décision. Il n’en veut pas moins un contrôle assez ample pour s’étendre à chacune des conditions indispensables à la régularité de la détention d’un individu au regard du paragraphe 1 (Chahal, précité, § 127 ; Dougoz, précité, § 61).

72. En l’espèce, la Cour note, tout d’abord, qu’en ce qui concerne les objections qu’un étranger peut former à l’encontre de la décision ordonnant sa détention en vue de son expulsion, le quatrième paragraphe de l’article 76 de la loi no 3386/2005 prévoyait à l’époque des faits que ledit organe judiciaire pouvait examiner la décision de la détention uniquement sur le terrain du risque de fuite ou de danger pour l’ordre public. La Cour a, à plusieurs reprises, considéré que cette formulation était empreinte d’ambiguïté dans la mesure où, tel qu’il était rédigé, l’article 76 § 4 n’accordait pas expressément au juge le pouvoir d’examiner la légalité du renvoi qui constituait, selon le droit grec, le fondement juridique de la détention (R.U. c. Grèce, no 2237/08, § 103, 7 juin 2011 ; A.A. c. Grèce, précité, § 73 ; Tabesh, précité, § 62 ; S.D. c. Grèce, précité, § 73). Il est vrai qu’en vertu de la loi no 3900/2010 le paragraphe 4 de l’article 76 de la loi no 3386/2005 a été modifié et prévoit désormais que le juge compétent « se prononce aussi sur la légalité de la détention ou de sa prolongation ». Il ressort de cette nouvelle formulation que le juge compétent peut dorénavant examiner la légalité du renvoi ainsi que les questions afférentes aux conditions matérielles de la détention de la personne en voie d’expulsion, dans la mesure où la loi pertinente prévoit maintenant explicitement l’examen de la légalité de la détention. Or, la Cour note que la loi no 3900/2010 est entrée en vigueur le 1er janvier 2011, tandis qu’en l’occurrence les faits litigieux, quant au grief tiré de l’article 5 § 4, ont eu lieu fin 2009 et durant l’année 2010. Partant, les conclusions auxquelles la Cour est déjà parvenue dans la jurisprudence précitée quant à l’effectivité des objections devant le président du tribunal administratif sont aussi valables dans la présente affaire.

73. La Cour considère que ces insuffisances du droit interne à l’époque des faits quant à l’effectivité du contrôle juridictionnel de la mise en détention aux fins d’expulsion ne peuvent se concilier avec les exigences de l’article 5 § 4 de la Convention. Elle conclut donc qu’il y a eu violation de cette disposition.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

74. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

75. La première requérante réclame 10 000 euros (EUR) et le second requérant 15 000 EUR au titre du préjudice moral qu’ils auraient subi.

76. Le Gouvernement soutient que ces sommes sont excessives et non justifiées par les circonstances de la cause. Il ajoute que la somme allouée par la Cour ne saurait dépasser 1 000 EUR pour chacun des requérants.

77. Compte tenu du nombre et de la gravité des violations constatées dans la présente affaire, la Cour estime que les requérants doivent percevoir une indemnité pour le dommage moral subi. Statuant en équité, comme le veut l’article 41, elle estime qu’il y a lieu d’octroyer à chaque requérant 8 000 EUR au titre du dommage moral subi.

B. Frais et dépens

78. Les requérants demandent 2 500 EUR dans chacune des présentes affaires pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes. Ils ne produisent pas de facture ou de note d’honoraires. En ce qui concerne les frais et dépens devant la Cour, les requérants soumettent la copie d’un accord entre eux et leurs représentants, aux termes duquel ils paieront leurs avocats à l’issue de la procédure.

79. Le Gouvernement soutient que les demandes au titre des frais et dépens sont excessives et doivent être rejetées.

80. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Creangă c. Roumanie [GC], no 29226/03, § 130, 23 février 2012). La Cour juge établi que les requérants ont réellement exposé des frais, quant à la procédure devant elle, dès lors qu’en leur qualité de clients ils ont contracté l’obligation juridique de payer leurs représentants en justice sur une base convenue (voir, mutatis mutandis, Sanoma Uitgevers B.V. c. Pays-Bas, no 38224/03, § 110, 31 mars 2009, et M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], no 30696/09, § 414, CEDH 2011). Elle estime raisonnable d’accorder à ce titre la somme de 2 000 EUR conjointement aux deux requérants, plus tout montant pouvant être dû par eux à titre d’impôt.

C. Intérêts moratoires

81. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide de joindre les requêtes ;

2. Déclare les requêtes recevables ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention en ce qui concerne la première requérante ;

5. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention dans le cas du second requérant ;

6. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;

7. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention :

i. 8 000 EUR (huit mille euros) à chacun des requérants, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

ii. 2 000 EUR (deux mille euros) conjointement aux requérants pour les frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû par eux à titre d’impôt ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

8. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 avril 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren NielsenIsabelle Berro-Lefèvre
GreffierPrésidente

* * *

[1] Rectifié le 3 novembre 2014 : l’orthographe du nom de famille du requérant était incorrect (« Seradishvili »).

[2] Rectifié le 3 novembre 2014 : l’orthographe du nom de famille du requérant était incorrect (« Seradishvili »).

[2]


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