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14/01/2021 | CEDH | N°001-207546

CEDH | CEDH, AFFAIRE E.K. c. GRÈCE, 2021, 001-207546


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE E.K. c. GRÈCE

(Requête no 73700/13)

ARRÊT


Art 3 (matériel) • Conditions de détention • Seuil de gravité non atteint

Art 5 § 1 f) • Régularité de la détention en vue de l’expulsion éventuelle d’un demandeur d’asile • Demande d’asile finalement accueillie après presque six mois de détention • Droit interne respecté • Diligence suffisante de l’instruction de la demande d’asile

Art 5 § 4 • Contrôle de la légalité de la détention d’un étranger • Moyens relatifs aux conditions

de détention méritant réponse

STRASBOURG

14 janvier 2021

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE E.K. c. GRÈCE

(Requête no 73700/13)

ARRÊT

Art 3 (matériel) • Conditions de détention • Seuil de gravité non atteint

Art 5 § 1 f) • Régularité de la détention en vue de l’expulsion éventuelle d’un demandeur d’asile • Demande d’asile finalement accueillie après presque six mois de détention • Droit interne respecté • Diligence suffisante de l’instruction de la demande d’asile

Art 5 § 4 • Contrôle de la légalité de la détention d’un étranger • Moyens relatifs aux conditions de détention méritant réponse

STRASBOURG

14 janvier 2021

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire E.K. c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une Chambre composée de :

Krzysztof Wojtyczek, président,

Linos-Alexandre Sicilianos,
Alena Poláčková,

Péter Paczolay,
Gilberto Felici,
Erik Wennerström,
Lorraine Schembri Orland, juges,

et de Renata Degener, greffière adjointe de section,

Vu :

la requête (no 73700/13) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant turc, M. E.K. (« le requérant ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 18 novembre 2013,

la décision de porter à la connaissance du gouvernement grec (« le Gouvernement ») les griefs concernant les articles 3 et 5 §§ 1 et 4 de la Convention et de déclarer irrecevable la requête pour le surplus,

la décision de ne pas dévoiler l’identité du requérant et de ne pas communiquer la présente requête au Gouvernement turc (article 44 § 1 a) du Règlement et arrêt I c. Suède, no 61204/09, §§ 41-45, 5 septembre 2013),

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er décembre 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La requête concerne les conditions de détention du requérant dans les postes frontières de Soufli et de Feres, la sous-direction des étrangers de l’Attique (Petrou Ralli) et le centre de détention d’Amygdaleza (article 3), la légalité de sa détention (article 5 § 1), ainsi que l’efficacité du contrôle de légalité de cette dernière (article 5 § 4).

EN FAIT

2. Le requérant est né en 1985. Il est représenté par Mes M. Spiliotakara et V. Kerasiotis, avocats au barreau d’Athènes.

3. Le Gouvernement a été représenté par les déléguées de son agent, Mmes G. Papadaki, assesseure auprès du Conseil juridique de l’État et Z. Chatzipavlou, auditrice auprès du Conseil juridique de l’État.

1. La procédure relative à l’expulsion et la détention du requérant

4. Le 19 juin 2013, le requérant fut arrêté à Tychero par les services des postes-frontières pour entrée illégale dans le pays (article 83 de la loi no 3386/2005) et fut présenté devant le procureur près le tribunal correctionnel d’Alexandroupoli.

5. Le 20 juin 2013, le tribunal correctionnel d’Alexandroupoli siégeant en formation de juge unique ajourna l’examen de l’affaire du requérant pour le 21 juin 2013 et ordonna son maintien en détention (décision no 1459/2013).

6. Le 21 juin 2013, le tribunal correctionnel condamna le requérant pour entrée illégale dans le pays à une peine d’emprisonnement de deux ans avec sursis (jugement no 1461/2013).

7. Le même jour, le requérant fut arrêté pour entrée illégale sur le territoire en vue de son expulsion (article 76 de la loi no 3386/2005). Selon le récépissé de signification, datant du 21 juin 2013 et fourni par les parties, le requérant reçut une brochure explicative destinée aux détenus étrangers en voie d’expulsion, rédigée en grec et en turc, et fut informé de ses droits. À cet égard, le requérant indique que la brochure explicative ne précisait ni le motif de sa détention, ni les voies de recours disponibles, ni les possibilités d’accès à l’assistance juridique. Il ajoute que le procès verbal de l’arrestation lui fut notifié en grec et qu’il ne lui fut jamais traduit en turc, de sorte qu’il ne fut pas informé dans sa langue des motifs de sa détention.

8. Également le 21 juin 2013, le chef de la direction de la police d’Alexandroupoli ordonna la détention provisoire du requérant, au motif que ce dernier risquait de fuir, jusqu’à ce qu’une décision concernant son expulsion fût prise, dans un délai de trois jours maximum (article 76 de la loi no 3386/2005) (décision no 9760/20-5871/1-α). Selon le récépissé de signification, signé par le requérant, en date du 21 juin 2013, fourni par les parties, cette décision fut signifiée au requérant le jour même et le requérant en fut informé en langue turque, avec l’assistance d’un interprète, ainsi que de la possibilité de formuler dans un délai de 48 heures des objections écrites ou orales. Selon le requérant, ladite décision ne lui fut pas traduite en turc et il ne fut informé dans sa langue, ni des motifs de sa détention, ni des recours disponibles. Le requérant indique qu’il lui fut demandé de signer le formulaire d’accusé de réception en grec.

9. Le 22 juin 2013, le requérant, qui depuis le 19 juin 2013 était détenu au poste-frontière de Soufli, exprima par écrit son souhait de déposer une demande d’asile. Cette demande fut transmise le jour même aux services régionaux d’asile de l’Attique et d’Alexandroupoli.

10. Le même jour, le chef de la direction de la police d’Alexandroupoli décida le maintien en détention du requérant jusqu’au prononcé de la décision relative à sa demande d’asile, pour une durée initiale ne pouvant pas dépasser 90 jours après le dépôt de sa demande, aux fins d’un examen rapide et efficace de sa demande (article 13 du décret présidentiel no 114/2010) (décision no 54017-189-α). Selon le récépissé de signification, signé par le requérant, en date du 22 juin 2013, fourni par le Gouvernement, cette décision fut remise au requérant le jour même et le requérant en fut informé en langue turque avec l’assistance d’un interprète, ainsi que de la possibilité d’exercer le recours prévu à l’article 76 de la loi no 3386/2005. Selon le requérant, cette décision ne fut cependant jamais signifiée, ni à lui, ni à son avocat. Il indiqua que le 8 novembre 2013, son avocat demanda un certificat énumérant les lieux de détention dans lesquels il fut détenu et les décisions y relatives, et que le 23 décembre 2013, il demanda cette liste et une copie du dossier de sa détention, disponible auprès de la direction des étrangers de l’Attique. Il soutint que les copies fournies à son avocat ne comprenaient pas copie de la décision litigieuse.

11. Le 26 juin 2013, le chef de la direction de la police d’Alexandroupoli ordonna l’expulsion du requérant et son maintien en détention pour une période ne pouvant pas dépasser les six mois, au motif que ce dernier risquait de fuir (article 76 de la loi no 3386/2005) (décision no 9760/20-5871/1-β). Selon le récépissé de signification, signé par le requérant le 26 juin 2013, fourni par les parties, cette décision fut remise au requérant le jour même et le requérant en fut informé en langue turque avec l’assistance d’un interprète, ainsi que de la possibilité d’exercer les recours prévus aux articles 76 et 77 de la loi no 3386/2005. Selon le requérant, la décision lui fut communiquée en grec et on lui demanda de signer le récépissé de signification en grec, mais il ne fut informé dans sa langue ni du contenu de cette décision ni des recours à sa disposition.

12. Le 4 juillet 2013, le requérant fut transféré dans les locaux du poste‑frontière de Feres.

13. Le 8 juillet 2013, le service d’asile informa le poste-frontière de Feres que l’enregistrement de la demande d’asile du requérant allait avoir lieu le 16 juillet 2013 dans le bureau régional d’asile de l’Attique.

14. Le 10 juillet 2013, le requérant fut transféré à la direction des étrangers de l’Attique et le 12 juillet 2013, il fut placé dans les locaux de la sous-direction des étrangers de l’Attique (Petrou Ralli).

15. Le 16 juillet 2013, la demande d’asile du requérant fut enregistrée par le service d’asile de l’Attique.

16. Le 23 juillet 2013, le chef de la direction des étrangers de l’Attique ordonna le maintien en détention du requérant pour une période initiale ne pouvant pas dépasser les 90 jours (article 13 du décret présidentiel no 114/2010 et décret présidentiel no 116/2013) (décision no 533042/1). La décision ordonnant la détention du requérant était ainsi libellée :

« Étant donné qu’une ou plusieurs des raisons suivantes sont valables : a) il ne dispose pas de documents de voyage ou les a détruits et il est nécessaire de vérifier son identité, les conditions de son entrée et les données relatives à ses origines véritables, b) il représente une menace pour la sécurité nationale ou l’ordre public ou en raison des circonstances d’espèce (...) et c) la détention est jugée nécessaire pour un examen rapide et efficace de la demande (d’asile) (...) ».

17. Selon le récépissé de signification, signé par le requérant le 2 août 2013, fourni par les parties, le requérant fut informé ce jour-là de cette décision, avec l’aide d’un interprète « en langue syrienne », une langue qu’il ne comprenait pas, ainsi que de la possibilité d’exercer le recours prévu à l’article 76 par. 3 de la loi no 3386/2005.

18. Le 23 juillet 2013, la même décision avait été rectifiée et sa nouvelle version prévoyait que la détention du requérant ne pouvait pas dépasser les six mois et que la détention était nécessaire pour un examen rapide et efficace de sa demande d’asile (article 12 du décret présidentiel no 113/2013). Selon le récépissé de signification, signé par le requérant le 25 octobre 2013, fourni par les parties, le requérant fut informé de cette décision le même jour, ainsi que de la possibilité d’exercer le recours prévu à l’article 76 § 3 de la loi no 3386/2005.

19. Le même jour, eut lieu l’entretien relatif à la demande d’asile du requérant.

20. Le 30 juillet 2013, le requérant fut transféré au centre de détention d’Amygdaleza.

21. Le 31 juillet 2013, le requérant déposa des objections devant le tribunal administratif de première instance du Pirée contre la décision no 9760/20-5871/1-β du 26 juin 2013 ordonnant sa détention.

22. Le même jour, le tribunal administratif mit fin à la procédure suite au désistement du requérant.

23. Le 1er août 2013, le requérant déposa des objections devant le tribunal administratif de première instance d’Athènes contre la décision no 9760/20-5871/1-β du 26 juin 2013 ordonnant sa détention. Le requérant y dénonça ses conditions de détention, se plaignant notamment d’un état de surpopulation, de températures élevées, du manque d’eau potable et d’exercice physique, ainsi que de l’absence de soins médicaux et de produits d’hygiène. Il soumit à cet égard des rapports d’organisations internationales et des articles de presse. Il alléguait enfin qu’il avait une adresse stable à Athènes, produisant une attestation à cet égard.

24. Le 5 août 2013, les objections du requérant furent rejetées au motif que sa détention était nécessaire pour un examen rapide et efficace de sa demande d’asile (décision no 4194/2013) et car il risquait de fuir. La présidente du tribunal administratif considéra notamment que le requérant n’avait pas prouvé qu’il avait une adresse stable. Elle considéra par ailleurs que les documents qu’il avait produits concernant ses conditions de détention n’étaient pas actuels et que leur traduction n’était pas certifiée.

25. Le 13 septembre 2013, le requérant déposa des objections devant le tribunal administratif d’Athènes contre la décision no 533042/1 du 23 juillet 2013 et la décision no 9760/20-5871/1-α du 21 juin 2013 ordonnant sa détention. Le requérant y dénonça également ses conditions de détention. Il alléguait de nouveau qu’il avait une adresse stable à Athènes fournissant une attestation à cet égard.

26. Le 18 septembre 2013, lesdites objections furent rejetées (décision no 5029/2013). La présidente du tribunal administratif considéra notamment que la détention était nécessaire pour un examen rapide et efficace de la demande d’asile du requérant, selon l’article 13 a) et c) du décret présidentiel no 114/2010. Elle jugea, par ailleurs, que son allégation selon laquelle il ne risquait pas de fuir était invoquée inutilement, étant donné, d’une part, que le risque de fuite ne constituait pas un motif justifiant la détention selon le décret précité et que cette allégation avait été rejetée par la décision no 4194/2013.

27. Le 10 décembre 2013, le requérant se vit reconnaître le statut de réfugié.

28. Le 13 décembre 2013, il fut remis en liberté.

2. Les conditions de détention du requérant
1. Version du requérant

a) Concernant les postes-frontières de Soufli et de Feres

29. En ce qui concerne sa détention au poste-frontière de Feres, le requérant allégua ce qui suit : il était détenu dans la section des étrangers en situation irrégulière, d’une capacité de 35 détenus, où 72 personnes étaient détenues, y compris les prisonniers en détention provisoire. Il partageait sa cellule avec six autres détenus, de sorte que l’espace disponible pour chaque détenu était inférieur à 4 m2. L’unique mobilier dans la cellule se composait de cinq couchages, de sorte que les détenus y dormaient à tour de rôle et il devait dormir à même le sol. La cellule n’était pas propre, les matelas et les draps étaient sales et n’étaient jamais changés et il ne reçut jamais de produits d’hygiène personnelle. En se référant au rapport du CPT relatif à sa visite du 4 au 16 avril 2013, le requérant soutint également qu’il n’y avait pas d’eau chaude, pas de climatisation, et que les cellules étaient surpeuplées. Le requérant n’avait aucune possibilité de se promener, car les détenus n’avaient pas le droit de sortir, suite à un incident violent s’étant produit quelques mois auparavant. Le requérant mangeait à même le sol et restait dans sa cellule. Les détenus souffrant de maladies infectieuses n’étaient pas soignés ou hospitalisés, de sorte que la santé du requérant était mise en danger. Le requérant, s’appuyant sur un rapport de « Médecins Sans Frontières », expose que le centre de contrôle et de prévention des maladies (KEELPNO) avait cessé de fournir une assistance médicale depuis avril 2013.

30. En ce qui concerne les conditions de détention au poste-frontière de Soufli, le requérant invoqua ce qui suit : il était détenu dans une cellule avec d’autres détenus. La cellule était sale, les draps et les matelas n’étaient jamais changés ou nettoyés et les produits d’hygiène ne lui étaient jamais fournis. Les cellules étaient surpeuplées, il n’y avait ni eau chaude, ni climatisation, ni activité récréative ou exercice physique proposés, et les détenus n’avaient le droit de sortir dans la cour que pour un quart d’heure par jour. Les détenus souffrant de maladies infectieuses n’étaient pas soignés et aucune assistance médicale n’était fournie depuis avril 2013. Le requérant se réfère aux conclusions du rapport du CPT concernant les postes‑frontières de Soufli et Feres.

b) Concernant les locaux de la sous-direction des étrangers de l’Attique (Petrou Ralli)

31. S’agissant de sa détention dans les locaux de la sous-direction de l’Attique chargée des étrangers, le requérant décrivit ses conditions de détention comme suit : il était détenu dans une cellule avec quatre autres personnes. Il indiqua que certains jours, il devait partager sa cellule avec cinq ou six personnes, de sorte qu’il avait à sa disposition moins de 4 m2. L’accès à la lumière naturelle était extrêmement limité. Il n’y avait pas de service de nettoyage et la cellule était très sale et infestée de rats et de cafards. Il devait partager sa cellule avec des détenus souffrant de maladies infectieuses et de maladies de peau, et aucun soin médical ne leur était dispensé. Les visites médicales n’avaient jamais lieu et les produits d’hygiène personnelle n’étaient jamais distribués aux détenus. Les toilettes n’étaient jamais nettoyées, alors que certaines ne pouvaient pas être utilisées en raison de travaux de rénovation durant la détention du requérant, et les toilettes restantes n’étaient pas suffisantes pour le nombre de personnes les utilisant (175 personnes au deuxième étage), de sorte que l’odeur de l’urine était présente dans la cellule du requérant toute la journée. L’accès des détenus aux toilettes était limité à une ou deux fois par jour et les détenus n’avaient pas accès à l’exercice en plein air. Ils pouvaient sortir dans la cour pour trente minutes maximum une fois par semaine, mais aucune activité ne leur était proposée. Le requérant se réfère aux rapports du CPT, qui a visité le centre du 14 au 23 avril 2015, ainsi que du 13 au 18 avril 2016 et du 19 au 25 juillet 2016.

c) Concernant le centre de détention d’Amygdaleza

32. Le requérant décrivit comme suit ses conditions de détention dans le centre d’Amygdaleza : à l’époque de sa détention, les soins médicaux étaient insuffisants. Les détenus étaient placés dans des containers sans climatisation, dans lesquels la température pouvait atteindre 50o C. Malgré la chaleur, les détenus ne recevaient qu’un demi-litre d’eau tous les trois jours. Les produits d’hygiène personnelle n’étaient jamais fournis. La majorité des codétenus du requérant contractèrent des maladies infectieuses et il y eut une augmentation du nombre de cas de l’infection de la gale. Ces conditions inappropriées avaient provoqué des émeutes en août 2013, à la suite desquelles des restrictions concernant l’exercice en plein air avaient été ordonnées ; ces restrictions ont duré quelques mois et concernaient toutes les sections. Il y avait une absence totale d’activités et de loisirs, ainsi que de moyens de communication avec le monde extérieur. Le téléphone portable du requérant avait été saisi lors de son arrivée au centre, et il n’avait pas les moyens financiers pour utiliser les cabines téléphoniques. Il allégua qu’il ne pouvait pas acheter de carte prépayée, car on la vendait à l’extérieur du centre. Le requérant ne pouvait avoir de visites, car il n’y avait pas de local à cet effet, et même les rencontres avec son avocat avaient lieu derrière la clôture entourant l’enceinte, en présence d’un officier de police, pour des raisons de sécurité. Le requérant expose que cet officier n’avait d’autre choix que d’écouter ses conversations avec son avocat, y compris les informations relatives à la demande d’asile du requérant et celles, très personnelles et sensibles, concernant ses expériences traumatiques en Turquie. Le requérant se réfère extensivement au rapport du CPT, qui a visité le centre de rétention durant sa visite du 4 au 16 avril 2013. Il invoque également un jugement de la cour d’assises d’Athènes, qui avait considéré, selon lui, que les conditions de détention dans ce centre étaient inhumaines et dégradantes, la déclaration de la délégation de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe du 15 janvier 2013, à la suite de sa visite en Grèce, la déclaration du département grec d’Amnesty International en date du 14 août 2013, ainsi que le rapport du Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants, F. Crépeau, à la suite de sa visite en Grèce.

2. Version du Gouvernement

a) Concernant les postes-frontières de Soufli et de Feres

33. À l’époque de la détention du requérant, des travaux de rénovation avaient été réalisés dans les locaux du poste-frontière de Soufli, pouvant accueillir 32 personnes. Lors de la période de détention du requérant (du 19 juin au 4 juillet 2013), 22 étrangers y étaient détenus. Le poste-frontière de Feres, quant à lui, fonctionnait dans un bâtiment moderne et pouvait accueillir 72 personnes, alors que pendant la période litigieuse (du 4 juillet au 10 juillet 2013) 35 étrangers y étaient détenus. Dans les deux postes‑frontières toutes les mesures de sécurité nécessaires étaient prises, afin que les détenus puissent sortir dans la cour toutes les heures de la journée. Les deux établissements étaient équipés de chauffage central en hiver, de sorte que le chauffage, ainsi que la fourniture d’eau chaude étaient satisfaisants et continus.

34. La fourniture des produits d’hygiène personnelle aux personnes détenues était assurée avec l’assistance du KEELPNO. Les repas pour les détenus étaient fournis par une société privée de restauration collective trois fois par jour et étaient conformes aux convictions religieuses et habitudes alimentaires des détenus. Les soins médico-pharmaceutiques étaient dispensés par des médecins dans des cabinets médicaux de la région ou des centres de santé, ainsi qu’à l’hôpital régional général d’Alexandroupoli. De plus, les détenus pouvaient utiliser les téléphones de service ou leurs portables, s’ils en disposaient, pour communiquer avec leurs proches ou leurs avocats. Il y avait une surveillance et un soin continus pour résoudre tout problème éventuel se rapportant au fonctionnement des locaux ou aux conditions de vie des détenus.

b) Concernant les locaux de la sous-direction de l’Attique chargée des étrangers (centre de rétention de Petrou Ralli)

35. Le Gouvernement décrivit comme suit les conditions de détention du requérant (du 12 juillet au 29 juillet 2013) dans les locaux de la sous‑direction des étrangers de l’Attique : les cellules se trouvaient aux 2e et 3e étages de la sous-direction de l’Attique chargée des étrangers. Le 2ème étage pouvait accueillir 203 personnes (35 cellules de cinq personnes et quatre cellules de sept personnes), et le 3e étage pouvait accueillir 170 personnes (trente cellules d’une capacité de cinq personnes chacune dans l’aile des femmes, et vingt personnes dans l’aile des ex-mineurs, dans laquelle étaient retenues des personnes des catégories spéciales dans des cellules individuelles).

36. Le requérant fut placé avec quatre autres personnes dans la cellule 31 de l’aile D5 du 2e étage, ayant une superficie de 21 m2 et étant équipée de cinq lits. Pendant la détention du requérant, le nombre moyen de personnes détenues au 2e étage était de 175.

37. Avant la période de rétention du requérant, à savoir depuis la fin du mois de mai jusqu’au mois de juillet 2013, des travaux de réparation avaient été effectués, à savoir : rénovation des WC et douches, travaux destinés à l’amélioration de l’éclairage, travaux hydrauliques, peinture de tous les locaux, rénovation du cabinet médical et entretien complet des installations d’aération et de ventilation. En outre, toutes les cellules avaient accès à l’air et à la lumière naturelle.

38. Des matelas étaient fournis sur chaque lit et chaque personne à son arrivée recevait du linge de lit propre en deux exemplaires. Les matelas et les draps étaient changés régulièrement. La propreté était assurée quotidiennement par une équipe externe chargée du nettoyage, et des dératisations et désinfections avaient lieu régulièrement. Les soins médicaux étaient assurés par une équipe de l’ONG « Intervention Médicale », qui visitait tous les jours le centre de rétention et des transferts aux hôpitaux publics avaient lieu, lorsqu’ils étaient nécessaires.

39. Des articles d’hygiène personnelle et détergents pour le lavage du linge étaient fournis régulièrement aux personnes détenues. Le centre était équipé de 13 toilettes et 8 salles de bain, équipées d’eau chaude et d’installations d’aération. Les installations sanitaires étaient suffisantes par rapport au nombre de personnes détenues, qui pouvaient y avoir accès pendant toute la journée, y compris la nuit. Un chauffage central, ainsi que la climatisation fonctionnaient dans tous les locaux du centre.

40. La sortie des détenus dans la cour avait lieu le matin et l’après-midi (de 9 heures à 13 heures et de 18 heures à 20 heures) tous les jours, en présence des forces de police disponibles à cet effet. Les détenus avaient accès à des activités et jeux collectifs. Les visites étaient autorisées tous les jours de 16 heures à 18 heures, tandis que l’accès aux cabines téléphoniques à carte était permis toute la journée et toute la nuit. Les repas étaient fournis par le club de la police grecque.

c) Concernant le centre de détention d’Amygdaleza

41. Durant la période de détention du requérant (du 30 juillet au 13 décembre 2013), le centre de détention était constitué des secteurs A, B et C, où des conteneurs étaient installés, équipés d’une ventilation, de WC et douches qui fonctionnaient. Des cabines téléphoniques à carte étaient mises à la disposition des détenus, afin que ces derniers puissent communiquer avec leurs proches.

42. Le requérant était placé dans le secteur C, d’une capacité de 336 personnes, alors qu’à l’époque litigieuse, le nombre moyen des détenus était de 168. La superficie des conteneurs dans ce secteur était de 36 m2 et de 32 m2. Le requérant séjournait dans un conteneur de 36 m2 avec sept autres personnes. À leur arrivée au centre, les données concernant les détenus étaient enregistrées, puis ces derniers étaient installés dans des conteneurs, équipés de linge de lit individuel. Des produits d’hygiène personnelle étaient distribués régulièrement aux détenus.

43. Les visites avaient lieu dans la cour de chaque secteur en présence des policiers, de 15 heures à 17 heures en hiver, et de 16 heures à 18 heures en été. Les autorités procédaient à toutes les démarches nécessaires pour traiter les cas isolés de maladies infectieuses et de vermine et éviter leur transmission aux autres détenus. Ces derniers pouvaient sortir librement dans la cour, vu que le centre de détention d’Amygdaleza était situé dans un espace extérieur ouvert. Les droits des personnes détenues étaient affichés à un endroit visible dans les locaux.

44. Les repas étaient fournis par une société privée de restauration collective et des soins médico-pharmaceutiques étaient dispensés par des médecins du KEELPNO. Les émeutes des détenus au centre de rétention qui s’étaient produites en août 2013, n’avaient pas créé de problèmes au secteur C, dans lequel le requérant était détenu, car le secteur C est éloigné des secteurs A et B.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

1. Le droit et la pratique internes pertinents

45. Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont décrits dans les arrêts Barjamaj c. Grèce (no 36657/11, 2 mai 2013), A.F. c. Grèce (no 53709/11, 13 juin 2013), Horshill c. Grèce (no 70427/11, 1er août 2013), Khuroshvili c. Grèce (no 58165/10, 12 décembre 2013), et B.M. c. Grèce (no 53608/11, 19 décembre 2013).

46. L’article 12 du décret présidentiel no 113/2013, entré en vigueur le 14 juin 2013 et intitulé « Détention des demandeurs d’asile », dispose :

« 1. Un ressortissant étranger ou apatride qui demande la protection internationale ne peut être détenu aux seuls motifs qu’il a déposé une demande de protection internationale et qu’il est entré illégalement sur le territoire et qu’il y réside clandestinement.

2. Un ressortissant étranger ou apatride qui, pendant sa détention, dépose une demande de protection internationale reste en détention lorsque la détention a été imposée conformément à la législation en vigueur. Lorsque la personne est détenue sur la base des dispositions pertinentes des lois nos 3386/2005 et 3907/2011 (...), elle reste en détention de manière exceptionnelle si aucune mesure alternative (...) ne peut être appliquée pour l’une des raisons suivantes :

a) [il est nécessaire de] vérifier son identité réelle ou son origine ;

b) les autorités de police considèrent de manière motivée que le demandeur constitue une menace pour la sécurité nationale ou l’ordre public ;

c) la détention est jugée nécessaire pour un examen rapide de la demande (...). Dans ce cas, les autorités qui examinent [la demande] prennent les mesures nécessaires afin de conclure la procédure rapidement.

(...)

4. La décision de détention est prise par le directeur de police responsable (...) et contient une motivation complète et approfondie. Dans les cas a) et c) du paragraphe 2 du présent article la décision de détention est prise après recommandation du directeur de l’autorité compétente de l’examen. (...)

5. Les demandeurs sont détenus dans les locaux prévus par l’article 31 de la loi no 3907/2011.

6. La détention est imposée pour la durée strictement nécessaire et ne peut en aucun cas dépasser trois mois. Si le demandeur a été détenu, la durée totale de sa détention (...) ne pourra pas dépasser six mois pour le cas énoncé au paragraphe 2 c) et douze mois pour les cas énoncés au paragraphe 2 a) et b) (...). La détention du demandeur de protection internationale constitue une raison d’accélération de la procédure concernant l’asile, tenant compte du manque éventuel des locaux pertinents et de la difficulté d’assurer des conditions de vie décentes pour les personnes détenues. Ces difficultés sont prises en compte pour ordonner ou prolonger la détention.

(...)

8. Si des demandeurs sont en détention, les autorités (...) s’engagent à :

(...)

d) offrir aux détenus les soins médicaux appropriés ;

e) garantir le droit des détenus à une assistance juridique ;

g) veiller à ce que les détenus soient informés des motifs et de la durée de leur détention.

(...) »

2. Les rapports provenant des instances Nationales et internationales
1. Les Rapports provenant des instances internationales
1. Les constats du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), dans son rapport du 16 octobre 2014, publié suite à sa visite du 4 au 16 avril 2013, en ce qui concerne les postes-frontières de Soufli et de Feres

47. Dans son rapport publié le 16 octobre 2014, établi suite à sa visite du 4 au 16 avril 2013, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) notait ce qui suit[1]:

« 47. (...) Le nouveau-construit commissariat de police et poste - frontière de Feres a un espace de détention composé de deux blocs de cellules (sept pour de suspects criminels et huit pour de migrants irréguliers) séparés par une cour, d’une capacité totale de 72 personnes. 13 des cellules ont une superficie de 18 m2 et chacune contenait cinq plinthes concrètes, et les deux restantes avaient trois et quatre plinthes. À l’époque de la visite, dix suspects criminels et 31 migrants irréguliers y étaient détenus. Les sujets principaux d’inquiétude concernaient la réduction de l’exercice à l’extérieur suite à la fuite de sept suspects criminels en mars 2013, l’absence des activités et l’hygiène inadéquate.

Le commissariat de police et le poste- frontière de Soufli avait été rénové et maintenant il consiste en quatre cellules, chacune d’une superficie de 18 m2 et équipée de quatre sets de lits superposés d’une capacité totale de 32 personnes. À l’époque de la visite, 15 hommes, 7 femmes et 3 juvéniles étaient détenus à l’établissement. Les installations sanitaires étaient en bon état de réparation. Il y avait une petite cour derrière le bâtiment, à laquelle les détenus avaient accès tous les jours ; néanmoins, les femmes détenues disaient que l’accès n’était permis jamais pour plus de 30 minutes.

(...)

Les conditions dans ces postes présentent une amélioration considérable en comparaison à la situation constatée en 2011. En plus, il est positif que toutes les personnes soient examinées par un médecin lors de leur arrivée à ces établissements et qu’un médecin et une infirmière y rendent visite tous les jours de la semaine. Pourtant, les capacités de chaque poste doivent être réduites davantage. Dans les commissariats de police et des postes-frontière où les repas sont fournis par la cantine de la police ou par une société privée de restauration, la situation est meilleure, même si plus de légumes et fruits pourraient être fournis. Même avec des améliorations de ce type, aucun de ces postes n’est approprié pour détenir de personnes pour des périodes prolongées.

48. Les arrangements concernant la fourniture de la nourriture demeurent insuffisants dans beaucoup d’établissements visités. Le CPT a déjà souligné que le système actuel de fourniture d’une indemnité journalière de 5.87 EUR (euros) ne donne pas la possibilité aux détenus d’acheter la nourriture nécessaire (et autres produits) lors de périodes longues de détention, car les achats sont faits souvent aux prix commerciaux des restaurants. En effet, elle est juste suffisante pour acheter quelques sandwiches et de l’eau (...) Un repas chaud doit être offert à toutes les personnes détenues plus longtemps que quelques jours.

En ce qui concerne l’hygiène, à tous les établissements des postes de police et de frontière visités, les personnes détenues se plaignaient du défi de se maintenir propres ; du savon et du shampooing étaient seulement fournis à quantités limitées et d’autres produits d’hygiène, tels que de dentifrice et de papier toilette, devaient être achetés ou obtenus par ceux ayant de l’argent. Le manque d’eau chaude signifiait que le nombre limité de vêtements que les détenus possédaient ne pouvaient pas être lavés de façon appropriée, compromettant ainsi davantage l’hygiène personnelle, particulièrement de ceux, qui étaient détenus pour de longues périodes. Il y avait également un manque évident en produits de nettoyage (...) ».

2. Les constats du CPT dans son rapport du 16 octobre 2014, établi suite à sa visite du 4 au 16 avril 2013, en ce qui concerne les locaux de la sous-direction des étrangers de l’Attique (Petrou Ralli) et le centre de détention d’Amygdaleza

48. Dans son rapport du 16 octobre 2014 le CPT relatait ce qui suit quant aux conditions de détention dans les locaux de la sous-direction des étrangers de l’Attique (Petrou Ralli) et dans le centre de détention d’Amygdaleza :

« 61. Le CPT fait confiance que les centres de détention, tels que Petrou Ralli et Fylakio, avec leur format carcéral totalement inapproprié seront utilisés dans le futur seulement pour de détention de courte durée (...).

63. (...) Le centre de pré-départ d’Amygdaleza, ouvert en avril 2012, est situé à un coin de l’Académie de police au nord d’Athènes. Le centre est composé de deux camps d’une série d’enceintes en gravier clôturées, dans lesquelles il y a trois ou quatre rangées de structure préfabriquées, hébergeant chacune jusqu’à huit personnes. À l’époque de la visite, Camp I (A) hébergeait 718 personnes pour une capacité de 736 (i.e 92 unités) en cinq enceintes (deux avaient 16 unités et trois 20 unités). Camp II (B) avait un agencement similaire et fonctionnait à sa capacité maximale, hébergeant 906 personnes. Un troisième camp d’une capacité de 336 détenus était sous construction.

(...)

68. Les unités d’hébergement préfabriquées au centre de pré-départ d’Amygdaleza consistaient en deux chambres, chacune d’une superficie de 9 m2 et équipée de deux sets de lits superposés, une table et chaises et une armoire ; entre les deux chambres il y avait deux toilettes et douches complétement cloisonnées. Les unités étaient généralement propres et en bon état de réparation et étaient suffisamment éclairées et aérées. En plus, les détenus pouvaient rester à l’extérieur pour la plupart de la journée (de 9 h du matin à 13h et de 15h à 19h), ce qui apaisait l’espace habitable limité pour chaque détenu dans les chambres. Néanmoins, « à l’extérieur » signifiait marcher tout autour sur les cailloux de gravier entre les rangées des unités ou à l’espace ouvert à l’entrée de l’enceinte, sans que des installations de repos ou sportifs ou autres activités ne soient disponibles. Il n’y avait pas de chambres communes pour se réunir ou regarder la télé et aucun espace destiné au culte. En plus, les détenus se plaignaient du manque des produits d’hygiène et du fait qu’ils ne pouvaient pas laver leurs vêtements ou literie. En effet, les machines à laver et les sèche - linges avaient été achetés mais ne fonctionnaient pas.

(...)

72. La délégation a observé que l’entretien était un sujet majeur dans tous les centres visités (non-fonctionnement de prises électriques, plomberie cassée, des ampoules cassées etc). Le CPT recommande que de mesures soient prises pour assurer que de travaux d’entretien régulier sont entrepris dans tous les centres de rétention (de pré-départ).

75. (...) les conditions de détention au centre de rétention de Petrou Ralli demeuraient totalement inappropriées pour la détention de migrants irréguliers pour de périodes prolongées. À l’époque de la visite en 2013, l’espace de détention pour des femmes détenues était en voie de rénovation et 188 hommes détenus étaient placés dans de cellules désignées pour une capacité de 170. Les détenus se plaignaient de couvertures usées infestées et du manque de produits d’hygiène, ainsi que du fait qu’ils étaient obligés d’uriner dans de bouteilles en plastique la nuit, puisque, apparemment, le personnel ne répondait pas aux appels des détenus pour avoir accès aux toilettes. Par ailleurs, l’exercice en plein air n’était offert que très rarement et durait environ 30 minutes ; en plus, aucune activité n’était offerte. Beaucoup de personnes étaient maintenues en détention jusqu’aux 12 mois sans aucune information sur leur statut juridique ni sur leur sort.

(...)

84. (...) Le CPT a déjà longuement souligné l’importance de la présence du personnel soignant pour chaque centre d’immigration sur une base quotidienne (...) Néanmoins, les ressources relatives au personnel étaient souvent inadéquates à l’égard du nombre de personnes détenues. C’était particulièrement le cas pour le centre de Amygdaleza. Deux généralistes et deux infirmiers étaient présents aux centre tous les jours de la semaine de 9h00 au 13h00 ; pendant le weekend, les personnes ayant besoin pouvaient être transférées à l’hôpital local. Un psychologue en temps plein et un psychiatre visitaient le centre une fois par semaine, mais il n’y avait pas de dentiste. C’est loin d’être suffisant pour une population de détenus de 1 600 personnes (...).

91. (...) au centre d’Amygdaleza, où beaucoup de détenus recevaient de visiteurs en raison de l’accès facile d’Athènes, il n’y avait pas d’installations (pour les visites) en place ; les personnes détenues devaient rencontrer leurs visiteurs à travers la clôture entourant l’enceinte (...). De mesures immédiates doivent être prises afin d’établir un espace de visite approprié au centre de pré-départ d’Amygdaleza.

92. Pour la plupart des migrants irréguliers, le moyen le plus important de maintenir le contact avec le monde extérieur était le téléphone. Tous les centres et établissements de rétention possédaient de cabines téléphoniques fonctionnant avec de cartes ; pourtant, les cartes étaient considérées chères étant donné notamment que la plupart des personnes avaient de proches dans un autre continent. Selon les règles de la police hellénique régissant la détention, les personnes détenues ne sont pas permises d’avoir un téléphone portable. Néanmoins, comme le CPT a réitéré plusieurs fois, les conditions de détention des migrants irréguliers doivent être différentes de celles de suspects criminels ou des personnes incarcérées (...) Le CPT recommande que les autorités grecques permettent aux personnes détenues dans le centre de détention des migrants de garder leurs téléphones portables et que les règles y afférentes se modifient conformément ».

3. Les constats de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE)

49. Dans sa résolution 1918(2013) du 25 janvier 2013, l’APCE s’exprimait ainsi :

« 3. L’Assemblée est particulièrement préoccupée par la situation de la Grèce, qui est devenue l’entrée principale des flux de migration irrégulière dans l’Union européenne. La Grèce souffre notamment de la crise économique actuelle et manque encore d’un système de gestion d’asile et de migration efficace et fonctionnant, apte à gérer le grand nombre des arrivées. Les droits de l’homme des migrants, des demandeurs d’asile et des réfugiés sont violés, du fait de la mise en place d’un dispositif de rétention systématique dans des conditions non conformes aux normes et de l’absence d’accès à l’asile et aux services essentiels (...) ».

50. Les membres de la sous-commission ad hoc de l’APCE sur l’arrivée massive de migrants en situation irrégulière, de demandeurs d’asile et de réfugiés sur les rivages du sud de l’Europe, accompagnés pour une partie de la visite par Jean-Claude Mignon, Président à l’époque de l’APCE, ont effectué une visite d’information en Grèce du 14 au 16 janvier 2013. Dans son annonce du 17 janvier 2013, la délégation s’exprimait ainsi :

« Le Président et la sous-commission se sont vivement félicités de la détermination des autorités grecques à résoudre, le plus tôt possible, l’arriéré considérable de 50 000 demandes d’asile et à fermer trois centres de rétention jugés non conformes aux normes applicables à de tels centres, parmi lesquels, courant 2013, le centre situé dans le commissariat de police de Petrou Ralli, à Athènes (...).

Même s’il y a eu des progrès, avec la construction de nouveaux centres de rétention offrant de meilleures conditions, comme celui d’Amygdaleza, la délégation a cependant noté de graves problèmes concernant l’accès à l’asile, les soins de santé, l’information et la possibilité pour les détenus de communiquer avec le monde extérieur. La plupart des centres de détention visités par la délégation ne répondent pas actuellement aux normes compatibles avec le respect de la dignité humaine, puisqu’il y manque des équipements de base tels que le chauffage, l’éclairage ou l’eau chaude ».

51. Selon le rapport (rapporteure Mme T. Strik, membre de la Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées) annexé à la résolution 1918(2013) de l’APCE établi suite à sa visite en Grèce du 14 au 16 janvier 2013 :

30. Nonobstant les efforts entrepris récemment par le nouveau Gouvernement grec pour améliorer les conditions de rétention, grâce notamment à la rénovation des locaux et la construction de nouveaux centres tels qu’ à Amygdaleza, la visite de la sous-commission ad hoc de l’Assemblée parlementaire en Grèce a confirmé le non-respect des normes. (...) Au commissariat de police de Petrou Ralli à Athènes, la délégation a rencontré plusieurs femmes désespérées, détenues dans des conditions non conformes aux standards, sans accès direct à des installations sanitaires. Toutes se plaignaient du maque de vêtements convenables et de services médicaux, ainsi que de l’absence de contact avec le monde extérieur.

(...)

32. Les autorités grecques (..) ont récemment fermé un centre de rétention et fait part de leur intention d’en fermer deux autres, dont les conditions ont été jugées non conformes aux standards, notamment le commissariat de police de Petrou Ralli à Athènes. Ce dernier devrait fermer courant 2013, une décision qu’il convient de saluer (...) ».

2. Le Rapport d’Amnesty International

52. Dans une déclaration publique du 13 août 2013, l’ONG Amnesty International s’exprimait ainsi concernant le centre de détention à Amygdaleza :

« (...) Pendant la visite de l’organisation au centre de détention d’Amygdaleza en avril et juillet 2013, les détenus ont exprimé leur désespoir pour de périodes de détention prolongées et ont invoqué la qualité médiocre de la nourriture, les mauvaises conditions d’hygiène et de difficultés quant à leur possibilité de parler avec leurs familles, puisqu’ils ont un accès limité aux téléphones. La police et les détenus ont parlé de leurs inquiétudes concernant l’hygiène en vue de l’absence de fonds pour embaucher de agents de nettoyage dans l’établissement de détention (...) ».

3. Les Rapports provenant des instances nationales

Les constats du médiateur de la République dans son rapport du 29 mai 2013, établi suite à sa visite dans les locaux de la sous-direction des étrangers de l’Attique (Petrou Ralli) et au centre de détention d’Amygdaleza

53. Suite à sa visite du 4 octobre 2012 dans les locaux de détention de la sous-direction des étrangers de l’Attique, le médiateur relatait que la capacité maximale du centre était de 350 personnes (soit 170 personnes dans les cellules pour hommes, 150 personnes dans les cellules pour femmes, et 30 personnes dans des cellules spéciales de détention :). A la date de sa visite, 214 hommes, 134 femmes, ainsi que 3 mineurs avec leurs mères y étaient détenus. Les étrangers étaient détenus sur deux étages du bâtiment, qui étaient séparés en deux ailes, selon leur sexe et les besoins d’un traitement spécifique. Chaque étage avait une cour de promenade ouverte. L’accès à la cour se faisait tous les jours et durait deux heures environ.

54. Le médiateur indiquait que les policiers responsables estimaient que le nombre de détenus était relativement gérable, même s’il était supérieur à la capacité du centre. Il ajoutait que de nombreux problèmes lui avaient été signalés, notamment en ce qui concerne la couverture des dépenses du fonctionnement du centre en raison des réductions du budget (en ce qui concerne la nourriture, la propreté, le chauffage, la maintenance, etc.). Certaines organisations non gouvernementales se chargeaient de la collecte de vêtements, de nourriture etc., et la prestation des services médicaux avait été confiée à l’organisation non gouvernementale « Intervention Médicale ». Le médiateur signalait que la détention pour de longues périodes et l’augmentation du nombre des requérants créaient des problèmes d’hygiène.

55. Le médiateur a visité le centre d’Amygdaleza à deux reprises, le 25 septembre 2012 et le 27 mars 2013. Suite à ces visites, il indiquait que le centre, dont le fonctionnement avait commencé en mai 2012, avait été construit sur le site de l’école de police et comprenait deux secteurs. Le secteur A était constitué de 50 conteneurs et le secteur B de 40 conteneurs. Chacun d’entre eux était composé de deux espaces de quatre lits chacun, un espace commun au milieu, et des toilettes avec des douches. Les conteneurs avaient de l’éclairage et étaient équipés de climatisation. Les détenus pouvaient se promener dans l’espace extérieur de façon régulière. Le secteur B disposait d’un espace restaurant et d’un espace de culte.

56. En ce qui concerne les soins médicaux, le médiateur notait que dans le centre de détention l’ONG « Intervention Médicale » était active. Un cabinet médical fonctionnait et un soutien médical et psychologique était fourni par un médecin, un infirmier, un assistant social et un psychologue. Toutes les personnes entrant dans le centre étaient examinées afin de créer leur dossier médical et de vérifier leur état de santé. Les repas des détenus étaient fournis par une société privée de restauration et étaient servis trois fois par jour (petit-déjeuner, déjeuner et diner).

57. À l’époque de la visite du 27 mars 2013, 1 512 personnes y étaient détenues, à savoir 800 personnes dans le secteur A, d’une capacité de 928 personnes, et 712 personnes dans le secteur B, d’une capacité de 736 personnes. Le médiateur indiquait que la fourniture de produits d’hygiène personnelle avait cessé depuis trois mois, en raison de l’épuisement des fonds qui y étaient destinés. A la date de la visite, le médiateur constatait également que pour cette même raison, le nettoyage des locaux avait cessé depuis trois jours. L’ONG « Intervention Médicale » continuait à fournir l’assistance médicale et deux cabinets médicaux y fonctionnaient encore. L’assistance médicale et psychologique était assurée par deux médecins, deux infirmiers, un psychologue et une assistante sociale, auxquels étaient venus s’ajouter trois assistantes sociales, deux psychologues et deux interprètes. Des cabines téléphoniques fonctionnant à carte avaient été installées, il y avait des heures de visite et l’accès des avocats au centre était libre.

58. Dans ses conclusions générales, le médiateur signalait en ce qui concerne le droit à la promenade des détenus que, spécifiquement pour la sous-direction des étrangers de l’Attique, une promenade de deux heures tous les deux jours pour chaque aile ne pouvait pas être considérée comme suffisante pour chaque détenu, surtout en cas de détention depuis plusieurs mois. Il soulignait également l’absence totale des activités récréatives, en indiquant qu’un endroit destiné à de telles activités était prévu à Amygdaleza. Il considérait également que des améliorations importantes en ce qui concerne la propreté des centres, la fourniture des produits d’hygiène personnelle, ainsi que l’adéquation d’autres articles, tels que le linge de lit, étaient nécessaires.

EN DROIT

1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

59. Le requérant se plaint de ses conditions de détention dans les différents lieux dans lesquels il a été détenu. Il allègue une violation de l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

1. Sur la recevabilité

60. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond
1. Les thèses des parties

a) Le requérant

61. Le requérant expose qu’il se trouvait dans une situation d’extrême vulnérabilité : il est un réfugié qui avait déjà été victime de torture et de persécution en Turquie et différents membres de sa famille avaient été victimes de tortures, viols, arrestations arbitraires, détentions et exécutions extrajudiciaires dans ce pays. Il indique qu’à l’époque des faits, il était détenu en vue de son expulsion, dans des conditions inhumaines et dégradantes sans aucun moyen de recours contre la décision de son expulsion, car il n’était informé ni du contenu de cette décision ni des recours disponibles. Il expose qu’il n’avait pas les moyens financiers d’engager un avocat et il n’avait pas d’assistance judiciaire, alors que sa demande d’asile n’était pas enregistrée et qu’il encourait le risque d’être renvoyé dans un pays où il risquait de faire l’objet d’un traitement inhumain et dégradant. Il soutient qu’il se trouvait dans une situation de vulnérabilité extrême qui, combinée avec des conditions de détention inappropriées dans les centres de Soufli et Feres, constituait un traitement inhumain et dégradant.

62. En ce qui concerne sa détention aux postes-frontières de Soufli et Feres et à la direction des étrangers de police de l’Attique, le requérant se réfère aux arrêts de la Cour relatifs aux conditions de détention dans des locaux de police dans lesquels la Cour avait conclu à la violation de l’article 3. Il ajoute qu’il était détenu dans les locaux des postes-frontières de Soufli et de Feres, et pour une période de 23 jours et ensuite de 18 jours dans les locaux de la sous-direction de la police des étrangers de l’Attique, à savoir pour une période totale dépassant un mois. En ce qui concerne les conditions de sa détention dans les différents locaux dans lesquels il était placé, le requérant se réfère à sa description détaillée desdites conditions (paragraphes 29-32 ci-dessus).

b) Le Gouvernement

63. Le Gouvernement expose, à titre général, que le requérant n’était confronté à des conditions de surpopulation dans aucun des locaux dans lesquels il était placé, étant donné que le nombre de détenus pendant la période litigieuse était considérablement inférieur à leur capacité. Il ajoute à cet égard que les conditions générales de détention étaient satisfaisantes.

64. Selon le Gouvernement, les griefs du requérant relatifs aux conditions dans les locaux des postes-frontières de Soufli et de Feres, ainsi que dans ceux de la sous-direction des étrangers de l’Attique, sont fondés sur des arrêts de la Cour et des rapports internationaux y relatifs, qui concernaient des périodes antérieures aux périodes litigieuses.

i) Concernant les postes-frontières de Soufli et Feres

65. En ce qui concerne les postes-frontières de Soufli et de Feres, le Gouvernement renvoie à sa version sur les conditions de détention.

66. Le Gouvernement souligne que les détenus avaient la possibilité de se promener dans les locaux des postes-frontières et que les produits d’hygiène personnelle étaient fournis aux détenus, de sorte que les carences dans ce dernier domaine avaient été corrigées. Il soutient que, en tenant également compte de la durée totale de détention du requérant, qui s’était étalée sur 22 jours (du 19 juin 2013 au 10 juillet 2013), les conditions de sa détention ne sauraient être considérées comme inhumaines ou dégradantes.

ii) Concernant les locaux de la sous-direction des étrangers de l’Attique (Petrou Ralli)

67. Le Gouvernement expose que les allégations du requérant sont totalement réfutées par les attestations contraires des autorités concernant la période de détention du requérant. Il ajoute à cet égard, qu’à l’époque de la période litigieuse, les locaux de détention, les installations sanitaires, les systèmes de ventilation, d’aération et d’éclairage avaient été récemment rénovés, de sorte que les conditions de détention s’étaient améliorées. Selon le Gouvernement, vu que la détention du requérant dans les locaux de la sous-direction des étrangers de l’Attique n’ait duré que 18 jours (du 12 juillet au 29 juillet 2013), les carences éventuelles ne sauraient être considérées comme dépassant le seuil de gravité requis pour être considérées comme un traitement inhumain et dégradant.

iii) Concernant le centre de détention d’Amygdaleza

68. Le Gouvernement soutient que le transfert du requérant, le 30 juillet 2013, au centre de détention d’Amygdaleza constitue une interruption dans sa situation, étant donné que ledit centre de rétention ne peut pas être assimilé aux locaux de détention des commissariats de police, en raison des conditions différentes de séjour dans ledit centre. Il expose que le requérant n’était pas confronté à des mauvaises conditions de détention (paragraphes 41-44 ci-dessus).

69. Le Gouvernement signale que la révolte des détenus en août 2013 n’avait créé aucun problème, dans le secteur C, où le requérant était placé, notamment en ce qui concerne les restrictions de la promenade. Selon le Gouvernement, le rapport du CPT en date du 25 juillet 2013 ne contient pas d’éléments concernant le secteur C, qui, comme le CPT constatait, était en cours de construction. Il ajoute que, selon la description des locaux de deux autres secteurs, les logements étaient propres et en bon état, avec un éclairage et une aération suffisants, et que les retenus pouvaient sortir de leurs logements pour une grande période de la journée.

70. Le Gouvernement se réfère également au rapport en date du 29 mai 2013 du médiateur de la République, qui a visité le centre de détention d’Amygdaleza le 25 septembre 2012 et le 27 mars 2013, selon lequel le niveau général des conditions de vie s’était amélioré. Il soutient que l’insuffisance des moyens de communication disponibles, invoquée par le requérant, avait été corrigée, se référant à cet égard au rapport du Médiateur. Il ajoute que la non prestation des articles d’hygiène personnelle constatée par le Médiateur, à laquelle se réfère le requérant, ne concernait pas la période de détention du requérant.

71. En ce qui concerne les allégations du requérant relatives aux heures de visite, le Gouvernement rétorque que les visites s’effectuaient tous les jours pendant deux heures dans la cour, tandis que l’accès des avocats était libre.

c) Appréciation de la Cour

72. En ce qui concerne les principes généraux concernant l’application de l’article 3 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente et relatives, notamment aux conditions de privation de liberté d’immigrés potentiels et de demandeurs d’asile dans des centres d’accueil ou de rétention, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir, en particulier, M.S.S c. Belgique et Grèce [GC], no 30696/09, §§ 223-234, CEDH 2011, S.D. c. Grèce, no 53541/07, §§ 49-54, 11 juin 2009, et Tabesh c. Grèce, no 8256/07, §§ 38‑44, 26 novembre 2009). Par ailleurs, en ce qui concerne les conditions matérielles dans les lieux de détention, la Cour renvoie aux principes ressortant de sa jurisprudence et notamment aux arrêts Mursic c. Croatie ([GC], no 7334/13, §§ 96-141, CEDH 2016) et Khlaifia et autres c. Italie ([GC], no 16483/12, §§ 158-165, 15 décembre 2016).

i) En ce qui concerne les conditions de détention dans les locaux de Soufli, Feres et Petrou Ralli

73. La Cour note que le requérant a été détenu au poste‑frontière de Soufli du 19 juin 2013 au 4 juillet 2013, date à laquelle il a été transféré au poste-frontière de Feres. Il est resté dans les locaux de ce dernier poste jusqu’au 10 juillet 2013, date à laquelle il a été transféré à la sous-direction de l’Attique chargée des étrangers (Petrou Ralli). Après son transfert, il est entré au centre de rétention des étrangers le 12 juillet 2013, où il est resté jusqu’au 30 juillet 2013. Il s’ensuit que le requérant a été détenu pour 22 jours dans les deux postes-frontières et 18 jours dans les locaux de la sous-direction des étrangers de l’Attique.

74. La Cour relève à cet égard que le requérant se plaint essentiellement des mêmes problèmes quant aux conditions de sa détention dans les locaux des postes-frontières de Soufli et de Feres, ainsi que de ceux de la sous‑direction de l’Attique chargée des étrangers. Par conséquent, et étant donné que, comme il ressort du dossier, il n’y a pas eu de changement notable dans les conditions de détention du requérant dans ces trois postes de police, la Cour considère qu’il s’agit en l’espèce « d’une situation continue » justifiant un examen de la totalité de la période de détention dont se plaint le requérant en ce qui concerne lesdits locaux.

75. La Cour relève qu’elle a déjà conclu à la violation de l’article 3 de la Convention en raison du caractère inadéquat des conditions de détention prévalant aux centres de rétention de Soufli et de Feres ainsi que dans les locaux de la sous-direction des étrangers de l’Attique (Petrou Ralli). Elle relève néanmoins que les périodes concernées par les arrêts y afférents ne coïncident pas avec celles relatives à la détention du requérant en l’espèce.

76. En particulier, en ce qui concerne les conditions de détention dans les locaux de Soufli et de Feres, la Cour relève que les parties présentent des versions qui ne coïncident pas quant aux conditions de détention qui prévalaient dans le lieu de détention en cause et qui auraient affecté personnellement le requérant.

77. Force est de constater que les conditions de détention dans les locaux de la police de Soufli et de Feres sont révélées par plusieurs rapports des organisations internationales qui les ont visités peu avant la détention du requérant. À cet égard, la Cour observe que le CPT, dans son rapport publié le 16 octobre 2014, établi suite à sa visite du 4 au 16 avril 2013 (paragraphe 47 ci-dessus), soit deux mois avant le début de la détention du requérant, affirmait que les cellules dans chacun des postes-frontières de Soufli et de Feres étaient d’une superficie de 18 m2 et équipée de quatre sets de lits superposés d’une capacité totale de 32 personnes. À l’époque de la visite, 15 hommes, 7 femmes et 3 juvéniles étaient détenus à l’établissement, soit 25 personnes au total. En outre, même si, selon ledit rapport, les sujets principaux d’inquiétude concernaient la réduction de l’exercice à l’extérieur suite à la fuite de sept suspects criminels en mars 2013, l’absence des activités et l’hygiène inadéquate, il n’en demeure pas moins que, toujours selon le CPT, le commissariat de police et le poste- frontière de Soufli avait été rénové et les installations sanitaires étaient en bon état de réparation et que les détenus avaient accès tous les jours à une petite cour derrière le bâtiment. La Cour observe en outre que, selon le CPT, ces postes présentaient une amélioration considérable en comparaison de la situation constatée en 2011.

78. En ce qui concerne les locaux de la sous-direction des étrangers de l’Attique (Petrou Ralli), la Cour note que le CPT s’est rendu au centre en avril 2013 (paragraphe 48 ci-dessus) et le médiateur de la République le 4 octobre 2012 (paragraphes 53 . 58 ci-dessus). Selon le CPT, les conditions de détention au centre de rétention de Petrou Ralli demeuraient totalement inappropriées pour la détention de migrants irréguliers pour de périodes prolongées. À l’époque de la visite en 2013, 188 hommes détenus étaient placés dans de cellules désignées pour une capacité de 170 et les détenus se plaignaient des conditions d’hygiène. Mme Strik, membre de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées de l’APCE, s’est également rendue, en janvier 2013, dans les locaux de la sous-direction des étrangers de l’Attique (Petrou Ralli) mais ces observations demeurent de nature générale (paragraphes 49-51 ci-dessus).

79. La Cour observe en outre que le requérant a été détenu dans les locaux du poste-frontière de Soufli du 19 juin au 4 juillet 2013, dans les locaux du poste-frontière de Feres du 4 au 10 juillet 2013 et dans les locaux de la sous-direction des étrangers de l’Attique (Petrou Ralli) du 10 au 30 juillet 2013, soit pour des courtes périodes.

80. Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère que les conditions de détention du requérant dans les locaux des postes-frontière de Soufli et de Feres ainsi que dans les locaux de la sous-direction des étrangers de l’Attique (Petrou Ralli) n’ont pas dépassé le seuil de gravité exigé par l’article 3 de la Convention pour être qualifiées de traitement inhumain ou dégradant. Partant, elle juge qu’il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 3 de la Convention.

ii) En ce qui concerne le centre de détention d’Amygdaleza

81. La Cour note que le requérant a été détenu au centre de détention à Amygdaleza du 30 juillet 2013 au 13 décembre 2013, à savoir pour une période de quatre mois et treize jours au total.

82. Selon le rapport du CPT, qui a visité le centre d’Amygdaleza en avril 2013 (paragraphe 48 ci-dessus), les logements consistaient en deux chambres équipées de deux ensembles de lits superposés, une table et des chaises et une armoire, chacune d’une superficie de 9 m2, entre lesquelles il y avait deux compartiments cloisonnés de toilettes et douches. Comme le faisait remarquer la délégation du CPT dans son rapport, les détenus pouvaient sortir à l’extérieur de leur chambre pour la plupart de la journée, ce qui apaisait l’espace habitable de chaque détenu. Si, toujours selon le CPT, il n’y avait pas d’installations dédiées au repos ou aux activités sportives ou autres activités disponibles pour les détenus et, selon les doléances de ces derniers il y avait une pénurie de produits d’hygiène et qu’il ne leur était pas possible de laver leurs vêtements ni leur linge de lit, le CPT relatait également que les unités étaient généralement propres et en bon état, et suffisamment éclairées et aérées.

83. Le Médiateur de la République, qui a visité le centre à deux reprises, en septembre 2012 et en mars 2013, faisait des constatations similaires (paragraphes 55-58 ci-dessus). Plus précisément, il notait dans son rapport du 29 mai 2013 que les logements étaient équipés de climatisation et avaient de l’éclairage et que les détenus pouvaient se promener régulièrement dans l’espace extérieur. Par ailleurs, l’ONG « Intervention Médicale » était active dans le centre et un soutien social et psychologique était offert. La Cour note en outre que le Médiateur ne faisait pas état de surpeuplement particulier et que, dans leurs rapports, ni le CPT, ni le Médiateur de la République ne se montraient pas critiques de la situation dans ce centre.

84. Ainsi, la Cour estime qu’il n’a pas été démontré que le seuil de gravité requis pour que la détention du requérant dans le centre de détention d’Amygdaleza soit qualifiée de traitement inhumain ou dégradant ait été atteint. Dès lors, il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 3 de la Convention.

2. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

85. Le requérant se plaint également que sa détention était arbitraire et ce à plusieurs titres : selon lui, les autorités ont refusé d’enregistrer sa demande d’asile, sa détention a été ordonnée de façon automatique en vue de son expulsion, il a été arrêté de nouveau après sa condamnation à une peine d’emprisonnement avec sursis et il était détenu alors qu’il était demandeur d’asile. Il invoque l’article 5 § 1 de la Convention qui se lit ainsi :

« Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : (...)

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours ».

1. Sur la recevabilité

86. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare donc recevable.

2. Sur le fond
1. Arguments des parties

a) Le requérant

87. Le requérant soutient que, même à supposer que, selon les décisions du 22 juin 2013 et 23 juillet 2013, sa détention ait été nécessaire pour un examen rapide et efficace de sa demande d’asile, selon le droit applicable à l’époque des faits, à savoir l’article 12 du décret présidentiel no 113/2013, l’avis préalable du directeur du service compétent pour l’examen de la demande était requis à cet égard. Or, le directeur du bureau régional d’asile de l’Attique n’ayant jamais donné son avis, lesdites décisions ont été adoptées de façon illégale et automatique par les autorités policières compétentes, qui étaient de mauvaise foi.

88. Le requérant expose en outre qu’il avait un réseau de soutien d’autres réfugiés d’origine turque et une adresse stable en Grèce, dont il avait informé le tribunal administratif qui a examiné ses objections. Selon le requérant, le risque de fuite, d’après le droit national applicable à l’époque, n’était pas considéré comme un motif justifiant la détention d’un demandeur d’asile. En tout état de cause, il soutient qu’il ne risquait pas de fuir, car ses empreintes étaient enregistrées dans des bases de données, qu’il n’avait pas de passeport et que sa carte d’identité turque avait été déposée auprès les autorités compétentes. En ce qui concerne la décision en date du 23 juillet 2013, le requérant allègue que l’examen rapide et efficace de sa demande d’asile n’avait rien à voir avec sa détention, car son entretien avait déjà eu lieu et la décision sur sa demande était pendante, alors que le service compétent pour l’examen de cette dernière n’avait pas donné son avis à l’égard de sa détention. Il s’ensuit, selon lui, que sa détention en tant que demandeur d’asile a été ordonnée de mauvaise foi et sans prise en considération de sa situation personnelle ou de mesures alternatives.

b) Le Gouvernement

89. Le Gouvernement souligne que le requérant a été arrêté et placé en détention en application de l’article 83 § 1 de la loi no 3386/2005 pour entrée illégale sur le territoire. Il ajoute qu’après la condamnation du requérant, le 21 juin 2013, à une peine d’emprisonnement avec sursis, il a été arrêté de nouveau, le jour même, en vue de son expulsion, dans le cadre d’une procédure administrative. Dans ce cadre, selon lui, une décision de détention provisoire a été adoptée, au motif que le requérant risquait de fuir. Par la suite, le 26 juin 2013, a été adoptée la décision d’expulsion ordonnant la continuation de sa détention pour une durée ne pouvant pas dépasser les six mois, conformément à l’article 76 de la loi no 3386/2005.

90. En ce qui concerne la détention du requérant après la manifestation de sa volonté d’introduire une demande d’asile le 22 juin 2013, le Gouvernement allègue qu’elle a été considérée comme nécessaire pour un examen rapide et efficace de la demande, conformément à l’article 13 du décret présidentiel no 114/2010, selon lequel les étrangers détenus qui déposent une demande d’asile continuent à être détenus pour les raisons prévues, parmi lesquelles figure l’examen rapide et efficace de leur demande.

91. Selon le Gouvernement, l’introduction de la demande d’asile n’avait pas eu comme résultat la levée de la détention du requérant, comme il est prévu par l’article 5 § 1 du décret présidentiel no 114/2010. Par ailleurs, il note que la détention du requérant était nécessaire, car ce dernier risquait de fuir. Il ajoute qu’en l’espèce, des mesures alternatives ne pouvaient pas être appliquées car le requérant n’avait pas d’adresse stable en Grèce, Selon le Gouvernement, la bonne foi des autorités ne peut pas être contestée en l’espèce.

92. En ce qui concerne la durée de la détention du requérant, le Gouvernement expose que ce dernier a manifesté sa volonté d’introduire une demande d’asile le 22 juin 2013, dont le service compétent a été informé le jour même. Cette demande a été enregistrée par le service d’asile le 16 juillet 2013, l’entretien du requérant a eu lieu le 23 juillet 2013 et la décision y relative a été prise le 10 décembre 2013, à savoir dans un laps de temps qui ne devrait pas être considéré comme déraisonnable, selon le Gouvernement, étant donné le nombre élevé des demandes d’asile à l’époque des faits, qui devaient être traitées par ce service, qui avait commencé à opérer le 7 avril 2013.

2. Appréciation de la Cour

93. En ce qui concerne les principes généraux régissant l’application de l’article 5 § 1 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir notamment, Saadi c. Royaume-Uni [GC], no 13229/03, §§ 64 et 74, CEDH 2008, Mooren c. Allemagne [GC], no 11364/03, §§ 72-81, CEDH 2009, Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 73, Recueil 1996‑V, Baranowski c. Pologne, no 28358/95, §§ 50-52, CEDH 2000-III, Barjamaj c. Grèce, précité, §§ 36-38, Khuroshvili c. Grèce, précité, §§ 107-108, et S.Z. c. Grèce, no 66702/13, 21 juin 2018, §§ 53-54).

94. En l’occurrence, la Cour note, en premier lieu, que le requérant a été initialement arrêté et placé en détention le 19 juin 2013 en vertu de l’article 83 de la loi no 3386/2005. Le 21 juin 2013, il a été arrêté de nouveau et sa privation de liberté a été fondée sur l’article 76 de ladite loi. Elle observe qu’après avoir exprimé par écrit le souhait d’introduire une demande d’asile le 22 juin 2013, il a été détenu en vertu de l’article 13 du décret présidentiel no 114/2010 pour un examen rapide et efficace de cette demande. Après l’enregistrement de sa demande par le service d’asile, sa détention a été ordonnée, selon la version rectifiée du 23 juillet 2013 de la décision y afférente, en vertu de l’article 12 du décret présidentiel no 113/2013, déjà en vigueur depuis le 14 juin 2013, aux fins d’un examen rapide et efficace de sa demande. Partant, la Cour estime que la situation litigieuse tombe sous le coup de l’alinéa f) de l’article 5 § 1 de la Convention et trouve un fondement en droit interne. La Cour rappelle sur ce point que l’article 5 § 1 f) n’exige pas que la détention d’une personne contre laquelle une procédure d’expulsion est en cours soit considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir (Chahal, précité, § 112). Au vu de ce qui précède, la Cour considère que la détention du requérant servait à l’empêcher de séjourner sur le territoire grec de manière irrégulière et à garantir son éventuelle expulsion. Par conséquent, elle estime que la bonne foi des autorités compétentes ne peut pas être mise en question.

95. En ce qui concerne la durée de la détention, la Cour rappelle que, dans le contexte de l’article 5 § 1 f), seul le déroulement de la procédure d’expulsion justifie la privation de liberté fondée sur cette disposition et que, si la procédure n’est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d’être justifiée (Chahal, précité, § 113).

96. Or, la Cour relève que le requérant a été détenu pour une période de cinq mois et vingt-quatre jours environ, à savoir du 19 juin au 13 décembre 2013, date à laquelle il a été remis en liberté après s’être vu reconnaître le statut de réfugié. La Cour estime qu’un tel délai ne doit pas être considéré en principe comme excessif pour l’accomplissement des formalités administratives en vue de la matérialisation de son expulsion.

97. Quant à la demande d’asile, la Cour relève qu’il ressort du droit interne que si une demande suspend l’exécution de la mesure d’expulsion, elle ne suspend pas celle de la détention ; le droit interne impose seulement que la procédure d’asile soit conclue rapidement (paragraphes 45 et 46 ci‑dessus), ce qui a été le cas en l’espèce. En effet, les autorités ont examiné en première instance la demande d’asile du requérant, enregistrée le 16 juillet 2013, le 23 juillet 2013 – soit à bref délai – et cette demande a abouti le 10 décembre 2013. Enfin, la Cour relève que le requérant a été remis en liberté le 13 décembre 2013, soit quatre mois et vingt-huit jours après l’enregistrement de sa demande d’asile, ce délai n’ayant pas dépassé le seuil maximal de six mois, fixé par la législation interne (article 12 § 6 du décret présidentiel no 2013/2013) et conformément à la décision du 23 juillet 2013, qui avait ordonné le maintien en détention du requérant (paragraphe 16 ci-dessus).

98. Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que la détention du requérant n’était pas arbitraire et qu’elle était « régulière » au sens de l’article 5 § 1 f) de la Convention.

99. Par conséquent, la Cour estime qu’en l’espèce il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

3. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

100. Le requérant se plaint également de l’inefficacité du contrôle juridictionnel de la détention en l’espèce. Il invoque l’article 5 § 4 de la Convention, qui se lit ainsi :

«Toute personne privée de sa liberté pour arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale ».

1. Sur la recevabilité

101. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare donc recevable.

2. Sur le fond
1. Les thèses des parties

a) Le requérant

102. Le requérant allègue que dans ses premières objections, il s’est plaint de sa détention, en tant que demandeur d’asile, sur la base d’une décision en vue de son expulsion, l’exécution de laquelle avait été suspendue après l’introduction de sa demande d’asile, conformément à l’article 5 du décret présidentiel no 113/2013. Il ajoute qu’il faisait valoir que les conditions prévues par le droit national n’étaient pas remplies en l’espèce. Il se plaignait en outre en détail de ses conditions de détention.

103. Selon le requérant, les tribunaux administratifs qui ont examiné ces objections n’avaient fourni de réponses à presque aucune desdites allégations. Plus spécifiquement, selon lui, la décision no 4149/2013 a seulement examiné la question de savoir s’il constituait un danger pour l’ordre public et s’il risquait de fuir. Le requérant ajoute que le juge qui a examiné ses secondes objections n’a jamais répondu à ses allégations relatives aux conditions de sa détention.

b) Le Gouvernement

104. Le Gouvernement rappelle que la présidente du tribunal administratif a rejeté les objections du requérant introduites le 30 juillet 2013 en considérant que la détention de celui-ci était légale, car elle était jugée nécessaire pour un examen rapide et efficace de sa demande d’asile, et que celui-ci risquait de fuir. Il rajoute que la même présidente a rejeté les objections introduites le 13 septembre 2013 en estima que l’allégation du requérant selon laquelle il ne risquait pas de fuir était invoquée inutilement, car cette allégation avait été rejetée par la décision précédente et que les allégations relatives aux conditions de détention du requérant avaient aussi été rejetées tacitement, car ce dernier n’avait produit aucun élément de preuve.

105. Le Gouvernement soutient qu’il en ressort que ces décisions du tribunal administratif étaient suffisamment motivées quant à la nécessité du maintien de la détention du requérant et du rejet de sa demande de levée de cette dernière, ainsi que les allégations cruciales du requérant ont été examinées de manière adéquate. Selon le Gouvernement, le fait que ces décisions ne contiennent de motivations spécifiques se rapportant à chaque allégation du requérant ne signifie pas que lesdites allégations n’ont pas été examinées par le tribunal, mais qu’elles ont été rejetées tacitement, ce qui est justifié en raison du caractère expéditif de la procédure suivie dans les affaires d’examen des objections. Il ajoute que le droit du requérant à un examen effectif de sa demande n’a pas été atteint en l’espèce, car les conditions nécessaires à la continuation de sa détention, telles que prévues par l’article 13 du décret présidentiel no114/2010 (similaires à celles prévues par l’article 12 du décret présidentiel no 113/2013) étaient remplies en l’espèce.

2. L’appréciation de la Cour

106. En ce qui concerne les principes généraux régnant l’application de l’article 5 § 4 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir notamment, Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 61, CEDH 2001‑II ; S.D. c. Grèce, no 53541/07, § 72, 11 juin 2009 ; A.A. c. Grèce, no 12186/08, § 70, 22 juillet 2010 ; Herman et Serazadishvili c. Grèce, no 26418/11 et 45884/11, § 71, 24 avril 2014 ; et MD c. Grèce, no 60622/11, § 64, 13 novembre 2014).

107. En l’espèce, la Cour observe que dans sa décision du 5 août 2013, portant rejet des objections du requérant, la présidente du tribunal administratif a relevé que l’intéressé risquait, d’une part, de fuir s’il était remis en liberté et, d’autre part, que sa détention était nécessaire pour un examen rapide et efficace de sa demande d’asile. La présidente a considéré que le requérant n’avait suffisamment prouvé qu’il avait une adresse stable, et que ses allégations relatives à ses conditions de détention étaient invoquées sans preuve, au motif que les documents qu’il avait fournis n’étaient pas actuels et leur traduction n’était pas certifiée. De même, la présidente du tribunal administratif, le 18 septembre 2013, a rejeté les objections du requérant, considérant que sa détention était nécessaire aux fins d’un examen rapide et efficace de sa demande d’asile. Par ailleurs, la présidente a estimé que l’allégation du requérant selon laquelle il ne risquait pas de fuir était invoquée inutilement.

108. Or, la Cour relève que le requérant, tant dans ses objections du 30 juillet 2013 que dans celles du 12 septembre 2013 devant le tribunal administratif, dénonçait ses conditions de détention, se plaignant notamment d’un état de surpopulation, de températures élevées, du manque d’eau potable et d’exercice physique, ainsi que de l’absence de soins médicaux et de produits d’hygiène. Il alléguait également qu’il avait une adresse stable à Athènes et avait fourni une attestation à cet égard.

109. La Cour considère que l’amendement de l’article 76 de la loi no 3386/2005 et l’existence d’une jurisprudence des tribunaux internes qui, dans certains cas, examinent en profondeur la légalité de la détention d’étrangers en voie d’expulsion et ordonnent, le cas échéant, leur mise en liberté, vont dans le sens du renforcement des garanties dont devraient bénéficier les détenus étrangers en voie d’expulsion. Toutefois, elle constate qu’en l’espèce le requérant n’a pas bénéficié d’un examen de la légalité de sa détention d’une ampleur propre à refléter les possibilités offertes par la version amendée du paragraphe 5 de l’article 76 (voir, MD c. Grèce, § 68, précité). Cela est d’autant plus vrai s’agissant des griefs relatifs aux conditions de détention, domaine dans lequel la Cour a constaté une violation à plusieurs reprises dans d’autres affaires : aux yeux de la Cour, de tels griefs, récurrents dans les objections formulées par les étrangers devant les tribunaux administratifs, méritent certainement une réponse de la part de ces derniers.

110. Dès lors, la Cour estime qu’en l’espèce il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

4. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

111. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

1. Dommage

112. Le requérant réclame 16 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il estime avoir subi. Le requérant demande que la somme allouée soit versée sur le compte bancaire indiqué par son représentant.

113. Le Gouvernement estime que la somme demandée est excessive et non justifiée. Il considère qu’un éventuel constat de violation constituerait en l’espèce une satisfaction équitable. Par ailleurs, il estime que le montant qui serait éventuellement alloué au requérant au titre de satisfaction équitable devrait être versé sur le compte bancaire de ce dernier.

114. La Cour rappelle qu’elle a constaté en l’espèce la violation de l’article 5 § 4. Statuant en équité, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 3 000 EUR au titre du préjudice moral.

2. Frais et dépens

115. Le requérant demande également 2 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour et produit un certificat de comparutions de sa représentante, issu par le barreau d’Athènes, relatives à la période du 1er janvier au 31 décembre 2013.

116. Le Gouvernement conteste ses prétentions et estime que le requérant n’a produit aucun justificatif prouvant le versement de ladite somme.

117. En l’espèce, la Cour note que le requérant n’a produit aucune facture relative aux frais engagés dans le cadre de la procédure devant elle. Il convient donc d’écarter cette demande.

3. Intérêts moratoires

118. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention ;
3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;
4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;
5. Dit,

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 3 000 (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 janvier 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Renata DegenerKrzysztof Wojtyczek
Greffière adjointePrésident

* * *

[1] Version originale en anglais. La traduction a été préparée par le Greffe.


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