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03/10/2019 | CEDH | N°001-196150

CEDH | CEDH, AFFAIRE KAAK ET AUTRES c. GRÈCE, 2019, 001-196150


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE KAAK ET AUTRES c. GRÈCE

(Requête no 34215/16)

ARRÊT


STRASBOURG

3 octobre 2019

DÉFINITIF

03/01/2020

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Kaak et autres c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une Chambre composée de :

Ksenija Turković, présidente,

Krzysztof Wojtyczek,

Linos-Alexandre Sicilianos,

Aleš

Pejchal,

Armen Harutyunyan,

Pere Pastor Vilanova,

Pauliine Koskelo, juges,

et de Abel Campos, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du consei...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE KAAK ET AUTRES c. GRÈCE

(Requête no 34215/16)

ARRÊT

STRASBOURG

3 octobre 2019

DÉFINITIF

03/01/2020

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Kaak et autres c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une Chambre composée de :

Ksenija Turković, présidente,

Krzysztof Wojtyczek,

Linos-Alexandre Sicilianos,

Aleš Pejchal,

Armen Harutyunyan,

Pere Pastor Vilanova,

Pauliine Koskelo, juges,

et de Abel Campos, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 septembre 2019,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 34215/16) dirigée contre la République hellénique par quarante-neuf ressortissants syriens, afghans et palestiniens, dont les noms figurent en annexe (« les requérants »), qui ont saisi la Cour le 16 juin 2016 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants ont été représentés par Mme E. Shahshahani, avocate de formation et membre du Groupe d’information et de soutien des immigré‑e‑s (GISTI), dont le siège se trouve à Paris. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, M. K. Georgiadis, assesseur au Conseil juridique de l’État, et Mme Z. Hadjipavlou, auditrice au Conseil juridique de l’État. Des observations ont également été reçues du GISTI, de l’association Migreurop, de l’Association Européenne des Droits de l’Homme (AEDH), de l’association EuroMeds Droits, de l’Associazione per gli Studi Giuridici sull’Immigrazione (ASGI) et du Greek Council for Refugees (GCR), que la présidente avait autorisés à intervenir dans la procédure écrite en tant que tierces parties (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 a) du règlement de la Cour).

3. Les requérants allèguent des violations des articles 3, 5 § 1, 5 § 2 et 5 § 4 de la Convention.

4. Le 7 septembre 2017, les griefs concernant les articles susmentionnés ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.

EN FAIT

1. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Les requérants, des adultes, des adolescents et des enfants entrèrent irrégulièrement en Grèce, à l’île de Chios, par voie maritime, entre le 20 mars et le 15 avril 2016. Le jour même de leur arrivée à l’île, ils furent arrêtés par la police et des décisions de mise en détention ou de restrictions de mouvement furent rendues à leur encontre par le directeur de la police de Chios. Tout en tenant compte de la situation individuelle des requérants, pour des raisons pratiques et eu égard au nombre de ceux-ci, la Cour les désignera par les numéros qui correspondent à l’énumération de ceux-ci dans l’annexe au présent arrêt.

6. Les requérants 3, 9, 19, 26, 36 et 45 étaient des mineurs non accompagnés. Arrêtés par la police, les requérants furent emmenés au camp de VIAL, une ancienne usine d’aluminium transformée en centre d’accueil, d’identification et d’enregistrement des migrants, situé à 10 km du centre‑ville de Chios. Au courant d’avril 2016, certains d’entre eux (requérants 1, 2, 4, 5, 6, 7, 8, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 37, 38, 41, 42, 43, 44, 46 et 49) furent transférés au camp de SOUDA, une structure ouverte et préexistant du camp de VIAL et créée comme lieu d’accueil provisoire de migrants qui devaient partir, après leur enregistrement, sur la Grèce continentale.

7. Plus particulièrement :

Les requérants 7, 13, 15, 31 34, 35, 42, 43 et 46 entrèrent irrégulièrement en Grèce le 20 mars 2016. Le 23 mars 2016, les autorités rendirent des décisions d’expulsion à leur égard qui leur furent notifiées le 25 mars 2016.

Les requérants 2, 11, 12, 18, 19, 20 21, 22, 23, 24, 25, 26, 36, 39, 40 et 48 entrèrent irrégulièrement en Grèce le 20 mars 2016. Le 24 mars 2016, les autorités rendirent des décisions d’expulsion à leur égard qui leur furent notifiées le 25 mars 2016 (à l’exception des requérants 24 et 36). Il n’existe pas de décision d’expulsion à l’égard du requérant 22 qui était mineur accompagné par sa mère, ni à l’égard du requérant 26, mineur accompagné par sa mère qui avait fait l’objet d’une décision d’expulsion mais qui était par la suite révoquée au motif que cette mère célibataire était une personne vulnérable.

Les requérants 3, 9 et 45 entrèrent irrégulièrement en Grèce le 27 mars 2016. Le 30 mars 2016, les autorités rendirent des décisions d’expulsion à leur égard qui leur furent notifiées le 31 mars 2016.

Les requérants 27 et 28 entrèrent irrégulièrement en Grèce le 29 mars 2016. Le 1er avril 2016, les autorités rendirent des décisions d’expulsion à leur égard qui leur furent notifiées le 4 avril 2016.

Les requérants 1, 6, 10, 14, 29, 30, 32, 37 et 44 entrèrent irrégulièrement en Grèce le 1er avril 2016. Le 14 avril 2016, les autorités rendirent des décisions d’expulsion à leur égard qui leur furent notifiées le 5 avril 2016.

Le requérant 33 entra irrégulièrement en Grèce le 3 avril 2016. Le 6 avril 2016, les autorités rendirent une décision d’expulsion à son égard qui lui fut notifiée le 7 avril 2016.

Les requérants 8, 17, 41 et 51 entrèrent irrégulièrement en Grèce le 9 avril 2016. Le 12 avril 2016, les autorités rendirent des décisions d’expulsion à leur égard qui leur furent notifiées le 13 avril 2016.

Le requérant 16 entra irrégulièrement en Grèce le 30 avril 2016. Le 3 mai 2016, les autorités rendirent une décision d’expulsion à son égard qui lui fut notifiée le 12 mai 2016.

Les requérants 4, 5 et 38 entrèrent irrégulièrement en Grèce le 12 mai 2016. Le 15 mai 2016, les autorités rendirent des décisions d’expulsion à leur égard qui leur furent notifiées le 16 mai 2016.

Le requérant 47 entra irrégulièrement en Grèce le 15 mai 2016. Le 18 mai 2016, les autorités rendirent une décision d’expulsion à son égard qui lui fut notifiée le 19 mai 2016.

8. Toutes les décisions d’expulsion mentionnaient qu’il était ordonné : 1) la détention en vue du renvoi immédiat de la personne concernée en Turquie car elle était entrée irrégulièrement sur l’île de Chios et était arrêtée par la police du port de cette île ; 2) le maintien en détention jusqu’à la réalisation de l’expulsion/renvoi et pour une durée ne pouvant pas dépasser six mois à compter de l’adoption de la décision de la mise en détention provisoire, car la personne concernée était considérée comme risquant de fuir. Les décisions indiquaient aussi que la personne concernée avait le droit d’introduire un recours devant le Directeur général de la police de la région d’Égée et de former des objections contre sa détention devant le tribunal administratif de Mytilène.

9. Certains des requérants remplirent des documents attestant qu’ils souhaitaient déposer des demandes d’asile. Le Gouvernement précise que le Service d’Asile l’informa qu’il ne disposait pas dans ses registres les requérants 2, 10, 16, 18, 20 21, 22, 24, 25, 33, 39 et 40.

10. Par des décisions prises à diverses dates, le Directeur général de la Région d’Égée du nord constata que l’expulsion des requérants 1, 2, 4, 5, 6, 7, 8, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 21, 23, 24, 25, 27, 28, 30, 32, 33, 36, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 46 et 49 n’était pas possible dans l’immédiat et révoqua les décisions d’expulsion jusqu’à ce que l’examen des demandes d’asile de ces requérants soit terminé.

11. En ce qui concerne les requérants mineurs :

Le 22 mai 2016, le directeur de VIAL invita le Centre national de solidarité sociale (EKKA) à trouver une structure d’accueil pour le requérant 3. Le 25 août 2016, l’EKKA trouva une place dans une structure de l’organisation non-gouvernementale Praksis, dans la région de l’Attique. Toutefois, le requérant n’y fut jamais placé dans cette structure faute pour les autorités de le repérer dans le VIAL.

Le 22 mai 2016, le directeur de VIAL invita l’EKKA à trouver une structure d’accueil pour le requérant 9. Le 12 août 2016, l’EKKA trouva une place dans une structure de l’organisation non-gouvernementale Metadrassis, à l’île de Chios. À la suite de la révocation de la décision d’expulsion de ce requérant, l’EKKA lui trouva le 7 décembre 2016, une nouvelle structure d’accueil à Athènes. Le requérant quitta cette structure le 9 août 2017, aux fins du regroupement familial en Norvège.

Le 18 mai 2016, le directeur de VIAL invita l’EKKA à trouver une structure d’accueil pour les requérants 19 et 26. Toutefois, cette demande fut annulée faute pour les autorités de les repérer dans le VIAL.

Le 19 juillet 2016, le directeur de VIAL invita l’EKKA à trouver une structure d’accueil pour le requérant 36. Le 21 juillet 2016, l’EKKA trouva une place dans une structure de l’organisation non-gouvernementale Association de la protection de l’enfance, à Athènes, à laquelle le requérant fut renvoyé. Le 31 mai 2017, le requérant quitta cette structure pour la Norvège, pays qui avait accepté d’examiner la demande d’asile du requérant.

Le 20 mai 2016, le directeur de VIAL invita l’EKKA à trouver une structure d’accueil pour la requérante 45. Toutefois, cette demande aussi fut annulée faute pour les autorités de la repérer dans le VIAL.

1. La version des requérants concernant les conditions de vie

12. Les requérants décrivent ainsi leurs conditions de détention dans les camps de VIAL et de SOUDA et qui mettaient en danger, selon eux, leur intégrité physique et psychique.

1. Carences alimentaires

13. Au camp de VIAL :

. de longues files d’attente pour les repas se formaient sous le soleil pouvant durer trois heures ;

. les barquettes de féculents étaient frelatées et des vers apparaissaient dans les plats chauds.

14. Au camp de SOUDA :

. aucune nourriture n’était fournie par les autorités ;

. la distribution de nourriture dépendait de la seule générosité des associations humanitaires, mais l’aide alimentaire était en deçà des besoins minimaux quotidiens fixés par l’OMS (piètre qualité, trop faible quantité) ;

. il n’existait pas de nourriture adaptée aux bébés dans le camp et les bouteilles de lait avaient leur date limite de consommation dépassée.

2. Dispositif médical insuffisant

15. Le diagnostic des maladies était quasiment impossible ; il en allait de même des soins médicaux nécessaires. Il existait un grave risque d’infection pour les personnes affaiblies. En revanche, il n’existait aucune possibilité des soins psychiques et psychiatriques alors que de nombreux migrants ont fui des situations de conflits particulièrement traumatisants.

16. Au camp de Souda, il n’y avait que deux médecins pour environ mille deux cents personnes et qui ne se déplaçaient pas en dehors de leurs containers et n’effectuaient pas de maraude. Il y avait une absence totale de prise en charge médicale spécifique pour des cas particuliers (cancers, femmes enceintes, etc.), même s’agissant des enfants (anchondroplasie, surdité etc.). Les requérants devaient acheter les médicaments à leurs frais.

3. Conditions matérielles dangereuses

17. Le surpeuplement des camps avait rendu les containers fournis par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) exigus et inconfortables (une dizaine des requérants dans une quinzaine de mètres carrés maximum). Plus d’une personne sur deux dormait à même le sol.

18. Au camp de VIAL, le soleil brulant, le vent et la poussière obligeaient les requérants à rester dans les containers. Deux des requérants ont tenté de mettre fin à leurs jours, l’un en se pendant, l’autre en s’immolant par le feu.

19. Au camp de Souda, les containers étaient l’exception. Deux hangars servaient de lieux de couchage collectif. Les containers étaient posés sur un sol infiltré d’eaux usées. Vingt-cinq requérants avaient fait une grève de la faim pendant vingt jours qui avait pris fin par un incendie survenu le 7 juin 2016 dans le camp et qui avait mis les requérants en danger de mort.

4. Insécurité spécifique pour des catégories de personnes particulièrement vulnérables

20. Les cabines de douche n’étaient pas mixtes mais pas non plus disposées de manière à permettre une intimité et une sécurité suffisante pour les femmes. Les requérantes de sexe féminin exprimèrent leur craintes d’être agressées.

21. Les enfants ne recevaient aucune éducation ni soutien psychologique, étaient laissés pour compte toute la journée et jouaient dans les déchets. Les adolescents étaient exposés aux sollicitations illicites des habitants de Chios qui les démarchaient pour les faire travailler dans les champs ou à des travaux de maçonnerie moyennant un salaire dérisoire. Certains leur proposaient aussi une rémunération en échange de services sexuels. Aucun des adolescents ne s’était vu désigner un administrateur ad hoc ni n’avait été pris en charge par des services d’aide à l’enfance.

5. Impossibilité pratique de contester la privation de liberté

22. Les autorités ne fournirent aux requérants d’assistance judiciaire gratuite, ni la possibilité de téléphoner gratuitement à un avocat. Il n’existait pas de permanence d’avocat dans les camps et le site internet du barreau de Chios était exclusivement en langue grecque.

23. Les associations humanitaires habilitées à entrer dans les camps n’étaient pas en mesure de dispenser ni information, ni conseil, ni assistance juridique aux migrants désireux de contester leur privation de liberté. Enfin, il n’existait pas de tribunal administratif à Chios.

2. La version du Gouvernement concernant les conditions de vie
1. Le camp de VIAL

24. Le camp, d’une capacité officielle de 1 200 personnes, accueillait à l’époque des faits 1 120 personnes environ.

25. Le camp est composé de 143 conteneurs préfabriqués dont 50 se trouvent dans la zone A, 71 dans la zone B et 22 dans le bâtiment central, ces derniers étant utilisés comme des bureaux des services du camp. Les conteneurs destinés aux réfugiés sont de taille différente, pouvant accueillir chacun soit 16, soit 10, soit 6 personnes. Il existe aussi 18 autres conteneurs contenant 90 toilettes et 90 douches reliées au système de canalisations d’égouts et d’approvisionnement d’eau de l’île.

26. La propreté dans le centre est assurée par une société privée de nettoyage.

27. La fourniture des repas (trois par jour) est assurée depuis le 25 mars 2016 par une société privée. Il existe des repas adaptés aux nourrissons, aux femmes enceintes ou qui allaitent ainsi qu’aux convictions religieuses des réfugiés. Chaque personne reçoit une bouteille d’eau minérale par jour.

28. Les organisations non-gouvernementales Praksis et Metadrassis présentes dans le camp fournissent un support sanitaire et psychologique ainsi que des produits de première nécessité.

29. En outre, une équipe de médecins et de psychologues assuraient les premiers soins à l’intérieur du centre et les patients qui ne pouvaient pas être traités sur place étaient transférés à l’hôpital public de Chios.

30. Pour que les réfugiés puissent se divertir et s’exercer, le camp disposait d’un terrain de football et d’un espace aménagé pour occuper les enfants et les mineurs non accompagnés.

31. Le HCR et l’organisation non-gouvernementale Metadrassis fournissaient gratuitement des conseils juridiques aux réfugiés.

32. Le personnel du camp et le HCR avaient assumé l’obligation d’informer les nouveaux venus dans le camp de leurs droits et obligations, ainsi que des modalités d’accès à la protection internationale. Des brochures informatives rédigées en dix langues, dont anglais, arabe, turc, farsi, urdu, pattu etc., étaient distribuées aux réfugiés et à ceux qui faisaient l’objet d’une décision d’expulsion. Les brochures informaient les intéressés sur le fait qu’ils étaient détenus en raison de leur entrée illégale sur le territoire et jusqu’à la fin de la procédure d’expulsion, sur leurs droits pendant la détention, et sur les voies de recours pour contester les décisions d’expulsion (dans un délai de cinq jours devant le Directeur général de la Région d’Égée) et de détention (devant le tribunal administratif de Mytilène). Des services d’interprétation et de traduction étaient fournis par l’organisation non-gouvernementale Metadrassis, qui offrait depuis 2011 une assistance juridique gratuite aux réfugiés et avait renforcé son équipe d’avocats après l’entrée en vigueur de la « Déclaration UETurquie ».

33. En ce qui concerne les mineurs non-accompagnés, ils étaient placés dans une zone spécialement délimitée dans le camp (« safe zone ») et séparée du reste de la population. Ils faisaient objet de soins quotidiens par un personnel spécialisé.

34. Un espace similaire existait aussi pour les mères célibataires et les femmes vulnérables (« women safe spaces » et « mother-baby areas »).

2. Le camp de SOUDA

35. Le camp de SOUDA, situé près de la ville de Chios, fut créé en novembre 2015 par la municipalité de Chios, avec l’assistance du HCR, afin de couvrir les besoins d’un court séjour des réfugiés venant de Turquie, en attente de recevoir les documents nécessaires pour être dirigés sur le continent. Il fut toujours une structure ouverte.

36. Lorsque le camp de VIAL commença à fonctionner au début 2016, il fut décidé de fermer le camp de SOUDA, mais la signature de la « Déclaration UETurquie » sur les réfugiés en provenance de Turquie et l’obligation qui en découla de maintenir sur l’île un nombre disproportionné de migrants obligea la municipalité de Chios à conserver ce camp.

37. Le 1er avril 2014, 500 personnes environ qui étaient hébergées dans le camp de VIAL quittèrent ce camp de leur propre initiative et s’installèrent dans le port de Chios ou dans le camp de SOUDA. Compte tenu aussi du fait que la capacité officielle du camp de VIAL était atteinte, les nouveaux réfugiés étaient incités par le HCR de s’installer au camp de SOUDA.

38. Les besoins en nourriture des réfugiés dans ce camp étaient couverts par le HCR et le Conseil norvégien pour les réfugiés. La nourriture ne manqua jamais aux réfugiés qui se trouvaient dans ce camp et l’eau potable était illimitée au moyen des deux points d’eau dans le camp.

39. Les nouveaux arrivants dans le camp étaient installés dans des bâtiments préfabriqués d’une capacité de 600 personnes. Il y avait aussi de grands abris, appelés « rubhall » et fournis par le HCR, qui pouvaient abriter un plus grand nombre de personnes. Lorsque le nombre de personnes hébergées dépassait le chiffre susmentionné, le HCR et des organisations non-gouvernementales mettaient à disposition des tentes, de sorte qu’aucune personne ne se trouvait sans toit.

40. Les organisations non-gouvernementales « Médecins sans Frontières » et « WAHA » assuraient les soins médicaux sur une base de 24 h sur 24 h et renvoyaient les cas les plus graves à l’hôpital public de Chios.

41. Le personnel du camp était en contact direct avec le parquet, la police, l’hôpital de Chios, le HCR et les organisations non-gouvernementales pour assurer les meilleures conditions de vie aux mineurs et aux autres membres des groupes vulnérables. Des services d’interprétation et d’information des réfugiés étaient fournis par le HCR, des organisations non-gouvernementales et par un avocat qui avait collaboré pendant six mois avec la municipalité de Chios à cet effet.

42. Le fonctionnement du camp de SOUDA prit fin en octobre 2017 suite à la baisse du flux de migrants.

43. Le Gouvernement souligne qu’en raison de la fermeture du camp, il ne lui était pas possible de vérifier à quelles dates certains des requérants séjournèrent dans le camp.

2. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

44. Pour le droit et la pratique internes pertinents se référer à l’arrêt J.R. et autres c. Grèce (no 22696/16, §§ 29-35, 25 janvier 2018).

45. Les centres d’accueil et d’identification (hotspots) comme celui de VIAL, constituent des centres d’accueil des ressortissants des États tiers qui arrivent en Grèce sans avoir respecté les formalités légales. La procédure consiste en l’accueil, l’identification, l’enregistrement, l’examen médical, le repérage des personnes appartenant à des groupes vulnérables, le soutien psychologique des migrants irréguliers, ainsi que leur information quant à leurs droits et obligations et quant aux procédures de demandes d’asile. La durée du séjour dans les hotspots, qui ne peut pas dépasser 25 jours, est indispensable pour la clôture de la procédure d’identification et d’enregistrement.

46. Les personnes qui s’y trouvent sont soumises à quelques restrictions de leurs mouvements afin qu’elles soient à la disposition des autorités pour les besoins des procédures d’identification et d’enregistrement. Elles sont libres de circuler à l’intérieur des hotspots, leurs familles restent groupées, elles ont accès à tous les services disponibles (soins médicaux, habillement, nourriture, alimentation en eau, installations sanitaires), ainsi qu’à des conseils juridiques, et peuvent communiquer librement avec des représentants des organisations non-gouvernementales et du HCR.

3. LES CONSTATS DE DIFFERENTES ORGANISATIONS CONCERNANT LE CAMP DE VIAL

47. Pour les constats des différentes organisations nationales et internationales concernant le camp de VIAL se référer à l’arrêt J.R. et autres, précité, §§ 43-62).

48. Plus particulièrement, en ce qui concerne les mineurs non accompagnés dans ce camp, le Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) relevait ce qui suit à la suite de ses visites en avril et en juillet 2016. Lors de la visite d’avril, une trentaine des mineurs non accompagnés étaient privés de leur liberté. Les autorités du camp n’étaient pas en mesure de préciser le nombre exact de ceux-ci car ils étaient mélangés avec les autres migrants et ne faisaient pas l’objet des dispositions ou des soins particuliers. Le CPT avait insisté pour que ces mineurs soient placés dans des quartiers séparés de ceux des adultes. Lors de la visite de juillet, le CPT fut informé que le camp hébergeait 34 mineurs non accompagnés et qu’un espace séparé était en train d’être construit pour eux mais n’était pas encore opérationnel.

49. En outre, du 7 au 11 mars 2016, le représentant spécial du Secrétaire Général pour les migrations et les réfugiés a effectué une visite d’information en Grèce et s’est rendu au camp de VIAL. Il indiquait ceci dans son rapport :

« Les conditions de vie étaient convenables, malgré la promiscuité dans les dortoirs qui hébergeaient jusqu’à huit personnes dans quatre lits doubles superposés. Comme indiqué précédemment, peu de temps après ma mission, le centre d’accueil voyait sa capacité d’accueil dépassée et les autorités y ont très rapidement perdu le contrôle de la situation. Selon certains de mes interlocuteurs, diverses raisons laissaient présager d’une telle évolution : depuis la conclusion de l’accord entre l’UE et la Turquie, les demandeurs d’asile arrivant dans les îles grecques sont censées déposer leur demande dans les centres d’enregistrement : l’obligation qui leur est faite de rester sur place durant l’examen de leur demande conduira rapidement les centres d’accueil à la limité de leur capacité ».

50. En ce qui concerne la tutelle des mineurs, il précisait :

« Le procureur des enfants ou le procureur du tribunal local de première instance fait office de tuteur provisoire. Il est chargé de désigner un tuteur permanent. Dans la pratique, les procureurs n’ont pas les moyens de gérer le grand nombre de mineurs non accompagnés dont on leur confie la charge et ils ne peuvent pas se tourner vers une autre institution de l’État pour obtenir de l’aide. Pendant la mission, nous avons appris le lancement par une organisation non gouvernementale d’un projet de création de tutelle pour les mineurs non accompagnés. Le personnel de cette ONG assure des services dans les « refuges » pour mineurs et peut exercer les pouvoirs délégués par le procureur compétent ».

51. Un projet de rapport a été adopté le 3 juin 2016 par « la Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées » de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, dans lequel la situation dans les îles grecques, y compris dans le camp de VIAL, est brièvement décrite. Le rapport fait état du surpeuplement dans les camps de Chios et le fait que le système d’asile grec serait encore loin d’être opérationnel dans les « hotspots », y compris en raison de l’absence de l’aide promis par l’Union européenne.

EN DROIT

1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

52. Les requérants se plaignent de leurs conditions de détention dans les camps de VIAL et de SOUDA. Ils allèguent une violation de l’article 3 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

1. Sur la recevabilité

53. Le Gouvernement soutient que le grief des requérants 4, 5, 6 et 38 doit être rejeté pour défaut de qualité de victime car ces requérants ont été placés directement dans le camp de SOUDA, sans transiter par le camp de VIAL. Il soutient aussi que le grief des requérants 1, 2, 7, 8, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 17, 29, 31, 32, 33, 34, 35, 37, 41, 42, 43, 44, 46, 49 doit être rejeté comme manifestement mal fondé car ces requérants ont séjourné pour des périodes ne dépassant pas dix jours au total dans le camp de VIAL.

54. Les requérants ne présentent pas d’observations à cet égard.

55. La Cour note que les exceptions du Gouvernement relèvent de l’examen du fond du grief énoncé par les requérants sur le terrain de l’article 3 de la Convention, question examinée ci-dessous (§§ 62 - 81).

56. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond
1. Thèses des parties

a) Les requérants

57. Les requérants affirment, en ce qui concerne les conditions de vie dans les camps de VIAL et de SOUDA, que la tentative du Gouvernement de décrire de manière idyllique les services d’aide divers disponibles dans ces camps ou de présenter le camp de SOUDA comme une structure ouverte est une insulte supplémentaire à la dignité des requérants. Le 31 août 2018, soit plus de deux ans après les faits de la présente requête, le HCR a demandé une nouvelle fois à la Grèce d’accélérer le transfert sur le continent des demandeurs d’asile rassemblés dans les centres d’accueil des îles de la mer Égée où les conditions de vie se détériorent. Le HCR pointe la surpopulation chronique des migrants retenus dans l’île de Chios.

58. Les requérants soutiennent aussi que les affirmations du Gouvernement concernant le camp de SOUDA sont mensongères. Ils soulignent qu’ils n’ont eu d’autre choix que d’y survivre, pour certains à même le sol, dans des tentes de fortune.

b) Le Gouvernement

59. Le Gouvernement renvoie à sa version concernant les conditions de « détention » des requérants et allègue que même si celles-ci ne peuvent pas être qualifiées d’idéales, elles n’étaient pas de nature à dépasser le seuil de gravité pour qu’elles soient considérées comme ayant constitué un traitement inhumain ou dégradant.

60. Le Gouvernement souligne que les autorités grecques, en collaboration avec les organisations non-gouvernementales et les organisations internationales ont pris en considération les besoins et la situation vulnérable des requérants et se sont efforcés de les assister de manière efficace.

2. Tiers intervenants

61. Se prévalant de la jurisprudence de la Cour, les tiers intervenants rappellent que celle-ci a souvent, dans le cadre d’affaires concernant des demandeurs d’asile, conclu à la violation de l’article 3 même lorsque des requérants avaient été retenus pour une durée significativement inférieure à celle des migrants présents dans les hotspots. Se référant aussi aux constats des organisations non-gouvernementales telles que le GISTI et le GCR, ils soulignent que les conditions de détention dans les camps de VIAL et de SOUDA étaient dégradantes en raison des conditions d’hébergement indignes (surpopulation, toilettes et canalisations d’eau cassées), de l’hygiène et de l’alimentation déplorables (quantité extrêmement faible de nourriture à VIAL et distribution de nourriture dépendant de la seule générosité des associations humanitaires à SOUDA), du manque d’accès aux soins médicaux (personnel médical et matériel insuffisants et absences des soins psychiques et psychiatriques à VIAL et deux médecins pour mille deux cents personnes à SOUDA) et du traitement des mineurs isolés (aucune prise en charge par les services d’aide des enfants isolés, des familles avec enfants en bas âge, des femmes enceintes et des femmes seules).

3. Appréciation de la Cour

62. En ce qui concerne les principes généraux concernant l’application de l’article 3 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente et relatives, notamment, aux conditions de privation de liberté d’immigrés potentiels et de demandeurs d’asile dans des centres d’accueil ou de rétention, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir, en particulier, M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], no 30696/09, §§ 223-234, CEDH 2011, Tarakhel c. Suisse ([GC], no 29217/12, §§ 93-122, CEDH 2014, S.D. c. Grèce, no 53541/07, §§ 49-54, 11 juin 2009, Tabesh c. Grèce, no 8256/07, §§ 3844, 26 novembre 2009, Rahimi c. Grèce, no 8687/08, §§ 63-86, 5 avril 2011, et, en dernier lieu, Khlaifia et autres, précité, §§ 158-177).

63. La Cour rappelle aussi sa jurisprudence selon laquelle, eu égard au caractère absolu de l’article 3 de la Convention, les facteurs liés à un afflux croissant de migrants ne peuvent pas exonérer les États contractants de leurs obligations au regard de cette disposition (M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, § 223, et Hirsi Jamaa et autres c. Italie [GC], no 27765/09, §§ 122 et 176, CEDH 2012), qui exige que toute personne privée de sa liberté puisse jouir de conditions compatibles avec le respect de sa dignité humaine. À cet égard, même un traitement infligé sans l’intention d’humilier ou de rabaisser la victime, et résultant, par exemple, de difficultés objectives liées à la gestion d’une crise migratoire, peut être constitutif d’une violation de l’article 3 de la Convention (Khlaifia et autres, précité, § 184).

64. La Cour rappelle que dans l’arrêt J.R. et autres, précité (§ 138), elle a relevé que les faits de cette affaire se situaient dans une période pendant laquelle la Grèce a connu une augmentation exceptionnelle et brutale des flux migratoires. L’arrivée massive de migrants avait créé pour les autorités grecques des difficultés de caractère organisationnel, logistique et structurel.

65. Dans ce même arrêt, la Cour avait constaté que le CPT qui s’était rendu à deux reprises en 2016 aux hotspots des îles de la mer Égée du nord n’était pas particulièrement critique des conditions régnant dans le camp de VIAL. Ses critiques se concentraient surtout sur des problèmes liés aux soins médicaux dispensés à l’intérieur du centre et à l’hôpital de Chios, au manque d’informations adéquates sur les droits des détenus et demandeurs d’asile et à l’absence d’assistance juridique, ainsi que la mauvaise qualité d’eau potable et de la nourriture fournie. Par ailleurs, ni le CPT, ni les ONG, ni les parties ne fournissaient des informations sur la surpopulation alléguée dans le centre ni n’indiquaient, par exemple, le nombre des mètres carrés disponible dans les conteneurs en général ou dans le conteneur occupé par les requérants (ibid. § 144). La détention des requérants dans l’affaire J.R. dans les conditions qu’ils dénonçaient dans ce centre se caractérisait par sa brièveté : si ces requérants avaient été placés dans le camp de VIAL le 21 mars 2016, celui-ci était devenu une structure semi-ouverte le 21 avril 2016, ce qui permettait aux intéressés de quitter le centre pendant toute la journée et d’y revenir la nuit (ibid. § 145). Ces requérants ayant été réellement détenus pendant une période de trente jours, la Cour a estimé que le seuil de gravité requis pour que leur détention soit qualifiée de traitement inhumain ou dégradant n’avait pas été atteint (ibid. § 146).

66. La Cour estime que ces considérations valent, mutatis mutandis, dans la présente affaire.

a) Le camp de VIAL

i) En ce qui concerne les requérants mineurs non accompagnés 3, 9, 19, 26, 36 et 45

67. La Cour note que les requérants mineurs non accompagnés ont été placés dans la « safe zone » du camp de VIAL où la fourniture des repas et d’autres produits de première nécessité se faisait séparément du reste de la population du camp.

68. Le Gouvernement fournit aussi les informations suivantes spécifiques à ces requérants que ceux-ci n’ont pas contestées.

69. Dès l’enregistrement des requérants, le directeur du camp de VIAL a envoyé une invitation de prise en charge de ceux-ci à l’EKKA (pour trouver une structure d’accueil adéquate), au procureur près le tribunal de première instance de Chios (pour le transfert sécurisé de ceux-ci aux structures d’accueil) et au service d’asile (pour donner suite à l’expression de leur part de la volonté de déposer des demandes d’asile). Toutefois, les requérants 3, 19, 26 et 45 ont quitté le camp de VIAL et ainsi ils n’ont pas pu être repérés par les autorités du camp pour la prise en charge susmentionnée. Ainsi, le requérant 3 n’a pas été informé du rejet de sa demande de regroupement familial en Suède et les requérants 19, 26 et 45 ne se sont pas présentés au service d’asile pour déposer leur demande d’asile.

70. La Cour estime utile aussi de préciser que le Gouvernement indique que les requérants 19 et 26 apparaissent comme les enfants accompagnés de la ressortissante afghane S.A. dans un document du directeur de la police de Chios qui révoquait la décision d’expulsion de celle-ci au motif qu’elle appartenait, en tant que mère célibataire, à un groupe de personnes vulnérables.

71. Les requérants 9 et 36 ont été placés dans des structures d’accueil adaptées. Leurs demandes de regroupement familial ont été accueillies par la Norvège qui a assumé aussi la responsabilité d’examiner leurs demandes d’asile.

72. Enfin, dans une lettre adressée le 16 juin 2016 à la Cour, les requérants mentionnent qu’au moment de leur enregistrement dans le camp de VIAL, ils ont déclaré qu’ils avaient 19 ans.

73. Eu égard à ces considérations, la Cour n’est pas convaincue que les autorités n’ont pas fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour répondre à l’obligation de prise en charge et de protection des requérants susmentionnés, qui pesait sur l’État défendeur s’agissant des personnes particulièrement vulnérables en raison de leur âge.

74. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 3 à cet égard.

ii) En ce qui concerne les autres requérants

75. La Cour note que les requérants 18, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 39 et 40 sont entrés dans le camp de VIAL les 20 et 21 mars 2016. Le 21 avril 2016, date à laquelle le camp est devenu une structure semi-ouverte, ils totalisaient donc trente jours de séjour dans le camp. Les requérants 27 et 28 y sont entrés le 29 mars 2016 et au 21 avril 2016, ils totalisaient vingt-quatre jours. Tous les autres requérants ont été immédiatement transférés au camp de SOUDA ou dans les dix jours de l’entrée au camp de VIAL.

76. Il n’y a donc pas non plus eu violation de l’article 3 à l’égard de ces requérants.

b) Le camp de SOUDA

77. La Cour relève que le camp de SOUDA a été créé en novembre 2015 par la municipalité de l’île de Chios et a fonctionné, avec la collaboration du HCR, comme lieu d’accueil provisoire des réfugiés et migrants qui après leur enregistrement devaient être transférés sur la Grèce continentale. Le fonctionnement du camp, dont la fermeture avait été prévue au moment où le camp de VIAL deviendrait opérationnel, a été prolongé en raison du besoin imprévu de gérer un grand afflux de migrants qui devaient rester plus longtemps sur l’île de Chios.

78. La Cour note aussi qu’aucune des parties ne fournit des précisions concernant le nombre des migrants qui séjournaient dans ce camp à l’époque des faits. Néanmoins, de l’avis de la Cour, à supposer même qu’il y eût à un moment ou à un autre un problème de surpopulation, ce camp a toujours été une structure ouverte, fait de nature à atténuer beaucoup les nuisances éventuelles liées à la surpopulation.

79. La Cour note de surcroît que dans leurs allégations relatives aux conditions de vie dans ce camp, les requérants n’individualisent pas leurs cas et ne précisent pas dans quelle mesure ils étaient personnellement affectés par les conditions qu’ils décrivent de manière si succincte.

80. La Cour ne saurait donc conclure que les conditions de détention des requérants ayant séjourné dans le camp de SOUDA constituaient un traitement inhumain ou dégradant.

81. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 3 de la Convention à l’égard de ces requérants.

2. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 DE LA CONVENTION

82. Les requérants se plaignent que leur détention est arbitraire, en raison notamment des conditions de détention et du fait qu’elle est fondée sur une décision administrative non motivée. Les requérants se plaignent également de n’avoir reçu aucune information sur les raisons de leur détention, ni dans leur langue maternelle ni dans une autre langue. Enfin, les requérants se plaignent qu’ils ne pouvaient en pratique saisir aucune autorité judiciaire pour examiner la question de la légalité de leur détention. Ils allèguent une violation de l’article 5 §§ 1, 2 et 4 de la Convention qui dans sa partie pertinente se lit ainsi :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(...)

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulière d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.

2. Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle.

4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

1. Sur la recevabilité
1. Applicabilité de l’article 5 de la Convention

83. Se prévalant de l’arrêt J.R. et autres précité, le Gouvernement soutient que la « détention » à laquelle ont été soumis certains des requérants pour quelques jours dans le camp de VIAL était « formelle » et non réelle, et que l’article 5 ne saurait s’appliquer pour la période commençant début avril 2016 et en tout cas à partir du 21 avril 2016.

84. Le Gouvernement souligne qu’il n’y avait pas en réalité des restrictions à l’entrée et à la sortie de ces requérants du camp de VIAL lequel a fonctionné comme structure provisoire d’accueil des demandeurs d’asile hébergeant des étrangers qui avaient obtenu la suspension de leur expulsion et qui était, de par sa construction, une structure ouverte. Le Gouvernement souligne aussi que dans leurs lettres envoyées à la Cour à l’occasion de leur demande d’application de l’article 39 du Règlement, les requérants précisaient que durant le mois d’avril 2016, les autorités avaient autorisé tous les migrants à sortir du camp et à circuler dans l’île, ce qui revient à admettre que leur « détention » sans possibilité de sortie a duré jusqu’au 31 mars 2016.

85. Le Gouvernement affirme aussi qu’aucune question de détention ne se pose à l’égard de ceux qui ont été placés dans le camp de SOUDA car ce camp a toujours fonctionné comme une structure ouverte.

86. Les requérants ne présentent pas d’observations sur ce point.

87. En ce qui concerne sa jurisprudence relative à l’applicabilité de l’article 5, la Cour renvoie à son arrêt J.R. et autres, précité, §§ 83-84.

88. En l’espèce, la Cour note que par les décisions des 20, 21, 27 et 29 mars 2016, ainsi que des 1, 4, 6, 9 avril 2016 et 3, 15 et 18 mai 2016, le directeur de la police de Chios a ordonné la détention des requérants. À diverses dates en mars, avril et mai 2016, le même directeur a émis des décisions ordonnant l’expulsion des requérants ainsi que le prolongement de leur détention jusqu’à leur expulsion pour une période ne pouvant pas dépasser six mois, au motif qu’ils risquaient de fuir. La Cour constate donc que, à ces dates, les requérants étaient détenus pour une période pouvant atteindre six mois, en application de l’article 76 de la loi précitée relatif à la détention d’étrangers faisant l’objet d’une procédure d’expulsion administrative.

89. La Cour note en outre que, à partir du 21 avril 2016, le camp de VIAL ayant été transformé en centre semi-ouvert, les requérants avaient la possibilité de quitter les lieux en journée pour ensuite y revenir pour la nuit. Elle constate donc que si du 20 mars au 21 avril 2016 les requérants se trouvaient « en détention », à partir de cette dernière date ils ne faisaient l’objet que d’une simple restriction de mouvement (voir, J.R. et autres, précité, § 86).

90. La Cour conclut que, dans les circonstances de l’espèce, le maintien des requérants dans le centre VIAL du 21 mars au 21 avril 2016 équivalait à une privation de liberté. Elle accueille donc l’exception du Gouvernement pour la période postérieure au 21 avril 2016 et la rejette pour celle antérieure à cette date.

2. Défaut de qualité de victime

91. Se prévalant de l’arrêt J.R. et autres précité et du constat de non violation de l’article 5 de la Convention par la Cour, le Gouvernement soutient que ceux des requérants qui ont été placés dans le camp de VIAL à compter du 20 mars 2016 ne peuvent pas être considérée comme victimes d’une violation de l’article 5 § 1 en raison de la courte durée de leur détention et du fait que celle-ci a été décidée afin de les empêcher de rester de manière irrégulière sur le territoire grec, de les identifier et de les enregistrer et de préparer leur renvoi en Turquie dans le cadre de la « Déclaration UETurquie ». De même, ne peuvent pas se prétendre victimes d’une violation de l’article 5 § 1 les requérants 1, 4, 5, 6, 8, 10, 14, 16, 17, 29, 30, 32, 33, 37, 38, 41, 44, 47 et 49 car ils ont été placés dans le camp de VIAL à compter d’avril 2016, lorsque ce camp était transformé en camp semi-ouvert.

92. Les requérants ne présentent pas d’observations quant à cette exception.

93. Selon la jurisprudence constante de la Cour, par « victime », l’article 34 de la Convention désigne la personne directement concernée par l’acte ou l’omission litigieux. L’existence d’un manquement aux exigences de la Convention se conçoit même en l’absence de préjudice. Celui-ci ne joue un rôle que sur le terrain de l’article 41. Partant, une décision ou une mesure favorable à un requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (voir, entre autres, Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 115, CEDH 2010, Nada c. Suisse [GC], no 10593/08, § 128, CEDH 2012).

94. En l’espèce, la Cour estime qu’elle doit distinguer entre les requérants selon la date de leur entrée en Grèce et de leur placement dans le camp de VIAL, la date déterminante étant celle du 21 avril 2016 lorsque ce camp s’est transformé en structure semi-ouverte. Or, ceux des requérants qui ont été placés dans ce camp avant cette date, ont été en détention et ont donc été « directement affectés » par cette mesure. En revanche, les requérants 4, 5, 16, 38 et 47, qui ont été arrêtés et placés dans ce camp postérieurement à la date du 21 avril 2016, ne peuvent pas se prétendre victimes de la violation de l’article 5.

95. La Cour accueille donc l’exception du Gouvernement en ce qui concerne ces requérants.

3. Épuisement des voies de recours internes

96. Le Gouvernement soutient que les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes faute d’avoir formé des objections contre leur détention devant le tribunal administratif de Mytilène (en application de l’article 76 §§ 3 et 4 de la loi no 3386/2005, de l’article 13 § 4 de la loi no 3907/11 et de l’article 14 § 4 de la loi no 4375/2016) et d’avoir introduit un recours administratif devant le Directeur général de la police de la Région d’Égée ainsi qu’un recours en annulation contre la décision d’expulsion qui constituait la base légale de la détention.

97. Le Gouvernement souligne aussi que les requérants pouvaient avoir accès au tribunal administratif, situé sur l’île voisine de Mytilène, car il accepte de recevoir des objections par voie de courrier, fax et mail, à condition bien évidemment de recevoir par la suite la version papier de celles-ci. En outre, dans les camps de VIAL et de SOUDA, il existait des points d’information animés par des représentants du HCR et de l’Organisation mondiale des migrations ainsi que des équipes des juristes et des traducteurs de l’organisation non-gouvernementale Metadrassis. Enfin, le barreau de l’île de Chios comptait plus de 100 avocats auxquels les requérants auraient pu s’adresser pour bénéficier des conseils juridiques et entreprendre les démarches nécessaires.

98. Les requérants estiment inutile de répliquer sur la prétendue accessibilité de l’assistance juridique sur l’île de Chios et sur le prétendue effectivité des recours mentionnés par le Gouvernement. Cette accessibilité était purement théorique et ne correspondait en rien à la réalité vécue par eux.

99. La Cour note que l’exception du Gouvernement se confond avec la substance du grief énoncé par les requérants sur le terrain de l’article 5 § 4 de la Convention. Elle décide donc de la joindre au fond.

4. Conclusion

100. Constatant que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.

2. Sur le fond
1. Article 5 § 1

a) Thèses des parties

101. Les requérants soutiennent que leur maintien forcé dans des conditions inhumaines était dû aux délais de traitement de l’examen de la « recevabilité » des demandes d’asile, soit une étape procédurale non seulement contraire à l’esprit de la Convention de Genève mais aussi largement postérieure au simple enregistrement et à l’identification des personnes.

102. Les requérants soutiennent aussi que la légalité ou le caractère arbitraire d’une détention et le degré de gravité d’une restriction de liberté équivalant à une « détention » sont deux questions interdépendantes et liées par la proportionnalité. Moins les garanties procédurales sont respectées, plus une restriction de liberté sera ressentie comme de la détention et devra être considérée comme telle au regard de l’article 5.

103. Le Gouvernement souligne que la « détention » des requérants était fondée sur l’article 76 no 3386/2005 et tendait à assurer leur expulsion. Par ailleurs, conformément aux articles 7 et 11 §§ 5 et 13 de la loi no 3907/2011, et 9 et 14 de la loi no 4375/2016, les ressortissants des pays tiers qui entrent irrégulièrement sur le territoire sont soumis à des procédures de réception et d’identification et sont immédiatement conduits dans un centre de réception et d’identification où leur liberté de mouvement est restreinte jusqu’à l’accomplissement des formalités et pour une durée maximale de 25 jours. À l’époque des faits, et notamment à partir du 21 avril 2016, le camp de VIAL est devenu une structure ouverte, ce qui permettait aux requérants de sortir pendant la journée et d’y retourner pour la nuit, de sorte que leur séjour dans le camp ne s’analysait pas en une « détention », au sens de l’article 5 § 1. Par conséquent la détention des requérants a eu lieu conformément à un cadre juridique précis et connu et avait pour but de les empêcher de séjourner de façon irrégulière sur le territoire grec, de garantir leur éventuelle expulsion, de les identifier et de les enregistrer dans le cadre de la mise en œuvre de la Déclaration UE-Turquie. La bonne foi des autorités compétentes ne peut pas être mise en question en l’espèce et la durée de la détention n’était pas excessive pour l’accomplissement des formalités administratives susmentionnées.

b) Tiers intervenants

104. Les tiers intervenants précisent que tant la situation juridique des migrants en Grèce que la situation de fait prévalant dans l’ensemble des hotspots conduit à placer les migrants dans une situation d’insécurité juridique persistante, menant à une généralisation des situations de privation de liberté sans fondement juridique clair et précis. L’ensemble des associations présentes dans les camps de VIAL et de SOUDA ont constaté que les migrants étaient bien de facto privés de leur liberté. En outre, s’agissant de la période s’étendant de la « Déclaration UE-Turquie » à l’entrée en vigueur de la loi no 4357/2016 sur la procédure d’asile, le 2 avril 2016, la Grèce ne disposait d’aucun instrument juridique susceptible de constituer une base légale suffisamment précise pour fonder en droit la rétention des demandeurs d’asile.

105. Nombre d’associations présentes sur le terrain ont constaté l’extrême lenteur des procédures d’asile mises en œuvre, les migrants étant souvent retenus contre leur volonté des mois durant dans les hotspots dans l’attente d’une décision des comités d’appel. Les recours systématiquement formés contre les décisions de rejet de la demande ou de renvoi en Turquie devant les commissions d’appel, qui en suspendent l’exécution, retardent encore le processus.

c) Appréciation de la Cour

106. En ce qui concerne les principes généraux applicables en la matière, la Cour renvoie à sa jurisprudence mentionnée dans l’arrêt J.R. et autres précité (§§ 108-110).

107. La Cour estime que la situation litigieuse tombe sous le coup de l’alinéa f) de l’article 5 § 1 de la Convention et qu’elle trouve un fondement en droit interne.

108. Elle rappelle que dans l’arrêt J.R. et autres précité, elle avait considéré qu’un tel délai d’un mois pendant lequel les requérants avaient été détenus dans le camp de VIAL ne devait pas être considéré comme excessif pour l’accomplissement des formalités administratives susmentionnées (ibid. § 114).

109. En l’espèce, certains seulement parmi les requérants sont restés dans le camp de VIAL du 20 mars 2016 au 21 avril 2016, soit une période d’un mois, alors que les autres, soit ils y ont séjourné pour une période inférieure d’un mois, soit pas du tout, comme ils ont été directement placés dans le camp de SOUDA qui était une structure ouverte. En outre, la Cour constate que la « détention » des requérants après l’expression de leur souhait de déposer une demande d’asile était aussi de courte durée jusqu’à ce que le camp devienne une structure semi-ouverte le 21 avril 2016 : 23 jours pour les requérants 27 et 28 qui avaient exprimé ce souhait le 29 mars 2016 ; 15 jours pour ceux qui l’ont exprimé le 4 avril 2016 ; moins de 15 jours pour ceux qui l’ont exprimé postérieurement à cette date.

110. Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que la détention des requérants n’était pas arbitraire et que l’on ne saurait considérer qu’elle n’était pas « régulière » au sens de l’article 5 § 1 f) de la Convention.

111. Elle estime qu’il n’y a donc pas eu violation de cette disposition en l’espèce.

2. Article 5 § 4

a) Thèses des parties

112. Les requérants précisent qu’il ne serait pas sérieux d’affirmer que la connaissance de l’illégalité de leur entrée sur le territoire grec leur tenait lieu de notification valide de leur détention. Il serait surabondant d’ajouter que cette entrée ne peut être considérée comme « illégale » au regard du droit international puisqu’ils venaient pour demander l’asile.

113. Les requérants soutiennent que la communication des notices d’informations et l’évocation de la loi grecque, avec des explications assez confuses, étaient abstraites et n’étaient pas de nature à respecter correctement les exigences de l’article 5 à l’égard des requérants. Le Gouvernement ne devrait pas dissocier les paragraphes 2 et 4 de l’article 5 comme s’ils étaient indépendants l’un de l’autre.

114. Le Gouvernement soutient que dès leur arrivée à Chios les requérants se sont vus remettre la brochure informative destinée aux migrants en voie d’expulsion et rédigée en plusieurs langues dont anglais, farsi, urdu et arabe, et qui les informaient dans une langue qu’ils comprenaient des raisons de leur détention et de leurs droits. Plus particulièrement, les requérants étaient informés des raisons de leur détention, des mesures administratives prises à leur encontre dans le cadre de la procédure d’expulsion en raison de leur entrée irrégulière sur le territoire, de leurs droits et de la possibilité d’accès à des services d’interprétation.

115. Le Gouvernement souligne aussi que toutes les procédures dans les camps étaient effectuées en présence d’interprètes et il existait des équipements spéciaux pour de la télé-interprétation en cas de langue qui n’était pas connue des interprètes sur place. En outre, après l’entrée en vigueur de la « Déclaration UETurquie », une organisation non‑gouvernementale sur place a renforcé son équipe d’avocats fournissant une assistance juridique aux migrants.

116. Le Gouvernement renvoie aussi à ses observations concernant le non-épuisement des voies de recours internes. Il réitère que les objections contre la détention était un recours accessible et effectif qui offrait la possibilité de faire examiner de manière rapide tous les aspects de la légalité de la détention. Les requérants connaissaient l’existence de cette voie de recours et la possibilité d’accès à l’assistance juridique tant dans le camp de VIAL que de SOUDA.

b) Tiers intervenants

117. Les tiers intervenants soulignent que la majorité des demandeurs d’asile détenus dans les camps de VIAL et de SOUDA n’ont pas eu accès à une information suffisante sur les raisons de leur placement en rétention. Ils se sont seulement vus notifier, en langue grecque uniquement, une ou deux décisions administratives leur ordonnant de quitter le territoire et restreignant leur liberté au territoire de Chios et notamment au camp de VIAL. Les personnes détenues dans ce camp avant l’adoption de la loi no 3457/2016 n’avaient reçu aucun ordre de privation de liberté alors que la mesure avait été prise. L’administration des camps de VIAL et de SOUDA ne dispensait aucune information juridique, à l’exception de quelques panneaux d’information apposés aux murs des containers de l’administration dans ces camps. Ces panneaux renvoyaient les migrants vers la police ou Frontex désignés comme interlocuteurs uniques pour tout. Enfin, les autorités ne dispensaient pas d’assistance juridique gratuite aux migrants et ne leur permettaient pas de téléphoner gratuitement à un avocat. Il n’existait pas non plus d’aide juridictionnelle et le site internet du barreau de Chios était en langue grecque.

118. Les tiers intervenants affirment que les effets cumulés de l’absence de clarté de base juridique fondant la rétention de migrants, de l’absence d’information dans une langue qu’ils comprennent, de l’extrême lenteur des procédures et de l’absence d’assistance juridique emportent violation de l’article 5 § 4. À supposer que la violation des paragraphes 1 et 2 de l’article 5 n’emporte pas violation du paragraphe 4 du même article, comme ce fut le cas dans l’arrêt Khlaifia et autres, précité – qui présente de nombreuses similitudes avec la situation prévalant dans les hotspots grecs – force est de constater que la procédure devant les comités d’appel en matière d’asile ne permet pas l’exercice du contrôle à bref délai de la légalité de la détention de migrants.

c) Appréciation de la Cour

119. En ce qui concerne les principes généraux régissant l’application de l’article 5 § 4 de la Convention dans des affaires soulevant des questions similaires à celles posées par la présente, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir, notamment, Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 61, CEDH 2001‑II, S.D. c. Grèce, no 53541/07, 11 juin 2009, et Herman et Serazadishvili c. Grèce, no 26418/11 et 45884/11, § 71, 24 avril 2014).

120. La Cour réitère aussi son constat qu’en principe le droit interne prévoit un recours à travers duquel la mise en détention en vue de l’expulsion peut être contestée de manière effective (voir, en dernier lieu, O.S.A. et autres c. Grèce, no39065/16, §§ 50-51, 21 mars 2019).

121. Reste à examiner si, dans les circonstances de la cause, les requérants auraient pu introduire sans entraves un recours fondé sur l’article 76 § 3 de la loi no 3386/2005, à la suite de l’adoption des décisions ordonnant leur expulsion et la prolongation de leur détention.

122. La Cour note, en premier lieu, que les décisions d’expulsion, qui indiquaient la possibilité d’introduire des recours, étaient rédigées en grec. En outre, à supposer même qu’ils eussent reçu la brochure d’information mentionnée par le Gouvernement, il n’est pas certain que les requérants, n’étant assistés par un avocat dans le camp de VIAL ou le camp de SOUDA, avaient suffisamment de connaissances juridiques pour comprendre le contenu de ladite brochure, et notamment tout ce qui avait trait aux différentes possibilités de recours qui leur étaient offertes par le droit interne pertinent en l’espèce. La Cour note en deuxième lieu que la brochure se réfère de manière générale à un tribunal administratif sans préciser lequel : sur ce point, force est de constater qu’il n’y a pas de tribunal administratif sur l’île de Chios, où les requérants étaient détenus, et qu’il y en a un seulement sur l’île de Mytilène (O.S.A. et autres, précité, § 53).

123. La Cour rappelle à cet égard que, dans l’arrêt J.R. et autres (précité, §§ 121-124), elle a conclu à la violation de l’article 5 § 2 de la Convention en raison notamment de la circonstance que, à l’époque des faits, les informations contenues dans la brochure en question ne pouvaient s’analyser en une information dans un langage simple et accessible pour les requérants, sur les raisons juridiques et factuelles de leur privation de liberté, à même de permettre à ceux-ci d’en discuter la légalité devant un tribunal en vertu de l’article 5 § 4 de la Convention (O.S.A. et autres, précité, § 54).

124. Partant, à supposer même que les recours précités eussent été effectifs, la Cour ne voit pas comment les intéressés auraient pu les exercer. Eu égard aussi aux constats de différents organismes internationaux (O.S.A. et autres, précité, §§ 55-56), elle considère que, dans les circonstances de l’espèce, les requérants n’avaient pas accès aux recours en cause.

125. Par conséquent, la Cour rejette l’exception préliminaire du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes et conclut qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention sur ce point.

3. Article 5 § 2

126. Eu égard au constat relatif à l’article 5 § 4 (paragraphe ci-dessus), la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner s’il y a eu, en l’espèce, violation de la disposition invoquée.

3. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

127. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

1. Dommage

128. Les requérants avoir décidé de demander de manière unitaire la même somme au titre de dommage moral pour chacun d’entre eux, sans distinction entre les diverses durées de leur détention, les nationalités, l’âge, le camp où ils ont été détenus ou l’issue procédurale qui leur a été réservée par la suite. Ils réclament 30 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’ils estiment avoir subi.

129. Le Gouvernement considère la somme réclamée comme excessive et non justifiée compte tenu des circonstances de l’affaire et estime que le constat de violation constituerait une satisfaction suffisante. Il souligne que ces circonstances ont eu lieu dans un contexte particulièrement difficile pour la Grèce, en raison des flux migratoires sans précédent qui ont exercé une énorme pression sur le système d’asile et sur les ressources du pays.

130. La Cour rappelle qu’elle a conclu en l’espèce à la violation de l’article 5 § 4 de la Convention. Statuant en équité, elle octroie à chacun des requérants 650 EUR à ce titre.

2. Frais et dépens

131. Les requérants n’ayant pas fixé leurs prétentions, la Cour n’estime pas devoir accorder une somme à ce titre.

3. Intérêts moratoires

132. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Joint au fond l’exception préliminaire tirée par le Gouvernement du non‑épuisement des voies de recours internes par les requérants en ce qui concerne leurs griefs relatifs à l’article 5 de la Convention ;
2. Déclare la requête irrecevable quant aux griefs tirés de l’article 5 par les requérants 4, 5, 16, 38 et 47 et recevable pour le surplus ;
3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention ;
4. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;
5. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention et rejette l’exception préliminaire du Gouvernement jointe au fond ;
6. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 5 § 2 de la Convention ;
7. Dit

a) que l’État défendeur doit verser à chacun des requérants, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 650 EUR (six cent cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

8. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 octobre 2019, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Abel CamposKsenija Turković
GreffierPrésidente

ANNEXE

1. Allaa KAAK né le 11/09/1997 est un ressortissant syrien
2. Moutaz ABODAKA né le 12/08/1969 est un ressortissant palestinien
3. Yahya AHMADI né le 15/10/1999 est un ressortissant afghan
4. Fadia AL AZAB née le 11/11/1987 est une ressortissante syrienne
5. Subhi AL AZAB né le 10/03/1987 est un ressortissant syrien
6. Mahmoud AL SAID né le 21/09/1981 est un ressortissant palestinien
7. Salwa ALAM ALDDEN née le 07/11/1988 est une ressortissante syrienne
8. Nahla ALI ALHADJI née le 02/01/1989 est une ressortissante syrienne
9. Abbas ALI HAIDARI né le 21/03/2001 est un ressortissant afghan
10. Mohamed ALJASSEN né le 08/02/1990 est un ressortissant syrien
11. Abdullah ALKAIEM né le 01/01/1991 est un ressortissant palestinien
12. Mahmoud ALKAIEM né le 06/05/1983 est un ressortissant palestinien
13. Okba ALKHALIL né le 15/01/1984 est un ressortissant syrien
14. Douaa ALKHELANI née le 16/11/1989 est une ressortissante syrienne
15. Rana ALMELASALEH née le 19/03/1982 est une ressortissante syrienne
16. Almz ALSADOUN née le 01/03/1981 est une ressortissante syrienne
17. Falleeha ATI née le 12/04/1968 est une ressortissante iraquienne
18. Ghulam Dagastir AZIMI né le 01/07/1956 est un ressortissant afghan
19. Hasseebullah AZIMI né le 09/05/1999 est un ressortissant afghan
20. Meelad AZIMI né le 01/07/2001 est un ressortissant afghan
21. Omar AZIMI né le 01/07/1991 est un ressortissant afghan
22. Omar AZIMI né le 01/01/2015 est un ressortissant afghan
23. Rohina AZIMI née le 01/07/1990 est une ressortissante afghane
24. Sima AZIMI née le 01/07/1959 est une ressortissante afghane
25. Yalda AZIMI née le 01/07/1991 est une ressortissante afghane
26. Zabiullah AZIMI né le 16/09/2001 est un ressortissant afghan
27. Shima AZIZI née le 02/05/1988 est une ressortissante afghane
28. Sulatan Mohammad AZIZI né le 01/06/1976 est un ressortissant afghan
29. Fatima DUKHAN née le 25/03/1971 est une ressortissante syrienne
30. Ahmad GHANNAM né le 07/02/1998 est un ressortissant palestinien
31. Havin HAJ HANNAN née le 05/02/1969 est une ressortissante syrienne
32. Afifaa HALLAK née le 29/01/1985 est une ressortissante palestinienne
33. Oumar HAMPASHO né le 01/01/1988 est un ressortissant syrien
34. Aya ISSO née le 15/01/2000 est une ressortissante syrienne
35. Nourahan ISSO née le 21/03/1997 est une ressortissante syrienne
36. Abbas JAFFERI né le 08/07/1999 est un ressortissant afghan
37. Tarek KAAK né le 03/08/1999 est un ressortissant syrien
38. Haijaa KHOULANI née le 01/01/1970 est une ressortissante syrienne
39. Nazia MURADI née le 01/01/1988 est une ressortissante afghane
40. Taimor MURADI né le 01/01/1986 est un ressortissant afghan
41. Shadia NADWY née le 19/09/1980 est une ressortissante palestinienne
42. Ahmad OMAR né le 10/01/1990 est un ressortissant syrien
43. Wassim OMAR né le 02/02/1982 est un ressortissant syrien
44. Fadia QAIS née le 01/01/1976 est une ressortissante palestinienne
45. Riza QUASIMI né le 13/07/1999 est un ressortissant afghan
46. Jasmin RASHEED née le 02/01/1981 est une ressortissante syrienne
47. Kanawaty REEM née le 16/10/1986 est une ressortissante syrienne
48. Imad SALEM né le 01/01/1972 est un ressortissant syrien
49. Jamal YACOUB né le 11/11/1978 est un ressortissant palestinien


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