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03/12/2015 | CEDH | N°001-158962

CEDH | CEDH, AFFAIRE MYTILINAIOS ET KOSTAKIS c. GRÈCE, 2015, 001-158962


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE MYTILINAIOS ET KOSTAKIS c. GRÈCE

(Requête no 29389/11)

ARRÊT

STRASBOURG

3 décembre 2015

DÉFINITIF

02/05/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Mytilinaios et Kostakis c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Mirjana Lazarova Trajkovska, présidente,
Ledi Bianku,
Kristina Pardalos,
Lino

s-Alexandre Sicilianos,
Paul Mahoney,
Aleš Pejchal,
Robert Spano, juges,
et de André Wampach, greffier adjoint de section,

Après en avoir délib...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE MYTILINAIOS ET KOSTAKIS c. GRÈCE

(Requête no 29389/11)

ARRÊT

STRASBOURG

3 décembre 2015

DÉFINITIF

02/05/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Mytilinaios et Kostakis c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Mirjana Lazarova Trajkovska, présidente,
Ledi Bianku,
Kristina Pardalos,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Paul Mahoney,
Aleš Pejchal,
Robert Spano, juges,
et de André Wampach, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 novembre 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 29389/11) dirigée contre la République hellénique et dont deux ressortissants de cet État, MM. Evagellos Mytilinaios et Ioannis Kostakis (« les requérants »), ont saisi la Cour le 28 avril 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants ont été représentés par Me D. Petrouskas, avocat à Samos. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les déléguées de son agent, Mme K. Paraskevopoulou, conseillère au Conseil juridique de l’Etat, et Mme K. Karavassili, auditrice au Conseil juridique de l’Etat.

3. M. Evangellos Mytilinaios est décédé le 10 juin 2014. Son épouse, Mme Smaragda Mytilinaiou, ses deux fils, MM. Nikolaos et Stylianos Mytilinaios, et sa fille, Mme Aikaterini Mytilinaiou, ont exprimé le souhait de reprendre l’instance.

4. Les requérants allèguent en particulier une violation de leur droit d’association négatif (article 11 de la Convention).

5. Le 17 mars 2014, le grief concernant l’article 11 a été communiqué au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du Règlement de la Cour.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Les requérants sont nés respectivement en 1950 et 1954 et résident à Samos.

7. Les requérants sont viticulteurs et membres de l’Union des coopératives vinicoles de Samos, une association à participation obligatoire au sens de l’article 12 § 5 de la Constitution. M. Kostakis est propriétaire d’un vignoble de 22 000 m² (produisant 530 kilos de muscat de Samos grand cru par 1 000 m²) et M. Mytilinaios possède un vignoble de 5 000 m² environ. Ne pouvant pas disposer et vendre librement leur production de vin muscat de Samos, ils ont déposé auprès de l’Union susmentionnée plusieurs demandes tendant à se délier de celle-ci, mais ils ne reçurent aucune réponse.

8. L’Union des coopératives vinicoles de Samos fut créée en 1934 avec la participation des vingt-cinq coopératives locales de l’île qui représentaient l’ensemble des viticulteurs, leur nombre s’élevant aujourd’hui à 2 847. L’Union collecte le raisin et produit le vin dans ses deux entreprises vinicoles. Par la suite, elle commercialise le vin, en vrac ou en bouteille. Le vin produit par l’Union reçut en 1970 le label d’appellation d’origine contrôlée. Le marché de l’exportation est très important et il couvre 80 % de la production annuelle qui se monte approximativement à 7 000 tonnes.

9. Le 4 novembre 2005, les requérants, viticulteurs de leur état, saisirent le Conseil d’État d’un recours en annulation du refus tacite de l’administration de leur accorder un permis de vinification (άδεια οινοποιήσεως). Ce refus se fondait sur les dispositions de la « loi obligatoire » (αναγκαστικός νόμος) no 6085/1934 qui excluait l’octroi d’un permis de vinification à des individus isolés. Les requérants alléguaient notamment avoir subi une ingérence à leur droit d’association négatif garanti par l’article 11 de la Convention. L’Union de la coopérative vinicole de l’île de Samos, qui assure exclusivement la vinification et la commercialisation du muscat de Samos et à laquelle sont obligatoirement affiliées toutes les coopératives vinicoles locales, intervint dans la procédure et demanda le rejet du recours.

10. Le 2 novembre 2010, le Conseil d’État rejeta le recours. Il considéra notamment que la mesure litigieuse était prévue par la loi et poursuivait un but légitime, à savoir la défense de la qualité d’un produit à caractère unique pour l’économie nationale. Dans la mesure où l’interdiction portait uniquement sur la vinification et la commercialisation du vin et que les requérants n’étaient pas empêchés de cultiver librement leurs vignes, il conclut que l’ingérence dénoncée n’avait pas enfreint l’article 11 de la Convention (arrêt no 3580/2010, mis au net et certifié conforme le 17 novembre 2010). Plus particulièrement, le Conseil d’Etat précisa ce qui suit :

« (...)

9. Il résulte des dispositions du droit national et du droit communautaire que l’organisation de la production vinicole de Samos en des coopératives à participation obligatoire tend à atteindre le but d’exploitation commune des superficies agricoles. À cet égard, elle remplit les conditions de l’article 12 § 5 de la Constitution pour qu’elle soit tolérée du point de vue constitutionnel. Par ailleurs, le caractère obligatoire de la participation à une coopérative de premier degré et l’organisation et la commercialisation de la production par une coopérative de deuxième degré (Union des coopératives vinicoles de Samos) constituent des mesures appropriées et nécessaires pour la protection de la qualité d’un produit particulier et unique, protégé par des dispositions spécifiques du droit national et communautaire, eu égard aussi au fait que l’exercice de l’activité vinicole est libre et seules la vinification et la commercialisation de la production sont visées par la limitation.

10. Attendu que les demandeurs allèguent que les dispositions litigieuses de la loi no 6085/1934 ne sont pas valides car elles portent atteinte à la liberté de chacun de ne pas participer à une association ou une coopérative, garantie par l’article 12 § 1 de la Constitution. Cet argument doit être rejeté comme mal fondé car (...) les dispositions de la loi no 6085/1934 sont conformes à l’article 12 § 5 de la Constitution qui prévoit, en dérogeant au paragraphe 1 de cet article, la possibilité d’imposer par voie législative la participation obligatoire à une coopérative (...). En outre, compte tenu du fait qu’il a été admis que les restrictions imposées à la liberté de créer des coopératives et d’y participer sont, en l’occurrence, nécessaires et appropriées pour atteindre le but poursuivi par la création d’une coopérative à participation obligatoire, l’allégation que les restrictions apportées par la loi no 6085/1934 méconnaissent le principe de la proportionnalité (...) doit aussi être rejetée comme mal fondée. (...)

[L’article 11 de la Convention] garantit aussi l’aspect négatif de la liberté d’association, soit la liberté de ne pas participer à une union ou une association. Toutefois, les restrictions à cette liberté sont tolérées si elles sont prévues par la loi, poursuivent un but légitime et sont nécessaires dans une société démocratique (arrêt de la Cour du 29 avril 1999, Chassagnou et autres c. France). En l’espèce, la restriction à la liberté négative d’association ne porte pas atteinte à l’article 11 de la Convention, eu égard d’une part, au fait que l’obligation faite aux requérants de participer aux coopératives ne réduit pas leur liberté de cultiver la vigne, mais concerne seulement la vinification et la commercialisation, et, d’autre part, cette participation obligatoire est nécessaire pour préserver la qualité d’un produit unique pour l’économie nationale. »

11. Toutefois, une juge du Conseil d’Etat a formulé une opinion dissidente. Selon elle, les buts de la loi no 6085/1934 pourraient être atteints par d’autres moyens comme, par exemple, par des contrôles de qualité effectués par des organes de certification étatiques ou autres. Un viticulteur pourrait avoir le choix d’adhérer à la coopérative ou s’il souhaitait vinifier et commercialiser lui-même son vin, il pourrait le soumettre à une procédure de certification dont les étapes et exigences seraient fixées à l’avance par des textes législatifs.

12. Le 30 septembre 2011, la Commission de l’Union européenne a envoyé aux autorités grecques une lettre d’avertissement (no SG(2011) D/16142) et, par la suite, le 20 juin 2013, un avis motivé (ARES 2008/4585© 3558 final) avec les griefs suivants :

« (...) Ayant exigé de tous les producteurs de vin de Samos d’être membres de la coopérative locale de production de vin « Union des coopératives vinicoles de Samos » avec l’obligation de remettre la totalité de la production de raisins blancs à ladite coopérative, la Grèce a transgressé ses obligations résultant du règlement (CE) no 1234/2007 portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur (règlement OCM unique) et notamment les articles 122 et 125i combinés avec les règles relatives à l’organisation commune du marché vitivinicole (...) »

13. Dans sa réponse no 14472 du 19 août 2013, la République hellénique a réfuté les allégations de la Commission en se fondant notamment sur les arrêts nos 3580/2010 et 3581/2010 du Conseil d’Etat. La procédure est actuellement pendante.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

14. L’article 12 §§ 4 et 5 de la Constitution prévoit :

« 4. Les coopératives agricoles et urbaines de toute nature sont administrées par elles-mêmes selon les dispositions de la loi et de leurs statuts et se trouvent sous la protection et la tutelle de l’État tenu de veiller à leur développement.

5. La loi peut créer des coopératives à participation obligatoire visant l’accomplissement de buts d’utilité publique ou d’intérêt général, ou d’exploitation collective de terres agricoles ou d’autres sources de richesse, pourvu que le traitement égal de tous les participants soit en tout cas assuré. »

15. En examinant la question de la nature des coopératives à participation obligatoire, le Conseil d’Etat a relevé, dans son arrêt no 2903/1993, qu’elles constituaient des personnes morales de droit privé et des unions spécifiques de personnes qui collaboraient pour défendre et promouvoir leurs intérêts patrimoniaux, professionnels ou autres. L’organisation et l’action de ces coopératives, dans le cadre économique et social fixé par la Constitution, étaient placées sous la protection et la tutelle de l’Etat. La possibilité de créer ce type des coopératives par dérogation au principe général de libre constitution des coopératives et de la libre participation de leurs membres concerne exclusivement le procédé d’établissement et la forme de participation qui est obligatoire sans que cela entraîne la modification de la nature juridique de ces coopératives en tant que personnes morales de droit privé.

16. Les dispositions pertinentes de la loi no 6085/1934 « relative à l’organisation de la production de vin de Samos », maintenue en vigueur par les lois nos 2169/1993 et 2819/2000 (sur les coopératives agricoles), sont les suivantes :

Article 1

« Dans chaque commune de l’île de Samos ou dans plusieurs d’entre elles, ainsi que dans la commune du port de Vathy de Samos, est constituée, séparément ou en commun, une coopérative de vinification dont les membres sont obligatoirement tous des propriétaires de vignobles de la région. Un décret, émis sur proposition du ministre de l’Agriculture (...) fixera les obligations de ceux qui deviennent membres, en vertu de la présente loi, des coopératives vinicoles à participation obligatoire. »

Article 2

« 1. Une décision ministérielle (...) fixera le siège (...) de chaque coopérative et tout détail relatif au fonctionnement et à la réalisation des objectifs de celle-ci.

2. Une décision ministérielle (...) approuvera les statuts des coopératives. »

Article 3

« Le but de ces coopératives est la systématisation de la production, du traitement, de la vinification et de la consommation de la production de vin de Samos et en général, toute mesure visant la protection de la production du vin. Les mesures prises dans ce but sont définies en détail dans les statuts. »

Article 4

« Chaque coopérative constitue une personne morale administrée et représentée selon les dispositions de ses statuts. Les ressources de la coopérative et l’action de chaque associé seront fixés par les statuts. »

Article 5

« Une union des coopératives (...) est fondée au siège du département de Samos, dont le titre est « Union des coopératives vinicoles de Samos ». Le but de cette union est la protection de la production du vin de Samos par tout moyen légal, la concentration de cette production, le traitement, la vinification au moyen de la collaboration des membres des coopératives, la distribution et la commercialisation sous une direction unique, ainsi que le soutien moral et matériel des membres des coopératives.

(...)

Le conseil de tutelle de l’Union est composé du président du tribunal de première instance de Samos, du receveur général de Samos et des trois représentants élus par l’assemblée générale de l’Union. »

Article 6

« Les statuts de l’Union seront établies par un décret introduit par le ministre de l’Agriculture après avis conforme adopté à l’unanimité lors d’une assemblée des représentants des coopératives (...). »

Article 9

« La dénaturation des vins de Samos est absolument interdite, les contrevenants étant sanctionnés par des peines relatives à la dénaturation et la spéculation, prévues par les dispositions pénales en vigueur. Le mélange d’un vin de Samos avec un autre vin qui n’est pas produit à Samos, est considéré comme une dénaturation. »

17. Il ressort du rapport introductif de la loi no 6085/1934 que les présidents de toutes les coopératives agricoles de l’île de Samos s’étaient réunis à la demande expresse de l’ensemble des viticulteurs et des producteurs de vin de Samos et ont décidé de prendre des mesures radicales pour la protection de la production du vin de Samos, dont la création des coopératives vinicoles obligatoires à responsabilité limitée dans toutes les communes de Samos. Le rapport indiquait que le vin de Samos était un produit de qualité, produit seulement sur l’île en question en une quantité limitée.

18. En 1934, il était impératif de protéger la qualité de ce cépage, unique en Grèce, et par conséquent une ressource précieuse pour l’économie de l’île et de manière plus générale pour celle de la Grèce. Il fallait aussi développer la culture de cette vigne dont les prix bas de commercialisation pratiqués à l’époque avaient détourné les agriculteurs de cette culture.

19. Selon le décret présidentiel du 25 mai 1934 (édicté en application de l’article 6 de la loi no 6085/1934), l’Union des coopératives vinicoles de Samos a pour but le traitement, le conditionnement et la vente des produits de la vigne, l’achat d’articles agricoles pour les entreprises de ses membres, le stockage des produits, la surveillance, le contrôle et l’inspection des installations, des travaux et de la gestion des coopératives, ainsi que l’achat des outils nécessaires à la vinification (articles 3 §§ 1, 3, 4, 6 et 7 du décret).

20. Le vin blanc muscat de Samos est reconnu comme une « appellation d’origine contrôlée de Samos », s’il remplit les conditions des articles 2 et 3 du décret présidentiel no 2012/1982.

21. L’article 47 § 1 de la loi no 2169/1993 prévoit que les coopératives à participation obligatoire (mentionnées en son paragraphe 2 et parmi lesquelles figuraient les coopératives vinicoles de Samos) étaient conservées et leur fonctionnement continuait à être régi par les lois spécifiques adoptées à cet effet. En outre, en son paragraphe 7, cet article prévoit la possibilité pour les coopératives à participation obligatoire de se transformer, à leur initiative, en coopératives libres. La transformation s’effectue par décret présidentiel édicté sur proposition du ministre de l’Agriculture.

22. L’article 39 de la loi no 2810/2000 précitée disposait que l’article 16 de la même loi, qui organisait la tutelle étatique sur les coopératives agricoles, s’appliquait aussi aux coopératives à participation obligatoire. Toutefois, la loi no 4015/2011 du 21 septembre 2011 a supprimé l’article 16 précité. Les passages pertinents de l’article 16 étaient ainsi libellés :

« 1. La tutelle sur les coopératives agricoles (...) est exercée par le ministre de l’Agriculture. (...)

2. La tutelle (...) consiste notamment à vérifier si la valeur des parts des coopératives ou les autres obligations financières échues ont été versées, si les dispositions de la loi, des statuts et des décisions des assemblées générales ont été respectées. Elle consiste aussi à vérifier la véracité du bilan et des situations financières annuelles ainsi qu’à contrôler les registres tenus par les coopératives.

3. Un décret présidentiel, émis sur proposition du ministre de l’Agriculture (...), fixe le contenu et les modalités d’exercice de la tutelle, les devoirs des organes qui l’exercent, les obligations de ceux qui sont sous tutelle envers l’autorité de tutelle (...) ainsi que les sanctions administratives qui seront imposées par l’autorité de tutelle au cas où le fonctionnement des coopératives n’est pas conforme à la loi.

4. Des décisions prises par le ministre de l’Agriculture et publiées au Journal Officiel, fixent tous les détails nécessaires concernant l’exercice de la tutelle étatique. »

23. Une loi plus récente, la loi no 4015/2011, intitulée « cadre institutionnel pour les coopératives agricoles, les organisations collégiales et l’esprit d’entreprise du monde agricole – organisation de la tutelle étatique » prévoit :

Article 16

« 1. La coopérative agricole est une association autonome de personnes, qui se forme sur une base volontaire et poursuit, au moyen d’une assistance mutuelle entre ses membres, son développement économique, social et culturel, à travers d’une entreprise en copropriété et gérée démocratiquement.

2. Les coopératives agricoles doivent se conformer aux principes fondamentaux suivants, en ce qui concerne leur organisation interne et leur fonctionnement général :

a) la participation volontaire des agriculteurs – personnes physiques qui en sont membres ;

b) l’organisation et le fonctionnement démocratique qui implique nécessairement l’élection directe de tous les organes de l’administration (...) »

Article 20

Dispositions supprimées

« Dès l’entrée en vigueur de la présente loi, sont supprimées les dispositions des articles 16, 35, 36 de la loi no 2810/2000, des paragraphes 2 et 3 de l’article 16 de la loi no 1361/1983 et toute autre disposition générale ou particulière contraire.

Les dispositions des articles 26 à 32 de la loi no 2810/2000 sont supprimées à compter du 1er mai 2014, à l’exception du paragraphe 6 de l’article 26. »

24. Le rapport introductif de la loi no 4015/2011 soulignait que l’intervention dans le domaine des coopératives, notamment agricoles, répondait aux impératifs de l’époque et avait un double but : d’une part, libérer les forces qui, fidèles à l’idée associative, avaient la volonté et les capacités de développer et d’étendre leurs activités au bénéfice de l’agriculture grecque, et d’autre part, renverser une situation qui tendait à atrophier la liberté d’association. Le rapport affirmait que l’agriculteur indépendant et autonome, et qui en tant que propriétaire et producteur revendiquait son droit à la prospérité, était au noyau de l’idée associative.

25. Le rapport précisait, en outre, que l’un des buts de la nouvelle loi consistait en la modernisation institutionnelle de cette tutelle étatique exercée sur les coopératives en la rendant compatible avec l’esprit d’entreprise du monde agricole moderne. Le rapport soulignait que la tutelle étatique visait à rendre les coopératives agricoles plus puissantes et pour cela il fallait mettre en œuvre une méthode qui avait déjà fait ses preuves au niveau national et européen : la mise en place d’un registre qui constitue un outil d’enregistrement et d’appréciation des organisations agricoles. Dans son premier chapitre, la loi établissait une nouvelle forme de tutelle au moyen d’une autorité de tutelle, d’un registre national et d’une appréciation périodique.

26. Aujourd’hui le nombre total des viticulteurs appartenant aux diverses coopératives locales est de 2 847, le muscat de Samos bénéficie de l’appellation d’origine contrôlée ainsi que du label VQRPD (vin de qualité produit dans une région déterminée), selon les dispositions du Règlement 1493/1999 du Conseil de l’Union européenne.

EN DROIT

I. SUR LA QUESTION DE SAVOIR SI LES HERITIERS DU PREMIER REQUERANT PEUVENT MAINTENIR LA REQUETE

27. La Cour doit tout d’abord trancher la question de savoir si l’épouse du premier requérant et ses trois enfants ont le droit de maintenir la requête originellement introduite par le requérant, décédé le 10 juin 2014.

28. La Cour rappelle que, dans plusieurs affaires où un requérant était décédé pendant la procédure, elle a pris en compte la volonté de poursuivre celle-ci exprimée par des héritiers ou parents proches (voir, par exemple, Deweer c. Belgique, 27 février 1980, §§ 37-38, série A no 35 ; X c. Royaume-Uni, 5 novembre 1981, § 32, série A no 46 ; Vocaturo c. Italie, 24 mai 1991, § 2, série A no 206-C ; G. c. Italie, 27 février 1992, § 2, série A no 228-F ; Pandolfelli et Palumbo c. Italie, 27 février 1992, § 2, série A no 231-B ; X c. France, 31 mars 1992, § 26, série A no 234‑C ; Raimondo c. Italie, 22 février 1994, § 2, série A no 281‑A ; Malhous c. République tchèque (déc.) [GC], no 33071/96, CEDH 2000‑XII, Zolotas c. Grèce (no 2), no 66610/09, §§ 25-27, 29 janvier 2013 et Statileo c. Croatie, no 12027/10, §§ 5 et 88-90, 10 juillet 2014).

29. La Cour note que l’épouse et les fils du requérant sont ses héritiers ab intestat et que le droit garanti par l’article 11 peut en l’espèce être considéré comme transférable : en invoquant l’article 11, le requérant revendiquait son droit de ne pas adhérer à l’Union des coopératives vinicoles de l’île de Samos qui assurait exclusivement la vinification et la commercialisation du muscat de Samos, et de pouvoir obtenir lui-même un permis de vinification et de commercialiser lui-même ses vins.

30. La Cour estime, eu égard à l’objet de la présente affaire et à l’ensemble des éléments dont elle dispose, que la veuve et les enfants de M. Mytilinaios possèdent un intérêt légitime à maintenir la requête au nom du défunt. Elle leur reconnaît dès lors qualité pour se substituer désormais à ce requérant. Pour des raisons d’ordre pratique, le présent arrêt continuera d’utiliser le terme « requérant » pour désigner M. Mytilinaios bien qu’il faille aujourd’hui attribuer cette qualité à son épouse et à ses enfants (Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, CEDH 1999‑VI).

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION

31. Les requérants se plaignent que le refus des autorités nationales, validé par le Conseil d’Etat, de leur octroyer un permis de vinification au motif que l’Union de la coopérative vinicole de l’île de Samos assure exclusivement la vinification et la commercialisation du muscat de Samos a porté atteinte à leur liberté négative d’association. Ils allèguent une violation de l’article 11 de la Convention, qui dispose :

« 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.

2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’Etat. »

A. Sur la recevabilité

1. Les arguments des parties

32. Le Gouvernement soutient que les coopératives à participation obligatoire, comme l’Union de la coopérative vinicole de l’île de Samos, forment des associations professionnelles qui échappent au champ d’application de l’article 11. Se prévalant de l’arrêt Chassagnou et autres c. France ([GC], nos 25088/94, 28331/95 et 28443/95, CEDH 1999-III), il souligne que l’organisation d’une profession et le caractère obligatoire de la participation à une association y relative sont connus dans la tradition juridique des Etats parties à la Convention. L’élément caractéristique des coopératives à participation obligatoire est l’inexistence de l’élément de volonté privée car leur création a lieu par une disposition de la loi dans un but précis et pour exercer des activités spécifiques dont la nature est définie en l’occurrence par le législateur constitutionnel lui-même.

33. Le Gouvernement affirme que l’article 12 § 5 de la Constitution fournit un fondement constitutionnel – et même par une disposition spéciale – à la création et au maintien des coopératives à participation obligatoire qui poursuivent des buts d’utilité publique. Cette disposition relève de la notion de l’Etat providence et constitue l’aboutissement de longues luttes sociales. Le but de la coopérative n’est pas la recherche de l’intérêt individuel de certains, mais celle de l’intérêt général par le biais de l’exploitation commune des terres agricoles ou d’autres sources de richesse du pays, comme, en l’occurrence, l’organisation de la production d’un produit unique au niveau national et international, le vin de Samos.

34. Les requérants réfutent les arguments du Gouvernement. Ils soutiennent que l’invocation de l’arrêt Chassagnou et autres n’est pas appropriée dans le cas d’espèce. Ils relèvent une contradiction entre le fait que le Gouvernement, d’une part, allègue que l’Union de la coopérative vinicole de l’île de Samos n’est pas une association protégée par l’article 11 et, d’autre part, affirme, plus loin dans ses observations, que la loi no 6085/1934 est compatible avec cet article.

35. Les requérants allèguent que la loi no 4015/2011 a abrogé la loi no 6085/1934. Ils se fondent sur des déclarations faites par le ministre de l’Agriculture, lors de la discussion au Parlement ayant procédé à l’adoption de la loi, et selon lesquelles les viticulteurs de Samos ont les mêmes droits que les viticulteurs de Rhodes ou de Mytilène et que le but de la nouvelle loi est de permettre au viticulteur solitaire d’intervenir activement dans la commercialisation de ses produits.

2. L’appréciation de la Cour

36. La Cour rappelle qu’elle a déjà eu à se prononcer sur la question de savoir si l’article 11 s’appliquait à des associations que le Gouvernement qualifiait d’associations de droit public, investies par le législateur de prérogatives de puissance publique. Elle a affirmé que la notion d’« association » est à interpréter de manière autonome : la qualification donnée par l’Etat contractant ne constitue qu’un simple point de départ. Dans la jurisprudence de la Cour, les critères pour déterminer si une association doit être considérée comme privée ou publique sont les suivants : fondation par des particuliers ou par le législateur, intégration ou non aux structures de l’Etat, existence ou non de prérogatives administratives, normatives et disciplinaires, et poursuite d’un but d’intérêt général ou pas (Herrmann c. Allemagne, no 9300/07, § 76, 20 janvier 2011).

37. Dans l’arrêt Chassagnou et autres, précité, la Cour a estimé que les associations communales de chasse agréée constituaient des « associations » au sens d’article 11 de la Convention. Elle est arrivée à cette conclusion après avoir constaté que si elles devaient leur existence à la volonté du législateur, ces associations étaient composées de particuliers désireux de regrouper leurs terrains pour la pratique de la chasse. Elle a relevé, en outre, que ces associations n’avaient pas de prérogatives exorbitantes de droit commun et n’utilisaient pas des procédés de la puissance publique et que la tutelle exercée par le préfet ne suffisait pas pour affirmer que ces associations étaient intégrées aux structures de l’Etat.

38. En revanche, dans l’arrêt Hermann, précité, la Cour a considéré que rien n’indiquait que le législateur allemand, en classant les associations de chasse parmi les associations publiques ou para-administratives, visait exclusivement à les soustraire à l’empire de l’article 11. À cet égard, la Cour a constaté que ces associations étaient soumises au contrôle de l’autorité de la chasse qui approuvait aussi leur statut, qu’elles étaient habilitées à réclamer l’acquittement de droits par la voie d’actes administratifs qui étaient exécutés par le Trésor public et qu’elles visaient un but qui servait l’intérêt général.

39. En l’espèce, la Cour note d’emblée que l’Union des coopératives vinicoles de Samos est établie en vertu d’une disposition constitutionnelle, l’article 12 § 5 qui autorise la création d’associations à participation obligatoire, ainsi que d’une loi spécifique no 6085/1934, créant des coopératives vinicoles obligatoires à responsabilité limitée dans toutes les communes de Samos afin de répondre à une demande expresse et pressante des viticulteurs de l’île. Le but de la loi était d’assurer, d’une part, la qualité du vin qui y était produit et qui présentait des caractéristiques propres, et d’autre part, l’équilibre entre la qualité du vin et son prix de commercialisation qui baissait en permanence, ce qui avait eu comme conséquence l’abandon de la production du vin et la dégradation de sa qualité.

40. En examinant la question de la nature des coopératives à participation obligatoire prévues par l’article 12 § 5 de la Constitution, le Conseil d’Etat relevait, dans son arrêt no 2903/1993, qu’elles étaient constituées de personnes morales de droit privé et d’unions spécifiques de personnes qui collaboraient pour défendre et promouvoir leurs intérêts patrimoniaux, professionnels ou autres. Il soulignait que l’organisation et l’action de ces coopératives, dans le cadre économique et social fixé par la Constitution, étaient placées sous la protection et la tutelle de l’Etat et que la possibilité de créer ce type des coopératives, par dérogation au principe général de la libre constitution des coopératives et de la libre la participation de leurs membres, concernait exclusivement le procédé d’établissement et la forme de participation qui était obligatoire.

41. La Cour relève, en outre, que la loi litigieuse datant de 1934 a été maintenue en vigueur par des lois successives, à savoir la loi no 2169/1993 et la loi no 2810/2000. Les articles 26 et 16 des lois nos 2169/1993 et 2810/2000 respectivement organisaient la tutelle étatique sur le fonctionnement de toutes les coopératives agricoles ainsi que sur les coopératives à participation obligatoire, dont les coopératives vinicoles de Samos.

42. Plus particulièrement, l’article 16 de la loi no 2810/2000 prévoyait que la tutelle sur les coopératives agricoles, qui était confiée au ministre de l’Agriculture, consistait notamment à vérifier si la valeur des parts des coopératives ou les autres obligations financières échues avaient été versées et si les dispositions de la loi, des statuts et des décisions des assemblées générales avaient été respectées. Elle consistait aussi à vérifier la véracité du bilan et des situations financières annuelles ainsi qu’à contrôler les registres tenus par les coopératives. Un décret présidentiel, émis sur proposition du ministre de l’Agriculture, devait fixer le contenu et les modalités d’exercice de la tutelle, les devoirs des organes qui l’exerçaient, les obligations de ceux qui étaient sous tutelle envers l’autorité de tutelle (...) ainsi que les sanctions administratives qui seraient imposées par l’autorité de tutelle au cas où le fonctionnement des coopératives n’était pas conforme à la loi. Des décisions prises par le ministre de l’Agriculture et publiées au Journal Officiel, devaient fixer tous les détails nécessaires concernant l’exercice de la tutelle étatique.

43. Si la loi no 4015/2011 a supprimé l’article 16 de la loi no 2810/2000, elle n’a pas supprimé totalement la tutelle étatique sur les coopératives. Toutefois, la Cour note que la tutelle introduite par la loi no 4015/2011 allège considérablement le système de tutelle qu’établissait l’article 16 précité. Comme il ressort du rapport introductif de la loi no 4015/2011, cette dernière établit une nouvelle forme de tutelle au moyen d’une autorité de tutelle, d’un registre national (en tant qu’outil d’enregistrement et d’appréciation des coopératives agricoles) et d’une appréciation périodique. Or, cette tutelle ne semble pas entraîner une interférence spécifique et poussée dans le fonctionnement quotidien de l’Union des coopératives vinicoles de Samos.

44. En outre, l’article 16 de la loi no 4015/2011 précise expressément que les coopératives agricoles constituent des associations autonomes de personnes qui se forment sur une base volontaire. Par ailleurs, l’article 20 de la même loi a supprimé toutes les dispositions des lois précédentes qui étaient contraires au principe de la libre participation des producteurs aux coopératives agricoles.

45. Eu égard à ces circonstances, la Cour estime que deux des critères établis par l’arrêt Hermann précité pour déterminer si une association doit être considérée comme publique plutôt que privée ne sont pas réunis en l’espèce, à savoir, l’intégration aux structures de l’Etat et l’existence des prérogatives administratives, normatives et disciplinaires. Par conséquent, l’Union des coopératives vinicoles de Samos ne saurait être considérée comme une association à caractère public au sens de la Convention et l’article 11 trouve à s’appliquer en l’espèce.

46. La Cour constate, en outre que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle la Cour la déclare donc recevable.

B. Sur le fond

1. Les arguments des parties

47. Le Gouvernement allègue que le but de la loi no 6085/1934 est d’obtenir le meilleur prix du produit au moyen d’une production organisée, et d’une vinification et commercialisation selon des procédures déterminées. Une suppression du caractère obligatoire de la coopérative désorganiserait les viticulteurs et provoquerait une chute vertigineuse des prix car il est incertain qu’un viticulteur isolé puisse respecter le cahier des charges et promouvoir le produit sur les marchés étrangers. Une fragmentation de la production à différents viticulteurs individuels risquerait de saper la qualité du produit et provoquer un dommage financier à l’ensemble des viticulteurs.

48. Le Gouvernement affirme que la protection de la qualité du vin ne peut être assurée que moyennant des mécanismes stricts de contrôle et de participation à des coopératives à participation obligatoire, dont les viticulteurs membres ont un intérêt évident à maintenir la haute qualité de leur vin. Seule l’Union est en mesure d’assurer une telle qualité et d’éviter sa falsification, afin de préserver sa renommée sur le marché interne et surtout sur le marché international où la majeure partie de ce vin est exportée.

49. Le Gouvernement souligne que l’organisation de la production par une coopérative à participation obligatoire était demandée par les viticulteurs eux-mêmes menacés de faillite économique. Ceci résulte aussi du rapport d’accompagnement de la loi no 6085/1934 qui indiquait, entre autres, que les présidents de toutes les coopératives agricoles de Samos s’étaient réunis à la demande expresse de l’ensemble des viticulteurs et ont considéré que l’unique mesure capable de porter remède aux problème de tarification des vins était la création de coopératives à participation obligatoire et à responsabilité limitée dans toutes les communes de Samos.

50. Les requérants rétorquent que les prix pratiqués par l’Union ne sont pas compétitifs et que leur production ne suffit pas à couvrir leurs frais. Ils affirment avoir déposé des demandes de démission de leur coopérative mais qui sont restés sans réponse.

51. Les requérants soulignent que le Gouvernement n’apporte aucun élément pour étayer ses différentes affirmations, notamment celles selon lesquelles le système existant garantit aux viticulteurs un certain revenu et que son abolition risquerait de faire revenir la situation de la production de vin dans la situation dramatique des années 1930.

52. Les requérants affirment que la loi no 6085/1934, non seulement a été abrogée par la loi no 4015/2011, mais en réalité elle n’est plus appliquée dans les faits : l’Union des coopératives de Samos aurait consenti de sa propre initiative à abroger dans les faits l’effet coercitif de la loi no 6085/1934. Ils en veulent pour preuve des publicités dans la presse qui démontrent que des viticulteurs individuels commercialisent dorénavant eux-mêmes leurs produits, que des viticulteurs qui n’ont pas d’établissement vinicole sur l’île de Samos commercialisent le vin de cette île et qu’une chaîne de supermarché produit elle-même du vin de Samos à un endroit inconnu.

2. L’appréciation de la Cour

a) Existence d’une ingérence

53. La Cour est d’avis qu’à n’en pas douter, le refus tacite des autorités nationales, validé par le Conseil d’Etat, d’octroyer aux requérants un permis de vinification au motif que l’Union de la coopérative vinicole de l’île de Samos assure exclusivement la vinification et la commercialisation du muscat de Samos, est à considérer comme une « ingérence » dans leur liberté d’association « négative » (mutatis mutandis, Chassagnou, précité, § 103).

b) Justification de l’ingérence

54. Pareille ingérence enfreint l’article 11, sauf si elle est « prévue par la loi », dirigée vers un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 et est « nécessaire, dans une société démocratique », pour les atteindre.

55. La Cour estime que l’ingérence est prévue par la loi no 6085/1934 et poursuit comme « but légitime » celui d’assurer dans l’intérêt général de l’île de Samos la protection de la qualité d’un vin unique en Grèce et du revenu des viticulteurs de l’île de Samos et donc la protection des droits et libertés d’autrui.

56. Quant à la « nécessité » de l’ingérence, la Cour rappelle que, pour évaluer la nécessité d’une mesure donnée, plusieurs principes doivent être observés. Le vocable « nécessaire » n’a pas la souplesse de termes tels qu’« utile » ou « opportun ». En outre, pluralisme, tolérance et esprit d’ouverture caractérisent une « société démocratique » : bien qu’il faille parfois subordonner les intérêts des individus à ceux d’un groupe, la démocratie ne se ramène pas à la suprématie constante de l’opinion d’une majorité mais commande un équilibre qui assure aux minorités un juste traitement et qui évite tout abus d’une position dominante. D’une manière générale, la « nécessité » d’une quelconque restriction doit être établie de manière convaincante. Certes, il revient en premier lieu aux autorités nationales d’évaluer s’il existe un « besoin social impérieux » susceptible de justifier cette restriction, exercice pour lequel elles jouissent d’une certaine marge d’appréciation. Enfin, une restriction à un droit que consacre la Convention doit être proportionnée au but légitime poursuivi (Schneider c. Luxembourg, no 2113/04, § 78, 10 juillet 2007 ; Chassagnou, précité, § 112 ; Goodwin c. Royaume-Uni, arrêt du 27 mars 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-II, § 40 ; Young, James et Webster c. Royaume-Uni, arrêt du 13 août 1981, série A no 44, § 63).

57. Lorsqu’elle exerce son contrôle, la Cour n’a point pour tâche de se substituer aux autorités nationales qui sont mieux placées qu’une juridiction internationale pour décider de la politique législative et des mesures de mise en œuvre, mais de vérifier sous l’angle de l’article 11 les décisions qu’elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d’appréciation. Il ne s’ensuit pas qu’elle doive se borner à rechercher si l’Etat défendeur a usé de ce pouvoir de façon raisonnable, de bonne foi et avec soin ; il lui faut considérer l’ingérence litigieuse à la lumière de l’ensemble de l’affaire pour déterminer si elle était « proportionnée au but légitime poursuivi » et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants ». Ce faisant, la Cour doit se convaincre que les autorités nationales ont appliqué des règles conformes aux principes consacrés par l’article 11 et ce, de surcroît, en se fondant sur une appréciation acceptable des faits pertinents (Gorzelik et autres c. Pologne [GC], no 44158/98, § 96, 17 février 2004).

58. La Cour note que les coopératives à participation obligatoire créées par la loi no 6085/1934 avaient pour but de systématiser la production, le traitement, la vinification et la consommation du muscat de Samos ainsi que la prise de toute mesure propre à assurer la protection de ce vin. Comme il ressort du rapport introductif de la loi précitée, la mise en place de ce système avait à l’époque été demandée par l’ensemble des viticulteurs et des producteurs de vin de Samos.

59. La Cour n’ignore pas que les coopératives sont étroitement insérées dans le tissu économique local et contribuent à la valorisation du territoire et de l’activité de leurs adhérents. Elle prend note des raisons pour lesquelles le système des coopératives à participation obligatoire a été appliqué pour la viticulture à Samos : en 1934, il était impératif de protéger la qualité de ce cépage, unique en Grèce, et par conséquent une ressource précieuse pour l’économie de l’île et de manière plus générale pour celle de la Grèce. Il fallait aussi développer la culture de cette vigne dont les prix bas de commercialisation pratiqués à l’époque avaient détourné les agriculteurs de cette culture.

60. La Cour prend note du fait que dans son arrêt du 2 novembre 2010, le Conseil d’Etat a souligné que la restriction à la liberté négative d’association ne portait pas atteinte à l’article 11 de la Convention, eu égard d’une part, au fait que l’obligation faite aux requérants de participer aux coopératives ne réduisait pas leur liberté de cultiver la vigne, mais concernait seulement la vinification et la commercialisation et, d’autre part, cette participation obligatoire était nécessaire pour préserver la qualité d’un produit unique pour l’économie nationale.

61. La Cour estime que la distinction faite entre la culture de la vigne, qui n’est pas soumise à restriction, et la vinification et la commercialisation, pour lesquels il faut obligatoirement être membre d’une coopérative, est artificielle et exclut en réalité toute sorte d’autonomie ou d’indépendance aux viticulteurs concernés.

62. De l’avis de la Cour, les motifs qui avaient poussé en 1934 les viticulteurs de l’île de Samos à se regrouper dans des coopératives à participation obligatoire apparaissent peu pertinents dans le contexte actuel. Aujourd’hui le nombre total des viticulteurs appartenant aux diverses coopératives locales est de 2 847, le muscat de Samos bénéficie de l’appellation d’origine contrôlée ainsi que du label VQRPD (vin de qualité produit dans une région déterminée), selon les dispositions du Règlement 1493/1999 du Conseil de l’Union européenne, et le marché de l’exportation est très important, couvrant 80 % de la production annuelle qui se monte approximativement à 7 000 tonnes.

63. La Cour relève, comme le soulignent les requérants, que le Gouvernement ne donne qu’une explication historique pour étayer ses affirmations selon lesquelles la suppression de la participation obligatoire à des coopératives ou de celles-ci à l’Union risquerait de déstabiliser le système viticole de l’île de Samos et qu’aucun contrôle aussi intensif soit-il ne pourrait obtenir le même résultat en ce qui concerne la qualité du vin produit. Á cet égard, elle constate que la minorité du Conseil d’Etat a souligné dans l’arrêt du 2 novembre 2010 que les buts poursuivis par la loi no 6085/1934 pourraient être atteints par d’autres moyens comme, par exemple, par des contrôles de qualité effectués par des organes de certification étatiques ou autres. Un viticulteur pourrait avoir le choix d’adhérer à la coopérative ou s’il souhaitait vinifier et commercialiser lui-même son vin, il pourrait le soumettre à une procédure de certification dont les étapes et exigences seraient fixées à l’avance par des textes législatifs.

64. La Cour note, en outre, que déjà en 1993 le législateur a introduit une entorse au principe de la participation obligatoire des viticulteurs à des coopératives : l’article 47 § 7 de la loi no 2169/1993 a prévu la possibilité pour les coopératives à participation obligatoire de se transformer, à leur initiative, en coopératives libres. Il ressort de cette réglementation que les autorités nationales considèrent que la qualité du vin produit sur l’île de Samos et le souci de garantir aux viticulteurs des prix équitables et dignes du raisin fourni ne risquerait pas de pâtir en cas de transformation de la nature de cette participation. Force est de constater que le rapport introductif de la loi no 4015/2011 indique que l’agriculteur indépendant et autonome, qui en tant que propriétaire et producteur revendique son droit à la prospérité, n’est pas incompatible avec l’idée de l’association coopérative (paragraphe 22 ci‑dessus).

65. La Cour considère qu’en obligeant les viticulteurs à transmettre la totalité de leur production aux coopératives, la loi no 6085/1934 a fait le choix le plus restrictif en ce qui concerne la liberté négative d’association.

66. Compte tenu des circonstances particulières de la cause, la Cour estime que le refus des autorités nationales d’octroyer aux requérants un permis de vinification va au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer un juste équilibre entre des intérêts contradictoires et ne saurait être considéré comme proportionné au but poursuivi.

67. Dès lors, la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 11 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

68. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

69. Les requérants soutiennent qu’ils ont subi un double dommage matériel.

70. D’une part, ils affirment que s’ils avaient pu vendre leur production à un autre viticulteur que la coopérative, de 2006 à 2012 (au prix du marché – 1,20 EUR/kg – et non au prix sous-évalué de l’Union), ils auraient gagné 96 009 EUR (M. Kostakis) et 22 260 EUR (M. Mytilinaios).

71. D’autre part, faute pour eux de pouvoir créer leur propre entreprise viticole et commercialiser leur vin, ils ont eu un manque à gagner s’élevant à 325 115 EUR pour M. Kostakis et à 97 020 EUR pour M. Mytilinaios.

72. Les requérants soutiennent aussi qu’ils ont subi un dommage moral car ils auraient été pris pour cible par l’Union des coopératives vinicoles de Samos et désignés comme les « ennemis qui allaient détruire les producteurs et l’Union », ce qui a eu des répercussions dans leur vie quotidienne. À ce titre, M. Kostakis réclame 25 000 EUR et les héritiers de M. Mytilinaios 50 000 EUR.

73. Le Gouvernement soutient qu’il n’y a pas de lien de causalité entre les prétentions des requérants et la violation alléguée de l’article 11 et que les sommes avancées par eux ne sont que le produit d’une pure spéculation. En outre, il considère que compte tenu des circonstances de la cause, les requérants n’ont subi aucun dommage moral.

74. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle un lien de causalité clair doit exister entre le dommage sollicité et la violation de la Convention constatée par la Cour. En l’espèce, la Cour rappelle qu’elle a constaté une violation de l’article 11 de la Convention fondée sur le rejet par le Conseil d’Etat de leur recours en annulation du refus tacite de l’administration de leur accorder un permis de vinification. Elle estime que le dommage matériel réclamé par les requérants est sans relation directe avec la violation constatée.

75. Par ailleurs, eu égard aux circonstances de la présente affaire, la Cour considère qu’il y a lieu d’accorder aux requérants une somme pour dommage moral. Se prononçant en équité, elle accorde la somme de 6 000 EUR au second requérant. Elle accorde la même somme de 6 000 EUR conjointement aux héritiers du premier requérant.

B. Frais et dépens

76. Les requérants demandent également 13 013,40 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. Ils produisent un document qui indique les heures de travail passées par leur avocat et ses deux assistantes à travailler sur le dossier.

77. Le Gouvernement estime que la somme demandée est excessive et n’est appuyée par aucune facture. Il estime raisonnable d’accorder une somme de 500 EUR.

78. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. Compte tenu des circonstances de l’espèce, des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 2 000 EUR pour la procédure devant la Cour.

C. Intérêts moratoires

79. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 11 de la Convention ;

3. Dit

a) que l’État défendeur doit verser, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i) 6 000 EUR (six mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral conjointement aux héritiers du premier requérant ;

ii) 6 000 EUR (six mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral au second requérant ;

iii) 2 000 EUR (deux mille euros), conjointement aux héritiers du premier requérant et au second requérant, plus tout montant pouvant être dû par les requérants à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 décembre 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

André WampachMirjana Lazarova Trajkovska
Greffier adjoint Présidente


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