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27/03/2014 | CEDH | N°001-141948

CEDH | CEDH, AFFAIRE ERFAR-AVEF c. GRÈCE, 2014, 001-141948


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE ERFAR-AVEF c. GRÈCE

(Requête no 31150/09)

ARRÊT

STRASBOURG

27 mars 2014

DÉFINITIF

27/06/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Erfar-Avef c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Elisabeth Steiner,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,

Julia Laffranque,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos, juges,
et de André Wampach, greffier adjoint de section,

Après en avoir dé...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE ERFAR-AVEF c. GRÈCE

(Requête no 31150/09)

ARRÊT

STRASBOURG

27 mars 2014

DÉFINITIF

27/06/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Erfar-Avef c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Elisabeth Steiner,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos, juges,
et de André Wampach, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 mars 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. à l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 31150/09) dirigée contre la République hellénique et dont une société anonyme grecque, l’Erfar-Avef (« la requérante »), a saisi la Cour le 5 juin 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante a été représentée par Me M. Papatsara, avocat à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les déléguées de son agent, Mme K. Paraskevopoulou, conseillère au Conseil juridique de l’état, et Mme Z. Hadjipavlou, auditrice au Conseil juridique de l’état.

3. La requérante allègue une double violation de l’article 6 § 1 de la Convention, dénonçant un dépassement du délai raisonnable de la procédure et une violation de son droit à un procès équitable.

4. Le 13 avril 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. La requérante est une société anonyme pharmaceutique, ayant son siège social à Pikermi, à Athènes. Elle fut créée en 1991 par G. Hadjioannou, qui transforma la même année son entreprise en société anonyme.

A. La genèse de l’affaire

6. Par un contrat du 28 février 1986, la banque ETVA, appartenant à l’état, vendit à G. Hadjioannou un terrain avec une usine pharmaceutique et tout l’équipement y relatif, situé au lieu-dit « Papahorafi » à Pallíni, pour un prix total de 43 500 000 drachmes. G. Hadjioannou versa à la banque un acompte de 12 000 000 drachmes, et il fut convenu que le restant serait considéré comme un prêt bancaire qui serait remboursé progressivement. Le terrain et l’usine furent grevés d’une hypothèque au profit de la banque.

7. G. Hadjioannou se trouva dans l’impossibilité de respecter les termes du contrat conclu avec la banque et de s’acquitter des versements échelonnés convenus. Par un acte sous seing privé conclu devant notaire le 20 décembre 1990, la banque et G. Hadjioannou conclurent un nouveau contrat réglant les modalités de remboursement du prêt. N’ayant pas non plus, par la suite, respecté les clauses de ce nouveau contrat, G. Hadjioannou fut obligé par la banque d’en signer un troisième, le 29 octobre 1991.

8. De 1991 à 1993, G. Hadjioannou, qui avait entre-temps transformé son entreprise en société anonyme (la requérante), remboursa à la banque des sommes considérables. Toutefois, en 1993, ETVA exerça des pressions sur la requérante pour qu’elle règle la totalité de ses dettes envers elle, sous peine de mise en œuvre d’une procédure d’exécution forcée. Le 17 juin 1993, deux nouveaux contrats furent conclus avec la banque concernant les modalités du règlement de la dette. G. Hadjioannou décéda le 26 octobre 1995.

9. En 1998, la requérante fut informée par la banque que ses dettes s’élevaient à 158 386 858 drachmes. Ayant des doutes quant à la légalité de ces prétentions, la requérante décida de suspendre les versements et de procéder à un contrôle de ses comptes. Elle se rendit compte que, d’une part, la banque appliquait un taux d’intérêt de loin supérieur au taux légal et que, d’autre part, elle pratiquait abusivement l’anatocisme – c’est-à-dire, la capitalisation des intérêts échus.

B. La première procédure

10. Le 16 avril 1999, la requérante saisit le tribunal de première instance d’Athènes d’une action tendant à faire déclarer que les prétentions d’ETVA étaient satisfaites et que les hypothèques devaient être purgées.

Par la suite, toutefois, le tribunal de première instance ajourna d’office l’affaire pour cause de litispendance, dans l’attente de la décision de la cour d’appel, saisie par la requérante le 29 mai 2001 (paragraphe 15 ci-dessous).

11. En effet, les 24 juin et 18 octobre 1999, la requérante avait introduit devant le tribunal de grande instance d’Athènes deux oppositions (anakopi). Par la première, elle demandait l’annulation d’une traite au profit de l’ETVA d’un montant de 171 118 858 drachmes (502 183 euros) et de la saisie d’un bien lui appartenant. Par la deuxième, elle demandait l’annulation de la vente aux enchères projetée de ce bien. Elle soulignait à cet égard que toutes ses dettes envers la banque étaient éteintes à la suite des remboursements effectués par elle aux dates qui étaient précisées.

12. L’audience concernant la première opposition fut fixée au 23 mai 2000, mais elle fut reportée au 31 octobre 2000 afin de pouvoir être examinée en même temps que la deuxième opposition, dont l’audience avait été fixée à cette date.

13. Par un jugement du 22 mars 2001, le tribunal débouta la requérante. Il jugea que les actions devaient être déclarées irrecevables comme tardives, vagues ou dépourvues de fondement.

14. Le 29 mai 2001, la requérante interjeta appel contre ce jugement. L’audience eut lieu le 15 novembre 2001.

15. Par un arrêt avant dire droit du 17 janvier 2002, la cour d’appel ordonna la réalisation d’une expertise dans le but de vérifier la dette exacte de la requérante envers la banque. Le rapport d’expertise devait être déposé dans un délai de soixante jours à compter du serment de l’expert. Le 12 décembre 2002, le juge rapporteur de la cour d’appel accueillit une demande de la requérante tendant au remplacement de l’expert. Le rapport d’expertise fut finalement déposé le 27 mai 2005.

16. L’audience fut fixée au 9 mars 2006, à la demande de la banque.

17. Dans ses observations présentées à l’occasion de cette deuxième audience devant la cour d’appel, la requérante soutint que l’inexistence de toute dette à l’égard de la Banque du Pirée (qui avait entre-temps absorbé l’ETVA) résultait non seulement des dispositions mentionnées dans l’acte d’appel (article 30 de la loi no 2789/2000, tel que modifié par les articles 47 de la loi no 2873/2000 et 42 de la loi no 2912/2001), mais aussi de celles de la loi no 3259/2004, entrée en vigueur le 4 août 2004. En particulier, l’article 39 de cette loi établissait un plafond pour les dettes échues envers les établissements bancaires qui avaient consenti des prêts avant son entrée en vigueur : les dettes étaient considérées comme éteintes si elles dépassaient le triple du capital emprunté.

18. Par un arrêt du 17 août 2006, la cour d’appel débouta la requérante. Elle releva que la dette de la requérante envers la banque était dix-huit fois inférieure à la somme pour laquelle les actes d’exécution forcée attaqués lui avaient été imposés ; que la créance de la banque ne dépassait pas le triple de la somme qui avait été créditée à la requérante ; et que cette créance ne dépassait pas non plus le triple du montant des dettes réglées en 1990. La cour d’appel considéra que, même si les dispositions précitées étaient susceptibles de s’appliquer dans ce type d’affaire, les conditions de leur application ne se trouvaient pas réunies dans les circonstances de l’espèce.

19. La cour d’appel releva, plus précisément, que les dispositions en cause prévoyaient que toute dette résultant d’un contrat de prêt ou de crédit conclu avec un établissement bancaire, et arrivée à échéance au plus tard le 31 décembre 2000, pour des contrats établis entre le 31 décembre 1985 et le 31 décembre 1990, ne pouvait pas dépasser le triple du montant auquel s’élevait la dette un an après le dernier versement du débiteur. En l’espèce, la créance de la banque à l’encontre de la requérante, échue à la notification du commandement de payer du 5 février 1999, ne dépassait pas le triple de la somme créditée à la requérante et dont le remboursement devait être effectué par des mensualités (comme cela avait été convenu en 1986), ni le triple de la somme des dettes réglées en 1990. De plus, certaines autres dettes de la requérante, qui avaient fait l’objet d’une transaction en 1993, avaient été acquittées avant le 28 avril 1998.

20. Le 11 décembre 2006, la requérante se pourvut en cassation. Elle soutenait notamment que l’invocation des articles 30 de la loi no 2789/2000, 47 de la loi no 2873/2000, 42 de la loi no 2912/2001 et 39 de la loi no 3259/2004 ne constituait pas un nouveau moyen d’opposition, distinct de celui contenu dans les oppositions initiales, mais une présentation du même moyen sur un fondement législatif plus récent.

21. Le 15 mai 2007, la requérante demanda la fixation d’une date d’audience. L’audience eut lieu le 13 octobre 2008.

22. Par un arrêt du 8 décembre 2008 (mis au net le 26 janvier 2009 et certifié conforme le 12 février 2009), la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Elle releva ce qui suit :

« (...) L’invocation par le débiteur de dispositions devant entraîner [selon lui] une nouvelle détermination de sa dette crée une contestation quant au montant de celle-ci, en ce sens que la prétention est considérée comme partiellement ou totalement éteinte pour autant qu’elle porte sur cette nouvelle détermination. (...) Pareille allégation peut constituer un motif d’opposition du débiteur contre [d’éventuels] actes ultérieurs d’exécution forcée. Toutefois, pour qu’un tel motif [d’opposition] soit recevable, il doit, en vertu de l’article 585 § 2 du code de procédure civile, être soulevé dans l’acte introductif de l’instance d’opposition ou dans un mémoire complémentaire [à celui-ci], même s’il est apparu à un stade ultérieur ; [s’il n’est invoqué qu’au stade de] l’appel, il doit être rejeté comme irrecevable.

En l’occurrence, [la requérante] (...) demande la cassation de l’arrêt attaqué de la cour d’appel, [au motif que] (...) lors de la deuxième audience devant celle-ci, elle avait soutenu que la vente forcée devait être annulée en application de l’article 39 de la loi no 3259/2004. Or, la cour d’appel a pourtant rejeté ce moyen et par là même violé cette disposition, directement, mais aussi indirectement en ne justifiant pas suffisamment [sa position sur la question de savoir] si les conditions d’application de cet article se trouvaient réunies.

En l’espèce, les allégations de la requérante relèvent du paragraphe 14 de l’article 559 du code de procédure civile (et non des paragraphes 1 et 19 comme le prétend la requérante) et sont irrecevables, car (...) l’allégation concernant l’annulation de la procédure de vente forcée était [elle-même] irrecevable pour n’avoir été présentée pour la première fois que lors de la deuxième audience devant la cour d’appel. Le pourvoi doit donc être rejeté. »

C. La deuxième procédure

23. À la suite de l’arrêt de la Cour de cassation, la requérante introduisit devant le tribunal de grande instance d’Athènes, le 29 avril 2009, une action déclaratoire tendant à faire reconnaître que toutes les prétentions de la Banque du Pirée étaient satisfaites et à faire ordonner l’effacement de toutes les hypothèques grevant ses biens.

24. Toutefois, comme la requérante s’était rendu compte que son action était entachée d’une erreur de forme, elle la réintroduisit le 11 juin 2009. L’audience fut initialement fixée au 17 mars 2011. A cette date, elle fut reportée à la demande de la Banque du Pirée, au 16 décembre 2013.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Le code de procédure civile

25. Les articles pertinents du code de procédure civile disposent :

Article 12 § 2

« Aucune prétention ne peut être soumise directement devant une juridiction de deuxième instance, sauf si la loi en dispose autrement. »

Article 222

« En cas de litispendance et pendant toute la durée de celle-ci, aucune nouvelle procédure ne peut avoir lieu devant quelque tribunal que ce soit entre les mêmes parties relativement au même litige (...). »

Article 269

« 1. Les arguments à charge et à décharge doivent, sous peine d’irrecevabilité, figurer dans les observations écrites. (...)

2. Jusqu’à l’audience, des arguments à charge et à décharge peuvent [toutefois] être valablement invoqués, oralement ou par écrit :

(...)

b) s’ils ont pris naissance postérieurement [au dépôt des observations écrites] ;

(...)

Article 527

« Les allégations factuelles qui n’ont pas été soulevées en première instance et qui sont soulevées pour la première fois en appel sont irrecevables sauf si (...) ; 2) elles ont pris naissance après la dernière audience devant la juridiction de première instance ; 3) les conditions de l’article 269 sont réunies. (...) »

Article 535 § 1

« Si le moyen d’appel est jugé bien-fondé, la décision attaquée est infirmée et la juridiction de deuxième degré juge l’affaire sur le fond. »

Article 559

« Le pourvoi en cassation est permis seulement [dans les cas suivants] :

1) si règle du droit matériel a été violée (...) ;

(...)

14) si, en prononçant une annulation (...) ou une irrecevabilité (...) ou en s’abstenant de le faire, le tribunal a méconnu les dispositions de la loi ;

(...)

19) si l’arrêt est dépourvu de base légale, et notamment s’il est dépourvu de motivation ou comporte des motifs contradictoires (...) »

Article 585

1. Les dispositions relatives à l’exercice d’une action, à son introduction et à l’audience s’appliquent aussi en matière d’opposition.

2. L’acte d’opposition doit contenir (...) les motifs sur lesquels elle se fonde. Des motifs supplémentaires ne peuvent y être ajoutés que par un document spécial, déposé au greffe du tribunal appelé à connaître de l’opposition, et accompagné d’un mémoire qui sera notifié à la partie adverse trente jours avant l’audience, ou, pour les procédures spéciales, huit jours avant l’audience. »

26. Selon la jurisprudence des tribunaux grecs, l’article 585 § 2 fait obstacle à l’ajout de moyens nouveaux après l’acte d’opposition initial. Ceci vaut même dans le cas où les moyens nouveaux ont pris naissance à un stade ultérieur et ne pouvaient donc pas être soulevés plus tôt. L’article 585 § 2, qui fixe le contenu de l’acte d’opposition et les modalités de présentation de nouveaux moyens, est considéré comme une disposition spéciale qui prévaut sur les dispositions générales des articles 269 et 527 du code de procédure civile (arrêts 2096/2009,1584/2005, 912/2002, 72/2000, 1243/1999, 1914/1999 et 309/1999 de la Cour de cassation).

27. Il ressort des articles 585 § 2 et 12 § 2 du code de procédure civile qu’aucun moyen complémentaire d’opposition ne peut être valablement soulevé devant la cour d’appel s’il ne l’a d’abord été par le biais d’observations complémentaires devant le tribunal de première instance ; et cela même si la cour d’appel, après avoir infirmé la décision de première instance, examine le fond de l’opposition. L’article 585 § 2 constitue une disposition spéciale excluant l’application de l’article 527 du code de procédure civile (arrêt 892/1990 de la Cour de cassation), et fait obstacle à ce que de nouveaux motifs d’opposition soient ajoutés autrement que « par un document spécial, déposé au greffe du tribunal appelé à connaître de l’opposition ». L’introduction de nouveaux moyens d’opposition directement devant la cour d’appel n’est pas prévue par l’article 12 § 2 du code de procédure civile (arrêt 659/2005 de la Cour de cassation).

B. Dispositions relatives au réajustement des créances des établissements de crédit

28. L’article 39 de la loi no 3259/2004, entré en vigueur le 4 août 2004, dispose :

« 1. La dette globale échue issue des contrats de prêt ou de crédit de tout type (...) conclus avec des établissements de crédit avant l’entrée en vigueur de la présente loi ne peut dépasser le triple des fonds perçus lors de chaque prêt ou crédit ou l’addition des fonds perçus lors de plusieurs prêts ou crédits (...).

2. Les établissements de crédit sont tenus de réajuster le montant de leurs créances conformément aux dispositions du paragraphe précédent. Jusqu’au 31 décembre 2004, ou lorsqu’une demande de règlement amiable est pendante, ou que le débiteur est à jour avec ses remboursements, les établissements de crédit doivent s’abstenir d’engager des procédures d’exécution forcée pour recouvrer leurs créances ou de poursuivre de telles procédures si celles-ci avaient déjà été engagées (...) »

EN DROIT

I. SUR LE CARACTÈRE ABUSIF DE LA REQUÊTE ALLÉGUÉ PAR LE GOUVERNEMENT

29. Dans ses observations en réponse à celles de la requérante, le Gouvernement relève dans celles-ci la phrase « le Gouvernement hellénique déforme la réalité en cherchant à convaincre la Cour que l’article 6 § 1 de la Convention n’a pas été violé ». Il estime que cette phrase est particulièrement outrageante, excède la limite d’une critique normale, civique et légitime, et constitue un abus du droit de recours individuel au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

30. La Cour relève que cette phrase fait partie d’un paragraphe dans lequel la requérante tente de réfuter un argument du Gouvernement relatif à l’interprétation et à l’application en l’espèce d’une disposition du droit interne pertinent. On ne saurait dans ce contexte admettre que les termes « déforme la réalité » sont d’une nature ou d’une gravité telles qu’ils pourraient passer pour offensants.

La Cour rejette donc l’exception soulevée par le Gouvernement.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION POUR AUTANT QU’ELLE CONCERNE LE DROIT D’ACCÈS À UN TRIBUNAL

31. La requérante se plaint de la violation de son droit d’accès à un tribunal à un double titre : d’une part, la cour d’appel n’a pas précisé pour quelle raison les conditions d’application de la loi dont elle se prévalait ne se trouvaient pas réunies dans son cas ; d’autre part, la Cour de cassation a rejeté comme irrecevable son pourvoi au motif que l’argument relatif à l’application de cette loi n’avait été présenté pour la première fois que devant la cour d’appel, lors de la deuxième audience devant celle-ci. Or, explique-t-elle, il ne lui était pas possible de soulever cet argument plus tôt, puisque la loi en question a été adoptée postérieurement à l’introduction de l’opposition. La requérante voit là une violation de l’article 6 § 1, dont la partie pertinente se lit ainsi :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Sur la recevabilité

32. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

33. Le Gouvernement affirme que la cour d’appel a suffisamment motivé sa décision : tout en admettant qu’elle devait prendre en compte la loi en vigueur au moment où elle rendait son arrêt, elle a considéré, en se fondant sur les éléments du dossier, que les conditions d’application de cette loi n’étaient pas réunies dans le cas de la requérante. Quant à l’interprétation de l’article 585 § 2 par la Cour de cassation, celle-ci faisait déjà l’objet d’une jurisprudence constante ; la requérante, qui était représentée par un avocat, était censée la connaître ainsi que les conséquences qu’entraînerait pour elle le non-respect des conditions que cet article posait.

34. Le Gouvernement soutient que les dispositions de l’article 585 § 2 ont pour but de circonscrire l’objet de l’opposition dès le premier degré de juridiction, afin d’assurer la sécurité juridique et de préserver les droits procéduraux des parties – notamment l’égalité des armes. Chaque partie se voit ainsi garantir la possibilité de réfuter les arguments de l’autre devant tous les degrés de juridiction sans risquer d’être prise au dépourvu. La nécessité d’exclure l’invocation de nouveaux moyens d’opposition, quand bien même ceux-ci n’auraient pas pu être invoqués au stade initial, ne découle pas seulement de la lettre de l’article 585 § 2 ; il y va aussi de l’essence des moyens additionnels, de la célérité qui doit caractériser la procédure d’exécution forcée, et de la protection des parties comme des tiers. L’interprétation de l’article 585 § 2 dans un sens protecteur de ces principes procéduraux fondamentaux ne saurait être considérée comme formaliste.

35. Le Gouvernement soutient que, de toute façon, rien n’empêchait la requérante de saisir les tribunaux civils d’une action déclaratoire tendant à faire reconnaître que sa dette était éteinte et que la procédure d’exécution forcée était illégale. C’est ce que la requérante a d’ailleurs fait le 24 septembre 2009. Il est de jurisprudence constante que l’opposition à une procédure d’exécution forcée n’empêche pas l’intéressé d’introduire une action ordinaire afin de faire reconnaître l’extinction de la prétention qui est à l’origine de l’exécution forcée.

36. La requérante maintient que la cour d’appel n’a pas précisé quelles étaient les conditions de l’applicabilité de l’article 30 de la loi no 2789/2000, tel qu’amendé par les articles 47 de la loi no 2873/2000, 42 de la loi no 2912/2001 et 39 de la loi no 3259/2004, ni pourquoi ces conditions ne se trouvaient pas réunies dans son cas.

37. La requérante affirme que les articles susmentionnés ont établi une limite maximale aux prétentions des établissements de crédit, en prévoyant l’effacement de la partie des dettes qui dépasse le triple de la somme empruntée. Il est clair que ces dispositions ont établi un nouveau motif d’extinction des obligations. Or, les oppositions litigieuses contenaient déjà de manière claire et précise tous les faits propres à établir que les conditions requises par l’article 39 de la loi no 3259/2004 pour obtenir l’extinction de la dette se trouvaient réunies, à savoir : le montant de la somme créditée, la date de la conclusion du prêt (antérieure à l’entrée en vigueur de la loi no 3259/2004), le fait que toutes les prétentions découlant du prêt étaient échues, et les remboursements effectués par la requérante. Par conséquent, la cour d’appel avait la possibilité de vérifier, par de simples calculs mathématiques, si les remboursements dépassaient le triple de la somme empruntée.

38. La requérante souligne qu’il convient de distinguer la présente affaire de l’affaire Dilintas et autres c. Grèce (déc.) (no 51734/08, 18 janvier 2011), car elle n’avait pas soulevé de moyens nouveaux au stade de l’appel et n’avait donc violé aucune disposition procédurale, comme c’était le cas dans l’affaire Dilintas. L’allégation selon laquelle sa dette était éteinte en application de l’article 39 ne constituait pas une modification de la base des oppositions formulées en 1999, mais étayait en réalité le moyen unique d’opposition de l’époque : l’extinction de la dette.

39. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. C’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne (voir, parmi beaucoup d’autres, García Manibardo c. Espagne, no 38695/97, § 36, CEDH 2000-II). Cela est particulièrement vrai s’agissant de l’interprétation par les tribunaux de règles de nature procédurale telles que les formes et les délais régissant l’introduction d’un recours (arrêt Pérez de Rada Cavanilles c. Espagne du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII, p. 3255, § 43). Le rôle de la Cour se limite à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation (Platakou c. Grèce, no 38460/97, § 37, 11 janvier 2001 ; Yagtzilar et autres c. Grèce, no 41727/98, § 25, 6 décembre 2001 ; Stamouli et autres c. Grèce, no 1735/07, § 19, 28 mai 2009). Par ailleurs, la Cour réaffirme que l’article 6 de la Convention n’astreint pas les États contractants à créer des cours d’appel ou de cassation. Néanmoins, un État qui se dote de juridictions de cette nature a l’obligation de veiller à ce que les justiciables jouissent auprès d’elles des garanties fondamentales de l’article 6 (ibid. § 38).

40. Par ailleurs, le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès constitue un aspect particulier, n’est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment quant aux conditions de recevabilité d’un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’État, lequel jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation. Toutefois, ces limitations ne sauraient restreindre l’accès ouvert à un justiciable de manière ou à un point tels que son droit à un tribunal s’en trouve atteint dans sa substance même ; enfin, elles ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles tendent à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (voir, parmi beaucoup d’autres, Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne, 19 février 1998, § 34, Recueil des arrêts et décisions 1998–I).

41. La Cour rappelle à cet égard que la réglementation relative aux formalités pour former un recours vise à assurer la bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique. Toutefois, les intéressés doivent pouvoir s’attendre à ce que les règles soient appliquées (Miragall Escolano et autres c. Espagne, nos 38366/97, 38688/97, 40777/98, 40843/98, 41015/98, 41400/98, 41446/98, 41484/98, 41487/98 et 41509/98, § 33, CEDH 2000-I).

42. Cela étant, la Cour a conclu à plusieurs reprises que l’application par les juridictions internes de formalités à respecter pour former un recours est susceptible de violer le droit d’accès à un tribunal. Il en est ainsi quand l’interprétation par trop formaliste des règles applicables faite par une juridiction empêche, de fait, l’examen au fond du recours exercé par l’intéressé (Běleš et autres c. République tchèque, no 47273/99, § 69, CEDH 2002-IX ; Zvolský et Zvolská c. République tchèque, no 46129/99, § 55, CEDH 2002‑IX et Nikolaos Kopsidis c. Grèce (no 2920/08, § 22, 18 mars 2010).

43. Ces principes rappelés, la Cour doit maintenant se tourner vers les faits de l’espèce.

44. En premier lieu, la Cour ne peut pas souscrire à l’argument de la requérante selon lequel l’arrêt de la cour d’appel n’était pas suffisamment motivé. L’arrêt mentionnait les conditions d’application des dispositions invoquées par la requérante et expliquait plus loin les raisons pour lesquelles ces conditions n’étaient pas réunies dans son cas. Plus précisément, après avoir examiné les éléments du dossier, la cour d’appel a conclu que la créance de la banque à l’encontre de la requérante, qui était échue à la date de la notification du commandement de payer, le 5 février 1999, ne dépassait pas le triple de la somme créditée et dont le remboursement devait être effectué sous forme de mensualités (comme cela avait été convenu en 1986) ; cette créance ne dépassait pas non plus le triple du montant des dettes réglées en 1990. De plus, l’arrêt constatait que certaines autres dettes de la requérante, qui avaient fait l’objet d’une transaction en 1993, avaient été acquittées avant le 28 avril 1998.

45. Quant au grief relatif au formalisme excessif dont aurait fait preuve la Cour de cassation, la Cour rappelle que dans l’affaire Dilintas, les requérants avaient réclamé certaines allocations supplémentaires pour la première fois devant la cour d’appel, ce qui était en nette contradiction avec l’article 12 du code de procédure civile, qui prévoit qu’une prétention ne peut pas être soumise pour la première fois lorsque l’affaire est au stade de l’appel. La Cour avait en outre constaté que les requérants avaient la possibilité d’introduire, avant de saisir la cour d’appel, une action devant le tribunal de première instance afin de revendiquer ces allocations.

46. La Cour note que dans la présente affaire, dans ses oppositions des 24 juin et 18 octobre 1999, la requérante demandait l’annulation d’une traite au profit de l’ETVA d’un montant de 171 118 858 drachmes (502 183 euros) et de la saisie d’un bien lui appartenant, ainsi que l’annulation de la vente aux enchères projetée de ce bien (paragraphe 11 ci-dessus). La requérante soulignait à cet égard que toutes ses dettes envers la banque étaient éteintes à la suite des remboursements effectués par elle aux dates qu’elle indiquait.

47. Le 4 août 2004, alors que l’appel de la requérante était pendant depuis le 29 mai 2001, l’article 39 de la loi no 3259/2004 est entré en vigueur. Cet article précisait que les dettes étaient considérées comme éteintes si elles dépassaient le triple du capital emprunté. La requérante s’est prévalue de cet article le 9 mars 2006 lors de l’audience devant la cour d’appel. Il lui était impossible de le faire avant l’examen de l’affaire par la cour d’appel, la loi susmentionnée n’étant entrée en vigueur que bien après l’introduction de l’appel. La cour d’appel a rejeté l’appel parce que les conditions d’application de cet article ne se trouvaient pas réunies. De son côté, la Cour de cassation a aussi rejeté le pourvoi de la requérante au motif que l’allégation concernant l’annulation de la procédure de vente forcée était irrecevable car elle a été présentée pour la première fois lors de la deuxième audience devant la cour d’appel.

48. La Cour relève que d’après l’article 527 du code de procédure civile, les allégations factuelles qui n’ont pas été soulevées en première instance et qui sont soulevées pour la première fois en appel sont irrecevables sauf si elles ont pris naissance après la dernière audience devant la juridiction de première instance (paragraphe 25 ci-dessus). Quant à l’article 585 § 2 du même code, il fait obstacle à l’ajout de moyens nouveaux après l’acte d’opposition initiale sauf dans certains cas limitativement énumérés dans ce même article et tels qu’interprétés par la jurisprudence de la Cour de cassation (paragraphes 25-27 ci-dessus). La Cour considère que ces articles qui comportent une réglementation relative aux formalités pour former un recours ont pour objet de garantir la bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique. Ces articles se concilient, en outre, avec les principes de l’égalité des armes et du contradictoire et visent à assurer que toute opposition soit notifiée à la partie adverse pour lui donner la possibilité d’y réagir à temps et ne pas être prise au dépourvu. Les dispositions litigieuses en l’espèce poursuivaient donc un but légitime.

49. Quant au respect du principe de la proportionnalité, la Cour note que même si la cour d’appel n’a pas formellement appliqué la nouvelle loi no 3259/2004, elle a néanmoins constaté que les conditions posées par celle-ci (somme due dépassant le triple de la somme empruntée) n’étaient pas remplies. La Cour note, de surcroît, que la requérante avait la possibilité d’intenter une autre action pour faire reconnaître que toutes les prétentions de la banque étaient satisfaites, ce qu’elle a du reste fait le 29 avril 2009 (paragraphes 23-24 ci-dessus).

50. Compte tenu de la marge d’appréciation reconnue aux États quant aux conditions de recevabilité d’un recours, et eu égard aux circonstances de l’affaire, la requérante n’a pas subi une entrave disproportionnée à son droit d’accès à un tribunal. La Cour conclut qu’il n’y a pas eu atteinte à la substance du droit d’accès à un tribunal et qu’il n’y a donc pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION POUR AUTANT QU’ELLE CONCERNE LA DURÉE DE LA PROCÉDURE

51. La requérante se plaint du dépassement du « délai raisonnable » garanti par l’article 6 § 1 de la Convention dans la procédure qui a commencé le 29 avril 2009.

52. Une première procédure a débuté le 24 juin 1999, avec la saisine du tribunal de première instance d’Athènes, et s’est terminée le 12 février 2009, date à laquelle la requérante pouvait se procurer copie de l’arrêt de la Cour de cassation. Le 29 avril 2009, la requérante a introduit devant le tribunal de grande instance d’Athènes une action déclaratoire ayant le même objet que la première procédure et qui est encore pendante.

53. Le Gouvernement souligne qu’il n’y a eu de période d’inactivité de la part des autorités judiciaires ni quant à la fixation des audiences ni quant au déroulement des débats. La durée de la procédure d’appel était due à l’attente de la conclusion de l’expertise que la cour d’appel avait jugée nécessaire et pour la réalisation de laquelle elle avait fixé un délai de soixante jours à compter de la prestation de serment de l’expert. Selon le droit interne, le déroulement rapide d’une expertise incombe à la partie la plus diligente. Or, la requérante a non seulement demandé le remplacement du premier expert désigné mais aussi omis de demander le remplacement du deuxième lorsqu’elle a constaté que celui-ci tardait à rédiger son rapport. La requérante n’a pas non plus été diligente quant à la fixation de la date de la deuxième audience devant la cour d’appel, qui a finalement eu lieu à la demande de la partie adverse. Elle a aussi tardé à demander la fixation de la date de l’audience devant la Cour de cassation.

54. Dans ses observations en réponse, la requérante précise qu’elle ne se plaint plus de la première procédure – qui a pris fin avec l’arrêt de la Cour de cassation –, mais du fait que celle qui a commencé le 29 avril 2009 risque de durer encore dix ans.

A. Sur la recevabilité

55. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

56. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

57. La Cour note que l’audience devant le tribunal de première instance concernant l’examen de l’action déclaratoire avait été initialement fixée au 17 mars 2011. Toutefois, comme la requérante s’est rendu compte que son action était entachée d’un vice de forme, elle l’a réintroduite le 11 juin 2009 ; et la nouvelle date d’audience, fixée au 17 mars 2011, a elle-même été reportée, à la demande de la Banque du Pirée, au 16 décembre 2013 (paragraphe 24 ci-dessus).

58. La Cour ne saurait spéculer sur la durée totale à venir de la procédure qui a été engagée postérieurement à l’arrêt de la Cour de cassation. Elle note cependant que la requérante a introduit son action le 29 avril 2009 et puis elle l’a réintroduite le 11 juin 2009. L’audience a été fixée au 17 mars 2011, soit un an et neuf mois plus tard. À cette dernière date, l’audience a été reportée au 16 décembre 2013, soit deux ans et huit mois plus tard. Or de telles périodes ne sont pas compatibles avec les exigences du « délai raisonnable ». La Cour a à plusieurs reprises affirmé que, même dans les cas où, comme en l’espèce, la procédure est régie par le principe de l’initiative des parties, la notion de « délai raisonnable » exige que les tribunaux suivent le déroulement de la procédure et restent attentifs au laps de temps pouvant s’écouler entre deux actes de procédure (voir, mutatis mutandis, Philippos Ioannidis c. Grèce, no 22957/06, § 21, 19 juin 2008 et Flaris c. Grèce, no 54053/07, § 24, 22 avril 2010). Dès lors, compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce, la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 sur ce point.

IV. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

59. La Cour note que la requérante, dans ses observations en réponse à celles du Gouvernement, reçues au greffe le 3 décembre 2012, consacre quelques développements à une prétendue violation de l’article 1 du Protocole no 1. Elle relève cependant que ce grief est soulevé pour la première fois dans lesdites observations et ne figurait aucunement dans la requête que la requérante a introduite devant la Cour le 5 juin 2009. Or, en ce qui concerne les griefs non contenus dans la requête initiale, le cours du délai de six mois n’est interrompu qu’à la date où le grief est présenté pour la première fois à la Cour (Allan c. Royaume-Uni (déc.), no 48539/99, 28 août 2001). La décision interne définitive étant l’arrêt de la Cour de cassation du 8 décembre 2008, ce grief doit donc être rejeté pour non-respect du délai de six mois.

60. Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée en application des articles 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

61. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage matériel

62. La requérante réclame 4 990 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’elle aurait subi. Elle invoque une analyse économique dans laquelle son dommage est calculé depuis 2008, année au cours de laquelle la Cour de cassation a rejeté son pourvoi, jusqu’en 2022, année d’achèvement supposée de son redressement judiciaire en cours. La requérante soutient que si la Cour de cassation avait accueilli son pourvoi, il aurait été judiciairement reconnu qu’elle n’avait pas de dettes envers la Banque du Pirée, de sorte que les hypothèques grevant ses biens auraient été levées et sa situation financière aurait été entièrement assainie.

63. Le Gouvernement soutient que le dommage invoqué par la requérante n’a pas de lien de causalité avec la violation alléguée du droit d’accès à un tribunal. De plus, il est entièrement hypothétique, car la requérante l’associe à l’évolution future et supposée de sa situation économique qui dépend de paramètres n’ayant aucune relation avec le cas d’espèce.

64. La Cour estime que, même dans l’hypothèse où le pourvoi en cassation de la requérante aurait été déclaré recevable, il n’est pas certain que la Cour de cassation aurait cassé l’arrêt de la cour d’appel. Celle-ci, il convient de le rappeler, avait jugé que les conditions posées par l’article 39 de la loi no 2259/2004 ne se trouvaient pas réunies dans le cas de la requérante. Ce serait donc spéculer que d’affirmer que la dette de la requérante aurait été considérée comme éteinte si la Cour de cassation n’avait pas conclu à l’irrecevabilité de son pourvoi (voir, mutatis mutandis, Boulougouras c. Grèce, no 66294/01, § 31, 27 mai 2004). Ainsi, la Cour considère qu’en l’absence de lien de causalité entre le dommage matériel invoqué et la violation constatée, il n’y pas lieu de retenir ce chef de préjudice.

B. Dommage moral

65. La requérante réclame aussi la somme de 400 000 EUR pour le préjudice moral qu’elle aurait subi du fait de son inscription en tant que débiteur défaillant (bad creditor) dans la base de données tenue par les banques (Teiresias), ce qui aurait porté atteinte à sa réputation. En effet, selon elle, cette inscription était due au litige l’opposant à la banque et, en particulier, à l’arrêt de la Cour de cassation qui a rejeté son pourvoi en cassation.

66. Le Gouvernement considère que le préjudice allégué n’a pas de lien de causalité avec les violations invoquées par la requérante. Les faits mentionnés par la requérante sur l’atteinte à sa réputation et sur l’état psychologique de ses actionnaires n’ont aucune relation avec les questions examinées par la Cour. Selon le Gouvernement, si la Cour constatait une violation de l’article 6 § 1, ce constat constituerait une satisfaction équitable pour la requérante.

67. La Cour rappelle qu’elle a conclu à une violation de l’article 6 § 1 en ce qui concerne la durée de la procédure. Elle rappelle, en outre, qu’elle peut octroyer une réparation pécuniaire pour dommage moral à une société commerciale (Comingersoll S.A. c. Portugal [GC], no 35382/97, § 35, CEDH 2000-IV et Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano c. Italie [GC], no 38433/09, § 221, 7 juin 2012).

68. La Cour estime devoir allouer à la requérante la somme de 3 250 EUR au titre du dommage moral.

C. Frais et dépens

69. La requérante demande également 31 630,92 EUR pour les frais et honoraires d’avocat devant les juridictions internes, dans le cadre de son litige avec la Banque du Pirée, ainsi que 1 800 EUR correspondant aux dépens que la requérante a été condamnée par la Cour de cassation à verser à la banque. Elle réclame aussi 19 680 EUR au titre des honoraires d’avocat pour la procédure devant la Cour et 939,47 pour les frais de traduction de ses observations. Enfin, elle demande le remboursement des honoraires (5 811,75 EUR) qu’elle a versés à l’analyste économique engagé par elle pour calculer son manque à gagner et son dommage matériel.

70. Le Gouvernement estime que les frais engagés devant les juridictions nationales et pour l’analyse économique concernant l’évaluation du dommage matériel n’ont pas de lien de causalité avec les violations alléguées. Quant à ceux engagés pour la procédure devant la Cour, ils sont excessifs, faute selon lui d’être justifiés par les circonstances de la cause.

71. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, la Cour constate que les frais engagés devant les juridictions nationales n’ont pas de lien de causalité avec les allégations de violations que la Cour a examinées. Ayant examiné les justificatifs fournis par la requérante en ce qui concerne la procédure devant elle, et compte tenu du nombre des griefs ayant eu une issue favorable à celle-ci, la Cour considère que la somme totale réclamée est excessive. La Cour estime qu’il y a lieu de lui accorder au titre des frais et dépens la somme de 1 500 EUR.

D. Intérêts moratoires

72. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 6 § 1 et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne le droit d’accès à un tribunal ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne la durée de la procédure ;

4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois, à compter du jour où le présent arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i) 3 250 EUR (trois mille deux cent cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii) 1 500 EUR (mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la requérante, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 27 mars 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

André WampachIsabelle Berro-Lefèvre
Greffier adjointPrésidente


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-141948
Date de la décision : 27/03/2014
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Non-violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure civile;Article 6-1 - Accès à un tribunal);Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure civile;Article 6-1 - Délai raisonnable)

Parties
Demandeurs : ERFAR-AVEF
Défendeurs : GRÈCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : PAPATSARA M.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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