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21/11/2017 | CEDH | N°001-178712

CEDH | CEDH, AFFAIRE SÜLEYMAN BABA c. TURQUIE, 2017, 001-178712


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE SÜLEYMAN BABA c. TURQUIE

(Requête no 2150/05)

ARRÊT

(Satisfaction équitable – radiation)

STRASBOURG

21 novembre 2017

DÉFINITIF

21/02/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Süleyman Baba c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Robert Spano, président,
Julia Laffranque,
Işıl Ka

rakaş,
Nebojša Vučinić,
Paul Lemmens,
Jon Fridrik Kjølbro,
Stéphanie Mourou-Vikström, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en a...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE SÜLEYMAN BABA c. TURQUIE

(Requête no 2150/05)

ARRÊT

(Satisfaction équitable – radiation)

STRASBOURG

21 novembre 2017

DÉFINITIF

21/02/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Süleyman Baba c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Robert Spano, président,
Julia Laffranque,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Paul Lemmens,
Jon Fridrik Kjølbro,
Stéphanie Mourou-Vikström, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 31 octobre 2017,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 2150/05) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet État, M. Süleyman Baba (« le requérant »), a saisi la Cour le 29 novembre 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Par un arrêt du 23 mars 2010 (« l’arrêt au principal »), la Cour a jugé qu’il y avait eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (Süleyman Baba c. Turquie, no 2150/05, § 27, 23 mars 2010).

3. En s’appuyant sur l’article 41 de la Convention, le requérant réclamait une somme en indemnisation du préjudice matériel qu’il estimait avoir subi.

4. La question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l’a réservée et a invité le Gouvernement et le requérant à lui soumettre par écrit, dans un délai de trois mois à compter du jour où l’arrêt deviendrait définitif, leurs observations sur la question, et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (idem, § 32, et point 3 du dispositif).

5. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations.

6. Aucun accord permettant d’aboutir à un règlement amiable n’a été trouvé.

EN DROIT

7. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

I. LES OBSERVATIONS DES PARTIES

A. Dommage matériel

8. Au titre de l’article 41 de la Convention, le requérant demande une somme correspondant selon lui à la valeur réelle du bien objet de sa requête devant la Cour en indemnisation du préjudice matériel qu’il estime avoir subi.

Lors de la procédure sur le fond, il a réclamé 1 300 000 livres turques (TRY) (soit environ 600 000 euros (EUR)). À l’appui de sa demande, il a fourni à la Cour un rapport d’expertise établi le 13 juin 2009 par une société immobilière.

Dans ses observations supplémentaires, versées au dossier le 21 avril 2015, il a présenté une actualisation de la valeur du bien en question, fondée sur un rapport d’expertise établi le 8 avril 2015 par une société immobilière. Il ressort de ce rapport que, aux fins de la détermination de la valeur du terrain litigieux, cette société a pris en considération plusieurs éléments, et qu’elle a conclu que le prix au mètre carré dudit terrain s’élevait à 50 TRY si ce dernier était classé comme appartenant au domaine forestier et à 200 TRY dans le cas contraire. Ainsi, d’après ce rapport, la valeur du terrain en cause, d’une superficie de 37 220 m², était soit de 1 850 000 TRY (soit environ 642 360 EUR à la date de l’évaluation) soit de 7 450 000 TRY (soit environ 2 586 800 EUR à la date de l’évaluation), selon que l’on considérait ce bien comme relevant ou non du domaine forestier.

9. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter la demande d’indemnisation du requérant, qu’il juge excessive et dépourvue de fondement.

Il a fourni à la Cour un rapport d’expertise, établi le 3 octobre 2009 par la direction immobilière près la préfecture de Kocaeli, selon lequel la valeur du bien de l’intéressé était de 19 032,85 TRY (soit environ 9 000 EUR).

Dans ses observations supplémentaires, versées au dossier le 20 mai 2015, il a également présenté une actualisation de la valeur du terrain litigieux, fondée sur un rapport établi le 13 avril 2015 par la direction des biens de Gebze. Selon ce rapport, la valeur de ce terrain était de 28 399,14 TRY (soit environ 10 140 EUR à la date de l’évaluation).

B. Dommage moral

10. Le requérant ne formule aucune demande pour dommage moral.

C. Frais et dépens

11. Le requérant ne formule aucune demande pour frais et dépens.

II. LE DROIT ET LA JURISPRUDENCE INTERNES PERTINENTS, ET LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EN LA MATIÈRE

12. Pour ce qui est du droit et de la pratique internes pertinents en l’espèce, et de sa jurisprudence en matière de satisfaction équitable dans des affaires relatives à des biens situés dans le domaine forestier, la Cour renvoie à son arrêt Gümrükçüler et autres c. Turquie (satisfaction équitable) (no 9580/03, §§ 17-19, 7 février 2017).

III. LES DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS EN DROIT INTERNE

13. Les développements récents en droit interne figurent également dans l’arrêt Gümrükçüler et autres (satisfaction équitable) (précité, §§ 20-25).

IV. LA DEMANDE DU GOUVERNEMENT

14. Par une lettre du 22 avril 2016, le Gouvernement a demandé à la Cour de déclarer la présente requête irrecevable sur le fondement de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention eu égard aux modifications apportées en droit interne – notamment par le décret ministériel du 25 janvier 2016 – aux compétences de la commission d’indemnisation instituée par la loi no 6384 relative au règlement, par l’octroi d’une indemnité, de certaines requêtes introduites devant la Cour. Il s’est exprimé comme suit à ce sujet :

« La Cour, dans son arrêt pilote Ümmihan Kaplan c. Turquie, avait constaté qu’il existait en Turquie un problème tant structurel que systémique en ce qui concerne l’exigence relative au délai raisonnable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention (Ümmihan Kaplan c. Turquie, §§ 48 et 49, 20 mars 2012).

Consécutivement à l’arrêt pilote, une Commission d’Indemnisation a été instaurée avec pour objectif de résoudre certaines requêtes introduites devant la Cour européenne des droits de l’homme par l’octroi d’[une] indemnité (loi no 6384). Cette loi a créé une nouvelle voie de recours pour les allégations de durée excessive de la procédure. La Cour, dans sa décision du 26 mars 2013 concernant la requête no 4860/09 de Müdür Turgut et autres c. Turquie et sa décision du 4 juin 2013 concernant la requête no 56125/10 de Demiroğlu et autres c. Turquie, a conclu à l’irrecevabilité de la requête pour non-épuisement des voies de recours internes au motif que la nouvelle voie de recours était une voie de recours effective et accessible et offrait aux requérants des perspectives raisonnables de redressement de leurs griefs concernant la durée excessive de la procédure au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

La Cour a également noté que la loi no 6384 était applicable à toutes les requêtes pendantes devant elle, soumises avant le 23 septembre 2012 et non encore communiquées au Gouvernement. De même, dans ses décisions telles que Müge Sargın (20236/06), Mahmut Bacak et 44 autres requêtes (18904/09), la Cour a indiqué que la loi no 6384 était applicable [aux] requêtes communiquées au Gouvernement ainsi qu’aux requêtes déclarées irrecevables en raison de l’existence de la Commission en tant que nouveau recours interne.

Comme la Cour a conclu que la Commission constituait un recours accessible en Turquie, le Gouvernement a entamé un processus d’élargissement de la compétence de la Commission d’indemnisation en vertu de la loi no 6384. La compétence de la Commission a été élargie par un décret ministériel du 10 février 2014 (J.O. du 16 mars 2014). Ensuite, elle a été élargie par le décret ministériel du 25 janvier 2016 no 206/8509 (J.O. du 9 mars 2016). Dorénavant, la Commission d’indemnisation est compétente, entre autre[s], pour conna[î]tre des affaires concernant les zones forestières. En effet, selon l’article 4 a), la Commission d’Indemnisation est compétente pour conna[î]tre des requêtes introduites en alléguant une violation du droit de propriété en raison de l’annulation du titre de propriété en application de l’article 2/B de la loi no 6831 du 31 août 1956 ou de la constatation lors des travaux du cadastre que le bien en question se trouvait dans le domaine forestier.

Par conséquent, les requérants ont à leur disposition une nouvelle voie de recours interne. Ils peuvent dorénavant s’adresser à la Commission d’indemnisation pour demander réparation. »

V. LA DÉCISION DE LA COUR

15. En ce qui concerne la demande du Gouvernement de déclarer la requête irrecevable sur le fondement de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention, la Cour note d’emblée que la requête a déjà été déclarée recevable dans son arrêt au principal du 23 mars 2010 (point 1 du dispositif).

16. Ensuite, la Cour rappelle avoir indiqué à maintes reprises que, en règle générale, l’exigence d’épuiser les voies de recours internes ne s’appliquait pas aux demandes de satisfaction équitable présentées devant elle en vertu de l’article 41 de la Convention. En effet, si, après avoir épuisé, sans succès, les voies de recours internes préalablement à la saisine de la Cour, les requérants étaient tenus d’épuiser d’autres voies de droit afin d’obtenir de celle-ci une satisfaction équitable, la procédure prévue par la Convention se révélerait peu compatible avec une protection effective des droits de l’homme et conduirait à une situation inconciliable avec le but et l’objet de la Convention (voir, pour un exemple récent, S.L. et J.L. c. Croatie (satisfaction équitable), no 13712/11, § 17, 6 octobre 2016, et les affaires qui y sont citées). La Cour rejette donc la demande du Gouvernement.

17. Cela étant, la Cour rappelle également avoir décidé, dans l’arrêt Gümrükçüler et autres ((satisfaction équitable), précité), portant sur une question juridique identique à celle posée en l’espèce, la radiation d’une requête sur le fondement de l’article 37 § 1 c) de la Convention dans la mesure où il était établi que la possibilité concrète d’indemniser les requérants existait au niveau national. Dans cet arrêt, elle a en effet relevé que les organes compétents, « qui sont sur place et ont accès aux biens, registres et archives, ainsi qu’à tous les autres moyens pratiques, sont certainement mieux placés pour statuer sur des questions complexes de propriété et d’évaluation et pour fixer une indemnisation (...) ». (Gümrükçüler et autres (satisfaction équitable), précité, §§ 28-43).

18. L’examen de la présente affaire ne révèle aucune circonstance particulière pouvant conduire à une conclusion différente. Aussi, dans ces conditions, et compte tenu de la nature subsidiaire du mécanisme de contrôle institué par la Convention, la Cour estime-t-elle qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête (article 37 § 1 c) de la Convention).

19. La Cour est en outre d’avis que, en l’espèce, il n’existe pas de circonstances spéciales touchant au respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles qui exigeraient la poursuite de l’examen de la requête (article 37 § 1 in fine de la Convention).

20. La Cour précise que, pour parvenir à cette conclusion, elle a tenu compte de la compétence que lui reconnaît l’article 37 § 2 de la Convention pour décider la réinscription d’une requête au rôle lorsqu’elle estime que les circonstances le justifient (Gümrükçüler et autres (satisfaction équitable), précité, § 42).

21. En conséquence, il y a lieu de rayer du rôle la requête partie de l’affaire relative à l’article 41 de la Convention, concernant la demande d’indemnisation du dommage matériel causé selon le requérant par la violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Rejette la demande du Gouvernement de déclarer la requête irrecevable ;

2. Décide de rayer la requête du rôle.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 21 novembre 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stanley NaismithRobert Spano
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-178712
Date de la décision : 21/11/2017
Type d'affaire : radiation du rôle
Type de recours : Radiation du rôle (Article 37-1-c - Poursuite de l'examen non justifiée)

Parties
Demandeurs : SÜLEYMAN BABA
Défendeurs : TURQUIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : OZMEN E.S.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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