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09/05/2023 | CEDH | N°001-224563

CEDH | CEDH, AFFAIRE HORION c. BELGIQUE, 2023, 001-224563


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE HORION c. BELGIQUE

(Requête no 37928/20)

ARRÊT


Art 3 (matériel) • Peine inhumaine et dégradante • Impossibilité pour le requérant, depuis janvier 2018, d’être placé dans une unité de psychiatrie légale, alors que sa détention en prison n’est plus indiquée par les autorités internes • Admission jugée par les juridictions internes être une étape indispensable à la réinsertion dans la société de ce détenu de très longue durée depuis 1979 et exigée pour le mettre en liberté • Unique admission des perso

nnes « internées » et non de celles « condamnées » jugées pénalement responsable des faits commis • Absence de p...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE HORION c. BELGIQUE

(Requête no 37928/20)

ARRÊT

Art 3 (matériel) • Peine inhumaine et dégradante • Impossibilité pour le requérant, depuis janvier 2018, d’être placé dans une unité de psychiatrie légale, alors que sa détention en prison n’est plus indiquée par les autorités internes • Admission jugée par les juridictions internes être une étape indispensable à la réinsertion dans la société de ce détenu de très longue durée depuis 1979 et exigée pour le mettre en liberté • Unique admission des personnes « internées » et non de celles « condamnées » jugées pénalement responsable des faits commis • Absence de perspective réaliste d’élargissement

STRASBOURG

9 mai 2023

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Horion c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une Chambre composée de :

Arnfinn Bårdsen, président,
Jovan Ilievski,
Egidijus Kūris,
Pauliine Koskelo,
Frédéric Krenc,
Diana Sârcu,
Davor Derenčinović, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier de section,

Vu :

la requête (no 37928/20) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant de cet État, M. Freddy André Horion (« le requérant ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 25 août 2020,

la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement belge (« le Gouvernement »),

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 avril 2023,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La requête concerne la peine de réclusion à perpétuité à laquelle le requérant a été condamné en 1981. Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant allègue que sa peine est incompressible de facto.

EN FAIT

2. Le requérant est né en 1947 et est détenu à la prison de Hasselt. Il a été représenté par Me J. Millen, avocat.

3. Le Gouvernement a été représenté par son agente, Mme I. Niedlispacher, du service public fédéral de la Justice.

1. le contexte de l’affaire

4. Le requérant est détenu en prison depuis le 27 juin 1979.

5. Le 16 juin 1981, la cour d’assises de Flandre occidentale le condamna à la peine de mort pour un quintuple meurtre aux fins de vol. Par un arrêté royal du 10 novembre 1981, cette peine fut commuée en travaux forcés à perpétuité. Formellement abolie par une loi du 10 juillet 1996, la peine de mort n’était plus appliquée en Belgique depuis de nombreuses années.

6. Le requérant avait auparavant été condamné pour d’autres faits, dont un meurtre et des vols avec ou sans effraction. Au cours des premières années de son incarcération, il fit plusieurs tentatives d’évasion et réussit à deux reprises (en mai 1982 et en octobre 1987) à quitter la prison.

7. Il ressort des pièces du dossier qu’en application de la loi du 17 mai 2006 relative au statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté et aux droits reconnus à la victime dans le cadre des modalités d’exécution de la peine (paragraphe 47 ci-dessous), le requérant est admissible au bénéfice d’une permission de sortie depuis le 1er octobre 1991, d’un congé pénitentiaire depuis le 30 septembre 1992, d’une détention limitée ou d’une surveillance électronique depuis le 3 avril 1993, et d’une libération conditionnelle depuis le 30 septembre 1993.

2. les demandes de modalités d’exécution de sa peine introduites par le requérant

8. Il ressort du dossier qu’entre 1993 et 2007, le requérant fit plusieurs demandes de libération conditionnelle. Celles-ci furent toutes rejetées par la commission de libération conditionnelle qui fut, par la suite, abrogée et remplacée par le tribunal de l’application des peines (ci-après « TAP »). Seules les décisions contenues dans le dossier soumis à la Cour sont résumées dans les paragraphes qui suivent.

9. Le 1er avril 2007, le requérant introduisit une demande de libération conditionnelle. Le 18 octobre 2007, suite à un avis défavorable de la direction de la prison, le TAP de Gand rejeta la demande en raison de l’imprévisibilité du comportement du requérant et de la nécessité de présenter un plan de réinsertion complet.

10. Le 19 novembre 2007, le requérant introduisit une demande de détention limitée. Sur avis défavorable de la direction de la prison, la demande fut rejetée par le TAP le 1er avril 2008 au motif que le risque de perpétration de nouvelles infractions graves ne pouvait être contrecarré par le plan de réinsertion proposé consistant en une formation de maçon, même en imposant au requérant des conditions particulières individualisées.

11. Le 2 septembre 2008, le requérant introduisit une nouvelle demande de détention limitée ainsi que, le 18 octobre 2008, une demande de libération conditionnelle qui furent rejetées par le TAP le 3 février 2009 sur avis défavorable de la direction de la prison. Le TAP prit note de la demande du requérant et de son avocat que de la clarté soit donnée sur ce qui était attendu du requérant dans la mesure où les incertitudes, tensions et espoir vain à chaque nouvelle audience du TAP n’étaient plus vivables. Le TAP estima néanmoins que le plan de réinsertion proposé ne permettait pas de limiter suffisamment le risque de perpétration de nouvelles infractions graves de sorte que la protection de la société devait primer le souhait de réinsertion du requérant.

12. Le requérant introduisit une demande de libération conditionnelle le 1er décembre 2009. Le requérant proposait un plan de réinsertion au refuge du centre d’aide sociale (Centrum Algemeen Welzijnswerk, ci-après « CAW ») d’Anvers, consistant en une formation de maçon et en un accompagnement par le centre spécialisé en soins de troubles mentaux Vagga d’Anvers.

13. Le 2 avril 2010, le TAP désigna un collège d’experts afin qu’une enquête de personnalité actualisée soit réalisée ainsi qu’une analyse des risques dans la mesure où la dernière expertise datait de 2002.

14. Le 17 octobre 2010, une nouvelle demande de détention limitée fut introduite par le requérant, ainsi qu’une demande de libération conditionnelle. Le 21 octobre 2010, le service psychosocial de la prison établit un nouveau rapport en vue d’une éventuelle libération conditionnelle. Le requérant soumit au TAP un plan de réinsertion qui prévoyait qu’il bénéficierait d’un logement assisté à Hasselt à travers un CAW où il effectuerait un travail bénévole avec un aumônier.

15. Un nouveau rapport fut établi le 28 avril 2011. Le plan de réinsertion proposé reprenait l’inscription auprès des bureaux de logement social et un soutien dans le cadre d’une vie supervisée. Le point d’enregistrement du Limbourg pour les détenus sans-abri était a priori disposé à recevoir le requérant sous certaines conditions, notamment l’orientation psychosociale par un service externe afin de faire le lien après la détention. Le requérant pouvait également bénéficier d’un contrat de remplacement au sein d’une association ainsi qu’un travail bénévole à l’aumônerie.

16. Le 11 mai 2011, après avoir reçu le rapport d’experts sollicité (paragraphe 13 ci-dessus), le TAP rejeta les demandes de détention limitée et libération conditionnelle du requérant en raison du risque de perpétration de nouvelles infractions graves qu’aucun plan de réinsertion ne pouvait suffisamment réduire. Le collège d’experts avait notamment pointé un risque de récidive accru compte tenu de l’imprévisibilité du comportement du requérant.

17. Le 1er février 2012, le requérant introduisit une nouvelle demande de libération conditionnelle qui fut rejetée par le TAP le 29 juin 2012 après un avis défavorable de la direction de la prison. Le TAP reprit les motifs de sa décision du 3 février 2009 (paragraphe 11 ci-dessus), considérant qu’aucun changement notable n’était observé dans le dossier du requérant.

18. Le 14 septembre 2012, le requérant introduisit une demande de surveillance électronique, à l’égard de laquelle la direction de la prison émit un avis défavorable. Cette demande fut rejetée par le TAP le 23 janvier 2013 au motif qu’il n’était pas possible d’inclure dans le plan de réinsertion suffisamment de garanties pour empêcher que le requérant soit confronté à des situations de frustration et d’assurer une prise en charge rapide en cas de besoin. Le TAP insista sur le fait que la réaction négative qui pouvait émaner du public si une modalité d’exécution de la peine était accordée, n’entrait pas en ligne de compte dans sa décision, mais que le requérant sous-estimait ce problème.

19. Le 1er avril 2013, le requérant introduisit une demande de libération conditionnelle, à l’égard de laquelle la direction de la prison émit un avis défavorable. Cette demande fut rejetée par le TAP le 18 septembre 2013 au motif qu’il n’y avait pas de perspective de réinsertion dans la société et que le risque de perpétration de nouvelles infractions graves était trop élevé. Les constatations antérieures du TAP quant au risque de récidive restaient d’actualité.

20. Entretemps, le requérant avait introduit une nouvelle demande de détention limitée le 22 juillet 2013, à l’égard de laquelle la direction de la prison avait émis un avis défavorable. En septembre 2009, une enquête sociale fut réalisée par l’aumônerie de la prison en vue de la soumission, le 26 novembre 2013, d’un nouveau plan de réinsertion au TAP. Il était alors question d’un séjour temporaire dans un centre d’accueil pour les détenus sans-abri et, lorsque l’attention des médias se serait calmée, le requérant pourrait aller chez l’aumônier, puis s’installer seul. Un travail bénévole auprès de deux institutions était proposé et le requérant pourrait bénéficier de la supervision d’une association de soins de santé mentale.

21. Le 26 novembre 2013, le TAP rejeta la demande de détention limitée au motif que le plan de réinsertion proposé par le requérant ne présentait pas les garanties nécessaires pour limiter le risque de perpétration de nouvelles infractions en cas de confrontation à une situation lui causant de la frustration. Le tribunal se référa aux rapports médicaux ainsi qu’au rapport d’expertise du Dr D. qui avait été désigné par le requérant pour souligner l’imprévisibilité du comportement de ce dernier, malgré des avis divergents des experts quant à sa personnalité.

22. Le 22 janvier 2014, le requérant introduisit une nouvelle demande de surveillance électronique, à l’égard de laquelle la direction de la prison émit un avis défavorable. Un rapport du service psychosocial de la prison fut établi le 10 mars 2014 avec un nouveau plan de réinsertion. Le 23 mai 2014, le TAP rejeta la demande au motif que le requérant avait soumis le même plan de réinsertion qui ne présentait pas de garanties suffisantes permettant de prévenir le risque de perpétration de nouvelles infractions. S’agissant du grief du requérant tiré de la violation de l’article 3 de la Convention, le TAP remarqua que le requérant pouvait demander à intervalles réguliers l’application de mesures alternatives à la détention et que celles-ci étaient systématiquement examinées sur la base du dossier, des débats et des prescrits légaux relatifs aux contre-indications pour l’octroi de modalités d’exécution de la peine.

23. Le 28 novembre 2014, le requérant introduisit une demande de détention limitée, à l’égard de laquelle la direction de la prison émit un avis défavorable. Une enquête sociale fut réalisée à l’aumônerie de la prison en janvier 2015, tandis que le service psychosocial de la prison dressa un nouveau rapport en vue d’une éventuelle modalité d’exécution de la peine. Le 27 avril 2015, le TAP rejeta la demande au motif que, pour les raisons déjà énoncées dans ses précédentes décisions, l’intérêt de la société devait en l’espèce primer l’intérêt individuel de réinsertion, eu égard au risque de perpétration de nouvelles infractions graves. Le TAP nota que, s’il y avait des divergences dans les rapports d’expertise relatifs au requérant, tous les experts s’accordaient sur l’imprévisibilité du comportement du requérant.

24. Le 3 juin 2015, le requérant introduisit une demande de surveillance électronique, à l’égard de laquelle la direction de la prison émit un avis défavorable. Le 12 octobre 2015, le TAP rejeta la demande au motif que le plan de réinsertion n’était pas suffisant pour prévenir la perpétration de nouvelles infractions graves.

25. Le 27 mai 2016, le requérant introduisit une demande de détention limitée, à l’égard de laquelle la direction de la prison émit un avis défavorable. Le 10 octobre 2016, le TAP rejeta la demande du requérant au motif que rien dans le dossier n’avait changé et que le plan de réinsertion – qui restait identique depuis plusieurs années – ne permettait pas d’empêcher la perpétration de nouvelles infractions graves.

26. Le 21 novembre 2016, le requérant introduisit une demande de surveillance électronique, à l’égard de laquelle la direction de la prison émit un avis défavorable.

27. Le 13 mars 2017, un collège d’experts, composé de deux psychiatres et d’un psychologue, fut désigné par le TAP. Le 5 janvier 2018, le collège déposa un rapport d’expertise faisant suite à une enquête de personnalité et une évaluation des risques relatives au requérant. Le rapport constatait que la prolongation du séjour du requérant en prison n’était indiquée ni en termes de sûreté publique ni en vue de sa resocialisation et sa réintégration dans la société. Or cela restait encore la philosophie du système pénitentiaire. De l’autre côté, un retour non préparé dans la société tel qu’il était proposé par le requérant impliquait un risque de récidive modéré (gematigd). Il existait une solution intermédiaire : un séjour dans une unité de psychiatrie légale qui permettrait parfaitement de pallier les risques. Cela constituerait un cadre de vie adapté et intermédiaire entre la prison et la société, offrant du personnel compétent pour accompagner le requérant et l’aider dans son chemin vers la resocialisation. Il semblait cependant que cette solution n’était pas possible en raison de l’absence de subventions de l’État, ce qui, de l’avis du collège d’experts, ne devrait pas poser un obstacle insurmontable.

28. Le 11 juin 2018, le TAP rejeta la demande de surveillance électronique faite par le requérant (paragraphe 25 ci-dessus). Le TAP fit siennes les conclusions du rapport d’expertise. Le TAP ne pouvait pas faire l’impasse sur l’étape intermédiaire d’un séjour dans une unité de psychiatrie légale, considérée comme nécessaire par le collège d’experts, au seul motif qu’il y avait un obstacle pratique, en ce que ces unités n’étaient subsidiées que pour les personnes internées. Le TAP ne pouvait donc pas accepter le plan de réinsertion ambulatoire qui était proposé par le requérant. Il reviendrait aux autorités publiques de faire en sorte que les unités de psychiatrie légale soient également accessibles aux personnes condamnées. Toute la société, et pas seulement le requérant, aurait à y gagner.

29. Le requérant se pourvut en cassation, invoquant notamment une violation de l’article 3 de la Convention et de l’article 9 § 3 de la loi de principes concernant l’administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus du 12 janvier 2005 (ci-après « la loi de principes » ; paragraphe 46 ci-dessous). Il fit valoir qu’en conditionnant la mise en liberté du requérant à son admission dans une unité de psychiatrie légale alors que ces unités sont seulement accessibles aux internés, le TAP avait ôté toute perspective réelle de libération au requérant.

30. Le 20 juin 2018, une réunion multidisciplinaire se tint à la prison de Hasselt afin d’étudier les solutions dont pouvait bénéficier le requérant pour pallier le besoin de soins identifié par le collège d’experts en janvier 2018. Il fut décidé que des mesures devaient être prises pour accompagner le requérant dans une transition entre la prison et la société. L’accompagnement par une équipe multidisciplinaire dans une unité psychiatrique était poursuivi et contact fut pris avec les trois unités de psychiatrie légale de moyenne sécurité de la Communauté flamande (paragraphe 50 ci-dessous). Toutes rejetèrent la demande d’admission du requérant au motif qu’il n’avait pas le statut d’interné et qu’il ne présentait pas de problématique psychiatrique.

31. Le 11 juillet 2018, la Cour de cassation considéra que le moyen tiré de la violation de l’article 3 de la Convention était fondé en ce que le TAP avait subordonné la mise en liberté du requérant à des conditions qui lui ôtaient toute perspective réelle de libération. Partant, elle cassa le jugement du TAP du 11 juin 2018 et renvoya l’affaire devant le TAP autrement composé.

32. Le 24 octobre 2018, le TAP rejeta à nouveau la demande de surveillance électronique introduite par le requérant le 21 novembre 2016 au motif qu’il n’avait pas présenté un plan de réinsertion concret, faisable et contrôlable qui permettait de limiter le risque de perpétration de nouvelles infractions graves. Il estima que la demande du requérant tendant à la réalisation d’une nouvelle expertise n’était pas opportune.

33. Le requérant se pourvut en cassation, invoquant notamment une violation de l’article 3 de la Convention et de l’article 9 § 3 de la loi de principes (paragraphe 46 ci-dessous). Il fit valoir qu’en n’indiquant pas précisément ce qui était attendu du requérant pour que son plan de réinsertion soit accepté et en motivant de manière standardisée sa décision, le TAP ôtait en fait tout espoir de libération au requérant puisqu’il lui était impossible de savoir ce qui manquait à son plan de réinsertion.

34. Le 20 novembre 2018, la Cour de cassation rejeta le pourvoi introduit par le requérant contre le jugement du TAP du 24 octobre 2018. La Cour de cassation indiqua que l’article 3 de la Convention et l’article 9 § 3 de la loi de principes ne requéraient pas du TAP de motiver précisément en quoi le plan de réinsertion proposé ne suffisait pas dès lors que le requérant n’avait pas précisé en quoi son plan de réinsertion permettait de limiter le risque de perpétration de nouvelles infractions graves.

35. Le 4 février 2019, une nouvelle réunion multidisciplinaire se tint à la prison de Hasselt afin d’étudier les opportunités dont pouvait bénéficier le requérant. Le psychiatre de l’unité de psychiatrie légale Saint-Jean-Baptiste de Zelzate suggéra de mettre en place des coachings dans le cadre de la prise en charge du requérant en prison, puisqu’il n’était question d’aucune problématique psychiatrique. Il convenait de mettre en place un lien entre l’intérieur et l’extérieur de la prison, de permettre au requérant de se construire un réseau social et de renforcer ses faiblesses sur le plan psychiatrique. Un trajet alternatif fut préparé qui comprenait des permissions de sortie, la continuité de l’accompagnement par le CAW de Hasselt en vue de sa réinsertion dans la société et d’un apprentissage lui permettant de gérer ses frustrations ainsi que d’une évaluation périodique par une équipe multidisciplinaire. À la suite de cette réunion, la direction de la prison rendit un avis positif sur une demande de permission de sortie. Celle-ci fut toutefois refusée par le ministre de la Justice le 14 mars 2019.

36. Le 15 mai 2019, le requérant introduisit une nouvelle demande de détention limitée. Le 16 juillet 2019, la direction de la prison rendit un avis négatif à la détention limitée en raison du risque modéré de récidive. Elle rendit toutefois un avis favorable concernant l’octroi de permissions de sortie comme première étape en vue d’une possible détention limitée. Elle estima que l’accent devait être mis sur le caractère progressif de la réintégration du requérant dans la société.

37. Le 31 janvier 2020, ayant entendu le psychiatre D., le TAP de Gand estima que les conditions d’octroi de la détention limitée n’étaient pas réunies. Il nota l’avis du Dr D. selon lequel le risque de récidive était trop élevé et le requérant ne pouvait pas retourner dans la société, y compris dans le cadre d’une permission de sortie ou d’un congé pénitentiaire. Le TAP prit acte du fait que, pour le Dr D., une étape intermédiaire par un séjour dans une unité de psychiatrie légale était et restait indispensable pour préparer sa réinsertion progressive dans la société. Selon le Dr D., le requérant avait besoin d’une surveillance constante qui ne pouvait être assurée que dans une unité de psychiatrie légale : il était nécessaire que le requérant apprenne progressivement à évoluer dans des situations nouvelles. Il était prêt pour quitter la prison mais il fallait une étape intermédiaire qui semblait en pratique impossible pour des raisons de financement. En effet, d’après le Dr D. et le requérant, ces unités de psychiatrie légale n’étaient subventionnées par l’État que pour recevoir les personnes ayant le statut d’interné. Le TAP précisa qu’il était néanmoins indiqué que le requérant contacte une nouvelle fois toutes les unités de psychiatrie légale avec une demande d’admission et que les raisons des éventuels refus devaient être joints au dossier.

38. Le requérant se pourvut en cassation. Invoquant notamment l’article 3 de la Convention, il se plaignit du fait que le TAP lui demandait, une nouvelle fois, de faire des demandes d’admission dans les unités de psychiatrie légale, alors que celles-ci avaient déjà constaté le fait qu’une telle admission n’était pas possible. De ce fait, le TAP ôtait au requérant toute perspective réelle de libération.

39. Par un arrêt du 3 mars 2020, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Elle releva que le TAP n’avait pas constaté qu’il n’existait aucune chance pour le requérant d’être admis dans une unité de psychiatrie légale, mais qu’il avait admis que ce serait difficile et il suggérait de poursuivre la quête d’une place. La Cour de cassation jugea par conséquent que le TAP n’avait aucunement enlevé au requérant toute perspective de libération. La décision du TAP était dès lors légalement justifiée.

3. Les développements intervenus après l’introduction de la requête

40. Le 21 février 2020, suite à l’arrêt du TAP du 31 janvier 2020 (paragraphe 37 ci-dessus), le service psychosocial de la prison de Hasselt prit une nouvelle fois contact avec toutes les unités de psychiatrie légale de moyenne sécurité de la Communauté flamande (paragraphe 50 ci-dessous) afin d’inscrire le requérant en vue d’une admission. Toutes rejetèrent la demande au motif que le requérant n’avait pas le statut d’interné.

41. Entretemps, en mai 2020, le requérant avait demandé une permission de sortie afin de pouvoir se présenter à un éventuel entretien d’admission dans une unité de psychiatrie légale.

42. Le 2 juillet 2020, un avis négatif fut émis par le service psychosocial de la prison de Hasselt, dans la mesure où toutes les unités de psychiatrie légale contactées avaient entretemps répondu qu’elles ne pouvaient pas prendre en charge le requérant.

43. Le 2 février 2021, le requérant introduisit une nouvelle demande de détention limitée. Le directeur de la prison émit un avis négatif au motif qu’aucun plan de réinsertion n’avait été soumis. Le 7 juin 2021, le requérant se désista de sa demande.

44. Le 21 juin 2021, le TAP rejeta la demande de détention limitée du requérant. Il estima devoir statuer quand bien même le requérant s’était désisté entretemps de sa demande. Le TAP considéra que le plan de réinsertion du requérant n’était pas encore au point et ne permettait pas de pallier le risque de récidive. Le TAP maintint son point de vue selon lequel l’admission dans une unité de psychiatrie légale au sein d’un hôpital psychiatrique était la seule possibilité de réinsertion envisageable.

45. Par un arrêt du 20 juillet 2021, la Cour de cassation cassa l’arrêt du TAP sans renvoi au motif qu’aucune disposition empêchait un condamné de se désister d’une demande de modalité d’exécution de sa peine. En jugeant autrement, le TAP n’avait pas légalement justifié sa décision.

LE CADRE JURIDIQUE PERTINENT

1. le droit interne
1. Les objectifs de l’exécution d’une peine privative de liberté

46. Les objectifs de l’exécution d’une peine privative de liberté sont exposés à l’article 9 de la loi de principes concernant l’administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus du 12 janvier 2005 (« la loi de principes »), en ces termes :

« [...]

§ 2. L’exécution de la peine privative de liberté est axée sur la réparation du tort causé aux victimes par l’infraction, sur la réhabilitation du condamné et sur la préparation, de manière personnalisée, de sa réinsertion dans la société libre.

§ 3. Le condamné se voit offrir la possibilité de collaborer de façon constructive à la réalisation du plan de détention individuel [...], lequel est établi dans la perspective d’une exécution de la peine privative de liberté qui limite les effets préjudiciables, est axée sur la réparation et la réinsertion, et se déroule en sécurité. »

2. Les modalités d’exécution d’une peine d’emprisonnement

47. La loi du 17 mai 2006 relative au statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté et aux droits reconnus à la victime dans le cadre des modalités d’exécution de la peine prévoit deux modalités d’exécution d’une peine d’emprisonnement pouvant être octroyées par le ministre de la Justice : la permission de sortie (article 4) et le congé pénitentiaire (article 6). Elle prévoit, en outre, quatre modalités d’exécution d’une peine d’emprisonnement pouvant être octroyées par le TAP : la détention limitée (article 21), la surveillance électronique (article 22), la libération conditionnelle (article 24) et la mise en liberté provisoire en vue de l’éloignement du territoire ou de la remise (article 25/3).

48. En ses parties pertinentes pour la présente affaire, ladite loi prévoit ce qui suit s’agissant des conditions d’octroi d’une modalité d’exécution d’une peine d’emprisonnement octroyée par le TAP :

Article 47

« § 1er. [...] les modalités d’exécution de la peine [...] peuvent être accordées au condamné pour autant qu’il n’existe pas de contre-indications dans le chef de celui-ci auxquelles la fixation de conditions particulières ne puisse répondre. Ces contre‑indications portent sur :

1o l’absence de perspectives de réinsertion sociale du condamné ;

2o le risque de perpétration de nouvelles infractions graves ;

3o le risque que le condamné importune les victimes ;

4o l’attitude du condamné à l’égard des victimes des infractions qui ont donné lieu à sa condamnation ;

[5o ...]

6o les efforts consentis par le condamné pour indemniser la partie civile, compte tenu de la situation patrimoniale du condamné telle qu’elle a évolué par son fait depuis la perpétration des faits pour lesquels il a été condamné. »

Article 48

« [...] le dossier du condamné doit contenir un plan de réinsertion sociale indiquant les perspectives de réinsertion du condamné. »

3. Les éléments pertinents relatifs à l’internement

49. L’article 9 § 1 de la loi du 5 mai 2014 relative à l’internement prévoit ce qui suit :

« Les juridictions d’instruction, [...] et les juridictions de jugement peuvent ordonner l’internement d’une personne :

1o qui a commis un crime ou un délit portant atteinte à ou menaçant l’intégrité physique ou psychique de tiers et

2o qui, au moment de la décision, est atteinte d’un trouble mental qui abolit ou altère gravement sa capacité de discernement ou de contrôle de ses actes et

3o pour laquelle le danger existe qu’elle commette de nouveaux faits tels que visés au 1o en raison de son trouble mental, éventuellement combiné avec d’autres facteurs de risque. [...] »

50. La Communauté flamande compte trois institutions disposant d’une unité de psychiatrie légale de moyenne sécurité : le centre psychiatrique universitaire Saint-Camille à Bierbeek, le centre public de soins psychiatriques de Rekem et l’hôpital psychiatrique privé Saint-Jean-Baptiste à Zelzate. À ceux-ci s’ajoutent deux établissements de psychiatrie médico‑légale hautement sécurisés, relevant des ministères de la Justice et de la Santé publique, à Gand et à Anvers, ainsi que trois unités dédiées au traitement de délinquants sexuels à Beernem, Saint-Nicolas et Saint-Trond.

2. le droit international et européen

51. Les instruments internationaux et européens pertinents concernant les peines perpétuelles ainsi que ceux concernant la réinsertion des détenus ont été présentés dans les arrêts Vinter et autres c. Royaume-Uni ([GC], nos 66069/09 et 2 autres, §§ 59-81, CEDH 2013 (extraits)) et Murray c. Pays‑Bas ([GC], no 10511/10, §§ 58-65 et §§ 70-76, 26 avril 2016).

52. Le 16 avril 2016, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« CPT ») a publié un extrait du 25e rapport général du CPT concernant la situation des détenus condamnés à la réclusion à perpétuité (CPT/Inf (2016) 10-part). Dans ses conclusions, le CPT indique ce qui suit :

« Le CPT appelle les États membres à revoir le traitement réservé aux détenus condamnés à la réclusion à perpétuité pour veiller à ce qu’il soit conforme aux risques individuels qu’ils présentent, à la fois en détention et en milieu ouvert, et pas simplement en réponse à la peine qui leur a été imposée. [...]

82. De plus, tous les efforts possibles devraient être faits pour proposer aux condamnés à perpétuité un régime adapté à leurs besoins et les aider à réduire leur niveau de risques, à minimiser les dommages qu’entraînent obligatoirement les peines d’une durée indéterminée, à maintenir des contacts avec le monde extérieur, à leur offrir la possibilité d’une libération conditionnelle pour retourner dans la société et à veiller à ce que cette remise en liberté puisse être octroyée en toute sécurité, au moins dans la grande majorité des cas. À cette fin, des procédures devraient être mises en place pour permettre un réexamen de la peine. De toute évidence, bénéficier d’une possibilité purement formelle de demander une remise en liberté après un certain temps n’est pas suffisant ; les États membres doivent garantir, notamment par la façon de traiter les condamnés à perpétuité, que cette possibilité sera réelle et effective. »

EN DROIT

1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

53. Le requérant se plaint de subir une peine d’emprisonnement à vie incompressible de facto. Il allègue que, malgré le fait que les experts et les juridictions internes actent que la prolongation de sa détention en prison n’est plus indiquée, aucune possibilité concrète de réinsertion n’est possible dès lors que ces mêmes juridictions refusent de le mettre en liberté avant qu’il ait effectué une période de détention dans une unité de psychiatrie légale. Or, il ne peut pas être transféré dans un tel établissement en raison de son statut juridique de « condamné » qui est distinct de celui d’« interné ». Il invoque l’article 3 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

1. Sur la recevabilité

54. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.

2. Sur le fond
1. Thèses des parties

a) Le requérant

55. Le requérant soutient n’avoir en pratique aucune chance d’être un jour libéré malgré le fait que tant le collège d’experts que les juridictions internes actent depuis plusieurs années que son maintien en prison n’est plus approprié. Il en résulterait que la peine d’emprisonnement à vie à laquelle il a été condamné est incompressible de facto, ce qui constituerait un traitement inhumain contraire à l’article 3 de la Convention.

56. En effet, le requérant fait valoir que l’unique solution intermédiaire considérée comme nécessaire par le tribunal de l’application des peines (« TAP ») est un séjour dans une unité de psychiatrie légale, avant une éventuelle mise en liberté. Or, de l’aveu même du Gouvernement, un tel placement ne pourrait pas être réalisé en raison du statut juridique du requérant de personne condamnée. Seules les personnes internées pourraient bénéficier d’un placement dans un tel établissement, en raison des subventions octroyées par l’État pour cette catégorie de détenus. Le requérant se trouverait de ce fait dans une impasse qui l’empêcherait de préparer un plan de réinsertion en vue de sa libération. Or il reviendrait à l’État de fournir les aides nécessaires à la réinsertion des détenus dans la société, en l’espèce en permettant que des personnes condamnées puissent être accueillies dans les unités de psychiatrie légale.

b) Le Gouvernement

57. Le Gouvernement souligne que l’obligation qui incombe à l’État est une obligation de moyens et non de résultat, de sorte que l’échec des tentatives de réinsertion du requérant ne pourrait lui être imputé. Le requérant aurait eu la possibilité, à de nombreuses reprises, de faire des demandes de modalités d’exécution de sa peine. Celles-ci ont toutes été refusées en raison des contre-indications prévues par la loi, en particulier du risque de récidive que les plans de réinsertion proposés ne suffiraient pas à contrecarrer.

58. Le Gouvernement fait valoir qu’il ressort des rapports établis par le service psychosocial de la prison de Hasselt que des risques persistent pour la société de sorte que le requérant ne pourrait pas être libéré, la gravité des faits commis et les traits de personnalité du requérant posant des difficultés quant à sa réinsertion. Il devrait également être tenu compte de la pression médiatique entourant cette affaire qui pourrait engendrer des réactions imprévisibles du requérant. Il serait dès lors nécessaire à la protection de la société de le maintenir en détention, ce qui ne serait pas contraire à l’article 3 de la Convention puisque cette disposition ne s’opposerait pas à ce qu’une personne condamnée à la détention à perpétuité purge l’entièreté de sa peine.

59. Enfin, aucune méconnaissance de l’article 3 de la Convention ne pourrait être déduite du refus des unités de psychiatrie légale d’accueillir le requérant dans la mesure où les places dans ces centres sont réservées aux personnes ayant le statut d’interné. Ni l’administration pénitentiaire ni le TAP ne pourraient être contraints à rendre une telle admission possible. La situation du requérant serait tout à fait particulière, peu de détenus en Belgique ayant connu une détention aussi longue que la sienne, de sorte qu’on ne saurait reprocher à l’État qu’il n’y ait pas de solution « toute faite » pour ce type de profil. Selon le Gouvernement, la situation du requérant est réexaminée régulièrement et avec sérieux dans le but de trouver une solution qui tienne compte de tous les intérêts en présence.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux applicables

60. Les principes généraux relatifs aux peines perpétuelles ont été exposés dans les arrêts Vinter et autres c. Royaume-Uni ([GC], nos 66069/09 et 2 autres, §§ 102, 104-118 et 122, CEDH 2013 (extraits)), et Murray c. Pays‑Bas ([GC], no 10511/10, §§ 99-104, 26 avril 2016). Dans la mesure où ils s’avèrent pertinents pour la présente affaire, ces principes peuvent être résumés comme suit.

61. Le prononcé d’une peine d’emprisonnement à vie contre un délinquant adulte ne peut demeurer compatible avec l’article 3 qu’à la condition d’offrir à la fois une chance d’élargissement et une possibilité de réexamen, les deux devant exister dès le prononcé de la peine (Murray, précité, § 99).

62. Le réexamen exigé pour qu’une peine perpétuelle puisse être réputée compressible doit permettre aux autorités nationales d’apprécier toute évolution du détenu et tout progrès sur la voie de l’amendement accompli par lui. La Cour a estimé que la dignité humaine, qui se trouve au cœur même du système mis en place par la Convention, empêche de priver une personne de sa liberté par la contrainte sans œuvrer en même temps à sa réinsertion et sans lui fournir une chance de recouvrer un jour cette liberté (ibidem, § 101).

63. Bien que la Convention ne garantisse pas, en tant que tel, un droit à la réinsertion, la jurisprudence de la Cour part du principe que les personnes condamnées, y compris celles qui se sont vu infliger une peine d’emprisonnement à vie, doivent pouvoir travailler à leur réinsertion. Cet objectif peut être atteint, par exemple, par la mise en place et le réexamen périodique d’un programme individualisé, propre à encourager le détenu à évoluer de manière à être capable de mener une existence responsable et exempte de crime (ibidem, § 103).

64. Les détenus à vie doivent dès lors se voir offrir la possibilité de s’amender. En ce qui concerne l’étendue des obligations qui pèsent sur les États à cet égard, la Cour considère que même si les États ne sont pas tenus de garantir que les détenus à vie réussissent à s’amender, ils ont néanmoins l’obligation de leur donner la possibilité de s’y employer. L’obligation d’offrir au détenu une possibilité de s’amender doit être considérée comme une obligation de moyens et non de résultat. Cela étant, elle implique une obligation positive de garantir pour les détenus à vie l’existence de régimes pénitentiaires qui soient compatibles avec l’objectif d’amendement et qui permettent aux détenus en question de progresser sur cette voie (ibidem, § 104).

b) Application au cas d’espèce

65. Il n’est pas contesté par les parties qu’il existe en Belgique un mécanisme permettant le réexamen d’une peine perpétuelle et que le requérant a pu demander à intervalles réguliers un tel réexamen. La Cour ne voit donc pas de raison de douter que la peine de réclusion à perpétuité à laquelle le requérant a été condamné est compressible de jure.

66. Cependant, pour être compatible avec l’article 3 de la Convention, une peine perpétuelle doit également être compressible de facto, c’est-à-dire qu’elle doit offrir à l’intéressé une perspective réaliste d’élargissement (paragraphe 62 ci-dessus, et Marcello Viola c. Italie (no 2), no 77633/16, § 127, 13 juin 2019 ; voir aussi les conclusions du CPT au paragraphe 52 ci‑dessus).

67. En l’espèce, la Cour note que le requérant et l’équipe psychosociale de la prison de Hasselt ont effectué de nombreuses démarches visant à la réinsertion du premier dans la société depuis qu’il est admissible au bénéfice d’une modalité d’exécution de sa peine (paragraphe 7 ci-dessus). Le requérant a ainsi soumis au TAP plusieurs plans de réinsertion, qui impliquaient un séjour au sein d’institutions extérieures qui avaient accepté de l’accueillir (voir notamment paragraphes 12, 14, 15, 20, 22 et 23 ci‑dessus). Toutes les demandes du requérant visant à pouvoir bénéficier d’une modalité d’exécution de la peine ont été rejetées par le TAP au motif que les plans de réinsertion proposés ne permettaient pas de pallier le risque de perpétration par le requérant de nouvelles infractions graves (paragraphes 10, 11, 16, 18, 19, 21, 22, 23, 24, 25, 32 et 44 ci-dessus).

68. Sur ce point, la Cour ne peut perdre de vue que la Convention doit se lire comme un tout et s’interpréter en veillant à l’harmonie et à la cohérence interne de ses différentes dispositions (voir, parmi d’autres, Mihalache c. Roumanie [GC], no 54012/10, § 92, 8 juillet 2019). Elle a déjà jugé que libérer un individu est susceptible d’engager la responsabilité de l’État, notamment au regard de l’article 2 de la Convention, en cas de manquement au devoir de protéger la vie si celui-ci commet un acte attentatoire à la vie au cours de sa période de mise en liberté (voir, dans ce sens, Mastromatteo c. Italie [GC], no 37703/97, § 71, CEDH 2002‑VIII).

69. Cela étant, la Cour relève que, depuis janvier 2018, les experts psychiatres et le TAP s’accordent pour estimer que la prolongation du séjour du requérant en prison n’est plus indiquée, tant au regard de la sûreté publique qu’aux fins de sa resocialisation et sa réintégration dans la société. Ils préconisent dès lors l’admission du requérant dans une unité de psychiatrie légale comme étape intermédiaire avant une éventuelle mise en liberté (paragraphes 27, 28, 37 et 44 ci-dessus). De ce fait, le TAP refuse toute autre modalité d’exécution de la peine, telle la détention limitée ou la surveillance électronique (paragraphes 28, 37 et 44 ci‑dessus), insistant sur le fait qu’une admission dans une unité de psychiatrie légale est une étape indispensable à la réinsertion du requérant dans la société (paragraphes 37 et 44 ci-dessus).

70. Or, il ressort du dossier que toutes les unités de psychiatrie légale de moyenne sécurité de la Communauté flamande, contactées par le requérant et le service psychosocial de la prison de Hasselt, ont indiqué que le requérant ne peut pas être admis dans une telle unité en raison de son statut de « condamné », c’est-à-dire de personne jugée pénalement responsable des faits qu’elle a commis, ces unités étant réservées aux seuls personnes « internées » (paragraphes 30 et 42 ci-dessus ; voir, pour les conditions de l’internement, paragraphe 49 ci-dessus). La Cour note que, dans ses observations, le Gouvernement admet que les places dans ces unités sont actuellement réservées aux seules personnes ayant le statut d’interné, et que le placement d’une personne condamnée dans une telle unité n’est dès lors pas possible (paragraphe 59 ci-dessus).

71. Le TAP a également reconnu, sans que cela n’ait été contesté par le Gouvernement, que l’admission dans une unité de psychiatrie légale « semblait en pratique impossible pour des raisons de financement » dans la mesure où ces unités ne sont subventionnées par l’État que pour accueillir des personnes ayant le statut d’interné (paragraphe 37 ci-dessus).

72. Il ressort de ce qui précède que le requérant se trouve dans une impasse : d’un côté, les autorités internes compétentes estiment que sa place n’est plus en prison, au moins depuis janvier 2018 ; de l’autre côté, aucune possibilité d’élargissement ne semble envisageable en pratique, du fait de l’exigence qu’il soit admis dans une unité de psychiatrie légale. Il apparaît ainsi qu’actuellement aucune voie intermédiaire n’est possible pour le requérant, en raison de la particularité de sa situation de détenu de très longue durée n’ayant pas le statut d’interné.

73. La Cour ne minimise pas la particularité, soulignée par le Gouvernement (paragraphe 64 ci-dessus), de la situation dans laquelle se trouve le requérant, qui est détenu depuis 1979 et a passé la majeure partie de sa vie en prison. Il n’en demeure pas moins que la situation que le requérant dénonce perdure depuis plus de cinq ans sans qu’une solution n’ait pu être mise en œuvre par les autorités, malgré les nombreuses démarches effectuées par le requérant. La Cour relève de surcroît que le Gouvernement n’indique aucune démarche que le requérant pourrait ou devrait entamer pour sortir efficacement de cette impasse.

74. À la suite du CPT (paragraphe 52 ci-dessus), la Cour considère que bénéficier d’une possibilité purement formelle de demander une remise en liberté après un certain temps n’est pas suffisant au regard des exigences de l’article 3 de la Convention, qui garantit un droit absolu. Si, comme le rappelle le Gouvernement (paragraphe 57 ci-dessus), l’obligation d’offrir au détenu une possibilité de s’amender participe d’une obligation de moyens et non de résultat, les États doivent cependant garantir que cette possibilité soit réaliste (Marcello Viola, précité, § 127 ; voir aussi paragraphe 62 ci-dessus).

75. Dans les circonstances concrètes de l’espèce, la Cour estime que l’impasse dans laquelle se trouve le requérant depuis plusieurs années résultant de l’impossibilité pratique d’être placé dans une unité de psychiatrie légale alors que sa détention en prison n’est plus indiquée selon les autorités internes, a pour conséquence qu’il n’a actuellement pas de perspective réaliste d’élargissement, ce qui est prohibé par l’article 3 de la Convention (paragraphe 66 ci-dessus ; voir également, dans le même sens, Murray, précité, § 125, et Marcello Viola, précité, § 137).

76. Partant, il y a eu violation de cette disposition.

2. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

77. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

78. Le requérant n’a pas présenté de demande au titre de la satisfaction équitable. En conséquence, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer une somme à ce titre.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 mai 2023, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Hasan Bakırcı Arnfinn Bårdsen
Greffier Président


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-224563
Date de la décision : 09/05/2023
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Peine dégradante;Peine inhumaine) (Volet matériel)

Parties
Demandeurs : HORION
Défendeurs : BELGIQUE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : MILLEN J.

Origine de la décision
Date de l'import : 10/05/2023
Fonds documentaire ?: HUDOC

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