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23/06/2016 | CEDH | N°001-163915

CEDH | CEDH, AFFAIRE BRAMBILLA ET AUTRES c. ITALIE, 2016, 001-163915


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE BRAMBILLA ET AUTRES c. ITALIE

(Requête no 22567/09)

ARRÊT

STRASBOURG

23 juin 2016

DÉFINITIF

23/09/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Brambilla et autres c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Mirjana Lazarova Trajkovska, présidente,
Guido Raimondi,
Kristina Pardalos,
Linos-Alexand

re Sicilianos,
Paul Mahoney,
Aleš Pejchal,
Robert Spano, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre d...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE BRAMBILLA ET AUTRES c. ITALIE

(Requête no 22567/09)

ARRÊT

STRASBOURG

23 juin 2016

DÉFINITIF

23/09/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Brambilla et autres c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Mirjana Lazarova Trajkovska, présidente,
Guido Raimondi,
Kristina Pardalos,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Paul Mahoney,
Aleš Pejchal,
Robert Spano, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 31 mai 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 22567/09) dirigée contre la République italienne et dont trois ressortissants de cet État, MM. C. Brambilla, D. De Salvo et F. Alfano (« les requérants »), ont saisi la Cour le 21 avril 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants ont été représentés par Mes C. Melzi D’Eril et G. E. Vigevani, avocats à Milan. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme E. Spatafora, ainsi que par sa coagente, Mme P. Accardo.

3. Les requérants allèguent que les mesures prises à leur encontre à savoir, la perquisition de leur véhicule et de leur bureau de rédaction, la saisie de leurs appareils radiophoniques et leur condamnation, ont constitué une ingérence disproportionnée dans leur liberté d’expression protégée par l’article 10 de la Convention, compte tenu notamment du fait qu’ils ont agi dans l’exercice de leur profession de journalistes.

4. Le 7 novembre 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Les requérants sont nés respectivement en 1954, 1976 et 1971 et résident à Lecco.

6. Le premier requérant est le directeur d’un journal en ligne local dans la province de Lecco. Les deux autres requérants sont des journalistes travaillant pour ce journal.

7. Dans l’exercice de leur activité, les requérants utilisaient des appareils radiophoniques accédant à des fréquences utilisées par la police ou la gendarmerie. Ainsi, ils prenaient connaissance des communications transmises, dans le but de se rendre rapidement sur les lieux des faits qu’ils souhaitaient relater dans des articles de presse.

8. Le 1er août 2002, les requérants écoutèrent une conversation au cours de laquelle le centre opérationnel de la gendarmerie de Merate décidait d’envoyer une patrouille sur un lieu où, selon des informations anonymes, des armes avaient été stockées illégalement.

9. La gendarmerie se rendit donc sur le lieu incriminé et, dans l’immédiat, le deuxième et troisième requérants arrivèrent sur place.

10. Munis d’un décret de perquisition, les gendarmes fouillèrent la voiture des requérants trouvant deux appareils émetteurs-récepteurs à modulation de fréquences capables d’intercepter les radiocommunications des forces de l’ordre.

11. Les gendarmes se rendirent ensuite auprès du bureau de rédaction des requérants et saisirent deux appareils récepteurs fixes, calés sur les radiofréquences de la gendarmerie. Dans la mémoire de ces appareils, d’autres fréquences de centres opératifs des forces de police étaient enregistrées.

A. La procédure pénale entamée à l’encontre des requérants en première instance

12. Une procédure pénale fut ouverte à l’encontre du premier et deuxième requérants pour installation illégale d’appareils visant l’interception de communications entre les centres opératifs des forces de l’ordre et les patrouilles (articles 617, 617 bis et 623 bis du code pénal). Le troisième requérant fut incriminé pour avoir acquis les communications mentionnées ci-dessus (articles 617 et 623 bis du code pénal).

13. Le 9 novembre 2004, le tribunal de Lecco acquitta les requérants. Il estima que les articles du code pénal en cause devaient être interprétés à la lumière de l’article 15 de la Constitution, protégeant uniquement les communications ayant caractère confidentiel.

14. Le tribunal observa que l’outil-radio utilisé par les forces de l’ordre n’était pas de nature à pouvoir assurer la confidentialité des informations transmises. Ainsi, l’interception des communications en cause ne constituait pas une infraction. De plus, la possession et l’utilisation d’appareils radiorécepteurs n’étaient pas interdites en tant que telles.

B. La procédure en appel

15. Le procureur général de Milan et le procureur de Lecco interjetèrent appel. Ils estimèrent que l’interprétation fournie par le tribunal de Lecco n’était pas conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière (ils citèrent notamment l’arrêt no 12655 du 23 janvier 2001) et que le caractère confidentiel des communications en cause était évident, compte tenu des objectifs de protection de la sécurité et l’ordre publics. En outre, ces communications concernaient des premières investigations après la commission d’une infraction. Dès lors, elles tombaient sous le coup d’une obligation de confidentialité en application de l’article 329 du code de procédure pénale.

16. De plus, le caractère confidentiel susmentionné ressortait aussi de ce que les gendarmes utilisaient un langage codé pour les communications concernant les lieux et le type d’intervention, visant manifestement à exclure des tierces personnes de la connaissance des informations échangées. Par ailleurs, les fréquences radiophoniques en cause étaient assignées exclusivement aux centres opérationnels par le ministère de la Défense.

17. En outre, afin d’écouter lesdites conversations, les requérants avaient dû acheter un équipement radio spécifique, celui ordinaire ne pouvant pas servir à ce but. De l’autre côté, le fait que ces instruments pouvaient être librement acquis sur le marché ne justifiait pas leur utilisation à des fins d’écoutes de conversations des forces de l’ordre.

18. De plus, en application du décret du président de la République no 447 de 2001, en vigueur à l’époque des faits, ces instruments étaient normalement achetés par des radioamateurs mais ne pouvaient pas être utilisés pour intercepter des radiofréquences de la police. Enfin, le décret du ministère des Communications du 11 février 2003 avait interdit expressément les radioamateurs d’intercepter des communications qu’ils n’avaient pas le droit de recevoir.

C. L’arrêt de la cour d’appel de Milan

19. Par un arrêt du 15 mai 2007, la cour d’appel de Milan condamna le premier et deuxième requérants à une peine de un an et trois mois de réclusion. Le troisième requérant fut condamné à six mois de réclusion. La cour d’appel accorda aux requérants la suspension de la peine.

20. La cour observa que l’article 623 bis du code pénal, tel que modifié par la loi no 547 du 23 novembre 1993, avait élargi la responsabilité pénale à toute transmission de données à distance, y compris donc, l’écoute des conversations entre les centres opérationnels et les patrouilles des forces de l’ordre.

21. Le caractère confidentiel de ces communications était d’ailleurs évident. Réitérant l’ensemble des considérations des procureurs de Milan et de Lecco, notamment en ce qui concerne les objectifs de protection de la sécurité et l’ordre publics, la cour d’appel estima que l’article 329 du code de procédure pénale était aussi en cause en l’espèce.

D. La procédure devant la Cour de cassation

22. Les requérants se pourvurent en cassation. Ils soutinrent que les communications en objet étaient transmises sur des fréquences en clair et ne pouvaient donc pas être considérées comme étant confidentielles. De plus, ils avaient agi dans leur travail de journalistes, ainsi, leurs actions étaient justifiées au sens de l’article 51 du code pénal et de la liberté de presse.

23. Par un arrêt du 28 octobre 2008, la Cour de cassation débouta les requérants confirmant la position de la cour d’appel pour ce qui était du caractère confidentiel des communications en cause et réitérant que cette interprétation était conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation dans des cas similaires, notamment, les arrêts no 25488 du 6 mai 2004 et no 5299 du 15 janvier 2008.

24. Pour ce qui était de l’argument des requérants tiré de la liberté de presse, la Cour indiqua que le droit d’informer invoqué par ceux-ci aurait pu primer sur les intérêts publics protégés par la loi pénale dans un cas éventuel de diffamation. Toutefois, ce droit ne pouvait pas prévaloir dans un cas d’interception illégale des communications des forces de l’ordre.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

A. Les articles pertinents de la Constitution

Article 15

« La liberté et le secret de la correspondance et de toute autre forme de communication sont inviolables.

Leur limitation ne peut se produire que par un acte motivé de l’autorité judiciaire et avec les garanties établies par la loi. »

Article 21

« Tout individu a le droit de manifester librement sa pensée par la parole, par l’écrit et par tout autre moyen de diffusion.

La presse ne peut être soumise à des autorisations ou à des censures.

Il ne peut être procédé à une saisie que par un acte motivé de l’autorité judiciaire en cas de délits ou de crimes, pour lesquels la loi sur la presse l’autorise expressément, ou en cas de violation des règles que la loi elle-même prescrit pour l’indication des responsables.

Dans ces cas, lorsque l’urgence est absolue et que l’intervention de l’autorité judiciaire ne peut avoir lieu en temps utile, la saisie de la presse périodique peut être effectuée par des officiers de police judiciaire, qui doivent immédiatement, et au plus tard dans les vingt-quatre heures, en avertir l’autorité judiciaire. Si celle-ci ne confirme pas la saisie dans les vingt-quatre heures qui suivent, la saisie est considérée comme révoquée et privée de tout effet.

La loi peut établir, par des règles de caractère général, que les moyens de financement de la presse périodique soient rendus publics.

Sont interdits les imprimés, les spectacles et toutes les autres manifestations contraires aux bonnes mœurs. La loi fixe les mesures aptes à prévenir et à réprimer les violations. »

B. Les articles pertinents du code pénal

Article 51 § 1 : Exercice d’un droit

ou accomplissement d’une obligation

« L’exercice d’un droit ou l’accomplissement d’une obligation imposée par une mesure juridique ou par un ordre légitime de l’autorité publique ne sont pas punissables (...). »

Article 253 : Saisie

« Par une décision motivée, l’autorité judiciaire peut ordonner la saisie du corps du délit (...). »

Article 617 : Prise de connaissance, interruption

ou empêchement illicites de communication ou conversations

télégraphiques ou téléphoniques

« La personne prenant connaissance de manière frauduleuse d’une communication ou d’une conversation, téléphonique ou télégraphique, entre autres personnes ou, en tout cas, qui ne lui est pas adressée, ou bien l’interrompt ou l’empêche est punie par une peine allant de six mois à quatre ans de réclusion.

Faite exception pour l’applicabilité d’une peine plus grave, la peine mentionnée ci-dessus est applicable aussi à la personne qui révèle, par tout moyen d’information, au public, intégralement ou partiellement, le contenu de communications ou conversations dont il est fait mention à l’alinéa 1 de cet article. (...) »

Article 617 bis : Installation d’appareils pouvant intercepter

ou empêcher des communications ou conversations

téléphoniques ou télégraphiques

« La personne qui, en dehors des cas prévus par la loi, installe des appareils, instruments, parties d’appareils ou d’instruments dans le but d’intercepter ou empêcher des communications ou conversations téléphoniques ou télégraphiques entre d’autres personnes est punie par une peine allant de un à quatre ans de réclusion (...). »

Article 623 bis : Autres communications ou conversations

(tel que modifié par la loi no 547 du 23 novembre 1993)

« Les dispositions contenues dans la présente section, relativement aux communications et conversations télégraphiques, téléphoniques, informatiques ou télématiques s’appliquent à n’importe quelle autre transmission à distance de sons, images ou d’autres données »

Article 684 : Publication arbitraire d’actes tenant à une procédure pénale

« La personne qui publie, intégralement ou en partie (...) des actes ou des documents tenant à une procédure pénale, dont la publication est interdite par la loi, est punie par l’arrêt jusqu’à trente jours ou par une amende allant de cinquante et un à deux cent cinquante-huit euros. »

C. Les articles pertinents du code de procédure pénale

Article 247 : Cas et formes de perquisition

« Lorsqu’il y a motif de penser que (...) le corps du délit se trouve dans un lieu donné, la perquisition de ce lieu peut être ordonnée. (...) »

Article 329 : Obligation de confidentialité

« Les actes du procureur de la République et de la police judiciaire tenant aux investigations sont confidentiels jusqu’au moment où l’inculpé n’en ait pas connaissance et en tout cas, pas au-delà de la fin des investigations préliminaires (...) »

D. Le décret du Président de la République no 447 de 2001 en matière d’autorisations et permis concernant les services de télécommunication de la part de radioamateurs (en vigueur à l’époque des faits)

25. Ce décret prévoit dans ces parties pertinentes que, afin d’obtenir l’autorisation à installer et utiliser des instruments en vue d’exercer l’activité de radioamateur, il est nécessaire de passer un permis (articles 33 et 34). De plus, l’écoute est libre uniquement sur la gamme de fréquences assignées au service de radioamateur (article 43). L’utilisation des appareils radioélectriques (uniquement récepteurs) pour lesquels l’assignation des fréquences n’est pas prévue est libre (article 6 § 2 b).

E. L’article 12 § 8 du décret du ministère des Communications du 11 février 2003 (pas en vigueur à l’époque des faits)

« Il est interdit aux radioamateurs d’intercepter des communications pour la réception desquelles ils n’ont pas de droits ; il est en tout cas interdit de porter à la connaissance de tiers le contenu et l’existence de messages interceptés et involontairement captés. »

F. La jurisprudence de la Cour de cassation en la matière

1) L’arrêt no 12655 du 23 janvier 2001

26. Dans cet arrêt, concernant l’utilisation d’appareils d’enregistrement visant à intercepter les conversations téléphoniques de la partenaire de l’inculpé, la Cour de cassation a entériné la condamnation de celui-ci à huit mois de réclusion.

2) L’arrêt no 25488 du 6 mai 2004

27. Dans cet arrêt, la Cour de cassation a confirmé les jugements de première et deuxième instance concluant à la responsabilité pénale de l’inculpé pour avoir utilisé des appareils radiophoniques afin d’intercepter les communications entre membres de la police. La Cour de cassation a conclu que ces agissements constituaient une infraction au sens de l’article 617 bis du code pénal.

28. Elle a relevé que, à la suite de la modification apportée par la loi no 547 du 23 novembre 1993 au texte de l’article 623 bis du code pénal, l’article 617 bis du code pénal était applicable non seulement en cas d’installation d’appareils visant à intercepter « des communications télégraphiques ou téléphoniques » (tel qu’il était prévu par l’ancienne formulation du texte, impliquant « une connexion sur fil ou sur des ondes guidées »), mais s’étendait à « toute transmission à distance de sons, images ou d’autres donnés ».

3) L’arrêt no 5299 du 15 janvier 2008

29. Dans cet arrêt, la Cour de cassation, décidant sur des faits similaires à ceux faisant l’objet de l’arrêt no 25488/2004, parvint aux mêmes conclusions que dans cette dernière affaire.

30. Elle observa en outre que, avant l’entrée en vigueur de la loi no 547 du 23 novembre 1993, la jurisprudence était orientée à conclure que l’interception des radiocommunications entre les centres opérationnels et les patrouilles de la police effectuées à travers des ondes électriques propagées dans l’espace dans un sens omnidirectionnel, ne pouvait pas faire l’objet de l’application de l’article 617 bis du code pénal. En effet, l’article 623 bis du code pénal, limitait le champ d’application de cette dernière disposition aux « connexions sur fil ou sur des ondes guidées », dont les ondes-radio ne faisaient pas partie.

31. Toutefois, à la suite des modifications apportées par la loi no 547 du 23 novembre 1993, l’article 617 bis pouvait être appliqué aux faits incriminés.

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION

32. Invoquant l’article 10 de la Convention, les requérants se plaignent de la perquisition de leur véhicule et de leur bureau de rédaction, de la saisie de leurs appareils radiophoniques et de leur condamnation. Ils estiment que ces mesures constituent une ingérence disproportionnée dans leur liberté d’expression, notamment dans le cadre de leur accès aux informations en tant que journalistes. Cette disposition se lit comme suit :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

A. Sur la recevabilité

33. Le Gouvernement soutient d’emblée qu’en se penchant sur la question du respect du droit des requérants à la liberté d’expression dans le cas d’espèce, la Cour endosserait le rôle d’un juge de « quatrième instance », cette question ayant déjà été résolue par un arrêt de la Cour de cassation.

34. Il observe en outre que les requérants ne se sont référé à l’argument tiré de la liberté de la presse (article 51 du code pénal) qu’au stade de la procédure devant la Cour de cassation. Ainsi la présente requête devrait être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes, selon l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

35. Le Gouvernement estime ensuite que les faits portés à l’examen de la Cour ne relèvent pas de la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention, les requérants ayant été condamnés non pas pour avoir exprimé une idée ou publié une information mais pour avoir illégalement intercepté des communications qui, pour des raisons évidentes tenant à la sécurité publique, avaient caractère confidentiel.

36. Quant à l’exception de non-épuisement des voies de recours internes, les requérants indiquent que, ayant été acquittés en première instance, ils n’avaient pas de raisons d’exciper la clause d’exemption au sens de l’article 51 du code pénal à un stade antérieur à la procédure devant la Cour de cassation.

37. Les requérants relèvent que les radiofréquences dont il était question étaient librement accessibles. De plus, ils contestent la position du Gouvernement estimant avoir subi une ingérence dans leur droit d’informer. À ce propos, ils font valoir que la Cour a déjà conclu à l’applicabilité de l’article 10 dans des cas de condamnations suivant la communication d’informations confidentielles au stade d’une enquête préliminaire (Laranjeira Marques da Silva c. Portugal, no 16983/06, 19 janvier 2010), ou ayant trait à des secrets d’État (Stoll c. Suisse [GC], no 69698/01, CEDH 2007‑V) ou encore, dans un cas de reproduction, dans un livre, d’éléments d’un dossier d’instruction pénal (Dupuis et autres c. France, no 1914/02, 7 juin 2007).

38. Les requérants dénoncent enfin pour la première fois dans leurs observations en réponse à celles du Gouvernement que l’opération de police dont ils ont fait l’objet aurait été orchestrée.

39. La Cour considère tout d’abord que le grief en examen ne porte pas sur une violation du droit à un procès équitable (voir Contrada c. Italie (no 2), no 7509/08, § 70, 11 février 2014 et, a contrario, parmi beaucoup d’autres, Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 162, CEDH 2010) et que c’est en règle générale dans ce contexte que le rôle de la Cour en tant que « quatrième instance » peut être évalué.

40. Quant à l’exception non-épuisement des voies de recours internes, à l’instar des requérants, la Cour relève que ceux-ci ont soulevé leur grief au premier stade utile de la procédure. Il convient donc de rejeter l’exception soulevée par le gouvernement défendeur.

41. La Cour observe ensuite que le Gouvernement conteste que les requérants aient fait l’objet d’une ingérence dans leur liberté d’expression. L’article 10 de la Convention ne serait donc pas applicable en l’espèce. La Cour rappelle que, dans leur qualité de journalistes, les requérants se plaignent de leur condamnation pour avoir accédé à des informations que le système juridique italien classifie de confidentielles.

42. Elle constate que les exemples de jurisprudence auxquels les requérants se réfèrent en vue de démontrer l’existence de leur droit d’informer portent toutefois sur des circonstances différentes de celles de la présente affaire, car elles concernent des sanctions ayant suivi la publication de certaines informations.

43. La Cour relève avoir conclu plus récemment à l’applicabilité de l’article 10 dans un cas concernant le comportement d’un journaliste ayant refusé d’obtempérer à des ordres de la police lors d’une manifestation, et avoir examiné les mesures prises à son encontre (Pentikäinen c. Finlande ([GC], no 11882/10, CEDH 2015). En tout état de cause, elle note qu’aucune des affaires susmentionnées ne concerne la question, nouvelle, de l’interception de la part de journalistes de radiocommunications confidentielles ayant eu lieu entre des membres de forces de l’ordre dans l’exercice de leurs fonctions.

44. Se pose dès lors la question de savoir si l’affaire de la requérante entre dans le champ de l’article 10 de la Convention. Toutefois, la Cour n’estime pas nécessaire de devoir trancher cette question car à supposer même qu’il y aurait eu une ingérence dans les droits garantis par cette disposition de la Convention, elle serait justifiée pour les raisons exposées ci-dessous (paragraphes 57 à 68).

45. Enfin, la Cour constate que le grief des requérants portant sur la prétendue orchestration de l’opération de police dont ils ont fait l’objet a été introduit après la communication de la requête au gouvernement défendeur. Qui plus est, il n’a pas constitué un aspect de la requête sur lequel les parties ont échangé leurs observations (voir Piryanik c. Ukraine, no 75788/01, §§ 19-20, 19 avril 2005, Gallucci c. Italie, no 10756/02, §§ 55-57, 12 juin 2007 et M.C. et autres c. Italie, no 5376/11, § 54, 3 septembre 2013). La Cour estime donc qu’il n’y a pas lieu d’examiner ce grief.

46. Quant au reste, la Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle la déclare donc recevable.

B. Sur le fond

1. Les arguments des parties

47. Les requérants soutiennent que les mesures prises à leur encontre n’étaient pas proportionnées aux objectifs indiqués par le gouvernement défendeur et que le droit d’informer devait prévaloir dans leur cas. Les requérants estiment aussi que la peine de détention qui leur a été appliquée était excessive.

48. Le Gouvernement observe que, même en admettant qu’il y ait eu une ingérence dans le droit invoqué par les requérants, celle-ci poursuivait des objectifs légitimes consistant en la protection de la sécurité nationale et de la sûreté publique, en la défense de l’ordre et en la prévention du crime et était proportionnée à ces derniers.

2. L’appréciation de la Cour

a) Sur l’existence d’une ingérence « prévue par la loi » et sur les but légitimes poursuivis

49. La Cour réitère ses doutes quant à la circonstance qu’une ingérence dans la liberté d’expression des requérants se soit produite en l’espèce. À supposer même que l’article 10 fût applicable, elle observe que les mesures de perquisition, de saisie et de privation de liberté appliquées à leur encontre étaient prévues par la loi, à savoir, les articles 247 du code de procédure pénale et 253, 617, 617 bis et 623 bis du code pénal.

50. La Cour estime que lesdites mesures poursuivaient des buts légitimes au regard de l’article 10 § 2 de la Convention, notamment, la protection des droits d’autrui et, pour ce qui concerne plus particulièrement l’interception des communications des forces de police, la protection de la sécurité nationale, la défense de l’ordre et la prévention du crime.

b) Sur la nécessité des mesures prises à l’encontre des requérants dans une société démocratique

i. Principes généraux

51. Les principes généraux permettant d’apprécier la nécessité d’une ingérence donnée dans l’exercice de la liberté d’expression ont été résumés dans l’arrêt Pentikäinen c. Finlande (précité, §§ 87-91).

52. Dans ce même arrêt, la Cour a rappelé que la protection que l’article 10 offre aux journalistes est subordonnée à la condition qu’ils agissent de bonne foi de manière à fournir des informations exactes et dignes de crédit dans le respect des principes d’un journalisme responsable (voir, mutatis mutandis, Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège [GC], no 21980/93, § 65, CEDH 1999-III, Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 54, CEDH 1999‑I, Kasabova c. Bulgarie, no 22385/03, §§ 61 et 63-68, 19 avril 2011, et Times Newspapers Ltd c. Royaume-Uni (nos 1 et 2), nos 3002/03 et 23676/03, § 42, CEDH 2009).

53. En outre, le journalisme responsable est une notion qui ne couvre pas uniquement le contenu des informations qui sont recueillies et/ou diffusées par des moyens journalistiques. Elle englobe aussi, entre autres, la licéité du comportement des journalistes, du point de vue notamment de leurs rapports publics avec les autorités dans l’exercice de leurs fonctions journalistiques (Pentikäinen, précité, § 90).

54. Il y a lieu de rappeler aussi que « malgré le rôle essentiel qui revient aux médias dans une société démocratique, les journalistes ne sauraient en principe être déliés de leur devoir de respecter les lois pénales de droit commun au motif que l’article 10 leur offrirait une protection inattaquable (voir, entre autres et mutatis mutandis, Stoll c. Suisse [GC], précité, § 102, Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège [GC], précité, § 65, et Monnat c. Suisse, no [73604/01](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2273604/01%22%5D%7D), § 66, CEDH 2006-X). En d’autres termes, un journaliste auteur d’une infraction ne peut se prévaloir d’une immunité pénale exclusive – dont ne bénéficient pas les autres personnes qui exercent leur droit à la liberté d’expression – du seul fait que l’infraction en question a été commise dans l’exercice de ses fonctions journalistiques » (Pentikäinen, précité, § 91).

55. De plus, toute personne, fût-elle journaliste, qui exerce sa liberté d’expression, assume « des devoirs et des responsabilités » dont l’étendue dépend de sa situation et du procédé technique utilisé (voir, par exemple, Handyside c. Royaume-Uni, 7 décembre 1976, § 49 in fine, série A no 24). Ainsi, malgré le rôle essentiel qui revient aux médias dans une société démocratique, les journalistes ne sauraient en principe être déliés, par la protection que leur offre l’article 10, de leur devoir de respecter les lois pénales de droit commun. Le paragraphe 2 de l’article 10 pose d’ailleurs les limites de l’exercice de la liberté d’expression, qui restent valables même quand il s’agit de rendre compte dans la presse de questions sérieuses d’intérêt général (Stoll, précité, § 102 et Pentikäinen, précité, § 110).

56. Enfin, la Cour rappelle que, dans l’analyse de la nécessité d’une ingérence donnée dans l’exercice de la liberté d’expression, la Cour tient compte de plusieurs critères, à savoir, l’évaluation des intérêts en présence, le comportement des requérants, le contrôle exercé par les juridictions internes et la proportionnalité de la sanction prononcée (Stoll, précité, § 153, Pentikäinen, précité, §§ 112 et 113 et Boris Erdtmann c. Allemagne (déc.), no 56328/10, 5 janvier 2016).

ii. Application de ces principes en l’espèce

57. Il y a lieu d’observer d’emblée que, à la différence d’autres affaires dont des journalistes ont saisi la Cour sur le fondement de l’article 10 de la Convention (notamment, parmi beaucoup d’autres, l’affaire Stoll, précité) la présente espèce ne porte pas sur l’interdiction d’une publication mais a pour objet des mesures prises à l’encontre de journalistes en raison d’actes qui, selon le système juridique italien, étaient contraires à la loi pénale.

58. Afin d’apprécier la nécessité de ces mesures, la Cour relève que les intérêts à mettre en balance en l’espèce sont constitués, d’une part, de l’intérêt public au bon fonctionnement des forces de l’ordre et, de l’autre part, de l’intérêt des lecteurs de recevoir des informations.

59. Quoi que ces deux intérêts puissent être considérés tous deux comme ayant un caractère public (voir, mutatis mutandis, Stoll, précité, §§ 115-116), il y a néanmoins lieu de relever que l’intérêt du public de prendre connaissance de faits divers dans un journal local ne saurait avoir le même poids que celui du public d’acquérir d’informations sur une question d’intérêt général et historique ou revêtant un grand intérêt médiatique, questions que la Cour a déjà eu l’occasion d’examiner.

60. À cet égard, elle rappelle que l’affaire Stoll (précité) concernait la diffusion d’informations tenant à l’indemnisation due aux victimes de l’Holocauste pour les fonds en déshérence sur des comptes bancaires suisse. L’arrêt Pentikäinen (précité) portait sur la diffusion d’informations relatives à une manifestation de protestation contre une réunion Asie-Europe, dont la résonance au niveau national était exceptionnelle.

61. En l’espèce, la Cour note qu’il n’a pas été interdit aux requérants de porter à la connaissance du public des faits divers. Leur condamnation s’est uniquement fondée sur la détention et l’utilisation d’appareils radiophoniques pour obtenir plus rapidement des informations à ce sujet en interceptant les communications entre les forces de police, de caractère confidentiel selon le droit interne. Ces limites de l’interdiction doivent fortement être prises en compte pour l’appréciation de la proportionnalité.

62. Dans ce contexte, la Cour estime que les décisions de la cour d’appel de Milan et de la Cour de cassation concluant au caractère confidentiel des communications échangées entre les opérateurs des forces de l’ordre et, par conséquent, à la qualification criminelle des actes accomplis par les requérants, ont été dûment motivées. Ces décisions, reposant sur une jurisprudence constante de la Cour de cassation, ont accordé une place primordiale à la défense de la sécurité nationale, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime.

63. La Cour note ensuite que, d’après sa jurisprudence (Stoll, précité, § 153 et Pentikäinen, précité, §§ 112 et 113), la gravité de la sanction imposée aux requérants est aussi un élément à prendre en compte dans l’évaluation de la proportionnalité de l’ingérence litigieuse. Dans la présente affaire, cette sanction a consisté en la condamnation à une peine de détention de un an et trois mois pour le premier et deuxième requérants et de six mois quant au troisième, ainsi qu’en la saisie des appareils-radio.

64. La Cour rappelle que la notion de journalisme responsable implique que, dès lors que le comportement d’un journaliste va à l’encontre du devoir de respecter les lois pénales de droit commun, celui-ci doit savoir qu’il s’expose à des sanctions juridiques, notamment pénales (Pentikäinen, précité, § 110).

65. En l’espèce, dans le but d’obtenir d’informations susceptibles d’être publiées sur un journal local, les requérants ont tenu un comportement qui, d’après le droit interne et l’interprétation constante de la Cour de cassation, allait à l’encontre de la loi pénale, qui interdit, de manière générale, l’interception par une personne de toute conversation qui ne lui est pas adressée, dont celle des forces de police. Les actes des requérants consistaient par ailleurs en une technique utilisée couramment dans l’exercice de leur activité de journalistes (voir le paragraphe 7 ci-dessus).

66. La Cour relève enfin que, dans son arrêt du 15 mai 2007, la cour d’appel de Milan a accordé aux requérants la suspension de leurs peines et qu’il n’y pas d’éléments dans le dossier attestant que les requérants avaient purgé leurs peines de détention. Les sanctions appliquées dans le chef des requérants n’apparaissent partant pas disproportionnées.

67. Ces juridictions ont établi une distinction appropriée entre le devoir des requérants de respecter la loi interne et la poursuite par eux de leur activité journalistique, non limitée pour le surplus.

68. Compte tenu de ces éléments, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 10 de la Convention en l’espèce.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 10 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 juin 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Abel Campos Mirjana Lazarova Trajkovska
GreffierPrésidente

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Spano.

M.L.T.
A.C.

OPINION CONCORDANTE DU JUGE SPANO

(Traduction)

I

1. Les requérants, le directeur d’un journal en ligne local et deux de ses journalistes, furent condamnés pour accès illégal à des fréquences radio utilisées par la police pendant les activités de celle-ci, les informations ainsi recueillies par les journalistes étant considérées comme confidentielles en vertu du code pénal italien. La Cour a estimé qu’il n’y avait pas violation de l’article 10 de la Convention. Je souscris à cette conclusion. Cependant, je me propose d’expliquer dans une opinion séparée pourquoi j’estime que le raisonnement adopté par la Cour est dans sa substance un peu trop général.

2. Le journalisme d’investigation constitue une caractéristique importante des sociétés démocratiques. Comme l’histoire l’a démontré, un journalisme responsable peut, s’il est mené de manière efficace, mettre au jour des informations de grande valeur pour l’intérêt général et ainsi promouvoir et renforcer les valeurs démocratiques fondamentales de responsabilité et de transparence. Comme la Cour l’a déjà dit, le journalisme responsable, activité professionnelle protégée par l’article 10 de la Convention, est une notion qui ne couvre pas uniquement le contenu des informations qui sont recueillies et/ou diffusées par des moyens journalistiques. Elle englobe aussi, entre autres, la licéité du comportement des journalistes, du point de vue notamment de leurs rapports publics avec les autorités dans l’exercice de leurs fonctions journalistiques. Il importe de préciser que le fait qu’un journaliste a enfreint la loi à cet égard doit être pris en compte, mais il n’est pas déterminant pour établir s’il a agi de manière responsable.

3. Ainsi que la Cour l’a admis dans son arrêt de Grande Chambre en l’affaire Stoll c. Suisse ([GC], no 69698/01, § 102, CEDH 2007‑V), même si un journaliste peut incontestablement avoir enfreint la loi pénale – par exemple en publiant des informations confidentielles, comme dans ladite affaire –, on ne peut s’en tenir au simple constat d’une violation d’une disposition du droit pénal aux fins de l’examen de la nécessité et de la proportionnalité qui doit être mené sur le terrain de l’article 10 § 2 de la Convention. S’il en allait autrement, il serait loisible aux États contractants de subvertir le rôle essentiel que joue la presse dans le fonctionnement d’une société démocratique en soumettant des journalistes à des sanctions pénales dès qu’ils s’apprêtent à mettre au jour des faits susceptibles de nuire à l’image des détenteurs du pouvoir.

4. Mais il est clair qu’un journaliste ne peut se prévaloir d’une immunité pénale exclusive – dont ne bénéficient pas les autres personnes qui exercent leur droit à la liberté d’expression – du seul fait que l’infraction en question a été commise dans l’exercice de ses fonctions journalistiques. Toute personne, fût-elle journaliste, qui exerce sa liberté d’expression, assume « des devoirs et des responsabilités » dont l’étendue dépend de sa situation et du procédé technique utilisé (Pentikäinen c. Finlande [GC], no 11882/10, §§ 90-91, CEDH 2015).

II

5. Les requérants se plaignaient que la saisie de leur véhicule et de leurs équipements radiophoniques ainsi que leur condamnation ultérieure avaient constitué une ingérence disproportionnée dans leur liberté d’expression, notamment dans le cadre de leur accès aux informations en tant que journalistes.

6. La Cour commence son examen en laissant ouverte la question de savoir si les requérants ont subi une ingérence au sens de l’article 10 § 1 de la Convention, déclarant qu’à supposer même qu’il y ait eu pareille ingérence, elle serait justifiée dans les circonstances de l’espèce (paragraphe 45 de l’arrêt). Pareille démarche peut paraître prudente, considérant qu’il peut être difficile de déterminer quelles activités préalables à la publication, inhérentes au journalisme d’investigation, constituent une conduite relevant en soi de la protection de l’article 10 de la Convention. Cependant, dans les circonstances de l’espèce, j’aurais pu sans problème conclure que l’article 10 était bien applicable et qu’il y avait bien eu ingérence. À cet égard, j’estime, contrairement à mes collègues (paragraphe 43 de l’arrêt), qu’une telle conclusion aurait été en pleine cohérence avec les conclusions récentes de la Grande Chambre dans l’affaire Pentikäinen (précitée, § 83), dans laquelle la Cour a estimé que, lorsque le requérant fut appréhendé par la police, détenu pendant 18 heures puis accusé et condamné par les juridictions internes pour avoir désobéi à la police, « l’exercice par l’intéressé de ses activités de journaliste en a[vait] pâti car celui-ci s’était rendu sur les lieux pour couvrir les événements en qualité de photographe de presse ».

7. Je souscris aux conclusions de la Cour sur les questions de savoir si l’ingérence était prévue par la loi et poursuivait un but légitime (paragraphes 49–50 de l’arrêt). Au paragraphe 56 de l’arrêt, la Cour renvoie ensuite à juste titre aux critères suivants dégagés dans l’arrêt Stoll, estimant qu’ils constituent le cadre d’analyse des faits (voir mon opinion dissidente dans l’affaire Pentikäinen, précitée, § 6) : il s’agit des intérêts en jeu, de l’examen de la mesure par les juridictions internes, de la conduite du requérant et de la proportionnalité de la sanction infligée (Stoll, précité, § 112). Cependant, c’est au niveau de l’application de ces critères aux faits de la cause que je trouve le raisonnement problématique et d’une portée trop générale. J’aurais préféré appliquer une analyse plus ciblée et plus centrée sur les faits, comme suit.

8. Tout d’abord, tout en admettant que les faits ne révèlent pas des intérêts publics de même nature que ceux qui étaient en jeu dans les affaires Stoll ou Pentikäinen, j’estime que l’appréciation de la Cour n’aurait pas dû se limiter à déclarer en des termes abstraits que l’intérêt en l’espèce se limitait à « l’intérêt du public de prendre connaissance de faits divers dans un journal local » (paragraphe 59 de l’arrêt). L’examen de la question de l’intérêt général aurait dû plutôt se concentrer sur la nature des informations confidentielles que les journalistes tentaient en fait d’obtenir pour ensuite les diffuser au public. En réalité, et cela est très important, il y a des situations dans lesquelles l’article 10 de la Convention peut justifier que des journalistes décident d’adopter des stratégies d’enquête agressives dans le travail, ce qui peut impliquer l’accès à des informations confidentielles, s’il existe un fort intérêt général à diffuser l’information en question, par exemple lorsqu’il s’agit d’essayer de faire la lumière sur la corruption ou les activités illégales de fonctionnaires gouvernementaux ou de représentants élus. En outre, le fait que la publication du journal vise une communauté locale est à mon sens hors de propos, dès lors que le contenu du journal en question était publié en ligne.

9. Cela étant, même si l’on analyse l’affaire à travers ce prisme plus étroit et focalisé sur les faits de l’espèce, il en ressort néanmoins que la nature des informations obtenues par les requérants n’était pas essentielle du point de vue de l’intérêt général. Partant, en vertu de l’article 10 § 2 de la Convention, les requérants doivent assumer la charge d’avoir eu recours à des moyens illégaux pour obtenir des informations confidentielles sans que leurs actions ne soient justifiées par l’existence d’un fort intérêt général.

10. La deuxième question que je trouve problématique tient au fait que la Cour estime à juste titre que les juridictions italiennes ont appliqué une règle du droit pénal italien qui interdit de manière générale l’interception de toute conversation confidentielle, y compris les communications de la police (paragraphe 65 de l’arrêt). En d’autres termes, les juridictions italiennes n’ont pas mis en balance les intérêts concurrents en jeu ainsi qu’il convient normalement de le faire dans les affaires « article 10 » de cette nature, en application du deuxième des critères dégagés dans l’affaire Stoll, à savoir le contrôle de la mesure par les juridictions internes. À mon sens, la Cour aurait dû reconnaître le caractère problématique de l’examen des tribunaux italiens, d’autant qu’elle avait déjà rejeté l’exception de non-épuisement des voies de recours internes présentée par le Gouvernement, celui-ci ayant soutenu que les requérants n’avaient pas invoqué leur droit à la liberté d’expression au niveau interne (paragraphe 40 de l’arrêt).

11. Cependant, compte tenu du grief des requérants considéré globalement sur la base des critères Stoll, et en particulier du poids relativement faible qui peut être attaché à l’intérêt général en jeu dans la mise en balance avec le comportement répréhensible des requérants dans l’obtention des informations en question, je souscris aux conclusions de l’arrêt.


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-163915
Date de la décision : 23/06/2016
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Non-violation de l'article 10 - Liberté d'expression-{général} (Article 10-1 - Liberté de communiquer des informations)

Parties
Demandeurs : BRAMBILLA ET AUTRES
Défendeurs : ITALIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : MELZI D'ERIL C. ; VIGEVANI G.E.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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