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26/11/2013 | CEDH | N°001-138560

CEDH | CEDH, AFFAIRE FRANCESCO QUATTRONE c. ITALIE, 2013, 001-138560


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE FRANCESCO QUATTRONE c. ITALIE

(Requête no 13431/07)

ARRÊT

STRASBOURG

26 novembre 2013

DÉFINITIF

14/04/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Francesco Quattrone c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Işıl Karakaş, présidente,
Guido Raimondi,
Peer Lorenzen,
Dragoljub Popović,

Nebojša Vučinić,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Egidijus Kūris, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre d...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE FRANCESCO QUATTRONE c. ITALIE

(Requête no 13431/07)

ARRÊT

STRASBOURG

26 novembre 2013

DÉFINITIF

14/04/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Francesco Quattrone c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Işıl Karakaş, présidente,
Guido Raimondi,
Peer Lorenzen,
Dragoljub Popović,
Nebojša Vučinić,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Egidijus Kūris, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 novembre 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 13431/07) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Francesco Quattrone (« le requérant »), avait saisi la Cour le 22 mars 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le requérant est décédé le 2 novembre 2012. Ses héritiers, Mme Maria Francesca Quattrone et M. Giuseppe Fabrizio Quattrone, nés respectivement en 1969 et 1979, ont informé la Cour qu’ils souhaitaient poursuivre la procédure. Pour des raisons d’ordre pratique, la Cour continuera d’appeler M. Francesco Quattrone « le requérant ».

2. Le requérant a été représenté par Me C. Mazzù, avocat à Messine. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Spatafora.

3. Le 11 février 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement en ce qui concerne les griefs tirés de la durée de deux procédures Pinto et de la condamnation du requérant au frais et dépenses (article 6 § 1 de la Convention). Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a, en outre, été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

A. La première procédure

1. La procédure pénale RG nr 1099/1992

4. Par une ordonnance du 6 septembre 1992, le juge des investigations préliminaires (giudice per le indagini preliminari – ci-après le « GIP ») de Reggio de Calabre plaça le requérant en détention provisoire en raison des graves soupçons de culpabilité pour le délit de recel qui pesaient sur lui.

5. Le 13 novembre 1992, une assignation à domicile (« arresti domiciliari ») remplaça la détention provisoire. Le requérant fut remis en liberté le 9 février 1993 (« libertà provvisoria »).

6. Par un arrêt du 21 février 1994, le tribunal de Reggio de Calabre condamna le requérant à trois ans d’emprisonnement et à 8 000 000 lires italiennes d’amende. Par un arrêt du 18 mars 1998, la cour d’appel de Reggio de Calabre réduisit la peine à un an et neuf mois et à 4 000 000 lires italiennes d’amende. Par un arrêt du 26 octobre 1999, la Cour de cassation annula la condamnation et renvoya l’affaire à la cour d’appel.

7. Par un arrêt du 10 avril 2002, dont le texte fut déposé au greffe le 9 juillet 2002, la cour d’appel de Messine acquitta le requérant au motif que les faits reprochés n’étaient pas avérés (« perché il fatto non sussiste »).

2. La première procédure Pinto

8. Le 7 avril 2003, le requérant saisit la cour d’appel de Catanzaro au sens de la loi « Pinto », demandant le dédommagement des préjudices patrimoniaux et moraux subis du fait de la durée de la procédure principale (RG nr 1099/1992).

9. Par une décision du 10 juin 2003, la cour d’appel (nr 64/2003) se déclara incompétente et indiqua que le recours devait être introduit devant la cour d’appel de Reggio de Calabre.

10. Le 26 janvier 2004, le requérant saisit cette juridiction (nr 4/04) qui, par un jugement du 10 janvier 2008, déposé au greffe le 19 novembre 2008, constata le dépassement d’une durée raisonnable et condamna le ministère de la Justice au paiement de 4 500 EUR au requérant pour dommage moral, plus frais et dépens. Le requérant ne se pourvut pas en cassation.

11. Dans les observations présentées le 14 juillet 2010 en réponse à celles du Gouvernement, le requérant affirme que la somme Pinto n’avait pas encore été payée.

B. La deuxième procédure RG nr 7/1991

12. Le 2 décembre 1992, le GIP de Reggio de Calabre plaça en détention provisoire le requérant jusque-là assigné à domicile dans le cadre de la procédure RG n. 1099/1992. Le requérant était soupçonné de complicité d’homicide. Par une décision du 6 avril 1993, la Cour de cassation, après avoir constaté l’absence de graves indices de culpabilité nécessaires, aux termes de l’article 273 § 1 CPP, pour justifier la détention provisoire, cassa et annula sans renvoi l’ordonnance de placement en détention.

13. Par un décret du 3 juin 1994, le GIP classa sans suite les poursuites contre le requérant.

C. La troisième procédure RG nr 1296/1992

14. Accusé d’escroquerie, faux en écriture publique (« falso in atto pubblico ») et abus de fonction (« abuso di ufficio »), le requérant, détenu dans la prison de Messine en exécution de l’ordonnance du 2 décembre 1992, fit l’objet d’un nouveau placement en détention provisoire de la part du GIP de Reggio de Calabre décidé à une date non précisée.

15. Le requérant fut mis en liberté le 13 mars 1993. Par un arrêt du tribunal de Reggio de Calabre du 16 janvier 2001, déposé au greffe le 13 avril 2001, le requérant bénéficia, en partie, d’un acquittement et, pour le restant des faits, d’un non-lieu (« non doversi procedere ») au motif que les faits reprochés étaient, d’une part, couverts par la prescription et, d’autre part, ne faisait pas l’objet de plainte.

16. Le requérant ne saisit pas les juridictions internes au sens de la « loi Pinto ».

D. La quatrième procédure

1. La procédure pénale RG nr 17/92

17. Le 13 mars 1993, le GIP ordonna le placement du requérant en détention provisoire. La mesure fut exécutée le 15 mars 1993. Le requérant était soupçonné d’abus de fonction (« abuso di ufficio ») et d’association de malfaiteurs de type mafieux (« associazione a delinquere di stampo mafioso »). Le 24 juin 1993, en raison de son état de santé, il fut transféré dans un hôpital. Le 13 octobre 1993, le requérant fut remis en liberté. Par un arrêt du 18 juillet 2003, déposé au greffe le 17 octobre 2003, le tribunal de Reggio de Calabre acquitta le requérant au motif que les faits reprochés n’étaient pas avérés (« perché il fatto non sussiste »).

2. La deuxième procédure Pinto

18. Le 27 juillet 2004, le requérant saisit la cour d’appel de Catanzaro au sens de la loi « Pinto », demandant le dédommagement des préjudices patrimoniaux et moraux subis du fait de la durée de la quatrième procédure principale (RG nr 17/92).

19. Par une décision du 27 mai 2005, déposée au greffe le 14 juin 2005, la cour d’appel (nr 161/04) constata le dépassement d’une durée raisonnable et condamna le ministère de la Justice au paiement de 27 700 EUR au requérant pour dommage moral, plus frais et dépens. Elle rejeta, toutefois, la demande à titre de dommage matériel, en soutenant qu’un tel préjudice était non pas la conséquence de la durée de la procédure en tant que telle mais bien de la détention provisoire et de ce que la mise en examen s’était soldée par un acquittement.

20. La somme accordée en exécution de la décision Pinto, majorée d’intérêts, fut payée le 21 octobre 2005. Le requérant reçut 32 167,82 EUR.

21. Le requérant se pourvu en cassation. Dans ses observations le parquet avait proposé de considérer comme bien fondé une partie des griefs du requérant. Par un arrêt du 24 octobre 2007, déposé le 5 février 2008 (RG nr 18589/05), la Cour de cassation confirma la décision de la cour d’appel et condamna le requérant au paiement de 10 000 EUR au titre des frais de procédure. La décision ne contient pas de motifs sur ce point.

E. Les procédures en réparation pour détention provisoire « injuste »

1. La première procédure

22. Le 12 novembre 2003, le requérant saisit la cour d’appel de Messine afin d’obtenir la réparation des dommages subis en raison des trois premières périodes de détention provisoire. Il demanda l’application du plafond légal de l’indemnisation pour chacun de ces périodes.

Par une ordonnance du 19 janvier 2005, déposée au greffe le 1er mars 2005, la cour d’appel, sur le fondement de l’article 314 CPP, alinéa 1 (réparation pour injuste détention « substantielle », paragraphes 25 et 26 ci-dessous), fit partiellement droit à la demande du requérant. En rappelant la jurisprudence de la Cour de cassation, elle souligna que la procédure de réparation avait un caractère indemnitaire et qu’il y avait donc lieu de considérer la détention subie par l’intéressé dans son ensemble. Et ce indépendamment du fait que le requérant avait été acquitté (première et troisième procédures) et obtenu un classement sans suite (deuxième procédure) après l’annulation de l’ordonnance de mise en détention faute de graves indices de culpabilité (paragraphes 12 et 13 ci-dessus). La cour d’appel lui accorda 180 000 EUR pour dommages moraux et matériels en excluant de ces derniers ceux qui étaient, selon elle, la conséquence du fait d’être accusé dans le cadre d’une procédure pénale portant sur des crimes particulièrement graves. Le requérant se pourvu en cassation mais il fut débouté par un arrêt déposé au greffe le 21 décembre 2006.

2. La deuxième procédure

23. Le 6 octobre 2004, le requérant saisit la cour d’appel de Reggio de Calabre afin d’obtenir la réparation des dommages subis en raison de son incarcération dans le cadre de la quatrième procédure pénale. Par une ordonnance du 9 décembre 2005, déposée au greffe le 21 décembre 2005, en se fondant sur l’article 314 CPP, alinéa 1, (réparation pour injuste détention « substantielle », paragraphes 25 et 26 ci-dessous), la cour d’appel fit droit à la demande du requérant, lui accordant 150 000 EUR. Le requérant se pourvu en cassation mais il fut débouté par un arrêt déposé au greffe le 7 mars 2008.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

24. Le droit et la pratique internes pertinents relatifs à la loi no 89 du 24 mars 2001, dite « loi Pinto » figurent dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie ([GC], no 64886/01, §§ 23-31, CEDH 2006-V).

25. En ce qui concerne le droit à réparation pour une détention provisoire « injuste », l’article 314 du CPP prévoit un droit à la réparation dans deux cas distincts : lorsque, à l’issue de la procédure pénale sur le fond, l’accusé est acquitté (réparation pour injustice dite « substantielle », prévue par l’alinéa 1) ou lorsqu’il est établi que le suspect a été placé ou maintenu en détention provisoire au mépris des articles 273 et 280 du CPP (réparation pour injustice dite « formelle », prévue par l’alinéa 2). L’article 273 § 1 CPP dispose :

« Nul ne peut être soumis à des mesures de détention provisoire s’il n’y a pas à sa charge de graves indices de culpabilité. »

26. L’article 314 §§ 1 et 2 du CPP se lit comme suit :

« 1. Quiconque est relaxé par un jugement définitif au motif que les faits reprochés ne se sont pas produits, qu’il n’a pas commis les faits, que les faits ne sont pas constitutifs d’une infraction ou ne sont pas érigés en infraction par la loi a droit à une réparation pour la détention provisoire subie, à condition de ne pas avoir provoqué [sa détention] ou contribué à la provoquer intentionnellement ou par faute lourde.

2. Le même droit est garanti à toute personne relaxée pour quelque motif que ce soit ou à toute personne condamnée qui au cours du procès a fait l’objet d’une détention provisoire, lorsqu’il est établi par une décision définitive que l’acte ayant ordonné la mesure a été pris ou prorogé alors que les conditions d’applicabilité prévues aux articles 273 et 280 n’étaient pas réunies. »

27. La Cour de cassation a précisé, à plusieurs reprises, que, par « décision définitive » qui constitue le fondement pour obtenir la réparation pour détention injuste, aux termes du deuxième alinéa de l’article 314 CPP, on se réfère à : l’ordonnance du tribunal chargé de réexaminer les mesures de précaution (« tribunale della libertà e del riesame ») qui n’a pas été contestée ; un arrêt de la Cour de cassation qui casse une décision dudit tribunal ou qui a été saisie directement après l’imposition d’une mesure de précaution privative de liberté (voir arrêt de la quatrième section de la Cour de cassation no 18237 du 7 février 2003, déposé au greffe le 17 avril 2003) ; une décision définitive portant sur le fond de la responsabilité pénale qui établit l’absence ab initio des conditions nécessaires pour l’applicabilité de la mesure de précaution (voir les arrêts de la quatrième section de la Cour de cassation no 42022 du 6 novembre 2006, déposé au greffe le 12 décembre 2006 et no 2660 du 3 décembre 2008, déposé le 21 janvier 2009).

28. Quant à la place de la jurisprudence de la Cour dans le système juridique italien et, notamment, à l’obligation des tribunaux internes d’adopter une interprétation du droit national conforme au droit conventionnel, voir le droit et la pratique internes dans la décision Daddi c. Italie (déc.), no 15476/09, 2 juin 2009.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE LA DURÉE DES PROCÉDURES « PINTO »

29. Le requérant allègue une violation de l’article 6 de la Convention du fait de la durée prétendument excessive des procédures « Pinto ». L’article 6 est ainsi libellé dans sa partie pertinente :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) ».

A. Sur la recevabilité

30. La Cour, constatant que ce grief ne se heurte à aucun des motifs d’irrecevabilité inscrits à l’article 35 § 3 de la Convention, le déclare-t-elle recevable.

B. Sur le fond

31. Le Gouvernement soutient que la durée des deux procédures Pinto n’a pas entrâiné la violation de l’article 6 § 1. En ce qui concerne la première procédure, il estime que la durée se justifierait en raison du fait que le requérant avait, tout d’abord, saisi une juridiction incompétente, à savoir la cour d’appel de Catanzaro ; pour ce qui est de la deuxième procédure, il affirme qu’une durée de moins de quatre ans pour deux degrés de juridiction ne saurait être considérée comme déraisonnable.

32. La Cour note que les procédures « Pinto », qui ont commencé le 7 avril 2003 et le 27 juillet 2004, se sont achevées le 19 novembre 2008 et le 5 février 2008 respectivement. Elles ont donc duré cinq ans et sept mois et trois ans et six mois pour deux degrés de juridiction. S’agissant de la première procédure, même en prenant comme point de départ la date à laquelle le requérant a saisi l’autorité compétente pour trancher le litige, à savoir la cour d’appel de Reggio de Calabre, la durée globale pertinente est de près de cinq ans (26 janvier 2004 – 19 novembre 2008).

33. Dans l’arrêt CE.DI.SA Fortore S.N.C. Diagnostica Medica Chirurgica c. Italie (nos 41107/02 et 22405/03, § 39, 27 septembre 2011), la Cour a considéré qu’en principe pour deux degrés de juridiction la durée d’une procédure « Pinto » ne devrait pas, sauf circonstances exceptionnelles, dépasser deux ans.

34. La Cour observe que la durée des deux procédures Pinto a largement dépassé le délai susmentionné et qu’il n’existait, en l’espèce, aucune circonstance exceptionnelle de nature à justifier ce dépassement.

35. Partant, la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION EN RAISON DE LA CONDAMNATION AUX FRAIS ET DEPENS PAR LA COUR DE CASSATION « PINTO »

36. Le requérant estime que le montant des frais au paiement duquel il a été condamné par la Cour de cassation « Pinto » est excessif, arbitraire et revêt un caractère punitif. Dans ses observations du 14 juillet 2010, il affirme ne pas avoir saisi la Cour de cassation dans le cadre de la première procédure Pinto de peur d’être à nouveau condamné à des frais très élevées en cas de rejet de sa demande.

A. Sur la recevabilité

37. La Cour, constatant que ce grief ne se heurte à aucun des motifs d’irrecevabilité inscrits à l’article 35 § 3 de la Convention, le déclare-t-elle recevable.

B. Sur le fond

38. Le Gouvernement affirme que la condamnation se justifie en raison du fait que la demande du requérant n’était pas fondée et que la décision d’accorder et réglementer le droit au remboursement des frais et dépens à la partie victorieuse relèverait des choix discrétionnaires des États.

39. La Cour note, tout d’abord, l’importance du montant des frais au paiement desquels le requérant a été condamné, à savoir 10 000 EUR. Elle relève ensuite que la Cour de cassation n’a pas jugé la demande du requérant abusive ou téméraire et dans ses observations le parquet avait considéré bien fondé une partie des griefs du requérant (voir paragraphe 21 ci-dessus).

40. A la lumière de ces considérations et compte tenu de la nature de la procédure Pinto, la Cour est de l’avis qu’une telle somme pose, en soi, des doutes sur sa compatibilité avec l’esprit d’une procédure en réparation d’une violation de la Convention (voir Cocchiarella c. Italie [GC], no 64886/01, CEDH 2006‑V).

41. La Cour constate, toutefois, que l’arrêt de la Cour de cassation Pinto est dépourvu de toute motivation sur le montant pour frais et dépens, ce qui rend impossible d’établir si cet arrêt constitue une entrave au remède « Pinto » ou bien s’il a réduit de façon substantielle le droit à la réparation Pinto reconnu par la cour d’appel de Catanzaro.

42. Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’article 6 § 1 de la Convention oblige les tribunaux à motiver leurs décisions (Van de Hurk c. Pays-Bas, arrêt du 19 avril 1994, § 61, série A no 288).

43. L’étendue de cette obligation peut varier selon la nature de la décision et doit s’analyser à la lumière des circonstances de chaque espèce (Ruiz Torija c. Espagne, arrêt du 9 décembre 1994, § 29, série A no 303-A; Hiro Balani c. Espagne, arrêt du 9 décembre 1994, § 27, série A no 303‑B; Higgins et autres c. France, arrêt du 19 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I, p. 60, § 42).

44. L’obligation de motivation s’applique aussi à la condamnation aux frais et dépens (The Association for the Defence of Human Rights c. Roumanie (déc.), no 2959/11, 22 novembre 2011) et aux amendes imposées en raison du caractère abusif du recours (G.L. c. Italie, no 15384/89, décision de la Commission du 9 mai 1994, Décisions et rapports (DR) 77-A, p. 5).

45. En l’espèce, compte tenu aussi du montant élevé des frais par rapport à la nature de la procédure Pinto, la Cour estime que l’absence de toute justification dans les motifs de l’arrêt litigieux a entraîné la violation de l’article 6 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE LA DURÉE DES PROCÉDURES PRINCIPALES

46. Le requérant dénonce la durée des première, troisième et quatrième procédures principales au regard de l’article 6 § 1 de la Convention et, en ce qui concerne spécifiquement la première et la quatrième procédure, l’insuffisance du redressement obtenu dans le cadre des recours « Pinto », compte tenu de l’absence de toute réparation pour les graves accusations qui ont nui à sa réputation.

Sur la troisième procédure

47. La Cour rappelle d’emblée que lorsqu’un requérant se plaint de la durée d’une procédure nationale il est exigé qu’il ait saisi les tribunaux internes au sens de la loi Pinto aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention (Brusco c. Italie (déc.), no 69789/01, CEDH 2001‑IX).

48. La Cour relève que le requérant n’a pas introduit un tel recours par rapport à la procédure interne en objet.

49. Pour cette raison, la Cour estime que cette partie de la requête est irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes et doit être rejetée conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

Sur la première et la quatrième procédures

50. La Cour rappelle sa jurisprudence dans l’affaire Cocchiarella c. Italie (arrêt précité, § 84) selon laquelle, dans ce genre d’affaires il appartient à la Cour de vérifier, d’une part, s’il y a eu reconnaissance par les autorités, au moins en substance, d’une violation d’un droit protégé par la Convention et, d’autre part, si le redressement peut être considéré comme approprié et suffisant.

51. La première condition, à savoir le constat de violation par les autorités nationales, ne prête pas à controverse comme il ressort des décisions des cours d’appel Pinto de Reggio de Calabre et Catanzaro.

52. Quant à la seconde condition, la Cour rappelle les caractéristiques que doit avoir un recours interne pour apporter un redressement approprié et suffisant ; il s’agit tout particulièrement du fait que pour évaluer le montant de l’indemnisation allouée par les juridictions nationales, la Cour examine, sur la base des éléments dont elle dispose, ce qu’elle aurait accordé dans la même situation pour la période prise en considération par la juridiction interne (Cocchiarella, précité, §§ 86-107).

53. La Cour constate que les procédures litigieuses ont débuté le 6 septembre 1992 et le 13 mars 1993 et ont pris fin le 9 juillet 2002 et le 17 octobre 2003. Ainsi, la durée desdites procédures a été respectivement de neuf ans et dix mois pour trois degrés de juridiction et de dix ans et sept mois pour un degré de juridiction.

54. En ce qui concerne la première procédure, le requérant soutient qu’il ne s’est pas pourvu en cassation en raison du fait que la procédure devant la cour d’appel Pinto a duré cinq ans, ce qui aurait dépourvu d’effectivité le remède interne. Même à supposer que, de ce fait, le requérant soit exempté d’épuiser les voies de recours internes, ce grief doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement.

55. En effet, la Cour estime que la somme globalement obtenue par le requérant, à savoir 4 500 EUR, dépasse celle qu’elle aurait pu lui accorder compte tenu de l’existence du recours Pinto.

56. Quant au préjudice à la réputation du requérant, qui aurait eu, entre autres, des répercussions importantes sur ses revenus professionnels, la Cour estime que ledit préjudice ne saurait être imputé à la durée de la procédure mais plutôt aux accusations qui ont été portées contre lui sans qu’elles aboutissent à une déclaration de culpabilité.

57. L’indemnisation reçue par le requérant peut donc passer pour adéquate et, de ce fait, apte à réparer la violation subie (Garino c. Italie (déc.), nos 16605/03, 16641/03 et 16644/03).

58. Par conséquent, le requérant ne peut plus se prétendre « victime » d’une violation des droits reconnus par la Convention concernant la durée de la première procédure, au sens de l’article 34 de la Convention.

59. Pour les mêmes raisons, le grief portant sur la quatrième procédure doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement. En effet, la Cour estime que la somme globalement obtenue par le requérant, à savoir 27 700 EUR, dépasse celle qu’elle aurait pu lui accorder compte tenu de l’existence du recours Pinto. A la lumière des raisons exposées au paragraphe 56 ci-dessus, aucune réparation au titre de préjudice matériel ne saurait être accordé au requérant dans le cadre du grief concernant la durée de la procédure.

56. Les indemnisations reçues par le requérant pouvant donc passer pour adéquates et aptes à réparer la violation subie (Garino c. Italie, précitée), le requérant ne peut plus se prétendre « victime » d’une violation des droits reconnus par la Convention, au sens de l’article 34 de la Convention.

57. Ces griefs sont donc manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE LA DURÉE DES PROCÉDURES RELATIVES À LA RÉPARATION POUR DÉTENTION INJUSTE

58. Le requérant se plaint en substance de la durée des procédures portant sur la réparation pour détention injuste.

59. Dans les décisions Grasso c. Italie (déc.), no 50488/99, 25 juin 2002 et Mercuri c. Italie (déc.), no 47247/99, 5 juillet 2001, concernant des « détentions injustes », la Cour a établi que le droit à réparation que les requérants entendaient faire valoir au niveau interne pouvait être qualifié de droit civil au sens de l’article 6 de la Convention et, que, par conséquent, ladite disposition trouvait à s’appliquer (voir aussi, mutatis mutandis, Georgiadis c. Grèce, 29 mai 1997, §§ 32-36, Recueil des arrêts et décisions 1997‑III).

60. En l’espèce, la Cour relève que le requérant n’a pas saisi les juridictions « Pinto ».

61. La Cour rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes vise à ménager aux Etats contractants l’occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne lui soient soumises (voir, parmi beaucoup d’autres, Remli c. France, 23 avril 1996, § 33, Recueil 1996-II, et Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 74, CEDH 1999-V). Cette règle se fonde sur l’hypothèse, objet de l’article 13 de la Convention – et avec lequel elle présente d’étroites affinités –, que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 152, CEDH 2000-XI). De la sorte, elle constitue un aspect important du principe voulant que le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revête un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l’homme (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 65, Recueil 1996-IV).

62. Cependant, l’obligation découlant de l’article 35 se limite à celle de faire un usage normal des recours vraisemblablement effectifs, suffisants et accessibles (Sofri et autres c. Italie (déc.), no 37235/97, CEDH 2003-VIII). En particulier, la Convention ne prescrit l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (Dalia c. France, 19 février 1998, § 38, Recueil 1998-I).

63. La Cour rappelle que le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue pas une raison valable pour justifier la non-utilisation de recours internes (Brusco c. Italie (déc.), no 69789/01, CEDH 2001‑IX, Scoppola c. Italie (no 2) [GC], no 10249/03, § 70, 17 septembre 2009). Au contraire, il y a intérêt à saisir le tribunal compétent, afin de lui permettre de développer les droits existants en usant de son pouvoir d’interprétation (voir, Ciupercescu c. Roumanie, no 35555/03, § 169, 15 juin 2010 et Iambor c. Roumanie (no 1), no 64536/01, § 221, 24 juin 2008). De surcroît, la Cour note que, dans la mesure du possible, en droit interne une interprétation conforme au droit conventionnel s’imposerait aux juridictions nationales comme l’a affirmé à plusieurs reprise la Cour constitutionnelle italienne, notamment dans ses arrêts nos 348 et 349 de 2007 (voir Daddi c. Italie (déc.), no 15476/09, 2 juin 2009).

64. La Cour estime qu’au stade actuel rien ne permet de penser que la loi Pinto ne constituerait pas un recours à épuiser afin de remédier à la durée déraisonnable de la procédure relative à la détention injuste. D’ailleurs le requérant n’a fourni aucun élément ou circonstance particulière de nature à amener la Cour à parvenir à une conclusion différente.

65. Par conséquent, ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

V. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DES ARTICLES 5 §§ 1 c) et 5, 8 ET 13 DE LA CONVENTION ET 1 DU PROTOCOLE No 1

66. Invoquant les articles 5 §§ 1 c) et 5, 8 et 13 de la Convention et 1 du Protocole no 1, le requérant se plaint que la détention provisoire soufferte dans le cadre des quatre procédures principales était injuste et considère que la réparation accordée était insuffisante.

67. Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, la Cour estime que les griefs du requérant appellent un examen exclusivement sous l’angle de l’article 5 §§ 1 c) et 5 qui se lit ainsi :

Article 5

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(...)

c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;

(...)

5. Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »

68. En ce qui concerne la détention soufferte dans le cadre de la deuxième procédure principale, le requérant soutient que, compte tenu de ce qu’elle n’était pas fondée sur l’illégalité formelle de la détention mais uniquement sur son injustice substantielle, la décision d’accorder la réparation n’est pas, en soi, apte à réparer à la violation de l’article 5 § 1 c) implicitement reconnue par la Cour de cassation. Enfin, la détention provisoire aurait gravement nui à sa réputation.

69. La Cour relève, tout d’abord, que le 6 avril 1993, en annulant la mesure de la détention provisoire décidée par le juge des investigations préliminaires, la Cour de cassation a estimé qu’il n’existait pas de raisons plausibles de soupçonner que le requérant avait commis une infraction (paragraphe 12 ci-dessus) ce qui constitue une reconnaissance implicite de la violation de l’article 5 § 1 c). Elle observe, ensuite, que la cour d’appel de Messine a fait droit, sur le fondement du premier alinéa de l’article 314 CPP (qui prévoit la réparation pour la détention injuste « substantielle », voir paragraphe 25 ci-dessus), à la demande introduite par le requérant le 12 novembre 2003 en lui accordant 180 000 EUR pour dommages moraux et matériels. La somme obtenue par le requérant est bien supérieure à celle que la Cour aurait accordé à titre de dommage moral en cas de constat de violation de l’article 5 § 1 c).

70. Dans ces conditions, la compensation due au requérant selon le CPP italien du fait de son acquittement se confond avec toute compensation à laquelle il aurait pu avoir droit au sens de l’article 5 § 1 c) de la Convention (voir, mutatis mutandis, N.C. c. Italie [GC], no 24952/94, § 57, CEDH 2002‑X et, Pisano c. Italie [GC], arrêt (radiation) du 24 octobre 2002, no 36732/97, § 47).

71. Enfin, la Cour partage l’avis des tribunaux nationaux selon lesquels l’atteinte à la réputation ne saurait être liée spécifiquement au fait de la détention mais à l’existence même d’une procédure pénale.

72. Dès lors, la Cour estime que le requérant ne peut plus se prétendre victime au sens de l’article 34 de la Convention, les autorités nationales ayant reconnu et réparé la violation de la Convention (voir, mutatis mutandis, les arrêts Amuur c. France du 25 juin 1996, § 36, Recueil 1996-IIIet Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 44, CEDH 1999-VI). Cette partie de la requête est partant manifestement mal fondée et doit être rejetée conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

73. Pour ce qui est de la détention soufferte dans le cadre de la première, de la troisième et de la quatrième procédures principales, la Cour constate que le requérant soutient avoir épuisé les voies de recours internes en ayant saisi les cours d’appel compétentes afin d’obtenir la réparation pour la détention injuste.

74. La Cour relève qu’il ne ressort pas du dossier que le requérant ait contesté les mesures de placement en détention devant le tribunal chargé de réexaminer les mesures de précaution (voir paragraphes 4-5, 14 et 17 ci-dessus).

75. Elle note que la procédure en réparation pour détention injuste ne constitue pas, en l’absence d’une reconnaissance préalable de l’illégalité formelle de la détention, un remède effectif afin de contester les violations de l’article 5 de la Convention. En effet, les juges de la réparation pour détention injuste ne sont pas compétents pour déclarer l’injustice formelle d’une détention mais ils peuvent seulement accorder, aux termes de l’article 314 § 2 CPP, une réparation sur le fondement d’une préalable décision définitive attestant l’illégalité de telle détention (voir paragraphes 25-27 ci‑dessus). Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes, conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

76. S’agissant du grief portant sur la violation de l’article 5 § 5, la Cour rappelle que cette disposition se trouve respectée dès lors que l’on peut demander réparation du chef d’une privation de liberté opérée dans des conditions contraires aux paragraphes 1, 2, 3 ou 4 (Wassink c. Pays-Bas, 27 septembre 1990, § 38, série A no 185-A, et Houtman et Meeus c. Belgique, no 22945/07, § 43, 17 mars 2009). Le droit à réparation énoncé au paragraphe 5 suppose donc qu’une violation de l’un de ces autres paragraphes ait été établie par une autorité nationale ou par les institutions de la Convention. A cet égard, la jouissance effective du droit à réparation garantie par cette dernière disposition doit se trouver assurée à un degré suffisant de certitude (Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 182, CEDH 2012, Ciulla c. Italie, 22 février 1989, § 44, Série A no 148, Sakık et autres c. Turquie, 26 novembre 1997, § 60, Recueil 1997‑VII, et N.C. c. Italie, arrêt précité, § 49).

77. En l’espèce, pour ce qui est de la deuxième procédure, le requérant a saisi, aux termes de l’article 314 CPP, les tribunaux internes afin d’obtenir la réparation pour la détention injuste soufferte. Au vu des conclusions auxquelles la Cour est parvenue aux paragraphes 72-76 ci-dessus, elle estime que les tribunaux internes ont garanti la jouissance effective du droit à la réparation de l’article 5 § 5 de la Convention.

78. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

79. En ce qui concerne les autres procédures, la Cour relève qu’aucune violation de l’article 5 §§ 1, 2, 3 ou 4 n’a été constatée, ni par les tribunaux internes ni même par la Cour. Il s’ensuit que l’article 5 § 5 ne trouve pas à s’appliquer à cet égard et le grief y relatif doit être rejeté en tant qu’incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, selon l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

VI. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DES ARTICLES 3 ET 5 DE LA CONVENTION

80. Le requérant affirme, ensuite, que les quatre mesures de détention provisoire qui se sont enchaînées visaient à l’amener à avouer, ce qui aurait entraîné la violation des articles 3 et 5 de la Convention.

81. Les articles 3 et 5 sont ainsi libellés :

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Article 5

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;

b) s’il a fait l’objet d’une arrestation ou d’une détention régulières pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi ;

c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;

d) s’il s’agit de la détention régulière d’un mineur, décidée pour son éducation surveillée ou de sa détention régulière, afin de le traduire devant l’autorité compétente ;

e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ;

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.

(...)

82. Ayant saisi les cours d’appel afin d’obtenir la réparation pour la détention injuste, le requérant estime qu’il aurait satisfait à la condition de l’épuisement des voies de recours internes.

83. La Cour relève que, afin de contester la légalité des quatre mesures de détention provisoire, le requérant aurait dû soit contester chaque mesure auprès des autorités nationales compétentes (notamment, le tribunal chargé de réexaminer les mesures de précaution) soit, en l’absence d’un recours interne accessible et effectif, saisir la Cour dans les six mois à partir de la fin de la dernière période de détention provisoire.

84. La Cour constate, d’une part, qu’il ne ressort pas du dossier que le requérant ait contesté auprès des tribunaux compétents les mesures de détention provisoire ordonnées dans le cadre de la première, la troisième et la quatrième procédure et, d’autre part, que pour les raisons exposées au paragraphe 79 ci-dessus la procédure en réparation pour détention injuste n’est pas un remède effectif afin de reconnaître l’injustice « formelle » d’une détention provisoire en l’absence d’une décision définitive préalable attestant l’illégalité de telle mesure. La Cour estime que ce grief devrait ainsi être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes. Toutefois, même à supposer qu’aucune voie de recours internes était en principe ouverte au requérant afin de soulever au moins en substance son grief, compte tenu du fait que la requête a été introduite le 22 mars 2007 et que le requérant a été définitivement remis en liberté le 13 octobre 1993, ce grief a été introduit au-delà du délai des six mois et doit être rejeté conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

VII. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

85. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

86. Le requérant réclamait 2 500 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral et 1 800 000 EUR au titre du préjudice matériel subi en raison des atteintes à ses droits garantis par les articles 3, 5, 6, 8, 13 de la Convention et 1 du Protocole no 1. Il soulignait, notamment, le fait qu’il avait fallu attendre plus de cinq ans « pour obtenir de misérables compensations [...] pour l’injuste détention provisoire et pour la durée anormale des procès (avec, en plus, une condamnation au paiement d’une somme anormale pour frais et dépens) ».

87. Le requérant demandait aussi 10 000 EUR qui constituent la somme à laquelle il avait été condamné par la Cour de cassation Pinto à titre de frais de la procédure (voir paragraphe 21 ci-dessus).

88. Le Gouvernement soutient que le requérant a demandé la satisfaction équitable seulement à l’égard du grief relatif à la détention provisoire injuste.

89. La Cour constate que, comme il ressort du paragraphe 90 ci-dessus, dans ses observations sur la satisfaction équitable le requérant a demandé la reparation des dommages moraux et patrimoniaux découlant non seulement de la durée des procédures portant sur la réparation pour détention injuste mais aussi de la durée des procédures Pinto et de la condamnation au paiement des frais et dépens par la Cour de cassation.

90. La Cour relève aussi que la seule base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside, en l’espèce, dans les violations de l’article 6 de la Convention (constatées aux paragraphes 31-35 et 38-45 ci-dessus).

91. Dans l’affaire Belperio et Ciarmoli c. Italie (no 7932/04, 21 décembre 2010), concernant la durée de procédures Pinto, la Cour a établi que, au vu des circonstances spécifiques des affaires, une approche uniforme s’imposait et une somme forfaitaire de 200 EUR a été accordée à chaque requérant. En l’espèce, toutefois, compte tenu des circonstances particulières de l’affaire et statuant en équité comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour estime équitable d’accorder globalement aux héritiers du requérant conjointement 1 500 EUR pour dommage moral.

92. En ce qui concerne le dommage matériel causé par la condamnation aux frais dans le cadre de la procédure devant la Cour de cassation Pinto (paragraphe 21 ci-dessus), eu égard au fait que la cour d’appel avait accordé au titre du dommage moral une somme considérée comme adéquate pour réparer la violation de l’article 6 de la Convention, la Cour estime raisonnable d’accorder aux héritiers du requérant conjointement 8 500 EUR.

B. Frais et dépens

93. Justificatifs à l’appui, le requérant demandait 71 000 EUR pour les frais de la procédure devant la Cour. Il demandait également à la Cour de lui accorder la somme de 40 000 EUR au titre des frais des procédures nationales.

94. Le Gouvernement soutient que les sommes réclamées sont en général excessives et celle relative à la procédure devant la Cour non pertinente.

95. La Cour rappelle que l’allocation des frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent aux violations constatées (voir, par exemple, Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002; Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 105, CEDH 2003-VIII).

96. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 2 000 EUR pour les frais de la procédure devant elle et l’accorde aux héritiers du requérant conjointement.

97. En ce qui concerne le restant de la demande, la Cour rappelle que les frais relatifs aux procédures nationales doivent avoir été nécessaires, c’est-à-dire que le requérant a dû les engager pour empêcher la violation ou y faire remédier. En l’occurrence, eu égard à la nature des violations de l’article 6 de la Convention constatées aux paragraphes 35 et 45 ci-dessus (durée des procédures Pinto et condamnation au paiement des frais de la procédure devant la Cour de cassation Pinto), la Cour estime que le requérant ne pouvait ou, selon le cas, n’était pas censé entamer aucune procédure pour empêcher les violations ou pour y remédier et n’a donc exposé aucun frais. Par conséquent, la Cour rejette la demande pour le surplus.

C. Intérêts moratoires

98. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de la durée des procédures Pinto et de la condamnation aux frais de la procédure devant la Cour de cassation Pinto et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 de la Convention (durée des procédures Pinto) ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 de la Convention (condamnation au paiement des frais de la procédure devant la Cour de cassation Pinto) ;

4. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser aux héritiers du requérant conjointement, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i) 1 500 EUR (mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii) 8 500 EUR (huit mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel ;

iii) 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les héritiers du requérant, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 novembre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stanley NaismithIşil Karakaş
GreffierPrésidente


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