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25/06/2019 | CEDH | N°001-194060

CEDH | CEDH, AFFAIRE MEHMET ULUSOY ET AUTRES c. TURQUIE, 2019, 001-194060


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE MEHMET ULUSOY ET AUTRES c. TURQUIE[1]

(Requête no 54969/09)

ARRÊT

Cette version a été rectifiée le 6 août 2019

conformément à l’article 81 du règlement de la Cour.

STRASBOURG

25 juin 2019

DÉFINITIF

04/11/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Mehmet Ulusoy et autres c. Turquie,[2]

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un

e chambre composée de :

Robert Spano, président,
Marko Bošnjak,
Işıl Karakaş,
Julia Laffranque,
Valeriu Griţco,
Ivana Jelić,
Arnfinn Bårdsen...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE MEHMET ULUSOY ET AUTRES c. TURQUIE[1]

(Requête no 54969/09)

ARRÊT

Cette version a été rectifiée le 6 août 2019

conformément à l’article 81 du règlement de la Cour.

STRASBOURG

25 juin 2019

DÉFINITIF

04/11/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Mehmet Ulusoy et autres c. Turquie,[2]

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Robert Spano, président,
Marko Bošnjak,
Işıl Karakaş,
Julia Laffranque,
Valeriu Griţco,
Ivana Jelić,
Arnfinn Bårdsen, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 mai 2019,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 54969/09) dirigée contre la République de Turquie et dont deux ressortissants de cet État, Mme Zeynep Ulusoy (« la requérante ») et son époux, M. Sebahattin Ulusoy (« le requérant »), agissant tant en leur propre nom qu’au nom de leur fils Mehmet Ulusoy (« Mehmet »), ont saisi la Cour le 6 octobre 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les intéressés ont été représentés par Me E. Kutlubay, avocat à Malatya. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

3. Sur le terrain des articles 3 et 6 de la Convention, les requérants dénonçaient des négligences médicales à l’issue desquelles Mehmet serait né avec une invalidité psychomotrice définitive. Ils se plaignaient également d’une inadéquation de la réaction judiciaire en l’espèce et, en particulier, d’une iniquité de la procédure administrative.

4. Le 25 juin 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement. Le 29 juin 2018, celui-ci a été invité à fournir des informations sur certaines questions de droit interne.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

A. La genèse de l’affaire

5. Les requérants sont nés respectivement en 1979 et en 1970, et Mehmet est né en 2001. La famille réside à Malatya.

6. À une date non précisée en 2001, pendant les premiers mois de sa grossesse, la requérante se rendit au centre de soins régional no 2 de Nevşehir, se plaignant d’œdèmes et de pics d’hypertension artérielle. Elle fut examinée par la sage-femme Ö.Ş., qui l’aurait renvoyée chez elle, sans mentionner l’éventualité d’une quelconque complication.

7. Au cours de son sixième mois de grossesse, la requérante déménagea à Malatya et, le 3 juillet 2001, elle fut examinée au service d’otorhinolaryngologie de l’hôpital civil de cette ville (« l’hôpital »).

8. Le 13 juillet 2001, la requérante se présenta à la polyclinique d’obstétrique de l’hôpital pour un examen. Le cahier d’enregistrement et le registre de la polyclinique contenaient respectivement les notes suivantes, non signées : « enceinte de 8 mois – Tension 10/7 » et « Tension 90/70 mm Hg ».

9. Le 17 juillet 2001, la requérante se présenta à nouveau à l’hôpital, souffrant d’œdèmes diffus ainsi que d’une hypertension. À ses dires, selon une sage-femme, tout paraissait normal et elle pouvait rentrer chez elle.

Le 20 juillet 2001, la requérante perdit connaissance et fut reconduite à l’hôpital. Elle se plaignait toujours d’œdèmes et d’hypertension. Les sages‑femmes l’auraient néanmoins convaincue qu’elle pouvait retourner chez elle, sans passer aucun examen.

10. À cet égard, le Gouvernement s’appuie sur les explications fournies le 14 août 2012 – soit après la communication de la présente requête – par V.N.T., l’adjoint du médecin en chef de l’hôpital (« l’adjoint V.N.T. »), selon lesquelles, les 17 et 20 juillet 2001, la requérante s’est bel et bien présentée à l’hôpital (paragraphe 9 ci-dessus), mais a en fait « décidé, de son propre chef, de ne pas se faire examiner, c’est-à-dire [a] renoncé à la consultation et quitté l’hôpital (...), sans doute du fait de son préjugé contre un médecin de sexe masculin ». D’après le Gouvernement, la requérante n’a donc subi à l’hôpital aucun examen prénatal de la part d’un obstétricien, avant son admission, le 30 juillet 2001 (paragraphe 12 ci-dessous), pour son accouchement.

11. Selon la version des requérants, le 20 juillet 2001, ce sont les médecins qui ont refusé d’examiner la requérante et de prescrire des tests, entre autres, d’échographie et de radiologie, laissant entendre que, pour cela, il fallait passer par leurs cabinets privés respectifs. Les requérants en veulent pour preuve une facture pour une consultation et des tests cliniques d’un montant de 57 900 000 anciennes livres turques (TRL), émise le 20 juillet 2001 par l’hôpital. Il ressort du dossier que des poursuites pénales ont été déclenchées à ce sujet contre un employé du service de facturation de l’hôpital pour faux et usage de faux (paragraphe 44 ci-dessous).

12. Le 30 juillet 2001, soit dix jours avant la date prévue du terme, la requérante, se sentant très mal, retourna à l’hôpital. Après avoir été examinée par la sage-femme S.K., elle fut immédiatement préparée pour un accouchement par voie basse. Elle fut conduite en salle de naissance et un obstétricien fut averti que le travail avait débuté. L’obstétricien en question, après l’avoir auscultée, se serait écrié : « Pourquoi n’est-elle pas allée voir un docteur pour son œdème ! ».

13. Dans la salle d’accouchement, la sage-femme S.K. et une assistante provoquèrent la perte du liquide amniotique, décrit comme étant « de couleur verte et sale » (voir la note de bas de page no 4). Cependant, le col de l’utérus n’étant pas suffisamment ouvert, S.K. décida de faire attendre la requérante. Dès que les contractions recommencèrent, celle-ci fut reconduite au bloc. La requérante ne parvenant pas à donner naissance, S.K. procéda à une épisiotomie importante afin d’ouvrir le périnée.

14. Mehmet naquit vers 19 h 40, à l’issue d’un travail de trois heures et demie. Pesant 2 kg 300, il présentait une cyanose et une asphyxie, et son tableau clinique correspondait à un score Apgar[3] inquiétant de 3 ; il dut être réanimé et placé en incubateur.

15. Le lendemain, l’état de santé du nouveau-né se détériora et celui-ci fut transféré à l’hôpital universitaire d’İnönü (« l’hôpital d’İnönü »). L’annotation suivante fut apposée sur la fiche de soins : « pré‑éclampsie (+)[4], sous surveillance pour EHI[5], SAM[6], sepsis ». Les médecins observèrent que les fonctionnalités cérébrales du bébé se trouvaient considérablement diminuées en raison d’un manque d’oxygénation.

16. Aux dires des requérants, les médecins de l’hôpital d’İnönü leur avaient expliqué que, en raison de la pré-éclampsie, une césarienne en urgence s’imposait en l’occurrence afin de minimiser les risques. Toujours à leurs dires, les médecins leur avaient indiqué que, à cause de la prolongation de l’accouchement, le bébé avait été privé d’oxygène et avait inhalé son méconium, et que les conséquences neurologiques réelles ne pourraient être constatées qu’à l’âge de deux ans.

17. Le 12 novembre 2001, Mehmet fut examiné à l’hôpital de la faculté de médecine de l’université d’Erciyes (« l’hôpital d’Erciyes »). Le rapport de consultation faisait état d’un traitement pour le EHI, ainsi que d’une « atrophie, plus franche au côté gauche » au niveau du cerveau sur l’épreuve d’imagerie par résonnance magnétique (IRM). Selon les médecins, Mehmet, ayant souffert du SAM et étant né avec un score Apgar 3, présentait un déficit psychomoteur ainsi qu’une déficience mentale permanente.

B. Les procédures diligentées en l’espèce

1. La procédure disciplinaire

18. Le 26 février 2003, les requérants demandèrent au ministère de la Santé (« le ministère ») l’ouverture d’une enquête disciplinaire contre la sage-femme S.K. ainsi que les médecins T.M.P., A.İ.Y. et K.A. de l’hôpital, impliqués dans le suivi prénatal, le travail et l’accouchement de la requérante, pour fautes et négligences médicales, perte du dossier médical de la requérante, et faux et usage de faux.

Le 14 mai 2003, la requérante porta également plainte contre la sage‑femme Ö.Ş. du centre de soins régional no 2 de Nevşehir, au motif que cette dernière avait manqué de l’informer sur les risques liés à la pré‑éclampsie (paragraphe 6 ci-dessus).

19. Le 25 juin 2003, les instances disciplinaires près le ministère apprirent que l’inspecteur chargé d’enquêter sur les allégations des requérants (il s’agit, selon toute vraisemblance, du chirurgien E.M., alors adjoint du médecin en chef de l’hôpital – « l’adjoint E.M. ») avait conclu qu’aucune mesure ne s’imposait à l’encontre de Ö.Ş. ni du personnel de l’hôpital et que, par conséquent, le dossier avait été classé sans suite en date du 23 juin 2003.

Par une lettre du 2 juillet 2003, les autorités informèrent la requérante qu’il n’y avait pas lieu de diligenter des procédures disciplinaires contre le personnel en question.

2. La procédure pénale

20. À une date non précisée, les requérants déposèrent une plainte formelle devant le parquet de Malatya contre le personnel de santé susmentionné (paragraphe 18 ci-dessus), par laquelle ils dénonçaient une série de négligences ayant entraîné un handicap permanent chez leur fils.

21. En application de la loi no 4483 (paragraphe 46 ci-dessous), le parquet demanda à la préfecture de Malatya, dont relevaient les mis en cause, l’autorisation d’ouvrir des poursuites. Ladite préfecture missionna l’adjoint E.M. (paragraphe 19 ci-dessus) pour effectuer une enquête préliminaire et établir les éventuelles responsabilités.

22. Le 5 avril 2003, trois fonctionnaires de la préfecture, accompagnés du médecin en chef de l’hôpital, examinèrent les cahiers d’enregistrement des polycliniques de l’hôpital, d’après lesquels la requérante ne s’était présentée à la polyclinique d’obstétrique que les 13 et 30 juillet 2001 (paragraphes 8 à 12 ci-dessus).

23. Le 16 avril 2003, l’adjoint E.M. informa la préfecture de la perte du dossier médical de la requérante, selon lui nécessaire pour la conduite d’une enquête effective.

Sur ce, le 1er mai 2003, la préfecture chargea le médecin R.Y. de mener des investigations concernant la disparition dudit dossier. L’inspecteur R.Y. conclut que rien ne permettait de penser que le personnel « responsable des archives » de l’hôpital eût été fautif à cet égard.

24. À cette dernière date également, l’adjoint E.M. soumit son rapport d’enquête, qu’il disait avoir préparé après avoir consulté l’obstétricien A.G. et le pédiatre M.G. du même hôpital.

25. Dans ce document, admettant qu’il n’avait pas été possible d’élucider davantage les faits en l’absence du dossier médical de la requérante, l’adjoint E.M. observait, entre autres, ce qui suit : la requérante s’était présentée pour la première fois à l’hôpital le 3 juillet 2001 au service d’otorhinolaryngologie, avant d’être transférée au service des maladies pulmonaires pour une infection ; elle avait subi un second examen le 13 juillet 2001, accompagné d’une prise de tension et d’un contrôle du rythme cardiaque fœtal ; son tableau clinique était apparu comme étant normal et n’avait pas rendu nécessaires des examens ultérieurs.

Se référant aux recherches effectuées le 5 avril 2003 sur les registres de l’hôpital (paragraphe 22 ci-dessus), l’adjoint E.M. indiquait qu’aucun registre ne relevait la présence de la requérante à l’hôpital les 17 et 20 juillet 2001. Aussi, selon lui, la facture datée du 20 juillet 2001 pour « des soins administrés et tests effectués le 18 juillet 2001 » (il s’agit en fait du 17 juillet 2001) devait-elle provenir d’une erreur de l’administrateur informatique de l’hôpital (paragraphe 11 ci-dessus).

L’adjoint E.M. concluait que, après avoir été formellement hospitalisée le 30 juillet 2001, la requérante avait été transférée à la maternité et qu’elle y avait été soumise aux interventions habituelles et avait subi une épisiotomie. Il ajoutait que, après l’accouchement, elle avait été conduite en salle de maternité et que, de son côté, le nouveau-né avait été transféré au service de néonatologie pour être placé en couveuse, en raison de son état général préoccupant.

26. L’adjoint E.M. notait que Mehmet avait reçu tous les soins nécessaires avant qu’il ne fût décidé de le transférer vers un hôpital universitaire. Selon lui, ainsi que cela avait été confirmé par l’obstétricien A.G. et le pédiatre M.G. (paragraphe 24 ci‑dessus), les déficiences physique et psychique constatées chez Mehmet ne résultaient pas des interventions médicales effectuées avant et après l’accouchement : de l’avis de cet inspecteur, l’enfant avait souffert d’un retard de croissance intra-utérine qui ne pouvait faire l’objet ni d’une détection ni d’un traitement à une date aussi proche que le jour de sa naissance, car cela aurait nécessité l’établissement d’un rapport de recherches génétiques. Pour l’adjoint E.M., « les doléances des plaignants dénotaient plutôt un comportement affectif propre à une mère et à un père, mais ne reflétaient pas la réalité » ; à ses yeux, il n’y avait dès lors pas lieu d’autoriser le parquet à poursuivre le personnel mis en cause.

27. Le 8 mai 2003, en dépit de cette conclusion, le préfet de Malatya accorda l’autorisation demandée, estimant que les allégations des requérants étaient défendables.

28. Le personnel visé forma opposition contre la décision du préfet devant le tribunal administratif régional de Malatya. Le 4 juillet 2003, cette juridiction censura la décision préfectorale. Se fondant sur le rapport du 1er mai 2003 de l’adjoint E.M. (paragraphes 24 à 26 ci-dessus), les juges conclurent comme suit :

« il ressort du rapport (...) d’enquête préliminaire que les médecins T.M.P., A.İ.Y. et K.A. ainsi que la sage-femme S.K. ont procédé aux contrôles, examens et soins prénataux et postnataux nécessaires, qu’ils n’ont commis aucune erreur personnelle [relativement à] la survenance du retard de développement psychique et cérébral du nouveau-né, ni n’ont négligé leurs fonctions ou perpétré les délits qui leur sont reprochés (...) ».

29. Cette décision fut notifiée aux requérants le 18 juillet 2003. Le 7 janvier 2004, ces derniers saisirent le ministère de la Justice aux fins de l’introduction d’un recours dans l’intérêt de la loi. Le 12 février 2004, cette demande fut rejetée.

3. L’action administrative de pleine juridiction

30. Le 26 février 2003, les requérants saisirent le ministère d’une demande préalable d’indemnisation pour faute de service, par laquelle ils réclamaient 20 milliards de TRL en réparation du préjudice moral qu’ils disaient avoir subi et 300 milliards de TRL pour dommage matériel (soit environ 11 500 euros (EUR) et 172 500 EUR, respectivement, à cette date).

Le 14 avril 2003, le ministère rejeta cette demande.

31. Les requérants introduisirent alors une action de pleine juridiction devant le tribunal administratif de Malatya (« le TAM »), arguant que leur fils était frappé d’une infirmité psychomotrice permanente en raison de fautes lourdes de service « commises avant et après l’accouchement ». Ils réclamèrent les mêmes sommes que précédemment.

32. Le 27 avril 2005, tout en prenant acte de la perte du dossier médical de la requérante, le TAM chargea le 3e conseil d’experts de l’Institut médicolégal (« le conseil d’experts ») de se prononcer, « à partir des documents existants », sur la question de savoir si l’état de Mehmet « était résulté d’actes fautifs commis avant et après la naissance ».

Le 21 novembre 2005, le conseil d’experts demanda au TAM de lui fournir, entre autres, les originaux des documents médicaux concernant la requérante et Mehmet.

33. Le conseil d’experts entendit la requérante, qui résuma les faits tels qu’exposés par elle aux paragraphes 6 à 9 et 11 à 13.

Il recueillit aussi les déclarations de la sage-femme Ö.Ş., qui nia toute responsabilité dans les événements en cause, ainsi que celles de la sage‑femme S.K., qui s’exprima comme suit :

« Si l’on n’a pas éprouvé le besoin d’appeler un médecin spécialiste, c’est qu’il n’y a sûrement pas eu de soucis pendant l’accouchement (...), mais si les registres indiquent qu’il y a eu transfert [du nouveau-né] dans une couveuse, c’est qu’on a bien été obligé de l’y envoyer, sans doute parce qu’il présentait une asphyxie ou un autre problème. »

De son côté, le médecin T.M.P., également entendu par le conseil d’experts, déclara qu’il ne se souvenait plus de grand-chose quant à cet incident. Il indiqua qu’il n’avait pas pu retrouver le dossier de la patiente dans les archives et que, par conséquent, il avait dû retracer le parcours de celle-ci en étudiant les différentes notes d’hôpital, qui, selon lui, « donnaient à penser à un retard de développement intra-utérin ».

Les médecins A.İ.Y. et K.A. ne furent pas entendus.

34. Par ailleurs, le conseil d’experts examina les éléments qui ressortaient des fiches de surveillance de la grossesse, d’une note explicative rédigée le 28 janvier 2003 par le médecin dénommé « M. Turgut Pektek[7] », d’un rapport rédigé à cette même date par K.A., d’un rapport dressé le 4 avril 2003 par A.İ.Y., de certaines photocopies de registres hospitaliers, du dossier médical de Mehmet, du dossier médical et des rapports « épicrise » conservés à l’hôpital d’İnönü, ainsi que du rapport de l’hôpital d’Erciyes concernant l’évaluation du déficit neurologique de Mehmet.

35. Le 19 décembre 2005, le TAM demanda audit conseil de déterminer en outre le degré de déficience mentale de Mehmet.

36. Le 23 décembre 2005, les experts auscultèrent l’enfant. Celui‑ci, atteint de microcéphalie, ne pouvait pas communiquer. Il fut décidé de l’envoyer à la faculté de médecine de Cerrahpaşa de l’université d’Istanbul, pour examen.

37. Le 27 décembre 2005, une neurologue pédiatrique de ladite faculté, la professeure S.P.K., examina Mehmet. Elle écrivit ce qui suit à son sujet :

– l’examen d’IRM crânienne du 12 avril 2005 (effectué alors que le patient avait 3 ans et 9 mois) ne fait pas état d’une « atrophie franche » dans les zones artérielles médianes du cerveau et il est donc improbable que l’enfant ait été atteint d’une microcéphalie associée à un traumatisme subi pendant l’accouchement ; s’il est vrai que l’IRM en question mentionne une atrophie, celle-ci n’est pas franche, et, quand bien même elle le serait, elle n’est pas de nature à expliquer une microcéphalie liée aux conditions de l’accouchement ;

– le tableau clinique de l’enfant s’explique plutôt par une causalité multi-factorielle et le traumatisme de l’accouchement ne peut qu’avoir participé au déclenchement d’une pathologie déjà existante ;

– vu que l’enfant est né, par voie basse, dix jours avant le terme avec une aspiration méconiale et un score Apgar 3, puis qu’il a été soigné en couveuse pour le sepsis, la microcéphalie et l’autisme dont il souffre actuellement ne sauraient être attribués à un traumatisme de l’accouchement.

38. Le 26 mai 2006, le conseil d’experts tint sa réunion, à laquelle aurait participé, à titre ad hoc, en sa qualité de spécialiste, le professeur d’obstétrique et de gynécologie R.M. Dans le rapport établi par ses soins, ledit conseil émit, à l’unanimité, l’avis suivant :

« 1- Au regard des dispositions du règlement no 85/9529 (...), Mehmet ULUSOY, né le 30 juillet 2001, est atteint d’une incapacité de travail à hauteur de 100 % (...) ;

2- Nonobstant l’absence d’informations, telles que les résultats de l’ERF[8] ou les documents médicaux relatifs au déroulement du travail d’accouchement réalisé le 30 juillet 2001 à l’hôpital civil de Malatya (...), il y a lieu d’observer que pendant les cinq premiers mois ayant suivi la naissance le développement de l’enfant s’est déroulé normalement, que [celui-ci] n’a pas montré la plupart des signes cliniques propres au tableau de manque d’oxygène cérébral durant l’accouchement, que – même si les épreuves de radiologie ont révélé des lésions ischémiques – il n’en demeure pas moins que les pathologies en cause pourraient aussi bien résulter d’un sepsis néonatal (état infectieux lourd affectant tous les systèmes corporels) ;

Par conséquent, il n’y a pas de preuves médicales suffisantes pour établir un lien de causalité entre le tableau clinique actuel et l’acte d’accouchement ;

3- Que la surveillance prénatale a été conforme aux règles de la médecine. »

39. Les requérants contestèrent ce rapport devant le TAM. Ils déplorèrent qu’en l’espèce le conseil d’experts eût évoqué l’insuffisance de documents médicaux propres à établir un lien de causalité entre l’état de leur fils et l’acte d’accouchement alors que, selon eux, ladite insuffisance était elle-même due à la perte aussi « inexpliquée » que « douteuse » du dossier médical de la requérante. S’interrogeant sur la question de savoir comment une expertise judiciaire pouvait passer pour satisfaisante si elle ne reposait pas sur une information complète, les requérants demandèrent à ce qu’une nouvelle expertise fût réalisée par l’assemblée plénière de l’Institut médicolégal.

40. Par un jugement du 15 septembre 2006, sans se prononcer sur cette demande de nouvelle expertise, le TAM débouta les requérants. Dans cette décision, faisant leurs les conclusions du conseil d’experts, les juges se disaient convaincus que Mehmet n’avait pas été victime d’une quelconque inattention médicale.

Ainsi, d’après le TAM, « les circonstances tant antérieures que postérieures » à l’accouchement ne révélaient aucune faute de service attribuable au ministère, encore moins une « faute lourde » susceptible d’appeler une réparation.

41. Par un mémoire du 29 janvier 2007, complété le 31 janvier 2007, les requérants se pourvurent devant le Conseil d’État.

Dans le cadre de ce pourvoi, leur avocat indiqua que, le 20 juillet 2001, sa cliente s’était rendue à l’hôpital, se plaignant d’œdèmes et d’hypertension – signes précurseurs d’une pré-éclampsie –, mais qu’une sage-femme l’avait renvoyée chez elle, sans examen, en faisant fi de ces symptômes (paragraphes 9 et 11 ci-dessus). Il précisa que, malgré ce tableau, sa cliente avait subi un accouchement par voie basse et qu’aucun obstétricien n’était venu à son aide alors que sa tension aurait frôlé les 17-18. D’après l’avocat, le personnel médical, qui n’avait prodigué aucun soin prénatal, n’avait rien fait non plus à l’égard du nouveau-né, qui avait été gardé pendant trois jours en couveuse sans aucun traitement, jusqu’à ce que l’on se rendît compte qu’il fallait le transférer à l’hôpital d’İnönü. Toujours d’après l’avocat, la disparition « douteuse » du dossier médical de la requérante (dossier no 157867), auquel se référaient les factures de l’hôpital, ne pouvait être attribuée qu’aux professionnels fautifs, soucieux de couvrir leurs méfaits.

Concluant ainsi à l’existence d’une faute de service à la charge de l’hôpital, l’avocat se référa à quatre précédents du Conseil d’État ayant sanctionné un mauvais fonctionnement du service de la santé, une incompatibilité des actes médicaux avec les règles de l’art, des retards injustifiés dans les interventions médicales et un manque de formation du personnel.

42. Le 30 mai 2008, le requérant déposa un mémoire complémentaire devant le Conseil d’État. Remettant en cause l’impartialité du conseil d’experts et de la professeure S.P.K. (paragraphe 37 ci-dessus) – qui, selon lui, n’avaient cherché qu’à protéger les intérêts de leurs confrères –, il indiqua que le rapport de l’Institut médicolégal ne contenait aucune opinion signée par le professeur R.M., (paragraphe 38 in limine ci‑dessus), censé avoir participé à son élaboration. Il souleva les questions suivantes :

« – à supposer que l’original du dossier médical de [son] épouse eût été réellement égaré par inadvertance, qu’était-il advenu de sa copie certifiée, qui devait légalement être archivée à toutes fins judiciaires ?

– si [son] fils était déjà atteint d’un sepsis aussi sévère avant sa naissance, comment aurait-il pu avoir un développement normal pendant les cinq mois qui avaient suivi ?

– à supposer que ce fût le cas, qu’est-ce qui se serait alors passé au cinquième mois pour que l’enfant devienne subitement handicapé à vie ?

– pourquoi le conseil d’experts avait-il éludé l’omission en l’espèce d’une césarienne, alors qu’il est scientifiquement notoire que cela s’impose en cas de pré-éclampsie, faute de quoi le fœtus souffrira inévitablement d’une détresse qui entraînera une défaillance, accompagnée d’un SAM, lequel provoquera un sepsis qui, à son tour, affaiblira le fœtus, qui se coincera [alors] dans le canal pelvien pour finir par s’asphyxier ?

– pourquoi le rapport était-il également muet sur la question de savoir comment un accouchement présentant un tel risque avait pu être confié à une sage-femme, en violation de la réglementation stricte en la matière ? »

43. Par un arrêt du 16 février 2009, le Conseil d’État, sans répondre aux moyens susmentionnés, confirma le jugement attaqué.

4. L’action publique pour faux et usage de faux

44. Le 4 mai 2005, le parquet de Malatya mit H.G.K., un employé du service de facturation de l’hôpital, en accusation devant la cour d’assises de Malatya pour faux et usage de faux, en raison de l’émission le 20 juillet 2001 d’une facture d’un montant de 57 900 000 TRL, correspondant à des examens et tests d’échographie qui auraient eu lieu le 17 juillet 2001 (paragraphe 11 ci-dessus).

Lors de la procédure, il s’avéra que le dossier contenait une « note de renvoi pour consultation » datée du 17 juillet 2001, signée et tamponnée par le médecin M.B. en tant que « celui ayant examiné » la requérante. Les juges répressifs conclurent que la requérante avait donc bien été examinée à cette dernière date et que la facture enregistrée ultérieurement, le 20 juillet suivant, devait correspondre au coût de cette consultation. Ils estimèrent en revanche que, le dossier médical de la requérante ayant été égaré, il n’était pas possible d’associer cette facture avec un quelconque acte de laboratoire.

45. Par un arrêt du 13 décembre 2005, la cour d’assises relaxa H.G.K., estimant que son geste, limité à la facturation d’examens enregistrés sur l’ordinateur par les médecins, correspondant en l’occurrence à la consultation du 17 juillet 2001, n’était pas constitutif d’un faux en écriture publique.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES

A. Le régime relatif à la poursuite des fonctionnaires

46. Il convient de renvoyer à l’arrêt Aydoğdu c. Turquie (no 40448/06, 30 août 2016, §§ 37 à 39), s’agissant du système prévu par la loi no 4483 du 2 décembre 1999 sur la poursuite des fonctionnaires et autres agents publics (« la loi no 4483 »).

B. Le régime relatif aux expertises médicales

47. Le régime concernant les expertises médicales judiciaires en droit turc est également exposé dans l’arrêt Aydoğdu, précité (§§ 45 à 47).

À ce sujet, le Gouvernement indique que, à l’époque des faits, l’Institut médicolégal – un organe public instauré par la loi no 2659 du 14 avril 1982 – était qualifié d’« expert officiel » et que, d’après le Conseil d’État, trancher une affaire de négligence médicale sans préalablement obtenir un rapport de sa part constituait un motif de cassation (arrêt no E.2004/13189 ‑ K.2007/2357 du 7 mai 2007, 10e chambre), bien que sa compétence ne fût pas légalement exclusive (arrêt no E.2013/4101 ‑ K.2014/4341 du 27 mai 2014, 15e chambre).

Le Gouvernement se réfère en outre à la jurisprudence du Conseil d’État pour apporter des précisions sur ce régime. Dans sept arrêts de cette haute juridiction, il est dit que tout jugement sur la question de savoir si, en l’occurrence, le service public de la santé a été défaillant ou non, doit être rendu « après examen de l’Institut médicolégal ». Par ailleurs, il est énoncé qu’aucun jugement au fond ne peut être rendu sans communication préalable du rapport de l’Institut médicolégal aux parties pour observations (arrêt no E.2009/7417 - K.2009/6945 du 24 novembre 2009, 8e chambre). Lorsque le premier rapport établi par un organe de l’Institut médicolégal fait l’objet d’oppositions de la part des parties, celui-ci doit être sollicité à nouveau pour la présentation d’un rapport motivé, répondant aux questions soulevées par les parties (arrêt no E.2013/10867 - K.2014/3968 du 21 mai 2014, 15e chambre). Au cas où le premier rapport d’un conseil d’experts ne serait pas conclusif, les juges doivent porter l’affaire devant l’assemblée plénière de l’Institut médicolégal puis la résoudre en s’alignant sur le rapport de cette dernière (arrêts no E.2005/2251 - K.2006/3102 du 22 mai 2006, no E.2004/13045 - K.2006/3594 du 29 mai 2006, et no E.2007/3472 ‑ K.2009/2556 du 31 mars 2009, 10e chambre).

48. Le Gouvernement expose aussi que, concernant la qualité probante d’un rapport de l’Institut médicolégal, le Conseil d’État accorde du poids à la composition du collège qui l’a rédigé. À cet égard, il attire l’attention de la Cour sur la position du Conseil d’État, selon laquelle un médecin spécialiste de l’objet même du litige doit faire partie du conseil d’experts appelé à se prononcer, étant entendu que les juges ne peuvent s’appuyer sur un rapport de l’Institut médicolégal contenant une analyse vague et incomplète (arrêts no E.2013/4236 - K.2014/3652 du 13 mai 2014, et no E.2013/10484 - K.2014/3958 du 21 mai 2014, 15e chambre).

49. Aux termes de la loi no 2659 sur l’Institut médicolégal, le 3e conseil d’experts (paragraphe 32 ci-dessus) est constitué d’un président, de deux experts légistes et d’un médecin spécialiste dans chacune des disciplines suivantes : orthopédie-traumatologie, chirurgie générale, neurologie, gastroentérologie, pneumologie, cardiologie, urologie, oncologie, psychiatrie et chirurgie neuro-cérébrale.

En vertu de l’article 23-B de la loi no 2659, les décisions des conseils d’experts sont soumises à un quorum de quatre membres et sont prises à la majorité, le vote du président étant décisif. Il n’est pas possible de délibérer en l’absence du membre spécialiste de la discipline médicale afférente à l’objet du litige sous examen. Par ailleurs, aux termes de l’article 24-II a) de ladite loi, tel que modifié par la loi no 4810 du 19 février 2003, en cas d’absence en son sein d’un tel membre, un conseil d’experts peut inviter le membre d’un autre conseil, spécialiste en la matière. Ce dernier participe aux délibérations et vote.

C. Le principe de « l’instruction d’office » en droit administratif turc

50. En droit turc, le principe de « l’instruction d’office » (Aydoğdu, précité, § 46 in fine), qui régit uniquement les procédures de première instance dans le contentieux administratif, ressort de l’article 20 du code de procédure administrative no 2577, selon lequel les juridictions administratives « sont tenues d’entreprendre d’office tous les examens relatifs aux actions devant elles ».

D’après la jurisprudence constante du Conseil d’État, en vertu de cette disposition, le juge administratif procède à toutes les recherches et appréciations nécessaires pour trancher, sans avoir à être sollicité par les parties à cette fin, et il se doit d’instruire d’office même les éléments jamais invoqués par les parties. Le pouvoir du juge sur la qualification des faits, l’administration des preuves, le choix du droit applicable et la solution du litige est absolu (voir, par exemple, l’arrêt no E. 1996/5646 - K. 1997/3401 du 6 novembre 1997, 9e chambre, et l’arrêt no E. 2011/2498 - K. 2015/6238, du 26 novembre 2015, 12e chambre).

51. Le Gouvernement expose que l’article 31 du code susmentionné, relatif à la désignation d’experts judiciaires par les juridictions administratives, illustre une application du principe de « l’instruction d’office ». En effet, selon cette disposition, le régime établi par le code de procédure civile no 1086 (« l’ancien CPC »), en vigueur à l’époque des faits, s’appliquait généralement aux expertises judiciaires du contentieux administratif, à cette différence que « (...) la désignation des experts [était] faite d’office par le juge ou le tribunal [administratif] ou le Conseil d’État », lorsqu’ils agissaient en qualité de juridictions de première instance.

Le Gouvernement ajoute que, cela étant, à l’époque, les autres dispositions de l’ancien CPC demeuraient applicables par analogie. Ainsi, jusqu’en 2009, la partie demanderesse avait la possibilité de récuser les experts désignés d’office, en vertu de l’article 227 de l’ancien CPC. De même, si les questions à adresser aux experts étaient décidées par les juges, rien n’empêchait la partie demanderesse de proposer d’autres questions ou de formuler des objections, étant entendu qu’en ultime lieu celle-ci pouvait également former une opposition contre le rapport d’expertise.

Il appartenait aux juges, après l’examen par eux des arguments présentés, de se prononcer, au cas par cas, sur la suite à donner concernant les questions à adresser ou une contre-expertise. À cet égard, le Gouvernement renvoie à une trentaine d’exemples de décisions rendues par le Conseil d’État.

D. La protection des dossiers médicaux

52. Selon les informations fournies par le Gouvernement, en ce qui concerne la protection des données médicales, l’article 72 de la loi no 1219 du 11 avril 1928 est ainsi libellé :

« Dans l’exercice de leur art, les médecins (...) et les sages-femmes sont obligés de tenir un cahier de protocole aux fins de l’inscription des nom et identité des patients (...). Dans les procédures (...), les inscriptions de ces cahiers peuvent être invoquées en tant que preuve en faveur de l’intéressé (...) »

D’après l’article 73 de ladite loi, quiconque procède à une fausse inscription sur les cahiers de protocole ou altère leur contenu est jugé au pénal pour faux et usage de faux.

53. Dans sa version en vigueur à l’époque pertinente, l’article 32 du règlement no 8/5819 sur la gestion des établissements hospitaliers proposant des soins alités, publié au Journal officiel du 13 janvier 1983, disposait ce qui suit :

« Dans chaque établissement [proposant] des soins alités, des archives médicales centrales sont créées. Tous les dossiers traités, les travaux scientifiques et les évaluations statistiques de tous les services et, dans la mesure du possible, des polycliniques seront conservés selon un ordre et un système en vue d’être utilisés lors du retour des patients.

Afin [de permettre de retrouver] aisément et promptement un dossier, seront mis en place des systèmes de cartothèque propres à faciliter les recherches à partir des numéros de protocole, des maladies, des noms ou d’autres critères. »

Le paragraphe suivant a été ajouté à ce texte, le 5 mai 2005 :

« Le fonctionnement des archives médicales centrales sera régi par un règlement intérieur publié par le ministère de la Santé[9]. »

54. Pour ce qui est des soins d’urgence, l’article 34 § 1 du règlement no 24046 du 11 mai 2000 sur les services de soins d’urgence était ainsi libellé :

« Les inscriptions relatives aux services fournis sont conservées selon les dispositions de la législation y afférente. »

À l’époque pertinente, la législation en question – à laquelle il était fait référence – était le règlement sur les services d’archivage de l’État (paragraphe 55 ci-dessous).

55. Jusqu’à la promulgation, le 6 novembre 2011, de l’arrêté no 10588 sur les services d’enregistrement et d’archivage médicaux dans les établissements hospitaliers, les modalités de protection des données médicales étaient régies par le règlement sur les services d’archivage de l’État, publié au Journal officiel du 16 mai 1988. Telles que définies dans ce règlement, les « archives de service » désignaient les unités d’archivage où était conservé le matériel informatif généré de facto par les activités quotidiennes de différents établissements publics, dont les hôpitaux. Les dispositions pertinentes en l’espèce dudit règlement se lisaient ainsi :

Article 4

« Les responsables sont tenus de protéger le matériel d’archives (...) à leur disposition contre tout élément et impacts nocifs et de le conserver après l’avoir classifié en tant que tel et en l’état. »

Article 5

« Les responsables doivent créer des « archives de service » pour le matériel d’archives qu’ils devront conserver un certain temps et des « archives d’établissement » pour le matériel d’archives (...) qui sera gardé plus longtemps.

Les responsables gardent le matériel d’archives dans les archives de service pour une durée de 1 à 5 ans ; dans les archives d’établissement, le matériel d’archives est gardé pour une durée de 10 à 14 ans. »

Article 17

« Les services peuvent, en cas de besoin, récupérer un dossier des archives de service pour contrôle ou examen, à condition de ne pas le faire sortir à l’extérieur.

Le dossier pris des archives de service est rendu après examen. »

56. Le Gouvernement expose que la perte de dossiers des patients établis et conservés par les services hospitaliers constitue une violation des dispositions susdécrites. En la matière, d’après la jurisprudence constante du Conseil d’État, la perte de dossiers médicaux s’analyserait en une « gestion défaillante du service public de la santé » (sağlık kamu hizmetinin kusurlu işletilmesi), entraînant une responsabilité pour l’administration de dédommager les personnes lésées. À cet égard, le Gouvernement se réfère à des précédents significatifs de la 10e chambre du Conseil d’État, laquelle était compétente ratione materiae pour connaître des litiges relatifs au service public de la santé, et ce jusqu’au 26 décembre 2012, date à laquelle la 15e chambre de la haute juridiction a pris le relais et a consolidé la jurisprudence précédente[10].

57. À titre d’exemple, dans le cadre d’un pourvoi formé contre une décision de première instance ayant rejeté une action de pleine juridiction au motif que, en raison de la perte du dossier médical du patient, l’Institut médicolégal n’avait pas été à même d’établir un lien de causalité entre une faute imputable à l’administration hospitalière et l’amputation subie par le plaignant, le Conseil d’État a précisé que la tâche des juges consistait non seulement à établir les faits à l’origine du préjudice allégué, mais aussi à relever les répercussions juridiques qui pouvaient en découler (arrêt no E. 2007/3301 - K. 2008/2939 du 29 avril 2008, 10e chambre). Il a conclu qu’en l’occurrence le fait pour l’établissement hospitalier d’avoir manqué de protéger les épreuves des examens subis par le patient et d’avoir égaré le dossier médical de ce dernier constituait une faute lourde dans l’exécution du service de la santé. Il a aussi jugé que le fait que l’administration était incapable de fournir les documents et enregistrements médicaux requis s’analysait de surcroît en une entrave au contrôle juridictionnel de la question de savoir si l’administration était responsable ou non du préjudice causé au patient. Pour la haute juridiction, il aurait dès lors fallu accueillir la demande de réparation au titre du dommage moral.

58. Dans une autre affaire soumise au Conseil d’État, qui portait également sur le rejet d’une action de pleine juridiction, l’Institut médicolégal avait estimé que le préjudice dénoncé était résulté d’une complication médicale connue, bien qu’il n’eût pas été possible d’évaluer l’adéquation du traitement prodigué avec la maladie du patient en raison de l’impossibilité pour l’hôpital mis en cause de fournir les radiographies préopératoires. Partant, le tribunal de première instance avait estimé que les allégations de négligences médicales ne se trouvaient pas établies et qu’il n’appartenait pas à l’administration de prouver qu’aucune erreur ne lui était imputable. Dans sa décision (arrêt no E. 2009/9151 - K. 2011/5976 du 27 décembre 2011, 10e chambre), le Conseil d’État a confirmé que le fait que les inscriptions manquaient ou étaient incomplètes ou que les résultats des examens et des consultations n’étaient pas préservés était, en soi, constitutif d’un dysfonctionnement du service de la santé. Il a estimé que pareil manquement ne permettait pas de supposer que l’acte médical était réellement erroné et que, par conséquent, l’administration ne pouvait être tenue de dédommager le patient au titre du dommage matériel. Il a en revanche jugé que la perte des radiographies constituait une faute de service qui avait entravé l’évaluation du traitement prodigué au patient. Il a ainsi considéré que l’incertitude juridique qui en découlait avait sûrement entraîné une détresse morale et qu’il aurait fallu accorder une indemnité à ce titre.

59. Dans une autre affaire similaire, le Conseil d’État était appelé à se prononcer sur la pertinence d’un rapport de l’Institut médicolégal qui avait conclu que la neuropathie incriminée pouvait bien résulter d’un problème d’injection intramusculaire, mais que, en l’absence de notes médicales relatives au personnel ayant procédé à l’injection et à l’emplacement de celle-ci, la neuropathie en question devait passer pour une complication médicale n’engageant pas la responsabilité de l’administration. Dans sa décision (arrêt no E. 2010/111 - K. 2012/3358 du 9 juillet 2012, 10e chambre), le Conseil d’État a dit ce qui suit :

« (...) s’agissant des préjudices subis du fait des procédés irréguliers d’inscriptions médicales concernant un patient, l’existence d’une faute de service suffit à entraîner la responsabilité de l’administration. (...) En l’espèce, bien qu’il soit établi que le problème au niveau du pied du patient est survenu en raison des soins fournis par l’administration défenderesse, il n’a pas été possible de constater que le préjudice en question résultait d’une faute de service. Aussi, en sa partie concernant le rejet de la demande pour dommage matériel, le jugement attaqué ne contrevient pas à la loi. (...) Par contre, le constat de non-responsabilité de l’administration étant lié à l’absence de notes médicales, il est impératif de réparer le préjudice moral subi par le patient (...), qui ne sera plus jamais en mesure d’avoir connaissance de la réalité matérielle concernant la raison de son problème de santé, et qui, toute sa vie, nourrira des doutes à cet égard. En d’autres termes, les droits des patients exigent qu’un dossier médical (...) contienne les informations telles que le jour et l’heure où un patient s’est adressé à l’établissement hospitalier, le traitement qui lui a été administré, les noms des médecins et du personnel de santé qui ont prodigué le traitement, et les médicaments utilisés ; que ces inscriptions soient manquantes ou irrégulières constitue une faute de service (qui entrave le droit de l’individu à savoir la vérité). Toutefois, pareille faute (...) justifie uniquement la réparation de la souffrance provoquée par l’impossibilité d’apprendre la vérité. »

EN DROIT

I. SUR L’OBJET DU LITIGE ET SUR LA RECEVABILITÉ

A. Sur l’objet du litige

60. Invoquant les articles 1, 3, 6 et 17 de la Convention, les requérants se plaignent d’abord que les déficiences mentale et physique permanentes dont souffre actuellement Mehmet soient imputables aux seules erreurs et négligences médicales commises par le personnel de la santé mis en cause en l’espèce.

61. Les requérants déplorent en outre que les responsables de cette situation n’aient jamais été déférés devant la justice pour « les délits dont ils étaient accusés » ni n’aient fait l’objet d’une procédure en réparation répondant aux exigences d’équité.

62. Enfin, les requérants dénoncent les circonstances susdécrites en ce qu’elles seraient également constitutives d’un traitement inhumain et dégradant dans leur propre chef, contraire à l’article 3 de la Convention.

63. Le Gouvernement conteste ces thèses.

64. La Cour rappelle qu’un grief comporte deux éléments : des allégations factuelles et des arguments juridiques. En vertu du principe jura novit curia, elle n’est pas tenue par les moyens de droit avancés par les requérants en vertu de la Convention et de ses Protocoles, et elle peut décider de la qualification juridique à donner aux faits d’un grief en examinant celui-ci sur le terrain d’articles ou de dispositions de la Convention autres que ceux invoqués par les requérants (Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 126, 20 mars 2018).

En l’espèce, elle estime qu’il convient d’examiner les deux premiers griefs (paragraphes 60 et 61 ci-dessus) sous les angles matériel et procédural du seul article 8 de la Convention, dont le champ couvre les questions liées à la protection de l’intégrité morale et physique des individus, dans le contexte des soins médicaux prodigués (voir, parmi beaucoup d’autres, Trocellier c. France (déc.), no 75725/01, CEDH 2006–XIV, ainsi que les références qui y figurent, Codarcea c. Roumanie, no 31675/04, § 101, 2 juin 2009, et Erdinç Kurt et autres c. Turquie, no 50772/11, § 39, 6 juin 2017).

L’article 8 est ainsi libellé en sa partie pertinente en l’espèce :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée (...) »

B. Sur la recevabilité

65. En ce qui concerne le troisième grief, tiré de l’article 3 de la Convention (paragraphe 62 ci-dessus), le Gouvernement soutient que les sentiments d’angoisse que les requérants ont pu éprouver en l’occurrence ne peuvent avoir atteint le seuil minimum de gravité requis par cette disposition. Selon lui, cette doléance n’est pas étayée et les requérants ne peuvent passer pour victimes d’une violation à ce titre, d’autant moins qu’en l’espèce ils ont eu la possibilité d’intenter une action en indemnisation et de faire entendre leur cause devant le TAM.

66. La Cour considère que, nonobstant sa teneur qui pèche par manque de précision, l’argument du Gouvernement revient à soulever en substance une exception de non-épuisement des voies de recours internes.

À cet égard, elle rappelle que la finalité de l’article 35 est de ménager aux États contractants l’occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne lui soient soumises ; si l’article 35 § 1 de la Convention doit être appliqué avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif, il n’en demeure pas moins qu’il exige, entre autres, que le grief dont on entend saisir la Cour soit d’abord soulevé, au moins en substance, devant les juridictions nationales appropriées (voir, parmi d’autres, Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 142, CEDH 2010, et les références qui y figurent).

En l’espèce, toutefois, la Cour observe que les requérants n’ont pas spécifiquement saisi les instances nationales pour dénoncer un traitement contraire à l’article 3 de la Convention, dont ils auraient personnellement souffert, ni n’ont formulé une quelconque doléance à ce titre lors des procédures en cours.

Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

67. En l’absence d’autres exceptions préliminaires, la Cour constate que le restant de la requête n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité.

Elle déclare donc la requête recevable, dans le cadre tel que défini aux paragraphes 64 et 65 ci-dessus.

II. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

A. Les arguments des parties

1. Les requérants

68. Les requérants allèguent que les erreurs et négligences médicales qui auraient été commises lors des stades prénatal et de travail de la grossesse ainsi qu’au cours de la phase néonatale sont constitutives d’une faute lourde de service de la part de l’hôpital, à cause de laquelle leur fils Mehmet serait condamné à vivre avec un handicap physique et mental irréversible.

69. Ils reprochent au personnel du centre de soins régional no 2 de Nevşehir de n’avoir jamais informé la requérante des risques auxquels elle aurait été exposée du fait de ses œdèmes et pics de tension. Quant aux épisodes survenus à Malatya, ils déclarent que, lorsqu’elle s’est rendue, les 17 et 20 juillet 2001, à l’hôpital, la requérante a été renvoyée chez elle sans aucun examen, au motif qu’elle n’était pas passée par les cabinets privés des médecins consultants. Ils ajoutent que, le 20 juillet 2001, l’hôpital a pourtant émis une facture pour une consultation par un médecin, mais que celle-ci n’a jamais eu lieu.

70. La requérante dit que, après avoir été hospitalisée en urgence le 30 juillet 2001, elle s’est vu imposer un accouchement par voie basse, accompagné d’une épisiotomie désastreuse, en dépit de ses symptômes qui, selon elle, justifiaient la pratique d’une césarienne.

71. À cet égard, les requérants déplorent que les professionnels de la santé n’aient jamais eu à répondre devant la justice de « leurs délits », tout comme le ministère, dont relevaient les protagonistes, qui, à leurs dires, a été épargné par les juridictions administratives malgré les erreurs et négligences médicales commises sous sa responsabilité. Selon eux, tant les instances hospitalières que les autorités judiciaires et les instances d’expertise ont tout entrepris pour faire bénéficier les responsables d’une impunité. Les mis en cause auraient fait disparaître le dossier hospitalier de la requérante et lesdites juridictions se seraient ainsi fondées sur un rapport d’expertise lacunaire, rédigé en l’absence dudit dossier, pour débouter les requérants de leurs demandes, tout en faisant fi des contestations et demandes de contre-expertise formulées par ceux-ci.

72. Les requérants précisent que ce rapport – faisant état de témoignages qu’ils qualifient de contradictoires – reposait entre autres sur l’opinion de S.P.K. (dont l’intégrité professionnelle était, selon eux, sujette à caution[11]) selon laquelle l’enfant ne présentait aucune atrophie cérébrale importante (paragraphe 37 ci-dessus). Or, à leurs yeux, il s’agissait là d’une conclusion allant complètement à l’encontre de celle retenue dans le rapport de l’hôpital d’Erciyes (paragraphe 17 ci-dessus). Les requérants disent aussi que le rapport de l’Institut médicolégal était en contradiction avec les observations des médecins de l’hôpital d’İnönü qui, au lendemain de l’accouchement, avaient établi l’origine du tableau clinique de leur fils (paragraphe 16 ci‑dessus) : de fait, d’après eux, leur enfant était déjà malade avant sa naissance, alors que l’Institut médicolégal a impunément affirmé que celui-ci avait eu un développement normal pendant ses cinq premiers mois (paragraphe 38 ci-dessus).

2. Le Gouvernement

73. Le Gouvernement tient d’emblée à rappeler l’importance des examens gynécologiques qu’une femme enceinte devrait régulièrement subir tout au long de sa grossesse. Il estime d’ailleurs que, en l’espèce, les anomalies dont souffre Mehmet sont dues à un retard de croissance intra‑utérine, que celui-ci ne pouvait être détecté qu’au moyen d’une surveillance plus spécifique de la part de gynécologues, et qu’il appartenait à la requérante, qui se serait montrée négligente à cet égard, d’en prendre l’initiative.

À ce sujet, se référant aux dires de l’adjoint V.N.T. (paragraphe 10 ci‑dessus), le Gouvernement avance que, si la requérante s’est bien rendue à l’hôpital les 17 et 20 juillet 2001, c’est elle-même qui a refusé d’y être examinée par un homme.

Il estime par conséquent que le personnel concerné a rempli les tâches qui étaient les siennes, en suivant les procédés habituels en matière de gynécologie et d’obstétrique, et ce, avant, pendant et après l’accouchement.

74. Quant au volet procédural de la présente affaire, le Gouvernement dit qu’en l’espèce les requérants ont pu présenter leurs griefs devant les tribunaux administratifs, selon la procédure d’indemnisation qui aurait été la plus appropriée en la matière, et que le fait qu’ils n’ont pas obtenu gain de cause ne permet pas à la Cour d’apprécier la pertinence des moyens, arguments et preuves des parties pour les décisions rendues en l’espèce (Van de Hurk c. Pays-Bas, 19 avril 1994, § 59, série A no 288).

75. S’agissant de la perte du dossier médical de la requérante, le Gouvernement indique qu’un tel dossier avait bien été « tenu par les médecins concernés et remis au service des archives de l’hôpital », mais qu’il avait été égaré lors du réaménagement des archives, effectué en 2002. Il ajoute qu’un fonctionnaire des archives avait d’ailleurs fait l’objet d’une enquête disciplinaire à cet égard, mais que les inspecteurs avaient conclu à l’absence de preuves justifiant l’engagement de poursuites à son encontre (paragraphes 44 et 45 ci-dessus).

76. Le Gouvernement expose que la présente espèce se distingue de l’affaire Van Kück c. Allemagne (no 35968/97, § 54, CEDH 2003‑VII) en ce que, en l’occurrence, le TAM a décidé d’ordonner une expertise et l’Institut médicolégal, missionné à cette fin, a accompli sa tâche en toute conformité avec la loi. Renvoyant aux curricula vitae des spécialistes signataires du rapport d’expertise versé au dossier, le Gouvernement précise que ces éminents médecins ont de surcroît été rejoints par le professeur R.M., un enseignant en gynécologie-obstétrique, et que celui-ci a fourni une contribution déterminante.

77. Le Gouvernement renvoie à la conclusion de l’Institut médicolégal, selon laquelle les problèmes neurologiques de Mehmet étaient liés à un retard de croissance intra-utérine, à savoir une anomalie se développant au stade de la grossesse et pouvant être dépistée à l’aide de tests spécifiques, dont une échographie. Or, d’après le Gouvernement, pareils examens ne pouvant être effectués lors des contrôles de routine, il appartenait à la requérante de prendre l’initiative de les passer afin de faire dépister précocement ladite anomalie, ce que l’intéressée aurait négligé de faire (paragraphe 73 ci-dessus).

78. En ce qui concerne les témoignages contradictoires qui ressortiraient du rapport d’expertise, le Gouvernement soutient qu’en l’occurrence c’était aux juges du fond qu’il incombait de trancher cette question, et non pas à l’Institut médicolégal. À ses yeux, ce dernier se devait de s’en tenir aux documents médicaux irréfutables et n’était pas obligé d’asseoir ses conclusions sur les dépositions de la requérante et des mis en cause.

79. Quant à l’absence d’une analyse particulière des raisons qui auraient pu expliquer pourquoi l’enfant était né avec un SAM et un score Apgar 3, le Gouvernement indique qu’en l’espèce l’Institut médicolégal avait pour seule mission de se prononcer sur un éventuel lien de causalité entre l’état de Mehmet et le SAM apparu lors de l’accouchement, et qu’il n’était pas appelé à fournir des explications sur les raisons à l’origine du SAM. Selon lui, l’Institut médicolégal a choisi de répondre aux questions utiles pour le bon déroulement de sa mission et n’a tout simplement pas « jugé nécessaire de donner des explications concernant ce syndrome ».

80. Du reste, le Gouvernement avance que le TAM a débouté les requérants, non seulement à partir des conclusions du rapport d’expertise susmentionné, mais aussi sur la base, entre autres, du rapport établi à l’issue de l’enquête administrative menée par la préfecture de Malatya, dont les conclusions ne s’écartaient guère, selon lui, de celles de l’Institut médicolégal.

81. Quant à la question de savoir si les requérants disposaient de moyens procéduraux pour contester effectivement le rapport de l’Institut médicolégal, le Gouvernement expose que, en vertu de la jurisprudence du Conseil d’État, ceux-ci bénéficiaient d’un délai de deux semaines pour former opposition contre ce rapport, et qu’ils ont d’ailleurs fait usage de ce moyen aussi bien en première instance que devant le Conseil d’État. De l’avis du Gouvernement, la circonstance que ces démarches se sont avérées vaines n’est pas décisive, car il n’est « pas opportun de spéculer sur les conclusions d’un autre rapport d’expertise qui aurait pu intervenir à la suite de l’opposition des requérants », puisqu’il était « tout à fait possible qu’une nouvelle expertise aboutît aux mêmes conclusions » que la précédente.

B. L’appréciation de la Cour

1. Sur le volet matériel

a. Principes généraux

82. La Cour a déjà rappelé qu’entrent dans le champ de l’article 8 de la Convention les questions liées à l’intégrité morale et physique des individus, tout comme celles relevant du droit à la santé de ces derniers (paragraphe 64 in fine ci-dessus) et qu’en la matière les principes dégagés de l’article 2 relativement à la protection de la vie des malades valent sans conteste (voir, par exemple, Trocellier, décision précitée, Gecekuşu c. Turquie (déc.), no 28870/05, 25 mai 2010, Dossi et autres c. Italie (déc.), no 26053/07, 12 octobre 2010, Vasileva c. Bulgarie, no 23796/10, § 63, 17 mars 2016, et Erdinç Kurt et autres, précité, § 51).

Partant, c’est sur l’enseignement qui se dégage de l’arrêt Lopes de Sousa Fernandes c. Portugal ([GC], no 56080/13, 19 décembre 2017) sur le terrain de l’article 2 qu’il échet de s’aligner dans la présente affaire. Aussi la Cour se réfère-t-elle d’emblée aux principes qui y sont énoncés (Lopes de Sousa Fernandes, précité, §§ 164 à 184) et, notamment, à la clarification qui y est proposée quant à l’approche jurisprudentielle adoptée jusqu’à présent dans le domaine de négligences médicales (ibidem, §§ 186 à 196).

83. À cet égard, il convient derechef de rappeler que, dans le contexte d’allégations de négligence médicale, la Cour a toujours souligné que, dès lors qu’un État contractant avait pris les dispositions nécessaires pour assurer un haut niveau de compétence chez les professionnels de la santé et pour garantir la protection de l’intégrité tant physique que psychique des patients, des questions telles qu’une erreur de jugement de la part des professionnels de la santé ou une mauvaise coordination entre ceux-ci dans le cadre du traitement d’un patient en particulier ne suffisaient pas en elles‑mêmes à obliger cet État à rendre des comptes au titre des obligations positives que l’article 8 de la Convention fait peser sur lui. En la matière, les obligations positives matérielles sont limitées au devoir de poser des règles, c’est-à-dire de mettre en place un cadre réglementaire effectif obligeant les établissements hospitaliers et les professionnels de la santé, qu’ils relèvent du droit public ou privé, à adopter les mesures appropriées pour protéger l’intégrité des patients. Il s’ensuit que, même lorsque la négligence médicale a été établie, la Cour ne conclura normalement à la violation du volet matériel de l’article 8 – de même que de l’article 2 (voir, par exemple, Jurica c. Croatie, no 30376/13, § 84, 2 mai 2017, et les références qui y figurent, et Erdinç Kurt et autres, précité, § 53) – que si le cadre réglementaire applicable ne protégeait pas dûment les patients, ou bien si des mesures nécessaires pour assurer la mise en œuvre effective de la réglementation en place n’avaient pas été prises (Lopes de Sousa Fernandes, précité, §§ 166, 168, 186 à 189).

84. Sinon, c’est dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que la responsabilité de l’État peut être engagée sur le terrain du volet matériel de l’article 8 à raison des actions et omissions des prestataires de santé. Le premier type de circonstances exceptionnelles survient dans le cas où l’on a sciemment mis en danger la vie d’un patient en lui refusant l’accès à un traitement vital ; le second type de circonstances exceptionnelles correspond aux situations où un patient n’a pas eu accès à un tel traitement en raison d’un dysfonctionnement systémique ou structurel dans les services hospitaliers, et où les autorités avaient ou auraient dû avoir connaissance de ce risque et n’ont pas pris les mesures nécessaires pour empêcher qu’il ne se réalise (ibidem, §§ 190 à 192, 194 à 196).

85. Certes, les faits d’une cause donnée ne permettent pas toujours de distinguer aisément les affaires de simples négligences médicales de celles où il y a eu un refus d’accès à un traitement, imputable soit au personnel médical soit à un problème structurel, notamment parce que plusieurs facteurs difficiles à cerner peuvent parfois se combiner pour conduire à la situation déplorée en l’occurrence (ibidem, § 193).

D’ailleurs, la Cour est parfois amenée à considérer les requérants comme ayant fait tout ce qui était en leur pouvoir pour étayer prima facie leurs doléances tirées d’un tel refus, estimant qu’ils ne sont souvent pas en mesure de soumettre des éléments de preuve plus tangibles susceptibles de démontrer concrètement qu’ils avaient été victimes d’une situation exceptionnelle – au sens précédemment décrit (paragraphe 84 ci-dessus) – où la faute alléguée allait au-delà d’une simple erreur ou négligence (mutatis mutandis, Aydoğdu, précité, § 89).

86. En pareils cas, la Cour considère généralement qu’il convient d’examiner les événements litigieux sous l’angle du volet procédural, en recherchant si les mécanismes existants permettaient de faire la lumière sur le cours des circonstances factuelles et ainsi de soumettre celles-ci à un contrôle public (voir, par exemple, Trzepalko c. Pologne (déc.), no 25124/09, § 24, 13 septembre 2011, Oyal c. Turquie, no 4864/05, § 54, 23 mars 2010, Eugenia Lazăr c. Roumanie, no 32146/05, §§ 69 et 70, 16 février 2010, Rinkūnienė c. Lituanie (déc.), no 55779/08, 1er décembre 2009, Zafer Öztürk c. Turquie, no 25774/09, § 46, 21 juillet 2015, et Lopes de Sousa Fernandes, précité, § 172), l’enjeu étant souvent de vérifier si l’impossibilité pour elle d’aboutir à des constatations de fait définitives sous l’angle du volet matériel n’est pas résultée de l’absence d’une réaction adéquate des autorités judiciaires (Aydoğdu, précité, § 102).

b. Application de ces principes au cas d’espèce

87. La Cour constate qu’en l’espèce les requérants n’allèguent ni explicitement ni implicitement que le handicap permanent dont souffre leur fils a été provoqué intentionnellement, ni que celui-ci a été victime d’un dysfonctionnement systémique ou structurel touchant les établissements hospitaliers impliqués dans cette affaire. Aucun élément vérifiable ne laisse non plus à penser que les professionnels de la santé mis en cause, à savoir Ö.Ş., S.K., T.M.P., A.İ.Y. et K.A, les ont sciemment privés de l’accès à des traitements d’urgence ou que les fautes prétendument commises par eux sont allées au-delà de simples erreurs ou négligences médicales (paragraphe 84 ci‑dessus, et Lopes de Sousa Fernandes, précité, §§ 197 à 202).

Si les requérants ont soutenu que les médecins de l’hôpital ont refusé de prodiguer les soins nécessaires, parce qu’ils voulaient être consultés dans leurs cabinets privés et être payés pour ce faire (paragraphe 69 ci‑dessus), cette assertion – qui, au demeurant, n’a pas été formulée devant les instances nationales – n’est aucunement vérifiable. Par ailleurs, si les requérants ont aussi affirmé devant le Conseil d’État que le fait de confier un tel accouchement à risque à une sage-femme était contraire à la réglementation (paragraphe 42 in fine ci-dessus), il s’agit là d’un point que les intéressés, en omettant de se référer aux règles qui auraient été méconnues, n’ont pas dûment étayé devant la Cour.

Rien ne donne donc à penser que les circonstances de la cause relèvent d’une situation exceptionnelle qui aurait appelé une analyse autre que la suivante.

88. En fait, les griefs des requérants portent de manière générale sur une mauvaise évaluation des risques prénataux et de ceux liés au travail de l’accouchement. La présente affaire a alors pour objet principal des allégations de simples erreurs ou négligences médicales, et, partant, les obligations positives matérielles pesant sur la Turquie se limitent à la mise en place et la mise en œuvre effectives d’un cadre réglementaire propre à protéger les patients (paragraphe 83 ci-dessus).

Or il ne ressort pas du dossier que le cadre réglementaire en vigueur à l’époque des faits révélait en tant que tel un manquement de la part de l’État, et les requérants ne dénoncent d’ailleurs aucune défaillance de ce type.

89. Partant, il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 8 de la Convention sous son volet matériel.

2. Sur le volet procédural

a. Principes généraux

90. De même que l’article 2 de la Convention, l’article 8 implique également l’obligation d’instaurer un système judiciaire efficace – tant en théorie qu’en pratique – et indépendant permettant d’établir la cause des atteintes à l’intégrité d’un individu se trouvant sous la responsabilité de professionnels de la santé, qu’ils agissent dans le cadre du secteur public ou du secteur privé et, le cas échéant, d’obliger ceux-ci à répondre de leurs actes (voir, entre autres, Erdinç Kurt et autres, précité, §§ 54 et 55 ; voir aussi, Šilih c. Slovénie [GC], no 71463/01, §§ 192 et 195, 9 avril 2009, et Lopes de Sousa Fernandes, précité, §§ 214 et 216).

91. Dans certains cas exceptionnels, tels que ceux mentionnés précédemment (paragraphe 84 ci-dessus), un mécanisme de répression pénale devrait exister pour que cette obligation procédurale soit respectée. Toutefois, si l’atteinte à l’intégrité de la personne n’est pas volontaire, ladite obligation n’exige pas nécessairement un recours de nature pénale ; aussi, dans le contexte spécifique des négligences médicales – telles que celles en cause en l’espèce (paragraphe 88 ci-dessus) –, pareille obligation peut-elle être remplie également si le système juridique en question offre aux intéressés un recours devant les juridictions civiles ou administratives, seul ou conjointement avec un recours devant les juridictions pénales ; de même, des mesures disciplinaires peuvent être envisagées à cet égard (Karakoca c. Turquie (déc.), no 46156/11, 21 mai 2013, Aydoğdu, précité, § 79, Erdinç Kurt et autres, précité, § 56, et Lopes de Sousa Fernandes, précité, § 215, ainsi que les références qui y figurent).

92. À ce sujet, il convient néanmoins de rappeler que, là où il existe plusieurs voies de recours possibles, la personne lésée peut choisir celle qui lui paraît la plus appropriée pour son grief principal (voir, parmi d’autres, Elberte c. Lettonie, no 61243/08, § 85, CEDH 2015). Elle peut aussi faire usage de plusieurs voies de droit disponibles, y compris la voie pénale, à cette différence que, dans les affaires de simple négligence médicale, les autorités ne sont pas forcément tenues d’ouvrir d’office une enquête. C’est lorsque les intéressés engagent une telle procédure pénale que les obligations procédurales peuvent donc entrer en jeu (Šilih, précité, § 156, et Lopes de Sousa Fernandes, précité, § 220). Cela est important, car même si l’exercice d’une voie répressive n’est pas privilégié dans le contexte des négligences médicales, une telle voie pourrait néanmoins suffire à satisfaire à l’obligation procédurale dont il s’agit, si elle était finalement jugée effective (Šilih, précité, § 202, et Lopes de Sousa Fernandes, précité, § 232).

Dans l’hypothèse de recours multiples, la question est donc de savoir si, dans les circonstances concrètes de la cause, l’ordre juridique interne dans son ensemble a permis de traiter l’affaire comme il convient (Dodov c. Bulgarie, no 59548/00, § 86, 17 janvier 2008, Kudra c. Croatie, no 13904/07, § 107, 18 décembre 2012, et Lopes de Sousa Fernandes, précité, § 225).

93. Dans tous les cas, le système mis en place pour déterminer la cause de l’atteinte à l’intégrité de la personne se trouvant sous la responsabilité de professionnels de la santé doit être indépendant. Cela suppose non seulement une absence de lien hiérarchique ou institutionnel, mais aussi l’indépendance tant formelle que concrète à l’égard des personnes impliquées dans les événements de toutes les parties chargées d’apprécier les faits dans le cadre de la procédure devant conduire à établir la cause de l’atteinte incriminée (voir, mutatis mutandis, Bajić c. Croatie, no 41108/10, § 90, 13 novembre 2012).

Cette exigence est particulièrement importante lorsqu’il s’agit de recueillir des expertises médicales (voir, par exemple, Barabanchtchikov c. Russie, no 36220/02, § 59, 8 janvier 2009, et Karpisiewicz c. Pologne (déc.), no 14730/09, 11 décembre 2012), car il est très probable que les rapports des médecins experts pèsent d’un poids déterminant dans l’appréciation que fera le tribunal de questions hautement complexes de négligence médicale, ce qui leur confère un rôle particulièrement important dans la procédure (Sara Lind Eggertsdóttir c. Islande, no 31930/04, § 47, 5 juillet 2007, Bajić, précité, § 95, et Lopes de Sousa Fernandes, précité, § 217).

b. Application de ces principes au cas d’espèce

94. La Cour note que, en cas de négligences médicales commises dans le cadre du secteur public, le droit turc en vigueur à l’époque des faits prévoyait, outre la possibilité d’obtenir l’ouverture d’une procédure pénale, la faculté de saisir les tribunaux administratifs d’une action de pleine juridiction contre le ministère de la Santé, dont relevaient les personnes et l’hôpital mis en cause en l’espèce. De plus, il était possible de solliciter, entre autres, le même ministère aux fins de la conduite d’une enquête administrative susceptible de faire établir la responsabilité disciplinaire des professionnels concernés.

95. L’ordre juridique turc offrait donc aux requérants des voies de droit qui, en théorie, satisfaisaient aux exigences à respecter au titre des obligations procédurales découlant de l’article 8 de la Convention. Les requérants ont d’ailleurs fait usage de tous les moyens susmentionnés. Il convient donc de rechercher si les procédures y afférentes dans leur ensemble ont permis de traiter leur affaire de manière adéquate (paragraphe 92 in fine ci-dessus).

i. Les procédures à caractère répressif

96. En ce qui concerne la procédure disciplinaire déclenchée le 26 février 2003 (paragraphe 18 ci-dessus), la Cour observe que celle-ci s’est clôturée par un classement sans suite, sur le fondement d’un rapport d’expertise établi par l’adjoint E.M. (paragraphe 19 ci-dessus). Ce rapport, préparé avec la participation de l’obstétricien A.G. et le pédiatre M.G. (paragraphe 24 ci‑dessus), a également été au centre de l’enquête pénale, qui n’a pu aboutir du fait du régime imposé par la loi no 4483 (paragraphe 46 ci-dessus).

97. À cet égard, il suffit à la Cour de rappeler qu’elle a systématiquement critiqué et maintes fois sanctionné ce régime imposé par la loi no 4483 à raison du manque d’indépendance des organes d’enquête appelés à le mettre en œuvre (voir, par exemple, Nazif Yavuz c. Turquie, no 69912/01, § 49, 12 janvier 2006, Ümit Gül c. Turquie, no 7880/02, §§ 53‑57, 29 septembre 2009, Mete et autres c. Turquie, no 294/08, § 114, 4 octobre 2011, et Karahan c. Turquie, no 11117/07, § 45, 25 mars 2014), de l’impossibilité pour les justiciables de participer effectivement aux investigations y afférentes (Işıldak c. Turquie, no 12863/02, §§ 54 à 56, 30 septembre 2008) ainsi que de l’inadéquation du contrôle judiciaire effectué sur les décisions desdits organes (Kanlıbaş c. Turquie, no 32444/96, § 49, 8 décembre 2005, Sultan Öner et autres c. Turquie, no 73792/01, § 143, 17 octobre 2006, Uyan c. Turquie (no 2), no 15750/02, § 49, 21 octobre 2008, et Mecail Özel c. Turquie, no 16816/03, § 25, 14 avril 2009).

Aucune circonstance particulière ne permet à la Cour de se départir de ces conclusions dans la présente affaire et, à l’instar de ce qu’elle a déjà réaffirmé dans son arrêt Aydoğdu (précité, § 90) et plus récemment dans l’arrêt Asma c. Turquie (no 47933/09, § 86, 20 novembre 2018), elle considère qu’il s’agit là d’un problème structurel constitutif en soi d’une méconnaissance des obligations procédurales en jeu en l’espèce.

98. À cela s’ajoute de surcroît la circonstance que les experts qui ont eu un rôle prépondérant dans la clôture des enquêtes à caractère répressives, à savoir E.M., A.G. et M.G. (paragraphe 96 ci-dessus), n’étaient personnes autres que des médecins en poste dans l’hôpital où travaillaient S.K., T.M.P., A.İ.Y. et K.A., les professionnels de la santé mis en cause. Cela va assurément à l’encontre de l’exigence d’indépendance tant formelle que concrète à laquelle les procédures d’expertise doivent impérativement répondre (paragraphe 93 ci-dessus).

99. Eu égard à ces défaillances, la Cour considère que les procédures répressives, pénale et disciplinaire, menées en l’espèce n’ont pas été effectives aux fins de l’article 8 de la Convention.

ii. L’action administrative de pleine juridiction

100. Il reste donc à examiner l’action de pleine juridiction engagée devant les juridictions administratives, cette procédure étant, au demeurant, celle qui était la plus appropriée (Lopes de Sousa Fernandes, précité, §§ 234 et 235), et les observations des parties portant d’ailleurs essentiellement sur cette procédure.

101. Nonobstant la complexité des circonstances factuelles de la présente cause, la situation au cœur du litige se résume au fait qu’en l’espèce les questions auxquelles l’Institut médicolégal était chargé de répondre se confondaient avec celles que les juridictions administratives devaient trancher pour se prononcer sur les négligences médicales alléguées. Les juges ont estimé que le rapport d’expertise, ayant conclu à l’absence d’une quelconque faute imputable aux mis en cause, suffisait pour asseoir leurs décisions ; ce faisant, ils ont ainsi conféré un poids prépondérant à ce rapport. Ainsi, les requérants ont été déboutés sur le fondement dudit rapport, après avoir vu leurs demandes motivées de nouvelle expertise être écartées.

102. La Cour prend note de la position du Gouvernement, qui soutient que le rapport d’expertise en question était exempt de toute critique. Selon le gouvernement défendeur, le conseil d’experts, composé d’éminents spécialistes, a accompli sa mission « conformément à la loi », et ce avec la contribution décisive du professeur R.M., enseignant en gynécologie-obstétrique, avant de conclure que le tableau clinique de Mehmet était lié à un retard de croissance intra-utérine.

Pour la Cour, toutefois, plutôt que de rechercher si ces spécialistes ont travaillé « conformément à la loi », il échet d’apprécier s’ils peuvent passer pour avoir dûment examiné les questions soumises à leur évaluation scientifique.

103. En l’espèce, l’Institut médicolégal avait été missionné pour rechercher si le tableau clinique de Mehmet « était résulté d’actes fautifs commis avant et après la naissance ». Cela ressort de son rapport même (paragraphe 32 ci-dessus), ce qui cadre d’ailleurs avec la demande introductive d’instance des requérants, dans laquelle ceux-ci avaient dénoncé l’existence de fautes lourdes de service, commises, selon eux, « avant et après l’accouchement » (paragraphe 31 ci-dessus).

104. Dans son rapport, l’Institut médicolégal concluait qu’il n’y avait « pas de preuves médicales suffisantes pour établir un lien de causalité entre le tableau clinique actuel et l’acte d’accouchement ». Cette conclusion était motivée par deux éléments distincts.

Premièrement, selon l’Institut médicolégal, la croissance de Mehmet s’était avérée normale pendant les cinq mois ayant suivi la naissance, et que l’enfant n’avait pas présenté les caractéristiques propres à un manque d’oxygénation cérébrale lors de l’accouchement.

Deuxièmement, d’après lui, les lésions ischémiques observées sur les épreuves d’IRM pouvaient aussi bien résulter d’un sepsis néonatal, et non pas forcément du processus d’accouchement.

105. La Cour d’observe objectivement que cette expertise était limitée à la recherche d’un lien de causalité entre le tableau clinique de Mehmet et un éventuel traumatisme pendant l’accouchement. Elle ne comportait aucune évaluation médicale relativement au moyen que les requérants tiraient du choix du corps médical, selon eux erroné, d’imposer un accouchement à risque par voie basse, aux mains d’une sage-femme, au lieu d’envisager une césarienne qui aurait pu minimiser les menaces pesant sur la santé du fœtus. Elle ne contenait pas non plus une réponse quant au moyen que les requérants avaient tiré de l’absence, au stade prénatal, d’une prise en charge médicale susceptible de prévenir les risques inhérents au syndrome de pré-éclampsie (paragraphes 42 et 68 à 70 ci-dessus).

106. Aussi, d’après les requérants, le rapport d’expertise versé au dossier était-il insatisfaisant au regard des questions sur lesquelles il était censé apporter un éclairage technique (voir, mutatis mutandis, Eugenia Lazăr, précité, §§ 82 à 85, et Erdinç Kurt et autres, précité, § 68).

107. Il n’appartient certainement pas à la Cour de critiquer, en tant que telles, les conclusions de l’Institut médicolégal en se livrant, à partir des renseignements médicaux dont elle pourrait disposer, à des conjectures sur leur caractère correct d’un point de vue scientifique (Altuğ et autres c. Turquie, no 32086/07, § 77, 30 juin 2015, Aydoğdu, précité, § 92, Erdinç Kurt et autres, précité, § 63, et les références qui y sont citées).

D’un autre côté, la Cour reconnaît aussi que le devoir d’appréciation, par les tribunaux, de rapports d’expertises médicales ne peut aller jusqu’à imposer des charges inutiles ou disproportionnées à l’État dans l’exécution de ses obligations positives découlant de l’article 8 (voir, par exemple, Altuğ et autres, précité, §§ 77-86, 30 juin 2015, et Erdinç Kurt et autres, précité, § 63). L’intensité du travail d’évaluation à laquelle doivent se livrer les tribunaux doit donc être appréciée au cas par cas, en tenant compte de la nature de la question médicale posée, de sa complexité et, en particulier, du point de savoir si la partie demanderesse était en mesure de formuler des allégations concrètes et spécifiques de négligence qui nécessitaient une réponse d’experts médicaux chargés de fournir un rapport (voir, par exemple, Altuğ et autres, et Erdinç Kurt et autres, précités, ibidem).

108. En la matière, dans l’affaire Lopes de Sousa Fernandes, la Grande Chambre a mis l’accent sur la question de savoir si un justiciable a bien eu la possibilité de participer activement aux différentes procédures et s’il a pu faire usage de ses droits procéduraux pour influer sur leur issue, faute de quoi il risquerait de se trouver placé dans une situation procédurale désavantageuse par rapport aux établissements de santé ou aux médecins dans le cadre de l’une quelconque des voies de droit exercées (arrêt précité, § 226).

109. Il y va, en effet, du respect du contradictoire, et plus particulièrement du principe, dégagé d’abord de l’article 6 de la Convention, selon lequel, une expertise médicale – en ce qu’elle ressortit à un domaine technique échappant à la connaissance des juges – est susceptible d’influencer de manière prépondérante leur appréciation des faits et constitue un élément de preuve essentiel qui doit pouvoir être « efficacement » commenté par les parties au litige (voir, par exemple, mutatis mutandis, Feldbrugge c. Pays-Bas, 29 mai 1986, § 44, série A no 99, Mantovanelli c. France, 18 mars 1997, § 36, Recueil des arrêts et décisions 1997‑II, et Cottin c. Belgique, no 48386/99, §§ 29 à 32, 2 juin 2005).

110. Il s’ensuit que, pour la Cour, c’est l’examen de la réaction donnée face aux contestations des requérants qui est donc capital dans la présente affaire.

En l’espèce, elle observe que les requérants, qui, déjà, n’avaient pas pu participer à la désignation des experts ni à l’établissement des questions à leur adresser en raison des spécificités de la procédure administrative turque, n’auraient pu faire entendre leur voix de manière effective qu’indirectement, après le dépôt du rapport en cause. Or, ils se sont également heurtés à une pratique apparemment empreinte de réserves quant à la suite donnée aux demandes de contre-expertise dans les litiges liés au service de la santé et impliquant la consultation de l’Institut médicolégal, étant entendu que parmi la trentaine d’exemples de décisions rendues par le Conseil d’État, aucun ne concerne un litige lié aux dysfonctionnements du service de la santé ou une expertise médicale effectuée par l’Institut médicolégal (paragraphe 51 in fine ci-dessus).

111. Ainsi, en dépit du caractère incomplet du rapport litigieux et des contestations pertinentes des requérants (paragraphe 39 ci-dessus), le TAM n’a pas estimé utile de faire droit à la demande de nouvelle expertise formulée par ceux-ci.

Le Conseil d’État a, lui aussi, ignoré la demande tendant à l’obtention d’un nouveau rapport, à l’appui de laquelle les requérants avaient présenté bon nombre d’arguments circonstanciés (paragraphes 41 et 42 ci-dessus) (voir, pour une situation comparable, Erdinç Kurt et autres, précité, §§ 69 et 70), faisant ainsi le choix de se départir de sa jurisprudence établie en la matière, sans pour autant en exposer les raisons (paragraphe 47 in fine ci‑dessus).

La Cour relève que ces deux décisions ne recèlent aucune allusion à un quelconque obstacle qui aurait empêché les tribunaux de pousser leur examen plus loin, dans le sens demandé par les requérants (Benderskiy c. Ukraine, no 22750/02, § 44, 15 novembre 2007).

112. À cet égard, la Cour est prête à admettre que la disparition du dossier médical de la requérante ait pu constituer un tel obstacle à l’établissement de la vérité. Elle note, à ce propos, que, d’après le Gouvernement, un tel dossier avait bien été « tenu par les médecins concernés et remis au service des archives de l’hôpital », mais avait été égaré lors du réaménagement des archives, effectué en 2002 (paragraphe 23 ci‑dessus).

113. À ce sujet, il suffit de renvoyer aux informations détaillées fournies par le Gouvernement quant aux conséquences judiciaires de la perte, fût-elle inexpliquée, du dossier d’un patient (paragraphes 52 à 59 ci-dessus). L’on peut clairement en déduire que, en droit turc, pareil incident emporte violation de la réglementation en matière de conservation des archives médicales et que, selon le Conseil d’État, il constitue une faute lourde dans la gestion du service public de la santé, nécessitant un dédommagement, dans la mesure où l’absence d’un constat de la responsabilité de l’administration résulte de la perte de données médicales, et où, de ce fait, les personnes lésées ne pourront plus jamais connaître la vérité les concernant.

114. Il est aussi remarquable que les faits constamment sanctionnés par le Conseil d’État à ce titre (voir les exemples fournis aux paragraphes 56 à 59 ci-dessus) soient quasi identiques à ceux relevés dans la présente affaire. Or les jugements rendus en l’espèce ne disent rien sur une quelconque responsabilité de l’administration du fait de la perte du dossier médical de la requérante, incident qui, comme le Conseil d’État le conçoit, constituait, a priori, non seulement une faute lourde de service, mais aussi une entrave au contrôle juridictionnel de la question de savoir si le ministère était responsable ou non du préjudice causé aux requérants.

S’il y avait donc eu, en l’occurrence, une possibilité de redresser autant que faire se peut la violation alléguée, c’est sans motif que cette occasion n’a pas non plus été saisie.

115. En bref, la procédure administrative incriminée en l’espèce a été elle aussi ineffective au regard des obligations procédurales découlant de l’article 8 de la Convention.

iii. Conclusion

116. La Cour n’a pas à chercher à combler les manquements observés précédemment en tentant de spéculer sur l’issue qu’auraient pu avoir les procédures répressives et/ou administrative si les questions scientifiques soulevées en l’espèce avaient été dûment examinées ou réexaminées et les répercussions liées à la perte des informations médicales concernant la requérante dûment évaluées.

Ce qu’il importe est de souligner qu’en fin de compte nulle autorité n’a été capable d’apporter une réponse cohérente et scientifiquement fondée aux allégations et aux plaintes des requérants, et d’apprécier l’éventuelle responsabilité des professionnels de la santé en toute connaissance de cause.

Dans leurs décisions, les juridictions nationales se sont fondées sur des rapports officiels établis, soit au mépris de l’exigence d’indépendance, soit éludant ou n’abordant pas de manière satisfaisante les questions centrales qui devaient être tranchées.

En dernier lieu, malgré tout, les juridictions administratives ont rejeté les oppositions des requérants en faisant abstraction de leurs arguments, sinon décisifs, du moins principaux, lesquels exigeaient pourtant des réponses spécifiques et explicites (voir, pour des cas comparables, Asiye Genç c. Turquie, no 24109/07, §§ 84 et 85, 27 janvier 2015, Altuğ et autres, précité, §§ 77 à 86, 30 juin 2015, Aydoğdu, précité, § 100, et Erdinç Kurt et autres, précité, § 63).

117. Dans ces conditions, la Cour considère que, face à des griefs défendables dans le cadre duquel les requérants alléguaient que des négligences médicales avaient abouti au handicap irréversible de leur fils, le système national dans son ensemble n’a pas apporté une réponse adéquate conformément à l’obligation que l’article 8 de la Convention faisait peser sur la Turquie.

Partant, il y a eu violation du volet procédural de cette disposition.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

118. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

119. Les requérants se fondent sur un calcul actuariel, effectué selon toute vraisemblance par leurs soins, relativement au manque à gagner présumé de leur fils Mehmet, actuellement invalide, pour réclamer à ce titre 537 000 euros (EUR) pour dommage matériel.

Quant au dommage moral, ils sollicitent, pour chacun d’entre eux, la somme 40 000 EUR, ainsi que la somme de 20 000 EUR pour leur fille, sœur de Mehmet.

120. Le Gouvernement soutient que, en tout état de cause, ces sommes sont exagérées et non justifiées et que, du reste, elles sont sans commune mesure avec les montants accordés par la Cour dans des cas similaires.

121. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation à caractère procédural constatée et le dommage matériel allégué, et elle rejette la demande y afférente. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer conjointement aux requérants 15 000 EUR au titre du préjudice moral, étant entendu que la sœur de Mehmet n’a pas la qualité de requérant.

B. Frais et dépens

122. Les requérants sollicitent également la somme de 940 livres turques (TRY)[12], soit environ 400 EUR à l’époque pertinente, pour les frais couvrant le coût des traductions et des déplacements de la famille, ainsi que les sommes de 400 TRY et 300 TRY (environ 298 EUR au total), qui auraient été respectivement payée à l’Institut médicolégal et déboursée pour un test génétique. Ils réclament également 95 550 EUR pour les honoraires de leur avocat.

123. Le Gouvernement attire l’attention sur l’absence d’un quelconque justificatif susceptible d’appuyer ces demandes, dont notamment celles afférentes aux frais d’avocat, de traduction et de voyage.

124. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.

Concernant la première prétention de 940 TRY, la Cour note que 141,90 TRY correspondent aux frais judiciaires engagés devant les juridictions internes, 56 TRY aux frais de l’expertise, et 43 TRY aux frais postaux (sommes équivalant à environ 60 EUR, 24 EUR et 18 EUR respectivement). Le restant des prétentions, y compris la demande relative aux honoraires d’avocat, ne sont aucunement documentées.

Dans ces conditions, et tenant également compte des dispositions de l’article 60 §§ 2 et 3 de son règlement intérieur, la Cour ne peut qu’allouer la somme de 103 EUR pour frais et dépens et rejeter le restant des prétentions.

C. Intérêts moratoires

125. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 8 de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention sous son volet matériel ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention sous son volet procédural ;

4. Dit,

a) que l’État défendeur doit verser conjointement aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en livres turques, au taux applicable à la date du règlement :

i. 15 000 EUR (quinze mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

ii. 103 EUR (cent trois euros), plus tout montant pouvant être dû par les requérants à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 25 juin 2019, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stanley NaismithRobert Spano
GreffierPrésident

* * *

[1] Rectifié le 6 août 2019 : le texte était le suivant : « AFFAIRE ULUSOY c. TURQUIE »

[2] Rectifié le 6 août 2019 : le texte était le suivant : « En l’affaire Ulusoy c. Turquie, »

[3]. Le score Apgar est une note d’évaluation générale du tableau clinique d’un nouveau-né, fondée sur cinq éléments : le rythme cardiaque, la respiration, la tonicité musculaire, la couleur de la peau et la réponse à la stimulation. Chaque élément est noté par 0, 1 ou 2 points. L’addition des notes permet d’asseoir une appréciation globale de l’état de santé de l’enfant, une note de 10 suggérant la meilleure condition possible.

[4]. Selon la définition donnée, en France, par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, la pré-éclampsie est une pathologie de la grossesse caractérisée par une élévation de la pression artérielle, qui peut s’accompagner d’œdèmes massifs. Ce syndrome est une cause majeure de retard de croissance intra‑utérine.

[5]. Il s’agit de l’encéphalopathie hypoxique-ischémique néonatale, un symptôme qui concerne l’ensemble des conséquences cérébrales d’une privation d’oxygène lié à l’asphyxie périnatale et présentant une mortalité et une morbidité neurologique importantes.

[6]. Abréviation pour le syndrome d’aspiration méconiale (SAM). Le méconium est la matière fécale de couleur vert foncé, dont l’intestin du fœtus est tapissé. Dans l’utérus, si le mouvement intestinal augmente ou s’il y a relâchement du sphincter anal, le méconium peut passer dans le liquide amniotique. Le SAM pourrait apparaître si le nourrisson inhale le méconium pendant le travail et l’accouchement. Dans ce cas, le méconium est aspiré dans les poumons, où il peut provoquer un blocage partiel ou complet des voies respiratoires. Le SAM est souvent dû à une souffrance fœtale, mais il peut également apparaître en cas de croissance intra-utérine insuffisante.

[7]. Cette mention comporte une erreur de frappe ; il s’agit en fait du mis en cause T.M.P.

[8]. « Examen de réactivité fœtale », qui permet d’évaluer le bien-être du fœtus en période prénatale, notamment lorsque des facteurs de risque sont identifiés pendant la grossesse.

[9]. À l’époque pertinente, ledit règlement intérieur n’était pas encore publié.

[10]. Le Gouvernement cite des arrêts de la 15e chambre en date des 29 mai 2014, 4 février 2016, 10 novembre 2016, 19 septembre 2017 et 7 juin 2018.

[11]. D’après les coupures de journaux fournies par les requérants, la professeure S.P.K. semble avoir déjà eu affaire aux autorités judiciaires et à l’ordre des médecins d’Istanbul.

[12]. Le 1er janvier 2005, la livre turque (TRY), qui remplace l’ancienne livre turque (TRL), est entrée en vigueur. 1 TRY vaut un million TRL.


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