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28/01/2016 | CEDH | N°001-160225

CEDH | CEDH, AFFAIRE PATRIKIS ET AUTRES c. GRÈCE, 2016, 001-160225


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE PATRIKIS ET AUTRES c. GRÈCE

(Requête no 50622/13)

ARRÊT

STRASBOURG

28 janvier 2016

DÉFINITIF

28/04/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Patrikis et autres c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Mirjana Lazarova Trajkovska, présidente,
Ledi Bianku,
Kristina Pardalos,
Linos-Alexandre

Sicilianos,
Aleš Pejchal,
Robert Spano,
Armen Harutyunyan, juges,
et de André Wampach, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré e...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE PATRIKIS ET AUTRES c. GRÈCE

(Requête no 50622/13)

ARRÊT

STRASBOURG

28 janvier 2016

DÉFINITIF

28/04/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Patrikis et autres c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Mirjana Lazarova Trajkovska, présidente,
Ledi Bianku,
Kristina Pardalos,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Aleš Pejchal,
Robert Spano,
Armen Harutyunyan, juges,
et de André Wampach, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 janvier 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 50622/13) dirigée contre la République hellénique et dont douze ressortissants de différentes nationalités (« les requérants »), dont la liste figure en annexe, ont saisi la Cour le 1er août 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants ont été représentés par Mes K. Kosmatos, C. Lampakis et G. Sarlis, avocats à Thessalonique. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, M. K Georghiadis, assesseur au Conseil juridique de l’Etat, et Mme S. Lekkou, auditrice au Conseil juridique de l’Etat. Informés de leur droit de prendre part à la procédure (articles 36 § 1 de la Convention et 44 § 1 du règlement), les gouvernements albanais et bulgare n’ont pas répondu.

3. Les requérants allèguent en particulier une violation de l’article 3 en raison de leurs conditions de détention dans la prison de Diavata.

4. Le 7 avril 2014, les griefs concernant les articles 3 et 13 ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du Règlement de la Cour.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Les requérants étaient ou sont encore détenus dans la prison de Diavata, à Thessalonique, et seraient d’après leurs dires placés chacun dans des cellules de 24 m² avec dix autres personnes.

6. Á différentes dates, certains d’entre eux furent transférés vers une autre prison ou mis en liberté : les requérants nos 1 et 4 furent transférés à la prison de Kassandra respectivement les 27 mai 2013 et 12 novembre 2012. Les requérants nos 2, 3, 6, 7, 9 et 12 furent mis en liberté respectivement les 13 décembre, 12 juillet 2012, 27 février, 30 avril, 24 janvier et 27 juin 2013.

A. La version des requérants concernant leurs conditions de détention

7. Chaque cellule contient une seule toilette et des douches sans séparation. Les installations sanitaires sont vétustes et souvent en panne. L’eau chaude n’est disponible qu’une heure et demie par jour. Le radiateur ne chauffe qu’une heure par jour, de 21 h à 22 h. Les matelas sur les lits sont vieux, pourris et nauséabonds. Les requérants ne reçurent jamais de serviettes, de draps ou de taies d’oreiller. Les lits sont des couchettes superposées espacées de telle manière qu’il est impossible de s’asseoir sur les lits. Le manque d’espace dans les cellules, combiné avec la brièveté des heures où il est possible de circuler dans les couloirs de la prison (de 8 h 20 à 12 h 30 et de 14 h 20 à 17 h 45) aggrave le sentiment d’enfermement dans les cellules. Le problème de surpopulation devient plus pesant pendant les mois hivernaux : à cause du froid, il n’est pas possible d’ouvrir les fenêtres. La fumée des cigarettes rend l’atmosphère irrespirable.

8. La lumière naturelle dans la cellule n’est pas suffisante, de sorte que l’éclairage doit être allumé même pendant la matinée.

9. Au retour de permission de sortie et avant de regagner leurs cellules, certains des requérants furent placés pendant trois ou quatre jours dans de petites cellules de transit situées au sous-sol de la prison, sans lumière naturelle et sans toilettes. Le but officiel de cet enfermement est la recherche de drogue que les détenus pourraient introduire mais, selon les requérants, la mesure revêtirait un caractère de brimade.

10. Un des requérants, qui est le cuisiner en chef de la prison, allègue que la nourriture fournie aux détenus est insuffisante tant du point de vue quantitatif que qualitatif. Les dépenses pour l’achat de nourriture auraient été réduites de 68 000 euros à 35 000 euros par mois. À partir de 2011, les portions sont devenues minuscules. Le petit déjeuner consiste en une tasse de lait. Le pain est distribué seulement le vendredi. Des fruits de très mauvaise qualité sont servis quatre fois par semaine, de la viande trois fois et du fromage trois fois.

B. La version du Gouvernement concernant les conditions de détention

11. Le Gouvernement ne présente pas d’observations sur les conditions de détention dans la prison de Diavata mais fournit un document établi par la prison de Diavata qui décrit les conditions de détention dans celle-ci ainsi que la situation personnelle de chacun des requérants.

12. Dans ce document, les autorités de la prison affirment que le système de chauffage central, tant dans l’ancienne partie de la prison que dans la nouvelle, fonctionne une heure le matin (de 6 h à 7 h) et deux heures le soir (de 20 h à 22 h).Les horaires de fourniture d’eau chaude dans l’ancienne partie sont 13 h à 14 h et de 16 h à 0 h 30, et dans la nouvelle de 6 h à 7 h, de 13 h à 13 h 30 et de 20 h à 22 h.

13. Les repas des détenus sont préparés dans les cuisines de la prison par les détenus qui y travaillent. Les autorités produisent à titre indicatif certains menus pour démontrer le caractère équilibré des repas fournis.

14. Chaque aile de la prison dispose de sa propre cour pour la promenade des détenus (pouvant accueillir jusqu’à 120 personnes), afin d’éviter pour des raisons de sécurité la communication entre détenus placés dans des ailes différentes. Les durées de la promenade varient suivant la saison entre 6 h et 8 h par jour.

15. Plus particulièrement, en ce qui concerne le requérant no 5, les autorités de la prison indiquent qu’il a été détenu dans une chambrée de 23,68 m², contenant cinq lits doubles, une table de chevet par détenu, une table avec des chaises pour que les détenus prennent leurs repas, un téléviseur et deux poubelles. La chambrée contient aussi une toilette de 2,77 m², avec douche, évier et une fenêtre de 0,50 m² pour l’aération. Le requérant no 5 n’a pas travaillé pendant la durée de sa détention dans cette prison (du 28 février 2012 au 30 août 2013, date de son transfert à la prison de Trikala).

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

16. Pour le droit et la pratique internes pertinents, se référer à la décision Chatzivasiliadis c. Grèce (no 51618/12, §§ 17-21, 26 novembre 2013).

III. LES CONSTATS DES INSTANCES NATIONALES ET INTERNATIONALES

A. Les constats du médiateur de la République

17. Dans un rapport du 31 juillet 2014, établi à la suite de sa visite du 2 juillet 2013, le médiateur de la République notait que la prison de Diavata avait une capacité de 360 détenus, mais à la date de la visite elle en accueillait 597. Il soulignait que les cellules ayant une capacité de 4 détenus, en accueillaient dix et celles conçues pour un détenu en accueillaient 4.

18. Le chauffage et la fourniture d’eau chaude semblaient insuffisants d’après les informations fournies par les détenus. Le personnel pénitentiaire évoqua l’insuffisance des crédits pour la réalisation des travaux pour le chauffage, l’approvisionnement en eau et l’évacuation des eaux, mais aussi pour couvrir les frais de fonctionnement et d’entretien.

19. La prison ne disposait pas de réfectoire et les repas étaient distribués en cellule et consommés sur les lits.

20. Un des plus grands problèmes de la prison consistait en la réduction considérable de son budget, notamment en ce qui concernait la nourriture de détenus. Quant aux besoins en vêtements de détenus et en produits d’hygiène corporelle, un effort était fait pour que les coûts soient pris en charge par un fonds de solidarité. Toutefois, les sommes obtenues étaient particulièrement modiques et ne suffisaient pas à couvrir les besoins basiques de détenus.

21. Dans ses conclusions, le médiateur soulignait que la prison était confrontée à un grand problème de surpopulation. En dépit des efforts déployés pour en atténuer les effets, la situation des chambrées et cellules était particulièrement difficile, voire étouffante, en raison du grand nombre de détenus et, par conséquent, des mauvaises conditions d’hygiène et de l’absence de ventilation.

B. Les constats du Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT)

22. Dans son rapport du 5 juillet 2013, établi à la suite de sa visite du 4 au 16 avril 2013, le CPT relevait que la prison de Diavata, d’une capacité officielle de 250 détenus, en accueillait 590. La prison dispose de 53 cellules mesurant chacune 24 m² et accueillant chacune 10 détenus, de 10 cellules de 11 m² chacune et accueillant chacune 4 détenus et de 3 cellules où séjournent 34 détenues femmes. L’accès à la lumière naturelle et l’aération dans les cellules sont satisfaisants et il y a quelques tabourets. Les salles d’eau contiennent quatre toilettes ainsi qu’un évier qui sert aussi pour laver le linge et faire la vaisselle.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 3 ET 13 DE LA CONVENTION

23. Les requérants se plaignent de leurs conditions de détention dans la prison de Diavata. Ils allèguent une violation de l’article 3 de la Convention à cet égard. Invoquant l’article 13, les requérants dénoncent également l’absence d’un recours effectif pour se plaindre de leurs conditions de détention. Ces articles sont ainsi libellés :

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A. En ce qui concerne les requérants nos 8, 10 et 11

24. Le 9 janvier 2015, la Cour a reçu la déclaration de règlement amiable signée par le Gouvernement qui déclare s’engager à verser 10 000 EUR au requérant no 8, 10 500 EUR au requérant no 10 et 7 500 EUR au requérant no 11. Ces sommes couvriront tout préjudice moral, ainsi que les frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par ces requérants. Lesdites sommes seront versées dans les trois mois suivant la date de la notification de la décision de la Cour. À défaut de règlement dans ledit délai, le Gouvernement s’engage à verser, à compter de l’expiration de celui-ci et jusqu’au règlement effectif de la somme en question, un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne, augmenté de trois points de pourcentage. Ce versement vaudra règlement définitif de l’affaire.

25. Le 9 janvier 2015, les requérants ont déclaré accepter la proposition du règlement amiable du Gouvernement.

26. La Cour prend acte du règlement amiable auquel sont parvenues les parties. Elle estime que celui-ci s’inspire du respect des droits de l’homme tels que les reconnaissent la Convention et ses protocoles et n’aperçoit par ailleurs aucun motif justifiant de poursuivre l’examen de la requête. Elle considère, en outre, que le Gouvernement doit verser les sommes ci-dessus directement sur le compte bancaire indiqué par les avocats des intéressés (Taggatidis et autres c. Grèce, no 2889/09, § 34, 11 octobre 2011).

27. En conséquence, il convient de rayer l’affaire du rôle en ce qui concerne les requérants susmentionnés.

B. Sur la recevabilité de la requête en ce qui concerne les requérants nos 1-7, 9 et 12

1. En ce qui concerne les requérants nos 1-4, 6-7, 9 et 12

28. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter la requête pour autant qu’elle a été introduite par les requérants précités pour non-épuisement des voies de recours internes : ces requérants, ayant été transférés à une autre prison ou libérés avant la date de l’introduction de leur requête à la Cour, ils auraient dû engager une action en dommages-intérêts sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil.

29. Les requérants contestent l’effectivité de l’action fondée sur l’article 105 précité et soulignent que le Gouvernement ne fournit aucun arrêt des tribunaux internes qui aurait accepté d’accorder à un détenu (même s’il a été libéré avant la saisine de la Cour) une indemnité pour violation de l’article 3 de la Convention.

30. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle, s’agissant de l’épuisement des voies de recours internes, la situation peut être différente entre une personne qui a été détenue dans des conditions qu’elle estime contraires à l’article 3 de la Convention et qui saisit la Cour après sa mise en liberté et un individu qui la saisit alors qu’il est toujours détenu dans les conditions qu’il dénonce (Chatzivasiliadis c. Grèce (déc.), no 51618/12, § 30, 26 novembre 2013). En effet, pour qu’un système de protection des droits des détenus garantis par l’article 3 de la Convention soit effectif, les recours préventifs et les recours indemnitaires doivent coexister de façon complémentaire. L’importance particulière de cette disposition impose que les Etats établissent, au-delà d’un simple recours indemnitaire, un mécanisme effectif permettant de mettre rapidement un terme à tout traitement contraire à l’article 3 de la Convention. À défaut d’un tel mécanisme, la perspective d’une possible indemnisation risquerait de légitimer des souffrances incompatibles avec cet article et d’affaiblir sérieusement l’obligation des Etats de mettre leurs normes en accord avec les exigences de la Convention (Ananyev et autres c. Russie, nos 42525/07 et 60800/08, § 98, 10 janvier 2012 ; Chatzivasiliadis précité, § 29). La Cour rappelle, en outre, que dans son arrêt A.F. c. Grèce (no 53709/11, §§ 55-60, 13 juin 2013) elle a estimé qu’il convenait d’examiner si les dispositions d’un texte législatif ou réglementaire susceptibles d’être invoquées aux fins d’une action en application de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil étaient rédigées en termes suffisamment précis et garantissaient des droits « justiciables » (ibid. § 32).

31. En l’espèce, la Cour observe que les requérants nos 2, 3, 6, 7, 9 et 12 furent mis en liberté respectivement les 13 décembre, 12 juillet 2012, 27 février, 30 avril, 24 janvier et 27 juin 2013. En saisissant la Cour le 1er août 2013, ils ne visaient de toute évidence pas à empêcher la continuation de leur détention dans des conditions inhumaines ou dégradantes, mais à obtenir un constat postérieur de violation de l’article 3 de la Convention par la Cour et, le cas échéant, une indemnité pour le dommage moral qu’ils estiment avoir subi.

32. La Cour relève que ces requérants étaient détenus à la prison de Diavata et étaient ainsi soumis aux dispositions du code pénitentiaire. À cet égard, la présente affaire se distingue d’autres affaires grecques qui concernaient les conditions de détention dans les commissariats de police et les centres de rétention dans lesquels le code pénitentiaire ne s’applique pas.

33. Leurs principaux griefs concernant leurs conditions de détention, formulés devant la Cour, portent notamment sur la surpopulation régnant dans cette prison, sur des problèmes d’hygiène et une insuffisance de nourriture. Or de l’avis de la Cour, les articles 21, 25 et 32 du code pénitentiaire garantissent en ces domaines des droits subjectifs et pouvant être invoqués devant les juridictions. L’action indemnitaire fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil combiné avec les articles susmentionnés du code pénitentiaire, et également avec l’article 3 de la Convention qui est directement applicable dans l’ordre juridique interne, constituait ainsi une voie de recours qui aurait dû être intentée par ces requérants.

34. Il s’ensuit que la requête doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention, pour autant qu’elle concerne les requérants précités.

35. En outre, la Cour note que les requérants nos 1 et 4 ont été transférés à la prison de Kassandra respectivement les 27 mai 2013 et 12 novembre 2012.

36. En ce qui concerne le requérant no 4, la Cour note qu’il a saisi la Cour le 1er août 2013 en se plaignant de ses conditions de détention dans la prison de Diavata mais non de celles dans la prison de Kassandra. Or, dans la mesure où il a été transféré à cette dernière prison depuis le 12 novembre 2012, sa requête, qui ne vise que la situation carcérale prévalant à Diavata, n’a pas été introduite dans le délai de six mois prescrit par l’article 35 § 1 de la Convention. Elle doit donc être rejetée en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

37. Tel n’est pas le cas du requérant no 1, qui a aussi saisi la Cour le 1er août 2013, mais n’a été transféré à la prison de Kassandra que le 27 mai 2013. Comme il ne se trouvait pas en liberté comme les requérants nos 2, 3, 6, 7, 9 et 12 lors de la saisine de la Cour, l’action de l’article 105 ne lui serait d’aucune utilité au vu des considérations développées au paragraphe 30 ci-dessus et de la surpopulation carcérale existant couramment en Grèce. La Cour rejette donc l’exception du Gouvernement pour autant qu’elle vise ce requérant et constate que ses griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle les déclare donc recevables.

2. En ce qui concerne le requérant no 5

38. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter la requête pour autant qu’elle émane du requérant no 5 sur le fondement de l’article 35 § 2 b) de la Convention, car celui-ci a déjà saisi la Cour du même grief dans le cadre d’une autre requête collective contre la Grèce, à savoir Adiele et autres c. Grèce (no 29769/13), qui a dénoncé également les conditions de détention à la prison de Diavata.

39. Le requérant souligne que lorsqu’il a saisi la Cour il était encore détenu dans la prison de Diavata.

40. La Cour rappelle que l’article 35 § 2 b) de la Convention commande de déclarer irrecevable une requête qui est « essentiellement la même qu’une requête précédemment examinée par la Cour (...), et (...) ne contient pas de faits nouveaux ». À cet égard, elle constate que le requérant no 5 figure aussi parmi ceux qui ont saisi la Cour dans la requête précitée concernant les conditions de détention à la prison de Diavata. Toutefois, cette requête, qui a été communiquée à l’Etat défendeur le 12 mars 2014, est encore pendante devant la Cour. Rien n’empêche donc la Cour de connaître du cas du requérant dans le cadre de son examen de la présente requête. Lorsqu’elle se prononcera sur la requête no 29769/13, il lui appartiendra alors d’examiner si, pour autant qu’elle concerne le requérant no 5, cette requête a trait aux mêmes faits et aux mêmes griefs que la présente (Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) [GC], no 32772/02, § 63, CEDH-2009 -).

41. La Cour considère, par ailleurs, que les griefs du requérant no 5 ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle les déclare donc recevables.

C. Sur le bien-fondé de la requête en ce qui concerne les requérants nos 1 et 5

1. Article 3 de la Convention

42. Le Gouvernement ne présente pas d’observations sur le bien-fondé du grief de ces requérants.

43. Les requérants renvoient à leur version des conditions de détention ainsi qu’aux constats du médiateur de la République.

44. En ce qui concerne les conditions matérielles de détention et notamment la surpopulation dans les prisons, la Cour renvoie aux principes ressortant de sa jurisprudence tels qu’elle les a répétés dans ses arrêts Ananyev et autres (précité, §§ 139 à 159) et Tzamalis et autres c. Grèce (no 15894/09, §§ 38-40, 4 décembre 2012). Elle rappelle aussi que, lorsque la surpopulation carcérale atteint un certain niveau, le manque d’espace dans un établissement pénitentiaire peut constituer l’élément central à prendre en compte dans l’appréciation de la conformité d’une situation donnée à l’article 3 de la Convention (voir, en ce sens, Karalevičius c. Lituanie, no 53254/99, 7 avril 2005).

45. S’agissant en particulier de ce dernier facteur, la Cour relève que, lorsqu’elle a été confrontée à des cas de surpopulation flagrante, elle a jugé que cet élément, à lui seul, pouvait suffire pour conclure à la violation de l’article 3 de la Convention. En règle générale, il s’agissait de cas où l’espace personnel accordé à un requérant était inférieur à 3 m² (Kantyrev c. Russie, no 37213/02, §§ 50-51, 21 juin 2007, Andreï Frolov c. Russie, no 205/02, §§ 47-49, 29 mars 2007, Kadiķis c. Lettonie, no 62393/00, § 55, 4 mai 2006, Melnik c. Ukraine, no 72286/01, § 102, 28 mars 2006). En revanche, lorsque le manque d’espace n’était pas aussi flagrant, la Cour a pris en considération d’autres aspects concernant les conditions matérielles de détention pour apprécier la conformité d’une situation donnée à l’article 3 de la Convention. Ainsi, même dans les cas où un requérant disposait dans une cellule d’un espace personnel plus important, compris entre 3 m² et 4 m², la Cour a néanmoins conclu à la violation de l’article 3 en prenant en compte l’exiguïté combinée avec, par exemple, l’absence établie de ventilation et d’éclairage appropriés (Vlassov c. Russie, no 78146/01, § 84, 12 juin 2008, Babouchkine c. Russie, no 67253/01, § 44, 18 octobre 2007, Trepachkine c. Russie, no 36898/03, § 94, 19 juillet 2007, et Peers c. Grèce, no 28524/95, §§ 70-72, CEDH 2001‑III).

46. En l’espèce, la Cour note que les informations qui figurent dans le document établi par les autorités de la prison de Diavata (paragraphe 11 ci-dessus) ne contredisent pas les affirmations des requérants relatives à la surpopulation dans la prison. Il ressort de ce document que ceux-ci ont été détenus dans une chambrée de 23,68 m², contenant cinq lits doubles, une toilette de 2,77 m², une table de chevet par détenu, une table avec des chaises pour que les détenus prennent leurs repas, un téléviseur et deux poubelles. Il en résulte que si l’on déduit seulement la surface de la toilette de la surface totale de la chambrée, dix détenus se partageaient un espace de 20,91 m², ce qui est déjà bien inférieur aux critères précités établis par la Cour et sans qu’il faille procéder à des hypothèses quant à l’espace occupé par les différents objets existant dans la chambrée.

47. À cela s’ajoutent les constats du CPT dans son rapport du 5 juillet 2013 (paragraphe 22 ci-dessus), ainsi que ceux du médiateur de la République qui soulignait que la prison était confrontée à un grand problème de surpopulation et qu’en dépit des efforts déployés pour en atténuer les effets, la situation des chambrées et cellules était particulièrement difficile, voire étouffante, en raison du grand nombre de détenus (paragraphes 17-21 ci-dessus).

48. Dans ces conditions, la Cour considère que les requérants nos 1et 5 ont été détenus dans des conditions incompatibles avec l’article 3 de la Convention et qui ont constitué à leur endroit un traitement dégradant, notamment sous l’angle de la surpopulation carcérale. Ce constat dispense la Cour d’examiner les griefs des requérants se rapportant aux autres aspects de ses conditions de détention. Il y a donc eu violation de cette disposition.

2. Article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention

49. Invoquant les articles 3 et 13 combinés de la Convention, les requérants se plaignent qu’ils ne disposaient pas d’un recours effectif pour se plaindre de leurs conditions de détention.

50. Le Gouvernement ne présente pas d’observation par rapport à ce grief.

51. S’agissant des conditions de détention, la Cour a conclu dans certaines affaires (Vaden c. Grèce, no 35115/03, §§ 30-33, 29 mars 2007 et Tsivis c. Grèce, no 11553/05, §§ 18-20, 6 décembre 2007) que les requérants n’avaient pas épuisé les voies de recours internes, faute d’avoir utilisé les recours prévus à l’article 572 du code de procédure pénale (saisine du procureur chargé de l’exécution des peines et de l’application des mesures de sécurité) et à l’article 6 de la loi no 2776/1999 (saisine du procureur superviseur de la prison et saisine du conseil disciplinaire de la prison). Dans ces affaires, les requérants se plaignaient de circonstances particulières qui les affectaient personnellement en tant qu’individus et auxquelles ils estimaient que les autorités pénitentiaires pouvaient mettre un terme en prenant les mesures appropriées. En revanche, elle a affirmé à plusieurs reprises que, dans la mesure où le requérant allègue être personnellement affecté par les conditions générales de détention dans la prison, les recours prévus aux articles 6 et 572 précités ne seraient d’aucune utilité (voir, parmi beaucoup d’autres, Papakonstantinou c. Grèce, no 50765/11, § 51, 13 novembre 2014).

52. La Cour ne voit aucune raison de s’écarter dans la présente affaire de sa jurisprudence constante à cet égard.

53. Il y a donc eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

54. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

55. Le requérant no 1 réclame 35 000 euros (EUR) pour dommage moral. En revanche, le requérant no 5 n’a pas présenté de demande pour dommage moral.

56. Le Gouvernement soutient que la somme réclamée par le requérant no 1 est excessive et non justifiée. Il considère que le constat de violation constituerait une satisfaction suffisante. Il invite, par ailleurs, la Cour à tenir compte du fait que ce requérant a bénéficié de trois congés éducatifs, d’abord pour deux ans (2008-2010), puis pour un an (2010-2011).

57. La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant no 1, au titre du préjudice moral, 15 000 EUR, somme à verser directement sur le compte bancaire indiqué par ses représentants.

B. Frais et dépens

58. Les requérants demandent également chacun 187,50 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.

59. La Cour observe, avec le Gouvernement, que les prétentions au titre des frais et dépens ne sont pas accompagnées des justificatifs nécessaires. Il convient donc d’écarter la demande.

C. Intérêts moratoires

60. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide de rayer la requête du rôle en application de l’article 39 de la Convention en ce qui concerne les requérants nos 8, 10 et 11;

2. Dit que les sommes allouées aux requérants nos 8, 10 et 11 seront versées directement sur le compte bancaire indiqué par leurs avocats ;

3. Déclare la requête recevable en ce qui concerne les requérants nos 1 et 5, et irrecevable quant aux requérants nos 2 - 4, 6 - 7, 9 et 12 ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne les requérants nos 1 et 5 ;

5. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention, combiné avec l’article 3, en ce qui concerne les requérants nos 1 et 5 ;

6. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant no 1, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 15 000 EUR (quinze mille euros) plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à verser directement sur le compte bancaire indiqué par ses avocats ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

7. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 28 janvier 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

André WampachMirjana Lazarova Trajkovska
Greffier adjointPrésidente

ANNEXE

1. Vassilios PATRIKIS, ressortissant grec né en 1965
2. Atanas ATANASOV, ressortissant bulgare né en 1957
3. Nikolay BUTILOV, ressortissant bulgare né en 1979
4. Pantelis DAGGAS, ressortissant grec né en 1962
5. Frank ECHEKWUBE, ressortissant nigérian né en 1982
6. Hilary Emeka EZE, ressortissant nigérian né en 1975
7. Klodian HYSKA, ressortissant albanais né en 1982
8. Dimitrios ISSOPOULOS, ressortissant grec né en 1960
9. Yordan KOSTADINOV, ressortissant bulgare né en 1960
10. Kujtim BUSHI, ressortissant albanais né en 1987
11. Mirand RAMA, ressortissant albanais né en 1969
12. Pavlos STEFANIDIS, ressortissant grec né en 1977


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-160225
Date de la décision : 28/01/2016
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement dégradant) (Volet matériel);Violation de l'article 13+3 - Droit à un recours effectif (Article 13 - Recours effectif) (Article 3 - Interdiction de la torture;Traitement dégradant)

Parties
Demandeurs : PATRIKIS ET AUTRES
Défendeurs : GRÈCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : KOSMATOS K. ; LAMPAKIS C. ; SARLIS G.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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