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07/07/2015 | CEDH | N°001-155814

CEDH | CEDH, AFFAIRE SARIDAŞ c. TURQUIE, 2015, 001-155814


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE SARIDAŞ c. TURQUIE

(Requête no 6341/10)

ARRÊT

STRASBOURG

7 juillet 2015

DÉFINITIF

07/10/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Sarıdaş c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Helen Keller,
Egidijus Kūris,
Rob

ert Spano,
Jon Fridrik Kjølbro, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 16 juin 2015,

Rend l’arrêt q...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE SARIDAŞ c. TURQUIE

(Requête no 6341/10)

ARRÊT

STRASBOURG

7 juillet 2015

DÉFINITIF

07/10/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Sarıdaş c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Helen Keller,
Egidijus Kūris,
Robert Spano,
Jon Fridrik Kjølbro, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 16 juin 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 6341/10) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet État, M. Bayram Sarıdaş (« le requérant »), a saisi la Cour le 26 janvier 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me Ö. Gümüştaş, avocate à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

3. Le 8 avril 2014, les griefs tirés de l’article 6 de la Convention ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus.

EN FAIT

4. Le requérant est né en 1962 et réside à Gaziantep.

5. Le recensement concernant le contingent auquel le requérant était rattaché eut lieu en 2006.

6. L’intéressé fut soumis à la procédure habituelle d’examen médical, d’abord à l’hôpital militaire de Malatya puis à l’hôpital militaire de Ankara et, enfin, à l’hôpital militaire GATA, à Ankara.

7. Il remit aux médecins du service de neurologie de l’hôpital militaire GATA un rapport médical établi le 5 octobre 2001 par l’institut médicolégal, indiquant qu’il souffrait du syndrome de Wernicke-Korsakoff.

8. Après avoir procédé à des analyses médicales et avoir examiné le requérant, les neurologues estimèrent que le patient n’était plus atteint de cette maladie.

9. Le requérant fut également soumis à un examen psychiatrique. Les médecins qui l’examinèrent conclurent que, malgré le « trouble mental organique » dont il avait souffert par le passé, l’intéressé était, du point de vue psychiatrique, apte à faire son service militaire.

10. L’hôpital militaire GATA établit son rapport médical définitif le 29 mai 2006. Il y indiquait que le requérant était apte à faire le service militaire, mais qu’il ne pouvait pas être intégré dans une unité de commando.

11. Le requérant ne contesta pas ce rapport dans le délai légal de trente jours. Il ne se présenta pas non plus au centre du service national pour son enrôlement. Il fut alors recherché pour désertion.

12. Le 28 août 2007, il saisit le ministère de la Défense d’une demande de dispense de ses obligations militaires pour cause d’inaptitude. Il précisait avoir passé vingt-deux ans de sa vie en prison en raison de multiples condamnations pour vol avec violence et pour appartenance à une organisation illégale armée, et soutenait être atteint du trouble de personnalité antisociale.

13. Le 28 septembre 2007, le centre du service national rejeta cette demande au motif que le requérant avait été déclaré apte à faire son service militaire et qu’il ne s’était pas présenté au centre du service national.

14. Le 27 novembre 2007, le requérant, par l’intermédiaire de son avocat, assigna le ministère de la Défense devant la Haute Cour administrative militaire en vue d’obtenir l’annulation de cette décision.

15. Le 17 avril 2008, avant de statuer sur le fond de l’affaire, la Haute Cour administrative militaire ordonna la réalisation d’une expertise médicale par le conseil de la santé de l’hôpital militaire GATA.

16. Ce conseil était composé de douze médecins militaires : un président (maître de conférences), un psychiatre (académicien), un dermatologue (académicien), un orthopédiste (académicien), un médecin spécialisé en maladies infectieuses (maître de conférences), un cardiologue (maître de conférences), un généraliste, un urologue (académicien), un oto-rhino-laryngologiste (académicien), un neurologue, un ophtalmologue et un chirurgien.

17. Il rendit son rapport provisoire le 3 juillet 2008. À une date non précisée dans le dossier, le requérant obtint une copie des conclusions de ce rapport, qui se lisaient comme suit :

« Le rapport du conseil de la santé sera transmis après approbation.

Diagnostic : trouble mental organique guéri.

Décision : apte au service militaire. »

18. Le 31 juillet 2008, un général de brigade, professeur en médecine, apposa sa signature pour approbation du rapport. Celui-ci se lisait comme suit dans ses passages pertinents en l’espèce :

« Consultation

Le patient a une attitude normale, il est soigné, calme et sociable. Il parle correctement et a un langage gestuel normal. Il se déplace normalement. Il tient un discours cohérent et logique. Son casier judiciaire fait état de plusieurs condamnations. Le rapport neurologique du 29 mai 2006 fondé sur des analyses et des examens neurologiques montre qu’il ne souffre plus du syndrome de Wernicke-Korsakoff.

Conclusion

Trouble mental organique guéri. M. Sarıdaş est apte à faire le service militaire. »

19. Malgré sa demande en ce sens, le requérant n’obtint pas communication du rapport définitif du conseil de la santé de l’hôpital militaire GATA.

20. Par l’intermédiaire de son avocat, il déplora cette absence de communication. Il soutint également que le conseil de la santé de l’hôpital militaire GATA n’était pas indépendant et impartial, et qu’il convenait d’ordonner une expertise médicale auprès d’un hôpital universitaire ou de l’institut médicolégal.

21. La Haute Cour administrative militaire ne donna aucune suite aux demandes du requérant. À l’issue d’une audience tenue le 2 juillet 2009, elle débouta l’intéressé sur le fondement des rapports médicaux de l’hôpital militaire GATA.

22. L’arrêt de la Haute Cour administrative militaire fut notifié à l’avocat du requérant le 29 juillet 2009.

23. Dans sa décision, la Haute Cour administrative militaire observait que l’intéressé ne souffrait pas du trouble de personnalité antisociale et qu’il avait été considéré comme médicalement apte à faire le service militaire. Elle ajoutait que le fait d’avoir été condamné à plusieurs reprises à des peines d’emprisonnement ne justifiait pas à lui seul une exemption du service militaire obligatoire.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

24. Invoquant l’article 6 de la Convention, le requérant soutient que sa cause n’a pas été entendue équitablement par la Haute Cour administrative militaire. Il se plaint en particulier de l’absence de communication du rapport médical définitif établi par le conseil de la santé de l’hôpital militaire GATA, soutenant qu’il a ainsi été privé de la possibilité de répondre aux conclusions de cette expertise qui l’aurait concerné au premier chef et de les contester.

25. Le requérant estime également que le conseil de la santé de l’hôpital militaire GATA n’était pas indépendant et impartial et qu’il aurait fallu, pour que les exigences de l’article 6 de la Convention fussent remplies, que la Haute Cour administrative militaire ordonnât une expertise médicale auprès de l’institut médicolégal ou auprès d’un hôpital universitaire avant de statuer sur le fond de l’affaire.

26. Le Gouvernement combat les thèses du requérant.

27. Maîtresse de la qualification juridique des faits, la Cour estime, dans les circonstances de la présente affaire, que les griefs soulèvent des questions sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Sur la recevabilité

28. Le Gouvernement soutient que l’article 6 § 1 de la Convention n’est pas applicable en l’espèce. Il invite la Cour à déclarer la requête incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention.

29. La Cour considère que, dans les circonstances de la cause, aucune question ne se pose quant à l’applicabilité de l’article 6 § 1 sur la base du statut du requérant en tant que conscrit bon pour le service militaire, étant donné qu’il a eu accès à un tribunal en vertu du droit national (Vilho Eskelinen et autres c. Finlande [GC], no 63235/00, §§ 62-63, CEDH 2007‑II, voir aussi Placì c. Italie, no 48754/11, § 67, 21 janvier 2014).

30. Le Gouvernement soulève également une exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Il soutient que le requérant aurait dû préalablement saisir la Haute Cour administrative militaire d’une demande en rectification de l’arrêt.

31. La Cour note que le recours en rectification de l’arrêt est une voie de recours extraordinaire. Eu égard aux règles de droit international généralement reconnues, pareil recours ne doit pas nécessairement avoir été exercé pour que les exigences de l’article 35 de la Convention puissent être jugées remplies (Gök et autres c. Turquie, nos 71867/01, 71869/01, 73319/01 et 74858/01, §§ 47-48, 27 juillet 2006, voir aussi Tüm Haber Sen et Çınar c. Turquie (déc.), no 28602/95, 13 novembre 2003, et Karaduman c. Turquie, no 16278/90, décision de la Commission du 3 mai 1993). Il s’ensuit que l’exception du Gouvernement ne peut être retenue.

32. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

33. Le requérant se plaint de n’avoir pas reçu notification du rapport d’expertise médicale définitif établi par le conseil de la santé de l’hôpital militaire GATA et de n’avoir pas pu discuter ce rapport. Il soutient que celui-ci était essentiel dans la procédure, à tel point que ses conclusions auraient été intégralement reprises par la Haute Cour administrative militaire dans sa décision. Or, selon lui, ce conseil n’était ni indépendant ni impartial et une expertise médicale auprès de l’institut médicolégal ou d’un hôpital universitaire aurait dû être ordonnée.

34. Le Gouvernement indique que les parties ont eu la possibilité d’échanger leurs observations et leurs analyses relatives à la requête. Il affirme que le requérant, qui était selon lui représenté par un avocat, savait qu’une expertise médicale avait été ordonnée par la Haute Cour administrative militaire auprès du conseil de la santé de l’hôpital militaire GATA. Affirmant que les dossiers de procédure sont toujours accessibles aux parties, il considère qu’il était en tout état de cause loisible au requérant de consulter son dossier et d’obtenir une copie de la pièce en question, qui, à ses dires, n’était pas confidentielle. Le Gouvernement précise également que ledit rapport n’a pas non plus été communiqué à l’administration défenderesse. Il ajoute que les règles relatives à l’aptitude au service militaire sont décrites de manière précise dans le « Règlement des forces armées turques sur l’aptitude au service militaire du point de vue de la santé » et que ce texte est accessible à tous. Il dit que le conseil de la santé de l’hôpital militaire GATA est un organe composé de médecins militaires spécialisés dans le domaine de la médecine militaire. Il estime que leur qualité de militaires n’empêche pas ces médecins de remplir leurs fonctions dans le respect de la science médicale. Enfin, il est d’avis que la situation diffère de celle de l’affaire Placì (précité), dans la mesure où, même si le recrutement des médecins militaires est effectué par le ministère de la Défense, l’hôpital militaire GATA est rattaché au commandement de l’état‑major de l’Armée.

35. La Cour note que l’article 6 § 1 de la Convention garantit le droit à un procès équitable devant un « tribunal » indépendant et impartial et ne requiert pas expressément qu’un expert entendu par un tribunal réponde aux mêmes critères (voir, mutatis mutandis, Mantovanelli c. France, 18 mars 1997, § 33 Recueil des arrêts et décisions 1997‑II). Toutefois, l’avis d’un expert nommé par la juridiction compétente pour traiter les questions soulevées par l’affaire est susceptible de peser de manière significative sur la manière dont ladite juridiction appréciera l’affaire. La Cour a reconnu dans sa jurisprudence que le manque de neutralité d’un expert nommé par une juridiction peut dans certaines circonstances emporter violation du principe d’égalité des armes inhérent à la notion de procès équitable (Bönisch c. Autriche, 6 mai 1985 (fond), §§ 30-35 série A no 92, et Brandstetter c. Autriche, 28 août 1991, § 33 série A no 211). Il faut notamment tenir compte de facteurs tels que la place et le rôle de l’expert dans la procédure (Sara Lind Eggertsdóttir c. Islande, no 31930/04, § 47, le 5 Juillet 2007).

36. En l’espèce, la Cour observe que l’hôpital militaire GATA dépend du commandement de l’état-major de l’Armée et que c’est le ministère de la Défense, partie au procès, qui nomme ses personnels à leurs positions respectives et qui paie leurs salaires. Elle note que le conseil de la santé de l’hôpital militaire GATA, qui a établi le rapport médical relatif au requérant, était composé de douze médecins militaires (paragraphe 16 ci-dessus), dont le président du conseil. Dans ce contexte, la Cour estime que la structure et la composition de ce conseil pouvaient être pour le requérant la source de certaines préoccupations (Placì, précité, § 75). Cela étant, elle rappelle que, même si de tels sentiments peuvent revêtir une certaine importance, ils ne sont pas déterminants ; ce qui est déterminant, c’est le fait de savoir si les inquiétudes nées des apparences peuvent passer pour objectivement justifiées (Brandstetter, précité, § 44, série A no 211).

37. La Cour relève que le rapport du conseil de la santé de l’hôpital militaire GATA a été déterminant pour la Haute Cour administrative militaire, qui s’est fondée principalement sur les conclusions du conseil pour décider que le requérant était médicalement apte à faire le service militaire.

38. Elle constate qu’il existe dans la pratique une corrélation étroite entre la décision de la Haute Cour administrative militaire et le rapport du conseil de la santé de l’hôpital militaire GATA et que la haute juridiction a souscrit à ce rapport sans envisager d’ordonner une nouvelle expertise par des médecins autres que des médecins militaires. Même si, en droit turc, les juges ne sont pas directement liés du point de vue juridique par les conclusions des rapports d’expertise, il en va assurément autrement dans le domaine médical où les conclusions des médecins sont le plus souvent décisives.

39. En l’espèce, le fait que la Haute Cour administrative militaire n’a donné aucune suite à la demande du requérant d’être examiné par un organe ne dépendant pas du commandement de l’état-major de l’Armée ou du ministère de la Défense pose problème. De plus, sa décision est totalement muette sur les raisons pour lesquelles elle a ignoré la demande en question. La Haute Cour administrative militaire s’est bornée à ajouter foi à un unique rapport d’expertise médicale émanant d’un hôpital militaire qui s’était pourtant déjà prononcé auparavant sur le cas du requérant (paragraphe 10 ci-dessus).

40. De plus, outre cette défaillance, la Cour constate que le rapport d’expertise médicale litigieux n’a pas été notifié au requérant. Or la notification de ce rapport au requérant était d’une importance capitale pour lui afin que l’intéressé puisse le contester et faire entendre sa cause.

41. En effet, le droit à une procédure contradictoire implique en principe la faculté pour les parties à un procès de prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée au juge en vue d’influencer sa décision, et de la discuter (voir, parmi d’autres, Ruiz-Mateos c. Espagne, 23 juin 1993, § 63, série A no 262, Lobo Machado c. Portugal, 20 février 1996, § 31, Recueil 1996-I, Morel c. France, no 34130/96, § 27, CEDH 2000‑VI, et Gereksar et autres c. Turquie, nos 34764/05, 34786/05, 34800/05 et 34811/05, § 27, 1er février 2011).

42. Dans les circonstances de la cause, la Cour rappelle avoir relevé que les juges de la Haute Cour administrative militaire se sont très largement fondés sur le rapport d’expertise médicale établi par le conseil de la santé de l’hôpital militaire GATA pour débouter le requérant.

43. Elle estime probable que le défaut de communication de ce rapport médical poursuivait en l’espèce un but d’économie et d’accélération de la procédure, d’autant que le requérant, qui avait subi un examen médical à l’hôpital militaire GATA dans le cadre de cette expertise, avait reçu une copie des conclusions du rapport provisoire (paragraphe 17 ci-dessus). Comme en témoigne sa jurisprudence, la Cour attache une grande importance à cet objectif, lequel, toutefois, ne saurait justifier de méconnaître un principe aussi fondamental que le droit à une procédure contradictoire (Nideröst-Huber c. Suisse, 18 février 1997, § 30, Recueil 1997‑I).

44. Quant à l’argument selon lequel le requérant aurait pu consulter le dossier au greffe de la Haute Cour administrative militaire et obtenir une copie de la pièce litigieuse, la Cour est d’avis qu’une telle possibilité ne constitue pas en soi une garantie suffisante pour assurer le droit des intéressés à une procédure contradictoire.

45. Elle estime en effet que l’équité voulait que ce fût le greffe de la Haute Cour administrative militaire qui informât le requérant du dépôt de cette pièce. À cet égard, elle réaffirme que le fait d’attendre de l’avocat d’un requérant qu’il prenne l’initiative et qu’il s’informe périodiquement du point de savoir si de nouveaux éléments ont été versés au dossier équivaudrait à lui imposer une charge disproportionnée (voir, dans le même sens, Göç c. Turquie [GC], no 36590/97, § 57, CEDH 2002‑V).

46. Aussi la Cour estime-t-elle que le respect du droit à un procès équitable, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, exigeait que le greffe de la Haute Cour administrative militaire notifiât au requérant l’intégralité du rapport d’expertise médicale définitif afin que celui-ci eût la possibilité de le commenter, ce qui n’a pas été fait.

47. Ces considérations suffisent à la Cour pour conclure que le requérant n’a pas bénéficié d’un procès équitable devant la Haute Cour administrative militaire.

48. Il y a donc eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

49. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

50. Le requérant réclame 20 000 euros (EUR) pour préjudice moral. Il sollicite également 5 354 livres turques (TRY - soit 1 935 EUR) pour frais et dépens. À titre de justificatif, il présente une note d’honoraires d’avocat, un décompte horaire, un décompte de dépenses relatives à des frais de papeterie et une facture de frais postaux.

51. Le Gouvernement conteste ces prétentions.

52. La Cour estime que le requérant a subi un préjudice moral certain que le simple constat de violation ne saurait suffire à réparer. Dès lors, elle considère qu’il y a lieu de lui octroyer 4 000 EUR à ce titre.

53. Par ailleurs, elle rappelle que, selon sa jurisprudence, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et des critères susmentionnés, elle estime raisonnable la somme de 1 000 EUR tous frais confondus et l’accorde au requérant.

54. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :

i. 4 000 EUR (quatre mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii. 1 000 EUR (mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 juillet 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stanley NaismithAndrás Sajó
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-155814
Date de la décision : 07/07/2015
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure administrative;Article 6-1 - Procès équitable;Procédure contradictoire);Préjudice moral - réparation (Article 41 - Préjudice moral;Satisfaction équitable)

Parties
Demandeurs : SARIDAŞ
Défendeurs : TURQUIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : GUMUSTAS O.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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