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30/08/2016 | CEDH | N°001-166481

CEDH | CEDH, AFFAIRE AYDOĞDU c. TURQUIE, 2016, 001-166481


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE AYDOĞDU c. TURQUIE

(Requête no 40448/06)

ARRÊT

STRASBOURG

30 août 2016

DÉFINITIF

30/11/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Aydoğdu c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Julia Laffranque, présidente,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Valeriu Griţco,
Ksenija Turković,


Jon Fridrik Kjølbro,
Georges Ravarani, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 juin 2016,

R...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE AYDOĞDU c. TURQUIE

(Requête no 40448/06)

ARRÊT

STRASBOURG

30 août 2016

DÉFINITIF

30/11/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Aydoğdu c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Julia Laffranque, présidente,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Valeriu Griţco,
Ksenija Turković,
Jon Fridrik Kjølbro,
Georges Ravarani, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 juin 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 40448/06) dirigée contre la République de Turquie et dont deux ressortissants de cet État, Mme Songül Aydoğdu et son époux, M. Ercan Aydoğdu (« les requérants »), ont saisi la Cour le 22 septembre 2006 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants ont été représentés par Mes A. Gültekin et S. Tarhan, avocats à İzmir. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

3. Les requérants se plaignent, en substance, d’une violation tant matérielle que procédurale du droit à la vie de leur nouveau-née.

4. Le 28 janvier 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

A. La genèse de l’affaire

5. Le 6 mars 2005, vers 16 h 30, la requérante, se trouvant alors à sa 30e semaine de grossesse et présentant les signes annonciateurs d’un accouchement avant terme, fut conduite à l’hôpital de formation et de recherches Atatürk près l’Université de Katip Çelebi à İzmir (« l’hôpital Atatürk »).

6. L’obstétricienne D.U. décida de pratiquer sans délai une césarienne, à l’issue de laquelle la requérante mit au monde une fille. D’après différents rapports et comptes rendus versés au dossier, l’état général de santé de la nouveau-née, pesant 970 g pour 37 cm, correspondait à un score Apgar[1] de « 0 » à la première minute et de « 6 » à la cinquième. Or les scores indiqués sur l’original du formulaire Apgar étaient de « 6 » et « 7 » respectivement.

7. Selon les médecins, la petite fille souffrait d’une détresse respiratoire due à la maladie des membranes hyalines (« la MMH »), syndrome qui nécessite une prise en charge urgente et des dispositifs techniques spécifiques, tels que des incubateurs de soins intensifs et des systèmes de ventilation mécanique néonatale.

Or l’hôpital Atatürk ne disposait pas de tels moyens. Aussi, vers 18 heures, à la demande des médecins D.U. et A.K., la prématurée fut-elle immédiatement transférée, par ambulance, à l’hôpital de formation et de recherches des maladies et de la chirurgie infantiles du Docteur Behçet Uz (« l’hôpital Behçet Uz »).

8. Selon le registre de l’ambulancier, c’est le médecin Ö.M. de l’hôpital Behçet Uz qui avait consenti au transfert.

9. Vers 18 h 30, les médecins de garde Ö.M., F.T. et M.S. durent prendre la nouveau-née en charge au sein du service néonatal de l’hôpital Behçet Uz, faute d’une place dans l’unité de soins intensifs où se trouvaient les incubateurs et l’équipement de ventilation mécanique. À ce moment-là, l’état du bébé était décrit comme « mauvais », l’enfant présentant une cyanose et ne respirant pas spontanément.

Les médecins avertirent le requérant, arrivé entre-temps sur les lieux, que le service néonatal n’était pas en mesure de dispenser les soins qui s’imposaient, mais que, si l’intéressé trouvait un autre hôpital disposant d’équipements adéquats, le bébé pouvait y être transféré.

10. Le soir même, alors que les proches et amis des requérants (M.G., S.Y. et Se.Y.) essayaient de trouver une place pour l’enfant dans les autres établissements de la région, les trois médecins susmentionnés (paragraphe 9 ci-dessus) cosignèrent un procès-verbal rapportant les conditions dans lesquelles la prématurée avait été transférée vers leur hôpital. Ce document se lit ainsi :

« La patiente – alors qu’elle était intubée, mais sans dispositif intraveineux – a été transférée le 06.03.05, à 18 heures [par ambulance], en dépit de notre avertissement selon lequel nous n’avions ni incubateur ni ventilateur mécanique disponibles, ni dans notre unité des prématurés ni aux soins intensifs (service néonatal).

L’obstétricienne qui a ordonné le transfert était tout à fait au courant de la situation de notre hôpital, mais, malgré cela, elle n’a pas informé la famille de la patiente qu’il n’était pas possible d’assurer le traitement en couveuse d’une prématurée née à la 30e semaine ni de répondre à son besoin de ventilation mécanique.

Il y a donc eu violation du droit [de la famille] de la patiente à l’information ainsi que de son droit à décider des conditions du traitement.

La vie de la patiente a ainsi été mise en danger. »

Ils donnèrent copie de ce procès-verbal aux requérants.

11. Finalement maintenue dans le service néonatal, la petite fille fut placée dans une couveuse ouverte, fut intubée et, faute d’un ventilateur mécanique, fut reliée à un appareil respiratoire Bird[2] emprunté aux urgences.

Le 7 mars, son état empira vers 17 heures.

Le lendemain matin, vers 7 heures, la prématurée fut transférée à l’unité des soins intensifs, une place s’y étant libérée en raison du décès d’un autre bébé ; elle y fut placée sous ventilation mécanique.

12. Le 8 mars 2005, vers 23 heures, alors que les médecins avaient assuré aux requérants que leur fille se portait bien, celle-ci fut découverte morte par une infirmière.

L’évènement fit la une des journaux et attira, de ce fait, l’attention notamment des instances du ministère de la Santé.

B. Les procédures engagées en l’espèce

13. Le 11 mars 2005, le requérant déposa, auprès du parquet d’İzmir, une plainte contre les médecins et administrateurs des hôpitaux Atatürk et Behçet Uz en poste entre le 6 et le 8 mars précédents. Il leur reprochait d’avoir causé la mort de sa fille en raison de négligences professionnelles. S’appuyant sur le procès-verbal délivré par les médecins de garde de l’hôpital Behçet Uz et les témoignages de leurs amis (paragraphe 10 ci‑dessus), il demanda une autopsie et l’ouverture d’une instruction pénale pour homicide.

14. Le même jour, un examen post mortem fut effectué sur le corps qui pesait alors 1 080 g pour 37 cm (comparer avec paragraphe 6 ci-dessus). Le légiste demanda le transfert du corps à l’institut médicolégal d’İzmir aux fins d’une nécropsie.

15. Le 25 avril 2005, la requérante déposa, à son tour, une plainte séparée dans le même sens, qui fut jointe à celle du requérant (paragraphe 13 ci-dessus).

16. Le 3 mai 2005, l’institut médicolégal d’İzmir rendit son rapport. Selon les légistes, la cause réelle du décès était bien la MMH, mais l’établissement d’un éventuel lien de causalité entre la mort et une négligence quelconque de la part des médecins traitants relevait de la compétence de l’institut médicolégal d’Istanbul.

17. Le 25 mai 2005, l’avocat des requérants demanda par écrit au ministère de la Santé la transmission des données officielles relatives aux dispositifs médicaux disponibles à la date du 9 mars 2005 dans les unités périnatales et néonatales des hôpitaux à İzmir. Ces informations se présentaient comme suit :

|

Service néonatal

|

Incubateurs de soins intensifs

|

Incubateurs ouverts

|

Incubateurs fermés

|

Ventilateurs mécaniques

|

Pédiatres

|

Spécialistes en néonatalogie

---|---|---|---|---|---|---|---

Hôpital Atatürk

|

non

|

0

|

0

|

0

|

0

|

12

|

0

Hôpital Behçet Uz

|

oui

|

8

|

17/18

|

16

|

12

|

32

|

0

Hôpital
de Tepecik

|

oui

|

Non communiqué

|

17

|

28

|

Non communiqué

|

26

|

0

18. Le 22 août 2005, le conseil d’experts no 1 de l’institut médicolégal d’Istanbul (« le conseil d’experts no 1 ») rendit son rapport, qui se limitait au résumé des actes médicaux effectués en l’espèce et concluait comme suit :

« 1. Au vu des documents médicaux et de l’autopsie, la mort de l’enfant a résulté d’une détresse respiratoire due à la prématurité et à la MMH.

2. Compte tenu de son tableau clinique, il n’était pas certain qu’[elle] eût pu survivre même si on lui avait prodigué un traitement en couveuse. »

Ce rapport porte la signature de neuf spécialistes : trois en médecine légale, un en pathologie, un en cardiologie, un en neurochirurgie, un en chirurgie générale, un en anesthésiologie et un en gynécologie-obstétrique. Aucun spécialiste en pédiatrie ou néonatalogie (paragraphe 45 in fine ci‑dessous) n’a participé à l’élaboration de cette expertise.

19. Le 6 décembre 2005, le parquet d’İzmir transmit la plainte jointe des requérants à la sous-préfecture de Konak (İzmir), en vertu de la loi no 4483 sur la poursuite des fonctionnaires et autres agents publics (« la loi no 4483 ») (paragraphe 37 ci-dessous). En effet, selon l’article 3 de cette loi, le sous-préfet était compétent pour décider de l’opportunité d’ouvrir une instruction pénale contre les fonctionnaires de son ressort, dont les médecins D.U. et A.K. de l’hôpital Atatürk, ainsi que les médecins Ş.C., G.Y., T.M., E.Ö. et N.Y. de l’hôpital Behçet Uz.

20. Le 23 décembre 2005, T.G., adjoint au médecin-chef de l’hôpital Atatürk, entendit D.U. qui avait procédé à la césarienne (paragraphe 6 ci‑dessus) au sujet de la plainte déposée en l’espèce :

« (...) Le 6 mars 2005, à 17 h 10, la patiente Songül Aydoğdu, enceinte de trente semaines, est arrivée à notre service d’accouchement (...). À 17 h 30, afin de sauver la vie du bébé et celle de la mère, celle-ci a été emmenée au bloc pour une césarienne en urgence ; lors de l’opération, un [décollement du placenta] à 80 % a été observé, ce qui présentait un grand risque pour le bébé. (...) Après la césarienne, le score Apgar du bébé était de 0 dans la minute et de 6 après cinq minutes (paragraphe 6 in fine ci‑dessus). (...) La patiente n’était pas venue régulièrement (...) pour ses contrôles et, dernièrement, elle s’était manifestée trop tardivement ; malgré cela, la maman et le bébé ont bénéficié d’un suivi et d’un traitement en urgence (...) »

21. Le même jour, T.G. transmit au procureur son appréciation sur l’incident dénoncé :

« En l’espèce, l’examen du dossier et les déclarations du médecin traitant [D.U.] sous l’angle médical montrent qu’une césarienne en urgence s’est imposée en raison d’une baisse du rythme cardiaque du fœtus. Pendant l’opération, un décollement précoce à 80 % du placenta, présentant un grand risque pour le bébé, a été observé, tout comme une bradycardie très grave chez le fœtus. De surcroît, la maman avait manqué de se faire suivre régulièrement pendant sa grossesse. (...) Par la suite, le bébé a été transféré après l’accord [de l’hôpital d’accueil]. Il est établi que le traitement et le suivi de la patiente ont été assurés par nos médecins D.U. et A.K., mais rien n’indique qu’ils aient été négligents dans l’exercice de leurs fonctions, que ce soit par rapport au suivi et au traitement [médical] ou par rapport à la procédure de transfert (...) »

22. Le 24 janvier 2006, à la demande de la préfecture d’İzmir, le ministère de la Santé désigna son inspecteur en chef M.O. pour mener une enquête préliminaire administrative et, le cas échéant, disciplinaire sur les faits allégués, alors largement médiatisés.

À cette fin, le 31 janvier 2006, M.O. rencontra d’abord le médecin D.U. et un représentant du service juridique de l’hôpital Atatürk. Il rédigea un constat, cosigné par ces derniers, et qui, en ses parties pertinentes en l’espèce, se lisait ainsi :

« (...) 5. Dans le formulaire d’enregistrement de l’ambulance Yeni Doğan 112, le médecin indiqué comme ayant consenti au transfert est le docteur [Ö.M.] ; (...)

7. Les spécialistes des maladies infantiles en poste dans l’hôpital [Atatürk] n’assurent que les services de polyclinique, ils ne procèdent pas à l’admission des patients et ne font pas de garde.

8. En 2004, 3 335 naissances au total ont eu lieu à l’hôpital Atatürk, dont 2 115 par voie basse et 1 137 par césarienne ; parmi les 387 bébés prématurés, 354 ont été transférés vers d’autres hôpitaux ;

9. En 2005, 3 055 accouchements ont été réalisés, dont 2 032 par voie basse et 1 023 par césarienne ; parmi les 327 bébés prématurés, 241 ont été transférés vers d’autres hôpitaux (...) »

23. Le 2 février 2006, M.O. entendit le requérant, qui s’exprima comme suit :

« (...) aux urgences de l’hôpital Atatürk, après avoir effectué des examens et des tests, ils m’ont dit que mon épouse devait immédiatement subir une césarienne et ils l’ont conduite au bloc. Ils ont dit que même un retard de trente minutes pouvait lui être fatal. Après l’opération, ils nous ont expliqué que le bébé avait été transféré à l’hôpital Behçet Uz par ambulance. (...) À mon arrivée à cet hôpital, ils m’ont dit qu’il n’y avait plus de couveuse disponible et que nous devions en chercher une dans d’autres hôpitaux. Ils m’ont également donné un procès-verbal signé par trois médecins [paragraphe 10 ci-dessus]. (...) Si j’ai bien compris, les médecins de l’hôpital Atatürk et ceux de l’hôpital Behçet Uz s’accusent mutuellement au sujet des transferts de nouveau-nés, mais ce sont les citoyens vulnérables comme nous qui en pâtissent (...) »

24. Le 3 février 2006, M.O. produisit un constat, cosigné par M.S. et F.Ş., médecins, et S.Y., infirmière en chef, en poste à l’hôpital Behçet Uz. Ledit document révélait les circonstances suivantes avant de conclure qu’un avis médical était nécessaire pour les évaluer :

– la nouveau-née a été admise au service néonatal de l’hôpital Behçet Uz le 6 mars 2005, à 18 h 30, puis transférée le lendemain, à 7 h 10, aux soins intensifs ; elle y est décédée le 8 mars 2005, à 23 heures ;

– le bébé a été envoyé par l’hôpital Atatürk, alors même que celui-ci avait été averti qu’il n’y avait ni couveuse ni ventilateur mécanique disponibles, et ce ni dans le service néonatal ni aux soins intensifs ;

– de fait, à l’hôpital Behçet Uz, le service néonatal disposait de 3 couveuses ouvertes (à chauffage radiant) et d’un appareil Bird [paragraphe 11 ci-dessus], le service des prématurés de 21 couveuses fermées, et les soins intensifs pour les prématurés de 6 couveuses ouvertes (à chauffage radiant), de 9 ventilateurs mécaniques et d’1 ventilateur portable [comparer avec le paragraphe 17 ci-dessus].

– l’obstétricien de l’hôpital Atatürk, alors qu’il savait que le bébé ne pourrait pas bénéficier de soins en couveuse ou sous ventilation, n’en a pas informé la famille ; un procès-verbal a d’ailleurs été dressé concernant ce médecin ;

– la famille a été informée des problèmes susmentionnés à l’hôpital Behçet Uz et la nouveau-née a été admise par M.S., sous ces réserves ; son tableau clinique étant inquiétant, le bébé a été relié à un Bird et mis sous traitement médicamenteux à base de dextrose, de dopamine, de midazolam, d’amikacin et/ou d’ampicilline, de ranitidine[3] et de vitamines E et K, accompagné d’une photothérapie intermittente ;

– une fois transférée aux soins intensifs, la nouveau-née a été placée sous ventilation mécanique et a continué à recevoir le même traitement médicamenteux ; le 8 mars 2005, sa saturation en oxygène et ses pouls ont chuté malgré la ventilation ; les trois tentatives de réanimation cardiaque sous adrénaline n’ont pas suffi à la réanimer et elle a été déclarée morte à 23 heures.

Parallèlement, entre le 1er et le 7 février 2006, M.O. interrogea les médecins mis en cause. Leurs déclarations peuvent être récapitulées comme suit.

25. Quant à la position du personnel de l’hôpital Behçet Uz :

– M.S. :

« (...) le 6 mars 2005, vers le soir, nous avons été appelés par l’hôpital Atatürk. Nous (les médecins de garde) avons tous dit et répété maintes fois qu’il n’y avait plus de couveuse ni de ventilateur aux soins intensifs et qu’on ne pouvait accueillir un bébé intubé. Ils nous ont répondu qu’ils ne pouvaient transférer l’enfant nulle part ailleurs, que nous étions un ‘hôpital-dépôt’ et que nous devions accepter tout malade qu’on nous adressait. (...) mes collègues de garde ont rapporté dans un procès-verbal que les obstétriciens de l’hôpital Atatürk avaient procédé à un transfert sans en informer la famille (...) »

– H.A. :

« (...) j’ai appris que, à 18 h 30, une [autre] prématurée née à la 30e semaine (...), intubée, avait été transférée chez nous sans confirmation préalable (...). Elle a été placée dans une couveuse ouverte au service néonatal. Une réanimation cardiaque a été réalisée et la patiente a été reliée à un appareil Bird emprunté aux urgences. (...) Il nous arrive de faire face à ce genre de situation lors des transferts effectués vers notre service néonatal et notre unité des prématurés (...). Je pense qu’il faut remédier à ce problème au sein de la direction départementale de la santé (...) »

– F.T. :

« Nous avons été appelés par l’hôpital Atatürk (...). Ils ont dit avoir un bébé intubé qu’ils allaient transférer chez nous. Je leur ai dit de ne pas le faire et de prendre contact avec les autres hôpitaux, car nous n’avions plus de place aux soins intensifs et pas un seul ventilateur disponible. (...) Ils m’ont répondu que nous étions un ‘hôpital-dépôt’ et que nous devions accepter toutes sortes de patients. (...) Cette situation m’a touché tout comme mes collègues, car nous n’étions pas en mesure d’offrir les soins dont [cette] patiente avait besoin ; c’est pourquoi nous avons rédigé le procès-verbal en question. (...) Afin d’aider cette famille, j’ai appelé les autres hôpitaux et même contacté les établissements privés, lesquels se sont contentés de me donner leurs tarifs de consultation. Du reste, les hôpitaux universitaires n’acceptaient pas ce genre de transfert (...) »

26. Quant à la position du personnel de l’hôpital Atatürk :

– A.K. :

« (...) avant de procéder à la césarienne, considérant qu’un prématuré né à la 30e semaine aurait besoin d’une couveuse, nous avions eu une conversation téléphonique avec l’hôpital Behçet Uz et avions appelé une ambulance. Nous avions rappelé aux proches de la patiente qu’aucune couveuse n’était disponible à l’hôpital Behçet Uz, mais qu’il n’y avait aucun autre établissement vers lequel transférer le bébé. Si je ne me trompe pas, à cette époque, le service néonatal de la maternité de Tepecik était fermé en raison d’une épidémie [paragraphe 42 ci-dessous]. (...) D’après ce que je sais, les hôpitaux universitaires d’İzmir n’acceptaient pas les prématurés transférés d’ailleurs (...) »

– D.U. :

« (...) J’ai décidé l’admission en urgence de la patiente pour une césarienne (...). Avant de commencer l’opération, d’abord les assistants puis moi-même avons parlé avec le médecin Ö.M. de l’hôpital Behçet Uz. Elle m’a déclaré qu’ils allaient accueillir l’enfant et nous avons fait venir l’ambulance. Après la césarienne, le bébé a été confié directement à l’ambulancier (...). »

27. Les déclarations du personnel de l’hôpital Behçet Uz quant au tableau clinique du bébé Aydoğdu :

– Ş.C. :

« (...) J’ai appris l’admission du bébé le matin du 7 mars 2005 ; l’assistant en chef et les assistants présents m’ont informé que la nouveau-née avait été placée sous traitement par ventilation mécanique et qu’elle avait reçu les autres formes de thérapies complémentaires en conformité avec les règles de la médecine moderne actuelle. (...) Nous avions pensé à la MMH. Sachant que cette maladie n’a pas de traitement définitif et qu’il est scientifiquement admis que le taux de survie des bébés, particulièrement ceux nés avec un poids aussi faible, ne dépassait pas 5 %, et qu’aux soins intensifs tous les traitements possibles avaient été prodigués à la patiente, j’estime qu’aucune faute ou négligence ne peut être attribuée à moi-même ou à mes collègues du service. »

– E.Ö. :

« (...) Outre que l’enfant était prématurée et que son poids était très faible, son état était également mauvais eu égard à ses scores Apgar (...). Il avait été signalé que les lits en soins intensifs et les couveuses de notre service étaient occupés, mais la patiente transférée a néanmoins été admise au service néonatal, reliée à un appareil Bird puis conduite aux soins intensifs, où une place s’était libérée entre-temps. Quoi qu’il en soit, la patiente était née avec un mauvais pronostic et présentait un risque élevé de mortalité. En d’autres termes, j’estime que son admission aux soins intensifs dès son arrivée à notre hôpital n’aurait rien changé à son sort (...) »

– N.Y. :

« (...) Je ne pense pas que le traitement de la patiente ait été défaillant ou insuffisant. (...) L’image des graphies pulmonaires s’accordait avec un syndrome de détresse respiratoire (RDS) et, au fond, cela s’expliquait par l’absence, chez le bébé, de synthèse de surfactant, laquelle n’avait pas eu lieu en raison de sa prématurité (...) »

28. Quant aux problèmes généraux relevés en la matière :

– A.B. (de l’hôpital Atatürk) :

« (...) Comme plusieurs incidents comparables étaient survenus auparavant, j’avais déjà averti, tant verbalement que par écrit, la direction de l’hôpital sur la nécessité de réglementer sans tarder les transferts des nouveau-nés. (...) bien que notre hôpital dispose d’environ 10 pédiatres, il n’a pas d’unité de soins intensifs et c’est pourquoi, depuis des années, nous adressons les nouveau-nés à l’hôpital Behçet Uz qui relève du ministère [de la Santé]. Afin de résoudre ce problème, je pense que les deux hôpitaux de recherches devraient agir ensemble, qu’une unité de soins intensifs devrait être créée dans notre hôpital et que l’hôpital Behçet Uz devrait assurer le soutien médical. Sinon, de telles situations continueront à poser des problèmes (...) »

– G.Y. (de l’hôpital Behçet Uz) :

« (...) Quant à la question de l’insuffisance du nombre de couveuses dans les hôpitaux mis en cause, mon opinion est la suivante : les hôpitaux qui ont des [services] de gynécologie et d’obstétrique doivent disposer, en leur propre sein ou dans un établissement à proximité, d’unités propres à assurer les soins néonataux. D’ailleurs, je sais que suffisamment de spécialistes de maladies infantiles, qui, selon moi, étaient censés servir dans ce but, ont été employés dans les hôpitaux en question, afin de travailler dans les services. (...) Si les transferts n’étaient effectués que dans les cas critiques nécessitant un traitement de haut niveau et une spécialisation particulière et si ces transferts étaient bien coordonnés (c’est-à-dire coordonnés par le spécialiste de maladies infantiles responsable en la matière, et non un obstétricien), je pense que le problème serait résolu. Par ailleurs, bien qu’on parle toujours d’augmenter le nombre de couveuses, il faut savoir qu’une couveuse n’est qu’un outil pour administrer des soins. Chaque couveuse nécessite quatre personnes capables d’en assurer le fonctionnement et ayant une longue expérience de ce matériel. Notre ville dispose d’environ (...) 170 couveuses. Elles ne sont pas utilisées de manière effective et la plus grande partie de la charge est absorbée par notre hôpital, qui est un établissement public n’ayant ni la possibilité ni la vocation de refuser un patient (...) »

– T.M. (de l’hôpital Behçet Uz) :

« (...) Les soins donnés à la patiente répondaient aux exigences de la médecine moderne et j’estime que tous les traitements et examens possibles dans les conditions actuelles de notre hôpital lui ont été prodigués. (...) Depuis longtemps, dans le département d’İzmir, il y a un problème concernant les transferts vers d’autres hôpitaux des prématurés présentant une détresse respiratoire. Ce problème résulte d’un manque de coordination entre les établissements. Malgré les nombreuses réunions organisées entre ces derniers sous la présidence de la direction départementale de la santé et malgré les décisions prises à cet égard, on continue à relever des défaillances dans la communication d’informations aux familles des patients et aux hôpitaux d’accueil avant qu’il soit procédé à un transfert. C’est ce type de problème qu’on a rencontré lors du transfert du bébé Aydoğdu vers notre hôpital. (...) En raison du grand nombre des plaintes concernant de tels incidents liés aux va-et-vient des patients d’un hôpital à un autre à cause de l’indisponibilité de couveuses, la direction départementale de la santé a pris des initiatives. Le nombre de couveuses et de ventilateurs mécaniques a été augmenté dans notre hôpital. Par ailleurs, il a été assuré que les spécialistes des maladies infantiles de l’hôpital Atatürk feraient des gardes. Ces derniers ont commencé à coordonner les transferts des patients. Cependant, je pense que, pour apporter une solution définitive à ce sujet, il faudrait créer une unité néonatale au sein de l’hôpital Atatürk et mettre en place un système centralisé de suivi des couveuses disponibles dans les différents services néonataux afin de mieux orienter les patients (...) »

– M.H. (de l’hôpital Atatürk) :

« (...) Cela fait des années que les transferts des nouveau-nés entre hôpitaux posent problème. (...) Les transferts de ces patients doivent être effectués dans des conditions particulières, avec une équipe spécialisée et en dialogue avec l’hôpital d’accueil, c’est-à-dire après l’établissement d’une chaîne de transfert (chaîne de transport de nouveau-nés). Grâce à nos efforts, courant 2001, (...) il a été décidé de créer à İzmir trois unités de soins intensifs néonataux de niveau 2 (...) et trois unités de niveau 3 (...), et de procéder aux transports entre les hôpitaux après communication et sur la base d’un formulaire spécial. Toutefois, aucune unité de ce type n’a pu être créée à l’hôpital Atatürk (...) »

29. Le 8 février 2006, un projet de rapport fut préparé par l’inspecteur en chef M.O. à l’attention de deux spécialistes, à savoir M.He., pédiatre à l’hôpital de formation et de recherches de Tepecik, et de M.Sa., gynécologue-obstétricien à l’hôpital de formation et de recherches sur la maternité et la gynécologie d’Ege. Ce projet reprenait les faits établis dans le rapport susmentionné du 3 février 2006 (paragraphe 24 ci-dessus) et invitait les deux spécialistes à répondre aux questions suivantes :

– y a-t-il eu faute, négligence, imprudence ou inattention imputable aux médecins D.U. et A.K. (...) relativement à la mort du bébé ?

– y a-t-il eu faute, négligence, imprudence ou inattention de la part des médecins Ş.C., G.Y., T.M., E.Ö. et N.Y. de l’hôpital Behçet Uz, qui ont participé au traitement du bébé, et le traitement qu’ils ont prodigué respectait-il la science médicale et les règles de l’art ?

– la nouveau-née aurait-elle eu une chance de survie si, immédiatement après l’accouchement à l’hôpital Atatürk, elle avait été admise en soins intensifs (si cet hôpital en avait disposé) et placée sous l’assistance d’un ventilateur mécanique ?

– de même, la nouveau-née aurait-elle eu une chance de survie si, immédiatement après son transfert à l’hôpital Behçet Uz, elle avait été admise aux soins intensifs et avait commencé à être soignée après avoir été reliée à un ventilateur mécanique ?

30. Dans leur avis écrit signé le jour même, M.He. et M.Sa. déclaraient, en réponse aux deux premières questions, qu’aucune faute, négligence, imprudence ou inattention n’était à reprocher aux médecins, le traitement et les examens qu’ils avaient assurés respectant, selon eux, la science médicale et les règles de l’art. S’agissant des deux dernières questions, ils concluaient ainsi :

« (...) Comme cela a été souligné dans le rapport de l’institut médicolégal [d’Istanbul], même dans un hôpital disposant d’une unité de soins intensifs, un bébé prématuré présentant une MMH aurait eu peu de chances de survie ; partant, si l’hôpital Atatürk [avait disposé] d’une telle unité, cela n’aurait guère augmenté les chances de survie du bébé. De même, si l’enfant avait été immédiatement admise en soins intensifs à l’hôpital Behçet Uz et reliée à un ventilateur mécanique, cela n’aurait pas vraiment changé le cours de choses, étant entendu que, en réalité, même l’admission du bébé, dès son arrivée à cet hôpital, au service néonatal, et son placement en urgence sous appareil respiratoire et sous traitement n’auraient pas été suffisants pour le maintenir en vie. »

31. Le 10 février 2006, M.O. soumit son rapport définitif au ministère. De par la nature interne de l’enquête menée, celui-ci n’a pas été notifié à la partie requérante.

Il ressort de ce rapport que la mission de M.O. ne se limitait pas à instruire les accusations concernant la mort de la prématurée, mais que M.O. était également chargé d’enquêter sur Ö.M., F.T. et M.S. (paragraphe 10 ci‑dessus) accusés d’avoir indûment donné aux requérants copie du procès‑verbal qu’ils avaient dressé sur les conditions du transfert litigieux du bébé à l’hôpital Behçet Uz et d’avoir, par conséquent, incité la famille de la défunte à un « dépôt de plaintes mal fondées ». Les passages pertinents de ce rapport se présentent comme suit :

« (...) Pour ce qui est du décès du bébé Aydoğdu, aucune négligence, faute, imprudence ou inattention n’est imputable aux médecins (...) D.U., A.K., Ş.C., G.Y., T.M., E.Ö. et N.Y. (...), qui lui ont prodigué des traitements et examens conformes à la science et la médecine ;

Quant aux médecins Ö.M., F.T. et M.S., ils sont fautifs et ont méconnu les procédures et les règles établies par les autorités, car il ressort de leurs dires qu’ils ont délivré au père du bébé un procès-verbal révélant les incidents survenus entre les deux hôpitaux lors du transfert de l’enfant, alors qu’ils ne devaient le transmettre qu’à la direction de l’hôpital.

Cela étant, à İzmir, les problèmes concernant les soins prodigués aux prématurés et les transferts de ces derniers notamment de l’hôpital Atatürk vers les autres, dont l’hôpital Behçet Uz, existent depuis longtemps. De temps en temps, dans les médias, il y a des émissions qui stigmatisent cette situation. À l’origine de ce problème se trouvent les défaillances organisationnelles dans les procédures de transfert de patients, l’absence dans la plupart des hôpitaux d’unités néonatales et, en particulier, l’absence d’une telle unité à l’hôpital Atatürk qui, paradoxalement, dispose de 14 spécialistes de maladies infantiles. Si le nombre de couveuses au niveau départemental est estimé à environ 170, elles ne sont pas utilisées de manière effective, et ce faute de coordination.

Partant, afin de remédier à l’insuffisance de couveuses dans le département d’İzmir et de réglementer les procédures de transfert de patients, il convient d’instaurer au sein de la direction départementale de la santé un centre de coordination, qui assurera le suivi de la disponibilité des places dans les soins intensifs des hôpitaux et orientera les patients en conséquence.

Partant de la règle générale selon laquelle les hôpitaux ayant des cliniques d’obstétrique et de gynécologie doivent aussi disposer d’unités capables de soigner les nouveau-nés, que ce soit en leur sein ou dans un établissement à proximité, il est impératif de créer un service néonatal dans l’hôpital Atatürk, qui réalise près de 3 500 accouchements par an et qui, chaque année, transfère 300 à 350 nouveau-nés vers d’autres hôpitaux à cause de l’absence d’une telle unité. Au cas où cet hôpital continuerait à ne pas offrir des soins néonataux, le ministère pourrait faire l’objet d’actions en dédommagement regrettables. »

Au vu de ce qui précède, M.O. concluait qu’aucune mesure ne s’imposait à l’endroit des médecins ayant soigné la nouveau-née, mais qu’il y avait lieu de sanctionner Ö.M., F.T. et M.S. par une réprimande et qu’il était nécessaire d’entreprendre des réformes afin de pallier les dysfonctionnements structurels relevés ci-dessus.

32. Le 22 février 2006, une synthèse sélective des conclusions de l’inspecteur M.O. fut également transmise à la sous-préfecture de Konak, eu égard à la plainte pénale des requérants. Elle se lit comme suit :

« Compte tenu de l’avis médical du [8] février 2006 [paragraphes 29 et 30 ci‑dessus], indiquant qu’aucune négligence, omission, faute ou imprudence n’était attribuable aux médecins [mis en cause], vu que le traitement qu’ils avaient administré au bébé Aydoğdu et les examens médicaux qu’ils avaient réalisés étaient conformes à la science ainsi qu’aux règles de l’art, et considérant que, même au sein d’un hôpital disposant d’une unité de soins intensifs, un bébé prématuré présentant une MMH n’aurait pas eu beaucoup de chances de survie, je conclus à l’absence de preuves à charge suffisantes pour autoriser le déclenchement d’une instruction pénale contre les [médecins] en question relativement au décès du bébé Aydoğdu (...) »

33. Le lendemain, le sous-préfet A.M.N., faisant sien l’avis de l’inspecteur en chef, refusa en vertu de l’article 6 de la loi no 4483 l’ouverture de poursuites pénales.

34. Le 6 mars 2006, l’avocat des requérants se vit notifier la décision du sous-préfet, laquelle était susceptible d’opposition dans un délai de dix jours devant le tribunal administratif régional, en vertu de l’article 9 de la loi no 4483.

35. Le 9 mars suivant, l’avocat saisit le tribunal administratif régional d’İzmir. Dans son mémoire, il déplorait que les médecins de l’hôpital Atatürk eussent décidé de procéder à une césarienne tout en sachant qu’ils ne disposaient pas de l’équipement nécessaire pour faire face aux risques réels pesant sur la vie des prématurés, souvent sujets, selon lui, au syndrome de détresse respiratoire. Il considérait également qu’il était inacceptable que l’hôpital Behçet Uz, qu’il disait réputé être un établissement spécialisé en médecine prénatale et néonatale, et vers lequel le bébé avait été transféré en urgence, pût manquer d’incubateurs et de ventilateurs mécaniques, indispensables pour la survie des prématurés. À cet égard, il s’appuyait sur les déclarations des médecins de garde de l’hôpital Behçet Uz (paragraphes 10 et 25 ci-dessus), arguant que, finalement, la décision du sous-préfet n’avait eu pour effet que d’empêcher l’établissement de la réalité des faits et des responsabilités en cause dans cette affaire.

36. Par un jugement du 18 avril 2006, le tribunal administratif régional d’İzmir débouta les requérants, au motif que le dossier ne contenait « pas d’indices suffisants » pour laisser soupçonner les médecins en question d’avoir « causé la mort du bébé Aydoğdu par leurs négligences professionnelles ». Cette décision n’était pas susceptible d’appel.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. La procédure instaurée par la loi no 4483 sur la poursuite des fonctionnaires et autres agents publics

37. Pour les dispositions pertinentes de la loi no 4483 du 2 décembre 1999 sur la poursuite des fonctionnaires et autres agents publics, voir, parmi beaucoup d’autres, Işıldak c. Turquie (no 12863/02, §§ 25 à 31, 30 septembre 2008). Par ailleurs, les procédures disciplinaires et administratives ainsi que la réglementation du service de santé sont succinctement décrites dans la décision Sevim Güngör c. Turquie ((déc.), no 75173/01, 14 avril 2009).

Il convient de rappeler que dans le système pénal turc, tombe sous le coup de la loi no 4483, toute plainte individuelle portant sur un acte médical effectué par un personnel médical ou paramédical relevant du statut de fonctionnaire d’État (« personnel médical »), car employé dans un établissement hospitalier de droit public (les hôpitaux civils, universitaires, de recherches, etc.), à condition que l’acte incriminé soit commis dans l’exercice des fonctions publiques y afférentes. Ce qui n’est pas le cas des plaintes et des poursuites dirigées contre les professionnels de la santé exerçant à titre privé ou travaillant dans les hôpitaux privés (« professionnels de la santé »), celles-ci relevant du droit commun.

Le régime instauré par la loi no 4483, repose sur l’article 129 § 6 de la Constitution, qui se lit comme suit :

« Les poursuites pénales relativement aux délits imputés à des fonctionnaires et d’autres agents du secteur public ne peuvent être engagées, sous réserve des exceptions prévues par la loi, qu’avec l’autorisation de l’autorité administrative désignée par la loi. »

38. Selon les informations fournies par le Gouvernement relativement aux prérogatives des tribunaux administratifs régionaux et, selon le cas, du Conseil d’État, dans le cadre de la loi no 4483, ces juridictions ont la compétence exclusive pour connaître des oppositions formées contre les décisions des instances administratives autorisant ou refusant l’ouverture d’une instruction pénale contre un fonctionnaire (article 6 de la loi no 4483) ainsi que contre les décisions de classement sans suite des plaintes (article 4 de la loi no 4483).

Le Conseil d’État intervient selon le grade du fonctionnaire ou le niveau de l’administration décideuse au regard de la loi no 4483. Les oppositions formées contre les décisions, par exemple, du ministère de la Santé ou des rectorats des hôpitaux universitaires concernant le personnel médical relèvent de la compétence du Conseil d’État.

39. Ces juridictions ne sont pas habilitées à ordonner d’office l’ouverture d’une instruction ou d’un complément d’enquête contre un fonctionnaire autre que celui ayant fait l’objet de l’instruction soumise à leur examen. Elles ont pour seule tâche de contrôler si la décision attaquée est fondée sur une enquête adéquate et suffisante répondant aux exigences du droit procédural. La décision litigieuse peut être infirmée en faveur des plaignants si, par exemple :

– l’enquête ou la décision prise en conséquence ne couvre pas toutes les plaintes et/ou tous les plaignants ;

– l’inspecteur chargé de l’enquête n’a pas mené l’instruction et les examens qui s’imposent en conformité avec les techniques et la diligence nécessaires ;

– l’inspecteur ne disposait pas des compétences requises par la loi et pertinentes par rapport à l’objet de la plainte ;

– il apparaît qu’il a été fait fi de la plainte alors qu’elle reposait sur des allégations concrètes.

B. Le dédommagement des victimes dans le domaine des services publics de la santé

1. Les principes généraux

40. En vertu de l’article 13 de la loi no 2577 sur la procédure administrative, toute victime d’un dommage résultant d’un acte de l’administration peut demander réparation à cette dernière dans le délai d’un an à compter de la date de l’acte allégué. En cas de rejet de tout ou partie de la demande ou si aucune réponse n’a été obtenue dans un délai de soixante jours, la victime peut engager une procédure administrative.

Selon l’article 13 de la loi no 657 sur les fonctionnaires de l’État, les personnes ayant subi un dommage du fait de l’exercice d’une fonction relevant du droit public ne peuvent assigner en justice que l’autorité publique dont relève le personnel médical en cause et non directement celui-ci[4]. Ce principe puise dans l’article 129 § 5 de la Constitution, aux termes duquel :

« Les actions en réparation des dommages résultant de fautes commises par des fonctionnaires et d’autres agents du secteur public dans l’exercice de leurs fonctions ne peuvent être intentées (...) que contre l’administration (...) »

Ce régime est en contraste avec celui régissant la responsabilité civile des professionnels de la santé, ces derniers pouvant être directement mis en cause devant les juridictions civiles, selon le droit commun.

Ainsi, dans le domaine de la santé publique, une action de pleine juridiction relative à un acte médical subi dans un établissement public (non militaire[5]) ou aux défaillances du service fourni dans un tel établissement doit être dirigée contre l’entité administrative qui détient l’autorité décisionnelle finale quant audit établissement, non pas contre les dirigeants de celui-ci ou le personnel médical en poste, responsable de l’acte ou du dysfonctionnement incriminé.

Selon le cas, l’entité en question sera, par exemple, le ministère de la Santé (pour les hôpitaux civils ou de recherches, les dispensaires publics, etc.), les rectorats d’université (pour les hôpitaux universitaires) ou les municipalités (pour les services sanitaires fournis au niveau local).

Quant à l’obligation de l’administration du fait de tels actes, le droit administratif turc est fondé sur le régime de la « faute lourde de service », selon laquelle, seule une faute « lourde » peut engager la responsabilité de l’État du fait des actes et omissions commis par ses agents.

Selon la jurisprudence du Conseil d’État, une faute simple peut parfois s’avérer suffisante pour dédommager les victimes. Cependant, cette flexibilité n’est généralement pas reconnue pour ce qui est des services publics, dits « à risque », dont les services sanitaires et hospitaliers. Ce point a été confirmé à maintes reprises par le Conseil d’État (voir, par exemple, 10e chambre, arrêt nos E. 2005/8407 et K. 2007/6526 du 28 décembre 2007), d’après lequel :

« Conformément aux principes du droit administratif et à la jurisprudence bien établie du Conseil d’État, dans les cas où la personne lésée est la bénéficiaire d’un service, et où ce service présente un caractère à risque, la responsabilité de l’administration pour dédommager l’intéressé n’est engagée que si le préjudice résulte d’une faute lourde de service. Lorsqu’un bénéficiaire des services de santé – lesquels font partie des services comportant un risque – subi un préjudice, la réparation de celui-ci n’est possible que s’il y a une faute lourde de service imputable à l’administration. »

Dans le domaine de la santé publique, la jurisprudence reconnaît que, en principe, l’« inaptitude professionnelle » du personnel médical est, en soi, constitutive d’une faute « lourde » de service, comme la Plénière des chambres administratives du Conseil d’État (arrêt du 18 octobre 2007, nos E. 2004/721 – K. 2007/2030) l’a dit en ces termes :

« L’administration défenderesse (hôpital universitaire) chargée de mettre en œuvre les services publics de la santé, est tenue d’assurer que les soins et les interventions chirurgicales hospitaliers soient réalisés dans les règles de l’art médical, à l’aide d’un personnel fort de l’aptitude requise par le service, et ce, avec toute la diligence et l’attention nécessaires. La méconnaissance de ce devoir constitue une faute lourde de service et entraîne la responsabilité de l’administration. »

S’agissant de défaillances structurelles des services de la santé on peut citer l’arrêt ci-dessous du 24 octobre 1966 (12e chambre du Conseil d’État, no 21/1966) :

« (...) dans un environnement abritant beaucoup de nuisibles venimeux et où les cas d’empoisonnement risquent d’être très fréquents, il faut que les médicaments, l’équipement et le personnel nécessaires pour soigner les victimes de tels incidents soient en permanence disponibles dans les hôpitaux ; en l’espèce, toutefois, aucune de ces mesures n’a été dûment prise et, de ce fait, il y a eu faute lourde de l’administration dans la mise en œuvre d’un service public, de manière à engager la responsabilité de celle-ci en raison de l’incident qui a entraîné le décès de l’enfant (...) »

2. La jurisprudence concernant les cas où une faute lourde de service se trouve établie

41. Il existe de nombreux exemples de contentieux administratif concernant le dédommagement des victimes de négligences médicales et/ou de dysfonctionnements du service public de la santé, lorsqu’une faute lourde se trouve établie. Il convient de citer ceux qui permettent de se forger une idée sur l’interaction entre la décision, dans une affaire donnée, d’un tribunal administratif régional appelé à connaître d’une opposition au regard de la loi no 4483 et les jugements administratifs rendus, dans le contexte de la même affaire, relativement aux demandes de réparation (paragraphe 38 ci-dessus).

Dans un premier cas, la patiente – en attente d’une intervention chirurgicale – déplorait que les soins hygiéniques préopératoires lui eussent été donnés par un personnel de sexe masculin et que les médecins eussent refusé de l’opérer à la suite d’une dispute survenue à ce propos entre le corps médical et sa famille. Elle avait finalement été transférée vers un autre hôpital, au motif « qu’une patiente ayant autant de griefs ne devait pas être opérée dans la clinique qu’elle désapprouvait ». En réalité, l’intervention avait été reportée aux motifs que la patiente n’avait pas été en mesure d’acheter elle-même le matériel chirurgical nécessaire et que, pour l’hôpital, procurer ce matériel par les voies officielles aurait pris trop de temps.

La plainte pénale déposée en l’espèce contre le chef de la clinique n’avait pas abouti, l’autorité administrative ayant refusé l’ouverture de poursuites pénales contre lui, et cette décision avait été approuvée par le tribunal administratif régional d’Istanbul. Par la suite, l’intéressée a saisi le tribunal administratif d’Istanbul d’une action de pleine juridiction, en réclamant un dédommagement pour faute du service, à savoir le refus de lui administrer le traitement médical planifié. Le tribunal administratif d’Istanbul a rejeté l’action pour absence de circonstances propres à causer un préjudice moral quelconque. Sur pourvoi, le Conseil d’État a infirmé ce jugement, concluant que le transfert de cette patiente en attente d’une opération vers un autre hôpital en raison d’un manque de matériel médical constituait un déni du service public de la santé (arrêt du 8 février 2012 de la 10e chambre du Conseil d’État, E.2008/116–2012/425).

42. Dans un autre dossier portant sur le décès de treize nouveau-nés des suites d’infections nosocomiales contractées dans le service néonatal de l’hôpital de Tepecik, les plaintes déposées par les familles contre le personnel médical concerné s’étaient également heurtées à un refus administratif d’ouverture de poursuites pénales et cette décision avait été confirmée par le tribunal administratif régional d’İzmir. Cependant, les 2e et 4e chambres du tribunal administratif d’İzmir ont donné gain de cause aux familles qui avaient introduit des actions de pleine juridiction et ont alloué des sommes au titre du dommage moral pour faute imputable au service public, considérant que, nonobstant l’impossibilité de déterminer avec certitude l’origine de cette contamination, un nombre aussi important de décès dans un même service dus à un même agent pathogène ne pouvait s’expliquer par un aléa médical et révélait l’existence d’une défaillance dans la mise en œuvre du service de santé (respectivement, jugement du 11 novembre 2010, E.2009/1374–K.2010/1609, et jugement du 10 octobre 2012, E.2009/1117–K.2012/1752).

43. Une troisième affaire concerne l’administration à une femme d’un vaccin contre la rubéole sans que l’on eût vérifié auprès de celle-ci si elle était enceinte. Or cette vaccination, proscrite en cas de grossesse, a provoqué l’interruption de celle de la patiente. Le tribunal administratif régional d’İzmir avait confirmé la décision administrative de ne pas poursuivre le médecin traitant, mais la 4e chambre du tribunal administratif d’İzmir, saisie d’une action de pleine juridiction, a conclu à l’existence d’une faute du service au motif que celui-ci avait omis d’interroger la patiente sur sa grossesse et a alloué à l’intéressée une somme au titre du préjudice moral (jugement du 13 mai 2011, E.2010/1124–K.2011/677).

Un dernier exemple porte sur le décès d’une personne emmenée aux urgences à la suite d’une chute dans les escaliers. Après avoir effectué des examens superficiels, les urgentistes ont demandé à la famille du patient de le conduire dans un autre hôpital, sans assistance ni ambulance. Faute de néphrologue dans ce second établissement, le patient a dû être transféré dans un troisième hôpital, où il est décédé. Dans cette affaire également, le refus de poursuivre au pénal les urgentistes du premier hôpital avait été confirmé par le tribunal administratif régional d’İzmir. Toutefois, appelé à connaître de l’action en réparation introduite par la famille, la 3e chambre du tribunal administratif d’İzmir a reconnu que l’absence d’une première intervention urgente adéquate, d’une assistance lors des transferts du patient et l’insuffisance du personnel médical constituaient une faute du service imputable à l’administration. La famille s’est vu accorder des sommes au titre du dommage moral (jugement du 29 mai 2009, E.2009/757–K.2009/939).

44. Indépendamment de ce qui précède, il faut savoir que, dans le domaine du contentieux administratif, le juge ne saurait suppléer l’administration défenderesse, en adoptant un jugement de nature à constituer une mesure ou une décision administrative. Selon la jurisprudence constante des différentes chambres du Conseil d’État sur les ramifications de ce principe, une juridiction administrative ne saurait se substituer à l’administration et adopter une mesure à la place de celle-ci, et aucun acte ne saurait être imposé à l’administration par la voie du contentieux administratif ; aucun jugement administratif ne saurait enjoindre l’administration à prendre telle ou telle décision ni à adopter telle ou telle conduite ; les tribunaux administratifs ne peuvent en aucun cas ordonner à l’administration de prendre une décision ou une mesure dans un sens donné (voir, par exemple, 3e chambre, arrêt E.1989/1325, K.1989/2825 du 15 décembre 1989 ; 4e chambre, arrêts E.1999/5428, K.2000/2702 du 21 décembre 2000 et E.2001/4356, K.2002/3684 du 27 novembre 2002 ; 6e chambre, arrêt E.2004/4594, K.2006/4680 du 11 octobre 2006 ; 9e chambre, arrêt E.2004/3381, K.2002/5192 du 20 mai 2004).

C. Les expertises médicales judiciaires en droit turc

45. En Turquie, l’autorité qui joue un rôle prédominant en matière d’expertises médicales et médicolégales dans le contentieux civil et administratif est l’institut médico-légal, à savoir un organe public instauré par la loi no 2659 du 14 avril 1982 et relevant du ministère de la Justice. Bien que sa compétence ne soit pas légalement exclusive, elle l’est tout au moins dans la pratique judiciaire, étant donné que notamment le Conseil d’État privilégie son intervention et que, par conséquent, les juges y recourent quasi systématiquement.

L’institut médicolégal s’acquitte de ses missions d’expertise judiciaire par le truchement d’une assemblée plénière, de six conseils d’experts et de six comités d’expertise (articles 6 à 8 de la loi no 2659). Selon l’article 16-II a) de ladite loi, les expertises afférentes aux cas de décès relèvent du conseil d’experts no 1 (paragraphe 18 ci-dessus), composé d’un président, de deux légistes et d’un spécialiste dans chacune des disciplines suivantes : pathologie, gastro-entérologie, chirurgie générale, cardiologie, neurochirurgie, anesthésiologie-réanimation, gynécologie-obstétrique et pédiatrie (article 7 a)).

En vertu de l’article 23-B de la loi no 2659, les décisions des conseils d’experts sont soumises à un quorum de quatre membres et sont prises à la majorité, le vote du président étant décisif. Il n’est pas possible de délibérer en l’absence du membre spécialiste de la discipline médicale afférente à l’objet du litige sous examen.

46. La loi no 2659 et le corpus de droit administratif ne contiennent pas de normes spécifiques concernant les compétences professionnelles requises des experts de l’institut médicolégal ni la teneur ou la qualité des rapports d’expertise. En la matière, le code de procédure administrative no 2577 (article 31) renvoyait, à l’époque pertinente, aux dispositions de l’ancien code de procédure civile no 1086 (articles 275 à 286), dont seul l’article 281 exigeait que de tels rapports couvrent :

« (...) les circonstances matérielles sous examen, les motifs, la conclusion et, en cas de désaccord entre les experts, la raison de celui-ci (...) »

La différence la plus importante entre les régimes instaurés par ces deux codes est que dans le contentieux administratif, la désignation des experts est faite d’office par la juridiction de jugement, sans participation aucune des parties au litige.

47. En matière d’expertises médicales, la question des compétences des experts a plutôt été développée par la doctrine. Il est néanmoins des affaires civiles, où la 13e chambre de la Cour de cassation s’est prononcée tant sur la qualification des experts, dont ceux de l’institut médicolégal, que sur la qualité de leurs rapports. Les exemples ci-dessous, bien que postérieurs à l’incident en cause en l’espèce, permettent de comprendre la position de la Cour de cassation sur ces points ainsi que de dégager quelques lignes directrices :

– la participation d’un seul spécialiste dans le domaine afférent au litige est insuffisante pour élaborer un rapport d’expertise médicale ; il échet de missionner, parmi des universitaires, des spécialistes dans le domaine précis, forts d’une carrière académique (arrêts du 12 novembre 2009, E.2009/3481- K.2009/13100, du 11 avril 2011, E.2010/7997- K.2011/5581 ; du 18 octobre 2011, E.2011/3954- K.2011/14623, du 1er octobre 2009, E.2009/3832- K.2010/10716 ; du 10 février 2012, E.2011/18651- K.2012/2596 ; du 10 février 2012, E.2011/19134- K.2012/2628 ; du 19 octobre 2011, E.2011/9912- K.2011/14750, et du 28 septembre 2009, E.2009/4667- K.2009/10460) ;

– une expertise médicale est défaillante si elle ne répond pas à la question de savoir si le médecin mis en cause peut être tenu responsable ou non du préjudice allégué (arrêts du 12 novembre 2009, E.2009/3481- K.2009/13100, et du 10 février 2012, E.2011/19134- K.2012/2628) ;

– pour être fiable et convaincant, un rapport d’expertise doit cadrer avec l’objet du litige, chercher à élucider les faits et répondre aux arguments des parties (arrêts du 21 février 2011, E.2010/7743- K.2011/2466 ; du 7 juillet 2010, E.2010/3254- K.2010/10138, et du 10 février 2012, E.2011/19134- K.2012/2628) ;

– une expertise médicale doit évaluer les éléments scientifiques relatifs au diagnostic et au suivi du patient et, en particulier, la pertinence de la stratégie thérapeutique adoptée en l’occurrence (arrêt du 11 avril 2011, E.2010/7997- K.2011/5581) ;

– on ne saurait asseoir un jugement à partir d’un rapport insuffisant qui conclut, de manière abstraite, à l’existence d’une complication, sans expliquer quelles seraient ces complications ni s’il existait d’autres méthodes de traitement ni ce qui se serait passé dans un hôpital mieux équipé (arrêts du 18 octobre 2011, E.2011/3954- K.2011/14623 ; du 18 juin 2007, E.2007/2916- K.2007/8485, du 23 mars 2010, E.2009/13214- K.2010/3694, et du 1er octobre 2009, E.2009/3832- K.2010/10716) ;

– un rapport fondé uniquement sur les dires du médecin mis en cause et qui contient des affirmations abstraites, non motivées et non étayées, n’est pas fiable (arrêt du 1er octobre 2009, E.2009/3832- K.2010/10716) ;

– un rapport d’expertise qui passe sous silence des éléments indiquant qu’il pourrait y avoir eu faute médicale, pour conclure que l’intervention litigieuse cadrait avec les règles de la médecine et qu’aucune erreur n’était attribuable au médecin, n’est pas fiable (arrêt du 19 octobre 2011, E.2011/9912- K.2011/14750) ;

– une expertise doit se pencher sur tous les éléments du dossier concernant les différentes phases du traitement, sans se contenter d’arguer de l’absence de tel ou de tel élément relatif à un stade précis des soins prodigués (arrêt du 28 septembre 2009, E.2009/4667- K.2009/10460).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION

48. Les requérants allèguent que les erreurs commises par le personnel médical et les défaillances dans l’organisation des services hospitaliers (paragraphes 69 à 74 ci-dessous), qui auraient coûté la vie à leur nouveau-née, ont emporté violation du droit à la protection de la vie de celle-ci.

Ils se plaignent également d’une iniquité de la procédure pénale à l’issue de laquelle le personnel médical responsable du drame aurait été innocenté.

Bien que les requérants n’invoquent pas de disposition particulière de la Convention, la Cour, maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (voir, par exemple, Söderman c. Suède [GC], no 5786/08, § 57, CEDH 2013), estime que leurs doléances relèvent des volets matériel et procédural de la première phrase de l’article 2 § 1 (voir, par exemple, Eugenia Lazăr c. Roumanie, no 32146/05, § 60, 16 février 2010), ainsi libellé :

« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. (...) »

49. Le Gouvernement combat la thèse des requérants.

A. Sur la recevabilité

1. Les arguments des parties

a) Le Gouvernement

50. En premier lieu, le Gouvernement affirme que la requête ne répond pas aux exigences de l’article 47 du règlement de la Cour, au motif que les informations sur la date de naissance, la nationalité, le sexe, la profession et l’adresse des requérants ainsi que le nom de l’État défendeur ne seraient pas mentionnés sur le formulaire. Les intéressés auraient également omis de dûment compléter la partie du formulaire relative à la question de l’épuisement des voies de recours internes et de la saisine d’une organisation internationale autre que la Cour.

51. Par ailleurs, le Gouvernement reproche aux requérants d’avoir omis d’exercer l’une ou l’autre des voies de réparation civiles ou administratives contre les médecins et/ou les établissements hospitaliers qu’ils mettent en cause. Il avance que la responsabilité de l’administration à raison de défaillances du service public de la santé (absence d’équipements médicaux ou de bon fonctionnement de tels équipements, défauts d’approvisionnement en produits pharmaceutiques, etc.) aurait pu être examinée si les requérants avaient intenté une action administrative de pleine juridiction. À cet égard, il produit des exemples de précédents relevant du domaine de la santé publique, dans lesquels les juridictions administratives ont donné gain de cause à des victimes en cas d’établissement d’une faute imputable à l’administration. Lorsqu’il est appelé à statuer sur une demande de réparation pour faute imputable au service public, un tribunal administratif jugerait à la lumière des normes du droit administratif et non pas de celles du droit pénal, et qu’il pourrait ainsi allouer une somme à ce titre, même si le tribunal administratif régional a conclu, dans la même affaire, qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre au pénal les médecins mis en cause (paragraphes 41 à 43 ci-dessus).

Le Gouvernement soutient enfin que, malgré le non-lieu dont ils ont bénéficié, les médecins mis en cause auraient également pu faire l’objet d’une « action en réparation », le refus d’autoriser l’ouverture de poursuites à leur encontre ne faisant pas non plus, selon lui, obstacle à cette forme de recours.

b) Les requérants

52. En réponse à l’argument que le Gouvernement tire des moyens de dédommagement, les requérants rétorquent que leur souhait n’était pas d’être indemnisé, mais de voir les responsables répondre de leurs actes et omissions et être sanctionnés pour avoir provoqué, de manière gratuite selon les intéressés, la mort de leur bébé.

Ils invitent la Cour à ne pas suivre le Gouvernement qui tenterait de minimiser les conséquences des défaillances de communication entre les médecins et les lacunes en matière d’équipements médicaux relevées en l’espèce, en laissant entendre que les responsables pourraient racheter leurs méfaits moyennant une somme d’argent. Pour les requérants, le respect de la vie humaine commandait que le Gouvernement, au lieu d’exciper de tel ou de tel moyen de compensation financière, s’employât à chercher des solutions durables pour prévenir les morts infantiles.

2. L’appréciation de la Cour

53. En ce qui concerne la méconnaissance alléguée de l’article 47 de son règlement intérieur (paragraphe 50 ci-dessus), dans sa version du 24 juin 2009, la Cour réaffirme que l’application de cette disposition relève de sa compétence exclusive concernant l’administration des procédures devant elle, les États contractants ne pouvant y puiser des motifs d’irrecevabilité pour en exciper sur le terrain de l’article 35 de la Convention (voir, par exemple, Gözüm c. Turquie, no 4789/10, § 31, 20 janvier 2015).

Il y a donc lieu de ne pas tenir compte de l’argument y afférent du Gouvernement.

54. Pour ce qui est de l’exception tirée du non-épuisement des voies de réparation civile ou administrative (paragraphe 51 ci-dessus), la Cour observe, à titre liminaire, que – comme dans l’arrêt Asiye Genç c. Turquie (no 24109/07, § 74, 27 janvier 2015) – les requérants ne prêtent à aucun des médecins concernés une quelconque intention de causer la mort de leur fille ni ne se plaignent de l’absence d’une voie de dédommagement, au sens de l’article 13 de la Convention combiné avec son article 2.

Elle note que leurs allégations (paragraphes 48 ci-dessus et 69 à 74 ci‑dessous) se focalisent sur des carences tant thérapeutiques que structurelles qui, depuis longtemps, auraient détérioré la qualité des services de néonatologie dans leur ville et qui auraient été fatales à nombre de nouveau-nés comme elles l’ont été à leur fille. Dans ce contexte, l’accent est mis, d’une part, sur l’absence – dans les hôpitaux Atatürk et/ou Behçet Uz – de soins, dispositifs et unités médicaux adéquats pour les prématurés, et, d’autre part, sur un défaut notamment de coordination effective entre ces deux établissements concernant le transfert et le traitement du bébé des requérants.

55. Présumant le bien-fondé de ces arguments comme une pure hypothèse de travail, la Cour relève que les problèmes dénoncés en l’espèce se présentent a priori comme étant le résultat conjugué, d’un côté, de négligences qui s’inscriraient dans le contexte, par exemple, d’une « erreur de jugement » de la part de professionnels de la santé ou d’une « mauvaise coordination » entre ceux-ci par rapport au traitement d’un patient en particulier (Powell c. Royaume-Uni (déc.), no 45305/99, 4 mai 2000, Calvelli et Ciglio c. Italie [GC], no 32967/96, § 49, CEDH 2002‑I, Csiki c. Roumanie, no 11273/05, § 72, 5 juillet 2011, et Asiye Genç, précité, § 67 in fine) et, de l’autre, d’une situation qui dénoterait un dysfonctionnement du système de santé en Turquie (Asiye Genç, précité, §§ 72 et 73), fût-il propre à une région précise.

56. Ces deux cas de figure se distinguent par le simple fait que, lorsqu’un État contractant a fait ce qu’il fallait pour mettre en place un cadre réglementaire propre à assurer un haut niveau de compétence chez les professionnels de la santé et imposant aux hôpitaux, qu’ils soient privés ou publics, l’adoption de mesures de nature à garantir la protection de la vie des malades, des questions de négligences médicales au sens susvisé ne suffisent pas en elles-mêmes à obliger un État contractant à rendre des comptes en vertu de l’obligation positive de protéger le droit à la vie au sens de l’article 2 de la Convention (voir, notamment, Calvelli et Ciglio, précité, idem).

Il s’ensuit que, à l’inverse, cela pourrait être bien le cas si l’on révélait un dysfonctionnement d’un système de santé susceptible de mettre en danger la vie de plus d’un patient du fait de l’absence d’un cadre réglementaire répondant aux exigences susmentionnées.

57. Cette distinction selon la nature du problème dénoncé entre en ligne de compte au regard de la règle de l’épuisement de voies de recours internes. En effet, cette règle est fondée sur l’hypothèse, objet de l’article 13 de la Convention, que l’ordre interne offre un recours effectif relatif à « la violation alléguée », sachant que la portée de l’obligation que cette disposition fait peser varie en fonction de la nature du grief. Cela étant, le recours exigé par l’article 13 doit être « effectif » en pratique comme en droit (voir, par exemple, İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 97, CEDH 2000‑VII), ce terme « effectif » signifiant que le recours doit être adéquat et accessible (voir, parmi beaucoup d’autres, Paulino Tomás c Portugal (déc.), no 58698/00, CEDH 2003‑VIII). Il en va nécessairement de même pour la notion de recours « effectif » au sens de l’article 35 § 1 de la Convention (voir, par exemple, Mifsud c. France (déc.) [GC], no 57220/00, §§ 15 et 17, CEDH 2002 VIII), eu égard aux « étroites affinités » que présentent cette disposition et l’article 13 (voir, par exemple, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 152, CEDH 2000‑XI, Leandro Da Silva c. Luxembourg, no 30273/07, §§ 40 et 42, 11 février 2010, et McFarlane c. Irlande [GC], no 31333/06, § 107, 10 septembre 2010).

58. Dans le cadre ainsi défini, il reste à répondre à la question de savoir si une action en réparation pouvait être envisagée dans la présente affaire et si pareille action aurait pu ôter aux requérants la qualité de victime eu égard à l’un ou l’autre de leurs griefs distincts (paragraphe 54 in fine ci-dessus).

59. Pour ce qui est d’abord des allégations de « négligences médicales » (paragraphe 55 ci-dessus), la Cour rappelle d’emblée que, en droit turc, la voie à emprunter par les requérants se plaignant de telles circonstances est, en principe, de nature civile et/ou administrative (Karakoca c. Turquie (déc.), no 46156/11, 21 mai 2013, et Bilsen Tamer et autres c. Turquie (déc.), no 60108/10, 26 août 2014), selon que le service de santé mis en cause relève du domaine privé ou du domaine public (paragraphe 40 ci‑dessus – pour des exemples de jurisprudence administrative turque, voir paragraphes 41 à 43 ci-dessus).

Les établissements hospitaliers critiqués en l’espèce étant publics et les médecins concernés étant des fonctionnaires, et nul n’ayant suggéré que les actes médicaux en question devaient être qualifiés d’illicites au sens du droit des obligations (paragraphe 40 ci-dessus), seule la voie du contentieux administratif est donc à considérer, seule ou conjointement avec un recours devant les juridictions pénales (Calvelli et Ciglio, précité, § 51, et Karakoca, décision précitée).

60. Dans le cadre ainsi défini, la Cour observe en premier lieu que, contrairement à ce que le Gouvernement laisse entendre (paragraphe 51 ci‑dessus), les requérants ne pouvaient faire établir la responsabilité individuelle des médecins mis en cause par la voie de contentieux administratif, les articles 13 de la loi no 657 et 129 § 5 de la Constitution n’offrant que la possibilité d’assigner les administrations dont les protagonistes relevaient, en tant que fonctionnaires d’État.

Deuxièmement, même à supposer qu’une telle procédure puisse malgré tout entrer en ligne de compte au regard de l’article 35 § 1 de la Convention, la Cour souligne que la responsabilité au titre d’un acte ou omission médical revêt un caractère subjectif et qu’elle est fondée sur la faute du professionnel mis en cause. Il s’ensuit que, dans la présente affaire, l’effectivité des enquêtes menées était déterminante pour qu’une éventuelle action de pleine juridiction contre l’administration employeur des médecins eût des chances d’aboutir.

Or il suffit de souligner qu’en l’occurrence aucun fait fautif – pénal, administratif ou disciplinaire – imputable au personnel médical n’a finalement été établi par les instances compétentes (paragraphes 31 à 36 ci‑dessus). Dans ces conditions, une action administrative en réparation était, sinon vouée à l’échec, du moins très aléatoire. Le Gouvernement n’a d’ailleurs produit aucune décision démontrant qu’une administration pouvait être condamnée au paiement de dommages-intérêts en l’absence de toute faute de la part d’un médecin relevant de la fonction publique.

61. Aussi la Cour n’aperçoit-elle aucune raison de se départir de ce qu’elle a déjà dit dans son arrêt Asiye Genç ; dans le cas présent non plus, elle ne voit guère comment les requérants auraient pu raisonnablement espérer obtenir gain de cause devant un tribunal administratif, puisque devant celui-ci il leur aurait fallu prouver non seulement l’existence d’une faute professionnelle quelconque (Asiye Genç, précité § 57 ; voir, dans le même sens, Eugenia Lazăr, précité § 90), mais aussi le fait que cette faute constituait une « faute lourde de service », au sens de la jurisprudence turque en la matière (paragraphe 40 ci-dessus).

62. En ce qui concerne ensuite les dysfonctionnements structurels allégués des établissements hospitaliers à İzmir, la Cour se réfère à sa jurisprudence pertinente en l’espèce (voir, entre autres, Asiye Genç, précité, § 73) :

« (...) de manière générale, lorsqu’il est établi que la faute imputable aux agents ou organes de l’État va au-delà d’une erreur de jugement ou d’une négligence, l’absence d’incrimination et de poursuites à l’encontre des personnes responsables d’atteintes à la vie peut entraîner une violation de l’article 2, abstraction faite de toute autre forme de recours que les justiciables pourraient exercer de leur propre initiative (...).

Cette approche vaut également dans le domaine de la santé publique, si et dans la mesure où il est prouvé que les autorités d’un État contractant ont mis la vie d’une personne en danger en lui refusant les soins médicaux qu’elles se sont engagées à fournir à l’ensemble de la population (...). »

63. La Cour réaffirme donc qu’en principe, pour cette catégorie de griefs, une indemnisation isolée de telle ou de telle victime ne peut entrer en jeu que sur le terrain de l’article 13 combiné avec l’article 2 (pour les normes y afférentes – que les requérants n’invoquent pas (paragraphe 54 in limine ci-dessus) –, voir Öneryıldız c. Turquie [GC], no 48939/99, §§ 145 à 149, CEDH 2004‑XII).

Dans le cadre de leurs doléances tirées de défaillances structurelles des services de la santé à İzmir, les intéressés n’avaient donc pas à intenter de leur propre initiative – en sus de leur recours de nature pénale – une action de pleine juridiction, dont l’issue n’aurait présenté aucun intérêt qui pût prévaloir sur celui escompté des voies répressives (paragraphe 13 ci-dessus) et/ou disciplinaires (paragraphe 22 ci-dessus) déclenchées en l’espèce.

En bref, pareille action, de par ses but et objet, ne correspond pas à la violation alléguée de l’article 2 à ce titre, c’est-à-dire n’est pas susceptible de redresser la situation dénoncée en l’espèce (paragraphe 54 in fine ci‑dessus).

64. Partant, la Cour rejette, en toutes ses branches, l’exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes et déclare la requête recevable, celle-ci ne se heurtant, du reste, à aucun des autres motifs d’irrecevabilité inscrits à l’article 35 § 3 de la Convention.

B. Sur le fond

1. Les arguments des parties

a) Le Gouvernement

65. Relativement aux modalités d’application de l’article 2 de la Convention dans le domaine de la santé publique, le Gouvernement se réfère aux principes qui se dégagent de la jurisprudence de la Cour (Işıltan c. Turquie, no 20948/92, décision de la Commission du 22 mai 1995, Décisions et rapports (DR) 81-B, p. 35), Erikson c. Italie (déc.), no 37900/97, 26 octobre 1999, Powell, décision précitée, Calvelli et Ciglio, précité, Vo c. France [GC], no 53924/00, § 90, CEDH 2004‑VIII, Byrzykowski c. Pologne, no 11562/05, § 104, 27 juin 2006, et Sevim Güngör c. Turquie, no 75173/01, 14 avril 2009).

66. Il admet qu’en l’espèce l’action entre le personnel des deux hôpitaux en cause pendant le transfert du bébé Aydoğdu aurait pu être mieux coordonné. Selon lui, toutefois, il n’en demeure pas moins que le traitement médical réservé à ce bébé répondait aux normes de la médecine moderne et qu’une admission immédiate de celui-ci en soins intensifs et son placement sous ventilation mécanique n’auraient guère changé son sort. Il invite la Cour à prendre en compte que la requérante se serait elle-même montrée négligente quant à son suivi anténatal, qu’elle se serait rendue tardivement à l’hôpital et que le tableau clinique de son bébé aurait été très critique déjà avant la césarienne pratiquée.

À cet égard, le Gouvernement dit s’en tenir aux expertises versées au dossier de l’affaire (paragraphes 18, 30 et 31 ci-dessus) et ajoute notamment que le rapport de l’institut médicolégal d’Istanbul était « objectif et propre à établir la véritable nature du décès ». Au vu de ces documents, le traitement prodigué aurait été exempt de négligences, d’erreurs ou d’imprudences susceptibles de poser un problème sous l’angle de l’article 2 de la Convention.

67. Quant au volet procédural de cette disposition, le Gouvernement mentionne les investigations administratives menées au niveau interne et la conclusion ayant conduit les instances compétentes à refuser le déclenchement de poursuites contre les médecins mis en cause : une prématurée souffrant de MMH n’aurait pas eu plus de chances de survie dans un hôpital disposant d’une unité de soins intensifs. C’est à partir de ce même constat sans appel que le tribunal administratif régional d’İzmir aurait confirmé la décision desdites instances.

68. Du reste, le Gouvernement reprend ses arguments quant à la recevabilité de la requête et considère que, les requérants ayant omis de se prévaloir de voies de réparation civile et administrative (paragraphe 51 ci‑dessus) ne peuvent se prétendre victimes d’une violation procédurale quelconque de l’article 2.

b) Les requérants

69. Les requérants se disent avant tout consternés par les conclusions qu’ils jugent expéditives de l’institut médicolégal d’Istanbul, conclusions qui ont permis, selon eux, d’accorder l’impunité aux médecins qu’ils estiment responsables du décès de leur fille (paragraphe 18 ci-dessus). Ils se disent également choqués par l’assertion du médecin Ş.C., de l’hôpital Behçet Uz, qui aurait déclaré que les chances de survie d’une prématurée atteinte de MMH ne pouvaient scientifiquement dépasser les 5 % (paragraphe 27 ci-dessus).

70. Pour les requérants, ce qui importe en l’espèce serait de savoir combien d’enfants ont trouvé ou vont trouver la mort dans des conditions comparables. Ils soulignent sur ce point que leur petite fille n’a été admise aux soins intensifs de l’hôpital Behçet Uz que parce que le décès d’un autre aurait libéré une place. Ils estiment inacceptable un service public où seul le décès d’un être humain peut sauver un autre être humain.

Les requérants ajoutent que, même si les protagonistes ont reconnu que les problèmes concernant le traitement et les transferts des prématurés ainsi que l’absence d’unités néonatales ont toujours été courants à İzmir, des bébés mourront tant que le Gouvernement laissera les établissements sous-équipés continuer à se qualifier d’« hôpital » et à prétendre offrir des soins de haut niveau.

71. Selon les requérants, tous les médecins interrogés dans la présente affaire ont admis l’ampleur des défaillances dans l’organisation des services hospitaliers et, si les mesures évoquées entre autres par M.H. avaient réellement été prises à partir de 2001 (paragraphe 28 ci-dessus), ils n’auraient probablement pas eu à enterrer leur fille.

72. Par ailleurs, sous l’angle procédural, les requérants indiquent que, dans la présente affaire, les seuls médecins à avoir été inquiétés (paragraphe 31 ci-dessus) sont ceux qui auraient dû, d’après eux, être récompensés pour le courage dont ils auraient fait preuve en les informant des erreurs qui auraient coûté la vie à leur enfant.

73. En outre, les requérants affirment que la loi no 4483 contrevient, en soi, au principe de l’égalité devant la loi, car elle conférerait une quasi-immunité aux fonctionnaires. Les instructions étant, selon eux, confiées à des inspecteurs non juristes, cette procédure serait inadéquate pour faire la lumière sur les faits litigieux ou identifier les responsables, étant entendu, d’après eux, qu’en la matière la supervision purement formelle des tribunaux administratifs régionaux n’est pas de nature à combler cette carence. Les requérants sont d’avis que l’organe administratif compétent en vertu de ladite loi ne peut remplacer un juge de profession, dont l’indépendance serait garantie par la Constitution. Or, dans les enquêtes administratives en question, les justiciables ne bénéficieraient d’aucun débat public et n’auraient même pas la possibilité de combattre les preuves versées au dossier à leur insu. Pareilles restrictions, que les intéressés disent être propres à la loi no 4483, ne viseraient qu’à camoufler la réalité.

74. Ils considèrent que, en l’espèce, l’inspecteur du ministère de la Santé ayant mené l’enquête et le sous-préfet ayant fait siennes les conclusions de cette enquête accordaient, en tout état de cause, peu de valeur à la vie humaine puisqu’ils auraient déclaré que, même dans un service de soins intensifs, une prématurée souffrant de la MMH n’avait guère de chances de survie. Or, pour les requérants, la question était celle de savoir pour quelle raison, au 21e siècle, un hôpital procédant à un aussi grand nombre d’accouchements était dépourvu de service néonatal ou de couveuses appropriées, et pourquoi la famille d’un patient pouvait être invitée à rechercher elle-même un hôpital mieux équipé dans la région (paragraphes 9, 10, 22 et 28 ci‑dessus). Les requérants estiment que pareille approche revient à accepter que la vie d’un bébé atteint d’un syndrome grave dépende de la probabilité pour sa famille de trouver une couveuse disponible.

2. L’appréciation de la Cour

a) Principes généraux

75. La Cour renvoie aux principes pertinents pour l’examen de la présente affaire, tels que récapitulés, par exemple, dans l’arrêt Asiye Genç qui, au demeurant, présente nombre d’affinités avec l’espèce (voir arrêt précité, §§ 65 à 68, 71 et 72, pour le volet matériel, et §§ 69, 70 et 73, pour le volet procédural de l’article 2 de la Convention).

b) Application de ces principes à l’espèce

i. Au regard du volet matériel de l’article 2 de la Convention

76. Certes, les critères et principes qui se dégagent de la jurisprudence afférente aux affaires qui portent purement et simplement sur des négligences d’ordre médical ne sauraient être directement transposés, tels quels, aux affaires qui portent sur des dysfonctionnements structurels d’un service de santé (Asiye Genç, précité, § 76). Cela étant, pareille distinction n’est pas forcément décisive sur le terrain de l’article 2 de la Convention (comparer les paragraphes 55 à 57 ci-dessus), notamment lorsque – comme dans la présente affaire – les faits dénoncés se caractérisent par une combinaison de manquements qui tiennent tant de négligences individuelles que de tels dysfonctionnements.

Ce qui importe davantage est que, dans les deux cas, une prompte connaissance des circonstances dans lesquelles un processus thérapeutique s’est déroulé et/ou des erreurs qui ont été éventuellement commises dans l’administration de soins médicaux est essentielle pour permettre, d’un côté, aux instances compétentes de remédier aux défaillances potentielles (voir, Asiye Genç, précité, § 70 in fine, et, mutatis mutandis, Šilih c. Slovénie [GC], no 71463/01, § 196, 9 avril 2009) et de l’autre, aux professionnels de la santé de prévenir des erreurs similaires (voir, mutatis mutandis, Byrzykowski, précité, § 117).

Il y va de la sécurité des usagers de l’ensemble des services de santé.

77. S’en tenant aux éléments factuels, la Cour note que, en l’espèce, ne prêtaient à controverse ni la gravité de l’état de santé de la petite fille des requérants, née prématurée et souffrant d’une détresse respiratoire, ni la nécessité d’une intervention médicale d’urgence impliquant notamment des équipements de ventilation mécanique (paragraphes 7 et 9 ci-dessus).

Dans ce contexte, pour mieux se forger une idée sur les circonstances de la cause, la Cour a pour tâche d’examiner tout d’abord si l’État défendeur peut passer pour avoir donné, par le biais des procédures diligentées sur le plan national, une explication suffisante, propre à faire la lumière sur le cours des évènements qui ont conduit au décès de la fille des requérants ainsi qu’à permettre d’apprécier si les protagonistes ont fait ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’eux pour prévenir cette tragédie.

78. À cet égard, la Cour relève que deux procédures ont été menées au niveau interne : la première, de nature pénale, engagée par les requérants (paragraphes 13 et 15 ci-dessus), et la seconde, à caractère administratif/disciplinaire, déclenchée d’office par le ministère de la Santé (paragraphe 22 ci-dessus). Il ressort du dossier que les conclusions de l’inspecteur en chef M.O. ont constitué le point de croisement de ces deux procédures (paragraphes 31 et 32 ci-dessus).

79. En la matière, la Cour attache une importance particulière à l’obligation positive contenue dans l’article 2 de la Convention, qui s’étend à la nécessité, pour l’État, d’instaurer un système judiciaire efficace et indépendant permettant d’établir la cause du décès d’un individu qui se trouvait sous la responsabilité de professionnels de la santé et, le cas échéant, d’obliger ceux-ci à répondre de leurs actes (Eugenia Lazăr, précité, §§ 70 et 71).

Aussi la Cour entend-elle apporter avant tout quelques précisions sur l’étendue de cette obligation dans le contexte particulier du droit turc.

En la matière, comme déjà rappelé ci-avant (paragraphe 62 ci-dessus), le principe général est que, au-delà des cas de négligences, l’absence d’incrimination et de poursuites à l’encontre des personnes responsables d’atteintes à la vie peut entraîner une violation de l’article 2, abstraction faite de toute autre forme de recours à exercer par les requérants de leur propre initiative (voir, parmi d’autres, Asiye Genç, précité, §§ 73 et 83, et Mehmet Şentürk et Bekir Şentürk c. Turquie, no 13423/09, § 105, 9 avril 2013).

Cependant, s’agissant de telles situations, la Cour estime que, en droit turc, l’obligation dont il s’agit pourrait également être satisfaite par l’ouverture d’office d’une procédure à caractère administratif/disciplinaire, telle celle qui a été engagée en l’espèce par le ministère de la Santé (paragraphe 22 ci-dessus), et ce, indépendamment des voies pénales (Calvelli et Ciglio, précité, § 51, et Karakoca, décision précitée) qui s’imposent en particulier lorsque les autorités nationales ont pu juger que les faits dénoncés étaient constitutifs d’une infraction (voir, par exemple, Huylu c. Turquie, no 52955/99, § 74, 16 novembre 2006).

80. À cet égard, la Cour observe que l’enquête administrative/disciplinaire menée dans la présente affaire cadre a priori avec sa jurisprudence, selon laquelle, lorsqu’un patient se heurte à un obstacle d’ordre structurel entraînant une absence de prise en charge médicale par un service hospitalier et lorsque cela aboutit à une mise en danger de sa vie, les autorités doivent déclencher promptement et de leur propre chef une enquête officielle, indépendante, impartiale et efficace (Asiye Genç, précité, § 69, Gagiu c. Roumanie, no 63258/00, § 68, 24 février 2009, Kats et autres c. Ukraine, no 29971/04, §§ 116 et 120, 18 décembre 2008, et Tararieva c. Russie, no 4353/03, §§ 74, 75 et 103, CEDH 2006‑XV).

En outre, ces procédures paraissent susceptibles non seulement d’entraîner des poursuites disciplinaires (Asiye Genç, précité, § 71, Öneryıldız, précité, §§ 91 et 92, Mastromatteo c. Italie [GC], no 37703/97, § 90, CEDH 2002‑VIII, et Calvelli et Ciglio, précité, ibidem), mais aussi de permettre d’identifier – comme en l’occurrence – les problèmes structurels en jeu et de permettre aux autorités compétentes, ministérielles ou autre, d’y remédier afin de prévenir des incidents similaires.

81. Revenant aux faits de la cause, la Cour observe que, dans son rapport du 10 février 2006, conforté par les témoignages des médecins entendus en l’espèce (paragraphe 28 ci-dessus) et par les premiers constats du 31 janvier 2006 (paragraphe 22 ci-dessus), l’inspecteur M.O. mettait en exergue les éléments suivants :

– depuis longtemps, il existait à İzmir des problèmes récurrents dans l’administration des soins néonataux ;

– l’hôpital Atatürk, qui réalisait environ 3 500 accouchements par an, ne disposait pourtant pas d’une unité néonatale ;

– l’absence d’une telle unité sapait l’utilité des 14 pédiatres en poste dans cet hôpital, limitant dès lors leurs fonctions à des consultations de polyclinique ;

– en conséquence, cet hôpital devait transférer, chaque année, plus de 300 prématurés notamment vers l’hôpital Behçet Uz ; or ces transferts péchaient par manque d’organisation et de réglementation appropriées ;

– les 170 couveuses environ dont disposait le département d’İzmir n’étaient pas exploitées efficacement, faute de coordination entre les établissements et d’un centre de suivi de la disponibilité des places, susceptible d’orienter les transferts des prématurés.

Il attirait également l’attention des autorités sur le risque que le ministère de la Santé soit inquiété par la justice si l’hôpital Atatürk « continuait à ne pas offrir des soins néonataux ».

82. La Cour n’aperçoit aucun élément susceptible de remettre en cause les constats de fait dégagés à l’issue de cette enquête (voir, par exemple, Öneryıldız, précité, § 109, et Klass et autres c. Allemagne, 6 septembre 1978, §§ 29 et 30, série A no 28) et qui sont de surcroît admis, en partie, par le Gouvernement (paragraphe 66 ci-dessus).

83. Il ressort clairement de ces constats que, si la vie de la fille des requérants a été mise en danger par un concours de circonstances, l’élément déterminant a bien été le fait que les médecins de l’hôpital Atatürk se sont vus médicalement contraints de pratiquer une césarienne sur une femme enceinte de trente semaines, dans un service où ils n’étaient pas en mesure de faire face à des complications néonatales (paragraphes 6 et 7 ci-dessus) ; ces médecins ne pouvaient pas ignorer le risque, en cas de nécessité d’un transfert, qu’un éventuel refus d’admission dans un autre hôpital pouvait présenter pour la vie de la nouveau-née. Sans devoir spéculer sur les chances de survie de la petite fille si elle avait bénéficié d’une prise en charge immédiate et adéquate, il suffit de noter que, avant de faire le choix d’un transfert au mépris d’un tel risque, le personnel de l’hôpital Atatürk n’a pris aucune mesure propre à assurer que le bébé bénéficiât des soins que son tableau clinique imposait (voir, pour une situation comparable, Asiye Genç, précité, §§ 77 et 78 in limine), car il était convaincu que pareille mesure incombait à l’hôpital Behçet Uz.

84. Il s’agit là d’un cas de négligence, caractérisée par une absence de coordination (paragraphe 55 ci-dessus) et imputable au personnel susmentionné, ce qui en soi pose problème au regard de l’article 2 de la Convention.

L’examen de la Cour ne saurait toutefois s’arrêter là, pour les raisons qui suivent.

85. Pour la Cour, une simple comparaison des données officielles concernant les dispositifs médicaux alors existants dans les deux hôpitaux ici en cause (paragraphe 17 ci-dessus) suffit pour comprendre que l’hôpital Behçet Uz était spécialisé et dûment équipé pour offrir des soins périnataux et néonataux. En fait, malgré les quelques indications laissant entendre que cet hôpital avait indûment consenti au transfert de la fille des requérants (paragraphes 8, 25 et 26 ci-dessus), il ne pouvait tout simplement pas faire autrement, car il relevait de la catégorie d’établissements publics, censés accueillir tous les patients sans distinction, alors que ses services étaient sérieusement confrontés à un problème récurrent de surcharge.

Rien n’autorise donc la Cour à critiquer, en tant que tel, le fonctionnement et les professionnels de l’hôpital Behçet Uz sur le plan structurel ou médical – eu égard au nombre de places, d’incubateurs ou de ventilateurs mécaniques disponibles dans ses services –, et ce d’autant moins que, en l’espèce, les manquements concernant le transfert litigieux et l’inadéquation du traitement subséquent ne pouvaient être justifiés per se par un simple manque de place dans l’unité de soins néonataux ni par un afflux imprévisible de patients (Asiye Genç, précité, § 80).

86. Aussi la Cour estime-t-elle devoir relativiser les griefs que les requérants tirent de l’épisode qui s’est déroulé dans cet hôpital (paragraphes 69 et 70 ci-dessus). En effet, comme l’inspecteur M.O. l’a souligné, le vrai problème résultait des transferts, inconsidérés et mal organisés, vers l’hôpital Behçet Uz de prématurés nés dans d’autres établissements, dont notamment l’hôpital Atatürk, et de la position des autres hôpitaux universitaires de la région, qui « n’acceptaient pas ce genre de transfert » (paragraphes 25 in fine et 26 ci-dessus).

87. En effet, à l’instar des requérants (paragraphes 70 in fine et 74 ci‑dessus), la Cour note que l’hôpital Atatürk n’avait ni unité appropriée pour les prématurés ni moyens techniques pour les soigner, pareille situation entravant en outre l’efficacité des pédiatres qui y étaient alors en poste ; à cet égard, il importe d’observer que seul en 2004, parmi les 387 bébés prématurés nés dans cet hôpital, 354 avaient dû être transférés vers d’autres établissements, dans des conditions sujettes à caution (paragraphes 22 et 31 ci-dessus).

Si nul ne saurait remettre en cause la nécessité médicale de procéder à des accouchements en urgence, comme dans le cas d’espèce, il n’en demeure pas moins que cette situation – à l’évidence notoire et chronique à l’époque en question – démontre que les autorités responsables des services de santé ne pouvaient ignorer au moment des faits que la vie de plus d’un patient, dont celle du bébé Aydoğdu, était menacée de manière réelle, et qu’elles n’ont pas pris, dans le cadre de leurs pouvoirs, les mesures dont on pouvait raisonnablement attendre qu’elles pallient ce risque (voir, pour le principe, Osman c. Royaume-Uni, 28 octobre 1998, § 116, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VIII).

Le Gouvernement n’ayant pu démontrer en quoi la prise de telles mesures aurait présenté pour lui un fardeau insupportable ou excessif en termes de choix opérationnels à faire en matière de priorités et de ressources (voir, mutatis mutandis, Nencheva et autres c. Bulgarie, no 48609/06, § 108, 18 juin 2013, et les références qui y figurent), force est donc de conclure que la Turquie n’a pas suffisamment veillé à la bonne organisation et au bon fonctionnement du service public hospitalier dans cette région du pays (Eugenia Lazăr, précité, § 69, et Asiye Genç, précité, idem), faute notamment d’un cadre réglementaire propre à imposer aux établissements hospitaliers des règles garantissant la protection de la vie des enfants prématurés, dont la fille des requérants (paragraphe 56 ci-dessus).

88. Outre les négligences attribuables au personnel médical (paragraphes 83 et 84 ci-dessus), un lien de causalité se trouve donc également établi entre le décès déploré en l’espèce et les problèmes structurels susmentionnés.

Partant, à l’instar de ce qu’elle a observé dans l’affaire Asiye Genç, la Cour estime que la fille des requérants doit également être considérée comme ayant été victime de négligences et de défaillances structurelles qui ont eu comme effet conjugué de l’exclure des soins urgents adéquats, ce qui s’apparente à un refus de prise en charge médicale de nature à mettre la vie en danger (Asiye Genç, précité, § 82, et Mehmet Şentürk et Bekir Şentürk, précité, § 97).

ii. Au regard du volet procédural de l’article 2 de la Convention

89. Dans la présente affaire, une appréciation sous l’angle procédurale de l’article 2 de la Convention s’impose relativement à l’argument du Gouvernement selon lequel l’enfant avait bénéficié de tous les soins nécessaires au regard de la médecine moderne, et, en tout état de cause, sa prise en charge immédiate dans un service de soins intensifs et son placement sous ventilation mécanique n’auraient guère changé son sort (paragraphes 56 et 57 ci-dessus).

Dès lors que cette question concerne l’adéquation du traitement médical prodigué à la petite fille, la Cour tient à préciser d’emblée qu’à cet égard les requérants doivent passer pour avoir fait tout ce qui était en leur pouvoir pour étayer prima facie leur doléances y afférentes. Pour la Cour, ils n’étaient assurément pas en mesure de soumettre des éléments de preuve plus tangibles susceptibles de remettre en cause la stratégie thérapeutique qui a été suivie en l’occurrence. Pareils éléments, s’il y en a, n’auraient pu se trouver qu’en la possession des médecins ayant participé au traitement de l’enfant et/ou des responsables de la procédure judiciaire diligentée à l’endroit de ces derniers : les premiers étaient les seuls à connaître le déroulement exact du processus thérapeutique et les seconds à avoir accès aux informations susceptibles de confirmer ou de réfuter les allégations des requérants. Force est donc de rechercher maintenant si la procédure pénale intentée en l’espèce a permis de faire la lumière sur cette question cruciale.

90. En l’espèce, le personnel médical mis en cause de même que les établissements employeurs relevaient du domaine de droit public et, par conséquent, ladite procédure était régie par la loi no 4483 (paragraphes 37 à 39 ci-dessus).

Ce régime a été systématiquement critiqué et maintes fois sanctionné par la Cour, relativement au manque d’indépendance des organes d’enquête (voir, par exemple, Nazif Yavuz c. Turquie, no 69912/01, § 49, 12 janvier 2006, Ümit Gül c. Turquie, no 7880/02, §§ 53-57, 29 septembre 2009, Mete et autres c. Turquie, no 294/08, § 114, 4 octobre 2011, et Karahan c. Turquie, no 11117/07, § 45, 25 mars 2014), à l’impossibilité pour les justiciables de participer effectivement aux investigations (Işıldak, précité, §§ 54 à 56) et à l’inadéquation du contrôle judiciaire effectué sur les décisions desdits organes (Kanlıbaş c. Turquie, no 32444/96, § 49, 8 décembre 2005, Sultan Öner et autres c. Turquie, no 73792/01, § 143, 17 octobre 2006, Uyan c. Turquie (no 2), no 15750/02, § 49, 21 octobre 2008, et Mecail Özel c. Turquie, no 16816/03, § 25, 14 avril 2009).

Aucune circonstance particulière ne permet à la Cour de se départir de ces conclusions dans la présente affaire, relativement à la procédure pénale menée en l’espèce, que les requérants dénoncent d’ailleurs sur le fondement d’arguments comparables (paragraphe 73 ci-dessus).

Certes il s’agit là de circonstances, en soi, constitutives d’une méconnaissance de l’article 2, sous son volet procédural. Ceci étant, dans la présente affaire, la Cour observe qu’un autre élément davantage déterminant vient s’ajouter à ceux inhérents au régime imposé par la loi no 4483.

91. À ce sujet, la Cour note que la thèse du Gouvernement (paragraphe 90 in limine ci-dessus) rejoint celle de certains médecins impliqués dans cette affaire (paragraphe 27 ci-dessus) ainsi que celle à laquelle l’inspecteur en chef M.O. avait ajouté foi (paragraphes 31 et 32 ci‑dessus). Cette thèse a fondé la décision du sous-préfet A.M.N. de refuser l’ouverture d’une instruction pénale contre les sept médecins, au motif qu’« aucune négligence, omission, faute ou imprudence » ne leur était imputable (paragraphe 33 ci-dessus).

Sur le plan procédural, le rapport d’enquête du 10 février 2006 dressé par M.O. reposait sur une expertise qu’il avait commandée à M.He. et M.Sa. (paragraphes 29 et 30 ci-dessus), étant entendu que l’avis de ces derniers reposait lui-même sur le rapport du conseil d’experts no 1 (paragraphe 18 ci‑dessus).

92. Il n’appartient certes pas à la Cour de remettre en cause, en tant que telles, les conclusions de ces expertises en se livrant, à partir des renseignements médicaux dont elle pourrait disposer, à des conjectures sur leur caractère correct d’un point de vue scientifique (voir Altuğ et autres c. Turquie, no 32086/07, § 77, 30 juin 2015 ; voir aussi, mutatis mutandis, Tysiąc c. Pologne, no 5410/03, § 119, CEDH 2007‑I).

Il n’en demeure pas moins qu’elle comprend mal comment les neuf spécialistes du conseil d’experts no 1 ont pu conclure, sans détour, qu’« il n’était pas certain que l’enfant eût pu survivre même si on lui avait prodigué un traitement en couveuse » (paragraphe 18 ci-dessus), ni comment les spécialistes M.He. et M.Sa., qui se sont bornés à s’aligner sur cette conclusion, ont pu avancer que, de fait, même une admission immédiate de l’enfant en soins intensifs et son placement sous ventilation mécanique n’aurait guère augmenté ses chances de survie (paragraphe 30 ci-dessus).

93. À cet égard, la Cour prend note des explications du Gouvernement sur la conduite de la requérante, qui aurait omis d’effectuer des contrôles réguliers au cours de sa grossesse (paragraphes 20, 21, 26 in fine et 56 ci‑dessus) et qui se serait rendue trop tardivement à l’hôpital Atatürk (paragraphe 6 ci-dessus). Ces éléments n’ont aucun poids, le rapport susmentionné du conseil d’experts no 1 ne contenant aucune évaluation scientifique quelconque sur le rôle qu’ils eurent pu avoir dans la survenue du décès litigieux.

94. Dans la présente affaire, les experts n’ont fait que décrire les actes médicaux effectués jusqu’alors, sans se pencher sur les protocoles thérapeutiques qui auraient pu ou auraient dû être appliqués, et ils ont conclu que tous les médecins concernés avaient agi en adéquation avec les standards de la médecine moderne et les règles de l’art, sans jamais énoncer lesdits standards et règles ni exposer de quelque manière que ce fût la ou les raisons qui leur permettaient d’énoncer une telle affirmation (pour des observations comparables, voir Altuğ et autres, précité, §§ 79 à 81, et Eugenia Lazăr, précité, §§ 69 et 70).

95. Ils n’ont même pas cherché à faire la lumière sur la contradiction concernant les scores Apgar (paragraphes 6 et 20 ci-dessus) de la petite fille ni à étayer la gravité de leur pronostic, en ce que ses chances de survie étaient quasi nulles.

96. Comme la Cour l’a déjà dit, dans les affaires telles que celle-ci, seuls des rapports approfondis et scientifiquement étayés, comportant une conclusion motivée et répondant aux questions soulevées en l’espèce auraient été de nature à inspirer aux justiciables une confiance dans l’action de la justice (Eugenia Lazăr, précité, § 83).

En effet, si la Cour exige que l’enquête officielle à mener dans le contexte de l’article 2 – quelle que soit sa nature – doit « couvrir tous les éléments cruciaux pour faire la lumière sur les circonstances du décès litigieux » (Asiye Genç, précité, § 70), cette même exigence vaut sans conteste pour le contenu d’un rapport d’expertise judiciaire, si et dans la mesure où il a constitué – comme dans le cas présent – l’élément principal ayant permis d’asseoir la décision des organes d’enquête (voir, par exemple, Sara Lind Eggertsdóttir c. Islande, no 31930/04, § 47, 5 juillet 2007, et Bajić c. Croatie, no 41108/10, § 95, 13 novembre 2012).

Or, en l’occurrence, déjà au mépris des exigences qui ressortent de la jurisprudence de la Cour de cassation turque (paragraphe 46 ci-dessus), les experts n’ont jamais répondu aux seules questions essentielles, susceptibles de permettre d’établir si – outre les problèmes de coordination et de dysfonctionnements structurels soulevés ci-avant (paragraphes 85 à 88 ci‑dessus) – le décès de la fille des requérants était inévitable ou s’il était survenu à la suite des conséquences anormales et imprévisibles d’un acte médical relevant de l’aléa thérapeutique – de façon à exclure la faute médicale –, ou bien s’il résultait du refus de prodiguer certains soins spécifiques pour les prématurés en détresse respiratoire.

97. La Cour s’interroge de surcroît sur la question de savoir si ces expertises auraient éventuellement pu aboutir à des résultats plus convaincants quant aux raisons médicales qui auraient condamné ce bébé et qui, par conséquent, auraient pu exempter les médecins traitants de toute responsabilité.

Sans mettre en cause la compétence, dans leurs branches respectives, des spécialistes et experts susmentionnés, dont les conclusions ont été décisives, la Cour observe, avant tout, que ces expertises judiciaires ne cadrent guère avec les lignes directrices qui se dégagent de la jurisprudence nationale susmentionnée concernant l’adéquation des qualifications scientifiques requises en la matière (paragraphe 46 ci-dessus).

98. Rien dans le dossier n’indique qu’il y ait eu parmi ces derniers un spécialiste en néonatalogie, à savoir le domaine médical au cœur de cette affaire, étant entendu qu’en l’espèce le conseil d’experts no 1 s’était réuni et avait tranché en l’absence de son unique membre pédiatre, et ce, en violation de l’article 7 a) et 23-B de la loi no 2659 (paragraphe 45 in fine ci‑dessus) (comparer avec Tapınç c. Turquie (déc.), no 19378/08, §§ 35 à 37, 8 avril 2014).

Tout au long de la procédure d’expertise, le seul professionnel relevant d’une discipline relative aux maladies infantiles a apparemment été M.He., de l’hôpital de Tepecik, lequel disposait d’un service néonatal, mais pas de spécialistes en néonatalogie (paragraphes 17, 18 et 29 ci-dessus). Quoi qu’il en soit, la contribution de M.He. n’est pas allée au-delà de justifier, sans plus, la position de l’institut médicolégal (paragraphe 30 ci-dessus).

99. Cette observation n’est pas sans conséquence. Si, dans les affaires portant sur des allégations d’atteinte au droit à la vie, l’intérêt d’une bonne administration de la justice peut justifier que la réalisation d’expertises soit confiée à des institutions publiques spécialisées, comme l’institut médicolégal turc, et/ou à d’autres professionnels de la santé censés être qualifiés pour de telles missions, il n’en reste pas moins que le cadre législatif mis en place par l’État pour réglementer l’exercice de la médecine légale doit comporter des garanties contre l’arbitraire suffisantes pour renforcer non seulement la confiance des justiciables dans l’action de la justice, mais aussi la crédibilité du système dans son ensemble (voir, mutatis mutandis, Eugenia Lazăr, précité, § 81).

La pertinence des compétences d’un expert par rapport aux spécificités de la question scientifique à élucider dans une affaire donnée s’inscrit assurément dans le contexte de telles garanties (voir, par exemple, Tanlı c. Turquie, no 26129/95, § 150, ECHR 2001‑III (extraits), et Van Kück c. Allemagne, no 35968/97, § 55, CEDH 2003‑VII), de même que l’indépendance et l’impartialité dont les experts judiciaires doivent faire preuve (Barabanshchikov c. Russie, no 36220/02, § 59, 8 janvier 2009, Bajić, précité, §§ 95 et 102, et Karpisiewicz c. Pologne (déc.), no 14730/09, § 59, 11 décembre 2012).

100. Du fait de ces expertises lacunaires, nulle autorité n’a été capable d’apporter une réponse cohérente et scientifiquement fondée aux problèmes soulevés en l’espèce et d’apprécier l’éventuelle responsabilité des médecins en toute connaissance de cause. En d’autres termes, la décision du sous-préfet de Konak se fondait sur des rapports médicaux qui avaient éludé les points essentiels de l’affaire et, en ultime lieu, le tribunal administratif régional d’İzmir – faute de disposer des prérogatives nécessaires – a choisi de s’en tenir au motif d’absence « d’indices suffisants » pour rejeter l’opposition des requérants et faire abstraction de leurs arguments pertinents qui exigeaient des réponses spécifiques et explicites (paragraphe 35 ci‑dessus) (voir, par exemple, mutatis mutandis, Asiye Genç, précité, §§ 84 et 85, et Altuğ et autres, précité, § 82).

Force est d’en déduire qu’en la matière, les normes et la pratique qui valent pour le contentieux administratif ne s’alignent guère sur celles du contentieux civil (paragraphes 46 et 47 ci-dessus).

101. Quoi qu’il en soit, pareille situation est en contradiction avec l’obligation procédurale contenue dans l’article 2 et qui, en l’espèce, imposait précisément aux autorités nationales de prendre des mesures pour assurer l’obtention des preuves propres à fournir un compte rendu complet et précis des faits et une analyse objective des constatations cliniques sur la cause du décès de la fille des requérants (Eugenia Lazăr, précité, § 78).

En bref, la procédure pénale dont il s’agit a manqué de l’effectivité requise pour permettre d’établir et de sanctionner une éventuelle méconnaissance du droit à la protection de la vie du bébé Aydoğdu du fait des soins médicaux litigieux (Asiye Genç, précité, § 86, et Altuğ et autres, précité, § 84).

102. La Cour ne saurait combler ce manquement en tentant de spéculer sur l’issue possible de cette procédure si les questions susmentionnées avaient été dûment examinées. Cela ne l’empêche pas pour autant de conclure qu’en l’espèce, l’impossibilité pour elle d’aboutir à des constatations de fait définitives quant à cette partie de la requête a bel et bien résulté de l’absence d’une réaction adéquate des organes d’enquête –relevant du reste d’un régime sujet à caution (paragraphe 90 ci-dessus) – et d’expertise judiciaire (paragraphes 100 et 101 ci-dessus) (voir, mutatis mutandis, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 131, CEDH 2000-IV, İlhan, précité, § 79, Ay c. Turquie, no 30951/96, § 58, 22 mars 2005, et Kamil Uzun c. Turquie, no 37410/97, § 56, 10 mai 2007).

iii. Conclusion générale

103. Tout bien considéré, au vu de ses observations précédentes (voir, notamment, les paragraphes 84, 88, 101 et 102 ci-dessus), la Cour conclut que la nouveau-née des requérants a été victime d’un manque de coordination entre les professionnels de la santé, combiné avec des dysfonctionnements structurels des services hospitaliers dans la région d’İzmir, en ce que, au mépris de son droit à la protection de sa vie, elle a été privée d’accès à des soins d’urgence adéquats (Asiye Genç, précité, § 82 ; voir aussi Mehmet Şentürk et Bekir Şentürk, précité, §§ 97 et 105).

La Cour conclut en outre que, dans la présente affaire, la réaction du système judiciaire turc face au décès en cause ne peut passer pour respectueuse des garanties inhérentes à ce droit.

104. Pour ces deux motifs, il y a eu en l’espèce violation tant du volet matériel que du volet procédural de l’article 2 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DES ARTICLES 41 ET 46 DE LA CONVENTION

A. L’article 41 de la Convention

105. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

1. Dommage

106. Les requérants réclament 100 000 euros (EUR) chacun pour le préjudice matériel résultant selon eux de la perte du soutien que leur fille aurait pu leur fournir à l’avenir, ainsi que 500 000 EUR chacun pour dommage moral, soit un total de 1 200 000 EUR.

107. Le Gouvernement affirme que, même si la Cour devait conclure à une violation de la Convention, force serait d’observer qu’aucun lien de causalité ne peut être établi entre celle-ci et les prétentions des requérants au titre du dommage matériel. Les intéressés n’auraient pas non plus démontré avoir subi des souffrances susceptibles de justifier une indemnisation pour préjudice moral.

En tout état de cause, le Gouvernement juge les demandes des requérants excessives, dénuées de fondement et incompatibles avec les exigences de l’article 41 de la Convention.

108. La Cour n’aperçoit effectivement pas de lien de causalité entre les violations constatées et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer conjointement aux requérants 65 000 EUR pour dommage moral (comparer, par exemple, avec Asiye Genç, précité, § 90).

2. Frais et dépens

109. Les requérants demandent le remboursement de 10 900 livres turques (TRY), cette somme étant selon eux calculée en fonction des barèmes d’honoraires du barreau d’İzmir pour l’année 2013. Concernant les autres frais, ils s’en remettent à la sagesse de la Cour et fournissent la copie de trois factures d’un total de 1 593 TRY émises pour des travaux de traduction.

110. Le Gouvernement rétorque que la somme chiffrée concernant les honoraires ne reflète pas ce qui aurait été réellement exposé, car la demande ne serait pas ventilée selon les heures de travail et serait excessive eu égard aux coûts de représentation dans des affaires similaires. Du reste, rien ne permettrait de savoir que les frais de traduction revendiqués ont un lien avec l’introduction de la présente requête, ceux-ci pouvant tout bonnement concerner une autre procédure quelle qu’elle soit.

111. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.

La Cour constate que, même si elle peut s’inspirer des barèmes mentionnés par les requérants (voir, par exemple, Teslim Töre c. Turquie, no 50744/99, § 43, 19 mai 2005), le dossier ne contient aucun document pertinent à cet égard, tel qu’une note d’honoraires ou une facture détaillée. La Cour ne saurait donc accueillir favorablement cette prétention.

En revanche, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, elle estime raisonnable le remboursement de 1 593 TRY pour les frais de traduction, cette somme équivalant environ à 486 EUR, et l’accorde aux requérants.

3. Intérêts moratoires

112. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

B. L’article 46 de la Convention

113. Aux termes de l’article 46 de la Convention :

« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.

2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution. »

1. Arguments des parties

114. Invoquant l’article 46 de la Convention, les requérants demandent à la Cour d’imposer à la Turquie l’abolition de la loi no 4483 (paragraphes 37 à 39 ci-dessus), dont le but sous-jacent serait de camoufler la vérité au regard des justiciables et d’entraver l’exercice des voies pénales afin que des violations graves des droits de l’homme de la part d’agents de l’État restent impunies.

115. Par ailleurs, ils prient la Cour d’ordonner l’ouverture de poursuites pénales contre les médecins mis en cause et d’attirer l’attention du Gouvernement sur le devoir qui serait le sien d’assurer que les véritables responsables de la mort de leur fille soient identifiés et punis.

116. Enfin, les requérants expliquent que seule la prise de mesures préventives au niveau de l’ensemble du pays – le cas échéant, par le biais d’organisations non gouvernementales à instituer – pourrait soulager leur douleur et enrayer la fréquence, indéfendable selon eux, des décès de nouveau-nés. Si de telles organisations étaient mises en place, ils prient la Cour d’enjoindre la Turquie à leur réserver, dans son budget annuel, une part déterminée qui leur permette de fonctionner de la manière la plus efficace possible.

117. Pour le Gouvernement, « il n’existe aucune base pour révoquer la loi no 4483 ni pour entamer une action pénale ».

2. Appréciation de la Cour

118. Dans le cadre défini par la jurisprudence afférente à l’article 46 de la Convention (voir, entre autres, Brumărescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, § 20, CEDH 2001-I, et Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 249, CEDH 2000‑VIII), la Cour estime que rien ne l’autorise à indiquer des mesures dans le sens souhaité par les requérants relativement à la loi no 4483 et aux poursuites pénales contre tel ou de tel médecin (paragraphes 112 et 113 ci-dessus), d’autant que cet aspect n’a pas été décisif, à lui seul, pour asseoir les constats de violation auxquels elle est parvenue (paragraphe 90 in fine ci-dessus). À cet égard, toutefois, la Cour s’estime bien placée pour attirer l’attention des autorités nationales sur le fait que sa jurisprudence critique concernant le régime imposé par cette loi repose sur des appréciations objectives qui, en l’état actuel de la situation de droit en Turquie, continueront sans doute à valoir dans le futur.

119. Cependant, dans le contexte du dernier argument des requérants (paragraphe 118 ci-dessus), la Cour observe que les questions particulières soulevées dans la présente espèce – tout comme celles observées autrefois dans l’affaire Asiye Genç (arrêt précité, §§ 5 et 8) – risquent effectivement de se poser à nouveau chaque fois qu’un prématuré, présentant un pronostic inquiétant à court terme, devra être transféré dans un hôpital autre que celui où il est né, faute de dispositifs médicaux nécessaires pour le prendre en charge.

Cela étant, pour la Cour, les autorités nationales, en coopération avec le Comité des Ministres, sont les mieux placées pour identifier, sur le plan national et/ou régional, les différentes causes de pareils dysfonctionnements structurels du système de santé et apporter les solutions générales propres à les pallier, dont notamment l’amélioration de la réglementation des procédures de transfert et de la qualité des soins dans le domaine de la médecine prénatale et néonatale, afin de prévenir des violations similaires à l’avenir.

120. En revanche, la Cour souligne, à ce sujet, que l’établissement des circonstances dans lesquelles un soin a été ou non dispensé ainsi que des éventuels manquements qui ont pu avoir une influence sur le cours des événements est essentiel pour remédier à de tels dysfonctionnements qui peuvent en être la cause, pour que – et il faut le répéter – des incidents comparables ne se répètent pas impunément au détriment des usagers du service public de la santé.

Sachant que les problèmes structurels du système de santé sont propres à affecter plus d’une personne et demeurent souvent inconnus du public, la Cour est persuadée que les enquêtes administratives/disciplinaires (paragraphes 79 et 80 ci-dessus) à mener sous l’égide de la plus haute autorité responsable du service public en question pourraient jouer un rôle central dans la recherche des solutions pertinentes.

Aussi la Cour estime-t-elle que, si le système juridique turc imposait le déclenchement prompt et d’office de telles procédures, lesquelles devraient impérativement être indépendantes et impartiales, et permettre une participation efficace des victimes à l’enquête, cela constituerait une mesure respectueuse de l’article 2 de la Convention et apte à fournir à l’État défendeur les moyens propres à faciliter ses tâches dans ce domaine.

121. Deuxièmement, pour ce qui concerne le régime d’expertise médicolégale, la Cour rappelle qu’aux fins de la préservation de l’État de droit et de la confiance du public et des victimes dans le système judiciaire, ce régime doit s’entourer de garanties suffisantes, et, notamment, exiger que les instances et/ou des spécialistes susceptibles d’être chargés de telles expertises aient des qualifications et compétences en parfaite corrélation avec les particularités de chaque cas à étudier, et préserver la crédibilité et l’efficacité dudit régime, ce qui passerait en particulier par l’obligation, pour les experts médicolégaux – qu’ils relèvent du secteur public ou du secteur privé – de dûment motiver leurs avis scientifiques.

À cet égard, la Cour attire l’attention sur les « Lignes directrices sur le rôle des experts nommés par un tribunal dans les procédures judiciaires des États membres du Conseil de l’Europe » (CEPEJ(2014)14), émises le 12 décembre 2014, par la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ). Elle estime que la perspective stipulée au point no 138 de cet instrument, qui somme les États membres à « soit adopter des dispositions juridiques relatives aux droits et aux responsabilités des experts dans le processus judiciaire, soit vérifier si leurs dispositions existantes à ce sujet sont conformes aux normes minimales présentées ci-dessus concernant la conduite des experts », suffirait à guider l’État défendeur dans son choix des moyens à mettre en place au regard de l’article 46 de la Convention.

122. La Cour laisse à l’État défendeur le soin de faire, sous le contrôle du Comité des Ministres, les démarches concrètes qu’il estimera nécessaires pour atteindre les buts recherchés par les indications ci-dessus et compatibles avec les conclusions contenues dans le présent arrêt.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;

2. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 2 de la Convention, sous son volet matériel ;

3. Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 2 de la Convention, sous son volet procédural ;

4. Dit, à l’unanimité,

a) que l’État défendeur doit verser conjointement aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :

i. 65 000 EUR (soixante-cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

ii. 486 EUR (quatre cent quatre-vingt-six euros), plus tout montant pouvant être dû par les requérants à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 30 août 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stanley NaismithJulia Laffranque
GreffierPrésidente

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge J.F. Kjølbro.

J.L.
S.H.N.

OPINION EN PARTIE CONCORDANTE ET EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE KJØLBRO

(Traduction)

1. Afin d’exposer ma position en l’espèce, je souhaiterais formuler quelques observations sur la question de l’épuisement des voies de recours internes (opinion concordante), sur la violation matérielle (opinion concordante), sur la violation procédurale (opinion dissidente) et sur les indications données par la Cour au titre de l’article 46 de la Convention (opinion en partie concordante et en partie dissidente).

Sur l’épuisement des voies de recours internes

2. Dans les affaires relatives à une négligence médicale alléguée, qu’elle soit de nature spécifique ou structurelle, la victime ou ses proches disposent souvent – selon le système juridique interne en question – de plusieurs voies de recours. Ces recours peuvent consister en des procédures pénale, civile, administrative ou disciplinaire. Se pose alors la question de savoir si, sous l’angle de l’article 35 de la Convention, un requérant est tenu d’exercer plus d’un recours avant de pouvoir saisir la Cour. Plus précisément, la question est de savoir si un requérant qui a déposé une plainte qui n’a pas abouti à l’ouverture d’une procédure pénale contre le personnel médical concerné doit avoir utilisé d’autres recours, notamment une action en responsabilité délictuelle.

3. En l’espèce, la Cour a examiné la question et y a répondu par la négative (paragraphes 53-64 de l’arrêt). Je souscris à cet avis. En droit turc, les requérants avaient la possibilité d’engager une procédure administrative contre les hôpitaux en cause pour demander réparation des dommages résultant de la négligence et des déficiences structurelles alléguées. Le Gouvernement a démontré que ce recours existait non seulement en théorie, mais également en pratique. Néanmoins, eu égard au résultat de l’enquête, il est difficile d’imaginer qu’une action civile aurait pu avoir une chance d’aboutir en pratique (paragraphe 61 de l’arrêt). Toutefois, même si les requérants avaient la possibilité d’engager une action en réparation, la Cour devrait se garder d’exiger d’un requérant qu’il ait engagé pareille action après avoir exercé un recours effectif. D’une manière générale, dans les affaires concernant une négligence médicale, l’exercice d’un recours effectif doit être considéré comme suffisant (comparer, par exemple, avec O’Keeffe c. Irlande [GC], no 35810/09, § 111, CEDH 2014 (extraits), Petrova c. Lettonie, no 4605/05, §§ 72-75, 24 juin 2014).

4. Cela dit, dans le contexte d’une négligence médicale, le fait que le système juridique offre aux intéressés un recours devant les juridictions civiles pour obtenir réparation est important et pertinent pour permettre à la Cour de déterminer si l’État a satisfait à ses obligations positives (Calvelli et Ciglio c. Italie [GC], no 32967/96, § 51, CEDH 2002‑I, Colak et Tsakiridis c. Allemagne, nos 77144/01 et 35493/05, § 30, 5 mars 2009, Šilih c. Slovénie [GC], no 71463/01, §§ 192-196, 9 avril 2009, Gray c. Allemagne, no 49278/09, § 81, 22 mai 2014). En d’autres termes, le rejet de l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Gouvernement (au motif que les requérants n’auraient pas engagé une procédure administrative en réparation contre les hôpitaux concernés) ne doit pas s’entendre comme une non-reconnaissance de l’importance que présente l’existence de pareil recours pour l’appréciation du respect par l’État de ses obligations positives découlant de l’article 2 de la Convention.

Sur la violation matérielle

5. Les actes et omissions des autorités internes dans le domaine des politiques de santé peuvent, dans certaines circonstances, engager leur responsabilité sous l’angle du volet matériel de l’article 2. Toutefois, dès lors qu’un État contractant a fait ce qu’il fallait pour assurer un haut niveau de compétence chez les professionnels de la santé et pour garantir la protection de la vie des patients, on ne peut admettre que des questions telles qu’une erreur de jugement de la part d’un professionnel de la santé ou une mauvaise coordination entre des professionnels de la santé dans le cadre du traitement d’un patient en particulier suffisent en elles-mêmes à obliger un État contractant à rendre des comptes en vertu de l’obligation positive de protéger le droit à la vie qui lui incombait aux termes de l’article 2 de la Convention (Powell c. Royaume-Uni (déc.), no 45305/99, CEDH 2000‑V, Nitecki c. Pologne, no 65653/01 (déc.) 21 mars 2002, Glass c. Royaume‑Uni, no 61827/00, CEDH 2004‑II, Byrzykowski c. Pologne, no 11562/05, § 104, 27 juin 2006, Eugenia Lazăr c. Roumanie, no 32146/05, § 68, 16 février 2010). Les obligations positives impliquent la mise en place par l’État d’un cadre réglementaire imposant aux hôpitaux, qu’ils soient publics ou privés, l’adoption de mesures propres à assurer la protection de leurs malades. Elles exigent également l’instauration par l’État d’un système judiciaire efficace et indépendant capable, en cas de décès d’un individu se trouvant sous la responsabilité de professionnels de la santé, qu’ils relèvent du secteur public ou du secteur privé, d’établir la cause du décès et d’obliger les responsables éventuels à répondre de leurs actes.

6. En d’autres termes, normalement, dans les affaires relatives à une négligence médicale, il n’appartient pas à la Cour d’évaluer la qualité du traitement médical prodigué ni de déterminer si les normes et critères applicables en la matière ont été respectés. Cela va au-delà de ses compétences.

7. Cela dit, j’ai voté en faveur du constat de violation de l’article 2 de la Convention sous son volet matériel en raison de 1) la décision des médecins de l’hôpital Atatürk de transférer la mère et le nouveau-né à l’hôpital de Behçet Uz sans s’être assurés que cet établissement serait en mesure de recevoir l’enfant et de lui dispenser le traitement requis, combinée avec 2) le manque de coordination entre les hôpitaux concernés et 3) le fait que les problèmes structurels dont les autorités avaient connaissance depuis des années ont eu pour effet de mettre en danger la vie du nouveau-né. La circonstance que l’enfant avait peu de chances de survie n’a aucune incidence sur le fait que sa vie a été mise en danger par les actes et omissions du personnel médical impliqué. En ce qui concerne les motifs qui m’ont conduit à voter en faveur du constat de violation, tout en m’écartant néanmoins du raisonnement tenu par mes collègues, je renvoie également à l’opinion concordante conjointe exprimée par les juges Lemmens, Spano et Kjølbro dans l’affaire Asiye Genç c. Turquie, no 24109/07, 27 janvier 2015.

Sur la violation procédurale

8. Dans les affaires relatives à une négligence médicale, les obligations procédurales découlant de l’article 2 de la Convention ont pour but d’assurer que la cause et les circonstances du décès soient établies et que les auteurs d’une éventuelle négligence médicale ou faute professionnelle répondent de leurs actes.

9. En l’espèce, les requérants ont déposé plainte, une enquête a été ouverte immédiatement et close un peu plus d’un an après le décès de l’enfant. L’enquête a donc été à la fois prompte et diligente. Les enquêteurs ont interrogé le personnel médical concerné et les requérants, dont les dépositions ont été enregistrées. De plus, des expertises ont été obtenues de l’institut médicolégal d’Istanbul (paragraphe 18 de l’arrêt) et de deux spécialistes médicaux (paragraphes 29-30 de l’arrêt). Enfin, l’incident a été traité par l’adjoint au médecin-chef de l’hôpital Atatürk (paragraphes 20-21 de l’arrêt) et par l’inspecteur désigné aux fins de l’enquête (paragraphes 31‑32 de l’arrêt).

10. L’enquête a permis d’établir la cause et les circonstances du décès et d’évaluer l’éventuelle responsabilité du personnel médical. Les requérants n’ont pas été satisfaits de l’issue de l’enquête, dans la mesure où personne n’a été tenu pour pénalement responsable du décès de leur enfant. Cependant, l’obligation procédurale découlant de l’article 2 de la Convention est une obligation de moyens, et non de résultat.

11. Devant la Cour, les requérants se plaignaient – sous l’angle des obligations procédurales découlant de l’article 2 de la Convention – du système turc prévu par la loi no 4483, qui dispose que l’ouverture d’une procédure pénale contre des agents de l’État est soumise à une autorisation préalable (paragraphes 69-74 de l’arrêt). Toutefois, la Cour ne traite cette question que d’une manière vague et générale, sans apprécier les circonstances particulières de l’espèce (paragraphe 90 de l’arrêt). Dans le même temps, elle procède à une évaluation détaillée du régime turc de d’expertise médicolégale en cas de négligence médicale alléguée.

12. Force m’est de noter que les requérants n’ont soulevé ce dernier point ni devant les juridictions internes (paragraphe 35 de l’arrêt) ni devant la Cour (paragraphes 69-74 de l’arrêt). Pourtant, la Cour juge nécessaire d’évaluer le régime d’expertise médicolégale en Turquie. Elle saisit, de sa propre initiative, l’occasion que lui offre cette requête d’aborder un point qu’elle estime important et sur lequel elle souhaite formuler un avis.

13. La Cour critique les conclusions des rapports médicaux (paragraphe 92 de l’arrêt), la qualité et le raisonnement des opinions des experts médicaux (paragraphes 94-96 de l’arrêt) ainsi que les qualifications des experts et la composition du conseil d’experts (paragraphes 97-99 de l’arrêt). Je ne vois pas sur quelle base mes collègues fondent leur appréciation. Selon moi, cette affaire ne nécessite pas que l’on évalue le régime turc d’expertise médicolégale. Par ailleurs, d’une manière générale tout comme dans les circonstances particulières de l’espèce, les éléments nécessaires à une critique du fonctionnement du système turc ne sont pas réunis.

14. Il importe de ne pas perdre de vue la finalité des obligations procédurales découlant de l’article 2 de la Convention dans les affaires relatives à une négligence médicale ; ces obligations ont pour but, comme je l’ai dit plus haut, d’assurer que la cause et les circonstances du décès soient établies et que les auteurs d’une éventuelle négligence médicale ou faute professionnelle répondent de leurs actes. À mon avis, l’enquête menée en l’espèce, et notamment les expertises médicales recueillies dans ce cadre, étaient suffisantes pour satisfaire les obligations procédurales découlant de l’article 2 de la Convention. De plus, force m’est de constater que s’ils avaient engagé contre les hôpitaux concernés une action civile en réparation des dommages qui auraient été causés par une négligence médicale ou des dysfonctionnements du système hospitalier, les requérants auraient pu, dans ce cadre, demander et obtenir des expertises médicales supplémentaires.

Sur l’article 46 de la Convention

15. Lorsque la Cour décide d’indiquer dans un arrêt que des mesures générales ou particulières doivent être adoptées, elle le fait pour aider l’État à se conformer à l’arrêt concluant à une violation et pour prévenir des violations similaires à l’avenir. Par conséquent, les indications de la Cour devraient se limiter à la violation constatée et être aussi concrètes que possible.

16. Cela dit, je ne vois pas la pertinence des remarques de la Cour lorsqu’elle critique la loi no 4483 (paragraphe 118 de l’arrêt), une question que la Cour ne développe pas plus avant dans l’arrêt (paragraphe 90). Je ne vois pas non plus la nécessité des remarques générales relatives à la nature de l’obligation procédurale découlant de l’article 2 de la Convention (paragraphe 120), une question que la Cour ne traite pas dans l’arrêt. Enfin, je me distancie des observations de la Cour concernant le régime d’expertise médicolégale en Turquie (paragraphe 121) dans la mesure où j’estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 de la Convention, sous son volet procédural.

* * *

[1]. Le score Apgar est une note d’évaluation générale du tableau clinique d’un nouveau-né, fondée sur cinq éléments : le rythme cardiaque, la respiration, la tonicité musculaire, la couleur de la peau et la réponse à la stimulation. Chaque élément est noté par 0, 1 ou 2 points. En principe, la première évaluation est faite une minute après la naissance puis répétée à la cinquième minute. L’addition des notes permet d’asseoir une appréciation globale de l’état de santé de l’enfant : une note de 10 suggère la meilleure condition possible, alors qu’un score entre 4 et 7 fait état d’une détresse qui peut nécessiter, notamment, un désencombrement des voies respiratoires et une ventilation à l’aide d’un masque à oxygène (voir Virginia Apgar, « A proposal for a new method of evaluation of the newborn infant », Curr. Res. Anesth. Analg., vol. 32, n° 4, 1953, pp. 260–267, et « The newborn (Apgar) scoring system. Reflections and advice », Pediatric clinics of North America, 1966, 13(3), pp. 645-650).

[2] Cet appareil qui est communément appelé Bird Respirator (en turc : Bird cihazı), assure une ventilation barométrique, en insufflant du gaz jusqu’à l’obtention d’une pression déterminée. Une fois que la pression désirée est atteinte, le patient expire lui-même. Il participe donc au traitement (voir P. Brial, « Ventilation assistée et ventilation dirigée chez les insuffisants respiratoires chroniques », Ann. Kinésithér., 1980-7, pp. 341-355 ; C. Chopin, « L’histoire de la ventilation mécanique : des machines et des hommes », XXXIVè Congrès de la SRLF, Paris le 19 janvier 2006 ; A.Adjedj, C.Desreumaux, V.Pauchard, « Les principaux dispositifs médicaux dédiés à la néonatalogie », Projet MASTER MTS, UTC, 2004-2005).

[3]. Il s’agit respectivement d’un supplément glucidique, d’un neurotransmetteur, d’un sédatif, d’antibiotiques et d’un antihistaminique (voir, la base de données Vidal au https://www.vidal.fr).

[4]. Cette règle n’est toutefois pas absolue. Lorsque l’acte médical en question est qualifié d’illicite ou de délictueux au sens du droit des obligations et qu’il perd par conséquent son caractère « administratif », les juridictions civiles peuvent accueillir une demande de dommages-intérêts dirigée contre l’auteur lui-même, sans préjudice de la possibilité d’engager la responsabilité conjointe de l’administration en sa qualité d’employeur de l’auteur de l’acte illicite.

[5]. Les actions de pleine juridiction concernant les actes et omissions commis dans des hôpitaux militaires relèvent de la compétence exclusive du Haut tribunal administratif militaire.


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