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04/06/2015 | CEDH | N°001-154979

CEDH | CEDH, AFFAIRE CHITOS c. GRÈCE, 2015, 001-154979


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE CHITOS c. GRÈCE

(Requête no 51637/12)

ARRÊT

STRASBOURG

4 juin 2015

DÉFINITIF

19/10/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention.




En l’affaire Chitos c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro, présidente,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilian

os,
Erik Møse, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 mai 2015,

Rend l’arrêt que voici, a...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE CHITOS c. GRÈCE

(Requête no 51637/12)

ARRÊT

STRASBOURG

4 juin 2015

DÉFINITIF

19/10/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention.

En l’affaire Chitos c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro, présidente,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 mai 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 51637/12) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet État, M. Georgios Chitos (« le requérant »), a saisi la Cour le 31 juillet 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me K. Giannakopoulos, avocat à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les déléguées de son agent, Mme F. Dedousi et Mme K. Nasopoulou, assesseurs auprès du Conseil juridique de l’État, et Mme V. Stroubouli, auditrice auprès du Conseil juridique de l’État.

3. Le requérant se plaignait d’une violation de l’article 4 § 2 de la Convention, pris isolément et combiné avec l’article 14 de la Convention.

4. Le 27 septembre 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1968 et réside à Thessalonique.

6. Le 15 septembre 1986, il fut admis à l’École militaire des officiers des corps d’armée (section médecine). Il percevait un salaire et bénéficiait d’avantages sociaux. Il suivit gratuitement la formation académique des médecins du service de santé, d’une durée de six ans, à la faculté de médecine de l’université de Thessalonique.

7. Le 3 juin 1993, à l’issue de ses études, il fut nommé médecin sous-lieutenant de l’armée de terre.

8. Aux termes de l’article 64 § 1 du décret-loi no 1400/1973 relatif au statut des officiers des forces armées, en vigueur à l’époque des faits, le requérant s’était engagé à servir dans les forces armées pour une période correspondant à trois fois la durée de ses études à l’école militaire, soit dix-huit ans. Cette disposition fut modifiée par l’article 1 de la loi no 3257/2004 et la période en question fut réduite à deux fois la durée des études, soit douze ans.

9. Le 18 janvier 1996, le quartier général de l’armée de terre organisa un concours pour pourvoir des postes de spécialistes. Les officiers médecins, tel le requérant, furent invités à participer à ce concours afin d’acquérir une spécialisation. Le requérant fut intégré à l’hôpital général militaire 424 de Thessalonique, où il assuma, du 26 juillet 1996 au 30 juillet 1997, des fonctions d’assistant interne. Par la suite, du 30 juillet 1997 au 27 juillet 2001, il occupa, en surnombre (en vertu de l’article 8 de la loi no 123/1975), à l’hôpital général régional Papanikolaou de Thessalonique, un poste de médecin assistant rémunéré se spécialisant en anesthésiologie.

10. Après avoir achevé cette spécialisation d’une durée de cinq ans environ, au cours de laquelle il perçut son salaire d’officier, le requérant s’engagea, conformément à l’article 64 § 7 du décret-loi no 1400/1973, à servir dans l’armée pendant cinq ans supplémentaires. Il fournit une attestation sur l’honneur conformément à l’article 67 § 10 du décret-loi susmentionné.

11. Le requérant servit dans l’armée jusqu’au 22 janvier 2006, date à laquelle il démissionna, à l’âge de trente-sept ans, avec le grade de médecin colonel anesthésiste.

12. Par un acte du 12 septembre 2006, le quartier général de l’armée de terre informa le requérant que, en vertu de l’article 64 du décret-loi no 1400/1973, il devait soit servir dans l’armée pour une période supplémentaire de neuf ans, quatre mois et douze jours, soit verser à l’État une indemnité qui serait calculée sur la base de la période restant à servir.

13. Par une décision du 26 mai 2007, le service comptable du quartier général de l’armée de terre estima le montant de cette indemnité à 106 960 euros (EUR). La décision précisait que le requérant pouvait introduire devant la Cour des comptes un recours qui ne pouvait avoir d’effet suspensif en ce qui concernait la procédure de paiement.

14. Le 25 juin 2007, le requérant saisit la Ve chambre de la Cour des comptes d’un recours en annulation de l’acte du 12 septembre 2006. Il soutenait que l’article 64 du décret-loi no 1400/1973 était contraire à l’article 22 § 4 de la Constitution (interdiction de toutes les sortes de travail obligatoire) et à l’article 4 § 2 de la Convention, pris isolément et combiné avec l’article 14 de celle-ci. Le 27 juin 2007, le requérant déposa aussi une demande de sursis à l’exécution de la décision du 26 mai 2007 susmentionnée.

15. Le 5 juillet 2007, un président de chambre de la Cour des comptes émit un ordre provisoire par lequel il suspendait l’exécution de la décision du 26 mai 2007. Le 29 octobre 2007, la Ve chambre de la Cour des comptes confirma le sursis à exécution sollicité.

16. Par un arrêt no 175/2009 du 13 février 2009, la Ve chambre de la Cour des comptes rejeta comme mal fondé le recours en annulation du requérant. Elle considéra notamment que l’indemnité que devait verser le requérant ne constituait pas une menace de sanction, ne méconnaissait pas le principe de la proportionnalité, était calculée de manière objective et avait pour but de faire rembourser à l’État les dépenses que celui-ci avait engagées pour former des militaires de carrière auxquels il versait d’ailleurs un salaire tout au long de leur formation et de leur spécialisation.

17. Le 3 mars 2009, le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt devant la formation plénière de la Cour des comptes. Le 4 mars 2009, il déposa aussi devant elle une demande de sursis à l’exécution de la décision du 26 mai 2007.

18. Le 17 mars 2009, le président de la formation plénière de la Cour des comptes émit un ordre provisoire par lequel il suspendait l’exécution de la décision susmentionnée. Parallèlement, le 18 mars, puis le 9 avril 2009, le centre des impôts de Thessalonique somma le requérant de verser la somme de 106 960 EUR, augmentée du montant d’un timbre fiscal de 2 139,20 EUR et d’un montant de 427,84 EUR au bénéfice de l’organisme d’assurances agricoles.

19. Le 21 octobre 2009, la formation plénière de la Cour des comptes confirma le sursis à exécution sollicité.

20. Le 10 mai 2010, la direction des impôts du ministère des Finances informa le requérant que, en raison du non-versement pendant l’année écoulée de la somme fixée par la décision du 26 mai 2007, la somme en question avait été grevée d’intérêts de retard d’un montant de 13 143,24 EUR. Elle l’informait aussi que, s’il réglait la somme due le 31 mai 2010 au plus tard, il pourrait bénéficier d’une remise de 80 % sur les intérêts.

21. Le 26 mai 2010, le requérant déposa la somme de 112 155,69 EUR au centre des impôts de Thessalonique.

22. Par un arrêt no 3230/2011 du 7 décembre 2011 (notifié au requérant le 10 février 2012), la formation plénière de la Cour des comptes accueillit partiellement le pourvoi.

23. Elle considéra que le fait de ne pas inclure une période de cinq ans – nécessaire au requérant pour achever sa spécialisation – dont la durée totale des années de service dues était contraire au principe de proportionnalité garanti par l’article 25 de la Constitution.

24. Elle estima que les années ayant pour but l’acquisition d’une spécialité faisaient partie du service militaire réel effectué par l’officier médecin. Par conséquent, elle infirma la décision de la Ve chambre dans la mesure où celle-ci avait estimé que les années de spécialisation étaient des années d’études qui ne devraient pas être prises en compte dans le calcul des obligations de service assumées par le requérant.

25. Elle rejeta comme mal fondé le moyen relatif à la violation de la Convention pour les motifs suivants :

« L’article 64 § 7 du décret-loi (...) est compatible avec les dispositions de la Constitution, de la Charte sociale et de la Convention, compte tenu du fait que pendant la période de cinq ans l’officier médecin prête ses services aux forces armées qui ont assuré sa formation, et atteint le but poursuivi, à savoir l’encadrement des forces armées, sans qu’il soit obligé de travailler. Quant à l’indemnité telle qu’elle doit être calculée en application de l’article 64 § 16, elle est un moyen de compenser les frais engagés par l’État pour la formation des officiers et ne constitue en aucun cas une sanction. »

26. La formation plénière de la Cour des comptes renvoya l’affaire à la Ve chambre siégeant dans une composition différente. Le renvoi était limité à la question de la révision de l’acte d’imputation de l’indemnité en prenant en compte au titre des années de service la période de spécialisation de cinq ans du requérant.

27. Par un arrêt no 4909/2013 du 12 décembre 2013 (notifié au requérant le 10 janvier 2014), la Ve chambre de la Cour des comptes amenda la décision du 26 mai 2007 du service comptable du quartier général de l’armée en réduisant la somme due par le requérant à 49 978,33 EUR.

28. Plus particulièrement, la Cour des comptes considéra d’abord que la décision du 26 mai 2007 susmentionnée était légale, car le requérant avait quitté l’armée avant la fin de la période obligatoire de service de dix-huit ans. Elle releva cependant que la durée de service obligatoire qu’il avait encore à effectuer n’était pas de neuf ans, quatre mois et douze jours, comme l’avait calculé le quartier général de l’armée, mais de quatre ans, quatre mois et dix jours. Elle souligna qu’il aurait fallu inclure dans le temps de service écoulé la durée des études de spécialisation du requérant, qui avaient débuté le 26 juillet 1996 et s’étaient achevées le 27 juillet 2001, car, ainsi que l’avait précisé l’arrêt no 3230/2011, la durée de la spécialisation devait être comptée comme faisant partie du service effectif.

29. Le 13 mars 2014, l’État remboursa au requérant la somme de 59 749,61 EUR, qui correspondait à la différence entre la somme déjà versée par lui et celle fixée par l’arrêt no 4909/2013 susmentionné.

30. Selon les informations fournies par le Gouvernement, le requérant travaille désormais dans un grand hôpital privé de Thessalonique.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

31. Selon les dispositions de l’article 64 du décret no 1400/1973 relatif au statut des officiers des forces armées, en vigueur à l’époque de l’admission du requérant à l’école militaire et à la faculté de médecine de même qu’à la date de la fin de ses études, les officiers contractaient, dès leur nomination au grade de sous-lieutenant, l’obligation de servir dans les forces armées pour une période correspondant à trois fois la durée de leurs études. Les officiers du service de santé qui avaient acquis une spécialisation par le biais de l’armée contractaient une obligation de servir dans l’armée pendant cinq ans supplémentaires.

32. Ces dispositions ont été amendées par l’article 1 de la loi no 3257/2004 (réglementant des questions relatives aux personnels des forces armées). Le législateur a réduit la durée de l’obligation de servir qui incombait aux officiers de trois fois le nombre d’années d’études à l’école militaire à deux fois ce nombre. Il a maintenu l’obligation pour ceux ayant obtenu une spécialisation de servir pendant cinq ans supplémentaires et il leur a offert la possibilité de renoncer à leur engagement avant d’avoir accompli le temps requis en versant une indemnité à l’État. Le montant de cette indemnité s’obtient en multipliant le salaire de base correspondant au grade que l’officier occupait par le nombre de mois de service restant à effectuer.

33. L’article 64 précité, tel que modifié par la loi no 3257/2004, dispose désormais :

« 1. Les officiers licenciés des écoles supérieures de l’armée et de l’école des officiers des armées contractent, dès leur nomination au grade de sous-lieutenant, d’enseigne de vaisseau ou de sous-lieutenant de l’armée de l’air, l’obligation de servir dans les forces armées pour une durée correspondant à deux fois la durée de leur formation (...)

7. Les officiers du corps des médecins qui acquièrent une spécialité aux frais [de l’armée] contractent l’obligation de servir au sein des forces armées pendant cinq ans supplémentaires.

10. Les officiers (...) qui sont envoyés par leur service pour suivre une formation ou qui sont sélectionnés à cet effet à la suite d’une demande de leur part sont tenus de fournir une attestation sur l’honneur par laquelle ils reconnaissent avoir pris connaissance des obligations qu’ils contractent.

16. Ceux qui quittent les forces armées pour cause de démission, de réforme ou de mise à la retraite pour des motifs spéciaux (...) sont obligés de verser à l’État une indemnité égale au produit du salaire de base correspondant au grade qui est le leur par le nombre de mois de service restant à effectuer. Ceux qui quittent les forces armées de leur plein gré avant de s’être acquittés de leurs obligations et qui ont été formés à l’étranger sont obligés de verser, en sus de l’indemnité précitée, les frais découlant de leur formation. (...)

17. Le paragraphe précédent ne s’applique pas à ceux qui quittent l’armée pour des motifs de santé. »

34. L’article 63 §§ 3 et 4 de la même loi dispose :

« 3. Il est interdit aux officiers en activité

a) d’accomplir en privé une tâche ou un travail contre rémunération ou d’exercer une autre activité professionnelle source de revenus ;

(...)

4. Il est exceptionnellement permis

a) aux officiers du service de santé d’exercer la médecine en privé, en dehors de leurs heures de travail, dans le respect de la déontologie médicale, (...) avec l’approbation du chef du corps d’armée concerné (...) »

35. Le rapport introductif de la loi no 3257/2004 précisait que les articles du décret no 1400/1973 qui ont été modifiés obligeaient les officiers et les sous-officiers à servir dans les forces armées pour des durées particulièrement contraignantes, et que les amendements proposés visaient à harmoniser la législation hellénique avec les obligations que la Grèce avait contractées en ratifiant la Charte sociale européenne. En outre, selon ce rapport, l’article 1 § 2 de la Charte sociale européenne énonce que les parties contractantes « s’engagent à protéger de façon efficace le droit pour le travailleur de gagner sa vie par un travail librement entrepris ». Le rapport mentionnait en outre que des commentaires des organes de la Charte sociale, fondés sur les termes « travail librement entrepris » et faisant état de la contrainte excessive exercée sur des personnels des forces armées du fait de la durée de l’obligation de service, avaient souvent mis l’État et en particulier le ministère de la Défense dans l’embarras.

36. Par un arrêt no 1571/2010, le Conseil d’État a jugé que les dispositions de l’article 64 du décret no 1400/1973 en vigueur avant leur modification par la loi no 3257/2004, qui imposaient aux personnels militaires l’obligation de rester en service pour une période extrêmement longue sans pouvoir renoncer à leur engagement, étaient contraires à l’article 1 § 2 de la Charte sociale européenne. Il a considéré que cet article impliquait qu’il était « interdit d’obliger tout travailleur, indépendamment de la nature juridique de son travail, à continuer à faire un travail ou à exercer une profession s’il ne le souhaitait plus ».

37. L’article 14 § 1 de la loi no 1394/1983, relative à la formation des cadres de l’armée de terre, énonce :

« Les officiers médecins du service de santé n’acquièrent une spécialisation que par l’entremise du service. S’ils font le choix d’une spécialité, ils sont tenus d’en informer au cours des deux derniers mois de leurs études le département formation de l’école du service de santé. La formation s’effectue sur le territoire ou, si cela n’est pas possible, à l’étranger ; elle vise à faire acquérir aux intéressés une spécialité qui correspond aux besoins du service et implique l’obligation de rester en service pour une durée supplémentaire (...) »

38. L’article 38 § 2 de la loi no 1397/1983 relative au système national de santé est ainsi libellé :

« Le placement d’un médecin en vue de sa spécialisation en sus des places disponibles dans chaque hôpital est interdit. Cette interdiction ne s’applique pas aux médecins permanents des forces armées, lesquels peuvent être placés en surnombre sur décision du ministre de la Santé (...) »

39. Par un arrêt no 2763/2013, la Ve chambre de la Cour des comptes a jugé que, en ce qui concernait les officiers du service de santé, cette restriction (à savoir l’obligation de rester en service pendant une certaine durée), établie à ses yeux selon des critères généraux et objectifs, constituait une mesure nécessaire et adéquate pour assurer le fonctionnement régulier des établissements hospitaliers militaires et des unités de soins, pour lesquels il était nécessaire de planifier à long terme les services fournis et d’en éviter l’affaiblissement soudain par l’effet d’un manque de personnel spécialisé. À cet égard, la Cour des comptes a indiqué que cette obligation ne pouvait être vue comme une forme de travail forcé. Pour la Cour des comptes, les intéressés acceptaient cette obligation qui, clairement prévue par la loi, était dès lors connue d’avance par eux au moment de leur admission à l’école des officiers des armées tout comme les avantages et les contraintes en découlant. Elle a par conséquent estimé qu’ils avaient connaissance des conséquences d’un manquement à cette obligation, à savoir le versement d’une indemnité, et qu’il n’y avait pas de déséquilibre entre le but de la formation professionnelle des médecins officiers et cette obligation, car ils bénéficiaient en contrepartie de la possibilité d’exercer la profession de médecin dans le privé en dehors de leurs heures de service.

40. La Cour des comptes a ajouté que l’obligation de verser l’indemnité prévue au paragraphe 16 de l’article 64 n’était pas excessive et ne violait pas le principe de proportionnalité. Elle a précisé que cette obligation constituait une contrepartie des frais engagés par l’État pour former, tout en les rémunérant, des militaires professionnels qui auraient quitté l’armée de manière prématurée et soudaine. Selon elle, il fallait entendre par frais non seulement les frais directs engagés par l’État au cours des études des militaires (frais de nourriture, d’habillement et d’entretien), mais également les coûts administratifs indirects liés à l’utilisation et à l’entretien des bâtiments et au fonctionnement continu des écoles militaires en question. La Cour des comptes a enfin indiqué que, eu égard à l’impossibilité de déterminer avec précision les frais précités pour chaque militaire quittant l’armée, le montant de l’indemnité avait été fixé de manière objective, c’est-à-dire en fonction de la durée de service restant à courir.

41. Par un arrêt no 3822/2013, la Ve chambre de la Cour des comptes a jugé que le service obligatoire dans l’armée pendant un laps de temps correspondant à deux fois la durée des études et le versement d’une indemnité en cas de départ anticipé constituaient des restrictions adéquates, raisonnables et nécessaires pour atteindre un but d’intérêt général : assurer aux forces armées pendant une période raisonnablement planifiée des cadres spécialisés et compétents. Elle a indiqué que ce but ne pouvait pas être atteint par un autre moyen dans la mesure où, en cas de départ prématuré et simultané d’officiers, le remplacement rapide de ceux-ci par d’autres officiers de formation identique serait impossible, ce qui compromettrait la défense du pays.

42. La Cour des comptes a aussi indiqué que l’indemnité prévue à la charge des cadres qui quittaient l’armée prématurément visait à compenser, d’une part, les frais couverts par l’État pour leur formation, leur logement, leur nourriture et leur habillement ainsi que pour l’entretien et le fonctionnement des bâtiments des écoles militaires, et, d’autre part, les frais découlant du remplacement de ces cadres.

43. L’article 3 § 1 du décret-loi no 356/1974 (code relatif à la perception des recettes de l’État) dispose que les dettes envers l’État sont payables en un versement ou, si la loi le prévoit, en plusieurs versements.

44. Dans un avis no 120/2002 du 27 mars 2002, le Conseil juridique de l’État a reconnu que l’article 96 du décret-loi no 721/1970 relatif aux dispositions financières et à la comptabilité des forces armées introduisait la possibilité pour les officiers de rembourser leurs dettes envers l’armée en plusieurs versements. Il a toutefois précisé qu’il appartenait à l’armée de déterminer, en tenant compte de la situation financière de l’officier concerné, du montant de la dette ainsi que de l’existence de précédents, si le montant dû devait être acquitté en un versement ou en plusieurs, ce qui avait pour but d’éviter de briser financièrement le débiteur.

III. LES TEXTES ET LA PRATIQUE INTERNATIONAUX

A. La Charte sociale européenne

45. L’article 1 § 2 de la Charte sociale européenne dispose :

« En vue d’assurer l’exercice effectif du droit au travail, les Parties contractantes s’engagent :

(...)

2. à protéger de façon efficace le droit pour le travailleur de gagner sa vie par un travail librement entrepris ; »

B. Le Comité européen des droits sociaux du Conseil de l’Europe

46. Dans ses différentes conclusions concernant la Grèce, le Comité européen des droits sociaux notait :

47. Dans ses conclusions XVII-1 de 2004 :

« Dans sa conclusion précédente, le Comité a relevé trois motifs de non-conformité liés à l’interdiction du travail forcé : (...) ii) la durée excessive (25 ans) de la période pendant laquelle les officiers de carrière des forces armées ne peuvent pas quitter le service (ce motif avait également été relevé dans le cadre de la réclamation 7/2000) ; (...)

(...) le Comité note qu’une loi adoptée en 2003 prévoit que les officiers de carrière ayant suivi une formation militaire de niveau universitaire et ceux ayant suivi une formation à l’étranger ont l’obligation de rester en service pour une période équivalent au moins au double de la formation dont ils ont bénéficié. Le rapport indique que cette nouvelle approche réduirait la période de permanence dans la carrière militaire de 25 ans à environ 10 ans. Le Comité considère que la durée de permanence obligatoire prévue par la nouvelle loi n’est pas excessive. »

48. Dans ses conclusions XVIII-1 de 2006 :

« Le Comité a relevé dans sa précédente conclusion que la durée de la période pendant laquelle les officiers de carrière des forces armées ne pouvaient pas quitter le service (25 ans) (motif également invoqué dans le cadre de la réclamation Fédération internationale des droits de l’homme c. Grèce (no 7/2000, décision sur le bien-fondé du 5 décembre 2000) a été réduite en vertu de la loi no 3257/2004. Le texte réduit la durée du service que les officiers de carrière doivent accomplir avant de pouvoir quitter l’armée. Les officiers qui ont suivi une formation de niveau universitaire dans l’armée ou qui ont suivi une formation à l’étranger sont tenus de rester dans l’armée pour une période équivalant au moins au double de la formation dont ils ont bénéficié. D’après le précédent rapport, la période de service obligatoire maximale ainsi été ramenée de 25 à 10 ans. Le Comité considère que cette durée est conforme à l’article 1§ 2. »

49. Dans ses conclusions XX-1 de 2012 :

« Durée minimale de service dans les forces armées

Le Comité note les informations fournies sur la durée minimale de service dans les forces armées professionnelles. Il souligne que toute durée minimale doit être raisonnable et que lorsqu’une durée minimale est prolongée du fait des études ou des formations dont la personne concernée a pu bénéficier, la durée doit être proportionnée à celle des études ou des formations. De même, tous les frais et coûts devant être remboursés du fait d’une rupture anticipée du service doivent eux aussi être proportionnés. »

50. En outre, dans ses conclusions de 2012 concernant l’Irlande, le Comité relevait :

« Durée minimale de service dans les forces armées

Le Comité rappelle avoir conclu à la non-conformité de la situation aux motifs que les officiers ne pouvaient demander à interrompre leur contrat d’engagement avec les forces armées de manière anticipée qu’à la condition de rembourser à l’État au moins une partie du coût de leur formation et que le départ à la retraite anticipée était laissé à l’appréciation du Ministre de la Défense. Il avait estimé qu’il pouvait en résulter une période de service trop longue pour être considérée comme étant compatible avec la liberté de choisir son emploi et d’y mettre fin. Ce motif de non-conformité est relevé depuis 1998 (Conclusions XIV-1, pp. 435 et 436) et le rapport ne fait état d’aucun changement. »

C. Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe

51. La Recommandation CM/Rec(2010)4 du Comité des Ministres aux États membres sur les droits de l’homme des membres des forces armées (adoptée le 24 février 2010) prévoit :

« 16. Les autorités ne devraient pas imposer aux membres des forces armées professionnels des durées de service qui constitueraient une restriction déraisonnable au droit de quitter les forces armées et équivaudraient au travail forcé. »

D. La Convention no 29 sur le travail forcé de l’Organisation Internationale du Travail

52. L’article 2 § 2 a) de la Convention dispose :

« 1. Aux fins de la présente convention, le terme travail forcé ou obligatoire désignera tout travail ou service exigé d’un individu sous la menace d’une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s’est pas offert de plein gré.

2. Toutefois, le terme travail forcé ou obligatoire ne comprendra pas, aux fins de la présente convention :

a) tout travail ou service exigé en vertu des lois sur le service militaire obligatoire et affecté à des travaux d’un caractère purement militaire. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 4 § 2 DE LA CONVENTION

53. Le requérant soutient que l’obligation que lui imposait la législation nationale de rester en service dans l’armée pendant une période à ses yeux très longue ou de verser à l’État une somme, excessive selon lui, en contrepartie de la rupture de son engagement constitue un travail forcé ou obligatoire, car elle pèserait de manière disproportionnée sur la liberté de travail et serait une restriction non nécessaire à celle-ci. Il invoque à cet égard l’article 4 § 2 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire. »

54. La Cour estime opportun dans la présente affaire d’indiquer aussi les termes pertinents de l’article 4 § 3 :

« 3. N’est pas considéré comme « travail forcé ou obligatoire » au sens du présent article :

(...)

b) tout service de caractère militaire ou, dans le cas d’objecteurs de conscience dans les pays où l’objection de conscience est reconnue comme légitime, un autre service à la place du service militaire obligatoire ; »

A. Sur la recevabilité

1. Sur la qualité de victime du requérant

55. Déclarant se fonder sur l’arrêt de la formation plénière de la Cour des comptes, le Gouvernement conteste au requérant la qualité de victime. Il indique à cet égard que l’interprétation des dispositions qu’a donnée ledit arrêt a abouti à la réduction de la durée de l’obligation de service du requérant et donc à une diminution du montant de l’indemnité que celui-ci devait verser à l’État.

56. Le requérant soutient que ni l’arrêt no 3230/2011 de la formation plénière de la Cour des comptes, qui aurait considéré que la durée de sa spécialisation devait être incluse dans la durée de l’obligation de service au sein de l’armée, ni l’arrêt subséquent no 4909/2013 de la Ve chambre de la Cour des comptes ne l’ont privé de la qualité de victime.

57. La Cour rappelle qu’une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention. En ce qui concerne la réparation adéquate et suffisante pour remédier au niveau interne à la violation du droit garanti par la Convention, la Cour considère généralement qu’elle dépend de l’ensemble des circonstances de la cause, eu égard en particulier à la nature de la violation de la Convention qui se trouve en jeu (Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, §§ 180 et 186, CEDH 2006-V).

58. La Cour note qu’en l’espèce le grief du requérant se fonde sur la durée de son obligation de service dans l’armée ainsi que sur le montant de l’indemnité qu’il avait à verser s’il voulait rompre son engagement avant la fin de la période réglementaire. La Cour observe que la formation plénière de la Cour des comptes a rejeté de manière définitive les griefs concernant la violation de la Convention et cette décision liait la Ve chambre. En outre, dans son arrêt, la Ve chambre de la Cour des comptes, statuant sur renvoi, s’est bornée à constater que le requérant devait seulement servir dans l’armée pour une période supplémentaire de quatre ans, quatre mois et dix jours et à réduire, en conséquence, le montant de l’indemnité que celui-ci devait verser de 106 960 EUR à 49 978,33 EUR. La Cour des comptes n’a ainsi conclu à la violation de l’article 4 de la Convention ni explicitement ni en substance. La diminution significative de la période à servir et du montant à verser par le requérant constitue un aspect de l’examen au fond et ne saurait influer sur la qualité de victime.

2. Sur le caractère prématuré de la requête

59. Le Gouvernement soutient que la requête a été déposée prématurément car, selon lui, le requérant aurait dû attendre pour saisir la Cour que la Ve chambre ait statué sur renvoi le 12 décembre 2013 quant à la durée exacte de son obligation de service dans les forces armées et quant au montant de l’indemnité.

60. Le requérant indique que, par son arrêt no 3230/2011 du 7 décembre 2011, la formation plénière de la Cour des comptes a rejeté de manière définitive ses griefs concernant la violation de la Convention. Il ajoute que la Ve chambre de la Cour des comptes était liée par l’arrêt précité et qu’elle ne pouvait pas se prononcer à nouveau sur la question de la violation de l’article 4 de la Convention.

61. La Cour rappelle que l’article 35 § 1 de la Convention ne saurait être interprété d’une manière qui exigerait qu’un requérant saisisse la Cour de son grief avant que la situation relative à la question en jeu n’ait fait l’objet d’une décision définitive au niveau interne (Varnava et autres c. Turquie [GC], nos 16064/90 et 8 autres, § 157, CEDH 2009).

62. En l’espèce, la Cour note que le requérant a introduit sa requête le 31 juillet 2012, soit après que la formation plénière de la Cour des comptes a rendu son arrêt. La compétence de la Ve chambre de la Cour des comptes, statuant sur renvoi le 12 décembre 2013, se limitait à la révision, en fonction des conclusions en droit de la formation plénière, des actes administratifs contestés par le requérant. La Ve chambre ne pouvait plus revenir sur le moyen tiré de la Convention, mais seulement inclure la période de spécialisation de cinq ans dans la durée totale du service du requérant dans l’armée et adapter en conséquence le montant de l’indemnité que celui-ci devait verser. La décision interne définitive au sens de l’article 35 § 1 de la Convention était donc l’arrêt no 3230/2011 de la formation plénière de la Cour des comptes.

3. Sur le caractère abusif de la requête

63. Le Gouvernement soutient que le requérant a introduit sa requête abusivement, et ce d’autant plus que l’intéressé contesterait avoir été placé en surnombre à l’hôpital général régional Papanikolaou comme médecin anesthésiste assistant. Or tant la Ve chambre de la Cour des comptes que sa formation plénière auraient constaté de manière définitive que le requérant avait bénéficié d’un placement en surnombre pour acquérir sa spécialité.

64. Le requérant soutient que sa requête ne contient aucune formulation abusive, n’est pas dépourvue d’un enjeu réel et n’a pas pour but d’induire la Cour en erreur.

65. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 35 § 3 a) une requête peut être déclarée abusive notamment si elle se fonde délibérément sur des faits controuvés. Une information incomplète et donc trompeuse peut également s’analyser en un abus du droit de recours individuel, particulièrement lorsqu’elle concerne le cœur de l’affaire et que le requérant n’explique pas de façon suffisante pourquoi il n’a pas divulgué les informations pertinentes (Gross c. Suisse [GC], no 67810/10, § 28, 30 septembre 2014).

66. En l’espèce, la Cour n’aperçoit dans la requête du requérant aucun élément qui permettrait de qualifier celle-ci d’abusive. La question de savoir si l’intéressé avait été ou non placé en surnombre dans un hôpital pour acquérir une spécialité est une question de fait dont l’importance apparaît très limitée dans le cadre de l’appréciation que la Cour devra porter quant au bien-fondé du grief tiré d’une violation de l’article 4 de la Convention.

4. Conclusion

67. La Cour rejette les exceptions du Gouvernement. Constatant de plus que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, elle la déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

a) Le Gouvernement

68. Le Gouvernement soutient que la situation dénoncée en l’espèce ne constitue pas un cas de travail forcé au sens de l’article 4 § 2 de la Convention. Il indique que, après ses études à l’école militaire, sa nomination au grade de sous-lieutenant et sa spécialisation, le requérant a assumé de son plein gré l’obligation de servir au sein des forces armées pour une durée de douze ans augmentée de cinq ans. Il ajoute que l’intéressé avait connaissance de cette obligation, qui aurait été expressément prévue par la loi, car les dispositions l’énonçant auraient fait partie du cadre régissant la carrière d’un officier médecin, et qu’il a même fait usage des procédures énoncées par ce cadre normatif et bénéficié de privilèges offerts par celui-ci.

69. Le Gouvernement soutient également que l’allégation du requérant selon laquelle il était obligé d’acquérir une spécialisation n’est pas fondée. Pareille spécialisation ne serait pas obligatoire et ne serait entrée en ligne de compte que pour la carrière de l’intéressé. Celui-ci aurait participé de son plein gré au concours organisé par l’armée de terre pour pourvoir des postes de spécialistes, il aurait bénéficié d’un traitement préférentiel consistant à placer en surnombre des officiers médecins à des postes de médecins en spécialisation et il aurait bénéficié des possibilités de promotion (il aurait été promu commandant) qu’aurait ouvertes l’acquisition d’une telle spécialité. De plus, le requérant aurait eu la possibilité, en vertu, selon le Gouvernement, de l’article 63 § 4 du décret décret-loi no 1400/1973 relatif au statut des officiers des forces armées, d’exercer dans le privé la profession de médecin.

70. En outre, le Gouvernement répète que le requérant a été placé en surnombre pour obtenir sa spécialisation alors que les médecins civils auraient dû attendre que des postes se libèrent pour être placés, par ordre de priorité ou par tirage au sort, lors de la création de nouveaux postes. L’intéressé aurait ainsi acquis une spécialisation sans avoir été obligé d’attendre, d’entreprendre une quelconque démarche et d’en assumer les frais. De plus, pendant toute la durée de sa spécialisation, il aurait perçu son salaire de médecin militaire.

71. Par ailleurs, le Gouvernement soutient que le requérant ne se plaint pas d’une rupture du principe de la proportionnalité dans son cas et que, par conséquent, la Cour n’a pas compétence pour examiner une telle question. Il ajoute que l’intéressé n’a pas allégué, même à titre subsidiaire, que la durée de son obligation de service devait être plus courte ou qu’il devait verser une indemnité moins importante, mais qu’il s’est borné à déclarer qu’il aurait dû pouvoir rompre son engagement sans restriction et choisir le moment de son départ de l’armée.

72. Quant au but et à la proportionnalité des restrictions imposées aux officiers médecins par l’article 64 du décret-loi no 1400/1973, le Gouvernement renvoie aux considérants des arrêts no 2763/2013 et no 3822/2013 de la Cour des comptes (paragraphes 39-42 ci-dessus).

73. Enfin, le Gouvernement précise que le requérant avait la possibilité de ne pas verser immédiatement la somme due au centre des impôts et d’attendre le prononcé de l’arrêt de la formation plénière de la Cour des comptes en déposant au préalable une demande de sursis à exécution sur le fondement des articles 94 du décret no 721/1970 et 51 du décret no 1225/1981. Il indique que le droit interne offrait également à l’intéressé la possibilité de demander à l’armée de l’autoriser à s’acquitter de sa dette envers elle de manière échelonnée. Il se dit persuadé que l’armée, disposant selon lui d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, aurait pris en compte la situation financière du requérant, le montant de sa dette et la pratique en la matière.

b) Le requérant

74. Invoquant l’arrêt Van der Mussele c. Belgique (23 novembre 1983, §§ 34-35, série A no 70) et la décision Mihal c. Slovaquie ((déc.) no 23360/08, §§ 44-47, 28 juin 2011), le requérant soutient que la charge qui lui a été imposée, même si elle n’était pas de nature pénale, constituait « la menace d’une peine ». Il indique en particulier que cette charge a entraîné des conséquences potentielles considérables, suffisamment redoutables pour l’amener à offrir ses services contre sa volonté sous « la menace d’une sanction ». Il allègue à cet égard que le Gouvernement se borne à citer des exemples de réglementation similaire dans d’autres États et à énumérer certains avantages qui atténueraient la lourdeur de la charge.

75. Le requérant, déclarant se référer à la jurisprudence Van der Mussele, précitée, allègue qu’il ne s’est jamais « offert de son plein gré » à fournir le travail en question. Il admet qu’il a choisi de devenir officier de l’armée et qu’il lui fallait par conséquent souscrire à toutes les exigences attachées à ce choix. Il précise toutefois qu’il n’a fait qu’accepter un statut de nature générale, ce qui ne peut, à ses yeux, être assimilé à un consentement exprès à assumer des obligations contraires aux droits garantis par la Convention. Il soutient par ailleurs que les autorités de l’armée ne l’ont jamais informé de l’obligation qui aurait été la sienne de servir au sein de l’armée pour une durée supplémentaire de cinq ans. Il affirme que l’invitation lancée le 18 janvier 1996 aux officiers – dont lui-même – avait seulement pour but de les inciter à postuler pour acquérir une spécialité et pour gagner ainsi une expérience additionnelle susceptible de leur ouvrir de meilleures perspectives de carrière dans l’armée.

76. Quant à la question du caractère raisonnable de la charge, le requérant soutient que la possibilité pour lui de publier des articles scientifiques ou d’exercer la médecine dans le privé ne suffit pas pour compenser la charge qui lui aurait été imposée par l’État. À cet égard, il souligne qu’il est anesthésiste et non pas généraliste. Pour lui, si l’indemnité litigieuse était destinée, comme l’affirmerait le Gouvernement, à compenser les frais assumés par l’État pour former les officiers, elle devrait être calculée sur la base de la période de formation (et non de l’ensemble de la période de service obligatoire) et du montant des frais correspondants. Or le Gouvernement n’aurait pas été en mesure de chiffrer un tel montant.

77. En outre, le requérant allègue que, en dépit des déclarations du Gouvernement dans ce sens, la présente affaire ne tombe pas sous le coup du paragraphe 3 b) de l’article 4 de la Convention. Il estime en effet que ce paragraphe vise la conscription et ne s’applique pas aux militaires de carrière.

78. Enfin, le requérant affirme que non seulement les autorités ne lui ont jamais offert la possibilité de payer le montant réclamé en plusieurs versements, mais qu’il a été contraint de s’acquitter de sa dette au plus tard le 31 mai 2010 pour ne pas avoir à payer la totalité des intérêts de retard qui lui auraient été imposés.

2. Appréciation de la Cour

a) Portée de l’affaire

79. La Cour rappelle que, dans les termes « travail forcé ou obligatoire », le premier de ces adjectifs évoque l’idée d’une contrainte physique ou morale. Quant au second, il ne peut viser une obligation juridique quelconque. Par exemple, un travail à exécuter en vertu d’un contrat librement conclu ne saurait tomber sous le coup de l’article 4 par cela seul que l’un des deux contractants s’est engagé envers l’autre à l’accomplir et s’expose à des sanctions s’il n’honore pas sa signature. Il doit s’agir d’un travail « exigé (...) sous la menace d’une peine quelconque » et, de plus, contraire à la volonté de l’intéressé, pour lequel celui-ci « ne s’est pas offert de son plein gré » (Van der Mussele, précité, § 34).

80. Quant au paragraphe 3 de l’article 4, la Cour a déjà jugé qu’il n’a pas pour rôle d’autoriser à limiter l’exercice du droit garanti par le paragraphe 2, mais de délimiter le contenu de ce droit : il forme un tout avec le paragraphe 2 et mentionne ce qui n’est pas considéré comme travail forcé ou obligatoire (ibidem, § 38). Or, d’après le paragraphe 3 b), n’est pas considéré comme travail forcé ou obligatoire « tout service de caractère militaire ou, dans le cas d’objecteurs de conscience dans les pays où l’objection de conscience est reconnue comme légitime, un autre service à la place du service militaire obligatoire ».

81. Dans sa décision W., X., Y. et Z. c. Royaume-Uni (nos 3435/67 et 3 autres, Annuaire 11, p. 594), du 19 juillet 1968, la Commission européenne des droits de l’homme avait estimé que l’article 4 § 3 b) visait non seulement le service militaire obligatoire, mais aussi tout service militaire, y compris celui entrepris volontairement par des militaires de carrière. Cette interprétation extensive de l’exception en question, visant des soldats qui s’étaient engagés avant l’âge de la majorité, semble s’être fondée uniquement sur le premier membre de phrase de l’alinéa b), se référant à « tout service militaire ».

82. Toutefois, la Cour relève qu’en l’espèce, le Gouvernement n’a pas invoqué l’exception de l’article 4 § 3 b), estimant apparemment que cette disposition n’entrait pas en ligne de compte dans le cas du requérant, médecin militaire professionnel.

83. Quoi qu’il en soit, la Cour estime que le paragraphe 3 b) de l’article 4 doit être considéré dans son ensemble. Ainsi, il ressort d’une lecture de ce paragraphe dans son intégralité et dans son contexte que celui-ci vise le service militaire obligatoire, dans les États où celui-ci est institué, et ce pour deux raisons : premièrement, du fait de la référence aux objecteurs de conscience, qui sont évidemment des conscrits et non des militaires de carrière et, deuxièmement, étant donné la référence explicite au service militaire obligatoire à la fin du paragraphe. La Cour rappelle à cet égard le principe général suivant lequel les exceptions à une règle doivent être interprétées strictement. Cela vaut d’autant plus que les interdictions figurant à l’article 4 §§ 1 et 2 de la Convention font partie du noyau dur de celle-ci.

84. La Cour note par ailleurs que l’article 2 § 2 a) de la Convention no 29 de l’Organisation internationale du travail (OIT) dispose que le travail forcé ou obligatoire ne comprend pas « tout travail ou service exigé en vertu des lois sur le service militaire obligatoire et affecté à des travaux d’un caractère purement militaire », ce qui implique que cette exception vise uniquement la conscription.

85. Dans le même sens, le Comité des droits sociaux du Conseil de l’Europe distingue aussi, en matière de travail forcé, la situation des militaires de carrière de celle des conscrits. Il ressort de ses conclusions concernant différents pays, y compris la Grèce, que le Comité considérait comme motif de non-conformité à l’article 1 § 2 de la Charte sociale européenne, lequel interdit le travail forcé, la durée excessive pendant laquelle un officier de carrière était obligé de rester en service (paragraphes 46-50 ci-dessus).

86. Qui plus est, la Recommandation CM/Rec(2010)4 du Comité des Ministres aux États membres sur les droits de l’homme des membres des forces armées indique que les autorités ne devraient pas imposer aux membres des forces armées des durées de service qui seraient déraisonnables et équivaudraient à un travail forcé (paragraphe 51 ci-dessus).

87. À l’appui de l’ensemble de ces éléments, la Cour considère, conformément à l’objet et au but de la Convention, que le paragraphe 3 b) de l’article 4 de la Convention ne couvre pas le travail entrepris par des militaires de carrière. La Cour est donc amenée à examiner en l’occurrence la question de l’observation de l’article 4 § 2.

b) Observation de l’article 4 § 2

88. Dans ce contexte, il y a lieu de rechercher en l’espèce si le requérant s’était « offert de son plein gré » à fournir le travail en question, en ayant au préalable connaissance de toutes les conséquences que cela pourrait comporter, et si sa décision de ne plus continuer à le faire jusqu’à la fin de la période prescrite par la loi pouvait être altérée par « la menace d’une peine ».

89. La Cour relève que, en 1986, le requérant a été admis à l’École militaire des officiers des corps d’armée (section médecine) et que, par ce biais, il s’est inscrit à la faculté de médecine de l’université de Thessalonique pour des études de médecine d’une durée de six ans. Durant cette période, un salaire lui a été versé. Le 3 juin 1993, après la fin de ses études, il a été nommé sous-lieutenant de l’armée de terre et s’est engagé, en application de l’article 64 § 1 du décret-loi no 1400/1973, à servir dans les forces armées pour une période correspondant à trois fois la durée de ses études, soit dix-huit ans.

90. Par la suite et à l’invitation de l’armée, le requérant a décidé de se spécialiser en anesthésiologie et a ainsi été placé par l’entremise de l’armée au sein de l’hôpital général militaire 424 de Thessalonique où il a assumé, du 26 juillet 1996 au 30 juillet 1997, des fonctions d’assistant interne. Par la suite, il a été placé, toujours par l’entremise de l’armée, du 30 juillet 1997 au 27 juillet 2001 à l’hôpital général régional Papanikolaou de Thessalonique sur un poste de médecin assistant rémunéré se spécialisant en anesthésiologie. Ayant acquis cette spécialité, il avait alors, en vertu de l’article 64 § 7 du décret-loi no 1400/1973, l’obligation de servir dans les forces armées pour cinq ans supplémentaires.

91. La Cour note que, pendant que le requérant suivait sa formation, une nouvelle loi no 3257/2004 est entrée en vigueur qui modifiait les conditions de départ prématuré des officiers. Ainsi, l’article 1 de cette loi a réduit la durée de l’obligation de service des officiers à deux fois le nombre d’années d’études à l’école militaire, il a maintenu l’obligation pour ceux ayant acquis une spécialité de servir pendant cinq ans supplémentaires et il leur a offert la possibilité de rompre leur engagement avant l’écoulement des années de service dues en versant à l’État une indemnité égale au produit du salaire de base du grade de l’officier par le nombre de mois de service restants. C’est donc eu égard au cadre législatif en vigueur le 22 janvier 2006, date à laquelle le requérant, alors âgé de trente-sept ans, a décidé de démissionner, que la Cour examinera si le travail requis comportait un caractère forcé ou obligatoire.

92. La Cour dit d’emblée que le requérant ne peut légitimement soutenir qu’il ignorait le principe et l’étendue des obligations qu’il a contractées lorsqu’il a embrassé la carrière d’officier et de médecin militaire. L’un des principaux avantages découlant de l’enrôlement dans l’armée est la gratuité des études. En effet, les forces armées prennent en charge le coût des études de l’intéressé pendant son cursus, lui versent un salaire et lui procurent les avantages sociaux reconnus aux militaires de carrière. En contrepartie, elles exigent que l’officier s’engage à servir dans leurs rangs pendant un certain nombre d’années après l’obtention de son diplôme.

93. La Cour note que l’obligation qui était faite aux officiers dans la version originelle de l’article 64 du décret-loi no 1400/1973, qui consistait à servir pour une période équivalente à trois fois le nombre d’années d’études sans possibilité de rompre leur engagement, a été considérée par le Conseil d’État (arrêt no 1571/2010) comme contraire à l’article 1 § 2 de la Charte sociale européenne. Cette obligation a été atténuée avec l’entrée en vigueur, le 29 juillet 2004, de la loi no 3257/2004. C’est sur le fondement de cette loi que l’indemnité à verser par le requérant a été calculée.

94. La Cour estime que l’obligation faite aux officiers de l’armée de servir pendant une certaine période après la fin de leur formation est consubstantielle à la mission qui leur incombe. Le calcul de la durée de l’engagement des officiers formés par les soins de l’armée et les modalités de rupture de cet engagement relèvent de la marge d’appréciation des États. Le souci de l’État de rentabiliser son investissement pour la formation des officiers et des médecins de l’armée et d’assurer un encadrement suffisant pendant une période adéquate par rapport à ses besoins justifie d’interdire le désengagement des intéressés pendant une certaine période et de le soumettre au versement d’une indemnité pour couvrir les frais de subsistance et d’études qu’il a pris en charge durant les années de formation, tout en leur accordant le bénéfice d’un salaire et de droits sociaux.

95. À cet égard, la Cour juge pertinents les considérants des arrêts no 2763/2013 et no 3822/2013 de la Cour des comptes, aux termes desquels la réglementation litigieuse avait pour but notamment d’éviter les départs soudains, prématurés et collectifs d’officiers et le risque de compromettre les capacités de défense du pays.

96. Il reste à vérifier si le requérant s’est vu imposer un fardeau disproportionné, seul élément susceptible d’amener la Cour à conclure en l’espèce à la violation de l’article 4 § 2 de la Convention.

97. Dans son arrêt Van der Mussele (précité, § 37), la Cour a estimé que, si un service à fournir pour accéder à une profession donnée imposait un fardeau à ce point excessif ou hors de proportion avec les avantages attachés à l’exercice futur de celle-ci que l’intéressé ne saurait passer pour s’être « offert de son plein gré » à l’accomplir, le service exigé tombait sous le coup de l’interdiction du travail obligatoire. Afin de déterminer si les servitudes pesant sur le requérant l’emportaient sur les avantages liés à la profession qu’il a choisi d’embrasser, la Cour se placera non pas à l’époque à laquelle le requérant a été admis à l’école militaire et a opté pour une spécialisation, mais en 2004, année de l’entrée en vigueur de la loi d’amendement du décret-loi no 1400/1973. En effet, c’est sous le régime de ce décret-loi amendé que le requérant a décidé de mettre fin à son engagement et qu’il a eu à se conformer aux exigences en découlant.

98. La Cour ne saurait faire abstraction du fait que c’est par l’entremise de l’armée que le requérant a fait des études de médecine et obtenu sa spécialité d’anesthésiste en travaillant de 1996 à 2001 d’abord à l’hôpital général militaire 424 de Thessalonique puis à l’hôpital général régional Papanikolaou de Thessalonique. Elle observe à cet égard que l’article 38 § 2 de la loi no 1397/1983 interdisait le placement d’un médecin en vue de sa spécialisation en sus des places disponibles dans les hôpitaux, mais qu’il autorisait un tel placement en surnombre pour les médecins permanents des forces armées, possibilité dont le requérant a bénéficié. En outre, la législation grecque offre le choix aux officiers comme le requérant de travailler pendant une certaine période pour l’armée ou de la quitter avant la fin de la période fixée moyennant le versement d’une indemnité.

99. La Cour note aussi que, à la suite de l’entrée en vigueur de la loi no 3257/2004 précitée, les officiers du service de santé, dont le requérant, étaient autorisés à exercer la médecine dans le privé en dehors de leurs heures de travail.

100. Ces éléments démontrent que les médecins militaires bénéficient, dans le cadre de leurs études et de leur spécialisation, de privilèges que n’ont pas les étudiants en médecine civils, dont la sécurité d’emploi. Si l’on y ajoute le fait que les médecins militaires perçoivent un salaire pendant la durée de leurs études, l’obligation pour ceux qui souhaitent quitter l’armée avant la fin de la période d’obligation de service de verser à l’État certaines sommes en remboursement des frais que ce dernier a engagés pour les former se justifie pleinement. La Cour estime dès lors que le principe même du rachat des années de service restantes ne soulève pas de problème au regard du principe de proportionnalité.

101. Toutefois, la Cour considère que les modalités de ce rachat sont susceptibles, dans certains cas particuliers, de contribuer à la rupture de l’équilibre qui doit exister entre la protection du droit individuel du militaire concerné et celle des intérêts de la collectivité.

102. En l’espèce, la Cour note, d’une part, que, lorsque le requérant a remis sa démission, le quartier général de l’armée l’a informé qu’il lui restait à honorer une obligation de service d’une durée de neuf ans, quatre mois et douze jours et que, à défaut, il aurait à verser à l’État une indemnité de 106 960 EUR (décision du 26 mai 2007). Elle relève, d’autre part, que la Cour des comptes a finalement jugé, le 12 décembre 2013, que les cinq ans de spécialisation du requérant devaient être intégrés à la période totale d’obligation de service de dix-huit ans et que cette juridiction a en conséquence ramené le montant de l’indemnité à verser à l’État à 49 978,33 EUR.

103. La Cour prend acte de l’impossibilité déclarée du requérant et du Gouvernement de préciser le montant des salaires et émoluments perçus par le premier pendant la durée de ses études et de sa spécialisation en tant que médecin anesthésiste. Elle note cependant que, selon leurs propres estimations, requérant et Gouvernement s’accordent à dire que le premier a dû percevoir au total une somme comprise entre 86 976 EUR au minimum et 91 476 EUR au maximum pour les périodes s’étendant de septembre 1986 à juin 1993, puis d’août 1996 à juillet 2001.

104. La Cour observe que la somme de 49 978,33 EUR que le requérant a été finalement appelé à verser, en application de l’arrêt de la Cour des comptes du 12 décembre 2013, s’élevait à moins des deux tiers de la somme qu’il avait perçue pendant la période litigieuse (entre 86 976 EUR et 91 476 EUR) et que, de ce fait, elle ne saurait être considérée comme déraisonnable.

105. La Cour relève de surcroît que, à la suite d’une demande du requérant en ce sens, le président de la formation plénière de la Cour des comptes a émis, le 17 mars 2009, un ordre provisoire par lequel il suspendait l’exécution de la décision du 26 mai 2007, sursis confirmé le 21 octobre 2009 par la formation plénière de la Cour des comptes.

106. Ce sursis à exécution n’a pas empêché le centre des impôts de Thessalonique de sommer le requérant, le 18 mars, puis le 9 avril 2009, de verser une somme de 109 527 EUR, composée des 106 960 EUR susmentionnés, majorés de 2 139,20 EUR au titre d’un timbre fiscal et de 427,84 EUR au bénéfice de l’organisme d’assurances agricoles. Le 10 mai 2010, la direction des impôts du ministère des Finances a informé le requérant que, en raison du non-versement par lui de la somme due pendant l’année écoulée, cette somme avait été grevée d’intérêts de retard d’un montant de 13 143,24 EUR. Elle l’informait aussi que, s’il procédait au règlement au plus tard le 31 mai 2010, il pourrait bénéficier d’une remise de 80 % sur les intérêts. Le 26 mai 2010, le requérant a déposé la somme de 112 155,69 EUR au centre des impôts de Thessalonique.

107. En dépit du sursis à l’exécution de la décision litigieuse accordé au requérant, d’abord par le président de la formation plénière de la Cour des comptes, puis par la formation plénière elle-même, et bien que la procédure devant la formation plénière de la Cour des comptes eût à peine été entamée, le requérant s’est trouvé dans l’obligation, de par l’intervention, le 10 mai 2010, de la direction des impôts du ministère des Finances, de payer la somme due, déjà majorée d’intérêts de 12 % à 13 %. S’il n’avait pas consenti à verser l’intégralité de la somme, il aurait vu celle-ci augmenter davantage en raison du laps de temps nécessaire à la Cour des comptes pour statuer.

108. En outre, la Cour note que, si l’article 3 § 1 du code relatif à la perception des recettes de l’État et l’article 96 du décret-loi no 721/1970, tels qu’interprétés par l’avis no 120/2002 du Conseil juridique de l’État, énoncent que les dettes des officiers envers l’armée peuvent être honorées de manière échelonnée, pareille possibilité doit être mentionnée dans l’acte d’imputation de l’indemnité. Or, en l’espèce, elle ne figurait pas dans la décision du 26 mai 2007.

109. Eu égard à ces circonstances, il ne fait pour la Cour aucun doute que le requérant a été obligé d’agir ainsi sous la contrainte (voir, mutatis mutandis, Deweer c. Belgique, 27 février 1980, § 51, série A no 35). La Cour constate que les autorités ont passé outre deux décisions judiciaires contraignantes à leur égard et ont persisté à faire exécuter leur décision initiale du 26 mai 2007, qui précisait que la procédure de paiement ne pouvait être suspendue par un recours éventuel du requérant (voir, mutatis mutandis, Georgoulis et autres c. Grèce, no 38752/04, § 25, 21 juin 2007). En obligeant le requérant à verser immédiatement la somme de 109 527 EUR, majorée à 112 155,69 EUR par l’imputation d’intérêts, les autorités fiscales ont créé pour l’intéressé une charge disproportionnée.

Partant, il y a eu violation de l’article 4 § 2 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 4 § 2 COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION

110. Le requérant allègue que seuls les médecins officiers de l’armée de terre, comme lui, sont obligés d’acquérir une spécialisation en vertu de l’article 14 de la loi no 1394/1983 et ainsi de s’engager à servir au sein de l’armée pour une période supplémentaire de cinq ans, alors qu’une telle spécialisation ne serait exigée ni des médecins officiers de la marine nationale ni de ceux de l’armée de l’air. Il dénonce à cet égard une violation de l’article 4 § 2 de la Convention combiné avec l’article 14 de la Convention.

111. Le Gouvernement soutient, en premier lieu, que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes. En deuxième lieu, il indique que l’article 64 du décret-loi no 1400/1973 s’applique indistinctement aux médecins officiers des trois corps de l’armée (armée de terre, armée de l’air et marine nationale).

112. La Cour relève, à l’instar du Gouvernement, qu’il résulte de l’article 64 §§ 7 et 15 du décret-loi précité, combiné avec l’article 14 § 1 de la loi no 1394/1983, que l’obligation de service pendant cinq ans supplémentaires en cas de spécialisation incombe aux médecins des trois corps de l’armée. Plus précisément, elle constate que l’article 14 § 1 de la loi no 1394/1983 ne rend pas obligatoire la spécialisation des médecins de l’armée de terre, énonçant seulement que ceux qui souhaitent acquérir une spécialité ne peuvent le faire que par l’entremise de l’armée (recherche ou création de postes en surnombre et paiement des frais y relatifs).

113. Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être déclarée irrecevable pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

114. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage matériel

115. Pour préjudice matériel, le requérant réclame 106 960 euros (EUR), soit le remboursement du montant de l’indemnité qu’il a été contraint de verser à l’État.

116. La Cour note, à l’instar du Gouvernement, que, le 13 mars 2014, l’État a remboursé au requérant la somme de 59 749,61 EUR correspondant à la différence entre la somme déjà versée par l’intéressé et celle fixée par l’arrêt no 4909/2013 susmentionné. La Cour rappelle aussi qu’elle a fondé son constat de violation sur les modalités d’exécution de l’acte d’imputation de l’indemnité due par le requérant et non sur le principe même du paiement d’une indemnité en cas de démission prématurée de l’armée. Partant, elle estime qu’aucune somme n’est due au requérant pour dommage matériel.

B. Dommage moral

117. Le requérant réclame 50 000 EUR pour dommage moral.

118. Le Gouvernement considère que la somme demandée est excessive et que le constat d’une violation constituerait une réparation suffisante.

119. La Cour estime que le requérant a subi un dommage moral certain et que le constat de violation de la Convention ne constitue pas une réparation suffisante à cet égard. Elle lui accorde la somme de 5 000 EUR à ce titre.

C. Frais et dépens

120. Pour les frais et dépens qu’il dit avoir engagés devant les juridictions internes et devant la Cour, le requérant réclame le remboursement d’une somme globale de 9 102,30 EUR, dont 2 460 EUR pour ceux afférents à la procédure devant la Cour.

121. Le Gouvernement estime que les prétentions du requérant sont excessives, vagues et non prouvées. Il ajoute que l’intéressé n’a pas produit les éléments qui ont servi de base à son calcul.

122. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et à la lumière de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d’accorder au requérant la somme de 2 500 EUR tous frais confondus.

D. Intérêts moratoires

123. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 4 § 2 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 4 § 2 de la Convention ;

3. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

ii. 2 500 EUR (deux mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 4 juin 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren NielsenIsabelle Berro
GreffierPrésidente


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